SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME PREMIER

CHAPITRE III. — GOUVERNEMENT PERSONNEL DE SAINT LOUIS. LA QUERELLE DU SACERDOCE ET DE L'EMPIRE. LES CROISADES.

 

 

I. — Soumission des comtés de Champagne et de Bretagne. — Mariages féodaux. — Affaires ecclésiastiques (Beauvais et Reims).

Nous avons reproduit les traits de la figure de saint Louis tels que les donnent les témoins les plus intimes de sa vie ; nous avons averti que ce qui choque le plus les idées de notre siècle dans ce tableau, est ce qui était le plus admiré du leur ; et ainsi il n'est pas impossible qu'ils aient involontairement plus insisté sur ces points que la réalité ne le comporte. Mais au fond c'est bien là saint Louis : sa simplicité, son humilité, sa pureté de cœur, son amour de Dieu et du prochain, son zèle pour la vérité et la justice. On ne le peut mieux connaître que par ces pratiques de sa vie intérieure, et cette connaissance n'est pas moins nécessaire pour bien juger de sa vie publique. On ne comprendrait pas ses résolutions aux époques décisives de son règne, si l'on ne savait aussi bien les sentiments qui l'animaient. On aurait une idée moins exacte de l'énergie de ses convictions, on apprécierait moins la fermeté de sa conduite en certaines occasions où il eut à défendre les droits du pouvoir civil devant le clergé et le Saint-Siège lui-même, si l'on ne savait jusqu'où allait sa vénération pour les plus humbles ministres de l'Église, et, dans l'ordre spirituel, sa soumission à la moindre de ses lois.

Du gouvernement de Blanche à celui de saint Louis il n'y a pas de transition bien marquée. Saint Louis se plut jusqu'à la fin à suivre les conseils de sa mère. Il lui cédait volontiers le pas dans les assemblées les plus solennelles ; le pape, les barons s'adressaient de préférence à elle quand ils voulaient obtenir quelque chose[1]. Saint Louis lui abandonnait une telle part d'action que des rapports, même sur des faits de guerre, sont encore, en 1240, adressés à elle et non au roi[2], et l'on trouve le nom de Blanche joint au sien dans les actes, à une époque où il était certainement majeur.

Le gouvernement de saint Louis faillit mine commencer comme celui de Blanche. Il fut un moment menacé d'une guerre pareille à celles qui avaient troublé le temps de sa jeunesse : et c'est le prince qui, au commencement, avait suscité la première ligue contre la régente, celui dont le concours lui avait été ensuite le plus assuré, c'est le coude de Champagne qui parut vouloir se tourner contre le roi.

Rien ne faisait prévoir un pareil changement. Le comte de Champagne n'avait pas reçu de saint Louis moins de secours qu'il ne lui en avait donné ; et tout récemment (1234), c'est avec l'appui de la France qu'il avait recueilli la succession de la Navarre à la mort de son oncle Sanche. Sanche VII, le dernier rejeton de la race d'Aznar, avait eu un instant la pansée de le déshériter au profit d'une autre maison espagnole, et il avait conclu avec le roi d'Aragon, Jacques Ier, un traité d'adoption et de succession mutuelles, où, par une bizarre fiction, les deux rois se déclaraient tour à tour père et fils l'un de l'autre : c'est la mort qui devait décider qui serait le père ou le fils. Cette convention était toute à l'avantage du roi d'Aragon, qui était de beaucoup le plus jeune. Mais à la mort de Sanche, Thibaut l'avait prévenu, et grâce à la protection de saint Louis, qui avait pris en garde la Champagne, il avait pu, sans abandonner aux entreprises de ses ennemis son propre patrimoine, se rendre à Pampelune où il recueillit' la couronne dont il était l'héritier. C'est encore à la médiation de saint Louis qu'il avait dû le règlement de son différend avec la reine de Chypre pour la possession de la Champagne elle-même. Tout à coup, on apprend que Thibaut, sans prendre l'aveu de saint Louis comme il s'y était engagé, marie sa fille à Jean, comte de Bretagne, fils de Mauclerc[3]. C'était renouveler sous une autre forme, et avec tous ses périls, l'alliance qui avait failli se conclure lorsque le comte Thibaut lui-même avait été sur le point d'épouser la fille de Mauclerc dans l'abbaye de Valsecret : car le jeune comte de Bretagne était encore sous la tutelle et sous la main de Mauclerc, son père.

Saint Louis ne s'y trompa point. Il somma Thibaut de lui remettre les trois places qu'il avait promis de lui donner en garantie, s'il mariait sa fille sans l'aveu du roi de France ; et il se mit en mesure de prendre ce qu'on lui refuserait. Thibaut, en effet, ne paraissait pas disposé à céder : il traitait avec le comte de la Marche, qui s'obligeait, ainsi que sa femme, la mère du roi d'Angleterre, à le soutenir contre tous, en suivant les conseils de Pierre, duc de Bretagne[4], et lui-même faisait des armements.

Saint Louis ne lui laissa pas le temps de les achever ; il appela ses frères, il convoqua ses chevaliers à Vincennes. Thibaut avait pour résister une protection puissante : il venait de prendre la croix (1235) ; et les croisés, jusqu'au retour de leur expédition, étaient sous la sauvegarde de l'Église. Le pape écrivit à saint Louis pour lui défendre de l'attaquer. Mais Louis ne fut pas retenu par cette intervention ; et Thibaut, apprenant la marche du roi, n'entreprit pas de résister. Il s'empressa d'envoyer vers lui des messagers qui lui offraient Bray et Montereau ; et comme le roi ne trouvait pas la satisfaction suffisante, il vint lui-même et mit tout le comté de Champagne à sa discrétion. Il savait bien qu'il ne s'en dépouillait pas. Blanche, qui l'avait engagé à cette démarche, était sa caution auprès du roi, et saint Louis n'était pas de nature à décourager les soumissions. Thibaut en fut quitte pour renoncer à tout ce qu'il pouvait prétendre encore sur les seigneuries vendues par lui à saint Louis en 1234 ; et afin de donner un gage à la paix, il promettait de demeurer sept ans hors de France, soit en Navarre où était son trône, soit en Orient où l'appelait son vœu (1236)[5].

Un peu après, saint Louis obtenait, pour la tranquillité publique, une autre garantie : Pierre Mauclerc ayant remis à son fils, devenu majeur, le comté de Bretagne (1237), vint à Pontoise confirmer la cession de Bellesme, de Saint-Jacques de Beuvron et de la Perrière au Perche qu'il avait faite au roi, et un peu plus tard le jeune comte ou duc (c'est ce dernier titre qu'il prend) ratifiait en son propre nom cet abandon par un acte où il reconnaissait en même temps la suzeraineté de saint Louis (avril 1238)[6]. Pierre, qui avait pris la croix, devait accompagner bientôt le roi de Navarre outre mer.

Dans l'intervalle, le roi lui-même, comme étant le chef redouté des Francs, avait failli tomber victime du fanatisme oriental.

En 1236, le cheik des Assassins, le Vieux de la Montagne avait eu, dit-on, la pensée de faire périr saint Louis, et il avait envoyé en France deux de ses sectaires pour le poignarder. Mais les Templiers, l'ayant su, lui dirent qu'en vain ferait-il tuer le roi de France, puisqu'il avait trois ou quatre frères pour le remplacer ; et le cheik, revenant sur sa résolution, s'était empressé d'envoyer an roi deux émirs pour l'avertir de se tenir en garde. Les émirs, heureusement, arrivèrent en France avant les deux envoyés. Le roi s'entoura d'une garde d'hommes armés de masses d'airain ; mais le plus sûr était de trouver les Assassins et de les désarmer. C'est à quoi réussirent les émirs qui revinrent, pour les trouver, jusqu'à Marseille. Ils les ramenèrent à Paris comme pour mieux assurer le roi que le contre-ordre avait été reçu, et que des mais il n'avait plus à craindre. Le roi les congédia les uns et les autres avec des présents, et les chargea d'en porter de plus riches encore à leur cheik en signe d'amitié[7].

Par les dernières transactions avec les comtes de Champagne et de Bretagne, saint Louis venait de consolider l'œuvre de la régence. Le pouvoir royal était affermi, et il ne s'affaiblit pas entre les mains qui venaient de le recueillir. Il ne faudrait pas croire, en effet, que l'esprit d'abnégation et le désintéressement chrétien de saint Louis lui fit négliger les moyens naturels d'affermir et d'accroître son ascendant ; car c'était l'instrument légitime du bien qu'il voulait faire. Il fortifia l'action de la royauté ; il lui donna un cours plus régulier et une sphère de plus en plus étendue. Louis VIII avait eu le tort de partager les provinces du domaine royal entre tous ses fils. Saint Louis n'alla pas contre la volonté de son père. Il remit à ses frères leur part, à mesure qu'ils arrivaient à l'âge d'en être pourvus[8] ; mais il les retenait groupés autour de son trône par les liens du devoir que l'affection rendait plus forts, prévenant ainsi les inconvénients actuels du partage. Il travailla même à augmenter leur puissance, mais cette fois sans dommage pour le royaume, en leur procurant des mariages avantageux. Par là chacun d'eux allait contribuer à étendre les rapports de la maison royale, à lui préparer des droits de succession qui, tôt ou tard, devaient lui ramener, avec les provinces détachées d'elle, les provinces acquises par ces alliances. Blanche avait fait épouser à son fils Alphonse la fille unique du comte de Toulouse[9]. Saint Louis maria son frère Robert à la fille du due de Brabant (1237)[10], et plus tard Charles à la seconde fille du comte de Provence, qui devint son héritière[11]. Il veillait avec sollicitude à ce que ces espérances ne fussent pas trompées ; par exemple, quand le comte de Toulouse voulut se remarier au grand péril de la succession promise à sa fille. Il ne veillait pas moins à ce que les princes ou les princesses qui relevaient de lui, ne fissent pas d'alliances qui eussent pu compromettre la sécurité du royaume.

Nous l'avons vu à propos du comte de Champagne ; on le peut voir encore à propos de la comtesse de Flandre, Jeanne, qui, veuve de Ferrand, eut un jour la pensée de s'unir à Simon de Montfort. Saint Louis connaissait trop bien l'esprit remuant de ce seigneur, le plus ambitieux des fils du chef de la croisade contre le Albigeois, pour le voir sans crainte à la tête d'une province comme la Flandre. Il y fit opposition, et- Jeanne épousa Thomas de Savoie. Thomas vint avec elle à Compiègne, reçut de saint Louis l'investiture du comté, et renouvela le pacte que Blanche avait fait accepter de Ferrand en lui ouvrant les portes de sa prison[12]. Quant à Simon de Montfort, il s'en dédommagea en épousant la sœur du roi d'Angleterre (1238). Il avait déjà reçu de Henri III le comté de Leicester, dont son père avait été dépouillé par le roi Jean, et le titre de sénéchal de Gascogne, toutes choses qui le rattachaient de plus en plus à la cour d'Angleterre[13]. Le roi d'Angleterre n'eut pas lieu de s'en applaudir : mais le pays n'y perdit rien, puisque c'est à Simon de Monfort (il n'en faut pas faire honneur à l'amour du fier baron pour les droits populaires) qu'il dut le vrai complément de sa constitution : l'entrée des communes au Parlement[14]. Saint Louis ne négligeait donc rien pour affermir son autorité[15], et il pouvait d'autant mieux prétendre à la faire reconnaître qu'il maintenait plus religieusement lui-même les droits des autres : droits de l'Église, des barons, des communes. C'est le principe qui le-guidait parmi les conflits dont était l'arbitre : à chacun son droit ; c'est le résultat qu'il obtint pour lui-même. Nous en avons vu déjà quelque chose dans ses rapports avec les barons. Des faits qui se rapportent au temps où noua sommes arrivés le montrent de même dans ses rapports avec l'Église.

Saint Louis respectait tous les droits de l'Église il respectait ses droits au spirituel en fils soumis, il respectait ses droits au temporel, mais non pas sans contrôle ; car son devoir était d'en prévenir les abus.

L'Église possédait comme un autre. C'était la garantie de son indépendance au moyen âge, et un peu en tout temps : si on ne possède, on risque fort d'être possédé. Mais il n'admettait pas qu'elle possédât à d'autre titre qu'an autre. L'Église avait des privilèges, comme il y en avait un peu partout aussi en ce temps-là ; mais il y avait des obligations et des limites qu'elle devait accepter ; et saint Louis était trop scrupuleux observateur des devoirs de sa charge pour s'y pas tenir la main. C'est l'exemple que la reine Blanche lui avait donné durant sa minorité, non sans quelque roideur mi excès peut-être, dans ses conflits avec l'archevêque de Rouen, avec l'évêque de Beauvais. C'est la règle qu'il suivit avec autant de fermeté dans des onusiens pareilles.

