JEANNE D'ARC

 

TOME SECOND

LIVRE DIXIÈME. — LA RÉHABILITATION.

 

 

  Les Anglais en étaient donc venus à leurs fins : Jeanne d'Arc n'était plus. Mais l'empire qu'elle avait pris dans l'opinion publique devait-il périr avec elle ? Ils n'en étaient plus aussi assurés ; et à l'heure même où ils avaient cru vaincre, ils commencèrent à douter de leur victoire. Dès qu'elle eut expiré, ils commandèrent au bourreau d'écarter un peu la flamme, afin qu'on la vît morte, — afin qu'on la vît nue, si l'on en croit un de leurs plus fougueux partisans. Ils avaient peur qu'on ne la prit pour un esprit ou qu'on ne dit qu'elle avait échappé. Puis on rendit au feu sa proie afin de la réduire en cendres, et ses cendres, par ordre du cardinal, furent jetées dans la Seine. On redoutait jusqu'à la vertu. que le peuple, le peuple de la Normandie, antique berceau des rois d'Angleterre, aurait cherchée dans ses reliques. Tout le monde, en effet, la proclamait sainte, et non-seulement son confesseur ou les hommes qui avaient pris part à son procès, comme P. Maurice, comme Jean Alespée, qui s'écriait en pleurant : Je voudrais que mon âme fût où je crois qu'est l'âme de cette femme, mais ses ennemis, et les plus furieux. Un Anglais, qui la haïssait mortellement, avait juré d'apporter au bûcher une fascine, pour que Jeanne fût en quelque sorte brûlée de sa main. Il accourut pendant l'exécution et jeta dans le feu sa fascine ; mais entendant Jeanne qui invoquait le nom de Jésus, il demeura comme foudroyé, et il allait ensuite exprimant son repentir, et disant qu'au moment de sa mort il avait vu une colombe s'envoler de la flamme. Plusieurs disaient avoir lu, comme écrit dans la flamme, le nom de Jésus que Jeanne prononçait. Le bourreau lui-même rendait témoignage qu'elle était morte par tyrannie ; il déclarait qu'au milieu des cendres son cœur était resté intact et plein de sang, et il courait au couvent des frères prêcheurs, disant qu'il craignait fort d'être damné pour avoir brûlé une sainte femme. Ce sentiment avait pénétré jusque dans les conseils de la Couronne. Tressart, secrétaire du roi, disait tout haut que c'était une sainte, et les complices de sa mort, des damnés ; et il s'écriait dans sa douleur, en revenant du lieu du supplice : Nous sommes tous perdus, c'est une sainte qu'on a brûlée[1].

Ce fut le cri public, et vainement essaya-t-on de réprimer, par quelques actes de sévérité, ces murmures. Les gens du peuple montraient.au doigt ceux qui avaient pris part au procès : l'horreur publique s'attacha à leur personne et les poursuivit jusqu'au delà du tombeau. On invoquait sur eux le jugement de Dieu. On disait que tous ceux qui s'étaient rendus Coupables de la mort de Jeanne avaient fini d'une mort honteuse, et l'on citait l'évêque de Beauvais, frappé d'apoplexie pendant qu'on lui faisait la barbe ; N. Midi, le prédicateur de Saint-Ouen, atteint de la lèpre peu de jours après son sermon ; Loyseleur, le traître, mort subitement à Bâle ; et le promoteur J. d'Estivet, dont on retrouva le cadavre aux portes de Rouen, dans un égout[2].

Mais les coupables ne sont pas seulement ceux qui ont fait ou ordonné le procès : les Bedford, les Winchester, les Warwick et leurs pareils ; ce sont encore ceux qui l'ont laissé faire. Rien, dans cette histoire si remplie de prodiges et si souillée d'infamies, rien de plus surprenant au premier abord et de plus révoltant quand on y regarde, que la conduite de la cour de France envers la Pucelle. Jeanne est prise à Compiègne ; elle est gardée à la frontière ; elle appartient à un seigneur qui ne demande qu'à tirer le meilleur parti de sa bonne fortune ; elle est sous la haute main du duc de Bourgogne, qu'elle combattait comme un allié de l'Angleterre, mais qu'elle a toujours respecté, ménagé comme un fils de la France : — nulle tentative pour l'enlever par un coup de main, nulle démarche pour la racheter à prix d'argent, pour surenchérir sur l'offre des Anglais, quand, pour contrebalancer les efforts de leur haine, on a les remords du vendeur et les prières de sa famille ; nulle négociation avec un prince dont les ressentiments s'étaient déjà fort adoucis, qui avait accepté plusieurs trêves, qui devait bientôt faire la paix. Jeanne est donc livrée aux Anglais. Avec eux, point de négociation praticable : ils savent le prix de ce qu'ils tiennent,

Et ne l'eussent donné pour Londres,

Car cuidoient avoir tout gaigné.

Mais il n'est point impossible de la leur arracher. Les Anglais sont toujours frappés de terreur : sept mois après sa captivité, on trouve encore un édit rendu contre ceux qui fuient effrayés par les enchantements de la Pucelle. Ils croient que le charme reste attaché à sa personne : ils n'osent pas, elle vivante, attaquer une place où l'ennemi. les brave presque aux portes de Rouen (Louviers). Si on les attaque, seront-ils plus forts ? Puisque ce n'est pas le génie militaire qu'ils craignent dans la Pucelle, craindront-ils moins son inspiration en ceux qui combattront non plus seulement avec elle, mais pour elle ? et, dans ces conditions, la tour de Rouen résistera-t-elle mieux que les bastilles d'Orléans ?...

Mais ceux qui, avant le voyage de Reims et pour en détourner, parlaient d'attaquer la Normandie, se taisent ; et ceux qui, ayant suivi de bon gré la Pucelle à Orléans, à Patay, à Reims, à Paris, iraient bien plus volontiers encore la chercher à Rouen, sont comme enchaînés[3].

Il y a plus : les Anglais ne veulent pas seulement frapper Jeanne, ils veulent perdre sa mission avec elle ; ils la font juger comme hérétique. Dans ce procès, qui lui est fait au nom de l'Église, Jeanne demande des juges qui ne soient pas seulement à l'ennemi ; elle en appelle au pape et au concile. Pas une lettre de l'archevêque de Reims, chancelier de France, à l'évêque de Beauvais, le meneur du procès, son suffragant, pour qu'il lui donne au moins connaissance de la procédure ; pas une démarche du roi auprès du pape, pour qu'il relève cet appel et ne laisse pas se consommer, au nom de l'Église, un crime judiciaire dont l'opprobre doit rester à ceux qui l'ont accompli. Il y a, il est vrai, une lettre de l'archevêque de Reims, non à son suffragant, mais à ses diocésains ; et c'est elle qui donne le secret de cette manière d'agir et en dévoile la honte ! Lettre qu'on aurait pu révoquer en doute comme ne nous étant venue que par extrait, mais qui trouve dans toute la conduite de la Cour une trop malheureuse confirmation. C'est de propos délibéré que Jeanne, prise à Compiègne, est abandonnée à son sort ; et sa mort même entre dans les calculs de ces politiques détestables qui, s'appropriant les fruits de ses triomphes, veulent faire peser sur elle, comme par un jugement de Dieu, ses revers dont ils sont les auteurs. Aux Pierre Cauchon, aux d'Estivet, aux Loyseleur, aux Bedford, aux Winchester, aux Warwick, il faut donc associer les Regnault de Chartres, les La Trémouille et tous ces tristes personnages qui, pour garder leur influence dans les conseils du roi, ont sacrifié, avec Jeanne, le prince, la patrie et Dieu même ; car ils ont, Autant qu'il était en eux, fait mentir ses oracles, en abandonnant, la Pucelle aux mains de ceux qu'elle avait pour mission de chasser[4].

Les Anglais ne s'arrêtèrent point dans leur déplorable triomphe. L'impression que la mort de Jeanne avait faite sur le peuple de Rouen et jusque sur les hommes de leur parti, de leur conseil, leur signalait un péril à conjurer. Ils étaient en présence de l'opinion publique : ils voulurent la mettre de leur côté, et, en même temps qu'ils délivraient aux juges et autres des lettres de garantie qui, sans les décharger devant l'opinion de leur part au procès, en revendit :paient toute la responsabilité pour l'Angleterre, ils en tentaient l'apologie par des lettres qui sont le digne couronnement de cette œuvre détestable, lettres adressées au nom du roi, en latin à l'empereur, aux rois et à tous les princes de la chrétienté, et en français aux prélats, aux ducs, comtes, seigneurs, et à toutes les villes de France.

C'est le venin de l'accusation et le fiel des douze articles confits dans la plus mielleuse protestation de zèle pour la foi, de pitié pour la coupable, de sollicitude pour tout le peuple chrétien. Le roi d'Angleterre, c'est-à-dire le régent au nom de cet enfant, rappelle la prétendue mission de Jeanne et ses apparitions mensongères ; comme elle a séduit et entraîné les peuples, et comme, par la miséricorde de Dieu, elle est tombée entre ses mains. Il aurait pu, à cause des grands dommages que son peuple en a reçus, en faire justice par ses officiers (faire périr une prisonnière de guerre qu'il avait non point prise, mais achetée de ceux qui l'avaient prise !) ; mais il avait accédé à la requête des juges ecclésiastiques qui la réclamaient pour ses mes contre la foi. Ils l'ont fort longuement interrogée, ils ont soumis ses réponses aux docteurs et aux maîtres de l'Université de Paris, qui l'ont trouvée superstitieuse, divinatrice, idolâtre, blasphématrice envers Dieu et les saints, schismatique, infidèle : Néanmoins, pour guérir cette malheureuse pécheresse de ses maux extrêmes, ils n'ont point épargné les exhortations charitables ; mais l'esprit d'orgueil dominait en elle, et son cœur de fer ne s'est pas laissé amollir. Elle affirmait n'avoir rien fait que par le commandement de Dieu et des saintes qui se montraient à elle ; elle ne reconnaissait aucun juge sur la terre ; elle ne voulait se soumettre qu'à Dieu, rejetant le jugement du pape, du concile général et de l'Église universelle (c'est au pape et au concile général qu'elle en avait appelé). Les juges, voyant son endurcissement, la firent paraître devant le peuple, et, après une prédication publique, commençaient à prononcer la sentence, quand elle se ravisa. Grande fut la joie des juges, qui espéraient sauver son âme et son corps. On la fit abjurer ; elle signa la formule de sa main, et notre pieuse mère la sainte Église, se réjouissant sur la pécheresse repentante et, voulant ramener cette brebis égarée au bercail, l'envoya, pour sa salutaire pénitence, en prison ; mais le feu de l'orgueil, qui semblait éteint en elle, ne tarda point à se rembraser en flammes pestilencieuses par les soufflements de l'ennemi. Elle retomba, la malheureuse, dans ses erreurs ; et les juges, afin que dorénavant elle ne contaminât les autres membres de Jésus-Christ, l'abandonnèrent à la justice séculière, qui la condamna à être brûlée. Aux approches de la mort, elle reconnut et confessa que les esprits qui lui étaient apparus étaient des esprits mauvais et mensongers ; qu'ils lui avaient faussement promis sa délivrance, qu'ils l'avaient trompée. — Elle confessa tout le contraire jusqu'à la fin, au dire de celui qui ne la quitta que dans les flammes.

Telle fut sa fin, continue le roi ; et il demande qu'on répande partout ces choses les rois, les princes, dans leurs États ; les prélats, dans leurs diocèses, par prédications et sermons publics et autrement,. pour le bien et exaltation de notre dite foi, et édification du peuple chrétien, surtout dans ces temps extrêmes du monde où l'on voit tant de faux prophètes s'élever contre notre sainte mère l'Église, menaçant de corrompre tout le peuple du Christ, si la divine miséricorde et la, diligence de ses ministres fidèles ne s'appliquaient avec vigilance à rebouter et punir l'audace de ces réprouvés (8 et 28 juin 1431)[5].

Une lettre conçue dans le même esprit était adressée en même temps par l'Université de Paris au pape, à l'empereur et au collège des cardinaux[6].

Ces efforts parurent d'abord réussir. En Angleterre et dans les pays bourguignons, la lettre du roi fut reçue comme un oracle. Monstrelet ne trouve rien de mieux que de l'insérer dans son histoire pour y remplir les pages que devaient occuper le procès et la mort de Jeanne d'Arc. te Bourgeois de Paris, arrivé à cette époque, ne laisse à personne le soin de faire ce récit à sa place : il recueille la fleur des calomnies avancées au procès, avec des raffinements que le procès même n'avait pas connus. La hardiesse des réponses de Jeanne lui est une preuve qu'elle étoit toute pleine de l'ennemi d'enfer ; et bien y parut, dit-il, car elle voyoit les clercs de l'Université de Paris, qui si humblement la prioient qu'elle se repentit et revoquit de celle malle erreur ! On devine après cela s'il croit à la sincérité de son abjuration et à l'iniquité de son supplice. Et pourtant il ne dissimule pas l'émotion que sa mort fit dans Rouen : Assez avoit là et ailleurs qui disoient qu'elle étoit martyre etpour son droit Seigneur. Autres disoient que non, et que mal avoit fait qui tant l'avoit gardée. Ainsi disoit le peuple ; et, si ardent bourguignon qu'il fût lui-même, il évite de se prononcer : mais, dit-il, quelle mauvaiseté ou bonté qu'elle eût faite, elle fut arse cellui jour[7].

