SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME SECOND

CHAPITRE XXI. — LES BEAUX-ARTS AU TEMPS DE SAINT LOUIS.

 

 

I. — Architecture. - Principes de l'architecture gothique.

On vient de voir quelle activité le treizième siècle avait déployée, non-seulement dans ce qui faisait l'objet de l'enseignement des universités, mais dans tous les genres de littérature, soit en prose soit en vers. L'Église règne dans les universités et elle n'a point laissé que de marquer sa place au dehors dans plusieurs genres qui se développent d'ailleurs plus librement à côté d'elle.

Un autre domaine où on peut dire qu'elle exerça et garda une action dominante, alors même qu'elle cessa d'y participer moins directement, c'est celui des beaux-arts[1].

Le premier rang entre les diverses branches des beaux-arts appartenait à l'architecture. Elle le devait surtout à la construction des édifices religieux. Le grand mouvement qui lui donna son essor datait de l'an 1000. Jusque-là on s'était généralement borné à l'imitation des anciennes basiliques : le toit était soutenu par une charpente visible comme dans les grandes halles. Après l'an 1000, quand le monde, qui s'était cru à la veille de périr, se réveille vivant toujours et prend confiance dans sa durée, tout se ressent de ces longues vues d'avenir qui lui sont rendues et sa reconnaissance envers le ciel se manifeste dans le zèle des populations à reconstruire les maisons de Dieu. Les écoles monastiques, la grande école de Cluny, fournirent les premiers architectes. Mais on ne se contente plus de rebâtir les églises sur les anciens modèles et dans leurs premières dimensions. On les agrandit, on les élève, on les transforme. Leur agrandissement même et leur surélévation devaient entraîner de graves changements dans leur structure, et c'est ainsi que se produisit un nouvel ordre d'architecture qui fit l'originalité du moyen âge et qui atteignit, sous le règne de Saint-Louis, son plus haut degré de perfection[2].

Ce qui avait amené cette révolution dans l'art, c'était la substitution de la voûte au toit en charpente, substitution commandée par les nombreux incendies dont les édifices couverts en bois avaient souffert. La voûte n'était pas chose nouvelle. Les Romains en avaient donné d'admirables modèles, et dans le premier travail de rénovation des églises on crut qu'il n'y avait rien de mieux à faire que de les imiter. Mais ce qu'on ne pouvait imiter en même temps, c'étaient les procédés de construction dont ils avaient usé pour donner à leurs voûtes une solidité à toute épreuve. Nos architectes n'étaient pas en mesure d'élever, sur tant de points où il y avait des églises à construire, des monuments semblables au temple de la Paix ; ils né disposaient ni des matériaux, ni des bras, ni de l'argent nécessaires pour faire des voûtes romaines à la façon des Romains[3]. Leurs voûtes, construites en berceau, exerçaient sur toute l'étendue des murs une poussée qu'ils cherchaient à, combattre par les arcs-doubleaux, bandés d'une pile à l'autre et formant saillie sous la voûte, et par les contreforts appliqués aux murs extérieurs[4]. Telle est l'architecture dite romane, dont Saint-Etienne de Caen reste un beau modèle. Mais ces moyens ne suffisaient pas ; ils en durent imaginer d'autres : ne trouvant plus la stabilité dans la masse, ils la cherchèrent dans l'équilibre[5]. Ils tentèrent de contrebalancer une force par une autre, de diminuer ainsi la pression à l'extérieur et de la ramener sur quelques points déterminés où il fut plus facile de la combattre. C'est à quoi ils arrivèrent en ne se bornant plus à partager la voûte en sections par les arcs-doubleaux menés parallèlement d'une pile à l'autre, mais en divisant ces sections diagonalement par des arcs de renfort (arcs-ogives), en substituant aux arcs en plein cintre, qui se déformaient et se brisaient par l'effet de la pression d'en haut, des arcs brisés à la clef, plus forts par cette brisure même[6]. On construisit la voûte non plus sur toute la largeur de l'espace compris entre les piles, mais sur les arcs mêmes.qui formaient le réseau, de manière à la réduire à un ensemble de voûtains, ayant leurs points d'appui sur les divers membres de cette ossature. La poussée générale étant diminuée d'autant et reportée aux points de retombée des arcs, il ne s'agissait plus que d'appuyer le mur en ces points : on y parvint au moyen d'arcs-boutants, ayant leur sommet aux points de la poussée réunie des arcs-doubleaux et des arcs-ogives et leur base sur des contreforts dont la solidité garantissait celle de l'édifice tout entier[7]. Mais pour donner une idée de ce système d'architecture, de sa hardiesse et de sa nouveauté, on ne saurait mieux faire que de citer quelques passages où l'auteur dont nous résumons les principes, a traité la question avec la double autorité de l'artiste et de l'érudit :

Le problème que les architectes de l'époque romane s'étaient donné à résoudre était celui-ci : élever des voûtes sur la basilique antique. Gomme disposition de plan, la basilique antique satisfaisait complètement au programme de l'église latine : grands espaces vides, points d'appui minces, air et lumière. Mais la basilique antique était couverte par des charpentes, l'abside seule était voûtée ; or dans notre climat les charpentes ne préservent pas complètement de la neige et du vent... De plus, les charpentes brûlent, et un édifice couvert par une charpente que l'incendie dévore, est un édifice perdu, de la base au faite. Jusqu'au dixième et onzième siècles il n'est question dans les documents écrits de notre histoire que d'incendies d'églises qui nécessitent des reconstructions totales. La grande préoccupation du clergé et par conséquent des architectes qui élevaient des églises, était, dès le dixième siècle, de voûter les nefs des basiliques Mais les murs des basiliques, portés par des colonnes grêles, ne pouvaient présenter une résistance suffisante à la poussée des voûtes hautes ou basses. Dans le centre de la France, les constructeurs, vers le onzième siècle, avaient pris le parti de renoncer à ouvrit des jours au sommet des murs des nefs hautes, et ils contre-buttaient les voûtes en berceaux de ces nefs hautes soit par des demi-berceaux, comme dans la plupart des églises auvergnates, soit par de petites voûtes d'arête élevées sur les bas côtés. Les nefs alors ne pouvaient être éclairées que par les fenêtres de ces bas côtés, presque aussi hauts que les grandes nefs. Les murs extérieurs, épais et renforcés de contreforts, maintenaient les poussées combinées des grandes et petites voûtes. Mais dans le nord de la France, ce système ne pouvait prévaloir. De grands centres de population exigeaient de vastes églises ; on avait besoin de lumière, il fallait prendre des jours directs dans les murs des nefs, et renoncer, par conséquent, à contre-butter les voûtes hautes par des demi-berceaux continus, élevés sur les bas côtés.

Il cite l'Abbaye-aux-Hommes (Saint-Étienne) et l'Abbaye-aux-Dames de Caen, où l'on adopta un terme moyen : les grandes voûtes d'arête des nefs hautes reposent sur des piles très-épaisses ; de petits jours sont ménagés dans les formerets[8] de ces voûtes, et pour contre-butter la poussée, il y a un demi-berceau continu bandé sur le triforium[9] :

Mais ce demi-berceau n'arrive pas au point de la poussée de cos voûtes hautes. Et pourquoi un demi-berceau continu pour maintenir une voûte d'arête dont les poussées sont reportées sur des points espacés au droit de chaque pile ?

Supposons que le demi-berceau de la nef de l'Abbaye aux-Hommes soit coupé par tranches, que ces tranches soient conservées seulement au droit des poussées des arcs-doubleaux et des arcs-ogives, et supprimées entre les piles, c'est-à-dire dans les parties où les poussées des grandes voûtes n'agissent pas, l'arc-boutant est trouvé... Ces murs épais deviennent alors inutiles, les piles de nefs peuvent rester grêles ; car la stabilité de J'édifice ne consiste plus que dans la résistance des points d'appui extérieurs sur lesquels les arcs-boutants prennent naissance.

Il fallut deux siècles de tâtonnement, d'essais souvent malheureux, pour arriver à la solution de ce problème si simple... Mais aussi, dès que cette nouvelle voie fut ouverte, elle fut parcourue avec une rapidité prodigieuse, et l'arc-boutant qui naît à peine au douzième siècle est arrivé à l'abus au quatorzième[10].

 

II. — Les Cathédrales.

C'est dans l'Île-de-France et comme au berceau de la dynastie capétienne, au lieu qui devint le tombeau de ses rois, c'est à Saint-Denis, dans les parties de l'église abbatiale bâtie par Suger (le chœur et le porche), que ce système, véritable révolution dans l'art de construire, reçut sa première application[11]. Presque en même temps on le voit se répandre dans les diocèses qui font partie du domaine royal et dans les grands fiefs le plus étroitement en rapport avec la royauté : la Picardie, la Normandie, la Champagne, la Bourgogne, le Berri[12].

L'architecture nouvelle régnait depuis cent ans en France avant qu'elle fût portée au dehors, et c'est par des artistes français qu'elle fut introduite à l'étranger[13], en sorte que si l'on veut un nom pour remplacer celui de gothique dont on l'a si improprement appelée, c'est l'architecture française qu'il faudrait dire : c'est le nom qu'on lui donnait, d'après Philibert de Lorme, au seizième siècle, et c'est le nom qu'elle aurait retenu, si les formes n'en avaient été dès lors si injustement dédaignées des architectes élevés à l'école des Italiens[14].

Parmi les cathédrales nouvellement rebâties ou en cours de construction à la mort de Philippe Auguste, on compte celles des villes suivante : Noyon[15], Laon, Senlis, Paris, Soissons, Amiens, Arras, Cambrai (ces deux dernières aujourd'hui détruites), Bourges, Rouen, Évreux, Séez, Bayeux, Coutances, Le Mans, Tours ; les cathédrales de Reims, de Sens, de Châlons, de Troyes, celles d'Auxerre et de Nevers, la cathédrale de Bordeaux.

Pour ne nous arrêter qu'aux plus importantes dans l'histoire de l'art, les cathédrales de Noyon, de Laon et le chœur de Soissons étaient achevés dès la fin du douzième siècle.

La cathédrale de Paris avait été commencée en 1160, sur l'emplacement de deux petites églises, l'une de Saint-Etienne, l'autre de la Vierge Marie, par l'évêque Maurice de Sully qui en bâtit le chœur et la nef, au moins jusqu'à la troisième travée ; elle se continua sous ses successeurs, Eudes (1196) et Pierre de Nemours (1208). A la mort de Philippe Auguste, le portail était élevé jusqu'à la base de la grande galerie à jour qui réunit les deux tours. L'église fut achevée dans ses parties principales sous saint Louis : les tours furent portées à leur hauteur en 1235 ; les chapelles de la nef sont de 1 245 ; le portail du sud, de 1257 (Jean de Chelles) ; les chapelles du chœur, postérieures à la mort du saint roi (1296).

La cathédrale de Chartres, brûlée en 1194, fut rebâtie avec le concours, non-seulement des habitants du diocèse, mais des populations d'alentour parmi lesquelles Notre-Dame de Chartres était en grande vénération. Les villages se levaient en masse pour y aller travailler, même en Normandie. Les rois Philippe Auguste, Louis VIII et saint Louis aidèrent de leur argent à la construire. Elle était achevée pour la plus grande partie en 1240 ; les porches aux deux entrées du transept sont de 1240 à 1250 ; le jubé qu'on y admirait encore il y a un siècle, était de la deuxième moitié du treizième siècle.

La cathédrale de Reims fut commencée en 1212 par Robert de Coucy ; en 1230, les voûtes basses étaient faites ; en 1240, les parties supérieures du chœur et les travées de la nef étaient construites. La façade (moins les deux flèches) ne fut achevée qu'au commencement du quatorzième siècle ; on y travaillait encore au quinzième.

La cathédrale de Bourges sortait de terre en 1220. La construction en fut ralentie, faute de ressources ; puis on hâta le travail et, peut-être pour en finir plus tôt, modifia-t-on le plan primitif en élevant la nef moins haut qu'on ne se l'était proposé. La partie antérieure de la nef n'est que du quatorzième siècle ; le sommet de la façade et les deux tours du seizième.

La cathédrale d'Amiens avait été détruite par un incendie en 1212. Elle fut commencée en 1220 par Robert de Luzarches et continuée en 1223 par Thomas et Renaut de Cormont, père et fils, sur les plans que Robert de Luzarches avait laissés. En 1240, il y eut interruption ; en 1258, un incendie détruisit les charpentes des chapelles de l'abside et compromit les parties voisines. La dernière main ne fut mise aux voûtes qu'en 1288. C'est le plus beau vaisseau de toutes nos cathédrales. La partie supérieure des tours est du quatorzième siècle.

La cathédrale de Beauvais fut commencée un peu après celle d'Amiens, en 1225. Le chœur fut élevé sur un plan plus large, avec une hardiesse qui en fait un des morceaux les plus admirables de l'architecture gothique, mais aussi avec une témérité qui faillit être punie : une partie s'écroula ; le reste aurait eu le même sort, si, vers la fin du treizième siècle, des piles nouvelles n'eussent été intercalées entre celles des trois travées du chœur. La conception du chœur de Beauvais est regardée comme supérieure à celle du chœur de la cathédrale de Cologne, commencée un peu après, sous l'inspiration de cette cathédrale même et de celle d'Amiens ; et l'église entière eût défié toute comparaison, si l'architecte avait pu disposer de ressources plus considérables et de matériaux d'un volume plus fort[16].

La cathédrale de Rouen, réédifiée dans la seconde moitié du douzième siècle, couvrait déjà tout l'espace qu'elle occupe aujourd'hui, à la mort de Richard Cœur de Lion. La tour Saint-Romain, au nord de la façade principale, les deux chapelles de l'abside, celles du transept et les deux portes de façade s'ouvrant sur les collatéraux, remontent à cette première époque. La nef, le transept et le sanctuaire durent être reconstruits après un incendie. On reconnaît dans le style des parties refaites de 1210 à 1220 les traces de l'influence française ; le style gothique normand reprit ensuite le dessus. On continuait d'y travailler sous saint Louis. On y travailla plus tard encore ; les chapelles de la nef sont de la fin du treizième siècle. Les portails de la Calende et des Libraires, la chapelle de la Vierge, bâtie en 1302, sont justement réputés des chefs-d'œuvre.

C'est sous le règne de saint Louis ou très-peu auparavant, que l'architecture gothique prit l'ensemble des dispositions qui sont restées le type du genre[17]. A dater de 1220 environ, dit M. Viollet-le-Duc, la travée de nef à collatéraux dans les édifices du Nord est déterminée d'une manière plus précise. Les piliers, égaux en épaisseur, portent chacun les nerfs complets des voûtes d'arête haute et basse. Les murs entre ces voûtes s'ouvrent largement et sont remplacés même par des fenêtres qui prenaient toute la surface comprise entre les piliers et les formerets. C'est d'après ce principe qu'est conçue la cathédrale d'Amiens[18]. On trouvera dans le livre auquel nous empruntons ces détails des renseignements non moins curieux sur les autres cathédrales de France[19]. Les cathédrales sont au premier rang parmi les monuments du style gothique. Les grandes églises abbatiales avaient pris les devants dans la rénovation qui datait de l'an mil, et elles avaient été construites par la grande école de moines architectes sortie de Cluny, dans le style roman, qui dominait encore[20]. C'est le système de la construction romane qui régit lés églises, même en Palestine, où dès le douzième siècle on trouve l'ogive[21]. Ce fut par une sorte d'émulation à l'égard de ces édifices élevés par les abbés de l'ordre de Cluny et de Cîteaux que les évêques se prirent à rebâtir leurs cathédrales ; et ils étaient secondés par le zèle des populations qui trouvaient dans la cathédrale leur lieu naturel d'assemblée[22] : on a fait l'observation que les villes du nord où se formèrent les premières communes sont aussi celles où s'élevèrent les premières cathédrales du style nouveau. Le midi resta plus longtemps fidèle au style roman[23]. Les évêques eurent donc dans cette œuvre le concours des populations de leurs villes épiscopales ; ils purent en outre y employer le talent d'architectes sortis de la vie civile : grands artistes dont les noms sont restés pour la plupart inconnus ; et ceux qui ont échappé à l'oubli, Robert de Luzarches, Pierre de Montereau, Eudes de Montreuil, Guillaume de Sens, Thomas et Renaut de Cormont, Jean de Chelles, Pierre de Corbie, Villart de Honnecourt, Libergier, Robert de Coucy, Erwin de Steinbach, de qui sont-ils connus sinon des archéologues et des savants[24] ! École laïque et qui n'en est pas moins profondément religieuse. Quand l'art a-t-il jamais mieux répondu à la destination de l'édifice qu'il avait à construire, aux aspirations de l'âme qui s'élève à Dieu ? M. Viollet-le-Duc a le droit de dire, au point de vue de son art, que les architectes n'élevèrent pas la nef de leurs églises à cette hauteur par une aspiration vers le ciel, mais pour avoir du jour ; il n'en est pas moins vrai que ces arcs brisés à la clef, que ces voûtes portées si haut dans les airs, semblaient répondre aux élévations de la prière ; et ces flèches élancées qui surmontent les églises, où est leur nécessité dans les règles strictes de l'art de bâtir[25] ?