Cette affaire de Beauvais qui ne s'était pas terminée à la mort de l'évêque, ayant été reprise en 1235 par son successeur avec renouvellement d'interdit, trouva saint Lemis aussi ferme que sa mère devant les condamnations spirituelles des évêques et les instances mêmes du pape. Ce ne fut qu'en 1238 au plus tôt, et grâce à la modération commandée par le pape aux évêques de la province de Reins, que le différend s'apaisa, selon toute apparence, à la satisfaction de saint Louis.

Un autre incident relatif à Reims montra la prudence et la fermeté de saint Louis en ces matières.

L'archevêque de Reims, seigneur de la ville, était en différend avec les bourgeois, relativement au château de Porte-Mars qu'il avait fait élever. N'obtenant d'eux aucune satisfaction, il les excommunia et pria saint Louis de donner force à la sentence. Saint Louis refusa de le faire avant que le prélat le mit en mesure de juger les motifs de sa décision. L'archevêque n'en fit rien : il était regrettable, en effet, de soumettre une sentence spirituelle au contrôle de la puissance temporelle ; amis puisqu'on faisait appel à la puissance temporelle, il fallait bien souffrir qu'elle y regardât : l'une des deux choses entraînait l'autre. L'archevêque aima mieux s'adresser au pape qui confirma l'excommunication (11 octobre 1235). La sentence n'en eut pas plus d'effet sur les bourgeois. Le prélat fut donc forcé d'en revenir à saint Louis, et il le fit juge de l'affaire. Saint Louis, tout bien considéré, prononça en sa faveur. Il condamna les bourgeois à l'amende, et envoya à Reims, pour décider sur les points qui restaient à résoudre, deux ecclésiastiques dont la droiture fut si bien appréciée de part et d'autre qu'on s'en remit à leur arbitrage (7 février 1236).

L'archevêque de Reims avait donc raison au fond. Mais était-il juste de recourir même en pareil cas à l'interdit ? et les évêques n'usaient-ils pas trop souvent de ce moyen pour appuyer leurs prétentions ? C'était le sentiment général. Les seigneurs leur reprochaient vivement l'emploi trop peu mesuré d'une arme contre laquelle leurs armes étaient impuissantes. En 1235, dans une assemblée tenue à Saint-Denis devant le roi, assemblée où figuraient le duc de Bourgogne, les comtes de Bretagne, de la Marche, de Montfort, de Vendôme, de Ponthieu, de Chartres, de Saint-Pol et beaucoup d'autres comtes ou barons, ils rédigèrent en commun une plainte qu'ils adressèrent au pape. Ils y disaient que les prélats refusaient de reconnaître la cour du roi pour les biens de leurs églises ; que l'archevêque de Tours, par exemple, défendait aux abbés et aux prieurs de sa province de répondre pour les mêmes biens devant le roi ou les seigneurs du lieu. Il accusaient les ecclésiastiques en général de s'attribuer de nouveaux droits au préjudice des barons. Ils déclaraient qu'ils voulaient conserver les anciens droits de l'Église, mais priaient en même temps le pape de les maintenir, eux et le roi, dans ceux qui leur avaient toujours été reconnus[16]. En outre, ne se croyant pas obligés à faire dépendre leurs résolutions de la décision du souverain pontife sur ces points, ils arrêtèrent : 1° que leurs vassaux n'auraient pas à répondre en matière civile aux ecclésiastiques, ni aux vassaux de ces derniers devant le tribunal ecclésiastique ; 2° que si le juge ecclésiastique les excommuniait pour ce sujet, on le contraindrait, par la saisie de son temporel, à lever l'excommunication ; 3° que les ecclésiastiques et leurs vassaux seraient tenus de se soumettre à la justice des laïques dans toutes les causes civiles, touchant leurs fiefs mais non leur personne (septembre 1235)[17].

Il n'est pas dit que cet arrêt ait été rendu au nom du roi, et l'on ne trouve ni le nom ni le sceau de saint Louis au bas de la lettre que nous avons citée. Mais on peut croire qu'il ne l'a pas désavouée, puisqu'elle fut l'expression des sentiments de l'assemblée tenue en sa présence ; et pour l'arrêt, il n'était que l'application du droit existant[18]. Saint Louis d'ailleurs ne manqua jamais de contraindre par les voies légales, c'est-à-dire par la saisie du temporel, les églises à s'acquitter de leurs obligations civiles envers lui[19] ; et il ne voyait pas avec moins de peine l'abus des excommunications. En 1237, il s'en plaignit lui-même au pape, et le pape manda aux évêques d'eu user avec plus de ménagement[20].

C'est par cet esprit de modération et de justice que saint Louis voulait établir l'ordre publie et faire régner la paix dans sen royaume. La paix, c'était le grand objet qu'il se proposait en toute chose. Il était chrétien avant d'être roi, et, à ce titre, il devait détester la guerre. La guerre, par un côté au moins, et souvent par les deux à la fois, est chose antichrétienne. Elle naît de l'ambition, de la convoitise du bien d'autrui, du ressentiment, de la vengeance, et elle procède par le meurtre et la destruction, elle engendre et nourrit la haine[21]. Saint Louis ne voulait ni faire la guerre de lui-même, ni souffrir qu'on la fit lorsqu'il pouvait l'empêcher. Diviser pour régner est une maxime qu'il ne connut pas. chercha toujours au contraire à effacer les divisions, à prévenir les conflits, à réconcilier les cœurs, dût-il même y mettre du sien et faire des sacrifices ; mais par cet oubli de soi-même, parce désintéressement, par ce sincère amour du bien, par cette large application de la pensée chrétienne à la politique, à acquit à la France le plus grand et le plus légitime ascendant que jamais elle ait exercé parmi les peuples européens.

 

II. — La querelle du Sacerdoce et de l'Empire. - Innocent III, Othon Ier et Frédéric II.

Saint Louis ne voulait pas seulement maintenir la paix dans son royaume ; il voulait aussi qu'elle réglet dans la chrétienté ; or, à cet égard, il avait beaucoup à faire, car cette époque était un temps singulièrement troublé, et le pouvoir auquel ce rôle de pacificateur semblait naturellement dévolu était jeté dans des luttes d'où il avait grand'peine à se tirer.

On en était à la dernière période de la querelle du Sacerdoce et de l'Empire, querelle si acharnée semblait que rune des deux puissances dût y périr, sans que l'on pût dise laquelle des deux succomberait.

Je ne suis pas de ceux qui voudraient faire un crime à la papauté de cette querelle, ou l'accuser d'avoir, par ses prétentions, introduit la guerre où elle avait mission de faire régner la paix. Le trouble était au fond de la société. Il y était engendré, entretenu par la désorganisation qu'y avait laissée l'Empire romain, par le désordre qu'y avait jeté l'invasion, par les violences, les abus de pouvoir, les excès de toutes sortes qu'y avaient exercés les hordes barbares et qu'y perpétuait la féodalité après eux : et il n'en saurait être autrement là où règne le droit du plus fort. Même aux temps modernes et encore aujourd'hui, s'il y avait un pouvoir établi assez haut et assez universellement respecté pour faire observer le droit, régler les différends, protéger la faiblesse contre la violence, et maintenir ainsi les peuples dans la concorde, quel avantage pour l'humanité tout entière 1 Cet idéal, qu'on ne saurait plus trouver dans un seul homme et qu'on a jusqu'ici vainement cherché dans un congrès de nations, le moyen âge avait pensé l'avoir. Il aurait pu l'atteindre en mettant sa façon d'agir d'accord avec sa foi : car il voyait sur le Saint-Siège le successeur de Jésus-Christ, le pasteur des fidèles, celui dont toutes les brebis doivent écouter la voix, et qui ne doit faire entendre que des paroles de vie, de vérité et de justice. Mais cette voix, qui parla souvent pour le plus grand bien de la société civile et politique, maintenant contre les écarts des passions couronnées les droits sacrés de la famille et soutenant les peuples opprimés contre les tyrans, n'avait pu triompher de l'énergie du mal. Alors même que le droit de commander ne lui était pas dénié, on refusait de s'y soumettre, et souvent ce protecteur universel des peuples eut besoin d'être protégé chez lui. Ajoutez que dans cette sphère toute temporelle, il n'était pas à l'abri lui-même des faiblesses de l'humanité, et qu'en pareil cas des abus de pouvoir enlèvent toute autorité à l'arbitre. C'est ce qui était arrivé à la papauté au moyen âge. Pour commander à la société religieuse, elle avait une arme toute-puissante : l'excommunication, l'interdit. Elle en usait même dans les cas où, pour des actes purement civils, on avait admis son arbitrage. De là elle avait été amenée à rechercher une sanction civile ou politique à ses arrêts ; or l'exécution peut appeler le recours à la force. Elle avait frappé, elle avait lutté ; elle avait éprouvé elle-même les vicissitudes des combats, elle en avait subi les entrainements, notamment dans cette grande querelle qui arrivait à son moment critique au temps de saint Louis.

Le pape Innocent III, qui avait porté au plus haut degré la domination du Saint-Siège, ce pape que l'on avait vu disposer comme à son gré de l'Empire germanique, réduire l'Angleterre en vasselage et soumettre la France à l'interdit, Innocent III, avait lui-même aidé à l'élévation du prince devant lequel la papauté allait être réduite à fuir de Rome et de l'Italie. Il n'avait pas méconnu le péril dent la maison des Hohenstaufen menaçait le Saint-Siège et l'Italie elle même, depuis que Henri VI, ayant épousé l'héritière de la Sicile, avait pris possession de l'héritage. Si la couronne impériale restait avec la couronne de Sicile dans cette maison, la papauté, menacée par le Nord et par le Midi, était hors d'état de résister, et c'en était fait de toute indépendance nationale en Italie. Aussi avait-il cherché par tout moyen à rompre cette union des deux pays sons la même main. S'il acceptait les Hohenstaufen d'un côté, il les repoussait de l'autre. Il avait reconnu pour roi de Sicile le jeune Frédéric, fils de Henri VI, confié à sa tutelle, et d'autre part il avait opposé, en Allemagne, Othon de Brunswick à Philippe de Souabe, frère du même empereur. Il avait réussi. Mais Othon IV, couronné empereur, avait oublié ses promesses. A toutes les positions prises on revendiquées par l'Empire dans l'Italie du Nord, il voulait joindre Naples et la Sicile ; il s'était établi en maître dans la Campanie (1211). Innocent III, menacé du péril qu'il voulait éviter, revint aux Hohenstaufen. Il frappa Othon d'excommunication et appela, les Allemands à reconnaître les droits que Frédéric tenait de sa naissance, les droits qu'il tenait d'eux-mêmes : car Henri VI avait fait nommer Frédéric roi des Romains presque au berceau. Le pape, il est vrai, n'appuyait pas le prince dans cette lutte pour l'Empire, sans lui avoir fait prendre l'engagement de céder, quand il serait empereur, le royaume de Sicile à son fils. Mais il mourut (1216) au moment où il voyait sa cause triompher en Allemagne, et Frédéric, vainqueur, se regarda comme affranchi de ses obligations.

La papauté se trouvait donc dans cette situation périlleuse enveloppée de tout côté par la domination d'un prince qui venait bien recevoir du pape la couronne impériale, mais qui aussi prétendait retenir sain Rome un droit plus ou moins explicite de souveraineté comme héritier des Césars. Une seule espérance restait au Saint-Siège : c'est que Frédéric, ayant pacifié l'Allemagne et ne trouvant plus de résistance en Italie, fit servir cette grande puissance à la défense de la chrétienté en Orient. Or, les circonstances étaient alors fort pressantes. Sur ce point aussi, il n'est pas inutile de reprendre les choses d'un peu plus haut : l'état des chrétiens en Orient, en regard des puissances musulmanes, et les rapports de la papauté avec l'Empire, sont les deux grandes questions que saint Louis allait rencontrer ; pour l'une comme pour l'autre, il importe de savoir nettement où elles en étaient arrivées, quand il les aborda.