A Paris, pour retirer du doute l'opinion populaire, on vint en aide à la lettre de Henri VI, comme il y invitait lui-même, par une procession générale et un sermon. Le 4 juillet, un dominicain, l'inquisiteur, exposa à sa manière les faits de Jeanne. Dès l'âge de quatorze ans, elle s'était maintenue en guise d'homme, et ses parents l'eussent dès lors fait mourir, s'ils l'eussent pu faire sana blesser leur conscience. Elle les quitta donc accompagnée de l'ennemi d'enfer, et depuis vécut homicide de chrétienté, pleine de feu et de sang, jusques à tant qu'elle fut arse. Le bon père ajoutai que, si elle se fût rétractée, on lui eût baillé pénitence, c'est à savoir, quatre ans en prison à pain et à eau. Mais comment s'y fût-elle résignée ? Elle se faisoit servir en la prison comme une dame. Alors le diable se montra à elle sous la forme de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite, et lui dit : Méchante créature, qui par peur as laissé ton habit : n'aie pas peur, nous te garderons moult bien de tous. Aussitôt, sana plus attendre, elle se dépouilla et reprit ses habits d'homme qu'elle avait cachés dans la paillasse de son lit. On la livra donc à la justice laïque. Et elle, se voyant en ce point, appela les ennemis qui lui apparaissaient en guise de saintes. Mais nul ne vint, pour invocacion qu'elle sût faire. Elle se repentit alors, mais ce fut trop tard[8].

Que les Anglais, après avoir lancé leur manifeste, l'aient accompagné chez eux de ces mensongers commentaires ; que le pape, l'empereur, les princes étrangers, n'ayant d'ailleurs aucun renseignement sur l'affaire, n'y aient pas répondu, cela se comprend : mais comment la cour de France n'a-t-elle rien fait pour les éclairer à son tour ? En France, on ne s'associe point aux déclarations du roi d'Angleterre, sans doute ; mais on se tait. Même dans les circonstances où il faut parler des derniers événements, Jeanne est passée sous silence. Dans une assemblée d'États tenue à Blois, Jean Juvénal des Ursins, rappelant les prodigieux succès du roi, en remercie Dieu qui a donné courage à une petite compagnie d'hommes de ce entreprendre, sans dire un mot de la Pucelle. Mémé silence dans une lettre apologétique de Philelphe à Charles VII : silence honteux, mais vraiment d'accord avec la politique égoïste qui a laissé périr Jeanne d'Arc. Si la cour de France n'avait pas, comme celle d'Angleterre, intérêt à perdre sa mémoire, elle éprouvait le besoin de l'effacer : car si Jeanne était une sainte, les Anglais, battus par elle, étaient-ils plus coupables de l'avoir fait mourir, que les Français, sauvés par elle, de n'avoir rien tenté pour sa délivrance[9] ?

Cependant, cette mémoire n'était pas de celles qui s'effacent. Elle vivait dans le peuple : et sa mort même, qui pouvait ébranler la foi en sa mission chez ceux qui ne l'avaient pas vue mourir, était pour plusieurs un sujet de doute. On y croyait ai peu que, cinq ana après, une femme parut en Lorraine au voisinage du pays de Jeanne d'Arc, et se fit accueillir de tous comme étant la Pucelle. Le doyen de Saint-Thibaud de Metz raconte comment, le 20 mai 1436, elle vin t, s o s le nom de Claude, à la Grange-aux-Bormes, où elle vit plusieurs seigneurs de Metz, et où, elle reçut le même jour ses deux frères qui la croyaient brûlée, et qui la reconnurent comme elle les reconnut (le second point serait moins étonnant). On lui donna un cheval, des armes ; elle sauta sur le cheval, dit plusieurs choses qui ne laissèrent plus à douter qu'elle ne fût la Pucelle Jeanne de France, celle qui mena sacrer le roi Charles à Reims. Après divers voyages, à Marville, à Arlon, à Cologne, tenant pet', ce semble, à son surnom, elle épousa messire Robert des Armoises ; et l'on trouve un contrat de vente où elle figure avec son mari sous le nom de Jeanne du Lys, la Pucelle de France, dame de Thichiemont (7 nov. 1436)[10].

Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que cette Pucelle mariée ait été prise au sérieux et dans Orléans et dans la propre famille de Jeanne d'Arc. Les comptes d'Orléans établissent que la ville reçut d'elle et lui envoya des messages ; qu'elle donna même de l'argent à Jean du Lys (Jean d'Arc) pour qu'il allât rejoindre sa sœur. Les choses n'en demeurèrent pas là La fausse Jeanne vint en France, et parait avoir reçu des hommes d'armes avec lesquels elle guerroya dans le Poitou (1436). Elle y était encore en 1438. En 1439, elle osa venir à Orléans ! On l'y trouve, dans les comptes de la ville, sois son nom de dame : Le 28 de juillet, pour dix pintes et chopines de vin présentées à Jehanne des Armoises, 14 s. p., etc. Et c'est bien Jeanne d'Arc, la Pucelle d'Orléans, que l'on entend traiter ainsi. Le jour de son départ, les Orléanais, par une délibération spéciale de leur conseil, lui firent don de 210 l. p. pour le bien qu'elle a fait à la dicte ville durant le siège. Par une compensation bien naturelle, le service annuel qu'on célébrait pour le repos de son âme était supprimé[11].

Ces hommages étaient une insulte à la mémoire de la Pucelle. Comment le peuple d'Orléans a-t-il pu être abusé à ce point ? Comment le roi se fit-il complice de cette intrigue ? Car on ne peut admettre qu'il en ait été la dupe un seul instant : et l'aventure par laquelle Pierre Sala rapporte qu'on découvrit la vérité a plus d'une marque d'invraisemblance. Le roi n'aurait pas dû être si ébahi cette fois que la Pucelle le reconnût, et la fausse Jeanne devait être bien peu ferme dans son rôle pour se déconcerter au premier salut du prince : aussi en fait-on un miracle. Le roi a-t-il dissimulé tant qu'il pensa pouvoir tirer parti de l'erreur populaire ? Quoi qu'il en soit, il put voir bientôt qu'on ne refaisait point une mission de Jeanne d'Arc, même avec le prestige de son nom. En cette année 1439, le maréchal de Rais la fit remplacer dans le commandement de la troupe qu'elle menait contre le Mans ; et bientôt on acheva de faire tomber le masque. Comme les Parisiens, apprenant qu'elle était proche et qu'elle avait reçu à Orléans un grand accueil, disaient que c'était la Pucelle, l'Université et le Parlement la firent venir, bon gré, mal gré, à Paris. Ils voulurent que le peuple la vit tout à son aise au palais, sur la pierre de marbre, en la grand'cour. Là, elle dut raconter sa vie, qui n'était pas de tout point fort édifiante. Puis on la laissa retourner à la guerre ; mais dès lors on ne parla plus d'elle. On n'en parla que pour compenser, à force d'outrages, les honneurs qu'on lui avait rendus[12].

Entre ces honneurs et ces outrages prodigués tour à tour à celle qui avait pris le nom de Jeanne, que devenait sa mémoire ? Le temps venait de dissiper les ombres qui pouvaient voiler aux yeux des politiques la vérité de sa mission : les Anglais étaient chassés de France ; la prédiction de Jeanne s'était accomplie. Dans le ternie qu'elle avait marqué pour leur grande défaite, Paris avait été pris : c'était le gage de leur entière expulsion ; en 1449, Rouen était pris à son tour, et bientôt la Normandie conquise ; en 1452 et 1453, Bordeaux. et toute la Guyenne ; Calais seul leur devait rester encore pendant un siècle, comme un souvenir de leur domination et un signe de leur impuissance. Il ne fallait pas attendre jusque-là pour reconnaître que Jeanne avait dit vrai, quand elle se donnait comme envoyée de Dieu pour les mettre dehors : car tout le mouvement qui aboutit à cette fin procédait de l'impulsion qu'elle avait donnée. Aussi, dès son entrée à Rouen, Charles, mieux entouré désormais et servi par les hommes qu'il lui aurait fallu au temps.de Jeanne, ordonna une enquête sur le procès, moyennant lequel les Anglais, par grande haine, l'avoient fait mourir iniquement et contre raison très-cruellement[13].

Ce fut Guillaume Bouillé, un des principaux membres de l'Université de Paris et du Conseil du roi, qui fut chargé d'en recueillir les pièces et les documents de toute sorte, et d'en faire un rapport au grand Conseil (15 février 1450). Bouillé procéda à cette enquête et entendit sept témoins : Jean Toutmouillé, Isambard de La Pierre et Martin Ladvenu, qui assistèrent Jeanne dans ses derniers moments ; G. Duval, un des assesseurs ; Manchon, le greffier ; Massieu, l'huissier, et vénérable et circonspecte personne maitre J. Beaupère, l'un des principaux auxiliaires de P. Cauchon, celui qui, au début, dirigea pour l'évêque les interrogatoires. Ces premières dépositions écrites tiennent aussi le premier rang parmi toutes celles qu'on a recueillies depuis. Mais le procès avait été fait au nom de l'Église : c'est par l'Église qu'il devait être aboli. Le roi mit à profit l'arrivée en France du cardinal d'Estouteville, légat du Saint-Siège, et en même temps archevêque de Rouen, pour lui faire commencer par lui-même une enquête sur un fait que les Anglais avaient précisément rattaché à son diocèse. Le cardinal, assisté de l'un des deux inquisiteurs de France, J. Bréhat ouvrit d'office l'instruction (ex officio mero) ; puis, forcé de partir, il remit ses pouvoirs au trésorier de la cathédrale, Philippe de La Rose ; et celui-ci, assisté du même J. Bréhat, donna une nouvelle extension à l'enquête par les articles qu'il ajouta au formulaire des interrogatoires, et par les témoins nouveaux qu'il appela[14].

L'Église se trouvait donc engagée dès lors dans la révision du procès, par ses représentants les plus compétents : l'inquisiteur et l'archevêque de Rouen, légat du pape. Mais le pape n'y était point engagé lui-même : car ce n'était pas l'objet de la mission du légat. Le cardinal avait été envoyé en France pour rapprocher les rois de France et d'Angleterre, et les amener à défendre en commun l'Europe menacée par les Turcs ; or, ce n'était pas faire grande avance à l'Angleterre que de soumettre à une révision le procès de la Pucelle. On n'en pouvait soulever les voiles sans en mettre au jour les violences, ni l'abolir sans frapper de réprobation aux yeux du monde ceux qui l'avaient dirigé. L'enquête demeurait donc sans résultat, et la révision semblait devoir avorter, quand Charles VII imagina d'écarter ce qu'il y avait de politique dans une instance poursuivie au nom d'une cour contre un jugement rendu au nom d'une autre : ce ne fut plus le roi de France qui se mit en avant, ce fut la famille de Jeanne, renouvelant auprès du souverain pontife cet appel que les juges de la Pucelle n'avaient point accueilli. L'affaire redevenait privée, et rien n'empêchait plus le pape de faire justice, sans qu'il parût prendre parti pour la France contre l'Angleterre. La politique s'effaçait donc pour laisser le champ libre au bon droit. Or, tout criait contre l'arrêt de Rouen ; car on n'avait pas seulement, pour voir clair dans cette iniquité, les dépositions recueillies soit par G. Bouillé, soit par le cardinal d'Estouteville et par son délégué : on avait le procès même de la Pucelle. Ce procès, les interrogatoires officiels de Jeanne, et non plus seulement les douze articles, avaient été soumis à leur tour à des docteurs impartiaux, et ils avaient rendu des avis qui pouvaient, comme le reste des pièces juridiques, être soumis à l'examen du souverain pontife. Dans le nombre, le procès de révision a gardé deux mémoires, l'un de Théodore de Leliis, auditeur de rote en cour romaine, l'autre de Paul Pontanus ; avocat au consistoire apostolique ; et le premier est déjà une réhabilitation de la Pucelle. Le grave docteur, rapprochant de chacune des allégations comprises aux gonze articles les éléments fournis par le procès, donne dès lors tous les arguments de bon sens et de bonne foi qui dissipent cet échafaudage de diffamation et d'hypocrisie, et ne laissent plus voir que l'innocence, la vertu et la grandeur de la Pucelle, à l'éternelle confusion de ses juges et de ses bourreaux[15].