 

III. — Les Monastères.

Les premiers architectes qui avaient présidé à la rénovation des églises, c'étaient des moines. C'est l'école de Cluny, nous l'avons vu, qui avait donné un si large développement à l'architecture romane et préparé le grand âge de l'architecture gothique. Il était naturel que l'on retrouvât aussi sa main dans l'œuvre de la reconstruction ou de la fondation nouvelle de couvents[26]. Vers la fin du douzième siècle ou le commencement du treizième, le prieur de Cluny fait rebâtir à Paris le couvent de Saint-Martin des Champs ; l'abbé de Sainte-Geneviève reconstruit aussi son abbaye ; un peu plus tard, l'abbé de Saint-Germain des Prés, laissant subsister son église, rebâtit un nouveau monastère, qui fut achevé par un architecte laïque, Pierre de Montereau : le vaste et beau réfectoire qu'il y construisit et qui le désigna à saint Louis pour la construction de la Sainte-Chapelle, la chapelle de la Vierge qu'il y avait élevée dans le même style et dans le même temps (1245), furent démolis en 1794[27]. L'église de Saint-Denis, sauf les parties reconstruites par Suger (le chœur et le porche) tombait en ruine et on n'osait y toucher tant elle était vénérée, parce qu'elle avait reçu, disait-on, la visite de Notre-Seigneur : ce fut le pape qui, consulté, dit de la rebâtir[28]. C'est de cette époque (1231) que date cette nef d'un style si élégant et si pur. La royauté aussi venait en aide à ces fondations pieuses. La mère de saint Louis fonda, avec le concours du saint roi, l'abbaye de Maubuisson, pour des religieuses de Cîteaux : la reine aidait à créer des établissements de cette sorte dans les campagnes ; mais au treizième siècle, non pas seulement les femmes, les religieux eux-mêmes cessaient généralement de cultiver la terre de leurs propres mains[29]. On a vu avec quelle magnificence saint Louis fonda l'abbaye de Royaumont, en exécution du testament de son père[30] ; il concourut encore à la construction ou à l'agrandissement de beaucoup d'autres monastères, surtout de maisons de dominicains et de franciscains, ordres nouveaux qui étaient en voie de se répandre partout. Hôtes passagers d'une maison faite pour durer, les religieux donnaient à leurs constructions une solidité et une ampleur qu'on n'eût point cherchées ailleurs : les salles capitulaires, les réfectoires, les dortoirs, les cuisines mêmes avaient une structure vraiment monumentale. La cuisine de Fontevrault, qui est encore debout, a été prise pour une chapelle funéraire[31].

On comprend, dit M. Viollet-le-Duc, comment de vastes établissements richement dotés, tels que Cluny, Jumièges, Saint-Denis, Vézelay, Clairvaux, apportaient dans la Construction de leurs bâtiments un soin et une recherche extraordinaires ; mais lorsque l'on voit que ce soin, ce respect, dirons-nous, pour l'institut monastique, s'étendent jusque dans les constructions les plus médiocres, presque dans les bâtiments ruraux les plus restreints, on se sent pris d'admiration pour cette organisation bénédictine, qui couvrait le sol de l'Europe occidentale d'établissements à la fois utiles et bien conçus, où l'art véritable, l'art qui sait ne faire que ce qu'il faut, n'était jamais oublié[32].

Les ordres mendiants, on le comprend, ne bâtissaient pas avec la splendeur des bénédictins de Cluny ou de liteaux. Le treizième siècle offre donc de nombreuses diversités à cet égard. De plus, l'influence du temps se fit sentir dans les dispositions des couvents fondés à nouveau. Chaque moine aura bientôt sa cellule ; l'abbé se fera bâtir une résidence à part, quelquefois à une assez grande distance des bâtiments principaux du couvent. Il a son entrée particulière, sa cour, son Jardin. C'est un seigneur dont la vie ne diffère que peu de colle des laïques[33]. En outre, l'abbé étant un seigneur, il conviendra que l'abbaye prenne quelque chose des formes d'une résidence seigneuriale. Les monastères bâtis au treizième siècle sont des villes fortifiées ; il y en a un qui fut une des plus fortes places du moyen âge : l'abbaye du Mont-Saint-Michel, reconstruite en 1203. Il est vrai que cette force n'était pas sans utilité pour la couronne. On le vit à diverses reprises et notamment dans la guerre de Cent ans[34].

Des édifices d'un autre genre pourraient se rapprocher des monastères ; car s'ils n'étaient pas construits pour les religieux, c'étaient les religieux qui faisaient la partie active de leurs habitants : je veux parler des Hôtels-Dieu. Saint Louis contribua aussi beaucoup à les agrandir et à les multiplier. Les Hôtels-Dieu de Vernon et de Pontoise furent achevés avec son concoure en 1259; celui de Compiègne avant 1260[35]. Une autre construction d'un tout autre caractère et d'un tout autre usage, n'en eut pas moins très-souvent, au moyen âge, une origine religieuse : les ponts. De bonne heure, les pèlerinages avaient été en honneur, et des ermitages, — des hospices mêmes, — s'établirent aux principaux passages des rivières pour subvenir aux pèlerins ; on connaît la légende de saint Christophe passant les voyageurs sur ses épaules. On fit mieux : des compagnies de religieux se formèrent dans le midi, sous le nom de frères pontifes, pour y construire des ponts ; ils allaient louant leurs services là où on les voulait employer[36]. C'est à eux que l'on doit le premier pont d'Avignon, dont le souvenir se rattacha au nom de saint Benezet (petit Benoît), jeune pâtre qui, selon la légende, fut inspiré pour bâtir ce pont hardi ; peut-être n'est-il autre que le chef des frères pontifes qui, selon l'histoire, le construisirent. Le Pont-Saint-Esprit, commencé vers la fin du règne de saint Louis (1265), dut sa fondation à un abbé de l'ordre de Cluny[37].

 

IV. — Architecture civile et militaire.

Comme M. Viollet-le-Duc l'a montré, l'architecture, même dans l'ordre civil, suivit pas à pas, jusqu'au treizième siècle, l'architecture monastique : d'abord parce que les établissements religieux tenaient le premier rang dans l'ordre social ; ensuite parce que les moines seuls étaient architectes, peintres et sculpteurs, et qu'ils devaient apporter, même dans les constructions étrangères, quelque chose de leur manière habituelle de concevoir un plan et de l'exécuter : grande cour qui, dans les palais, s'appelait le cloître ; grande salle qui remplaçait le réfectoire ; ; dortoir pour les familiers ; logis séparé pour le seigneur comme pour l'abbé, hôtelleries pour les étrangers, chapelle, celliers, greniers, jardins[38], etc.

Ces dispositions générales se maintiennent au treizième siècle avec les différences que l'architecture d'alors, avant tout logique, comme dit M. Viollet-le-Duc, devait y introduire selon la. différence des destinations :

Autant qu'on en peut juger par l'examen des constructions civiles des douzième, treizième et quatorzième siècles, dit notre auteur, les données générales des palles comme des maisons étaient simples. L'habitation princière se composait de cours entourées de portiques ; les écuries, les logements des serviteurs et des hôtes, en dehors de l'enceinte du palais. Les bâtiments d'habitation comprenaient toujours une grande salle d'un accès facile. C'était là que se réunissaient les vassaux, que l'on donnait des fêtes et des banquets, que l'on traitait les affaires qui exigeaient un grand concours de monde, que se rendait la justice. A proximité, les prisons ; une salle des gardes, puis les cuisines, les offices avec leur cour et entrée particulière. Les logements des maîtres étaient souvent rattachés à la grand'salle par un parloir et une galerie. C'était là que l'on déposait des armes, des objets conquis ; des peintures, des portraits ornaient la galerie. Les chambres destinées à l'habitation privée étaient groupées irrégulièrement suivant les besoins ; comme accessoires, des cabinets, des retraits, quelquefois posés en encorbellement ou pris aux dépens de l'épaisseur des murs. Ces logis étaient à plusieurs étages ; la communication entre eux était établie au moyen d'escaliers à vis auxquels on n'accédait que par des détours connus des familiers. L'influence de la demeure féodale, de la forteresse, se faisait sentir dans ces constructions, qui, du reste, à l'extérieur, présentaient toujours une apparence fortifiée[39].

La résidence du seigneur dans la capitale de sa seigneurie se nommait le palais. Le Louvre était un château ; la résidence royale à Paris était, sous le règne de saint Louis, cet ensemble de bâtiments qui, avec une destination nouvelle, a retenu le nom de Palais dans la cité[40]. La tour carrée (tour de l'Horloge), plus d'une fois remaniée depuis, pouvait remonter à une origine antérieure. Des constructions de son temps, il restait naguère le bâtiment compris entre les deux tours sur le quai, bâtiment détruit en 1871, dans l'incendie de la Commune ; il reste la Sainte-Chapelle que les mêmes flammes ont failli dévorer, édifice qui est comme le joyau de l'architecture ogivale, châsse grandiose des saintes reliques, qui le dispute aux plus belles pièces d'orfèvrerie, et qui, en tant que chapelle, peut désarmer les plus Implacables adversaires du gothique. Rien, dit M. F. de Lasteyrie, ne peut donner une idée de la légèreté de cette, construction. On a peine à comprendre comment les voûtes peuvent se soutenir sur les minces faisceaux de colonnettes qui séparent entre elles les verrières. Les regards éblouis nagent dans des flots d'harmonie au milieu de ce superbe vaisseau dont les transparentes parois laissent pénétrer de toutes parts une lumière irisée. Cette vitrerie si riche et si complète, dont l'architecture du temple ne semble être que la monture, présente un ensemble dont on chercherait vainement l'exemple ailleurs[41].

Il y avait aussi des palais épiscopaux, et au milieu des reconstructions modernes, plusieurs gardent encore des traces de l'art du treizième siècle[42]. Quant aux maisons particulières, on s'en peut faire une idée par cette description qu'en offre M. Viollet-le-Duc :

La maison du riche bourgeois possédait une cour et un bâtiment sur rue. Au rez-de-chaussée, des boutiques, une porte charretière et une allée conduisant à un escalier droit. Au premier étage, la salle, lieu de réunion de la famille pour les repas, pour recevoir les hôtes ; en aile, sur la cour, la cuisine et ses dépendances, avec son escalier à vis, bâti dans l'angle. Au deuxième étage, les chambres à coucher auxquelles on n'accédait que par l'escalier de la cour montant de fond : car l'escalier droit, ouvert sur la rue, ne donnait accès que dans la salle où on admettait les étrangers. Sous les combles, des galetas pour les serviteurs, les commis on apprentis ; des greniers pour les provisions. Ces maisons n'avaient pas leur pignon sur la rue. Ainsi chez le bourgeois, comme chez le noble, la vie privée était soigneusement séparée de la vie publique[43].

La bourgeoisie, prise en masse, éleva aussi dans plusieurs cités des maisons capables d'éclipser les palais des évêques et des seigneurs : les hôtels de ville. Il y en eut dans le Midi ; il y en eut dans le Nord : ce fut la suite naturelle du mouvement communal. Mais ces communes, jurées dans les églises, ne subsistèrent pas assez longtemps, au moins dans le ressort du domaine royal, à Noyon, à Laon, à Amiens, etc., pour se donner de pareils édifices[44]. Leurs cathédrales d'ailleurs étaient en quelque sorte, nous l'avons vu, un édifice municipal ouvert à leurs réunions[45]. Tout ce que purent faire la plupart de ces villes, ce fut d'élever un beffroi et d'ajouter des défenses à leurs murs. Plusieurs tenaient leur enceinte des Romains, et celles-là purent longtemps braver les moyens d'attaque usités dans les premiers siècles qui suivirent l'invasion des barbares. Mais l'attaque se perfectionna et il fallut que la défense se mît en mesure d'y résister. Elle y réussit dans la période qui suivit la première croisade, et on peut dire que l'avantage resta de son côté jusqu'au premier emploi de l'artillerie, vers le milieu du quatorzième siècle. Une enceinte continue, flanquée de tours et garnie de créneaux, des mâchicoulis surplombant pour la défense du pied des murailles, ou bien encore des hourds, sorte de galeries de bois posées sur des consoles de pierre à la même fin, constituaient la principale ligne de défense, et quelquefois aussi des forts détachés couvraient les fronts trop grands de la courtine[46]. Le rapport de Guillaume des Ormes à la reine Blanche, en 1240, sur le siège qu'il soutint victorieusement dans Carcassonne, nous montre une garnison et l'assaillant aux prises avec les moyens dont on disposait de part et d'autre en ce tempe-là. Saint Louis, au retour de la croisade, ajouta aux défenses de cette ville qui devint sa principale place d'armes au voisinage des Espagnols et des Anglais[47]. Toutes les villes n'avaient point comme Carcassonne la nature se joignant à l'art pour les défendre ; il fallait les fortifier telles qu'elles étaient, selon leur importance. Il n'en était pas de même des châteaux. Ici le lieu avait été spécialement choisi en vue de la fortification ; le village qui s'étendait au pied s'était le plus souvent formé en raison de l'abri qu'il y trouvait. On connaît les ruines de Château-Gaillard. On peut voir encore dans celles du donjon de Coucy, commencé après la mort de Philippe Auguste, achevé au début du règne de saint Louis, en 1230, jusqu'où allait l'art de la fortification au treizième siècle[48]. De tels châteaux bien approvisionnés purent braver toute attaque jusqu'à l'emploi du canon.

 

V. — La Sculpture.

En parlant du mode nouveau qui avait présidé à la réédification des églises aux douzième et treizième siècles, nous n'avons donné qu'une idée fort incomplète de leur ensemble. L'architecture, en effet, n'y a pas seule sa part. La sculpture, la peinture viennent après, mais viennent nécessairement avec elle. A aucune époque et dans aucun genre de monuments, ces trois branches de l'art n'ont été plus inséparablement unies. Il n'est donc pas étonnant qu'elles aient subi les mêmes vicissitudes. Mais pourtant il y a entre elles des différences qui demandent que l'on en traite à part.

La sculpture, qui est restée la forme la plus populaire de l'art grec, n'était devenue qu'une imitation des œuvres de la Grèce à Rome, et, comme toute chose qui n'a pas en soi la vie, elle était tombée dans l'abâtardissement vers la fin de l'Empire. L'invasion des barbares, en la supprimant, ne fit pas grand dommage. Il en restait pourtant des échantillons dans les monuments encore debout, et ce furent des modèles que l'on imita grossièrement sous les deux premières races : car il y avait des villes, dans le Midi par exemple, où se perpétuaient les traditions municipales de l'Empire, et, au sein de ces municipes dégagés de la fiscalité impériale, des corporations moins opprimées. Quand le monde se sentit renaître, après l'an 1000, quand on se mit à rebâtir des églises, la sculpture dut sortir de son engourdissement. Les corps de métier du Midi firent presque école (Toulouse, par exemple) ; et l'ordre de Cluny, qui prit au onzième siècle des développements si considérables, eut ses compagnies de sculpteurs, comme ses ateliers de serruriers, de menuisiers et de maçons[49].

Le mouvement artistique, produit par les causes que l'on vient de voir, s'accrut par l'entraînement des croisades. L'art byzantin, produit abâtardi de l'art grec et des arts de l'Orient, fut étudié par nos artistes et à Constantinople et à Antioche. Mais, chose curieuse et explicable néanmoins quand on pense à l'école où ce mouvement se produit, le nouvel art prend son inspiration moins dans ces monuments eux-mêmes que dans les manuscrits : on a signalé dans ses œuvres un air de vie qui se trouve plus dans les peintures dont ces manuscrits sont ornés aux huitième, neuvième et dixième siècles, que dans les ivoires des diptyques ou dans la statuaire byzantine. L'art byzantin était devenu un art sacré, hiératique, et à ce titre il était, comme l'art égyptien, voué à l'immobilité. Fort heureusement, l'art de l'Occident au moyen âge, en allant apprendre le dessin de figure a d'ornement à cette école, ne s'en inocula point l'esprit. L'école de Cluny, toute monastique qu'elle fût, s'en affranchit la première. En conservant dans les figures les draperies byzantines, elle emprunta les physionomies à la nature vivante[50] ; en composant, comme les Byzantins, ses chapiteaux de feuillage, elle en prit le modèle dans la flore des champs ou des bois[51].