 

III. — Les Croisades de 1217 et de 1228. - Honorius III, Grégoire IX et Frédéric II.

Je n'ai pas besoin d'apprendre à quoi les conquêtes de Saladin (Salâh-ed-Dîn[22]), avaient réduit les possessions chrétiennes en Palestine et en Syrie. Les chrétiens avaient gardé Antioche, Tripoli, Tyr ; ils avaient repris Saint-Jean-d'Acre et plus tard Joppé ou Jaffa, Ascalon et quelques autres places laissées en ruine par les vainqueurs. Mais Jérusalem et tout le reste du pays étaient demeurés à Saladin. La division de l'empire de Saladin entre ses fils n'avait guère profité aux chrétiens, trop divisés eux-mêmes. Les chrétiens avaient bien repris encore Sidon, Laodicée, Giblet, Béryte ou Baïrouth (1197), c'est-à-dire les principales positions du rivage ; mais l'empire de Saladin s'était reconstitué sous son frère Malec-Adel[23] (le prince Équitable), qui réunit la Syrie et l'Égypte (1200). Suivant le mode féodal que Saladin avait adopté, Malec-Adel avait établi par avance ses fils dans les royaumes qu'il leur destinait : Malec-Camel (le prince Parfait) en Égypte, Malec-Moaddem (le prince Illustre) à Damas, Malec-Achref (le prince Très-Noble) à Khélat dans la Grande-Arménie. L'Empire musulman était donc à la veille d'être encore divisé quand l'armée de la croisade provoquée par Innocent III, au concile de Latran, partit enfin (1217), comme pour accomplir le dernier vœu du pontife mort l'année précédente.

Le roi de Hongrie André II, Jean de Brienne, roi de Jérusalem au nom de sa fille Isabelle, et le roi de Chypre, avaient débarqué à Saint-Jean-d'Acre, et, après une campagne infructueuse aux environs, le roi de Hongrie était reparti, les autres s'étaient dirigés vers l'Égypte, afin de frapper au cœur la puissance qui avait pris et qui occupait Jérusalem. Damiette fut assiégée. Malec-Adel, qui était resté en Syrie, dans la pensée que cette tentative des croisés n'était qu'une impuissante diversion, mourut de douleur, dit-on, en apprenant qu'il était trop tard pour sauver la ville (1218) : elle succomba (1219).

La chute de Damiette fit une vive impression sur les musulmans. Pour la ravoir, le nouveau sultan Malec-Camel offrait aux chrétiens de leur rendre Jérusalem. Les croisés n'avaient pas accepté : le légat Pélage voulait qu'on allât au Caire, pensant que rien ne serait sûr tant que cet empire serait debout. Ce refus montrait aux musulmans la nécessité de s'unir pour résister. Malec-Camel demanda et obtint le concours de ses deux frères. Les chrétiens n'avaient pas besoin de moins de renforts pour soutenir leur défi. Ils en attendaient de Frédéric. Frédéric, en effet, venait. d'être couronné empereur par Honorius III (22 novembre 1220) ; il avait renouvelé le vœu qu'il avait fait déjà en 1215, d'aller à la. croisade, et reçu la croix des mains de l'évêque d'Ostie, qui fut Grégoire IX. Mais il ne se. pressa pas davantage, et le légat, se lassant de l'attendre, fit marcher l'armée sur le Caire.

Le sultan s'apprêtait à le recevoir derrière le canal d'Achmoun. Ce fut pour s'y loger qu'il y bâtit la ville de Mansouna, nom destiné à une funèbre renommée dans une prochaine croisade. L'armée chrétienne, surprise par les débordements du Nil, eut le sort que nous verrons plus tard à la croisade de saint Louis. Quand l'amiral qui amenait la flotte sicilienne arriva. à Damiette, il apprit que les chrétiens étaient enveloppés par les musulmans au milieu du Delta ; et dès qu'il fut entré dans le Nil, il rencontra les commissaires qui venaient faire livrer Damiette pour la rançon. de la vie et de la liberté des croisés.

La. perte de. Damiette fut imputée à Frédéric. Mais lui seul encore était capable de réparer le mal qu'on l'accusait d'avoir laissé faire. Il se lia par de nouveaux, serments-aux conférences de Véroli (avril 1222) et surtout à celle de. Ferentino (mars 1223) ; là il prit jour pour partir et pour épouser[24] Isabelle, fille de Jean de Brienne et héritière de Jérusalem[25]. Ce second point était comme la garantie du premier : c'était le royaume de sa femme que Frédéric aurait à reconquérir. Le terme en fut marqué au mois de juin 1225. Mais en attendant, l'empereur semblait n'avoir d'autre pensée que d'affermir sa domination, surtout dans les pays qu'il avait spécialement promis de céder à son fils en recevant la couronne impériale.

Si le pape lui rappelait son vœu, il répondait qu'il avait à combattre les Sarrasins établis en Sicile ; que c'était aussi une guerre sainte : et après les avoir vaincus, il les transportait, non eu Afrique, mais. en Italie. Il les fixait à Luxera, et s'y faisait lui-même une demeure, venant vivre avec eux, un peu trop. à leur manière, et se ménageant ainsi, aux frontières du territoire romain, une troupe qu'il pouvait lancer au besoin sur les terres de l'Église, sans craindre qu'elle se laissât arrêter par l'excommunication[26].

Le pape avait donc plus que jamais raison de s'alarmer. Les villes libres d'Italie n'étaient pas moins- inquiètes elles-mêmes pour leur indépendance. La ligue des villes lombardes se reforma (mars 1226) ; menacée par l'empereur, elle. sut arrêter dans les Alpes les troupes que le jeune Henri (fils de Frédéric), nommé roi des Romains, c'est-à-dire héritier de l'Empire comme de la Sicile, amenait d'Allemagne à son père ; et malgré ces débuts, la lutte aurait été alors fatale aux villes italiennes, sans l'intervention du pape Honorius, qui réussit à la suspendre avant de mourir (commencement de 1227). Mais le péril n'était qu'ajourné si l'on ne détournait ailleurs l'ambition de Frédéric[27]. Frédéric se laisserait-il détourner ? Au terme fixé pour son départ, il avait sollicité et obtenu un nouveau délai de deux ans, promettant d'aller de sa personne en Palestine, sous peine d'excommunication s'il y manquait ; et, sans plus attendre, il avait accompli une des deux choses qu'il avait promises. Il avait envoyé l'archevêque de Padoue, avec une flotte de quatorze vaisseaux, à Saint-Jean-d'Acre, et là l'archevêque (le choix du fondé de pouvoir était étrange), épousa par procuration la jeune Isabelle, au nom de l'empereur. Un peu après, la fiancée, ramenée en Italie, débarquait à Brindes, où le mariage fut célébré (9 novembre 1225), et dès ce moment, Frédéric prit le titre de roi de Jérusalem, que Jean de Brienne s'était peut-être flatté de retenir. Dès ce moment aussi, il parut s'intéresser davantage aux affaires de Palestine. Il y envoya un de ses officiers, pour prendre possession du pays en son nom, et lui-même se préparait à son expédition. Il invitait plusieurs princes d'Allemagne à l'accompagner, il levait des troupes, rassemblait des vaisseaux. Il ne se pressait pas pourtant de partir, et l'ancien évêque d'Ostie, devenu pape sous le nom de Grégoire IX, commençait à suspecter fort ses intentions.

Frédéric, habitué comme roi de Sicile à traiter avec les musulmans, était entré en communication avec le sultan d'Égypte. Malec-Camel, menacé par son frère Malec-Moaddem, sultan de Damas, était disposé à acheter le concours de l'empereur des Francs : Jérusalem et la Palestine, qui appartenaient alors au sultan de Damas, devaient être le prix de ce concours. L'affaire était pendante : Frédéric eût voulu un engagement formel avant de partir. Mais en attendant ses troupes dépérissaient à Brindes, décimées par une maladie pestilentielle. Pressé par le pape, il partit pourtant. Mais au bout de huit jours, atteint lui-même par la maladie, il débarquait à Otrante, alléguant qu'il ne pouvait supporter le voyage. Ce retour si hâtif après un départ si longtemps différé, parut justifier toutes les défiances de Grégoire IX. La maladie était-elle feinte ? Non ; seulement, on a jugé avec assez de raison que toute réelle qu'elle fût, elle n'était qu'un prétexte, ou que du moins Frédéric la voulut mettre à profit pour attendre l'issue de ses négociations. Mais le pape n'y vit que de la mauvaise foi, et appliquant à l'empereur la peine qu'il avait acceptée par avance, il l'excommunia (17 novembre 1227)[28].

Cette sentence ôtait à Frédéric les pouvoirs dont il avait paru si peu pressé de se servir. Un prince excommunié pouvait-il conduire la guerre sainte ? Mais voici qu'au moment où l'empereur n'était que trop autorisé à rester, les circonstances le pressaient de partir.

Le sultan de Damas, qui menaçait l'Égypte, était mort, laissant un fils enfant, Malec-Nacer-Dawoud[29]. Malec-Camel n'avait plus besoin de Frédéric. Loin de rien craindre pour l'Égypte, il menaçait Damas à son tour : uni à son autre frère Malec-Achref, il songeait à enlever ce royaume à son neveu, et, pour commencer, il prenait possession de la Palestine[30].

Frédéric avait intérêt à se trouver sur les lieux pour réclamer le prix des négociations entamées, ou s'en adjuger le profit par la force, à la faveur de cette guerre civile. Il réunit donc une cour plénière à Barletta, où il annonça son prochain départ, et il pria le pape de bénir l'entreprise. Mais le pape ne s'en fiait plus à lui. il lui intima d'y renoncer : c'est le moment que Frédéric prit pour partir (28 juin 1228)[31].

Voilà quel fut le commencement de cette longue querelle : querelle où le pape semble agir contre toute raison. Il excommunie Frédéric parce qu'il ne part pas et lui ordonne de Tester quand il part. Mais il faut tenir compte de toutes les défiances légitimes que l'empereur, par toute sa conduite antérieure, lui inspirait faut se (rappeler la situation fausse et périlleuse du Saint-Siège et des villes italiennes depuis que Frédéric, contre la foi jurée, avait pris une position si menaçante aux deux extrémités de l'Italie ; et Frédéric emmenait une partie de ses Sarrasins de Lucera à la guerre sainte La conduite de l'empereur en Palestine accrut encore les appréhensions de la papauté.

Frédéric y avait d'abord été reçu avec joie, mais bientôt les émissaires du pape, en le signalant comme un excommunié, jetèrent le trouble parmi ceux qui l'avaient le mieux accueilli. Dans cette situation, il lui était presque aussi difficile de négocier avec fruit que de combattre avec avantage, et Malec-Camel le savait bien. L'habile sultan l'eût donc volontiers éconduit, répondant à ses ambassadeurs par des ambassadeurs, et se bornant à un échange de compliments et de présents ; mais un échec qu'il essuya devant Damas, et la résolution du jeune Dawoud, qui marchait déjà vers la Palestine, lui fit craindre de se trouver entre deux ennemis : il traita donc avec Frédéric (18 février 1229). Par ce traité le sultan renflait aux Chrétiens Jérusalem, Bethléem et Nazareth, avec les villages situés entre à ville sainte et les deux ports principaux des Francas, Joppé (Jaffa) et Saint-Jean-d'Acre. On stipulait en outre une trêve de dix ans, pendant laquelle les chrétiens pourraient travailler à relever leurs murailles, excepté celles de Jérusalem où les musulmans gardaient le droit de célébrer leur culte dans la mosquée d'Omar[32].

Ce traité, fort mal accueilli des musulmans, ne le fut guère mieux des chrétiens. Quelques-uns l'approuvèrent, sans doute en raison de la restitution des lieux saints ; les autres l'incriminaient comme un pacte avec les infidèles. C'est au milieu de ce conflit d'opinions que Frédéric fit son entrée à Jérusalem (17 mars 1229). Le lendemain il vint dans l'église du Saint-Sépulcre, et comme nul prêtre ne pouvait procéder à sa consécration, il prit lui-même la couronne sur l'autel et se la posa sur la tête, respectant pour tout le reste la puissance qui l'avait excommunié ; mais cela ne désarma personne. De Jérusalem il vint à Saint-Jean-d'Acre, où il ne fut pas mieux reçu. Des rixes même allaient éclater à son sujet. Une lutte plus sérieuse était engagée à ses dépens en Italie. C'est ce qui hâta son départ[33].

Les voix qui en Orient incriminaient Frédéric étaient celles qui avaient eu le plus d'écho à Borne. On ne se demandait pas si, en combattant, il aurait pu obtenir davantage et si la restitution de Jérusalem, de Bethléem, de Nazareth, si la trêve de dix ans qu'il faisait accorder aux chrétiens, avec la faculté de relever les murs de leurs places principales, n'était pas ce qu'ils pouvaient souhaiter de mieux dans le temps présent. On n'y voyait qu'un pacte entre deux sortes d'infidèles ; et une chose rendait plus odieuse encore leur bonne intelligence : si les chrétiens recouvraient le Saint Sépulcre, les musulmans gardaient la mosquée d'Omar.