Ce fut Calixte III, élu le 8 avril 1455, qui, le 11 juin de la même année, accueillit la requête de la mère de Jeanne et de ses deux frères par un rescrit adressé à l'archevêque de Reims et aux évêques de Paris et de Coutances, il les désigna pour réviser le procès, en s'adjoignant un inquisiteur[16].

Le procès s'ouvrit avec une grande solennité. Le 7 novembre 1455, l'archevêque de Reims, l'évêque de Paris et l'inquisiteur J. Bréhal siégeant à Notre-Dame de Paris, Isabelle, mère de Jeanne, accompagnée d'un de ses fils et d'un nombreux cortège d'hommes honorables, ecclésiastiques ou séculiers, et de femmes, se présente et dépose devant eux sa requête et le rescrit, du souverain pontife qui l'avait accueillie. Les commissaires désignés l'appelèrent à part dans la sacristie, l'interrogèrent, promirent de lui faire droit, mais lui remontrèrent toutes les difficultés de la tâche qu'elle s'était donnée, et l'engagèrent à prendre conseil et à y réfléchir. Puis, rentrés en séance, ils s'ajournèrent au 17 novembre pour ouvrir l'instance si elle y persistait[17].

Les deux prélats, non plus que personne, n'avaient point douté qu'elle n'y persistât. Le 17, Isabelle se présenta devant la même assemblée ; Pierre Maugier, son avocat, exposa sa requête, et remit aux mains des commissaires désignés le rescrit original de Calixte III. Après que lecture en eut été donnée publiquement, l'avocat reprit la parole, pour marquer précisément dans quelles. limites se renfermait la plainte. Il ne s'agissait pas de mettre en cause ceux qui, par leur présence ou par leurs avis, avaient plus ou moins pris part au procès de Jeanne : on attaquait le procès dans la personne des deux juges, l'évêque de Beauvais Pierre Cauchon et le vice-inquisiteur Jean Lemaitre, et dans celle du promoteur Jean d'Estivet, particulièrement désigné dans le rescrit du pape, comme l'auteur des fraudes qui le viciaient[18].

Les deux évêques présents, acceptant alors la mission qui leur était donnée, s'adjoignirent, conformément aux prescriptions du pape, l'inquisiteur J. Bréhal, et arrêtèrent que les personnes nommées dans l'acte pontifical, ou tout ayant cause, seraient, par assignation, mises en demeure de contredire au rescrit d'abord, puis au fond de l'affaire. Pierre Cauchon et J. d'Estivet étaient morts ; Jean Lemaitre était censé l'être ; mais leurs familles pouvaient avoir intérêt à ester au procès ; et n'on-seulement leurs familles, mais l'autorité au nom de laquelle le procès 'avait été poursuivi : c'est pourquoi le vice-inquisiteur et le promoteur actuels du diocèse de Beauvais étaient spécialement désignés dans le rescrit. Avec ces deux ecclésiastiques, l'évêque présent de Beauvais lui-même et tous ceux que l'affaire pouvait toucher, étaient, par assignation publiée tant à Rouen qu'à Beauvais,. sommés de comparaître devant les commissaires le 12 et le 20 décembre au palais archiépiscopal de Rouen[19].

Le 12, l'archevêque de Reims, l'évêque de Paris et Jean Bréhal se retrouvèrent au lieu désigné ; mais personne ne se présenta, que le procureur de la fa. mille de Jeanne, demandant défaut contre les hon-. comparants. On sursoit jusqu'au 15 ; le 15, même situation. Les commissaires, après avoir ouï l'avocat Maugier et reçu les conclusions du procureur Prévosteau, nomment leurs officiers, et remettent au samedi suivant, 20 décembre, pour entendre, sans nouveau délai, ceux qui voudraient décliner leur compétence. Cette séance fut d'ailleurs marquée par un incident grave. Prévosteau, procureur de lai famille, et Chapitaut, que les juges venaient de prendre pour promoteur, ayant demandé aux greffiers du premier procès s'ils avaient l'intention d'en prendre la défense, Manchon s'en excusa ; et, sommé de remettre aux juges ce qu'il pourrait avoir concernant cette affaire, il déposa sur le tribunal la minute française du procès entier, écrite de sa main. On lui présenta, à son tour, et il reconnut les signatures et les sceaux apposés à l'original latin. A ces pièces on joignit, à la requête du promoteur, les informations faites par le cardinal d'Estouteville ou par son délégué de concert avec Jean Bréhal, un des juges présents ; et il fut ordonné qu'on les mit à la disposition des greffiers et des assesseurs du premier procès qui les voudraient connaître[20].

Plusieurs actes furent encore accomplis en attendant le 20 décembre. Le 16, Prévosteau, appuyé du promoteur, demanda et obtint que l'on assignât immédiatement plusieurs témoins déjà âgés ou infirmes, demeurant à Rouen ou dans les environs, et qui, si l'on différait beaucoup à les entendre, pourraient. bien ne plus, être entendus. Le 18, il remit sa requête. Après avoir défini l'objet du procès et les limites où se renfermait la plainte, il aborde le fond de la question et défend Jeanne sur tous les points où on l'a condamnée. Ses visions : Dieu seul en connaît l'origine, et nul sur la terre n'a le pouvoir d'en juger ; le signe du roi : allégorie permise et justifiée par l'exemple de Moïse devant Pharaon ; l'habit d'homme : justement défendu quand il procède du libertinage, mais bien légitime quand il protège la pudeur ; la soumission à l'Église : l'Église la réclame pour le dogme, laissant, quant au reste, une entière liberté. Jeanne n'y était donc pas tenue en ce qui touche ses révélations comme fait : et pourtant elle s'est soumise à l'Église ; elle a demandé d'être renvoyée au pape, elle a accepté le jugement du concile général, acceptation que l'évêque de Beauvais a défendu d'inscrire au procès-verbal. Mais ce n'est là qu'un exemple des faux qui vicient le procès. Le procureur rappelle l'altération des interrogatoires de Jeanne dans les douze articles ; la formule d'abjuration lue à Jeanne dans le tumulte, sans qu'elle l'ait pu entendre, et que l'évêque, malgré l'avis des assesseurs, ne lui a pas relue. C'est donc à tort qu'on l'a déclarée relapse : et la preuve qu'on l'estimait bonne chrétienne, c'est qu'avant de la faire mourir on lui a donné la communion. Aussi demande-t-il, non pas seulement l'annulation de la sentence, mais tontes les réparations que réclame, après un si cruel supplice, sa mémoire outragée[21].

Le 20 décembre, jour, assigné pour dernier délai aux oppositions, il ne se présenta qu'une seule personne : le procureur de la famille de P. Cauchon. Il déclarait en son nom qu'elle n'entendait pas soutenir la validité du procès de Rouen, mais repoussait toutes les conséquences que l'on en voudrait tirer contre elle-même, et il invoquait l'amnistie proclamée par le roi après la conquête de la Normandie. Lecture faite de cette. pièce, le procureur prit de nouveau dé-. faut contre les non-comparants, et le promoteur, après avoir prêté serment, fit son réquisitoire à son tour[22].

Il appelait l'attention des juges 1° sur les instruments et les actes du procès incriminé ; 2° sur ses préliminaires, et 3° sur le procès lui-même. Il signale parmi les causes qui le vicient : 1° Dans les instruments : l'interposition de faux greffiers ; les douze articles, soumis aux consulteurs, pour tenir lieu du procès entier ; les additions ou les omissions des procès-verbaux. 2° Dans les préliminaires : la partialité de l'évêque de Beauvais, qui s'entremet pour que Jeanne soit vendue aux Anglais ; qui la laisse dans leur prison, quoique remise à l'Église ; qui fait informer sur sa vie antérieure, constater sa virginité, et qui supprime les résultats.de ces deux enquêtes comme étant favorables : procédés illégaux et dont il a senti l'illégalité lui-même en se faisant donner des lettres de garantie. 3° Dans le procès même : la demande d'un tribunal composé de clercs des deux partis mise à l'écart ; la récusation de l'évêque ; l'absence du vice-inquisiteur jusqu'au 19 février, et son adjonction par l'effet des menaces ; l'interrogatoire transféré de la salle publique dans la prison devant un petit nombre d'assesseurs, parce que les autres paraissaient mécontents ; les questions captieuses qui signalent cet interrogatoire ; les 12 articles extraits des 70, et entachés d'omissions ou d'additions frauduleuses ; les menaces aux consulteurs sincères ; les faux conseillers ; les manœuvres employées et pour rendre suspecte la soumission de Jeanne à l'Église, et pouf lui faire reprendre l'habit d'homme après une abjuration obtenue par la séduction et par la contrainte ; enfin sa condamnation comme relapse sans cause légitime ; et, quand elle a été livrée au bras séculier, son exécution sans jugement[23].

Voilà les points que les nouveaux juges avaient à constater par leur enquête : et le promoteur demandait en particulier qu'on refît dans le pays originaire de Jeanne cette information sur sa vie antérieure faite et supprimée par les premiers juges. Les commissaires firent droit à sa demande, consignèrent au procès la déclaration par laquelle ils se constituaient juges et déclaraient les non-comparants contumax ; puis ils les assignèrent au premier jour plaidoyable après le premier dimanche de Carême, pour répondre aux articles que les demandeurs venaient de déposer[24].

Le jour fixé, 16 février 1456, deux nouveaux personnages répondirent à l'assignation : Me Reginald Bredouille, procureur de l'évêque présent de Beauvais et de son promoteur, et frère Jacques Chaussetier, prieur du couvent d'Évreux, au nom des frères prêcheurs de Beauvais. L'audience ayant été remise au lendemain, les juges commencèrent par faire donner lecture des articles au nombre de 401, posés parles demandeurs[25].

C'est le résumé, ou, pour parler plus justement, l'exposition la plus complète de tous les moyens allégués à diverses reprises contre le procès, tant par le procureur et l'avocat de la famille de Jeanne que par le promoteur et les légistes auxquels le procès avait été soumis. En supprimant les répétitions ou les inutilités pour ramener le débat à ses points principaux, on y voit clairement établi ce qui condamne les juges et ce qui relève leur victime : car ce titre lui est suffisamment acquis par les nullités de toutes sortes signalées au procès. Les juges n'étaient que les instruments des Anglais (art. 6) ; et c'est par le seul effet de la crainte, que l'un des deux, le vice-inquisiteur, s'est associé à l'autre (42). Tout prouve leur partialité. contre Jeanne : la prison civile où ils la gardent quand elle doit être remise à l'Église qui la juge (9) ; les séances publiques faisant place à des interrogatoires dans la prison, en présence des Anglais et d'un petit nombre d'assesseurs (12) ; les questions difficiles, captieuses même, où l'on cherchait à l'embarrasser, les menaces faites à ceux qui la voulaient éclairer (18) [plusieurs ont dû fuir pour éviter la mort (80)] ; et les rigueurs de la prison, les chaînes, les entraves qui faisaient de son état comme une torture perpétuelle (46). Ses juges voulaient sa mort, et sa mort par exécution publique : ils l'ont prouvé en témoignant tant de crainte quand ils l'ont vue malade (13), et tant d'empressement à reprendre les interrogatoires lorsqu'à peine elle était guérie (19). Mais leur sentence même les condamne : Jeanne l'eût elle méritée par ses actes, son jeune âge, auprès de juges impartiaux, commandait qu'on l'adoucit (49).