Ce fut une véritable émancipation et le principe d'un progrès indéfini : car, du moment qu'on imite la nature, on n'est plus asservi à un type, on est libre. Aussi ces progrès furent-ils rapides : ils furent hâtés encore par la transformation qui s'opéra dans la construction des cathédrales et par la révolution qui, sans éclat et sans bruit, introduisit les hommes sortis de la vie civile dans la pratique des arts.

La statuaire, formée au onzième et au douzième siècle à l'école des Byzantins, n'a plus rien qui en tienne dans les premières années du treizième siècle : Faire sortir, dit M. Viollet-le-Duc, un art libre poursuivant le progrès par l'étude de la nature, en. prenant un art hiératique pour point de départ, c'est ce que firent avec un incomparable succès les Athéniens de l'antiquité. Des sculptures dites Éginétiques, c'est-à-dire empreintes encore profondément d'un caractère hiératique, aux sculptures de Phidias, il y a vingt-cinq ou trente ans. — Or nous voyons en France le même phénomène se produire. Des statues de Chartres, de Corbeil, de Notre-Dame de Paris (porte Sainte-Anne, porte de droite de la façade occidentale[52]) à la statuaire du portail occidental de la cathédrale de Paris il y a un intervalle de cinquante ans environ, et le pas franchi est immense[53].

Une tendance nouvelle se manifeste et dans le choix des sujets et dans la manière de les traiter. On ne se borne plus à reproduire les légendes étroites de la Madeleine, de saint Antoine, de saint Benoit ; on puise largement aux sources vivifiantes de l'Ancien et du Nouveau Testament, ou des traditions qui s'y rattachent, comme celles qui regardent la sainte Vierge. Quelquefois aussi, pour la décoration extérieure, on emprunte aux moralités populaires des fabliaux[54]. Dans les représentations des vertus et des vices, on ne rend plus seulement le fait brutal, mais l'idée. Borné au jeu des physionomies (le nu n'étant pas plus figuré en général qu'il ne se montrait en public), l'artiste sait en reproduire l'expression sans rien de forcé. Moine ou laïque, il s'élève au plus pur sentiment du caractère religieux. Les figures d'anges ont sur un grand nombre de monuments un air vraiment céleste : Si nous nous attachons à l'exécution de cette statuaire, dit M. Viollet-le-Duc, nous trouvons ce faire large, simple, presque insaisissable, des belles œuvres grecques. C'est la même sobriété de moyens, le même sacrifice des détails, la même souplesse et la même fermeté à la fois dans la façon de modeler les nus[55]. Si d'ailleurs les nus se réduisent le plus souvent aux mains et aux figures, l'artiste nous dédommage de ce qu'il nous dérobe du corps humain en représentant le personnage vêtu avec un naturel que l'étude du nu a trop souvent fait oublier ; et la draperie, qui, au commencement, a la rigidité des formes byzantines, ne tarde point à acquérir de la souplesse sans rien perdre de sa dignité[56].

La composition n'a pas fait moins de progrès que le modelé. Quelques bas-reliefs de la fin du douzième siècle sont conçus dans un sentiment dramatique très-prononcé[57]. Quoi de plus énergique, par exemple, que cette figure nue de la Mort, montée sur le cheval de l'Apocalypse et, d'un air impassible, regardant tomber derrière elle l'homme qu'elle a touché ? Cette scène entière tient tout juste l'espace que le cheval occupe dans la partie droite des voussures du portail central de Notre-Dame de Paris. La composition de la porte gauche de la même façade, dite de la Vierge, est une composition complète et des mieux réussies. M. Viollet-le-Duc, qui en porte ce jugement, range aussi les bas-reliefs du portail sud, représentant la légende de saint Étienne (1257), parmi les œuvres les plus remarquables du milieu du treizième siècle[58].

Ce qu'on vient de voir pour la statuaire peut s'appliquer à la sculpture d'ornement : c'étaient les deux parties d'un même art, et souvent l'occupation d'un même artiste. D'abord elle se borne à reproduire les modèles byzantins, volutes ou figures d'animaux : c'est ce qu'on voit dans les diverses écoles du onzième siècle ; et parmi ces figures on retrouve dans l'Ouest certaines formes étranges, où l'on a cru pouvoir signaler la trace d'un art plus scandinave que grec. Puis, cette reproduction, servile à l'origine, prend des allures plus indépendantes dans l'école de Cluny[59]. Enfin on n'imite plus que la nature ; et l'art, avec une plus grande variété dans le choix du feuillage qu'il reproduit, acquiert une liberté d'allure et une élégance jusque-là inconnue[60]. C'est encore l'école de Cluny qui commence[61], suivie et dépassée bientôt par les artistes laïques. C'est en ce moment que l'ornementation s'identifie pleinement avec l'architecture[62]. M. Viollet-le Duc place l'apogée de la sculpture au moyen âge, pour ces deux branches en même temps, vers la fin du douzième et le commencement du treizième siècle, quand la tradition romaine a disparu et que la recherche de la réalité n'exerce pas encore un empire absolu, à l'époque de la construction de la nef et de la partie inférieure de la façade de Notre-Dame de Paris, de la cathédrale de Laon, de l'œuvre basse du chœur de la cathédrale de Rouen, d'une partie de celle de Lisieux, des chœurs des églises abbatiales de Saint- Remi de Reims, de Saint-Leu d'Esserent, d'Eu, de Vézelay[63]. La flore qu'ils empruntaient à la nature leur offrait dans sa variété l'avantage de donner à leur ornementation l'échelle que la place exigeait[64]. Et ils ne se bornaient pas à cette diversité de feuillage, qui est en si parfait contraste avec l'uniformité des chapiteaux grecs ; ils en revenaient à y enlacer capricieusement ces animaux que l'art byzantin leur avait donnés autrefois et qu'ils avaient délaissés ; mais ils les reprenaient avec une habileté de main et un naturel, même pour des êtres de fantaisie, que les Byzantins ne leur avaient point inspirés[65] : Au milieu du règne de saint Louis, vers 1240, dit M. Viollet-le-Duc, il se produit dans la sculpture d'ornement comme dans la statuaire, un véritable épanouissement... A dater de 1250, l'art est formé... Il réunit alors au style élevé, à la sobriété des moyens, à l'entente de la composition une exécution excellente et une dose de naturalisme qui laisse encore un champ large à l'idéal[66].

Si le progrès ne se continue pas, on peut dire que l'art se soutient encore quelque temps à la hauteur où il est arrivé, et il ne cesse de montrer cette puissance de production qui fait que la France, après tant de destructions de toute sorte, possède encore aujourd'hui plus de modèles de la statuaire au moyen âge que l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Espagne réunies[67].

La sculpture ne se bornait pas à travailler avec l'architecture au gros œuvre des églises ; elle les décorait encore de diverses sortes par les accessoires dont elle les remplissait : les autels, les jubés[68], les chaires[69], les stalles, les dais qui recouvraient les images des saints, les tombeaux qui renfermaient les restes des morts : sarcophages apparents ou pierres avec figures en demi-relief, souvent exécutées en bronze coulé ou en cuivre repoussé[70]. Le moyen âge, en effet, ne s'est point borné à sculpter le marbre, l'albâtre, la pierre, le bois ou l'ivoire[71] ; il a su employer le bronze ; malheureusement très-peu d'échantillons nous en sont restés[72]. La pierre ou le bois quoique plus naturellement périssables ont plus de chance de durer : on hésite, même aux temps barbares, à détruire une image pour en faire de la chaux ou de la cendre ; mais le métal, en raison même de son prix, court plus de péril, et les siècles les plus civilisés ont des jours de barbarie que les époques les plus barbares n'ont point égalés.

 

VI. — La Peinture.

La peinture était au moyen âge en alliance intime avec l'architecture et la sculpture, alliance si intime qu'elle s'appliquait aux œuvres de l'une et de l'autre : ce en quoi on a signalé une analogie de plus avec l'antiquité grecque. Si inférieurs qu'on les suppose et qu'ils soient aux peintres de la Renaissance, les peintres du moyen âge ont eu cependant le mérite de comprendre qu'on ne peint pas un mur comme une toile. Ils voyaient dans cette sorte de peinture, soit qu'elle figurât des scènes, soit qu'elle ne se composât que d'ornements, une surface qui devait toujours paraître plane, solide, qui était destinée non à produire une illusion, mais une harmonie[73].

Les Byzantins furent leurs premiers maîtres, tant pour les sujets que pour la façon de les rendre. Dans la peinture de sujet, chaque figure présente une silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes, les plis des draperies, les linéaments intérieurs[74]. Mais dans ces tableaux, dès le onzième siècle, les figures ont une vérité d'expression, de mouvement, qu'on ne retrouve pas au même degré dans les peintures byzantines du même temps[75].

La fin du douzième siècle, qui fut si brillante pour l'architecture et pour la sculpture, fut précisément au même titre, pour la peinture, une époque critique. On recherchait surtout dans les cathédrales l'éclat des vitraux, et puis l'architecture nouvelle ne laissait plus au peintre ces grandes surfaces vides où il pût exercer son art : il fut réduit à la coloration des objets d'ornement et des produits de la sculpture[76], ou à la composition des cartons reproduits dans les vitraux ; mais c'était encore pour lui matière à s'exercer, et lorsque le travail de construction des cathédrales se fut ralenti, la peinture reparut et l'on put constater ses progrès[77]. Le peintre, qui ; était resté plus longtemps que le sculpteur fidèle aux anciennes traditions, s'en est enfin affranchi. L'archaïsme est abandonné ; on laisse là aussi le conventionnel pour en venir à l'observation de la nature : Nos artistes en France, dit M. Viollet-le-Duc, en ce qui touche au dessin, à l'observation juste du geste, de la composition ; de l'expression même, s'émancipèrent avant les maîtres de l'Italie. Les peintures et les vignettes qui nous restent du treizième siècle en sont la preuve, et, cinquante ans avant Giotto, nous possédions en France des peintres qui avaient déjà fait faire à l'art ces progrès que l'on attribue à l'élève de Cimabue. De la fin du douzième au quinzième siècle, le dessin se modifie. D'abord rivé aux traditions byzantines, bientôt il rejette ces données conventionnelles d'école ; il cherche des principes dérivant d'une observation de la nature, sans toutefois abandonner le style. L'étude du geste atteint bientôt une délicatesse rare, puis vient la recherche de ce qu'on appelle l'expression. Le modelé, sans atteindre à l'effet, s'applique à marquer les plans. On reconnaît des efforts de composition remarquables dès la seconde moitié du treizième siècle. L'idée dramatique est admise, les scènes prennent parfois un mouvement d'une énergie puissante[78].

La peinture murale se trouvait dans une situation plus difficile en regard des vitraux à travers lesquels lui venait le jour. Elle accepta la lutte et la soutint par des procédés de coloration plus hardis. Il est vrai que pour maintenir l'harmonie on fut amené à tempérer l'éclat des vitraux. A partir du milieu du treizième siècle, un grand nombre sont en grisailles[79].

La peinture décorative, qui dispose de l'étendue entière de l'édifice, a bien aussi ses difficultés : bien ou mal employée, elle peut en agrandir ou en altérer les proportions. C'est une fée, dit M. Viollet-le-Duc, qui prodigue le bien ou le mal, mais qui ne demeure jamais indifférente[80]. Il serait téméraire d'affirmer qu'au moyen âge elle n'a jamais prodigué que le bien ; mais M. Viollet-le-Duc est autorisé à dire que les peintres décorateurs de cette époque ont poussé aussi loin que possible la connaissance de la valeur des tons, de leur influence, de leur harmonie[81]. Quant à la peinture extérieure, elle était appliquée même sur les façades des cathédrales : non point de haut en bas, mais dans des parties distinctes que l'artiste voulait par là mettre plus en lumière. On avait décoré ainsi même la grande façade de Notre-Dame[82]. Nous avons peine à croire que cette enluminure égalât en effet l'impression de majesté qu'elle produit aujourd'hui dans son imposante nudité.

 

VII. — Les Vitraux.

Nous avons parlé des vitraux comme d'un art connexe mais d'un art rival de la peinture. Les églises du huitième au onzième siècle. n'avaient pas de vitraux, pas même de vitres[83], et cette indigence ne prouve ni contre l'usage ancien des vitres ni contre l'emploi du verre coloré que l'on retrouve dans les mosaïques romaines et jusque dans les tombes des Gaulois. Au douzième siècle, les vitraux sont communs, et ils montrent une perfection d'où l'on peut induire que les procédés de la fabrication étaient usités depuis plus longtemps[84]. Ici, l'artiste doit savoir être ouvrier : en composant son carton, il faut qu'il songe à la mise en plomb de ses figures[85] ; et dans les vitraux qui nous restent de ce temps, on peut admirer en effet avec quelle habileté le verrier sait user de la couleur pour dissimuler le plomb, ou du plomb pour renforcer le trait du dessin. Il doit connaître (l'expérience suppléant au défaut de la théorie) quels sont les effets de la lumière traversant une surface colorée, comment les couleurs se modifient par son action, modifications fort différentes des couleurs opaques, qui arrêtent et réfléchissent les rayons lumineux ; et ces circonstances différencient profondément les procédés de composition applicables aux deux genres de peinture. Le verrier savait qu'il ne devait pas chercher dans sa peinture à présenter ses personnages sur plusieurs plans ; qu'il ne fallait point les entasser les uns sur les autres, et que le parti le meilleur pour les faire valoir était de les détacher sur le fond[86]. Quant au dessin et à la composition des sujets, on y peut signaler, au commencement du treizième siècle, une transformation analogue à celle que nous avons vue dans l'art du sculpteur et du peintre, au milieu de cette rénovation de l'architecture à laquelle les artistes sortis de la vie civile eurent une si grande part. Le geste perd son allure archaïque, dit M. Viollet-le-Duc, les vêtements sont ceux du temps et fidèlement rendus. ; l'exécution est plus libre, mais l'auteur ajoute : moins sévère, moins fine et serrée ; elle vise à l'effet[87].

Le douzième siècle, au moins dans sa dernière partie, a donc à cet égard une supériorité sur le treizième. Nous ne connaissons du douzième siècle, dit le même écrivain, que des vitraux d'une beauté incomparable, soit comme choix de verre, soit comme composition ou exécution des sujets. d'ornement, soit comme mise en plomb. On n'en peut dire autant des vitraux fabriqués pendant le treizième siècle et surtout de ceux qui appartiennent à la seconde moitié de ce siècle. Il trouve dans cette deuxième moitié du treizième siècle, une harmonie moins heureuse, une composition plus négligée, une exécution moins correcte, une mise en plomb plus grossière ; et il l'attribue volontiers à l'énorme quantité de vitraux qui étaient alors demandés à la fabrication. Mais néanmoins il en signale encore en ce temps-là d'une beauté irréprochable, car l'art n'avait pas baissé. C'est au quatorzième siècle que commence la décadence, et elle se continue jusqu'à la fin du quinzième siècle, époque où l'on voit se former une nouvelle école qui aura dans les commencements du seizième siècle son plus vif éclat[88].

Le sculpteur, le peintre et le verrier concouraient donc à compléter l'œuvre de l'architecte et à lui donner son harmonie : C'était, dit M. Viollet-le-Duc, une sorte de chœur dans lequel chacun s'évertuait, non pas à crier plus fort ou sur un autre ton que son voisin, mais à produire un ensemble harmonieux et complet[89].

Tout le reste était en parfait accord dans les saints lieux. La décoration n'était pas l'effet d'un caprice : c'était une façon de mettre plus en lumière une nécessité de construction, bien loin de la dissimuler[90] :

L'ornementation et l'iconographie de nos grandes cathédrales du Nord, dit M. Viollet-le-Duc, se soumettent aux idées d'ordre, d'harmonie universelle. Ces myriades de figures de bas-reliefs forment un cycle encyclopédique qui renferme non-seulement toute la nature créée, mais encore les passions, les vertus, les vices et l'histoire de l'humanité[91]. Et il donne pour exemple les grandes cathédrales qui offrent un ensemble de sculptures à peu près complet, Paris, Reims, Amiens, Chartres : la statuaire occupant tout l'extérieur ; à l'intérieur, la peinture et les verrières retraçant à leur tour dans le chœur les scènes de la Passion, dans la chapelle du chevet la légende de la sainte Vierge, dans les bas côtés celles des saints[92]. Le sol même avait ses figures : au centre le labyrinthe qui était, au moyen âge, à peu près l'équivalent de ce qu'est aujourd'hui le chemin de la croix, une manière de faire, sans sortir de l'église, le pèlerinage de la Terre Sainte[93]. Sur le dallage[94] les signes du zodiaque, parfois même des scènes de l'Ancien Testament, ou des représentations empruntées aux bestiaires ; autour du sanctuaire les tapisseries et les voiles, les stalles rangées des deux côtés du chœur, et les tombeaux couchés le long des murs des chapelles[95].