Il faut donc rendre à Frédéric cette justice que l'eût-il voulu, dans la situation où on l'avait mis, il ne pouvait faire davantage. Mais il faut comprendre aussi comment le pape, surpris de cette façon d'agir et voyant, plus que jamais, dans Frédéric un ennemi de l'Église, songea dès lors à profiter de cette absence pour lui ôter en Italie une position qu'il n'avait gardée que contre la foi du serment.

Cette lutte ne fut pas longue. Les troupes pontificales étaient entrées dans le royaume de Naples sous la conduite de Jean de Brienne, l'ancien roi de Jérusalem. Quand Frédéric prenait sa place en Palestine, il lui eût volontiers succédé lui-même en Italie et dans l'empire. Frédéric revint en toute hâte (1er mai-10 juin 1229), reprit possession de son royaume, et ne voulant pas pousser les choses plus loin, entra en négociation. Le pape lui pardonna, et moyennant l'amnistie promise aux villes lombardes, lui reconnut toutes ses possessions en Italie (23 juillet 1230)[34]. Le bon accord parut entièrement rétabli entre les deux puissances. Frédéric soutenait le pape contre une insurrection des Romains ; et le pape aidait Frédéric à maintenir dans le devoir son fils Henri, qui depuis quelques années nourrissait la pensée de te rendre indépendant en Allemagne (1232)[35] ; mais les partis en Italie n'avaient pas désarmé.

 

IV. — Les Tartares. - Constantinople et la Terre Sainte. - Nouvelle excommunication de Frédéric II (1239).

Il était bien important que cette paix s'affermit au sein de la chrétienté ; car, en Orient, le péril était extrême.

Les croisades avaient donné aux chrétiens deux grandes positions en Orient ; la Syrie et la Palestine d'une part, et de l'autre Constantinople (1204). Mais on a vu à quoi leurs possessions en Palestine et en Syrie se trouvaient réduites ; et l'empire de Constantinople était lui-même fort compromis entre les Bulgares, anciens ennemis de l'Empire, et les princes grecs, tout disposés à faire alliance avec eux pour reconquérir leur capitale. Ce n'est pas tout. Au delà de Constantinople et de la Palestine, au fond de l'Orient, apparaissait un peuple qui menaçait de ruiner en même temps et musulmans et chrétiens, les Tartares de Genghis-Khan (1205-1227)[36].

Rien n'échappait à ces hordes redoutables ; c'était une trombe qui promenait le ravage sur toute la-sur face de la terre. La Chine fut d'abord visitée et saccagée (1210-1214) ; puis, au retour, l'empire des Karismiens, qui s'étendait de l'Indus à l'Iaxarte (1217-1224), puis les régions voisines de la Caspienne et les plaines de la Russie ; et la mort de Genghis (1227) ne ralentit pas la marche du torrent dévastateur. Il semblait qu'avec ses fils il ne se fût divisé que pour se répandre davantage.

Leurs traits, leur manière de vivre rappelaient îles anciens compagnons d'Attila tête énorme, corps à peine dégrossi, toujours à cheval et infatigables[37] ; mais jamais Attila lui-même n'avait tant effrayé le monde. La terreur était partout en même temps. Les Sarrasins d'Asie envoyaient une ambassade aux rois de France et d'Angleterre pour les prier de se joindre à eux contre l'ennemi commun. Le Vieux de la Montagne, en particulier, qui naguère avait eu la pensée de faire assassiner saint Louis, implorait son secours contre les Tartares, et en ce moment même l'effroi de leur nom avait gagné jusqu'aux extrémités de l'Europe. En 4238 les pêcheurs de Gothie et de Frise n'osaient aller, selon leur habitude, pêcher le hareng sur les côtes de l'Angleterre, de peur d'abandonner leurs familles aux Tartares[38].

Sous la menace de cette invasion, qui d'un jour à l'autre pouvait fondre tout à coup sur l'Europe, il n'en fallait pas moins pourvoir aux besoins des postes les plus avancés, et la croisade avait été, en quelque sorte perpétuelle, comme l'était le péril.

Grégoire IX, dans une assemblée tenue à Spolète en 1232, avait déjà insisté pour qu'on songeât aux besoins de la Terre Sainte. Mais l'Italie était bien troublée : Guelfes et Gibelins restaient en présence, malgré l'accord du pape et de l'empereur ; il fallait avant tout apaiser ces querelles, et c'est dans ces circonstances qu'un dominicain fameux, Jean de Vicence, s'en allait par les villes du nord de l'Italie, prêchant sur ce texte : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. Les populations, rassemblées en foule pour l'entendre, juraient la paix[39], et les querelles ne cessaient pas. En 1235 la croisade fut prêchée en France, en Angleterre et en Allemagne. Le roi de Navarre, comte de Champagne, le duc de Bourgogne, puis l'ancien comte de Bretagne, Pierre Mauclerc, et longtemps avant eux le comte de Toulouse, s'étaient obligés au voyage ; aucun d'eux n'était parti encore et l'on se demandait ou aller de préférence : à Jérusalem ou à Constantinople ? Jérusalem avait naturellement le plus d'attrait, mais la trêve conclue par Frédéric durait encore ; et Constantinople était dans la situation la plus critique.

Jean de Brienne, pris pour empereur pendant la jeunesse de Baudoin, son gendre, héritier naturel du trône et qui lui devait succéder, avait sauvé la ville de la double attaque des Grecs de Thessalonique et des Bulgares ; mais sa mort (1237) avait tout remis en question, et l'on pouvait juger de la détresse de cet empire quand on voyait celui qui en devenait le chef, le jeune Baudoin, parcourir l'Europe en quête de secours, donnant ou engageant, pour obtenir de l'argent, ce qu'il estimait le plus -Précieux trésor et comme la sauvegarde de l'empire, la sainte couronne d'épines. Elle avait été livrée aux Vénitiens comme garantie d'une somme assez considérable[40]. L'empereur, dans son voyage en France, la donna à saint Louis, à la charge de la dégager. La sainte couronne, transportée de Constantinople à Venise, fut rapportée en France, où le roi la reçut avec des honneurs. extraordinaires. De Sens où il était, il vint à sa rencontre jusqu'à Villeneuve-l'Archevêque (à cinq lieues de là), avec l'archevêque de Sens, Gautier Cornu, qui en fit la relation, Bernard, évêque du Puy, et ce qu'il avait de barons et de chevaliers autour de lui. Il la rapporta processionnellement dans la ville (11 août 1239), au milieu d'un grand concours de peuple : lui-même et son frère Robert, pieds nus et vêtus d'une simple cotte, portaient sur leurs épaules la châsse où l'insigne relique était renfermée. Le lendemain, le roi prenait le chemin de Paris. Pour satisfaire au pieux empressement de la population, la sainte couronne fut d'abord exposée sur une estrade que l'on éleva dans la plaine ; hors des murs, près de l'église Saint-Antoine. Les prélats, le clergé des églises l'entouraient en grande pompe, ayant pris avec eux pour lui faire honneur les reliques des saints qu'ils possédaient, et la châsse sacrée était offerte à la vénération des fidèles. Après cette exhibition solennelle, le vendredi qui suivit l'Assomption, le roi et son frère la reprirent pour l'introduire dans Paris, contrastant ici encore, par leur humble appareil, avec les splendeurs déployées à l'entour ; et ils vinrent ainsi, avec un nombreux cortège de prélats, de clercs, de moines, de chevaliers, nu-pieds comme eux, jusque dans Notre-Dame, où des actions de grâces furent rendues à Dieu et à sa sainte mère. Puis ils emportèrent leur précieux trésor au palais, où ils le déposèrent dans la chapelle Saint-Nicolas qui ne tarda pas à faire place à la Sainte-Chapelle[41].

Le souverain pontife, que sa paix avec Frédéric laissait libre alors d'aviser à la défense de la chrétienté, insistait surtout pour que l'on se rendît à l'appel du jeune empereur[42]. Il comprenait qu'il y aurait avantage à porter sur un seul point tous les efforts ; et celui-là était sans le moindre doute le plus important. Si, pour prix des croisades, Constantinople fût restée aux Latins, peut-être alors son union étroite avec les peuples d'Occident aurait elle suffi à la défendre de l'invasion des Turcs ; et quelles suites incalculables pour les destinées du monde ! L'histoire des temps modernes, des temps présents, des temps à venir, en serait complètement changée.

Grégoire IX ne pressentait pas ces périls lointains et ces conséquences. Mais le danger présent parlait assez haut : qu'il s'agît de se défendre ou d'attaquer, Constantinople était, en face de l'Asie, la tête de l'Europe. C'est à Constantinople qu'il fallait courir. Le vieux pontife appuyait donc les efforts de Baudoin. Le jeune empereur, d'origine française, avait trouvé en France une vive sympathie. Saint Louis lui donna de l'argent et lui trouva des hommes, des capitaines[43]. Plusieurs des principaux seigneurs croisés se montraient disposés à le suivre. Pierre Mauclerc devait mettre à son service dix mille hommes et deux mille chevaux. Henri, comte de Bar, Hugues, duc de Bourgogne, les comtes de Soissons et de Mâcon et grand nombre de seigneurs devaient prendre part à cette croisade[44]. Le pape, malgré le peu de confiance du clergé en Mauclerc, s'apprêtait, vu son habileté militaire et le nombre de ses troupes, à le déclarer chef de l'expédition[45]. Il avait donné ordre à son légat de lever enfin l'excommunication qui pesait depuis si longtemps sur le comte de Toulouse[46]. C'était un renfort de plus pour la croisade, car Raimond promettait de partir avec la plus prochaine expédition pour demeurer pendant trois années en Orient. Saint Louis, qui s'était fait le négociateur de cette réconciliation, demeurait garant de la promesse[47]. Enfin, pour assurer plus de facilité au départ des barons de France et d'Angleterre, le pape faisait prolonger pour cinq ans la trêve entre les deux pays[48]. En même temps, il recourait aux richesses de l'Église. Il écrivait à saint Louis, afin qu'il obtint des prélats de son royaume la levée d'un 30e des biens ecclésiastiques, pendant trois ans, pour les besoins de Constantinople et de la Terre Sainte[49].

La Terre Sainte était nommée, car c'est en vue de sa défense que l'on avait occupé, que l'on gardait Constantinople, et on ne pouvait l'omettre quand il était question de croisade. Mais c'était à Constantinople que le pontife songeait surtout ; et c'était à sa défense qu'il faisait servir l'argent 'même qu'il avait recueilli pour la croisade, sans que cette ville fût désignée. Il était cependant difficile de détourner entièrement vers Constantinople le courant qui se portait plus naturellement vers la Palestine. Ceux qui avaient fait vœu de visiter les lieux saints ne pouvaient pas en croire dégagés par cette campagne, ou ne voulaient pas de la commutation que le pape en offrait. Plusieurs des plus considérables tenaient à suivre les errements de leurs prédécesseurs (le roi de Navarre, par exemple, était de ce sentiment), et ils se plaignaient vivement au pape d'une manière d'agir qui devait diminuer la force de leur expédition. Les chrétiens de Palestine étaient bien plus excusables de ne pas goûter une politique qui, dût-elle sauver Constantinople, était un abandon à leur égard. Ils sollicitaient des secours et ils montraient le moment favorable ; les querelles intérieures des musulmans étaient, disaient-ils, le gage d'un entier succès pour l'expédition.

Il fallut donc diviser les secours. Baudoin partit, emmenant à Constantinople une armée que l'on porte à soixante mille hommes, mais qu'il avait surtout formée par recrutement. Le roi de Navarre et plusieurs de ceux qui avaient paru d'abord disposés à suivre Baudoin, comme Pierre Mauclerc et le duc de Bourgogne, se résolurent à passer en Palestine. Pierre Mauclerc engagea pour cela son château de Chantoceaux à saint Louis, à la condition qu'il le lui rendrait un an après son retour. Jean, son frère, vendit au roi le comté de Mâcon qui resta à la couronne[50]. Saint Louis, du reste, n'entendait pas seulement gagner ainsi à la croisade. N'y allant pas, il s'y 'fit représenter, et voulut que son connétable Amaury de Montfort y partit en son nom ; il lui donna de l'argent et lui fit prendre ses armes. L'empereur promettait davantage il faisait espérer qu'il S'y rendrait 'lui-même, et comme on lui offrait le commandement, il ne refusa pas, et disait hautement que s'il n'y allait lui-même, il y enverrait son fils. Mais des difficultés s'élevaient encore sur le moment du départ. Grégoire IX tâchait de l'ajourner, préoccupé des besoins de Constantinople qu'il jugeait plus pressants, et Frédéric lui-même demandait qu'on attendit l'expiration de la trêve qu'il avait conclue avec les Sarrasins : elle finissait à la Saint-Jean ; il s'engageait à ne requérir aucun autre délai et à donner toute assistance pour le voyage. Les croisés acceptèrent ce terme, et le pape aussi l'agréa. La Saint-Jean fut donc annoncée partout comme le jour où l'on devait être réuni. Le roi de Navarre, le duc de Bourgogne et les autres firent serment qu'ils seraient prêts, et Richard d'Angleterre promit de son côté de les rejoindre avec six cents cavaliers[51]. — Mais avant le terme marqué, le pape avait rompu irrévocablement avec l'empereur.