Jeanne était-elle donc coupable ? Les défenseurs de sa mémoire rappellent ses bonnes mœurs, sa piété, sa charité, son zèle à observer les lois, à remplir les pratiques de la vie chrétienne et à les faire observer autour d'elle (25), et cette lumière d'une âme droite et pure qui l'éclaira parmi tous les détours du procès (17). Ils reprennent l'un après l'autre, pour les dissiper et en montrer le vide, tous les crimes qu'on lui imputait : son départ pour la guerre (64), départ qu'elle a caché à ses parents (70, 72) ; l'habit d'homme pris et gardé et en campagne et en prison, et à quelle condition elle était prête à le quitter (65-69) ; le nom de Jésus inscrit dans ses lettres (71) ; le saut de Beaurevoir (72), le signe du roi (73), ainsi que toute l'histoire de ses visions (54 et suiv.). Puis ces autres griefs que l'accusation, faute d'en trouver de suffisants dans sa vie active, voulut tirer de ses paroles et de ses actes depuis qu'elle était aux mains de ses juges : ce qu'elle croyait de son salut, de sa délivrance ; si sainte Catherine et sainte Marguerite aimaient les Anglais, etc. (74-76), et tout particulièrement, à l'occasion de ses visions, son prétendu refus de se soumettre à l'Église. Ses visions ne venaient pas du mauvais esprit, mais de l'esprit divin : la pureté de Jeanne, son humilité, sa simplicité, sa charité, sa foi vive et sincère, le prouvent comme les lumières qu'elles lui ont données et les actes qu'elles lui firent accomplir (54-62). Eussent-elles été des illusions, Jeanne, dans ces conditions, était excusable d'y croire (64). Mais, y croyant ainsi, pouvait-elle les laisser mettre en doute ? Ce sont choses dont l'Église elle-même renvoie la décision à Dieu (77 et 78). Et d'ailleurs Jeanne n'a pas refusé de se soumettre à l'Église : elle n'a point accepté le jugement de ces hommes d'Église en qui elle n'avait que trop raison de voir des ennemis ; et son ignorance l'aurait dû excuser de ne pas entendre autrement l'Église (79). Quand elle sut ce qu'était l'Église, elle s'y est soumise : elle s'est soumise au pape et au concile, demandant qu'on l'y renvoyât (17, 79 et 83-85). Elle n'a donc point été hérétique ; elle n'a pas été relapse, puisqu'elle n'était pas tombée ; et cette abjuration qu'elle prononça sans l'entendre, elle déclara qu'elle ne l'avait prononcée que pour sauver sa vie, protestant ainsi qu'elle n'avait jamais été ce qu'on l'accusait d'être (90). Les juges eux-mêmes l'ont reconnu, en lui accordant la communion avant la mort (86) ; et sa mort a été chrétienne comme toute sa vie (32 et 33).

Qu'est-ce donc que ce procès qui a pu aboutir à une pareille sentence ? Un acte de violence et de fraude ; un tissu de mensonges et de faux. Ses juges ont procédé sana l'enquête préalable exigée en matière d'hérésie (le promoteur a montré que l'information a été faite et qu'elle a été supprimée, ce qui est bien plus grave encore) ; ils ont fait examiner si elle était vierge, et la déclaration qui le constatait a disparu comme l'information préalable (10). Ils ont refusé ses témoins (7), ils lui ont refusé un conseil (47) : comme conseil ils lui ont envoyé un traître qui entretenait son ignorance touchant l'Église et la poussait à une résistance d'où l'on voulait faire sortir si condamnation (52 et 81). Ils l'ont jugée, rejetant son appel au pape en des matières qui, par leur nature, sont spécialement du ressort du pape (15, 43 et 44) ; ils l'ont jugée quoique mineure, sans qu'elle fût défendue (48). Mais sur quoi l'ont-ils jugée ? sur des pièces fausses. Ils ont altéré le procès-verbal, apostant de faux greffiers (22), contraignant les greffiers officiels à ne point écrire ce qui était à sa décharge (50). Bien plus, à ce procès-verbal des interrogatoires, si mutilé qu'il fût, ils ont substitué, comme base du jugement, un prétendu résumé de ses réponses en douze articles, articles que Jeanne n'a ni avoués, ni même connus ; où l'on accumule ce qui la charge, où l'on supprime ce qui la justifie ; articles qui dérivaient de faux procès-verbaux, ou qui faussaient ses dépositions véritables par le retranchement de ses plus importantes déclarations, notamment de son appel au pape et de sa soumission à l'Église (20, 21 ; 91-93). C'est ce qui fait l'excuse des consulteurs (94) ; mais c'est ce qui entraîne la nullité du jugement. Et quel est le mode de procéder dans ce jugement ? On la fait abjurer, et l'on substitue une autre formule à la formule de son abjuration (24, 88, 89). On la déclare réconciliée à l'Église, et on la condamne à la prison perpétuelle (24). Puis on la renvoie à la prison des Anglais, et, pour mieux la rendre relapse, pour qu'elle retombe au moins dans l'hérésie de son habit, on tente de lui faire violence dans cette prison anglaise ; on lui reprend ses habits de femme (26) : ne l'eût elle pas voulu, n'y fût-elle pas forcée par la défense de son honneur, il fallait qu'elle reprit l'ha. bit d'homme. C'est ainsi que l'on est arrivé à la juger une deuxième fois comme relapse (26-28 et 90), et à la livrer à la justice : il est plus exact de dire ici au bras séculier, car le juge séculier l'envoya à la mort sans prendre le temps de prononcer sa Sentence (31)[26].

La lecture des articles achevée, le procureur du nouvel évêque de Beauvais, Me Bredouille, prit la parole et déclara qu'il n'y pouvait pas croire ; qu'il était impossible que Pierre Cauchon eût ainsi procédé. Du reste il s'en référait au procès et ne s'opposait point à ce qu'on assignât les témoins, s'en remettant à la conscience des juges. Jacques Chaussetier avait une mission plus simple. encore : il venait, au nom du couvent de Beauvais, déclarer qu'on n'y connaissait pas le vice-inquisiteur incriminé avec Pierre Cauchon, et prier les juges d'épargner désormais au couvent les assignations qu'on y envoyait à son adresse, non sans jeter le trouble dans les études de la maison. Les juges accueillirent ces déclarations, et, donnant acte aux héritiers de Pierre Cauchon de leurs réserves, ils admirent au procès les articles des demandeurs, et ordonnèrent la continuation de l'enquête. Le rapport en devait être fait le premier jour plaidoyable après la Quasimodo, dans la ville de Rouen[27].

L'enquête se continua à Rouen, à Paris, à Orléans et dans le pays de Jeanne ; et le jeudi 13 mai, après plusieurs ajournements, les procès-verbaux en furent reçus par les juges et mis à la disposition de quiconque y voudrait contredire. Assignation fut donnée pour le faire au 1er juin[28].

La lumière brillait enfin de tout son éclat sur Jeanne et sur ses juges. De toute part s'étaient élevées des voix qui rendaient témoignage à la Pucelle. Les anciens de son pays, les compagnes de son enfance, les compagnons de sa vie militaire : Dunois, le duc d'Alençon, le vieux R. de Gaucourt, L. de Contes son page, d'Ani° son écuyer, Pasquerel son confesseur ; et ceux qui l'assistèrent dans la prison et jusque sur le bûcher, Isambard de La Pierre, Martin Ladvenu ; les assesseurs même et les officiers de ses juges, le greffier Manchon, l'huissier Massieu, venaient tour à tour reproduire quelque trait de cette belle figure. On retrouvait dans leurs dépositions la vie pure, simple et retirée de la jeune fille au foyer paternel, jusqu'au moment où elle se vit appelée à délivrer la France ; la même pureté de mœurs, la même simplicité qui était de sa nature, avec la fermeté de langage et l'accent d'autorité qu'elle tenait de son inspiration, tout le temps qu'elle parut soit à la cour, soit à l'armée ; et depuis qu'elle tomba aux mains de ses ennemis, sa constance dans les rigueurs de la prison, sa hardiesse-dans les épreuves du tribunal, avec ces illuminations soudaines qui jetaient un jour accablant sur les machinations de s ses juges ; enfin sa ferme croyance à la mission qu'elle avait reçue, jusqu'au jour où, après avoir payé le tribut' à la faiblesse de la femme devant les apprêts du supplice, elle se releva par un sacrifice volontaire d'une défaillance plus apparente que 4réelle, et couronna sa vie de sainte par la mort d'une martyre.

Au jour fixé, Lefebvre ou Fabri, évêque de Démétriade, et Hector de Coquerel, official de Rouen, ouvrirent la session, par délégation des commissaires. Après de nouveaux ajournements jugés nécessaires pour déclarer l'information acquise au débat, prononcer le défaut (le 2) et passer outre (le 4 et le 5), le procureur Prévosteau et le promoteur produisirent devant les juges tout l'ensemble des pièces où se fondait la cause : le bref du pape, les informations du cardinal d'Estouteville et de son vicaire, les enquêtes accomplies depuis le commencement de l'instance. Ils y joignirent une feuille de la main de G. Manchon, contenant les corrections à faire aux douze articles, et, pour prouver la falsification de ces articles, cinq feuilles de papier de la main de Jacques de Touraine, où on les retrouvait sous une autre forme, surchargés d'additions et de corrections. Ils produisaient aussi les originaux du premier procès, requérant qu'on les insérât salis transcription parmi les pièces du nouveau, afin qu'on les pût voir avec leurs additions et leurs diversités dans leur forme réelle ; et de plus les lettres de garantie que les juges avaient obtenues du roi d'Angleterre, preuve de plus qu'ils n'avaient agi que pour le compte et à la requête des Anglais. Prévosteau demandait que l'on examinât aussi divers mémoires écrits soit à l'arrivée de la Pucelle, soit après son jugement, pour soutenir la divinité de sa mission ou prouver l'iniquité de ses juges. En ce qui touche les premiers, le mémoire de Gerson figure seul dans la transcription du procès[29].

Personne ne se présenta pour contester ces pièces. Elles furent donc admises au procès (10 juin), et on assigna au 1er juillet pour entendre les conclusions dans la cause[30].

Le 1er juillet, l'archevêque de Reims, les évêques de Paris et de Coutances et Jean Bréhal reprirent eux-mêmes leurs fonctions de juges ; et le lendemain, toute partie adverse continuant de faire défaut, le promoteur et les demandeurs présentèrent les moyens de droit à l'appui de la cause. Le promoteur lut un mémoire où, résumant les raisons fournies par les nombreux documents de la procédure, il déclarait qu'il approuvait en tout point les conclusions es demandeurs ; et les demandeurs montraient combien, même devant le droit strict, Jeanne était justifiable dans ses paroles et dans ses actes, et ses juges perfides ou violents dans leur manière d'agir. Ils concluaient donc à l'annulation du procès, à la réhabilitation de Jeanne, espérant que la plainte de sa mère et de ses frères, favorablement accueillie du souverain pontife, trouverait sa légitime satisfaction dans la sentence des juges auxquels le Saint-Siège l'avait renvoyée[31].

Les juges avaient consacré le mois de juin à examiner, avec l'assistance d'un grand nombre de docteurs, tant l'ancien procès que les pièces du nouveau déjà déposées ; et ils avaient chargé leur collègue Jean Bréhal de résumer en quelques articles les Points sur lesquels le premier leur paraissait attaquable dans le fond ou dans la, forme. C'est un nouveau traité, mais cette fois 'un traité officiel composé sur toutes les pièces des deux procédures, où le chef de l'inquisition en France, et, par l'approbation qu'ils y ont. donnée, les trois évêques commissaires du pape, composant avec lui le tribunal, établissent qu'au procès de Jeanne la vraie doctrine n'a pas été moins lésée que la justice : en résumé, que Jeanne doit être lavée de tout reproche touchant les faits mis à sa charge (les visions, l'habit d'homme, la soumission à l'Église, etc.), et son jugement cassé : pour l'incompétence et la partialité de son juge, pour la récusation qu'elle en fit, et son appel au pape, appel suffisant dont il a refusé de tenir compte, en un mot pour toutes les traces de violence ou de fraude que révèlent le choix de la prison, l'adjonction du vice-inquisiteur, les douze articles, la formule d'abjuration, le jugement comme relapse et toute la matière du procès[32].

C'était déjà tout un jugement. Il ne s'agissait plus que de le mettre en sa forme et de le rendre public.

Le 7 juillet, les commissaires se réunirent dans la grande salle du palais archiépiscopal de Rouen ; et là, en présence de Jean d'Arc, de Prévosteau, représentant Isabelle, la mère de Jeanne, et Pierre' d'Arc, son autre frère, du promoteur Chapitaut et de P. Maugier, avocat de la famille, personne ne se présentant pour combattre les conclusions du promoteur, ils déclarèrent la partie adverse contumax. Puis, jugeant au fond, après avoir énuméré toutes les pièces de procédure sur lesquelles ils avaient formé leur opinion, ils prononcèrent d'abord que les douze articles, l'unique base de la sentence rendue contre Jeanne, étaient faux, altérés et calomnieux, et ordonnèrent qu'ils fussent arrachés du procès, et lacérés judiciairement. De là ils passaient aux deux sentences, et, après avoir signalé les principaux moyens de droit tant de fois apposés aux procédés des premiers juges, adoptant l'avis des docteurs et des prélats qui n'ont vu dans tout le procès aucun fondement à l'accusation : ils déclaraient le procès et les sentences entachés de dol et de calomnie, et par conséquent nuls et de nul effet ; ils les cassaient et les annulaient, déclarant que Jeanne ni aucun des siens n'en avaient reçu aucune note d'infamie, et les lavant de toute tache semblable autant que besoin était. Ils ordonnaient que la sentence serait immédiatement publiée à Rouen en deux endroits : sur la place de Saint-Ouen, en langue vulgaire, à la suite d'une procession solennelle ; et le lendemain au Vieux-Marché, au lieu où Jeanne avait été si cruellement brûlée. La publication devait être suivie d'un sermon solennel et de la plantation d'une croix destinée à perpétuer sa mémoire et à solliciter les prières des fidèles ; et la sentence, publiée dans toutes les autres villes ou lieux du royaume qu'il semblerait bon[33].