Pour clore cet aperçu des arts du dessin, je ne saurais mieux faire que de citer encore quelques paroles de l'auteur de qui j'en ai pris les traits principaux :

Les écoles laïques qui dès la fin du douzième siècle s'emparèrent de la culture des arts, étaient parties d'un bon principe : solidarité entre les œuvres concourant à un ensemble monumental et étude réfléchie de la nature. Si ces écoles subirent à certains moments les influences de la mode, ces écarts ne les détournaient pas de cette étude constante. C'était dans leur propre fonds qu'elles puisaient, non dans l'imitation d'arts étrangers à leur essence. Elles ne se faisaient ni grecques, ni romaines, ni byzantines, ni allemandes ; elles suivaient leur voie, elles vivaient dans leur temps et leur temps les comprenait. C'était là une force, la force qui avait soutenu l'art grec. Si prévenu que l'on soit contre la sculpture du moyen âge, on ne saurait méconnaître son originalité : cette qualité suffit pour lui donner un rang élevé dans l'histoire des arts[96].

 

VIII. — Les Arts industriels.

L'architecture et ses fidèles alliées, la sculpture et la peinture, n'avaient pu prendre un pareil développement sans entraîner dans leurs progrès les métiers qui sont les auxiliaires nécessaires de l'art de bâtir, la menuiserie, l'ébénisterie, la serrurerie.

Nous avons mentionné les autels, les stalles. Les autels commencent à sortir de la simplicité qu'ils avaient gardée jusqu'au douzième siècle. Les retables qui n'y sont pas encore à demeure, mais qu'on y place pour l'exposition des reliques, prennent une forme plus élégante[97]. Les stalles, le trône épiscopal sont sculptés dans le style des nouvelles églises. Les portes mêmes auront leurs ornements[98]. Toute nécessité, a dit M. Viollet-le-Duc, était motif de décoration. Quand on avait besoin de recourir au fer, on ne s'en cachait pas : de là ces larges pentures curieusement travaillées, qui faisaient la force et la beauté des portes ; ces ancres aux courbes variées qui reliaient les poutres aux murs dans les constructions monastiques ou civiles[99]. L'orfèvrerie n'avait pas moins à faire pour le service du culte. Saint-Éloi comptait. sous son patronage au treizième siècle des disciples plus habiles qu'il ne l'était lui-même, sans doute, et assurément que ne le pouvaient être ceux qu'il avait formés. Les habiles sculpteurs qui avaient peuplé de leurs statues les portails et les galeries des cathédrales ne dédaignaient pas de se faire orfèvres, attirés par les mesures libérales qui réglementaient cette corporation, comme par le profit qu'ils y pouvaient trouver.

A la différence de tous les autres corps de métier, celui des orfèvres était ouvert, sans redevance pécuniaire, à tous ceux qui se montraient en état de pratiquer leur art. On ne leur demandait que d'observer les us et coutumes du métier : Il est à Paris orfèvres qui veut et qui faire le set, pour (pourvu) qu'il œvre ad us et az coustumes du mestier[100]... Ces coutumes consistaient notoirement à n'employer For et l'argent qu'au meilleur titre. Plusieurs des ouvragea auxquels les orfèvres donnèrent leurs soins étaient en effet de véritables œuvres de sculpture, par exemple les tombeaux des princes, ou les châsses des saints : le tombeau de Thibaut III comte de Champagne, mort au moment où il allait prendre le commandement de la quatrième croisade : le tombeau que Louis VIII éleva à son père Philippe Auguste ; celui que la reine Blanche érigea à Louis VIII à son tour[101] ; le tombeau (c'est déjà une châsse) que Suger, dès que le chevet de l'église de son monastère eut été consacré, fit élever au fond de l'abside pour y recevoir les reliques de saint Denys et de ses compagnons ; la châsse de sainte Geneviève, achevée en 1242 par Bonnard de Paris ; la châsse de saint Marcel exécutée en 1262. Ici même l'orfèvre n'est plus seulement sculpteur, il se fait architecte. Les châsses du treizième siècle veulent aussi imiter les cathédrales. Le tombeau, comme on l'a dit, devient un sanctuaire. La châsse de saint Marcel était une église en miniature avec deux portiques, nef et bas côtés[102]. Toutefois, dès avant le treizième siècle, les châsses avaient pris aussi un autre caractère. L'artiste se proposait de faire du reliquaire comme une représentation de l'objet qu'il renfermait. La châsse de saint Louis à la Sainte-Chapelle contenant son crâne était un buste du saint roi en or repoussé[103]. L'omoplate était dans un reliquaire que tenait une statue du prince en argent doré[104].

C'est l'orfèvre qui avait à fabriquer la plupart des objets à l'usage du culte : les parements d'autel, comme la fameuse pala d'oro, commandée à Constantinople et apportée à Venise, en 976, et aujourd'hui convertie en retable[105] ; le tabernacle, ou du moins la pièce principale qui en tenait lieu : indépendamment des armoires pratiquées dans la muraille, derrière l'autel ou à côté, l'Eucharistie était conservée soit dans une petite tour que l'on apportait près de l'autel au moment de la communion des fidèles, soit dans une petite colombe ou dans une boite enveloppée d'un pavillon, l'une ou l'autre suspendue par une chaîne au-dessus de l'autel[106] ; les calices, coupes demi-circulaires, posant par une tige assez basse sur un pied de diamètre égal ; les patènes, les chalumeaux à l'aide desquels on puisa pendant longtemps le vin consacré dans le calice, les burettes, le bassin à laver du prêtre, la paix, sorte de petit tableau qui, depuis le treizième siècle, servit à recevoir le baiser de paix ; — les montrances ou ostensoirs, qui ne paraissent guère avant le quatorzième siècle ; — les croix, les crosses[107].

Tous ces objets n'étaient pas en or ou en argent. Les croix, les crosses étaient souvent en bronze[108] ; de même les vases à brûler l'encens, qui primitivement étaient des cassolettes et qui sont devenus, dès avant le treizième siècle, comme de petits monuments[109] ; les bénitiers, qui servaient à l'aspersion ; les candélabres et les lampadaires ; le lutrin, placé au milieu du chœur[110] ; les fonts baptismaux à l'entrée de l'église[111].

La substitution que l'on fit du cuivre à l'or et à l'argent n'est pas à regretter. Plus le métal a de prix, plus il peut porter malheur à l'objet fabriqué. Plusieurs siècles ne passent point sans qu'on ait à traverser des temps de misère ou de vandalisme, et il y a aussi, dans les temps ordinaires, le vandalisme de la mode qui n'est pas moins destructeur[112]. On ne veut pas perdre le prix de la matière, et l'objet qui, passant de mode, aurait fini, s'il eût été d'un métal grossier, par être laissé de côté, est refondu. même en bronze, plusieurs de ces objets tenaient de la main-d'œuvre une valeur considérable. L'art du fondeur, dès le douzième siècle, était arrivé à un haut degré de perfection. M. Viollet-le-Duc va jusqu'à dire, avec exagération, sans doute : L'habileté des fondeurs du douzième siècle surpassait tout ce qui a été fait dans l'antiquité. Le beau fragment du grand candélabre de Saint-Denys de Reims, le chandelier du Mans[113], quelques encensoirs et candélabres de cette même époque témoignent de l'adresse avec laquelle ces artistes savaient fondre à cire perdue[114] ; et l'émaillerie venait ajouter un nouveau prix à ces objets divers en or, en argent ou même en cuivre. L'émaillerie sur cuivre de Limoges avait une grande réputation dès le douzième siècle[115] Des plaques de cuivre émaillé ornaient les tombeaux de deux enfants de saint Louis[116].

L'orfèvre trouvait encore à exercer son art dans la reliure des missels et autres livres d'église. On peut citer comme un des plus beaux spécimens l'évangéliaire donné (on le peut croire) par saint Louis à la Sainte-Chapelle. La reliure en vermeil, rehaussée de pierreries, porte d'un côté une croix avec quatre figures dans les cantons de la croix : en bas, la Vierge et saint Jean ; en haut, deux anges tenant l'un le soleil, l'autre la lune ; de l'autre côté une magnifique figure en haut-relief du Christ assis, enseignant ; les draperies ont une ampleur digne de l'antiquité. C'est un des rares monuments qui, envoyés à la Monnaie, ont pu revenir à la Bibliothèque[117].

Mais l'art du sculpteur (car l'orfèvrerie ici encore s'élève à la hauteur de la sculpture) n'était pas ce qui contribuait le plus à la décoration de ces livres. Le peintre y avait une part bien plus large par les miniatures et les ornements dont il les enrichissait. La miniature, au treizième siècle, comme la peinture, se ressent de la révolution qui s'est accomplie dans l'art. Les types romains ou byzantins sont abandonnés : on sent que l'artiste s'inspire de la nature ; les formes sont encore grêles, trop allongées, mais pleines de grâce : il y a de l'expression dans les physionomies, du naturel dans les plis des vêtements. La miniature est loin d'avoir dit son dernier mot, sans doute. Il ne faut chercher dans les livres du treizième siècle ni le modelé, ni la perspective des scènes peintes à la fin du quatorzième et surtout au quinzième siècle, par exemple dans le beau manuscrit de Froissart de la Bibliothèque nationale (F. français, n° 2643). C'est, si l'on veut, moins de la peinture que du dessin enluminé. L'artiste trace ses figures, y applique.une teinte plate sur laquelle il revient ensuite pour indiquer certains détails, comme les plis des vêtements : ajoutez qu'il paraît se préoccuper peu du ton des couleurs ; les figures se détachent encore sur un fond d'or. Cependant on commence à y substituer, en partie du moins, un fond de couleur, recouvert d'un réseau quadrillé qui en adoucit les reflets ; la scène se passe le plus souvent dans un encadrement emprunté aux portiques de l'architecture ogivale, mais les ornements ont un cadre plus large : ils rayonnent sur toute la partie restée libre de la page. Aux larges feuilles arrondies on a substitué des feuilles grêles et lancéolées, et les pages sont souvent bordées d'un listel étroit en or ou en couleur terminé par des appendices anguleux d'où s'échappent des fils de couleur qui se répandent sur les marges[118].

L'évangéliaire de la Sainte-Chapelle que je citais tout à l'heure est un remarquable modèle de ce genre de décoration. La lettre initiale est employée par l'artiste à figurer le sujet de l'évangile ; et comme pour la plupart c'est un I (In illo tempore), la lettre majuscule, occupant toute la longueur de la page, peut porter plusieurs étages de scènes prises du même texte. L'évangile de Noël (In principio erat Verbum), en a huit : les six jours de la création, le repos du septième jour, et pour huitième tableau le Christ en croix (f° 11, recto). L'évangile de la Nativité représente la tige sortant de Jessé et cinq autres figures, trois Rois, la Vierge, et en cinquième lieu Jésus-Christ (f° 159, recto). Le Psautier de saint Louis[119] peut aussi nous faire apprécier l'art du miniaturiste. Le blanc des versets, notamment, est rempli par de petits linteaux d'un fond rouge ou bleu sur lequel se détachent en or de petits oiseaux de forme naturelle ou fantastique, dessinés avec une délicatesse extrême. En dépassant un peu les limites du règne de saint Louis,. on rencontre une Bible en figures de la fin du treizième ou du commencement du quatorzième siècle, portée dans le catalogue de Charles V comme ayant appartenu à la reine Jeanne d'Évreux[120]. Les scènes de l'Ancien Testament y sont superposées è celles du Nouveau qui s'y rapportent. Dans ce rapprochement des deux Testaments, imité par H. Flandrin à Saint-Germain des Prés, on trouve, parmi plusieurs images, imparfaites encore, un certain nombre de tableaux largement composés et des figures d'une grâce où l'on pressent la main de Raphaël[121].

L'art du dessin concourait encore à rehausser l'appareil du culte dans la broderie des tapisseries ou des ornements sacerdotaux. La fameuse tapisserie de Bayeux est une broderie à l'aiguille. On brodait dans les couvents, on brodait dans les châteaux ; l'inventaire du trésor du Saint-Siège sous Boniface VIII, en 1295, mentionne des broderies qui lui étaient venues en don de différents pays[122]. Au onzième siècle, Arras, Saint-Quentin, Beauvais, Troyes, Poitiers, Rennes, sont signalés pour leurs fabriques de tapis de haute lisse, c'est-à-dire dont la chaîne est placée verticalement, de haut en bas, sur le métier ; la renommée d'Arras datait du temps de l'Empire. Les tapis de laine courte, appelés sarrasinois, étaient de l'invention des Orientaux et n'avaient été introduits en France qu'à l'époque des croisades[123]. Il ne reste qu'un petit nombre d'échantillons des tissus de cette époque. Pour les ornements sacerdotaux, c'est surtout dans la statuaire qu'il en faut chercher le dessin et la forme, et dans les vitraux ou les miniatures, la couleur[124].

Les différents arts industriels qui, en concourant à l'éclat des cérémonies de l'Église, recevaient d'elle de si puissants encouragements, en trouvaient aussi, à un moindre degré peut-être, mais sur une échelle plus étendue, en satisfaisant aux besoins de la vie civile. Dans le peuple et même parmi les bourgeois aisés, on se contentait de peu, sans doute ; mais le luxe avait pénétré dans les châteaux. Le mobilier principal n'était pas très-varié : un lit isolé du reste de la salle par des courtines suspendues au plafond, des coffres ou bahuts où l'on serrait le linge et les effets précieux, et qui servaient de bancs, même quelquefois de table ; une chaire pour les seigneurs, siège élevé, placé quelquefois sous un dais (plus tard le dais fut relié à la chaire) ; des bancs à dossiers et quelques escabeaux ; le buffet, qui était mobile et autour duquel on pouvait tourner pendant le repas, le dressoir en forme d'étagère où l'on plaçait la vaisselle de prix : voilà quel était en gros l'ameublement d'un intérieur seigneurial au treizième siècle[125]. Ajoutez la crédence, petit buffet où l'on déposait les vases destinés à faire l'essai, les landiers ou chenets, les lampesiers ou porte-lampes, les coffrets où l'on serrait plus particulièrement l'or et les bijoux, de petits oratoires en forme de triptyques, et aussi des reliquaires portatifs, indispensables, par exemple, aux pèlerins qui allaient en Terre Sainte.

Les progrès accomplis dans les arts du dessin faisaient sentir leur influence dans le mobilier. Dès le milieu du douzième siècle, les lits, les siégea prenaient des formes plus élégantes ; le bois était façonné au tour. Au treizième siècle, des ornements sculptés d'un léger relief s'ajoutent au bois tourné ; certains meubles qui n'étaient pas recouverts d'étoffe, comme les pliants, étaient peints, quelquefois ornés de figures sur fond d'or. La simplicité qui régnait à la cour de saint Louis retint pendant son règne l'essor que le luxe était tout près de prendre ; mais pourtant on trouvait déjà des meubles plus curieusement travaillés ; et dans le vêtement, des fourrures, des soieries s'unissaient ou se substituaient quelquefois à la laine. L'orfèvrerie ne réservait pas pour l'Église tous les objets de sa fabrication : il y avait à l'usage de la vie privée des vases non-seulement d'or ou d'argent, mais encore d'autre matière précieuse, de cristal de roche, de sardoine, de jaspe, d'agate[126] ; c'était comme la parure des dressoirs. De plus, l'art céramique produisait, non pas encore des faïences, mais des poteries assez grossièrement décorées. Venise commençait à rapporter de l'Orient ces verres colorés dont la fabrique se multiplia en Occident dès la fin du treizième siècle[127]. Disons aussi que la miniature n'était pas uniquement occupée à orner des missels ou des évangéliaires pour l'Église, ni même des livres d'heures pour les fidèles. L'art aussi s'était fait laïque et ne distinguait plus beaucoup dans le choix des livres. On a du treizième siècle un certain nombre de manuscrits très-peu religieux où les choses sont peintes avec la même liberté qu'elles étaient dites[128]. La miniature s'applique de même à des livres de science, comme le Trésor de Brunetto Latini[129]. Une chose qui a été remarquée et dont il est facile de se convaincre, c'est qu'il y a beaucoup plus de finesse de coloris et de correction de dessin dans les manuscrits religieux que dans les autres. L'art s'était sécularisé, sans doute, mais il était né dans les couvents, il s'y maintenait toujours et il y conservait encore sa supériorité[130].