C'est encore l'Italie qui en était la cause. Les Guelfes qui avaient formé, en 1226, la ligue lombarde contre l'empereur, avaient trouvé un allié dans le jeune Henri qui, en Allemagne, voulait se faire indépendant de son père (17 décembre 1234). Mais le fils rebelle, abandonné de ses partisans, était tombé aux mains de Frédéric, et l'empereur victorieux, sans combat, en Allemagne, était revenu en Italie. Il avait gagné sur les Milanais la bataille décisive de Corte-Nuova, et il déclarait qu'il ne traiterait avec eux qu'au prix de la dissolution de la ligue et de la révocation du traité de Constance, c'est-à-dire au prix des libertés italiennes que le Saint-Siège avait fait reconnaître par Frédéric Barberousse. Grégoire IX, qui avait fait tous ses efforts pour prévenir la lutte, s'y trouva par là entraîné. Provoqué par l'empereur, qui, ne ménageant plus rien, avait donné, contrairement aux droits ou aux prétentions du Saint-Siège, le royaume de Sardaigne à son fils naturel Enzio, il lança contre lui une nouvelle excommunication (20 mars 1239)[52].

Ainsi les deux puissances qui devaient s'unir pour faire la croisade, se tournaient l'une contre l'autre, et loin de soutenir ceux qu'elles avaient lancés dans cette entreprise, elles ne songeaient plus qu'à les en détourner au profit d'autres intérêts. Arrivés à Lyon, les croisés y trouvèrent un légat qui leur enjoignit de suspendre leur marche, et de retourner chacun chez soi. Ils y reçurent d'autre part des lettres de l'empereur qui, s'excusant de ne les pouvoir accompagner, les invitait à ajourner leur voyage ; il promettait encore de se mettre à leur tête, ou de leur envoyer son fils Conrad, roi de Jérusalem, quand il aurait pacifié l'Italie et désarmé la colère du pape.

Ce double message jeta le trouble dans le conseil des croisés, et l'ébranlement se communiqua à leur armée tout entière. Plusieurs s'en allèrent, ne de mandant pas mieux que de retourner chez soi ; mais la plupart persévérèrent, nonobstant injonction ou avis, dans la résolution qu'ils avaient prise. Quelques-uns passèrent par l'Italie, et Frédéric ne les arrêta point. Les autres, et parmi eux le roi de Navarre, chef de l'expédition, le duc de Bourgogne, l'ancien comte de Bretagne Pierre Mauclerc, et le comte de Montfort, allèrent s'embarquer à Marseille.

L'entreprise échoua. Les chrétiens de Palestine n'avaient pourtant pas trompé leurs frères d'Europe. Les circonstances étaient favorables. Un rapide exposé de la situation du pays permettra d'en juger.

On se rappelle l'état des puissances musulmanes voisines de la Palestine au moment où Frédéric en était parti. Les deux frères Malec-Camel et Malec-Achref, ligués contre leur neveu Dawoud, avaient, à la suite du traité conclu avec Frédéric, réussi à le chasser de Damas. Dawoud dut se réduire à Carac ; Damas appartint à Malec-Achref, et à sa mort passa à un autre frère, Malec-Saleh-Ismaïl. Mais Malec-Camel en chassa Ismaïl, qui dut se contenter de Baalbec, et ainsi l'Égypte et Damas se retrouvèrent encore unies sous la même loi (1237-1238). Ce ne fut pas pour longtemps. Malec-Camel mourut (mars 1238) ; un de ses fils, Malec-Adel-Abou-Becr était déjà son lieutenant au Caire : il fut reconnu pour sultan en Égypte ; un autre Malec-Saleh-Nedjm-ed-Din[53] (Ayoub) occupait Fiumi, Édesse et quelques villes de la Mésopotamie : c'était peu de chose auprès de la. part de son frère ; mais il s'empara de Damas, et dès lors il était en mesure de lutter. Il ne fallait qu'une occasion et elle ne se fit pas attendre. Appelé par des émirs mécontents de Malec-Adel, il marchait sur l'Égypte quand une diversion d'Ismaïl qui rentra dans Damas et une agression subite du Dawoud, qui le fit prisonnier, suspendit : brusquement le cours de sa fortune (fin de 1239, commencement de 1240)[54].

La guerre venait de commencer entre les deux frères Adel-Abou-Becr et Saleh-Ayoub quand les croisés débarquèrent en Palestine, et leur eût été facile. d'eu profiter. Malheureusement eux-mêmes, cette fois encore, n'étaient guère plus unis.. Chacun voulait faire la guerre à sa mode : Pierre Mandera ayant tenté avec bonheur un coup hardi du côté de Damas, les comtes de Bar et de Montfort en voulurent faire autant, à l'insu des autres, sur un autre point. Ils furent surpris et battus, près de Gaza, par les troupes du sultan de Babylone, c'est-à-dire du Caire[55] : le premier, blessé à mort ; le second, le représentant de saint Louis, fait prisonnier[56]. C'est contre le vœu des chrétiens de Palestine que cette campagne avait été engagée. Ils en devaient subir les conséquences. A la nouvelle de leur défaite, le prince de Carac, Dawoud, qui venait de faire Saleh-Ayoub prisonnier, se jeta sur Jérusalem, en massacra les habitants et rasa les murs, qui venaient d'être en partie relevés. Il ruina la citadelle, dit Aboulféda, ainsi que la tour de David, édifice qu'on avait toujours épargné, dans les temps précédents, chaque fois qu'on livrait la ville à la destruction[57].

Mais les chrétiens de Palestine eux-mêmes, qui devaient si bien sentir la nécessité de l'union, ne la pratiquaient pas davantage. Les Hospitaliers, on l'a vu, étaient jaloux des Templiers, et dans cette rivalité, les uns prenaient volontiers le contre-pied de ce que faisaient les autres.

Saleh-Ayoub, pris, comme on l'a vu, par son cousin Dawoud, prince de Carac, l'avait séduit par ses promesses, par ses serments ; et, remis en liberté, il s'était remis avec lui en campagne contre son frère Adel-Abou-Becr. Ce dernier avait naturellement pour allié son oncle Ismaïl, qui avait enlevé Damas à Saleh-Ayoub. Mais, trahi par une troupe de mamlouks, anciens soldats de Malec-Achref, il fut livré à Saleh-Ayoub (31 mai 1240), qui se rendit au Caire, où dès lors il se rallia tout le monde[58]. Saleh-Ayoub avait donc gagné l'Égypte, mais il avait perdu Damas, qui restait au pouvoir d'Ismaïl ; et ainsi la rivalité subsistait entre les deux États musulmans. Les Templiers et les Hospitaliers ne surent mieux faire que de se diviser entre leurs deux ennemis. Les Templiers tenaient pour Damas, les Hospitaliers pour l'Égypte. Les princes chrétiens, sous l'influence des Templiers, accueillirent les propositions du prince de Damas, qui leur offrait la restitution de Jérusalem pour prix de leur concours contre les Égyptiens ; mais cette alliance des princes était mal vue des peuples musulmans. Les chrétiens, abandonnés dans la bataille par les troupes syriennes, furent vaincus près d'Ascalon (1240) ; Ismaïl regagna presque seul Damas[59]. Quant aux chrétiens, ils se trouvaient par là ramenés dans la direction des Hospitaliers. Richard de Cornouailles, qui arrivait vers ce temps-là (octobre 1240), venait trop tard pour profiter de l'impression que son nom, rappelant celui de Richard Cœur de Lion, son oncle, faisait encore sur les infidèles. Il ne put que prêter plus de force aux négociations avec le vainqueur. Les chrétiens obtinrent d'ailleurs de l'Égypte, après leur défaite, plus peut-être que ne leur avait offert le prince de Damas. C'était le renouvellement de la trêve de 1229, avec toutes les places qui avaient été restituées alors à Frédéric[60] ; en outre, le sultan mettait en liberté les prisonniers qui étaient tombés entre ses mains (1241)[61].

Ce fut tout le résultat de la croisade, et cela étant, mieux eût valu n'y point aller : car un grand nombre n'en revinrent pas. Le comte Amaury de Montfort lui-même, quittant la Palestine après sa mise en liberté, mourut avant de regagner le rivage de la France (1241)[62].

 

V. — Dernière lutte de Grégoire IX et de Frédéric II. - Intervention de saint Louis.

Frédéric n'avait rien fait pour aider au succès de la croisade. On l'accuse même d'avoir travaillé à la faire échouer[63] ; mais cette accusation parait sans fondement, et l'inaction qu'on lui pourrait reprocher a son excuse. Comment eût-il songé à la croisade. d'outre-mer, quand le pape prêchait ouvertement une croisade contre lui ? Ce n'est pas seulement en Italie que la lutte semblait devoir s'engager. Le pape demandait aux différents pays de la chrétienté des hommes et de l'argent contre l'excommunié. Il envoyait un légat et écrivait en ce sens à saint Louis, exaltant à cette fin la piété du roi de France (21 octobre 1239). Il écrivait le même jour à la reine Blanche pour qu'elle aidât auprès de son fils au succès de la mission de son légat[64]. Le légat chargé d'agir en vertu de ce message ne passa point en France aussi facilement que la lettre. Il n'y arriva qu'en 1240, en se cachant de l'empereur qui l'eût voulu arrêter.

Quelle devait être la conduite de la France, quelles allaient être les résolutions de saint Louis dans une circonstance d'une telle gravité ?

La France ne pouvait pas rester indifférente au débat. Elle avait des rapports trop étroits avec le Saint-Siège, et une autre raison pouvait la tourner contre l'empire. L'empereur se prétendait toujours le souverain de tous les pays situés à l'est de la Meuse, de la Saône et du Rhône[65]. En prenant le parti de Grégoire IX, saint Louis faisait triompher la papauté et il pouvait chasser de nos frontières cette ombre de suzeraineté impériale qui, si vague qu'elle fût, suffisait pour retrancher de sa domination une partie considérable de la France. Mais saint Louis ne se dirigeait pas d'après les seuls motifs d'intérêt. La perspective la plus assurée d'une conquête n'était pas capable de le pousser à entreprendre sur le droit d'autrui ; et s'il avait une vénération filiale pour le pape, elle n'allait pas jusqu'à lui faire appuyer des prétentions que sa conscience n'aurait pas avouées.

Si, d'ailleurs, il y avait conflit possible dans l'avenir entre la France et l'Empire, il n'y avait eu jusque-là entre la race de saint Louis et celle de Frédéric II que des rapports de bonne amitié[66].

Philippe Auguste n'avait pas attendu qu'Innocent III revînt à la maison de Hohenstaufen pour la soutenir contre ses adversaires en Allemagne. Il avait appuyé Philippe de Souabe avant d'appuyer Frédéric II contre Othon.. Il avait pris en main la cause de Frédéric 'et travaillé à le faire reconnaître en Allemagne (1212) avant de vaincre son adversaire dans les plaines de Bouvines (1214) et après le triomphe de Frédéric, les deux couronnes avaient continué de rester en bonne intelligence. Louis VIII, nous l'avons vu, attaquant les Anglais en France, avait obtenu de 'Frédéric II qu'il empêchât les princes d'Allemagne de leur venir en aide ; et Blanche de Castille avait, à deux reprises, renouvelé ces stipulations avec l'empereur (1227 et 1232). Depuis la majorité de saint Louis, ces bonnes relations avaient pourtant été compromises. Frédéric ayant perdu Isabelle de Brienne, avait épousé une autre Isabelle, sœur de Henri III, et ne mariage, malgré ses protestations, pouvait le rapprocher de l'Angleterre aux dépens de la France. C'est pour se gagner l'Allemagne à un moment où le jeune Henri, son fils, aspirait à s'y rendre indépendant, qu'il avait contracté cette alliance d'où le commerce allemand croyait tirer tout avantage[67]. Aussi lorsque deux ans après (1237) Frédéric invita saint Louis à se rencontrer avec le roi d'Angleterre et lui à Vaucouleurs (lieu ordinaire des conférences entre la France et l'Empire), afin de se concerter, disait-il, sur les intérêts de la Chrétienté, saint Louis manifesta l'intention d'y aller avec deux mille chevaliers ; et l'empereur, devant cette marque de défiance, allégua une maladie pour ne pas s y rendre[68]. Pourtant l'année suivante (1238), quand l'empereur, au fort de sa lutte contre les villes lombardes, recruta des seigneurs au dehors, saint Louis ne refusa point les autorisations à ceux qui les lui demandaient[69].