La sentence reçut immédiatement son exécution, à Rouen d'abord, puis dans plusieurs autres villes, notamment à Orléans, où l'évêque de Coutances et l'inquisiteur J. Bréhal vinrent de leur personne présider aux cérémonies ordonnées. Les Orléanais n'avaient pas eu besoin de ce jugement pour rendre à la mémoire do Jeanne les honneurs qui lui étaient dus. Ils avaient recueilli sa mère, voulant s'acquitter au moins auprès de sa famille de leur dette envers elle ; et plus tard, à la place de la croix érigée conformément à la sentence, ils lui élevèrent, à leurs frais, sur leur pont même, en face du lieu où elle avait accompli l'acte décisif de leur délivrance, un monument qui, mutilé par les guerres religieuses, supprimé par la révolution,. s'est relevé en un autre lieu et sous une autre forme, attestant, parmi ces vicissitudes, leur invariable attachement à sa mémoire. Mais ce qui mieux que les statues et les inscriptions consacrera la gloire de Jeanne d'Arc, c'est le procès de réhabilitation lui-même, ce sont les témoignages recueillis par toutes ces enquêtes, et fixés à jamais parmi les actes du procès[34].

Ce procès qui révise et annule le jugement de Jeanne d'Arc, a subi une sorte de révision, de notre temps. Le contradicteur que les juges commissaires ont tant de fois assigné sans le voir jamais paraître, s'est levé enfin, et nul ne contestera sa compétence : c'est celui qui a publié les deux procès. Assurément personne moins que lui ne défend la légitimité do la sentence de Jeanne et ne s'oppose à la réhabilitation de sa mémoire. Son édition et les documents de toute sorte qu'il y a joints, forment, sans contredit, le plus beau et le plus durable monument élevé à son honneur. Il est admirateur passionné de Jeanne, mais il est critique, et c'est à ce titre qu'il a jugé et comparé les deux procès.

Que le premier l'emporte sur l'autre par la forme de la rédaction et par l'ordre des matières, c'est ce que le savant éditeur n'a point de peine à établir. Qu'il l'emporte par l'habileté avec laquelle il a été mené, c'est ce qu'on pourrait présupposer encore avant tout examen. Le second procès n'a pas eu de contradicteur ; les commissaires avaient à juger une cause dont l'évidence frappait tous les yeux. Ils pouvaient donc ne pas étendre leur enquête sur tous les points où s'était passée la vie de Jeanne : Domrémy, le lieu de son origine ; Orléans, le principal théâtre de sa mission ; Rouen, le lieu de son jugement et de son supplice ; Paris, où elle avait voulu faire entrer le roi et qui lui avait envoyé des juges : c'était plus qu'il n'était nécessaire. Ils pouvaient même, sans qu'on leur en fit un crime, laisser de ciné plusieurs témoins ; et ils le pouvaient d'autant plus, comme l'a reconnu M. Quicherat, qu'ils faisaient un procès moins aux personnes qu'aux choses. Les principaux coupables étaient morts ; P. Cauchon était désavoué même par ses héritiers. Quant aux assesseurs encore vivants, on les cita, on les entendit ; mais le premier soin des demandeurs avait été de les mettre hors de cause. lies juges ont donc pu passer avec quelque négligence sur des faits qu'ils n'avaient point à juger ; et si des arguments plus ou moins hasardés ont été produits devant eux dans les requêtes de la famille, ce n'était point à eux d'y contredire : il suffisait qu'ils cherchassent ailleurs les bases de leur jugement. Le premier procès, au contraire, était contradictoire ; le juge se trouvait, il est vrai, en présence d'une simple jeune fille, sans défenseur, sans conseil : mais cette jeune fille était Jeanne, et son conseil, elle l'a bien prouvé, Celui qu'elle avait eu pour guide dans les batailles. Plus son innocence et sa vertu jetaient d'éclat, plus le juge, qui était un ennemi, s'il ne voulait être vaincu dans cette lutte nouvelle, était obligé de déployer les ressources de son génie ; et, d'ailleurs, derrière Jeanne il entrevoyait un autre tribunal devant lequel, tôt ou tard, il y aurait appel de son procès. M. Quicherat a donc raison de dire qu'on ne doit pas le supposer assez malhabile et insensé pour commettre, en quelque sorte, de gaieté de cœur, ces illégalités flagrantes qui eussent invalidé le jugement, même à l'égard du plus grand coupable. Mais si l'accusée est Jeanne, une sainte et brave fille au moins, sinon une envoyée de Dieu, et si l'on veut arriver à la condamner, il faudra bien, si habile qu'on soit, faire pour cela violence au droit écrit : car les formes de droit établies dans les jugements ne seraient bonnes qu'à être supprimées, si elles n'offraient une garantie à l'accusé contre le bon plaisir du juge[35].

Nous admettrons donc si l'on veut, contre les demandeurs, que P. Cauchon, en tant qu'évêque de Beauvais, était juge compétent, qu'en s'associant le vice-inquisiteur comme juge, et les principaux docteurs du clergé de Rouen et de l'Université de Paris comme assesseurs, il a donné à son procès toutes les apparences d'une bonne justice. Nous admettrons que les usages de l'inquisition aient paru légitimer des procédés justement réputés contraires au droit commun. Mais nous n'admettrons pas que l'iniquité flagrante de ce procès soit en tout point couverte parla loi. Pierre Cauchon était juge compétent comme évêque de Beauvais ; mais dans l'esprit même de la loi, il devait s'abstenir, comme ennemi capital ; car si la loi refusait aux ennemis capitaux la faculté d'être témoins, combien plus la qualité de juges ! La Pucelle, prisonnière de guerre, était de droit gardée par les Anglais : mais en la soumettant au jugement de l'Église, ils la devaient remettre à la prison de l'Église, sauf à eux à garder la prison. La loi était formelle ici ; et quant aux points où on l'invoque en un autre sens, il y a encore plus d'une réserve à faire. Si l'inquisition laissait au juge le pouvoir d'écarter toutes les formes protectrices de l'accusé, elle ne lui commandait pas de les bannir ; et quand il en usait, il n'était plus libre d'en rejeter les résultats selon qu'ils trompaient son attente : car elle ne lui supposai t point de parti pris. Et une preuve, on pourrait dire, en termes d'école, un argument ad hominem, contre la légitimité du procès au point de vue du droit inquisitorial, c'est que le personnage placé au premier rang parmi ceux qui le poursuivirent et le révoquèrent, ce fut l'un des deux inquisiteurs de France, Jean Bréhal[36].

Le juge de Rouen pouvait donc, si l'on veut, se passer de faire des informations préalables : mais il en fit ; cela est établi, contre l'assertion des demandeurs, par les textes du premier procès, comme par les témoignages recueillis au second. Seulement il ne les produisit pas, ou du moins, si à l'origine il les communiqua à quelques assesseurs-pour en tirer les éléments d'un interrogatoire, il ne les garda point au procès, comme il y garda d'autres pièces d'un intérêt moins grave, sans doute. Il les a supprimées ; car c'est en vain qu'on prétend les retrouver du moins par extrait dans les soixante-dix articles : un réquisitoire n'a jamais tenu lieu d'un procès-verbal d'enquête. Il les a supprimées, et en vain dit-on qu'il le fit ne pouvant en user sans recoller les témoins, ni assigner ceux-ci sans les compromettre ; il les a supprimées parce qu'elles le gênaient : les témoignages recueillis au procès de révision donnent toute force, en ce point, à l'argument du promoteur. Peu importe donc que le juge ait pu se passer de cette enquête. Il pouvait de même se dispenser de faire examiner Jeanne par des matrones ; mais s'il n'a pas rougi d'ordonner cet examen, il aurait dû ne se point faire scrupule d'en consigner le résultat au procès : son silence en ce point prouve autre chose que sa pudeur[37].

L'inquisition autorisait P. Cauchon à ne point donner à Jeanne d'avocat : mais l'autorisait-elle à forcer à se taire, en les menaçant de mort, ceux qui tentaient de l'éclairer dans le cours du procès, comme il arriva tant de fois, au témoignage de ceux mêmes qui ont subi ces violences ? et, après cela, quand il offrit à Jeanne de lui donner un conseil pris parmi ceux qui l'entouraient, n'avait-elle pas raison de le repousser par cette noble réponse qu'elle s'en tiendrait à son conseil, c'est-à-dire Dieu qui la soutenait ?

L'inquisition autorisait P. Cauchon à surprendre ses aveux par le moyen d'un faux confident ; mais l'autorisait-elle à la pousser par ce faux confident à une résistance qui, depuis que le jour s'était fait sur sa vie tout entière, devenait le seul moyen de la perdre ? Or, quoique cette résistance n'ait point été jusqu'au point que l'on dit, c'est Loyseleur qui l'y affermissait, sans lui suggérer cette distinction qu'elle trouva d'elle-même pour concilier sa volonté d'être soumise à l'Église, et sa résolution parfaitement légitime de ne pas prendre pour l'Église et, à ce titre, pour juges de ses révélations, les ennemis qui la jugeaient[38].

L'inquisition, enfin, autorisait P. Cauchon à procéder sans prendre avis que de lui-même : mais il voulut s'appuyer de l'opinion de nombreux assesseurs ; il voulut consulter mime des docteurs étrangers au débat. Or, dès ce moment, il était tenu de lei éclairer ; et que fit-il ? Après les premières séances, il écarta des interrogatoires les assesseurs, sous prétexte de ne les point fatiguer ; il ôta de leur vue le spectacle de cette jeune fille soutenant avec tant de vigueur une lutte en apparence si inégale. Il en transporta la scène dit tribunal dans la prison, et ne laissa plus la parole de Jeanne arriver jusqu'à eux que par l'organe des greffiers. Mais je me trompe : la parole de Jeanne ne leur parvint même pas en la teneur du procès-verbal. Les interrogatoires allèrent, on l'a vu, se transformer et se fondre dans les soixante-dix articles de l'accusation, et quand il s'agit de délibérer, on en tira ces douze articles qui, corrigés ou non (le débat n'a ici qu'une fort médiocre importance), n'en étaient pas moins un résumé, non des aveux de Jeanne, mais des imputations de son accusateur, l'attaque sans la défense ; une pièce que Jeanne, non seulement n'avait pas avouée, mais n'avait même pas connue. C'est sur cette base, radicalement fausse, que porta la délibération de l'Université de Paris et des docteurs de toute origine ; et c'est sur cette délibération que les juges prétendirent appuyer leur sentence, ajoutant, pour leur compte, la fraude à l'erreur où ils avaient induit les autres[39].

Voilà le premier jugement ; et que dire du second ? de ce germe qu'on en déposa dans le premier par cette abjuration substituée à celle qu'on avait obtenue de Jeanne sur l'échafaud de Saint-Ouen, entre le juge qui lisait la sentence et le bourreau prêt à l'exécuter ? que dire de L'occasion qu'on en fit naître, en la rendant, malgré les plus solennelles promesses, à la prison anglaise, et en usant de violence et de fraude pour lui faire reprendre les habits d'homme qu'elle avait déposés ? Ce sont là des nullités de fait que ne peut couvrir la procédure la plus régulière. Disons-le donc : si les juges, comme le dit Isambard de La Pierre dans le second procès observaient assez bien les formes du droit (satis observabant ordinem juris), ils n'en usaient que pour couvrir sciemment les injustices les plus criantes : cela est prouvé par les efforts qu'ils firent constamment ; depuis le commencement jusqu'à la fin, dans l'enquête préalable, dans les interrogatoires, dans les douze articles, dans l'abjuration même et dans la visite qui suivit la reprise de l'habit d'homme, pour fuir, pour étouffer la lumière sitôt qu'elle voulait se produire. Ils l'ont condamnée comme hérétique, sachant qu'elle ne l'avait jamais été ; ils l'ont condamnée comme relapse, sachant qu'elle n'était tombée que dans le piège tendu par eux-mêmes sous ses pas. Et ils-se sont condamnés eux-mêmes en lui accordant, avant de la frapper, la communion. Ici encore on cite le droit inquisitorial : S'ils se repentent, après leur condamnation, et que les signes de leur repentir soient manifestes, on ne peut leur refuser les sacrements de pénitence et d'eucharistie, en tant qu'ils les demanderont avec humilité. Mais les termes du décret repoussent l'opinion qu'on y veut appuyer. C'est après et non avant la condamnation qu'il accorde les sacrements au coupable. Condamner comme hérétique, déclarer excommunié de l'Église celui qu'on vient de recevoir à la communion, ce serait retrancher l'Église même de la communion de Jésus-Christ[40] !