Un autre art, qui procédait non plus de la peinture, mais de la sculpture, et qui servait également aux usages civils et religieux, c'est la gravure : la gravure appliquée aux coins des monnaies : on vante justement la belle exécution des monnaies de saint Louis[131], et ce n'était pas, nous l'avons dit, leur seul mérite ; la gravure appliquée à la fabrication des sceaux[132] : on sait toute l'importance qu'on y attachait en ce temps-là ; c'était le moyen universellement usité pour donner de l'authenticité à une charte, à tel point que la rupture du sceau pouvait invalider un acte reconnu authentique, comme le prouve une anecdote racontée de saint Louis[133]. L'anecdote montre que saint Louis estimait moins le signe que le chose Signifiée, et tenait plus à la réalité qu'à la figure ; mais il fallait se défier des faussaires fort nombreux alors, et l'on devait attacher un grand prix à la perfection d'un art dont on avait la contrefaçon à redouter.

Rappelons, pour finir, un art qui ne dérivait plus des arts du dessin, mais des mathématiques : indispensable à tous, également bien accueilli aux beffrois des communes et aux clochers des églises : l'horlogerie. L'horloge à roue, dont l'invention était rapportée à Gerbert, remontait peut-être plus haut. Dans le douzième siècle, au rouage qui faisait mouvoir les aiguilles, on en ajouta un qui, par un marteau, faisait sonner l'heure[134]. On en était là au treizième siècle. On y apporta encore par la suite bien d'autres raffinements.

 

IX. — Musique[135].

Nous n'aurions point achevé cette exposition sommaire de l'état des beaux-arts, au moyen âge, ni complété ce qui regarde les églises, si nous ne parlions d'un autre art qui, au milieu de ces splendeurs de l'architecture, de la sculpture et de la peinture, donnait au culte son animation et son éclat. Je veux parler de la musique.

L'Église n'avait jamais laissé tomber l'enseignement et la pratique de la musique. Le nom de saint Grégoire le Grand est resté au chant dont il fut le restaurateur à la fin du sixième siècle. Ce fut l'Église encore qui, vers le temps où nous sommes, y fit une innovation d'où sortit la musique moderne.

Les Grecs avaient-ils connu l'harmonie ? C'est une question controversée que M. Vincent a résolue dans un sens favorable. Quoi qu'il en soit, l'harmonie, c'est-à-dire le chant par accords, était connue aux premiers siècles du christianisme, mais il faut arriver jusqu'au neuvième siècle pour en trouver une idée exacte. Hucbald, moine de Saint-Amand, est le premier qui en donne une méthode et en présente des exemples. Dès ce moment, tous les auteurs qui ont écrit sur le chant ecclésiastique s'appliquent au développement de la musique simultanée : ils l'appelaient organum ou diaphonie[136] : c'était l'harmonie de note contre note, à intervalles et à mouvements semblables et quelques fois mélangés'. Après Hucbald en France, Gui d'Arrezzo en Italie, contribua puissamment au progrès en proposant une manière plus claire de noter par la substitution des points aux lettres (onzième siècle). Bientôt se produisit une harmonie nouvelle, toute différente de la diaphonie. Elle en différait en deux points principaux : 1° tandis que la diaphonie n'était autre que la mélodie chantée par deux ou par quatre voix à des intervalles différents, la nouvelle forme d'harmonie se composait de deux chants dont l'un, sans être tout à fait indépendant, était au moins distinct de l'autre : d'où le nom de déchant (discantus, double chant) ;

2° la diaphonie, comme le plain-chant, ne connaissait pas la mesure ; le déchant, au contraire, consistant surtout dans l'emploi de deux ou plusieurs notes harmoniques contre une,. exigeait la mesure : la notation proportionnelle fut réglée par des principes d'où est né le système de la musique mesurée moderne[137].

Ce mode nouveau du chant que l'on voit poindre à la fin du onzième siècle, et qui se développa dans tout le cours du siècle suivant avec Léonin (optimus organista), Pérotin (magnus ou optimus discantator), Jérôme de Moravie et Jean Garlande, est pleinement établi et soumis à des règles, à la fin du même siècle, par Francon de Paris[138]. Il se produisait d'ailleurs sous plusieurs formes. Il y avait :

L'organum ordinaire, c'était une harmonie mesurée ayant pour base une mélodie de plain-chant, et l'organum spécial ou pur, composé d'une ou plusieurs notes de plain-chant, longues et demi-longues, qui faisaient le ténor, et d'une partie supérieure adaptée au ténor, avec emploi de longues, de brèves et de demi-brèves ;

Le motet qui, entendu, d'un morceau de musique[139], était formé de deux, trois ou quatre, mais le plus souvent de trois parties ayant habituellement pour le ténor soit un fragment de plain-chant, soit un air populaire, avec lequel devaient s'harmoniser les autres parties : composition assez étrange, dont le nom s'applique aujourd'hui à un air fait sur des paroles religieuses et destiné communément à être chanté dans une église. Mais alors on harmonisait soit des paroles latines, soit des paroles françaises, les unes et les autres sacrées ou profanes, sans trop se préoccuper de leurs rapports, au moins si l'on en juge par les échantillons qui en sont restés, comme ce motet où l'artiste associait à une phrase de plain-chant, In seculum, la vive chanson de

Robin m'aime, Robin m'a.

M. E. de Coussemaker y cherche une analogie et comme une excuse dans ces chants d'opéras-comiques et d'opéras, où le même air sert à l'expression simultanée des sentiments divers de deux ou plusieurs personnages. Ici, au moins, il y a une même situation qui donne raison de l'unité du chant, nonobstant la diversité des paroles. Mais M. de Coussemaker suppose (un peu témérairement peut-être) qu'il y avait à l'origine plus de rapports dans les parties du motet, et que la discordance des paroles dans ces singuliers morceaux d'harmonie n'est que le résultat de substitutions d'un temps postérieur[140] ;

Le rondeau, mal défini par les auteurs du temps mais pratiqué par des harmonistes dont les morceaux ont survécu. On en connaissait plusieurs d'Adam de la Halle ; on en trouve un très-grand nombre d'exemples dans le manuscrit déjà cité de Montpellier ;

Le conduit[141], qui se présente sous la forme d'un chant avec paroles, et de deux sans paroles ; ce qui a fait conjecturer à M. E. de Coussemaker que ces deux derniers devaient être écrits pour des instruments accompagnant la voix[142].

Par les exemples que nous avons donnés, on voit que le déchant, né dans l'Église, s'était aussi développé au dehors. L'Église en retenait la meilleure part. Les déchanteurs étaient tout à la fois compositeurs et exécutants : c'est parmi eux que l'on prenait les maîtres de chapelle et les organistes ; et Notre-Dame de Paris peut revendiquer les noms les plus anciens et les plus fameux, au moins dans leur temps. Léonin l'excellent organiste, Pérotin le grand[143]. Mais les trouvères et les troubadours, qui étaient en même temps poètes et musiciens, et qui, dans les premiers temps, chantaient eux-mêmes leurs compositions en s'accompagnant de la vielle, ne se contentaient pas de la simple mélodie ; ils composaient dans le genre plus compliqué qui était en honneur. Dans leurs vers, ils parlent des motets, des trebles (trios), des quadruples (quatuors) qu'ils composent ; et des morceaux qui se rattachent à des noms connus parmi les trouvères (Adam de la Halle, Gilon Ferrant, et peut-être aussi Andrieu de Douai, Gillebert de Berneville, Jacques de Cambrai, Jocelin de Bruges, Jacques de Cyzoing, Audefroi le Bastard, Jean Bodel, etc.) se retrouvent dans le manuscrit de Montpellier[144]. Les jongleurs mêmes, à qui les trouvères avaient fini par laisser le soin de chanter leurs compositions, composaient eux-mies et ne chantaient pas seulement l'œuvre d'autrui[145].

La musique moderne était donc née, on le peut dire, dans les églises précisément à l'époque où un système nouveau d'architecture venait de les transformer, où la sculpture, la peinture et les autres arts qui pouvaient servir à leur décoration atteignaient au point élevé que l'on a vu. Tout se réunissait pour jeter le plus vif éclat sur le règne de saint Louis ; et le pieux roi, juste appréciateur du beau, savait donner des encouragements à tous ces progrès. Dans les solennités religieuses qu'il aimait tant, il faisait appel à toutes les ressources nouvelles de la musique. Sa chapelle donnait en quelque sorte le ton aux autres ; et même durant la croisade, au milieu des misères de son séjour en Terre Sainte, il avait des musiciens pour rehausser le culte qu'il rendait au Seigneur. Jusque dans son pèlerinage de deux jours à Nazareth, il fit chanter la messe et solennellement glorieuses vêpres et matines à chant et à déchant, à ogre (orgue) et à trebles (le mot ici indique un instrument à corde) comme en témoignèrent ceux qui y furent, dit Guillaume de Nangis[146].

Guillaume de Chartres dit qu'il détestait les vaines chansons du siècle et les fables futiles des histrions ; qu'il se refusait la récréation des instruments de musique dont la plupart des nobles se faisaient un plaisir, et qu'il détournait ses fils et ses familiers de ces inepties ; qu'il se plaisait, au contraire, et se donnait tout entier aux louanges divines et aux cantiques, et qu'il mettait ses délices dans la douceur des voix dont l'église résonnait[147]. Que saint Louis ait préféré les chants de l'Église aux chants profanes, cela n'est pas douteux ; qu'il n'ait eu que du mépris pour les chants impudiques de certains trouvères ou pour les farces des histrions, cela n'est pas moins vraisemblable, et il parait constant (on en trouverait la trace dans les comptes), qu'il n'avait pas de ménestrels attachés à sa maison, comme il y en avait chez maint seigneur. Les six troubadours qui étaient avec le ménestrel du comte de Provence dans le cortège de Marguerite quand elle vint recevoir le sacre à Sens[148], ne demeurèrent pas à. la cour, mais ils ne s'en  retournèrent pas les mains vides. On trouve dans les dépenses de la cérémonie 112 livres 20 sols 12 deniers pour le salaire des ménestrels au couronnement, et 10 livres pour celui du comte de Provence[149]. Les ménestrels de divers seigneurs reçurent aussi, à cette occasion, des dons du roi[150] ; et l'on voit figurer, non pas seulement des chanteurs, mais de véritables jongleurs, dans les fêtes célébrées à l'occasion du mariage de son frère, le comte d'Artois, avec Mathilde, fille du duc de Brabant, fêtes où furent armés jusqu'à cent quarante nouveaux chevaliers. Albéric des Trois-Fontaines, où l'auteur de la Chronique continuée sous son nom, parle d'un ménestrel qui alla à cheval sur une corde roide, et d'autres (c'était chose plus facile) qui étaient montés sur deux bœufs revêtus d'écarlate, et sonnaient de la trompette à chaque plat porté sur la table du roi (juin 1237)[151]. Bien plus, dans les circonstances ordinaires, quand il recevait les barons à sa table, il souffrait que leurs ménestrels entrassent avec leurs vielles après le repas, et Joinville nous dit qu'il attendait pour ouïr ses grâces qu'ils eussent fini leurs chants[152]. Ces chants, on en peut être assuré, n'avaient rien que d'honnête, et dans ces conditions on voit élue le roi n'entendait les proscrire ni pour les autres ni pour lui.

Les églises et les monuments des arts au treizième siècle sont assurément ce qui nous garde l'image la plus vivante encore du siècle de saint Louis. A Notre-Dame, à la Sainte-Chapelle, on se retrouve comme à son époque. Les monuments littéraires et surtout ceux. de langue vulgaire, romans, chansons de geste et fabliaux, ne nous expriment pas seulement les idées du moyen âge dans la langue du temps, ils nous rendent cette société même, par la peinture qu'ils nous font de ses mœurs. Tout en faisant, comme il est juste, la part de l'imagination dans des œuvres de cette espèce, on y voit vivre la chevalerie telle que l'avait conçue l'esprit religieux et militaire du moyen âge, mais aussi telle que l'avait faite le plus communément la vie grossière dans laquelle cet idéal était tombé. On y voit surtout le tableau de ces passions et de ces faiblesses qui tiennent à l'humanité même, et par conséquent, sous des formes diverses, sont de tous les temps, mais qui pourtant sont plus ou moins contenues, selon que la religion a plus ou moins d'empire sur les âmes. Chose étrange ! Le siècle qui est l'apogée du moyen âge, et qui, à ce titre, pourrait passer pour le plus religieux, disputerait difficilement aux autres le prix de bonnes mœurs ; et ceux qui avaient pour mission de prêcher la société avaient eux-mêmes grand besoin d'être rappelés à la règle. Ce ne sont pas seulement les fabliaux qui relèvent les désordres du clergé, la corruption des moines, le relâchement des, couvents, — on sait trop que l'exagération est l'essence même de la satire[153] ; — ce sont les pasteurs de l'Église ; et ils le font, non-seulement dans les sermons, sorte de réquisitoire où le trait est facilement forcé, grossi, pour donner plus de relief à la nécessité de s'amender[154] ; ils le constatent dans les notes de leurs tournées pastorales. On peut le voir pour la seconde moitié du règne de saint Louis, dans le Registre des visites de l'archevêque de Rouen, Eudes Rigaut[155]. Les désordres qu'il a reconnus y sont scrupuleusement consignés, jour par jour, pour les paroisses et pour les monastères qu'il inspecte, avec les noms des coupables et même de leurs complices. Il n'y a pas une page où ne se lise quelque méfait de cette espèce, avec la pénitence infligée et les promesses d'amendement obtenues ; et l'on se demande comment le pieux archevêque se contente de ces pénitences ou de ces promesses ; comment il n'use pas plus souvent de la suspension ou de l'interdit. Mais il eût fallu laisser bien des paroisses sans pasteurs et fermer bien des couvents : Ce document où il serait si facile de trouver des chefs d'accusation contre l'Église est pourtant, en somme, un livre qui l'honore en témoignant de la vigilance et du zèle de ses prélats. Il justifie, en même temps, le besoin de réformation qui était si vivement senti dans la vie religieuse, et qui produisit les deux grands ordres de Saint-François et de Saint-Dominique. Il explique les préférences de saint Louis pour quelques maisons où régnait la ferveur qui lui était chère, et, en général, pour les couvents des cordeliers et des frères prêcheurs.

Mais ce qui surtout ressort de cette lecture par le contraste, c'est l'image de la sainteté qu'on retrouve dans la personne du pieux roi. Nous l'avons dépeint dans la première partie de sa carrière. Nous verrons, quand nous aurons achevé de retracer le cours des événements de son règne, à quel degré de consommation depuis son retour de la croisade en étaient arrivées ses vertus.

 

 

 



[1] J'ai pris pour principal guide dans toute cette partie le savant et bel ouvrage de M. Viollet-le-Duc : Dictionnaire raisonné de l'Architecture française du XIe au XVIe siècle et son Dictionnaire raisonné du Mobilier français qui le complète. Je renvoie aussi au Discours sur l'état des beaux-arts en France au XIVe siècle, par M. Renan, dans le tome XXIV de l'Histoire littéraire de la France. Bien que consacré au quatorzième siècle, il est plus précis et plus instructif dans ses traits généraux sur le treizième que le discours d'Amaury Duval dont ce siècle, au tome XVI, est particulièrement le sujet. — L'Histoire de l'art par les monuments depuis sa décadence jusqu'à son renouvellement au XVIe siècle, par Seroux d'Agincourt (6 vol. in-folio, texte et planches), peut être considérée aujourd'hui comme ayant vieilli.

[2] Un des maîtres dans la science de l'architecture au moyen âge J. B. Lassus, dans une étude, publiée après sa mort, sur l'Album d'un architecte cambrésien du treizième siècle, Villard de Honnecourt, a signalé la double origine des deux formes d'églises romanes, à voûte en berceau ou à coupole, et montré comment l'église gothique est sortie de la première :

Les premières églises, dit-il, ne furent que des basiliques antiques ou les grandes salles qui dans les thermes étaient terminées par une abside. D'un côté, les chrétiens, dans ces basiliques, substituèrent à la plate-bande l'arc reposant directement sur les colonnes ; puis la voûte à la toiture apparente qui couvrait la nef et les bas côtés : de telle sorte qu'on arrive graduellement de la basilique à un seul étage, où les Romains rendaient la justice, à l'église romane, que de nombreux étages annoncent au loin, où le culte peut déployer toutes ses pompes, en même temps qu'il y trouve la satisfaction de tous ses besoins. D'un autre côté, les grandes salles voûtées des thermes, avec leurs points d'appui colossaux, donnèrent naissance, au sixième siècle, à Sainte-Sophie de Constantinople, d'où sont dérivées toutes les églises à coupoles, dites églises byzantines. L'art romain s'est donc bifurqué et a donné naissance à un double courant : le courant roman et le courant byzantin... L'examen des premières églises gothiques montre qu'elles sont issues des églises romanes. C'est la construction des voûtes qui, après avoir nécessité de nombreux et infructueux essais, a conduit à les établir sur quatre nervures saillantes reportant leurs poussées sur quatre points d'appui, maintenus par des arcs-boutants. De là dérive toute l'économie de l'architecture gothique et non de la forme de l'arc aigu qui n'est pour ainsi dire qu'un accident de construction. L'unique emploi de cet arc est de diminuer la poussée horizontale des voûtes et de donner plus de force aux points d'appui. Un monument gothique pourrait donc être en plein cintre. C'est à cause de ce rôle secondaire de l'ogive que nous n'appelons point ogivale l'architecture qui a régné depuis la fin du douzième siècle jusqu'au commencement du seizième, et que nous conservons l'expression d'architecture gothique, dent le principal mérite est de n'avoir aucun sens, tout en servant pour tous à désigner l'architecture qui a régné pendant une certaine période du moyen âge. (p. 1-2). Voy. aussi sur l'architecture romane les savants articles d'un maitre en archéologie du moyen âge, M. Jules Quicherat, dans la Revue archéologique, t. VIII, p. 145 ; IX, p. 525 ; X, p. 65 et XI, p.668.