L'excommunication lancée par le pape contre Frédéric, en 1239, plaçait le roi de France dans une situation délicate. Mais sa conscience et sa droite raison lui marquèrent la ligne dont il ne se départit point. Il laissa les évêques publier, selon l'ordre du pape, l'excommunication dans leurs églises, les dimanches et fêtes, au son des cloches et à la lueur des cierges. Il laissa le pape lever de l'argent sur les ecclésiastiques ; mais lui-même refusa de s'engager et déclina même, au nom de son frère, la dignité impériale que lui offrait le pape[70]. Il accueillit, aussi bien que les lettres du pape, les déclarations de Frédéric, et il envoya en :Italie deux messagers, l'évêque de Langres et un membre de son conseil, pour adoucir l'esprit de Grégoire IX et trouver quelque voie d'accommodement entre lui et l'empereur[71].

Saint Louis faillit pourtant intervenir plus directement dans la querelle.

La force matérielle était évidemment pour Frédéric. L'Italie, occupée en partie par lui-même et divisée pour le reste entre les Guelfes, ses ennemis, et les Gibelins, ses partisans, ne pouvait pas longtemps lui résister, et, dans cette situation, l'indépendance du pape était fort compromise. L'empereur ne se contentait plus de la péninsule : il voulait Rome, et dans ses lettres il ne prenait plus la peine de dissimuler ses projets. Après avoir repris Citta di Castella, Orta et d'autres lieux, arrivé à Viterbe, il écrit à ses fidèles avec quel empressement, quelle ardeur il est reçu partout, et il ajoute : Il ne reste plus que d'entrer heureusement dans la ville pour rétablir les fastes antiques de l'Empire, recueillir les palmes triomphales dues à nos aigles victorieuses et réduire nos calomniateurs à un repentir tardif, quand ils pourront voir de près et craindre celui qu'ils ont provoqué sans vergogne (février 1240)[72]. Il en dit plus dans une lettre à son fils et à ses conseillers. A la suite de quelque nouvelle démarche conciliante du pape, l'empereur se prenant sans plus d'ambages pour le représentant de Dieu sur la terre :

Quoique, dit-il, les pontifes et les pharisiens aient en vain réuni leur conseil contre le Seigneur Christ, quoique le chef de la sédition excitée se soit élevé contre le prince de Rome plein d'orgueil et de blasphèmes, cependant avec l'aide du Dieu des armées qui résiste aux superbes et réprime la malice sortie de son sanctuaire, l'orgueil du prince des prêtres a été humilié, et, déposant sa fierté, se courbe, comme il est juste, pour se soumettre et obéir à notre dignité et à la dignité de l'Empire dans la forme de composition qui sera agréée. Mais sachez qu'après mûre délibération il a été arrêté dans notre esprit que notre rival devra s'incliner sous nos étendards et sous nos aigles victorieuses en rendant tout honneur à notre dignité.... Car nous avons rassemblé de grandes forces dans notre royaume et nous allons d'une main forte et d'un bras tendu dompter l'orgueil ennemi..., afin qu'il se repente amèrement de ses offenses et qu'il n'ose plus lever la tête contre l'Empire sacré et contre notre personne (juin 1240)[73].

Le pape n'était donc pas aveuglé par la passion quand il accusait Frédéric de vouloir asservir l'Église du Christ, de couvrir ses attaques du masque de la religion, s'entourant de prophètes apostats (il nomme entre autres Élie, l'ancien chef de l'ordre des frères mineurs) ; quand il le montrait se transformant en ange de lumière et méprisant les clefs du Christ et le privilège de Pierre pour se mêler irrévérencieusement aux choses divines. Quoi qu'il en soit du projet qu'il lui prête de prendre pour lui les pouvoirs du sacerdoce, ce n'est pas sans raison qu'il lui impute de vouloir séduire les Romains, ces fils tout particuliers de l'Église, et renverser le siège de saint Pierre (fin de février 1240)[74].

Frédéric excommunié avait fait appel à un concile. Le pape résolût d'accepter la lutte sur ce terrain. Ayant pris l'avis des cardinaux ; il se déclara, prêt à réunir une de ces grandes assemblées de l'Église, où les princes seraient invités à envoyer des représentants peur négocier et conclure la paix. Mais l'appel au concile ne fut souvent qu'une arme de guerre ou une fin de non-recevoir. Tel qui l'invoque le repousse quand il est accordé. C'est ce que fit l'empereur : Il déclara qU'il récusait le concile tant que le pape serait son ennemi ; et pour ne point paraître opposé à tout accord, il dit qu'il accepterait une trêve, niais il en excluait les Lombards.

C'était mettre le pape en demeure de les lui abandonner. Le pape convoqua le concile (9 août 1240)[75], et toute l'activité de Frédéric tend dès lors à prévenir l'accomplissement d'un acte dont il senti toute la portée. Ce n'est plus seulement le pape, c'est la chrétienté qui va s'élever contre lui. Il faut qu'il la détourne de se rendre à cet appel[76] et, si elle s'y rend, qu'il l'arrête. Il écrit à saint Louis et au roi d'Angleterre qu'il ne souffrirait pas que le concile se réunît[77], et en même temps il travaillait à faire qu'on n'eût ni moyen de s'y rendre, ni le temps d'y songer. Il excitait le comte de Toulouse contre le comte de Provence, ce qui amenait saint Louis, à venir en aide, à ce dernier[78] ; et un autre adversaire se donnait un rôle dans ces nouveaux troubles du Midi. Trencavel, fils de Roger, comte de Béziers et de Carcassonne au temps de la guerre des Albigeois, rentré, en 1224, en possession de Béziers, se jetait sur les terres de l'ancien héritage de son père qui étaient dévolues au roi, et osait même assiéger Carcassonne[79].

Grégoire IX, âgé alors de quatre-vingt-dix-huit ans, montra une énergie qui n'a jamais fait défaut à la papauté en pareille circonstance. Quoique vivement pressé dans Rome et menacé d'un jour à l'autre d'en être chassé, il y a convoqué le concile ; et son appel a retenti dans toutes les parties de la chrétienté[80]. En France le légat tint un synode particulier à Meaux où il renouvela l'excommunication coutre Frédéric, et pressa les évêques de le suivre au concile.

Il n'était pas facile d'obéir à son ordre ou du moins de l'accomplir jusqu'au bout. Frédéric gardait les passages de l'Italie[81], et il avait confié à son fils naturel Enzio une flotte qui devait arrêter comme de bonne prise tout vaisseau porteur de prélats. Nombre d'évêques et d'abbés anglais et français vinrent jusqu'à Marseille ; mais ils n'y trouvèrent ni les moyens de transport ni l'escorte qu'on leur avait promis[82]. Frédéric ne leur refusait pas tout passage. Il les pressait même de venir vers lui, promettant de leur donner toutes les explications qu'ils voudraient : c'est lui qui eût tenu le concile ! Les évêques ne l'entendaient pas ainsi. Mais que faire ? Plusieurs s'en retournèrent chez eux ; d'autres se hasardèrent à se rendre par mer de Nice à Gênes, ville entièrement dévouée au pape. Les Génois avaient mis leur flotte au service d'une cause qui était la leur et celle de toutes les villes libres de Lombardie. C'est là que se fit la réunion ; et sous la protection de cette république les légats de France et d'Angleterre, avec tous les évêques venus de ces deux royaumes, mirent à la voile. Mais la flotte impériale battit la flotte génoise (3 mai 1241). Quelques évêques périrent dans le combat ; un petit nombre réussirent à fuir, presque tous furent faits prisonniers[83].

Cet événement qui suivait de quelques jours la prise de Faenza, dont Frédéric faisait le siège depuis près d'un an, semblait résoudre la querelle à son avantage. Il se voyait déjà maitre de Rome. La lettre où il mande cette victoire à ses comtes annonce qu'il y marche, dans un langage où l'enivrement du triomphe ne lui fait ménager aucune marque de mépris aux vaincus (fin mai 1240)[84]. Il écrit au sénat de Rome qu'il arrive pour faire la paix avec le pape, s'il est possible, et il exhorte les habitants à se lever avec lui, leur montrant les Tartares à combattre : Dieu était avec lui[85] ; car il voyait ou du moins il voulait montrer au monde dans sa victoire comme un jugement de Dieu : On saura, disait-il, dans sa lettre au roi d'Angleterre, que Dieu est avec nous siégeant sur son trône et jugeant selon l'équité : Dieu, qui a voulu que le monde fût gouverné non par le sacerdoce seulement mais par l'Empire et par le sacerdoce (18 mai 1241)[86]. Et pourtant la chose dont il avait si grande joie est ce qui devait tourner les esprits contre lui et dans un autre concile décider de sa perte.

Saint Louis ne pouvait pas rester insensible à la captivité de ses évêques : car Frédéric, après les avoir pris, les gardait ; il les avait distribués entre les divers châteaux où il avait garnison et les traitait même d'une manière assez dure. Saint Louis écrivit donc à l'empereur, réclamant leur mise en liberté. Mais Frédéric répondit qu'il n'avait fait qu'user du droit de la guerre ; que les évêques venaient pour le condamner ; qu'ils étaient donc ses ennemis, et il donnait libre cours à ses invectives contre le pape. Le roi n'accepta point de pareilles explications. Il lui écrivit une seconde fois et sur un ton qui ne comportait plus d'autre débat que par les armes[87]. Frédéric, ne voulant point rompre avec saint Louis, mit en liberté les prélats ; et d'ailleurs il n'avait plus intérêt à les garder. Le concile projeté n'était plus à craindre. Le vieux Grégoire IX n'avait survécu au désastre qui avait détruit ses plans que pour témoigner une dernière fois de l'énergie de ses résolutions, quand Frédéric vainqueur menaça Rome sans effrayer davantage la ville vraiment digne du pontife. Il mourut presque centenaire, le 21 août 1241[88]. Le nouveau pape que les cardinaux réduits à huit avaient, après une première tentative d'élection, réussi à nommer, l'évêque de Sabine, Célestin IV, mourut lui-même au bout de seize à dix-huit jours ; et l'empereur sut si bien multiplier les obstacles, accroître la division, que pendant dix-huit mois le Saint-Siège resta vacant. Il triomphait donc plus qu'il ne l'aurait pu espérer de l'ennemi qui avait cru l'abattre ; et les deux puissances qui, au nom de la chrétienté, auraient pu s'unir Our lui demander compte de ce triomphe, la France et l'Angleterre se trouvaient engagées dans une guerre qui les occupait entièrement.

 

 

 



[1] Tillemont, t. II, p. 285. Voyez par exemple les lettres de Grégoire IX à Blanche en faveur de l'empire de Constantinople (30 octobre 1237 et 20 juillet 1238) ; pour qu'elle accueille favorablement le légat qu'il envoie en France (21 octobre 1239). Teulet, l. l., n° 2729, 2577 et 2836).

[2] Voyez plus loin la lettre sur le siège de Carcassonne (1240). Bibl. de l'École des Chartes, 2e série, t. II, p. 363.

[3] Voyez la lettre de Pierre, duc de Bretagne, sur les conventions de mariage entre Jean son fils et Blanche, fille de Thibaut, roi de Navarre. Thibaut promettait par le contrat de lui laisser, en tout état de choses, la Navarre : si lui-même avait des enfants mâles par la suite, c'est à la Champagne qu'il réduisait leurs droits de succession. (Château-Thierry, 16 janvier 1236, Teulet, l. l., n° 2432.) L'année précédente, Thibaut s'était ménagé l'alliance du duc de Bourgogne, qui avait promis de l'aider contre tous, exceptant la fidélité due au roi et à la reine (voy. la lettre du duc de Bourgogne du 28 janvier 1235. Teulet, l. l., n° 2330). Mais, chose à remarquer, trois mois plus tard (avril, avant Pâques) le duc de Bourgogne avait mieux aimé s'engager à payer 5000 marcs (294.007 fr. 80) au roi que de se porter caution (assecurare), à son commandement, du comte de Champagne (ibid., n° 2365).

[4] Noveritis quod si quis homo vivens moveret guerram domino regi Navarre vel suis heredibus, eos juvabimus ad consilium karissimi amici nostri P. (Petri) ducis Britanniæ, comitis Richemontis (13 avril 1236). Teulet, l. l., n° 2443.