Nous ne parlons pas du jugement civil, puisqu'il n'y en eut pas. Mais comment alors Jeanne a-t-elle pu être brûlée ? L'arrêt des juges ecclésiastiques ne faisait que remettre la condamnée à une autre justice, et par ses termes, il excluait la peine de mort ! La mort, pour qu'elle suivit, devait être au moins prononcée par quelqu'un. Que dirait-on si, après le verdict du jury, un président d'assises se bornait à dire aux gendarmes de mener l'accusé au supplice ? C'est pourtant ce qui est arrivé à Jeanne, au témoignage de tout Rouen, et du lieutenant du bailli même, quand, après la sentence ecclésiastique, le juge civil qui la devait condamner se contenta de dire aux sergents : Emmenez, emmenez[41].

II ne faut donc rien diminuer de la juste réprobation qui frappe le procès tout entier : on pouvait être de bonne foi en le commençant, on ne pouvait pas l'être en le finissant de la sorte. Point d'excuse à l'iniquité de la sentence ; point d'excuse aux illégalités de la procédure ; et l'on invoque à tort en faveur de sa régularité le silence qui se fit sur Jeanne parmi ceux qui devaient le plus avoir à cœur de venger sa mémoire. Tout ce qu'on pourrait dire, c'est que les fraudes du procès n'étaient pas encore connues et ne le furent que quand les pièces en vinrent aux mains du roi, après l'expulsion des Anglais.

On n'avait pas attendu le procès de réhabilitation pour protester contre l'acte de Rouen. Perceval de Cagny, dans sa chronique, impute la mort de Jeanne à l'envie des Anglais ; Jean Chartier dit qu'ils la brillèrent sans procès et de leur volonté indue, tenant sans doute le procès pour nul, soit pour l'absence du jugement civil, soit pour tout autre vice de forme : car on ne peut supposer qu'il en ait ignoré l'existence. Le Journal du siège et la Chronique de la Pucelle ne poussent pas le récit jusque-là ; et certes ce n'est point par crainte que le tableau de la fin de Jeanne d'Arc ne jette de l'ombre sur les merveilles qu'ils en ont racontées. Il eût été bien étrange, en effet, que son supplice eût paru ternir sa mémoire. Dans le Champion des Darnes, petit poème publié en 1440 et dédié au duc de Bourgogne, celui-là même qui fit livrer Jeanne aux Anglais, un personnage ayant avancé qu'Outrecuidance a perdu Jeanne, et que Raison l'a fait brûler à Rouen :

C'est malentendu, grosse teste,

Répond. Franc-vouloir prestement.

De quanta saints faisons-nous la feste

Qui moururent honteusement !

Pense à Jhésus premièrement,

Et puis à ses martirs benois ;

Sy jugeras évidemment

Qu'en ce fait tu ne te cognois.

Guères ne font tes argumens

Contre la Pucelle innocente,

Ou que des secrez jugemens

De Dieu sur elle pis on sente ;

Et droit est que chacun consente

A lui donner honneur et gloire

Pour sa vertu très-excellente,

Pour sa force et pour sa victoire[42].

Le jugement de réhabilitation confirmait avec éclat la croyance populaire. Devant cette déclaration solennelle, on ne la pouvait plus dire égarée. La sentence flétrissait énergiquement les calomnies par lesquelles le premier procès avait cru donner le change à l'opinion publique. Mais pour connaître Jeanne, il ne s'agissait pas d'opposer l'un des procès à l'autre : il les fallait joindre, au contraire, et la contempler elle-même, plus imposante encore, parmi les accusations de ses juges que dans les témoignages recueil. lis au second procès. Or, c'est ce qu'en général on ne songea point à faire.

II y a des exceptions pourtant.

Thomas Basin, évêque de Lisieux (le faux Amelgard), qui fut consulté et qui fit un traité sur le procès de condamnation, ne dut pas rester non plus étranger au procès de réhabilitation qu'il provoqua lui-même : et le jugement qu'il porte sur Jeanne est en tout point conforme à l'opinion que tout esprit sincère s'en fera d'après ces documents. Il signale la perfidie de ses interrogatoires, et le grand sens de ses réponses, sa piété, sa pureté, et la raison qui la contraignit à prendre l'habit dont on lui fit un crime ; mais aussi l'inutilité de toute raison dans un procès où les Anglais voulaient à tout prix la perdre, quand sa mort était résolue dans leurs conseils par la haine et par la peur. Il explique son abjuration par les rigueurs de son emprisonnement et la promesse de liberté qu'on lui fit, sa rechute par l'inexécution de cette promesse, et il la montre invoquant dans les flammes Dieu et la mère de Jésus-Christ. Il ne se prononce pas sur l'origine de ses révélations, ne sachant rien des signes qu'elle a donnés au roi pour l'y faire croire ; mais il affirme que, de tout le procès, il n'y a rien qui rende sa foi suspecte, ou justifie sa condamnation comme hérétique et comme relapse ; et il réfute avec beaucoup de force ceux qui pourraient douter de la divinité de sa mission à cause de sa mort, en citant, comme le Champion des Dames, Jésus-Christ et, à son imitation, les prophètes et les apôtres consommant leur mission divine par le martyre[43].

Martial d'Auvergne connaît aussi les deux procès, et il sait le parti qu'on en peut tirer :

Au procès de son innocence

Y a des choses singulières,

Et est une grande plaisance

De veoir toutes les deux matières.

Mais la matière des deux procès n'était point à la mesure de sa chronique mise en complainte. Tout en sentant l'iniquité du premier, il s'abstient de le juger lui-même. Tout en rappelant les conclusions du second, il se borne à dire où on le trouvera. Quant à lui, pour rendre hommage à la Pucelle, il rimera la chronique de Jean Chartier : cela suffit à sa verve poétique[44].

Le plus grand nombre, en négligeant les deux procès, ne prirent pas même la peine d'y suppléer à l'aide des chroniqueurs contemporains. La tradition, sur ce sujet, se donna libre carrière. Considérant le but atteint, l'expulsion des Anglais, elle y accommoda l'histoire et le caractère de Jeanne selon sa fantaisie. Elle en fit une sorte d'héroïne de théâtre ou de cirque, sautant à cheval sans toucher l'étrier, chargeant l'ennemi la lance au poing, frappant dedans, et tuant tous ceux qu'elle touche ; chevauchant ainsi par toute la France ; prenant Bordeaux, Bayonne, et provoquant par ses victoires l'expulsion des Anglais de Paris. Alors elle mène le roi à Reims pour être sacré, à Paris pour être couronné ; puis, attaquant la Normandie, elle marche de conquête en conquête jusque devant Rouen, où elle disparaît. On ne sait, dit notre chronique ; ce qu'elle devint : les uns disent que les Anglais l'ont prise et brûlée ; d'autres, que plusieurs de l'armée l'avaient fait périr par jalousie. A cette chronique, on peut joindre les récits de Philippe de Bergame et de Laonic Chalcondyle. Philippe de Bergame, bien qu'il ait pris peut-être plusieurs traits de la figure de Jeanne au rapport d'un chevalier italien qui l'avait vue, dispose du reste en toute liberté : c'est en faisant son métier de bergère que Jeanne, sautant comme un homme sur quelque jument du troupeau, se forma, toute jeune encore, à monter à cheval, à manier la lance, à déployer contre les troncs des arbres la force de son bras. Accueillie par Charles VII, elle va faire lever le siège d'Orléans sur le Rhône ; elle prend en trois heures trois bastilles ; elle combat les Anglais durant huit ans en trente batailles. Chalcondyle est plus bref : il la fait paraître en une seule campagne, qui est pour lui toute la guerre de Cent ans[45].

Tout cela tient plus du roman que de l'histoire. Dans l'histoire, la figure. de Jeanne, ensevelie en quelque sorte parmi les pièces du procès, ne demeura que par l'impression qu'elle avait faite chez les contemporains. Maudite comme sorcière par les Anglais, qui, ne pouvant l'absoudre sans se condamner, s'endurcissent dans leurs sentiments haineux : on en peut voir l'expression dans Shakespeare ; moins maltraitée des Bourguignons, qui la réduisent à un personnage ou à une machine politique (Monstrelet, etc.) ; admirée des Français et des autres peuples, sans que pourtant les Français eux-mêmes (ce sont des politiques aussi qui écrivent) osent se prononcer sur la source de son inspiration. Parmi les témoignages les plus remarquables rendus à sa mémoire, il faut compter celui du pape Pie II (Ænéas Sylvius Piccolomini), qui, après avoir raconté sa vie merveilleuse, et constaté que dans son procès on n'avait rien établi contre sa foi, rien qui parût digne de châtiment, si ce n'est cet habit d'homme qui ne méritait pas la mort et qu'on lui fit reprendre par ruse, s'écrie : Ainsi périt Jeanne, vierge étonnante et admirable, qui a rétabli le royaume de France presque ruiné et abattu, et infligé aux Anglais tant de défaites ; qui, devenue chef de guerriers, a gardé, au milieu des soldats, sa pudeur sans tache, et n'a jamais été l'objet de propos infamants. Était-ce œuvre de Dieu ou invention des hommes, j'aurais peine à le dire. Il rapporte ce bruit, qu'on avait imaginé de la susciter pour mettre un terme aux rivalités des chefs. Mais, ajoute-t-il, une chose est bien certaine : c'est que c'est elle qui a fait lever le siège d'Orléans, conquis par les armes le pays compris entre Bourges et Paris, et amené par son conseil la soumission de Reims et le couronnement du roi ; elle, dont la vigueur a mis en fuite Talbot et son armée, dont l'audace a brûlé une porte de Paris, dont l'habileté et l'adresse a remis en bon état les affaires de la France. Chose digne de mémoire, et qui trouvera dans la postérité moins de foi que d'admiration ![46]

Sur ce terrain mal défini, le champ était ouvert aux appréciations. Chaque siècle en usa pour se faire Jeanne, en quelque sorte, à son image. Le XVIe siècle en fit une politique : du Bellay, sans trop s'en rendre compte, en prit l'idée à l'opinion bourguignonne, et du Haillan ne craignit point d'accueillir jusqu'aux plus infâmes impostures que la passion et la haine aient inspirées aux Anglais. Le XVIIe siècle en fit une héroïne, mais une héroïne aux couleurs de l'hôtel de Rambouillet : elle périt ensevelie dans le triomphe que Chapelain lui ménageait en son poème. Le XVIIIe siècle, on sait par quelle indigne profanation il entendit la faire revivre : déplorable attentat contre la gloire de la France, qui, sans ternir le nom de Jeanne, imprime une tache ineffaçable à la mémoire de celui qui se fit un jeu de le souiller. De nos jours, la politique de du Bellay, l'héroïne de Chapelain, l'insultée de Voltaire, est devenue une incarnation du peuple[47].

Mais c'est par un abus de langage que nous avons prêté à des siècles entiers l'opinion de quelques hommes. Dès la fin du XVe siècle, au sein même des Flandres, Jacques Meyer saluait dans Jeanne d'Arc l'envoyée de Dieu, et il empruntait à un contemporain de la Pucelle (Thomas Basin) les passages qui témoignaient le plus des merveilles qu'elle opéra dans la guerre, et de l'inspiration dont elle fit preuve jusque dans son jugement. Au XVIe siècle, Et. Pasquier relevait avec un sentiment vrai d'admiration la grandeur et le dévouement de Jeanne d'Arc ; et la ville d'Orléans, qui ne faillit jamais à son culte pour la Pucelle, protestait contre l'indifférence ou les outrages des écrivains que l'on a vus, en faisant imprimer l'histoire du siège dont Jeanne la délivra. Au XVIIe siècle, les descendants de ses frères publiaient avec un zèle pieux ce qui pouvait la faire mieux connaître et honorer ; Godefroy donnait pour la première fois, dans son recueil des historiens de Charles VII, l'une des plus précieuses chroniques, et, selon un juge fort compétent, des plus autorisées, celle qui porte le nom de la Pucelle. Au XVIIIe siècle, on en revint enfin à l'étude des deux procès ; et après Lenglet Dufresnoy, qui les lut pour en tirer une histoire. médiocre, vint L'Averdy qui les fit connaître par une analyse exacte, accompagnée d'une appréciation impartiale, dans la Notice des manuscrits de la Bibliothèque du Roi. Enfin, de nos jours, la Société de l'histoire de France accomplit ce que L'Averdy n'avait fait que préparer, en confiant la publication des deux procès à l'un des hommes les plus distingués dans la critique des textes du moyen âge, M. Jules Quicherat[48].