[3] Viollet-le-Duc, Dict. d'architect., art. Construction, t. IV, p. 13.

[4] Viollet-le-Duc, Dict. d'architect., art. Construction, t. IV, p. 21, 22.

[5] Viollet-le-Duc, Dict. d'architect., art. Construction, t. IV, p. 13, 14, 65.

[6] L'arc brisé, l'arc en tiers-point, puisque c'est là son vrai nom, employé comme moyen de construction, nécessité par la structure générale des grands vaisseaux voûtés, obtenu par l'observation des effets résultant de la poussée des arcs plein cintre, est une. véritable révolution clins l'histoire de l'art de bâtir. (Ibid., p. 29.) — Les constructeurs gothiques n'avaient pas trouvé l'arc brisé ; il existait dans des constructions dont le système était franchement roman. Mais ces architectes gothiques appliquèrent l'arc brisé à un système de construction dont ils sont bien les seuls et véritables inventeurs. Il y a des arcs brisés au douzième siècle dans toute l'Europe occidentale. Il n'y a de constructions gothiques à cette époque qu'en France, et sur une petite partie de son territoire actuel. (Ibid., p. 35.) Voyez aussi M. J. Quicherat, de l'ogive et de l'architecture dite ogivale (Revue archéol., t. VII, p. 65). — Ne perdons point de vue d'ailleurs que l'arc brisé ou en tiers-point auquel est appliqué spécialement le nom d'arc-ogive, n'est point le caractère principal de l'architecture gothique. Il se trouve, comme le dit M. Viollet-le-Duc, dans des constructions franchement romanes ; et Lassus nous montrait tout à l'heure qu'on pourrait faire à la rigueur un monument gothique avec des arcs plein cintre.

[7] Avant le douzième siècle, les contreforts étaient simples comme les édifices eux-mêmes ; c'était une chaîne de pierre saillante, renforçant les points d'appui principaux... Mais lorsqu'au douzième siècle le système de construction fut modifié par l'école laïque, que cette école, laissant de côté les traditions romaines, put appliquer avec méthode les principes de la construction gothique, le contrefort devint le membre principal de tout édifice voûté. Les murs ne furent plus que des remplissages destinés à clore les vaisseaux, des sortes d'écran n'ajoutant rien ou peu de chose à leur stabilité à l'extérieur ; alors les contreforts constituant à eux seuls les édifices couverts par des voûtes en maçonnerie, il fallut faire apparaître franchement leur fonction et les décorer... mais conserver encore l'apparence de la force. (Ibid., art. Contrefort, t. IV, p. 228). — Demander une église gothique sans arc-boutant, dit-il ailleurs, c'est demander un navire sans quille. (Ibid., art. Arc-boutant, t. I, p. 60.) — Voyez encore ce qu'il dit (Ibid., p. 149) de l'organisme de l'édifice gothique : On ne peut retrancher un de ses organes sous peine de le voir périr, car il n'acquiert de stabilité que par les lois de l'équilibre.

[8] Le formeret est l'arc qui reçoit la voûte d'arête le long d'un mur. Il est engagé dans les parements du mur et se profile comme une moitié d'arc-ogive ou d'arc-doubleau. (Viollet-le-Duc, t. I, p. 56.)

[9] Galerie contournant intérieurement les églises au-dessus des archivoltes des collatéraux. Le triforium occupe toute la largeur du collatéral, ou n'est qu'une étroite galerie de service, adossée aux combles des bas côtés. (Ibid., t. IX, p. 272.)

[10] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Arc-boutant, t. I, p. 60, 61. Vers la fin de cet important ouvrage, au mot Volte, l'auteur résume toutes ses idées sur les origines et les principes de l'architecture gothique en un passage qui achèvera d'en faire comprendre tout le système, et dont, à ce titre, il me parait utile de citer encore textuellement les parties principales :

Adopter la voûte romaine, mais raisonner ainsi que l'ont fait les artistes occidentaux du douzième siècle, est à nos yeux une des révolutions les plus complètes, les mieux justifiées qui aient jamais été faites dans le domaine de l'architecture.

Que se sont-ils dit ?

En construisant les voûtes, les Romains ont considéré deux objets : une ossature et un remplissage neutre ; mais de ces deux objets ils n'ont tiré qu'une forme apparente, une concrétion, confondant ainsi la chose qui soutient, la chose essentielle, et la chose soutenue, inerte ; — intention excellente, résultat, comme art, vicieux ; — car, dans l'art de l'architecture, qui est une sorte de création, la fonction réelle de chaque membre doit être accusée par une forme en rapport avec cette fonction. Si une voûte ne peut se soutenir que par un réseau de nerfs, ce réseau n'est pas destiné par l'art à être caché ; il doit être apparent, d'autant plus apparent qu'il est plus utile.

Les architectes romans avaient adopté tout d'abord la voûte en berceau, comme étant la plus simple et la plus facile à construire. Déjà, vers la fin du onzième siècle, ils avaient nervé ces berceaux, non plus par des arcs plus résistants comme nature de matériaux, noyés dans l'épaisseur même de la voûte (ainsi que le faisaient les Romains) ; mais par des arcs-doubleaux saillants donnant une plus grande résistance aux berceaux au droit des points d'appui. La poussée continue de ce genre de voûte le fit bientôt abandonner. Restaient donc pour voûter de grands espaces, des salles, des nefs, la voûte d'arête et la coupole sur pendentifs, parfaitement connue alors en Occident. La voûte d'arête romaine, formée par la pénétration de deux cylindres, donnait, comme courbe de pénétration, une courbe plate qui inquiétait avec raison des constructeurs ne possédant pas les excellents mortiers des Romains. La coupole sur pendentifs demandait beaucoup de hauteur et exigeait un cintrage de charpentes compliqué et très-dispendieux. Ces maîtres du douzième siècle cherchèrent donc un moyen terme entre ces deux structures. Ils rehaussèrent les voûtes d'arête à la clef, ainsi du reste que l'avaient fait les Byzantins. Mais, — et c'est alors qu'apparaît la véritable innovation dans l'art du constructeur, — ils firent sortir de la voûte d'arête romaine ou byzantine le nerf noyé dans son épaisseur, le construisirent en matériaux appareillés, résistants, et le posèrent sur un cintre de charpente ; puis, au lieu de maçonner la voûte autour, ils la maçonnèrent par-dessus, considérant alors cet arc, laissé saillant en sous-œuvre, comme un cintre permanent. Dans le porche de l'église abbatiale de Vézelay on voit déjà deux voûtes ainsi construites (1130 environ) ; mais c'est dans l'église, abbatiale de Saint-Denis (1140) que ce système est complètement développé. Là, les voûtes sont plutôt des coupoles que des voûtes d'arête, mais elles sont toutes, sans exception, nervées parallèlement et diagonalement par des arcs de pierre saillants, et ces arcs sont tous en tiers-point, c'est-à-dire formés d'arcs de cercle brisés à la clef. Les déductions de ce système ne se font pas attendre. Dans la voûte romaine, formée de cellules, le remplissage de ces cellules est maintenu, mais inerte, n'affecte aucune courbure qui puisse en reporter le poids sur les parois de ces cellules. Puisque les constructeurs du treizième siècle détachaient les nerfs de la voûte, qu'ils en faisaient comme un cintrage permanent, il était naturel de voûter les remplissages de ces nerfs, c'est-à-dire de leur donner en tout sens une courbure qui reportât réellement leur pesanteur sur ces arcs. Ainsi la voûte était un composé de plusieurs voûtes, d'autant de voûtains qu'il y avait d'espaces laissés vides entre les arcs. Du système concret romainmalgré les différents membres qui constituaient la voûte romaineles maîtres du douzième siècle, en séparant ces membres, en leur donnant à chacun une fonction réelle, arrivaient au système élastique. Bien mieux, ils inauguraient un mode de structure par lequel on évitait toutes les difficultés, dont nous avons indiqué plus haut quelques-unes, et qui leur donnait la liberté de voûter sans embarras, sans dépenses extraordinaires, tous ces espaces, si irréguliers qu'ils fussent, en prenant les hauteurs qui leur convenaient, soit pour les naissances des arcs, soit pour les niveaux des clefs.

Il revient sur l'exemple de Vézelay, où il montre que l'application de l'ogive n'était encore qu'un expédient :

Remplacer des cintres provisoires de bois par des cintres permanents en pierre, était une idée ingénieuse, déduite de la théorie romaine sur la solidité des voûtes ; ce n'était pas un nouveau principe : ce n'est pas un principe nouveau de faire saillir sous la voûte le nerf noyé dans la voûte ; c'est une simple déduction logique. Mais considérer ces nerfs ressortis de la voûte comme une, membrure indépendante, et combiner sur cette membrure des successions de voûte qui ne peuvent se soutenir que parce qu'elles portent sur cette membrure, c'est alors un nouveau principe qui s'établit et qui n'a plus de rapport avec le principe de la structure romaine ; c'est une découverte, et une découverte si importante dans l'art de la construction, que nous n'en connaissons pas qui puisse lui être comparée.

(T. IX, p. 500, 502. Cf. au mot Travée, t. IX, p. 248.) — Émeric David avait déjà, en 1838, porté ce jugement sur l'architecture gothique dans sa notice sur Pierre de Montereau : Nous dirons donc seulement ce que nous croyons pouvoir hardiment avancer : que l'architecture des églises françaises des treizième, quatorzième et quinzième siècles fut une véritable création, grande, audacieuse, profondément calculée, et dont aucun peuple, aucun temps n'avait offert d'exemple. (Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 71.)

[11] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 503.

[12] Viollet-le-Duc, t. I, p. 140.

[13] Lassus, Album de Villard de Honnecourt, p. 18. Villard de Honnecourt la porta jusqu'au fond de la Hongrie. (Ibid.)

[14] Cf. Renan, Histoire littéraire, t. XXIV, p. 694.

[15] Voy. sur la cathédrale de Noyon la belle monographie de M. Vitet qui, à ce propos, touche à tous les points importants de l'architecture gothique aux douzième et treizième siècles (Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1844 et 1er janvier 1845).

[16] Viollet-le-Duc, au mot Cathédrale et J. Quicherat dans la Revue Archéol., t. X, p. 72, note.

[17] Le gothique rayonnant, ainsi appelé parce que les ornements des fenêtres peuvent être compris dans un rayon du compas.

[18] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 256.

[19] La cathédrale d'Autun, bâtie dans la ire moitié du douzième siècle, rappelle les constructions religieuses de Cluny ; celle de Langres procède d'Autun : le chœur est de la deuxième moitié du douzième siècle, la nef de la fin du douzième et du commencement du treizième. La cathédrale de Sens était terminée à la fin du douzième siècle. L'architecte de cette cathédrale, Guillaume de Sens, est probablement celui qui rebâtit le chœur de l'église de Canterbury. La cathédrale d'Auxerre fut refaite en partie en 1215 et le chœur achevé en 1234 ; les transepts et la nef ne furent commencés que vers la fin du treizième siècle et achevés pendant le quatorzième et le quinzième. La cathédrale de Troyes, celle de Châlons-sur-Marne, sont du commencement du treizième siècle. Le chœur et le transept de la cathédrale de Toul sont du treizième siècle ; la façade du quinzième siècle. La nef de la cathédrale de Metz est du treizième siècle et le chœur du quinzième. Le chœur et le transept de la cathédrale de Strasbourg sont du douzième siècle, la nef du treizième, la façade des quatorzième et quinzième siècles ; la flèche fut achevée au 'milieu du quinzième. Au Mans, la nef romane fut remaniée pendant le douzième siècle ; le chœur est analogue à celui de Bourges, avec des détails d'architecture que M. Viollet-le-Duc juge supérieurs. Il signale notamment la belle sacristie du treizième siècle, bâtie au sud de l'église. La cathédrale de Séez est des premières années du treizième siècle. La nef, construite alors, dut être remaniée cinquante ou soixante ans plus tard. Le chœur, élevé vers 1230 et détruit par un incendie, fut repris de fond en comble vers 1260. L'insuffisance des fondations avait contraint l'architecte à donner à sa construction une extrême légèreté ; les grandes voûtes du sanctuaire se sont écroulées au commencement de ce siècle et ont été remplacées par une voûte de bois. La cathédrale de Bayeux est un édifice du treizième siècle enté sur une église du douzième. Celle de Coutances fut entièrement réédifiée au treizième siècle (Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'Architecture, au mot Cathédrales, t. II, p. 341 et suiv.) Voy. ce que dit le même auteur du caractère particulier des églises d'Angers, d'Angoulême, et en général des églises du Poitou et du centre de la France (ibid., p. 365 et suiv.) ; leurs voûtes tiennent de la coupole et de la voûte en arc d'ogive. Il y a, dit-il, dans cette composition une ampleur, une raison et une sobriété qui sont la vraie marque de la puissance chez l'artiste. Ce mélange de qualités supérieures, trop rare aujourd'hui, se retrouve dans la composition des travées de vaisseaux voûtés de 1150 à 1250, que ces vaisseaux soient destinés à un service religieux ou civil. (Ibid., art. Travées, t. IX, p. 253.) M. Viollet-le-Duc signale trois villes importantes du Midi qui, de 1260 à 1275, jettent bas leurs cathédrales romanes pour élever à la place des édifices où l'on reconnaît la main d'un même architecte du Nord : Clermont, Limoges et Narbonne (ibid., t. II, p. 372-374). Si l'on veut connaître les églises bâties au treizième siècle, on peut consulter la liste générale des églises du moyen âge distribuées par département, dans le même ouvrage, au mot Église, t. V, p. 168 et suiv. A l'étranger, parmi les principales églises du treizième siècle, il faut citer encore la cathédrale d'Anvers et l'église Sainte-Gudule, à Bruxelles ; les églises de Salisbury, d'York et de Westminster. Nous avons eu l'occasion de mentionner plus haut la cathédrale de Canterbury, dont le chœur fut rebâti par Guillaume de Sens, et la cathédrale de Cologne, commencée sous l'inspiration des cathédrales de Beauvais et d'Amiens.

[20] Viollet-le-Duc, ibid., t. VI, p. 108 et suiv.

[21] Tous les monuments clunisiens bâtis en Palestine avant le treizième siècle, dit M. Viollet-le-Duc, en adoptant l'ogive pour les arcs, conservent cependant le système de la structure romane, et dans aucun de ces édifices l'ovige n'intervient pour modifier la voûte d'arête romane en berceau ou la coupole. Mais sitôt introduite dans les provinces françaises au nord de la Loire, l'ogive se mêle à la voûte et la modifie. (ibid., au mot Arc, t. VI, p. 425.) — Voy. sur les églises de Palestine le beau livre de M. le comte Melchior de Vogué, les Églises de la Terre Sainte, et notamment sur le système de leur construction, la fin du ch. III, p. 223-225 et la conclusion p. 390 et suiv., où il réfute les opinions de M. Wighley (Archeolog. studies in Jerusalem, Londres, 1856), d'après lequel tous les peuples de l'Occident auraient pris à Jérusalem l'idée de l'architecture gothique.

[22] Viollet-le-Duc, t. I, p. 220.

[23] Viollet-le-Duc, t. II, p. 365 et suiv. Voy. les belles études publiées par M. H. Revoil sur l'Architecture romane du midi de la France, 3 vol. in-folio, 1874.

[24] Viollet-le-Duc, t. VI, p. 109. Renan, Discours sur l'état des beaux-arts, dans le t. XXIV de l'Histoire littéraire de la France, p. 697 et suiv. Cf. sur les architectes, Lance, Dictionnaire des architectes français.

[25] Pour les principaux détails de la construction des églises, notamment le transept qui donne à l'édifice chrétien son caractère religieux, le clocher signe visible de la grandeur de la cité, de sa richesse,... expression la plus sensible de la civilisation à la fois religieuse et civile ; les tours, le portail, les roses, les travées, etc., voy. Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, à ces mots.