[5] Chron. de Saint-Denys, t. XXI, p. 111 ; Albéric de Trois-Fontaines, an 1236, ibid., p. 616 ; Chron. de Reims, t. XXII, p. 310. Cette chronique ajoute à l'histoire une scène de pure invention.

[6] Teulet, l. l., n° 2705.

[7] G. de Nangis, Chron. an 1236, t. XX, p. 547.

[8] Lettre de Robert, comte d'Artois, sur l'apanage qu'il a reçu du roi son frère et l'hommage qu'il lui en a fait. Compiègne, juin 1237 (Teulet, l. l., n° 2562). Guillaume de Nangis place donc à tort cet événement en 1238.

[9] Le pape Grégoire IX accorda, le 27 mai 1236, une nouvelle dispense pour ce mariage, qui fut célébré peu de temps après et au plus tard en 1239. Voyer cette dispense dans Teulet, l. l., n° 2448.

[10] Robert avait dû épouser Marie, fille et héritière de Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut. Les conventions en avaient été faites à Compiègne (juin 1235) et ratifiées par le prévôt du franc de Bruges et d'autres seigneurs flamands (Teulet, n° 2387 et 2388). Mais la jeune princesse mourut ; l'héritage de la Flandre appartenant dès lors à Marguerite, sœur de Jeanne, déjà mariée, on fît épouser au jeune comte Mathilde, l'aînée des filles du comte de Brabant. Voyez Tillemont, t. II, p. 237.

[11] Vers le même temps (1240) saint Louis augmentait le douaire de sa mère. A son premier douaire, comprenant Meulan, Pontoise, Étampes, Dourdan avec la forêt, Corbeil et Melun, il ajoutait Crépy-en-Valois avec sa forêt, la Ferté-Milon, Villers-Cotterets et Viviers, et de plus 4500 livres parisis de revenu. Ces biens, après sa mort, devaient faire retour au roi ou à ses héritiers, excepté- 800 livres parisis de revenu dont elle pourrait disposer en aumônes, y compris les 100 livres de revenu déjà donnés par elle et par le roi à l'abbaye de Maubuisson. Voyez Teulet, l. l., n° 2885.

[12] Albéric de Trois-Fontaines et Baudoin d'Avesnes, an 1237, Histoire de France, t. XXI, p. 619 c et p. 167 c. Le même jour que Jeanne prêtait au roi serment de fidélité (12 avril 1237) elle avait renoncé à épouser Simon de Montfort (Teulet, l. l., n° 2491 et 2492), et un grand nombre de seigneurs et de villes garantirent, par l'engagement de renoncer à leur fidélité envers elle, les engagements qu'elle venait de prendre envers le roi (ibid., n° 24932509, 2519-2556). Voyez en outre l'hommage rendu au roi par Jeanne et par Thomas son époux, décembre 1237 (ibid., n° 2584) et les garanties analogues données par les seigneurs et les villes de Flandre (ibid., n° 2585-2605, 2611-2691). — Mathilde, comtesse de Boulogne, s'était aussi engagée à ne pas marier sa fille et à ne pas se remarier elle-même sans le consentement du roi (février 1235 ; ibid., n° 2335 et 2354), et le comte de Ponthieu avait garanti le premier engagement jusqu'à concurrence de 2000 marcs (ibid., n° 2336).

[13] Son frère aîné, Amaury, lui céda tous les droits qu'il avait sur les terres de sa famille en Angleterre, et notamment sur le comté de Leicester, 11 avril 1239 (Teulet, Layettes du trésor des Chartes, n° 2789).

[14] Voyez sur Simon de Montfort, Dugdale, Baronage, t. I, p. 751 et suiv.

[15] Le 23 mars 1238, le roi de Castille et de Léon soumettait à sa ratification la convention qu'il venait de faire avec son beau-père, le comte de Ponthieu, sur l'héritage éventuel de ce comté. En juin 1239, le duc de Bourgogne lui fit hommage pour le fief du Charolais ; le comte de Bourgogne peur la ville de Coulommiers. (Teulet, l. l., n° 2609, 2819 et 2820.)

[16] L'original qui est aux Archives (J. 350) était primitivement scellé de quarante et un sceaux, autant qu'il y avait de seigneurs mentionnés dans l'acte. Voyez Layettes du trésor des Chartes, n° 2404.

[17] Voyez Tillemont, t. II, p. 253, 254 ; cf. Rinaldi, Ann. ecclés. an 1236, art. 34 et 36.

[18] Le pape, dans la lettre qu'il écrivit lorsqu'il en eut connaissance, regarde le roi comme associé à l'acte de ses barons : Sed ecce audivimus et solemnos quod tu, fili charissime, et regni barones, malorum usi consilio.... Ecclesiam in servitutem cupientes redigere, etc. Rinaldi, Annal. an 1236, n° 34.

[19] Tilleront, t. II, p. 317.

[20] Viterbe, 6 octobre 1237. Teulet, l. l., n° 2570, et Tillemont, t. II, p. 315.

[21] Combien nous l'avons vu depuis que mes lignes ont été écrites !

[22] La prospérité de la Religion.

[23] Nous suivrons l'orthographe de M. de Slane dans l'édition des Historiens arabes des Croisades, publiée par l'Académie des Inscriptions, en supprimant toutefois, selon l'usage qui a généralement prévalu parmi nous, l'article el devant les mots où il se trouve : Malec-Adel pour El-Malec-el-Adel.

[24] Il avait perdu Constance d'Aragon, sa première femme ; l'année précédente (1222).

[25] Voyez Huillard-Bréholles, Hist. diplom. de Frédéric II, introd. p. CCCXXV.

[26] Huillard-Bréholles, ibid., p. CCCLXXXI.

[27] Huillard-Bréholles, ibid., p. CCCCXLV et CCCCLI.

[28] Huillard-Bréholles, l. l., p. CCCXXVI et suiv.

[29] Malec-Nacer, le prince défenseur.

[30] Aboulféda dans les Historiens arabes des Croisades, édition de l'Académie des Inscriptions, t. I, p. 103.

[31] Huillard-Bréholles, l. l., p. CCCXXX ; cf. Guillaume de Nangis, an 1229 ; Albéric des Trois-Fontaines, t. XXI, p. 597 et 601.

[32] Huillard-Bréholles, l. l., p. CCCXXXVII ; cf. Aboulféda, l. l., p. 104 ; Albéric de Trois-Fontaines, t. XXI, p. 601.

[33] Huillard-Bréholles, ibid., p. CCCXXXVII-CCCXLII.

[34] Huillard-Bréholles, Introd., p. CCCXLIII.

[35] Voyez la lettre de Henri au pape, 10 avril 1232, et la déclaration des princes de l'Empire du même mois, Hist. dipl. de Frédéric II, t. IV, p. 325, 565 et 952. Voyez aussi l'Introduction de Huillard-Bréholles, p. CCXIV et suiv.

[36] Sur l'état des chrétiens d'Orient, voy. Albéric de Trois-Fontaines. qui reproduit une lettre adressée par un Frère prêcheur nommé Philippe, à Grégoire IX (Histor. de France, t. XXI, p. 613).

[37] Albéric de Trois-Fontaines, t. XXI, p. 625, 626. — Ils ont, dit Matthieu Paris, la poitrine dure et robuste, la face maigre et pâle, les épaules roides et droites, le nez tortu et court, le menton proéminent et aigu, la mâchoire supérieure déprimée et enfoncée, les dents longues et rares, les paupières qui -s'étendent depuis les cheveux jusqu'au nez, les yeux errants et noirs, le regard oblique et farouche, les extrémités osseuses et nerveuses les jambes grosses,-mais plus courtes que les nôtres, quoiqu'ils nous égalent en stature, parce que ce qui leur manque aux jambes en longueur, ils le regagnent dans le haut du corps. (T. V, p. 374.)

[38] Matthieu Paris, t. IV, p. 355, et Tillemont, t. II, p. 321-323.

[39] Voy. Sismondi, Hist. des Républ. italiennes, t. II, p. 482.

[40] Voyez l'acte par lequel Anselme de Kaeu (Cayeu), bayle de Constantinople, et les principaux dignitaires de l'Empire engagent la sainte relique au Vénitien Quirino, soit en son nom, soit au nom de la république, en garantie d'une somme de 13.134 hyperpera. — L'ancienne version française de Guillaume de Tyr, l. XVIII, ch. 22 [Histor. Occidentaux des Croisades, t. I, p. 857], évalue la perpre à bien sept sols de parisis. A raison de 7 sols parisis, les 13.134 hyperpres feraient 116.438 fr. 55 c. — La sainte couronne devait d'abord être gardée dans une église de Constantinople, qui était aux Vénitiens. Si l'argent prêté n'était pas rendu avant le mois de novembre, on la devait transporter à Venise ; et si dès lors le remboursement ne se faisait dans les quatre mois, elle était acquise aux Vénitiens. (Constantinople, 4 septembre 1238. Teulet, l. l., n° 2744.) Elle allait être transportée à Venise, quand arrivèrent les messagers du roi : Jacques et André (de Lonjumeau), frères prêcheurs. C'est sous leur garde qu'elle fit le voyage, et fut déposée à Saint-Marc ; c'est par leurs soins qu'un peu après, les Vénitiens, étant remboursés de leur argent (dolentibus Venitis, sed pro conditionibus initis non valentibus obviare, dit le pieux narrateur : Histor. de France, t. XXII, p. 30 g) elle fut rapportée en France où saint Louis la reçut de leurs mains.

[41] Le récit de l'acquisition et de la translation de la sainte couronne a été fait par l'archevêque de Sens, Gautier Cornu, qui fut, après saint Louis, un des premiers à la recevoir. De Susceps. coronæ spin J. C., dans les Hist. de France, t. XXII, p. 26 et suiv. ; cf. G. de Nangis, Gesta, ibid., t. XX, p. 327, et Chron. p. 548. Le roi, un peu après, y joignit, selon le même historien, d'autres insignes reliques de la Passion : un morceau de la vraie croix, l'éponge, et le fer de la sainte lance. Voy. encore Geoffroi de Beaulieu, ch. XXIV, ibid., p. 15 ; Guillaume de Chartres, ibid., p. 29 ; Anonyme de Saint-Denys, ibid., p. 51 ; le Confesseur de la reine Marguerite, ibid., p. 75. Sur toute cette question voy. les détails donnés par le R. P. Cros, Vie intime de saint Louis, roi de France, p. 95-111.

[42] Voyez les lettres qu'il écrit en sa faveur à la reine Blanche comme à celle qui pouvait avoir le plus d'empire sur les résolutions de saint Louis (30 octobre 1237 et 20 juillet 1238). Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2577 et 2729.

[43] Tillemont, t. II, p. 310.

[44] Tillemont, t. II, p. 309.

[45] Matthieu Paris, an 1237, t. IV, p. 206.

[46] 20 août 1238, Teulet, l. l., n° 2738. Il avait écrit le 10 août à saint Louis qu'il le faisait sur sa prière (ibid., n° 2736). Le comte de Toulouse, dans ces dernières années, avait donné plus d'un sujet de plainte au Saint-Siège par sa complaisance envers les hérétiques et son peu d'empressement à remplir ses anciennes obligations.

[47] Voyez les lettres de Grégoire IX à l'archevêque de Vienne, 28 avril 1236 ; au comte de Toulouse, 18 mai 1237 ; à l'archevêque de Vienne, 28 juillet (Teulet, l. l., n° 2445, 2514, 2565), et Tillemont, t. II, p. 318.

[48] Tillemont, t. II, p. 334.

[49] Tillemont, t. II, p. 336.

[50] Jean, comte de Mâcon, et la comtesse Alix le vendirent à saint Louis moyennant 10.000 livres tournois (202.638 fr. 20 c.) et 1000 livres (20.253 fr. 80 c.) de revenu sur des terres de Normandie (février 1239). Teulet, l. l., n° 2776.

[51] Tillemont, t. II, p. 358.

[52] Huillard-Bréholles, l. l., p. CCCCLV.

[53] L'astre de la religion.