Ce beau travail, qui ne laisse presque plus rien à faire après lui dans le champ de l'érudition, n'a pas changé les bases de l'histoire de Jeanne d'Arc, sans doute : depuis les notices de L'Averdy, nul n'y a touché sérieusement qu'il n'ait consulté, avec ses analyses, le texte même des procès ; mais il en a rendu l'assiette plus ferme et les abords plus faciles. Les histoires se sont donc multipliées sans changer nécessairement de caractère. Ce qui serait souhaitable, c'est que Jeanne d'Arc, soustraite désormais à l'influence des passions et des rivalités nationales, échappât à celle des systèmes ; c'est qu'on l'étudiât en elle et pour elle. Sa figure, pour être grande, n'a que faire de grandes formules. On en efface les traits les plus purs et les plus nets de ma mémoire, quand, par un mélange du sacré et du profane, on veut me montrer en elle la France incarnée, un Messie féminin. Jeanne s'est dite envoyée de Dieu, il est vrai. Mais si on ne l'entend pas comme elle le dit, il serait juste au moins de ne pas l'entendre contrairement à tout ce qu'elle a dit. Or, c'est ce qu'on a, de nos jours, voulu faire. A la mission qu'elle s'est attribuée, on en joint une autre : mission dont elle n'a point parlé, dont assurément elle ne se doutait pas, qui commence quand l'autre finit, et dont la scène est à Rouen. Le procès de Rouen devient la lutte de l'inspiration contre l'autorité, du libre génie gaulois contre le clergé romain, et peu s'en faut qu'on ne dise du druidisme contre le catholicisme. On écarte les témoignages de la réhabilitation ; on admet, sans réserve, les actes dressés par les premiers juges, on adopte pleinement leur manière de voir, non pour condamner Jeanne, sans doute, mais pour frapper l'Église par sa déclaration[49].

Mais c'est en vain que Pierre Cauchon trouve dans nos historiens des auxiliaires si inattendus : tout leur savoir ne suffira point pour donner à sa haine l'appui que sa conscience elle-même et sa raison ne lui ont probablement jamais assuré. Tout se peut résoudre, en effet, par une simple question que je pose à ceux qui se montrent si ingénieux à faire de Jeanne une hérétique. Si Jeanne eût déclaré qu'elle s'en remettait absolument de ses révélations à l'Église, qui eût jugé au nom de l'Église ? Pierre Cauchon, sans aucun doute, avec son tribunal à la solde des Anglais : quand elle en appelait au pape, ils lui ont dit qu'il était trop loin ! Jeanne avait donc toute raison de s'y refuser. En parlant de ses révélations, elle ne soutenait aucune doctrine nouvelle : la question de dogme qui s'y pouvait rattacher, je veux dire la possibilité de ces communications d'en haut, était résolue par l'Église, et résolue en sa faveur. Elle ne soutenait qu'un fait à elle propre : cela n'ôtait pas aux autres le droit d'y croire ou de n'y pas croire. C'est le droit et le devoir des pasteurs de ne pas accepter légèrement de semblables affirmations ; et, si elles ne semblent pas fondées, d'e n garder les fidèles. Missi la chose avait-elle été examinée à Poitiers ; elle pouvait l'être de la même sorte à Rouen ; et si l'archevêque de Reims y avait cru et l'avait approuvée, l'évêque de Beauvais avait encore la liberté de n'y pas croire. Mais eût-on toute raison de n'y pas croire, Jeanne n'était point hérétique en y croyant. L'Église, comme l'ont établi sans contradiction les demandeurs et le promoteur au procès de réhabilitation, n'a jamais entendu se faire juge d'une question réduite ainsi à un fait tout personnel ; et le pape Pie II, on l'a vu, tout en réservant son jugement sur la. réalité de l'inspiration de la Pucelle, affirme que dans son procès on n'arien trouvé en elle contre la foi. D'ailleurs, comme cela est établi, non-seulement par les témoins de la réhabilitation, mais par les actes mêmes du premier procès, elle n'a point refusé le jugement de l'Église. Elle l'acceptait là où elle avait la garantie de ne pas trouver sous le nom de l'Église ses ennemis mêmes ; elle l'avait accepté à Poitiers ; elle l'acceptait encore dans le pape, dans le concile, demandant qu'on l'y menât ; car elle ne s'en remettait point volontiers à ses juges du soin d'exposer sa cause : et l'histoire des douze articles, comme plus tard la lettre écrite au pape au nom du roi d'Angleterre, montre assez si ce.tte réserve était de trop. Elle finit même par renoncer à cette condition Si nécessaire. Elle se réduisit à demander que ses faits et ses dits fussent envoyés à Rome devers notre Saint-Père le pape, auquel et à Dieu premier elle se rapportait. Les juges, on l'a vu, passèrent outre : les critiques, dans leur zèle à trouver comme eux Jeanne rebelle à l'Église, devraient bien n'en pas faire autant[50] !

Disons-le donc : quelque opinion qu'on se fasse de Jeanne d'Arc, il y a une chose qu'il faut au moins lui laisser : c'est qu'elle fut, comme elle l'a dit, bonne chrétienne, et ce mot, dans son langage n'est pas équivoque. Il faut renoncer à tourner contre l'Église celle qui a déclaré que quant à l'Église, elle l'aime et la voudrait soutenir de tout son pouvoir : et elle le prouvait alors même. Elle la soutenait, quand elle refusait une soumission exigée d'elle en cette forme, et demandait qu'on la menât au pape et au concile, opposant la garantie d'un juge indépendant, à ce tribunal passionné qui compromettait l'Église en prétendant juger en son nom. Personne, du reste, ne s'est jamais mépris sur le caractère de la condamnation de Jeanne d'Arc, comme personne ne peut se méprendre sur l'objet de cette justification tardive de son procès en ce point-là Jeanne n'a pas été condamnée par l'Église ; Jeanne a. été réhabilitée par l'Église. Elle a été condamnée par un évêque, chassé comme un ennemi par le contrecoup de ses victoires, et constitué son juge par le choix de ses ennemis. Elle à été relevée de cette condamnation par un tribunal que le pape institua lui-même, et qu'il composa de trois évêques et de l'inquisiteur de France. Si ce tribunal, sur le vu des pièces que nous avons (car nous n'avons que ce qui a passé par ses mains) l'a jugée orthodoxe, on n'a pas le droit d'être plus difficile[51].

Ce point mis à l'écart, le champ reste ouvert à la discussion sur le caractère et la source de la mission de Jeanne d'Arc, et nous pouvons reprendre en connaissance de Cause les solutions diverses que nous avions signalées en commençant. La mission de Jeanne d'Arc a un but sûrement défini. Elle veut rendre au roi sa couronne et sauver avec lui la nationalité de la France. C'est une œuvre patriotique, et elle y a donné sa vie. Certes, l'amour de la patrie n'a jamais eu plus noble victime, et le sentiment est digne de l'avoir inspirée. Mais s'il était sa seule inspiration, aurait-il pris une forme étrangère ? Bien souvent la patrie en danger a vu des femmes accourir à sa défense : jamais cela ne s'est passé de la sorte. Il y a dans Jeanne d'Arc un amour passionné de la France ; mais il y a dans cet amour un principe supérieur, qui l'exalte et le soutient à ce degré où il ne conne plus rien de l'enivrement même de la guerre. Ce n'est point le patriotisme qui a enfanté les visions de Jeanne : c'est la foi de Jeanne en ses apparitions qui a donné à son amour de la patrie assez de force pour triompher des sentiments qui l'attachaient à sa vie simple auprès de ses parents.

Jeanne est-elle une mystique, et ses visions une illusion de son esprit ? Avant toutes choses, il faut savoir ce qu'elle en a voulu dire. Elle a nommé des auges, des saintes. Elle les a entendus, elle les a vus, elle le dit : mais qu'a-t-elle vu ? J'étonnerai peut-être bien des personnes en disant que, plus on regarde à ses propres paroles consignées au procès, moins on se croit sûr de le savoir. La question, en effet, est de celles où il faut aborder le procès-verbal avec le plus de circonspection et de défiance : car c'est le point où l'on a le plus à craindre d'être, de la meilleure foi du monde, induit en erreur, et par ce qu'il dit et par ce qu'il ne dit pas. Ainsi, d'une part, le juge est prévenu ; le greffier est un honnête homme qui partage les préventions du juge, et qui, d'ailleurs, quand il s'agit de visions. ; doit se faire une idée assez grossière des anges ou des saints. Est-il bien sûr qu'en une matière si délicate l'expression du procès-verbal, qui n'est pas toujours littérale, ne nous rende pas la réponse de Jeanne selon qu'il l'entendait lui-même, et non dans le sens où elle voulait être entendue ? D'autre part, il ne dit pas tout ; il ne peut pas tout dire : et, par exemple, il supprime quelquefois les questions qui provoquent les réponses. Il le fait sans malice et peut-être à bonne intention, pour donner plus de place à la parole de Jeanne. Mais ce retranchement, si indifférent qu'il lui paraisse, n'aura-t-il pas pour effet de changer en déclaration spontanée une réponse dont on apprécierait tout autrement le sens et la portée si l'on voyait ce qui l'amena[52] ?

Voilà nos raisons, non pour rejeter le procès-verbal, mais pour regarder de près à ce qu'il dit en cette matière. Maintenant, si nous le prenons tel qu'il est, nous y verrons que, d'après certaines déclarations de Jeanne, saint Michel lui est apparu comme un très-vrai prud'homme, et rien n'empêchera le juge de se le figurer comme un honnête bourgeois, n'étaient les ailes qu'on lui prête ailleurs. Les saintes avaient. des couronnes : par conséquent une tête, des cheveux et même quelque chose de plus, un corps, des pieds : car Jeanne a dit qu'elle les avait embrassées ; et interrogée si c'était par le haut ou par le bas, elle répond qu'il convient mieux de les embrasser par le bas que par le haut. On se rappelle la scène de l'ange à la couronne : sainte Catherine et sainte Marguerite sont avec lui et aussi une multitude d'anges, les uns semblables, les autres non, ayant des couronnes ou des ailes. — Mais la scène de l'ange à la couronne, Jeanne l'a expliquée elle-même ; c'est l'image de sa propre mission : allégorie qu'on et devinée à plusieurs traits, alors même qu'elle ne l'eût pas révélée à la fin, et où d'ailleurs il faut bien faire la part des circonstances qui l'y ont amenée. Elle ne l'a point imaginée d'elle-même ; c'est une issue qu'elle trouve ouverte, et où elle se jette, on l'a vu, pour dérober aux juges le secret du roi. Mais les juges l'y suivent pas à pas, prenant tout à la lettre ; et il faut qu'elle trouve réponse à leurs questions sans trop s'écarter des termes de son allégorie : de plus habiles dans la science des figures s'en seraient peut-être plus mal tirés[53].

Quant aux traits qu'on a voulu recueillir pour donner forme à ses visions, en est-il autrement ? C'est aussi, il le faut dire à son corps défendant qu'elle en a parlé. La première fois qu'on. lui demande (24 février) si la voix est d'un ange,. ou d'un saint, ou d'une sainte, elle répond qu'elle vient de la part de Dieu, et confesse qu'elle n'en dit pas tout ce qu'elle en sait. Elle donne les noms un peu plus tard : c'est saint Michel, aussi saint Gabriel ; sainte Catherine, sainte Marguerite ; mais les juges n'en sont que plus pressants. Elle leur répond quand elle le peut : les ailes, les couronnes, c'est le symbole reçu de la spiritualité des anges et de la gloire des bienheureux ; leur bonne odeur (fleuraient-elles bon ?), c'est le signe de la sainteté. Mais le plus souvent elle élude et se dérobe : Quelle figure a-t-elle vue ?La face. — A-t-elle des cheveux ?Il est bon à savoir. — Y avait-il quelque chose entre la couronne et les cheveux ?Non. — Les cheveux étaient-ils longs et pendants ?Je ne sais. — Avaient-elles des anneaux aux oreilles ou ailleurs ?Je n'en sais rien. Elle ne sait rien des membres, ni s'il y en avait de figurés ; rien de l'habit (de aliis habitibus non loquitur). Réponses reproduites sans les questions, mais qui les supposent, et permettent de supposer ailleurs d'autres suppressions de la même sorte. On voudrait savoir au moins si elles ont le même vêtement, le même âge. Je n'ai rien d'autre à vous dire ! Et quand on y revient : Vous en êtes répondus. Pour les anges, plus d'efforts encore et pas phis de succès. On veut savoir comment était saint Michel : elle ne lui a pas vu de couronne, elle ne sait rien des vêtements. Était-il nu ? On se rappelle cette simple et digne réponse : Croyez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ?Avait-il des cheveux ?Pourquoi lui seraient-ils coupés ? Et un peu après : Je ne sais. — Une balance ?Je ne sais. La fois suivante, on supposa qu'elle avait dit qu'il avait des ailes. Elle l'aurait pu dire, mais il n'y en a aucune trace au procès-verbal. On lui demanda si l'archange et saint Gabriel avaient des têtes naturelles (capita naturalia). Elle ne répond que de leur personne : Je les ai vus, eux (ego vidi ipsos oculis meis). Mais il y avait un moyen bien facile, ce semble, de surprendre son secret. Elle avait fait peindre deux anges sur son étendard : n'était-ce pas ceux qui la visitaient ? S'ils avaient une forme, rien de plus naturel que de la reproduire sur cette bannière sacrée. Elle répondit qu'elle les avait fait peindre comme on les représentait dans les églises. Enfin, le jour qu'elle avait marqué pour répondre à toutes ces questions, elle y coupa court en disant que saint Michel était en la forme d'un très-vrai prud'homme, et que de l'habit et des autres choses elle ne répondrait plus. Mais qu'est-ce que prud'homme ? Les juges pouvaient bien ne pas penser exactement comme saint Louis, lorsqu'il disait à Robert Sorbon : Maitre Robert, je voudrois avoir le nom de prud'homme, pourvu que je le fusse, et que tout le remenant vous demeurât : car prud'homme est si grande chose et si bonne chose que rien qu'au nommer il emplit la bouche ; mais ils savaient que prud'homme n'est d'aucune forme, et ils le savaient si bien que dans les douze articles, résumant tous les faits de la cause, ils disent : Elle a vu les têtes des anges, et des saintes ; et elle, n'a rien voulu dire du reste de leur corps et de leurs vêtements ; et dans l'admonition, le prédicateur remontre combien est étrange qu'après tant de visions elle ne sache rien des, corps ou de leurs accessoires, si ce n'est les têtes. — A-t-elle donc si bien parlé des têtes ? Les juges n'en étaient pas si sûrs quand ils lui demandaient comment les voix lui parlent, puisqu'elles n'ont pas de membres : à quoi Jeanne répond : Je m'en rapporte à Dieu[54].