[26] Les clunistes avaient formé une école d'artistes et d'artisans très-avancée dans l'étude de la construction et des combinaisons architectoniques, des sculpteurs habiles, dont les œuvres sont empreintes d'un style remarquable : c'est quelque chose de grand, d'élevé, de vrai, qui frappe vivement l'imagination et se grave dans le souvenir. (Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. I, p. 279.) Ils avaient aussi formé des corporations d'ouvriers : charpentiers, maçons, menuisiers, serruriers, etc., qui servirent de modèle, et préparèrent la voie aux corporations laïques des douzième et treizième siècles (ibid., p. 281).

[27] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. I, p. 283. Émeric David (Histoire littéraire, t. XIX, p. 74) dit à tort que cette chapelle de la Vierge fut construite après la Sainte-Chapelle. Elle fut commencée en 1245 par l'abbé Hugues d'Issy qui mourut en 1248 (Gallia Christiana, t. VII, col. 451).

[28] Chron. de Saint-Denys, dans les Historiens de France, t. XXI, p. 111, et Guillaume de Nangis, t. XX, p. 321.

[29] Viollet-le-Duc, t. I, p. 285. Les rois se réservaient des logements dans les monastères. Ils y tenaient des réunions où l'on traitait des affaires publiques, ibid., p. 305.

[30] Tillemont, t. I, p. 489, 492.

[31] Viollet-le-Duc, t. IV, p. 467, t. V, p. 96.

[32] Viollet-le-Duc, t. I, p. 277. Cf. Renan dans l'Histoire littéraire, t. XXIV, p. 631. Les bénédictins, dit encore M. Viollet-le-Duc, ne traitaient pas les questions d'utilité avec le pédantisme moderne ; mais en fertilisant le sol, en établissant des usines, en desséchant des marais, en appelant les populations des campagnes au travail, en instruisant la jeunesse, ils habituaient les yeux aux belles et bonnes choses. Leurs constructions étaient durables et bien appropriées aux besoins, et gracieuses cependant, et loin de leur donner un aspect repoussant ou de les surcharger d'ornements faux, de décorations menteuses, ils faisaient en sorte que leurs écoles, leurs couvents, leurs églises, laissassent des souvenirs d'art qui devaient fructifier dans l'esprit des populations. Ils enseignaient la patience et la résignation aux pauvres, mais ils connaissaient les hommes, sentaient que, en donnant aux classes ignorantes et déshéritées la distraction des yeux à défaut d'autres, il faut se garder du faux luxe et que l'enseignement purement moral ne peut convenir qu'a des esprits d'élite. Cluny avait bien compris cette mission et était entrée dans cette voie hardiment; ses monuments, ses églises étaient un livre ouvert pour la foule. Les sculptures et les peintures dont elle ornait ses portes, ses frises, ses chapiteaux, et qui retraçaient les histoires sacrées, les légendes populaires, la punition des méchants et la récompense des bons, attiraient certainement plus l'attention du vulgaire que les éloquentes prédications de saint Bernard. (Ibid., p. 277-278). — On peut admettre cette heureuse influence sans reléguer au second plan les effets si bien établis de la prédication de saint Bernard.

[33] Viollet-le-Duc, t. I, p. 302.

[34] Viollet-le-Duc, t. I, p. 288.

[35] Parmi les Hôtels-Dieu encore existants, antérieurs à saint Louis, on cite ceux de Chartres et d'Angers, qui sont du douzième siècle. Celui de Tonnerre, qui remontait au onzième siècle, fut rebâti avec un grande magnificence en 1293, par Marguerite de Bourgogne : Dans le peu d'hôpitaux du moyen âge qui sont restés, dit M. Viollet-le-Duc, nous trouvons un esprit de charité bien entendu et délicat. Ces bâtiments sont d'un aspect monumental sans être riches ; les malades ont de l'espace, de l'air et de la lumière ; ils sont souvent séparés les uns des autres ; leur individualité est respectée.... (Ibid., t. VI, p. 119, au mot Hôtel-Dieu.)

[36] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Architecture, t. I, p. 281.

[37] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. VI, p. 221-222.

[38] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Architecture, t. I, p. 319.

[39] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. I, p. 321-322.

[40] Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Palais, t. VII, p. 1 et suiv.

[41] F. de Lasteyrie, Histoire de la peinture sur verre, t. I, p. 160. Il décrit ces vitraux dans les pages suivantes et en donne quelques représentations d'ensemble ou de détail au tome II, pl. XXVII, XXIX et XXXII. Nous avons dit dans le cours du récit que la Sainte-Chapelle fut commencée de 1242 à 1245 et achevée en 1247 par Pierre de Montereau. Sur la Sainte-Chapelle, voy. encore Gailhabaud, l'Architecture du Ve au XVIIe siècle, t. I, et Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. II, p. 325. M. Viollet-le-Duc signale un art plus pur encore dans la chapelle de Saint-Germain. que l'oh restaure aujourd'hui (ibid., p. 430). — Les salles basses, dites cuisines de saint Louis, au Palais de Justice, sont un peu postérieures au règne de ce prince (ibid., t. IV,. p. 467).

[42] A Reims, à Auxerre, à Rouen, ibid., t. VII, p. 18.

[43] Viollet-le-Duc, t. I, p. 322. Les maisons des riches, dit encore M. Viollet-le-Duc, avaient acquis, même pendant la période romaine, une grande importance soit comme étendue, soit comme décoration, et elles suivaient le mouvement imprimé par l'architecture bénédictine... Mais à la fin du douzième siècle, lorsque l'architecture est pratiquée par les laïques, les habitations particulières se débarrassent de leurs langes monastiques et prennent une physionomie qui leur est propre. — Il rappelle le principe de l'architecture au moyen âge : rendre tout besoin et tout moyen de construction apparents. L'habitation, ajoute-t-il, est-elle de briques, de bois ou de pierre ; sa forme, son aspect, sont le résultat de l'emploi de ces divers matériaux. (Ibid., t. I, p. 319. — Voy. encore l'art. Maison, t. VI, p. 229.)

[44] Viollet-le-Duc, t. VI, p. 95.

[45] Viollet-le-Duc, t. II, p. 315.

[46] Nous renvoyons pour la description détaillée de ces parties de fortifications et pour l'appréciation de l'art qui les reliait dans le système de la défense, au Dictionnaire de M. Viollet-le-Duc : à l'art. de l'Architecture militaire, t. I, p. 327 et suiv. ; à l'art. Engins, t. V, p. 324, et aux différents mots relatifs à la défense ou à l'attaque des places.

[47] Voy. les nombreuses et belles planches représentant, avec restauration, les défenses de la Cité de Carcassonne dans les Archives de la Commission des monuments historiques.

[48] Viollet-le-Duc, Dict. d'archit., au mot Donjon, t. V, p. 34-74.

[49] Viollet-le-Duc, art. Sculpture, t. VIII, p. 103 et suiv.

[50] M. Viollet-le-Duc admire la finesse avec laquelle les écoles du douzième siècle reproduisaient le caractère des types humains (ibid., p. 120). M. Amaury Duval, moins admirateur, se réduit à prendre la cause non des images, mais des personnes. Il prévient le lecteur qu'on ne doit pas juger les hommes de ce temps-là sur leur représentation, et il demande qu'on ne leur suppose pas la gravité niaise et l'air de gaucherie, qui sont tout ce qu'il accorde à leurs ligures. (Histoire littéraire, t. XVI, p. 315.)

[51] Viollet-le-Duc, ibid., t. VIII, p. 107 et suiv.

[52] Les bas-reliefs du tympan et une partie des voussures de la porte Sainte-Aime proviennent des travaux exécutés vers 1140 par Étienne Garlande, archidiacre, à l'église de la Vierge, que remplaça la cathédrale commencée par l'évêque Maurice de Sully vers 1160 (ibid., t. II, p. 285).

[53] Viollet-le-Duc, ibid., t. VIII, p. 126. Cf. Labarte, Histoire des arts industriels, t. I, p. 95.

[54] Viollet-le-Duc, ibid., t. V, p. 355.

[55] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 139.

[56] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 267.

[57] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 156.

[58] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 163. Cf. Labarte, Histoire des arts industriels, t. I, p. 95. Ce portail, on l'a vu, fut élevé sous la direction de Jean de Chelles, à qui l'on doit rapporter la belle rose que l'on y admire. Willemin l'a reproduite (Monuments français pour servir à l'histoire des arts et costumes civils et militaires, etc., 2 vol. in-folio, Paris, 1825, pl. LXXXIV). Il a donné aussi le grand portail de la cathédrale de Chartres (t. I, pl. LIV), et, en particulier, le portique septentrional (t. I, pl. LXXXI) et le portique correspondant (pl. LXXXII). Il fait ressortir le caractère grandiose et sévère du premier.

[59] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 182.

[60] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 232.

[61] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 210.

[62] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 241.

[63] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 228.

[64] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 239.

[65] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 244.

[66] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 246, 248.

[67] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 250.

[68] Ce ne fut que vers le milieu du treizième siècle, dit M. Viollet-le-Duc, que les évêques ou les chapitres firent élever des jubés devant le chœur des cathédrales. (Dictionnaire d'architecture, t. VI, p. 148.)

[69] C'est aussi au treizième siècle, sous l'influence de la prédication plus active des dominicains et des franciscains, que les chaires devinrent fixes et commencèrent à entrer dans la construction des églises. Jusque-là, on s'était généralement contenté des deux ambons élevés à l'entrée du chœur, où on lisait l'épître ; quelquefois on recourait à un pupitre ou estrade mobile. On vit depuis les chaires placées en encorbellement contre les murailles, avec escalier pratiqué dans l'épaisseur du mur. Voy. Viollet-le-Duc, t. II, p. 406-410, au mot Chaire.

[70] Le tombeau de Dagobert, à Saint-Denis, refait par saint Louis, est regardé comme un des monuments les plus curieux de cette époque. Transporté après la Révolution au musée des Monuments français, il a été rendu à l'église et se voit aujourd'hui à l'entrée du sanctuaire, côté de l'Épître, place qu'il occupait primitivement. Voyez-en la description et la figure dans M. Viollet-le-Duc, l. l., t. IX, p. 32-35.— Entre 1230 et 1240, saint Louis fit refaire toutes les images des rois, ses prédécesseurs, ensevelis à Saint-Denis. Les statues sont d'un beau travail ; elles ont, comme on le pense bien, le costume du temps où on les a refaites. (Viollet-le-Duc, l. l., t. III, p. 51.) — Richer, religieux bénédictin, a décrit plusieurs sarcophages dans sa Chronique, où l'on trouve des détails précieux sur l'art français au treizième siècle. (Voy : Histoire littéraire, t. XIX, p. 80.)

[71] Cf. Amaury Duval, Histoire littéraire, t. XVI, p. 316. Sur la sculpture en bois au treizième siècle, voy. Labarte, Histoire des arts industriels, t. I, p. 156. Pour la sculpture en ivoire, il cite le groupe du Couronnement de la Vierge (conservé au Louvre), qui est de l'époque de saint Louis : Simplicité de la composition, recherche de la vérité des formes, justesse dans les inflexions du corps, imitation de la vie, expression juste des traits du visage, naturel dans le développement des draperies, telles sont les qualités qu'on se plan à reconnaître dans cette œuvre remarquable. (Ibid., t. I, p. 123.) On peut citer également une belle statuette de la Vierge assise avec l'Enfant Jésus, de la Collection Basilewski (hauteur 0,225). Catalogue raisonné, pl. XV.

[72] M. Viollet-le-Duc signale les deux tombes de la cathédrale d'Amiens comme des chefs-d'œuvre de fonte (l. l., t. VIII, p. 252). Cf. Willemin, l. l., t. I, p. 90.

[73] Viollet-le-Duc, ibid., t. VII, p. 62.

[74] Viollet-le-Duc, ibid., t. VII, p. 64.

[75] La coloration subit des transformations moins rapides : l'harmonie de la peinture monumentale, est toujours soumise à un principe essentiellement décoratif... Au douzième siècle, cette harmonie est absolument celle des peintures grecques, toutes claires pour les fonds... Aspect général doux, sans heurt, clair, avec des fermetés très-vives obtenues par le trait brun et le rehaut blanc. Vers le milieu du treizième siècle, cette tonalité change. Les couleurs franches dominent, particulièrement le bleu et le rouge. Le vert ne sert plus que de moyen de transition ; les fonds deviennent sombres, brun rouge, bleu intense, noirs, même quelquefois or, mais dans ce cas toujours gaufrés. Le blanc n'apparaît plus guère que comme filets, rehauts délicats ; l'ocre jaune n'est employée que pour des accessoires ; le modelé se fond et participe de la couleur locale. Les tons sont toujours séparés par un trait brun très-foncé et même noir. L'or apparaît déjà en masse sur les vêtements, mais il est ou gaufré ou accompagné de rehauts bruns. Les chairs sont claires. Aspect général chaud, brillant, également soutenu, sombre même, s'il n'était réveillé par l'or (t. VII, p. 68). — Les peuples artistes, dit encore M. Viollet-le-Duc, n'ont vu dans la peinture monumentale qu'un dessin enluminé et très-légèrement modelé. Que le dessin soit beau, l'enluminure harmonieuse, la peinture monumentale dit tout ce qu'elle peut dire (t. VII, p. 65).

[76] La statuaire et l'ornementation des portails de Notre-Dame de Paris, des cathédrales de Senlis, d'Amiens, de Reims, des porches latéraux de Notre-Dame de Chartres, étaient peintes et dorées (ibid., t. VIII, p. 273). — Des artistes, dit encore M. Viollet-le-Duc, qui ont fait les admirables vitraux des douzième et treizième siècles, avaient une connaissance trop parfaite de l'harmonie des couleurs pour ne pas appliquer cette connaissance à la coloration de la sculpture. L'harmonie des tons entre pour beaucoup dans cette peinture des objets en relief, et cette harmonie n'est pas la même que celle adoptée pour les peintures à plat... Mais, ajoute l'auteur, vers la tin du treizième siècle, les peintres de la sculpture cherchent les oppositions. Ils poseront sur une même statue un ton rose et un ton bleu foncé, vert blanchâtre et pourpre sombre. Aussi la sculpture peinte, à dater de cette époque, perd-elle la gravité monumentale qu'elle avait conservée pendant la première moitié du treizième siècle. (Ibid., p. 274.) — Les peintures les plus anciennes que nous possédions en France, présentant un ensemble passablement complet, sont celles de l'église de Saint-Savin, près de Poitiers (ibid., t. VII, p. 69, art. Peinture).

[77] Viollet-le-Duc, t. VII, p. 60.

[78] Viollet-le-Duc, t. VII, p. 67.

[79] Viollet-le-Duc, t. VII, p. 77. Les peintres du douzième siècle. employaient plusieurs sortes de peintures. La peinture à fresque, la peintures la colle, à l'œuf, et la peinture à l'huile. Cette dernière, faute d'un siccatif, n'était toutefois employée que pour de petits ouvrages... Au treizième siècle, on dut renoncer à la peinture à fresque. Divers procédés furent employés. Les plus communs sont la peinture à l'œuf, sorte de détrempe légère et solide ; la peinture à la colle de peau ou à la colle d'os, également très-durable lorsqu'elle n'est pas soumise à l'humidité. La plus solide est la peinture à la résine dissoute dans un alcool ; mais ce procédé assez dispendieux n'était employé que pour des travaux délicats... La peinture à la gomme, employée au douzième siècle, parait avoir été fréquemment pratiquée par les peintres du treizième siècle pour les mêmes objets, tels que retables, boiseries, etc. (ibid., t. VII, p. 75-76).

[80] Viollet-le-Duc, t. VII, p. 79.

[81] Viollet-le-Duc, t. VII, p. 92.

[82] Les trois portes avec leurs voussures et leurs tympans étaient entièrement peintes et dorées ; les quatre niches reliant ces portes et contenant quatre statues colossales étaient également peintes. Au-dessus, la galerie des Rois formait une large litre toute colorée et dorée. La peinture au-dessus de cette vitre ne s'attachait plus qu'aux deux grandes arcades- avec fenêtres, sous les tours, à la rose centrale qui étincelait de dorure. La partie supérieure perdue dans l'atmosphère était laissée en ton de pierre. (Viollet-le-Duc, t. VII. p. 109.)

[83] Viollet-le-Duc, t. V, p. 370, à l'art. Fenêtre.

[84] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 373, à l'art. Vitraux. Théophile, moine du onzième siècle, qui a laissé un traité curieux intitulé Diversarum artium schedula, avait presque assisté à la naissance de la peinture sur verre au moyen âge. Sur les procédés de cette peinture aux douzième et treizième siècles, voy. Labarte, Histoire des arts industriels, t. II, p. 312-319.

[85] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 383.

[86] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 404.

[87] Viollet-le-Duc, t. IX, p. 412. La cathédrale de Chartres pourrait à elle seule offrir un vaste champ à cette étude comparative. Cf. Labarte, l. l., p. 320.