[54] Aboulféda dans les Hist. arabes des Croisades, t. I, p. 113 et suiv. Reinaud dit, d'après Aboulféda et Makrîzi, que Malec-Adel-Abou-Becr était l'aîné (Bibl. des Croisades, t. IV, p. 439). Tillemont dit au contraire, d'après la Chron. orientale, p. 104, que Malec-Camel avait donné ce qu'il avait en Orient à Saleh, qui était l'aîné, et que c'est à la faveur de son absence qu'Ariel s'empara de l'Égypte (t. III, p. 17). — Aboulféda raconte un trait, curieux de la campagne de Saleh Ayoub contre l'Égypte. Le prince, se défiant de son oncle Ismaïl, lui avait envoyé à Baalbec un affidé pour sonder ses dispositions : cet affidé apportait avec lui des pigeons de Naplouse pour servir de messagers à sa dépêche. Un des émirs d'Ismaïl y substitua des pigeons de Baalbec, en sorte que lorsque l'envoyé de. Saleh-Ayoub en prit un et le fit partir avec un billet qui lui faisait connaître les intentions hostiles d'Ismaïl, le pigeon lâché revint à son pigeonnier à Baalbek même et livra à Ismaïl le message destiné à Saleh-Ayoub. Ce n'est pas tout : l'émir d'Ismaïl, prenant un des pigeons de Naplouse dont il s'était emparé, expédia cette fois à Saleh-Ayoub une dépêche où, sous le nom de son affidé, il lui mandait tout le contraire, lui disant qu'Ismaïl allait marcher à son secours. Sale-Ayoub, plein de confiance, alla, donc en avant, et c'est ainsi qu'il perdit Damas et bientôt après la liberté. Nous verrons plus loin comment il la recouvra.

[55] Selon Tillemont (t. III, p. 278), le Caire se trouvait réellement à un tiers de mille de cette Babylone, non loin de l'ancienne Memphis.

[56] Guillaume de Nangis, Gesta S. Ludov., t. XX, p. 329. Dans sa Chronique (ibid., p. 548) il met à tort sous la date de 1237 cette bataille, qui eut lieu en novembre 1239, selon les historiens arabes résumés par Reinaud, Bibl. des Croisades, t. IV, p. 439. L'un d'eux nous donne une date plus précise. Le dimanche, 14 de rébi 1er 637 de l'Hégire, dit Makrîzi (25 octobre 1239 de J. C.), eut lieu entre les Francs et l'armée égyptienne stationnée dans le Sâhil (littoral, c'est-à-dire, la Phénicie), un combat dans lequel les Francs furent mis en déroute. On leur prit quatre-vingts cavaliers et deux cent cinquante fantassins, qui furent conduits au Caire, et on leur tua mille huit cents hommes. Il ne périt que dix hommes du côté des musulmans. Makrîzi, Histoire des Ayoubides et des Mamlouks, ms. arabe, 672 de l'ancien fonds, t. I, f° 91, v° 92, 2e. Je dois cette citation à mon savant confrère M. Defrémery.

[57] Hist. arabes des Croisades, t. I, p. 117.

[58] Aboulféda, p. 118.

[59] Voyez pour ces événements, Reinaud, Bibl. des Croisades, t. IV, p. 141. Aboulféda se borne à parler des alliances d'Ismaïl, prince de Damas, avec les chrétiens, à qui il aurait livré les forteresses de Safed et d'Es-Chakif (l. l., p. 120) ; il ne dit rien de la bataille d'Ascalon. Makrîzi au contraire, raconte encore que l'année suivante (1240), le prince de Damas Ismaïl s'allia aux Francs contre son neveu Saleh Nedjm Eddin Ayoub, sultan d'Égypte, achetant leurs secours par la promesse de leur rendre toutes les conquêtes de Saladin. Il était campé au nord de Gaza, lorsque le sultan d'Égypte, ayant appris qu'il venait l'attaquer avec l'aide des Francs, envoya des troupes à sa rencontre. Quand les deux armées furent en présence, les Syriens coururent se joindre aux Égyptiens, et tous ensemble attaquant les Francs, les mirent en une complète déroute. Ce fut avec les nombreux captifs pris en cette journée, que le sultan d'Égypte, selon le même auteur, construisit le château fort de Raoudha et les collèges dits Assalihiya au Caire. (Note de M. Defrémery).

[60] Voyez Huillard-Bréholles, Introd., p. CCCL.

[61] Voyez la lettre de Richard sur son expédition dans Matthieu Paris, an 1241, t. V, p. 185. Il quitta la Terre Sainte le 3 mai 1241 : Makrizi, à la suite du combat qu'il a raconté, parle de cette paix. Il dit que le sultan d'Égypte relâcha les prisonniers qui se trouvaient au Caire, comtes, chevaliers, fantassins. On verra pourtant qu'à l'époque de l'expédition de saint Louis, il restait en Égypte des prisonniers de cette croisade.

[62] Albéric des Trois-Fontaines, t. XXI, p. 629.

[63] Vincent de Beauvais, ch. CXXXVIII ; voy. Tillemont, t. II, p. 361-365.

[64] Teulet, l. l., n° 2835 et 2836.

[65] Pour les traces subsistantes de la domination impériale sur ces contrées, et les actes par lesquels Frédéric II s'appliquait à la constater et à la rendre effective, voy. Huillard-Bréholles, Hist. diplomat. de Frédéric II, introd., ch. III, p. CCLI et suiv., et diverses pièces conservées aux Archives et reproduites ou analysées dans le précieux recueil des Layettes du trésor des Chartes, commencé par M. Teulet : n° 1700 (31 mars 1225), lettre de Frédéric II au comte de Toulouse pour qu'il se fasse restituer les terres de l'Empire qu'il a aliénées sans autorisation ; — n° 1789 (juin 1226), lettre des prélats et des barons de France à Frédéric, où ils lui exposent comment le roi Louis VIII, marchant contre les Albigeois, a été amené à attaquer Avignon ; — n° 2280a (30 avril 1234), le comte et la comtesse de Provence s'obligent à obtenir l'autorisation de Frédéric pour la mise en gage du château de Tarascon ; — n° 2309 (septembre 1234), Frédéric restitue au comte de Toulouse le pays Venaissin et la dignité de marquis de Provence (cf. n° 2413, décembre 1935) ; — n° 2414 (décembre 1235), il lui confère le domaine supérieur de Carpentras et de quelques autres châteaux ; — n° 2842 (décembre 1239), le comté de Forcalquier ; — n° 2874 (11 avril 1240), le comte de Toulouse, sur les instances du vicaire de l'Empire, lui restitue la potestaria d'Avignon ; — n° 3194 (novembre 1244), déclaration de Frédéric contre la ville d'Avignon qui s'est révoltée.

[66] Voyez Huillard-Bréholles, p. CCLXXXVII et suiv.

[67] Huillard-Bréholles, p. CCXCIX.

[68] Guillaume de Nangis, Gesta, t. XX, p. 325, et Chron., an 1238 ; ibid., p. 548.

[69] Tillemont, t. II, p. 324.

[70] On peut croire à ce refus sans admettre pour cela la réponse insolente que Matthieu Paris fait au pape au nom de saint louis (t. IV, p. 548-550).

[71] Albéric des Trois-Fontaines, an 1239, t. XXI, p. 623, et Tillemont, t. II, p. 349, 350.

[72] Hist. diplomat., t. V, p. 763 ; cf. sa lettre à l'évêque de Messine, même mois (ibid., p. 707).

[73] Hist. diplomat., t. V, p. 1003.

[74] Hist. diplomat., t. V, p. 777.

[75] Encyclique du pape sur le Concile à célébrer à Rome à la fête de Pâques (9 août 1240). Hist. diplomat. de Frédéric II, t. V, p. 1020.

[76] Lettre à l'évêque d'Ostie (fin août 1240), Hist. diplomat., t. V, p. 1027. Au mois de novembre il chassa du royaume de Naples tous les frères prêcheurs et mineurs, sachant trop bien quels auxiliaires le pape trouverait en eux. Par contre, il se trouva vers le même temps (fin de 1240) un clerc de France ou d'Angleterre qui fit une lettre pour détourner les prélats de se rendre à Rome, leur représentant les périls de terre et de mer et les embûches d'un prince très-puissant et cruel ; il les engage, comme le pape défend sa cause et non celle de l'Église universelle, à se soustraire sur ce point à son obéissance. On a soupçonné, non sans quelque raison, que la main ou du moins l'inspiration de Frédéric lui-même n'était pas étrangère cette lettre (Hist. diplomat., t. V, p. 1077).

[77] Lettre au roi de France (fin 1240), ibid., p. 1075.

[78] Matthieu Paris, an 1240, t. V, p. 28. Le comte de Toulouse avait pris un instant le commandement d'Avignon, au nom de l'empereur (Hist. diplomat., t. V, p. 1022).

[79] Voyez sur ce siège de Carcassonne un rapport adressé à la reine Blanche (et non au roi saint Louis : nous avons noté cette curieuse particularité) par Guillaume des Ormes, sénéchal de Carcassonne, rapport publié par M. Douat d'Arc dans la Bibli. de l'École des Chartes, 2e série, t. II, p. 363 (1845-1846).

[80] Signalons quelques-unes des lettres de Grégoire IX dans les préliminaires de cette lutte : 1° au légat de Romagne et à Nicolas, moine de Cîteaux (13 octobre 1240), pour qu'ils traitent en secret avec Gènes afin d'obtenir les navires et les galères qui doivent transporter les prélats au concile (Hist. diplomat., t. V, p. 1052 ; cf. p. 1061, la réponse du légat) ; 2° aux Bénéventins (15 octobre) pour les exhorter à se défendre (ibid., p. 1056) ; 3° au même légat (15 mars 1241) pour lui dire que seize galées et autant de tarides ne suffiront pas au passage des prélats qui veulent venir à Rome (ibid., p. 1106). Le Il février, le duc de Bavière lui écrivait pour rétracter les lettres que lui-même et le roi de Bohème lui avaient adressées en faveur de la paix avec Frédéric (ibid., p. 1094).

[81] Par une lettre du commencement de février 1241, il enjoint à tous ses fidèles de fermer le chemin à ceux qui vont au concile, de les arrêter par terre et par mer, leur abandonnant les biens dont ils pourraient les dépouiller (Hist. diplomat., t. V, p. 1089) ; par une autre du même temps, il ordonne aux magistri portulani d'armer des vaisseaux contre les Génois et les pirates (ibid., p. 1090). Du siège de Faenza il écrivait aux maîtres des frères prêcheurs de Paris (27 février) pour leur exposer les injures qu'il avait reçues du pape et les avertir de ne pas permettre aux frères de leur ordre de courir le monde avec des lettres et des légations contre lui et l'Empire, attendu qu'il ne convient pas à leur sacré ministère de se mêler aux disputes personnelles (ibid., p. 1098). Un peu après (25 mars) il écrivait à deux personnages, qu'il appelle capitaines de ses fidèles de Gênes, que Faenza est à la veille de se rendre (elle se rendit le 13 avril) ; que, rassuré de ce côté, il a envoyé son fils Henri en Lombardie pour former une armée et qu'il a déjà donné des instructions à deux de ses vicaires pour réprimer les rebelles génois (ibid., p. 1108).

[82] Guillaume de Nangis, Gesta S. Lud., dans les Historiens de France, t. XX, p. 331.

[83] Guillaume de Nangis, l. l., et les diverses Chroniques.

[84] Hist. diplomat., t. V, p. 1123.

[85] Hist. diplomat., t. V, p. 1139. Il ne se faisait pas faute de le dire ; mais il trouva pour le répéter après lui un auxiliaire, cette fois encore, dans le clergé. Un frère prêcheur écrivit, vers la fin de juin, à l'évêque de Brixen : Post gloriosum triumphum Faventiæ quem sibi laudabilis constantia Cœsaris acquisivit, subito inopinabilis victoria in mari habita successit, ut Deus terræ et maris comprobetur felici Cæsari adesse. Il ajoutait qu'un cardinal lui avait écrit de la part du pape de venir à Bene avec l'empereur parce qu'il pourrait être utile à la paix. Excellent choix pour Grégoire IX ! (Hist. diplomat., t. V, p. 1146.)

[86] Hist. diplomat., t. V, p. 1125.

[87] Voy. Hist. diplomat., t. VI, p. 18 ; cf. Guillaume de Nangis, Gesta, p. 333, et Chron., an. 1240, p. 549.

[88] Rich. de San-Germano dans Muratori, t. VII, p. 1048, et Huillard-Bréholles, Hist. diplomat. de Frédéric II, t. V, p. 1165. Parmi les dernières lettres du vieux et vigoureux pontife, citons encore celle qu'il écrit aux évêques captifs pour les consoler et s'excuser en quelque sorte de leur malheur, en se plaignant du légat de Romagne, qui ne leur avait pas rassemblé assez de galères (14 juin 1241, Hist diplomat., t. V, p. 1136), et sa lettre au duc de Carinthie (19 juin), où vaincu il parle encore en maître, en père, disant que si Frédéric se montre disposé aux choses qui sont à l'honneur de Dieu, il lui ouvrira volontiers le sein de l'Église (ibid., p. 1138).