[88] Viollet-le-Duc, ibid., p. 435 et suiv.— Voy. pour l'ensemble de cette matière l'Histoire de la peinture sur verre d'après les monuments en France, par M. F. de Lasteyrie, 2 vol. in-folio, l'un de texte, l'autre de planches (Paris, 1857).

[89] Viollet-le-Duc, t. VIII, p. 72.

[90] Viollet-le-Duc, t. I, p. 146.

[91] Viollet-le-Duc, t. II, p. 386. — M. Lassus retrouve dans les mille huit cent quatorze figures de la cathédrale de Chartres tout un drame en quatre parties dont il suit le développement depuis la chute d'Adam jusqu'au jugement dernier. (Lassus, Album de Villart de Honnecourt, où il renvoie au rapport de M. Didron à M. de Salvandy sur l'iconographie de la cathédrale de Chartres.)

[92] Viollet-le-Duc, ibid., t. II, p. 386 et suiv.

[93] Lassus, Album de Villart de Honnecourt, p. 83.

[94] L'ancienne mosaïque de petites pierres ou de verres colorés avait été remplacée par un assemblage de terre cuite de couleurs différentes et de formes appropriées. Ce dallage se fit plus économiquement par des briques incrustées d'une terre d'autre couleur. On imprimait par estampille le dessin sur la terre molle ; on remplissait le creux d'une autre terre (terre blanche généralement sur terre rouge), et l'on recouvrait le tout d'un émail transparent. Voy. Viollet-le-Duc, t. II, p. 265, t. V, p. 10, et Labarte, t. IV, p. 480-481 (1re édition).

[95] Viollet-le-Duc, t. II, p. 391 et suiv. ; Gailhabaud, t. IV ; Amaury Duval, Histoire littéraire de la France, t. XVI, p. 322.

[96] Viollet-le-Duc, ibid., t. VIII, p. 272.

[97] Gailhabaud, t. IV ; Cf. Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier, t. I, p. 228 ; Labarte, t. I, p, 156.

[98] Labarte, t. I, p. 160.

[99] Gailhabaud, l'Architecture et les arts qui en dépendent, t. II. Il propose pour modèles les vantaux des portes de la cathédrale du Puy, de l'église d'Orcival, de la porte Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris. Cf. Labarte, Histoire des arts industriels, t. I, p. 219. c Simples ou riches, dit-il, les pentures des portes étaient d'un goût remarquable ; et il en donne des exemples.

[100] Étienne Boileau, Livre des métiers, titre XI, p. 38 (Ed. Depping). Cf. Labarte, Histoire des arts industriels, t. II, p. 9.

[101] Voyez-en la description dans Labarte, t. II, p. 8 et 9. Dans le tombeau du comte de Champagne, le sarcophage était de bronze revêtu de plaques d'argent. La statue du prince en habit de pèlerin, de grandeur naturelle, était d'argent ; le socle et la table supérieure, d'argent enrichi d'émaux. Autour du sarcophage il y avait des colonnes de bronze doré soutenant des arcades plein cintre, qui formaient dix niches où étaient placées autant de statuettes d'argent de 14 pouces de hauteur.

[102] Le tombeau de saint Denys et les châsses de sainte Geneviève et de saint Marcel sont décrits dans le même ouvrage, t. I, p. 4 et 9. La châsse de sainte Geneviève fut fondue en 1793.

[103] La couronne et le fragment du manteau étaient chargés de tant de pierres précieuses, que l'énumération n'en occupait pas moins de dix pages dans l'inventaire de la Sainte-Chapelle, dressé en 1573 (ibid., p. 11).

[104] Labarte, ibid., p. 12. Voyez la représentation d'un bras reliquaire dans la Collection Basilewski, Catalogue raisonné, pl. XXV.

[105] Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier, t. I, p. 232.

[106] Voy. Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier, t. I, p. 247, fig. 2, l'image d'une petite tour en bois du treizième siècle, posant sur un pied, et p. 250, fig. 6, l'image d'une colombe suspendue. Cf. Labarte, t. IV, p. 650. Nous citons le t. IV d'après la première édition, la seconde n'en étant arrivée qu'au t. III.

[107] Labarte, t. IV, p. 633-665, et Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier, t. II (Ustensiles), sous ces différents mots. Voy. un beau ciboire en émail, champlevé limousin de la fin du treizième siècle, dans la Collection Basilewski, Catalogue raisonné, pl. XXII ; un calice de l'église de Saint-Remi, de Reims. (Paul Lacroix et Ferd. Seré, le Moyen âge et la Renaissance, t. III.)

[108] Voy. une belle crosse du treizième siècle dans Willemin, t. I, pl. 107 et une croix processionnelle exécutée sous saint Louis et donnée par lui aux Grands Carmes, dans le Musée de monuments français de Lenoir, t. I, p. 210, pl. 35 ; Lacroix et Seré, l. l.

[109] Labarte, t. IV, p. 64. Voy. la représentation d'un encensoir du treizième siècle, de Menne en Westphalie : ibid., p. 147.

[110] Les lutrins au treizième siècle n'avaient pas la forme monumentale qu'on leur a donnée depuis. C'était souvent comme un pliant à tiges inégales recouvert d'un drap. On en voit une représentation dans une miniature du Psautier de saint Louis (Bibl. nat., F. latin, n° 10525, f° 192). Cf. Gailhabaud, t. IV. M. Viollet-le-Duc avance que pas un des lutrins existants aujourd'hui ne remonte au delà du quinzième siècle (Dict. du mobilier, t. I, p. 158).

[111] Viollet-le-Duc, Dict. d'archit., t. V, p. 533 et suiv. (Fonts baptismaux), et Dictionnaire du mobilier, t. I, p. 319 ; Gailhabaud, t. IV. Jusqu'au quinzième siècle le baptême se donnait par immersion.

[112] Labarte, l. l., t. I, p. 410.

[113] Voy. la représentation de ce chandelier, Dictionnaire du mobilier, t. II, p. 87, pl. 29.

[114] Dictionnaire du mobilier, t. II, p. 190 (Orfèvrerie). Cf. Labarte, t. I, p. 182. Sur le travail au repoussé, procédé indiqué déjà au onzième siècle par le moine Théophile, voy. Labarte, ibid., p. 194. Comme un très-grand nombre d'objets était demandé à la fabrication, on avait eu recours à un moyen plus rapide et moins coûteux, l'estampage (ibid.). On conservait les matrices pour fabriquer séparément diverses pièces : de menus ornements, des fleurs, que l'on réunissait ensuite par la soudure en combinaisons diverses (Viollet-le-Duc, l. l., p. 202).

[115] Labarte, t. III, p. 119 et suiv. Sur les deux manières d'émailler par incrustation, voy. ibid., p. 118. — Le damasquinage ou dessin par filets d'or ou d'argent incrustés dans un métal moins brillant, comme l'acier ou le bronze, était très-rare au moyen âge. Au treizième siècle, les Vénitiens importaient les objets damasquinés de l'Orient.

[116] Viollet-le-Duc, l. l., t. II, p. 221, pl. XLIII et XLIV.

[117] Fonds latin, n° 17326 (olim Saint-Victor, n° 543).

[118] Labarte, t. II, p. 227.

[119] Fonds latin, n° 10525.

[120] Fonds français, n° 9561.

[121] Je citerai entre beaucoup d'autres, f° 2 v°, la figure qui représente l'Église ; f° 47 r°, la sœur de Moïse pleurant son frère exposé dans la corbeille de jonc ; et au bas, dans la section correspondante, la figure de la Synagogue pleurant pour Jésus-Christ qu'elle voit et montre renfermé dans les divines Écritures : c'est un enfant couché dans un livre d'où sa petite tète sort comme d'un berceau ; f° 61 r°, une figure de jeune homme dans un groupe ; f° 81 v°, le Christ flagellé, belle étude de nu ; f° 87 r°, une belle figure d'évêque, etc. A partir du f° 113 on arrive à l'histoire du Nouveau Testament : la scène, tenant la page entière, peut se développer plus à l'aise. Au f° 181 r°, la Descente de croix est une belle composition.

[122] Labarte, t. II, p. 427-429.

[123] Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier, t. I, 269.

[124] M. Viollet-le-Duc a reproduit la statue de l'évêque Fulbert placée au portique méridional de la cathédrale de Chartres, avec deux autres statues représentant ses acolytes. C'est le costume ecclésiastique du treizième siècle (Dictionnaire du mobilier, t. I, p. 86) Willemin (t. I, pl. XC), a donné à la même fin la représentation du tombeau d'Évrard, évêque d'Amiens, précieux tombeau de bronze dont nous avons déjà parlé. Il a de plus emprunté à la cathédrale de Chartres des figures de rois et de reines, qui donnent une juste idée du costume laïque (t. I, pl. LXI et suiv.). Les verrières de Chartres et un manuscrit du treizième siècle ont été mis aussi par lui à profit pour l'étude du costume tant civil que militaire (ibid., pl. XCVIII et CI). Voy. sur ce sujet le beau livre que vient de publier M. J. Quicherat, Histoire du costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle (1875).

[125] Labarte, t. IV, p. 674 ; voy. aussi la représentation que M. Viollet-le-Duc a donnée d'une grande salle de château aux douzième, treizième et quatorzième siècles (Dictionnaire raisonné du mobilier français, t. I, pl. CCCLX-CCCLXII), et son Dictionnaire du mobilier aux différents mots qui se rapportent à l'ameublement. Il reproduit entre autres une armoire de Bayeux du commencement du treizième siècle, et une autre de Noyon de la fin du même siècle, celle-ci avec des peintures à l'intérieur et au dehors ; il fait remarquer que les tables étaient assez basses, les chaises étroites : les vêtements plus amples, les étoffes plus épaisses dont on fit usage au siècle suivant amenèrent à les élargir.

[126] Labarte, t. I, p. 95 et 213-216 ; il reconnaît d'ailleurs que cela était rare.

[127] Labarte, t. IV, p. 538 et suiv.

[128] Voy. l'histoire du saint Graal (Bibi. nat., F. fr., n° 95), l'histoire du roi Arthur (ibid., n° 242).

[129] Biblioth. nat., F. fr., n° 566.

[130] On peut faire la comparaison des trois manuscrits que nous venons de citer avec les trois autres désignés plus haut. Il faut dire cependant que dans le manuscrit de Brunetto Latini. Il y a quelques figures d'animaux rendues avec beaucoup de naturel (voy. f° 70 et suiv.). Il y a aussi dans la partie historique un groupe aussi bien conçu que dessiné. Ce sont deux femmes figurant l'Église et la Synagogue : l'une debout, la couronne au front, tenant la croix et le calice ; l'autre un bandeau sur les yeux, tenant d'une main les Écritures, de l'autre un sceptre brisé, et tombant avec une grâce sans égale (f° 33 v°).

[131] Voy. la représentation des types de la monnaie de saint Louis dans la vignette placée en tête du tome XXI du Recueil des historiens de France et dans le Joinville de M. N. de Wailly, éd. Firmin Didot, p. 461.

[132] Voy. Amaury Duval, Histoire littéraire de la France, t. XVI, p. 319.

[133] Joinville, ch. XIV.

[134] Labarte, t. IV, p. 621 ; Lacroix et Seré, t. II, f. 3.

[135] Pour la musique, nous n'avons pas cru pouvoir mieux faire que de résumer les observations que M. E. de Coussemaker a développées dans deux grands ouvrages, fruits des plus savantes recherches : l'Histoire de l'harmonie au moyen âge (1852, 1 vol. in-4°) et l'Art harmonique au XIIe et au XIIIe siècle (1865, 1 vol, in-4°), et les articles de M. Vitet qui, en rendant compte du premier de ces ouvrages, en corrige et en éclaircit plusieurs points (Journal des savants, décembre 1853, février, juin, septembre et octobre 1854).

[136] M. Vitet pense que le mot diaphonie, dissonance, ne peut s'appliquer qu'au second cas, le premier n'offrant que de pures harmonies (Journal des Savants, septembre 1854, p. 586-587). Hucbald avait entendu diaphonie comme diphonie, double son.

[137] E. de Coussemaker, Histoire de l'harmonie au moyen âge, p. 225, et l'Art harmonique au XIIe et au XIIIe siècle, p. 37. Cf. Vitet, l. l., p. 587. Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, t. II, p. 324.

[138] E. de Coussemaker, l'Art harmonique au XIIe et au XIIIe siècle, p. 39.

[139] On l'appliquait aussi au chanteur dans un chant à plusieurs voix. Le ténor étant celui qui tenait le chant, le motetus faisait la partie supérieure dans un duo, la partie intermédiaire dans un trio ; c'était lui qui venait encore immédiatement au-dessus du ténor dans un quatuor ou quadruple. (Voy. M. E. de Coussemaker, l'Art harmonique au XIIe et au XIIIe siècle, p. 59.)

[140] E. de Coussemaker, l'Art harmonique, p. 63.

[141] E. de Coussemaker, l'Art harmonique, p. 65 et suiv. M. Léon Gautier pense que les conductus étaient d'anciens tropes que l'on chantait toutes les fois qu'il se faisait à l'autel quelque évolution liturgique, par exemple, pour accompagner (conducere) le diacre à l'autel. (Le Monde, 28 août 1872.) — Le mot a pu être pris en des sens différents.

[142] Sur les divers instruments de musique, voy. dans l'Histoire littéraire, t. XVI, p. 24, et t. XXIV, p. 752, deux énumérations très-longues, par des trouvères du temps. M. Amaury Duval a joint à la pièce qu'il reproduit des notes explicatives. On en trouve une autre énumération dans le roman en vers de Floriant et Florète, récemment publié (1873) avec un grand luxe, sous le patronage du marquis de Lothian, par M. Francisque Michel (v. 5960-5976) ; et d'autres encore dans maint autre passage auquel M. Francisque Michel renvoie par sa note 58 sur ce roman p. LVIII. — Les miniatures des manuscrits en donnent souvent des représentations figurées. Dans l'évangéliaire de la Sainte-Chapelle on voit aux Noces de Cana un ménestrel jouant de la vielle (violon). (Bibl. nat., fond latin, n° 17326, f° 18, recto) ; dans le Psautier de saint Louis (ibid., n° 10525, f. 175), on trouve dans la mime scène une clochette, une guitare, une harpe et un autre instrument à corde dont joue la personne assise. Cf. un vitrail du treizième siècle reproduit par Willemin, t. I, pl. CVI, etc.

[143] E. de Coussemaker, l'Art harmonique, etc., p. 141 et suiv.

[144] E. de Coussemaker, l'Art harmonique, p. 191 et suiv. Parmi les trouvères dont mon savant concitoyen Arthur Dinaux a parcouru les œuvres et exposé les titres, il en est plusieurs du treizième siècle dont il a trouvé les chansons avec la musique notée : Martin le Beguin (le bègue) (Trouvères du nord de la France et du midi de la Belgique, t. I, p. 178) ; Jehan Fremaux de Lille (t. II, p. 281) ; Girardin de Boulogne (t. III, p. 208) ; Robin ou Robert de Chastel (ibid., p. 422) ; Sauvage de Béthune (ibid., p. 436) ; Gauthier de Soignies (ibid., t. IV, p. 266).

[145] E. de Coussemaker, L'Art harmonique, p. 181-266.

[146] Historiens de France, t. XX, p. 385, et F. Faure, t. II, p. 439-440.

[147] Historiens de France, t. XX, p. 29.

[148] Tillemont, t. II, p. 206.

[149] Comptes de 1234 dans les Historiens de France, t. X, p. 346 g, h.

[150] Historiens de France, t. X, p. 220 c, 231 c e, 234 g, 245 b.

[151] Historiens de France, t. XXI, p. 619 e.

[152] Joinville, ch. CXXXV.

[153] C'est une considération dont M. Ed. Sayous ne me parait pas avoir assez tenu compte dans sa thèse, fort intéressante d'ailleurs, sur la France de saint Louis, d'après la poésie nationale (1866).

[154] Voy. Lecoy de la Marche, la Chaire française au moyen âge, 3e partie, la Société d'après les sermons : Les sermons, dit-il, renferment la peinture de toutes les classes de la société. Mais avant de retracer les traits de ce tableau, il réduit à l'avance les conséquences que l'on en pourrait tirer : Au seuil, le bon sens place un avis préservateur et qui est presque un axiome : les moralistes décrivent le mal et non le bien ; la prédication comporte les critiques et non des compliments, fussent-ils mérités. Que dirait-on de celui qui voudrait juger des mœurs du moyen âge uniquement d'après les registres du Châtelet et des officialités ?

[155] Regestrum visitationum archiep., Rothom. (1248-1269). Ed. Théod. Bonnin (Rouen, 1852, in-4°).