Ainsi, dans tout le procès il n'y a rien de défini par Jeanne elle-même sur la forme de ses. visions. Cela ne veut pas dire que ces visions ne soient rien de sensible. Elle a vu de ses yeux, et surtout elle a entendu. Ses visions, ce sont ses voix, comme elle dit le plus communément : c'est la voix qui s'est révélée à elle au début de sa mission avec une grande lumière ; et depuis elle ne lui est pas venue, ou presque jamais, sans lumière. Elle ne la voit pas toujours quand elle l'entend. On lui demande un jour si la voix était dans sa prison : Je ne sais, dit-elle, mais elle était dans le château. Ces voix sont distinctes, personnelles : elle les a nommées. Mais comment les a-t-elle connues ? comment les distingue-t-elle ? Par le parler et le langage des anges ; à leur salutation et parce qu'elles se nomment[55]. — Elle ne dit même point parce qu'elles se sont nommées.

Nous n'avons plus les interrogatoires de Poitiers, auxquels Jeanne renvoie souvent quand on la presse sur ses visions. Mais nous avons le témoignage de deux hommes qui y ont figuré. Or, ils ne parlent que de voix : Elle disait, rapporte G. Thibault, que son conseil lai avait ordonné d'aller au plus tôt vers le roi. Elle a, dit Seguin, raconté d'une grande manière qu'une voix lui apparut et lui dit que Dieu avait grand'pitié du royaume de France et qu'il fallait qu'elle vint en France, etc. Et l'on se rappelle la saillie de Jeanne quand Seguin, poussant plus loin la curiosité, lui demanda, en son limousin, quelle langue la voix parlait : Meilleure que la vôtre. Il l'aurait questionnée sur la figure, si elle eût rien dit qui y provoquât. Les compagnons de sa vie militaire n'en parlent pas autrement : le duc d'Alençon, par exemple, et Dunois, quand il rapporte en quels termes Jeanne disait devant le roi que son conseil se manifestait à elle. L'excellent d'Aulon l'avait priée de lui faire voir une fois ses conseillers ; mais elle lui dit qu'il n'en était pas assez digne, et il ne lui en reparla plus. Que si l'on tenait pour suspects ces témoignages, comme on est tenté de faire tout ce qui est de la réhabilitation, nous en aurions d'autres à citer encore, témoignages rendus avant le procès de Rouen, au temps du siège d'Orléans et du sacre de Reims et par les hommes les mieux posés pour savoir ce qu'on en disait à la cour. Alain Chartier, dans sa lettre à un prince étranger, écrite vers la fin de juillet 1429, mentionne la voix qui, du sein d'un nuage (vote ex nube nata), l'avertit plusieurs fois depuis sa douzième année d'aller trouver le roi et de secourir le royaume. Perceval de Boulainvilliers (24 juin 1429) ne parle aussi que d'un nuage resplendissant et de la voix qui, du sein de la nue, lui commanda de s'armer pour rétablir le roi et le royaume. C'est, sous une forme plus théâtrale, ce que disait Jeanne à ses juges de cette voix et de cette grande lumière qui se sont manifestées à elle. Si elle en eût dit davantage à l'origine, on peut croire que Boulainvilliers ne l'aurait pas omis, à voir comme déjà il entoure le prodige du merveilleux de la légende[56].

Une lumière, une voix ! Est-ce l'éblouissement d'une imagination ardente et l'écho mal compris du cri de son âme ? On peut, au point où nous en sommes, embrasser d'un seul coup d'œil toute la suite de sa vie. Qu'on se rappelle dans quelles circonstances, dans quel milieu et dans quelle âme s'est fait entendre la voix qui l'appela ; ce qu'elle en a dit à Vaucouleurs, à Chinon, à Poitiers, parmi les doutes qui l'accueillent ; à Orléans, à Reims, dans le triomphe ; à Rouen, dans la captivité : et maintenant qu'on l'a suivie dans toutes ses fortunes, qu'on l'a vue à l'épreuve de. la victoire et des honneurs, de la défaite et des outrages, qu'on connaît sa simplicité, sa droiture, sa perspicacité et son bon sens ; que l'on se dise quelle foi on peut avoir en ses paroles, quelle valeur on peut attacher à ses déclarations. Sa voix, ou, pour parler comme elle faisait le plus communément, ses voix ne sont pas quelque chose de vague qui se confonde avec les aspirations de son âme. Ce sont des voix qu'elle distingue comme existantes hors d'elle, qui lui conseillent des choses dont elle n'a pas l'idée, qui lui commandent ce qu'elle répugne à faire ; des voix qui sont pour elle des personnes, des anges, des saintes, et en qui elle, si pleine de foi et de bon sens, elle croit, comme elle croit que Dieu est. Et ce qui donne, outre la sincérité de son cœur et la fermeté de son esprit, de l'autorité à sa parole, ce qui fait qu'on ne peut se borner à voir là comme une force secrète qui jaillit, même à son insu, d'une grande âme pour commander à tous les instincts de la nature, c'est que ces voix lui révèlent ce qu'elle ne pouvait connaître, lui prédisent ce qui s'accomplira, des choses dont elle n'a pis même, alors qu'elle les annonce, la véritable intelligence : choses assez frappantes par elles-mêmes et assez constatées pour que des esprits peu disposés, par leur humeur, à croire au merveilleux, mais habitués par leurs études à tenir compte des faits, renoncent à les expliquer par la seule cause de l'hallucination. Ils sentent là une puissance qui n'est pas le produit d'une imagination déréglée. Qu'est-ce donc ? Ils ne prononcent pas ; ils cherchent, ils rappellent les phénomènes fort équivoques, à mon sens, du magnétisme, et voudraient y trouver quelque chose qui n'affaiblît en rien leur admiration sincère et profonde pour la Pucelle. Sachons-leur gré d'avoir compris que sa mission n'est pas seulement la rêverie d'un noble cœur et d'un cerveau malade, et que tout ne se peut résoudre dans cette histoire par une négation pure et simple du merveilleux[57].

Jeanne est-elle donc une adepte plus ou moins avouée des sciences occultes, ou bien est-elle une envoyée de Dieu ? Pour ceux qui croient que la Providence ne demeure pas étrangère aux affaires de ce monde, qu'elle gouverne les nations et que sa main se peut faire sentir extraordinairement dans leurs destinées, le choix ne sera pas douteux. La mission de Jeanne a tous les signes des choses que Dieu mène. Elle se fraie la voie à travers les obstacles que le sens purement humain lui veut opposer. Il faut que Jeanne triomphe d'elle-même d'abord et de ses propres répugnances ; il faut qu'elle surmonte les rebuts du sire de Baudricourt à Vaucouleurs, les défiances du roi à Chinon, des docteurs à Poitiers, des capitaines jusqu'à Orléans et des politiques jusqu'à Reims. Elle n'a pas réussi au delà ; elle n'a pas fait entrer le roi dans Paris et elle da pas chassé les Anglais de France ; elle n'a pas. tout prévu, et elle n'a pas fait tout ce qu'elle était chargée de faire. Mais qui a jamais prétendu tout prévoir, tout prédire ? Le prophète est un homme, et n'est prophète que pour les choses qui lui sent révélées. Quant à la mission de Jeanne, elle n'avait jamais dit qu'elle ferait tout. Elle avait dit qu'elle délivrerait Orléans, si peu de troupe qu'on lui donnât ; mais encore avait-il fallu qu'on lui en donnât. Il fallait qu'on se mit à l'œuvre avec elle. Elle disait qu'elle ne durerait guère plus d'un an, qu'on songeât donc à la bien employer. Elle n'eût pas mené le roi à Reims malgré lui ; elle ne pouvait le faire entrer dans Palis quand il s'en retirait. En un mot, la mission de Jeanne avait pour signe la délivrance d'Orléans, pour but l'expulsion des Anglais. Elle a donné son signe, elle n'a pas atteint sou but, au moins comme elle l'eût voulu faire, et comme elle l'eût fait sans aucun doute si la cour n'avait pas renoncé à la suivre plus avant Mais le but devait être atteint Jeanne dans les fers eut au moins la consolation de le prédire à ses. bourreaux ; et sa mission ne fut pas manquée. Elle-même, jusque dans sa prison, elle la continue et la consomme. Cet échec, où l'on croyait trouver un démenti à sa parole, rentrait dans les voies de la Providence pour donner à ses déclarations forme authentique au tribunal de ses ennemis.

Jeanne a donc bien rempli sa mission ; et quand elle aurait elle-même chassé de France le dernier des Anglais, ce n'est pas là ce qui ajouterait beaucoup au caractère divin de son œuvre. Les Anglais assurément ne pouvaient pas garder la France. On n'en était plus à la première période de la rivalité des deux peuples, quand les rois d'Angleterre, fils eux-mêmes de la France, pouvaient en disputer les provinces aux Capétiens comme un héritage domestique.

Depuis la guerre de cent ans, la race anglaise est entrée dans la lutte : c'est une nation qui en attaque une autre ; les rois eux-mêmes, malgré les liens de famille qu'ils invoquent ou qu'ils renouvellent, sont devenus anglais, et leur empire n'aurait pas duré un an à Paris, sans les haines civiles des Armagnacs et des Bourguignons. Leur domination pouvait s'a-tendre et se prolonger encore, sans doute ; la prise d'Orléans eût rendu leur joug plus fort et la délivrance plus laborieuse ; mais, le jour venu, l'élan national eût tout emporté. Là n'est pas le miracle. Ce qui est merveilleux dans cette histoire, c'est Jeanne ; c'est ce qu'elle dit d'elle-même, quand on connaît par toute sa vie la fermeté de son intelligence et la simplicité de son cœur ; et c'est pour que l'on en juge en toute vérité que nous avons retracé avec tant de détail les scènes oh elle a paru. Cette épreuve, nous le savons, ne dissipera point tous les doutes : il y a sur ces matières des partis pris devant lesquels les faits eux-mêmes, et des faits plus forts, restent sans force ; mais ceux mêmes qui, pour ces raisons, refuseront de croire aux paroles de Jeanne d'Arc, reconnaîtront au moins que jamais âme ne fut plus digne de foi.

S'il y a dans la vie des saints comme un reflet des grands modèles qui nous sont proposés, où trouver plus clairement les caractères de la sainteté que dans celle qui rappelle en même temps et le Sauveur et sa Mère : la mère de Dieu dans sa virginité, dans son trouble et dans ses hésitations à la vue de l'ange qui l'appelle ; le Sauveur dans les traverses de sa mission, dans le traître qu'elle rencontra au moins devant ses juges ; dans l'hypocrisie de ses juges — Elle a blasphémé ! — ; dans la vraie cause de sa mort, car elle meurt aussi pour son peuple ; dans le délaissement de son supplice, comme dans la paix de son dernier soupir ? Après cela Jeanne n'a pas été déclarée sainte ; mais peut-on dire que l'Église ait méconnu son caractère ? Les juges, nommés par le pape à la requête de sa famille, n'avaient pour mission que de réviser son procès. En réhabilitant sa mémoire, ils ne pouvaient lui décerner d'autres honneurs. Et quand on réfléchit au rôle de Jeanne d'Arc dans la lutte séculaire des deux principaux peuples de la chrétienté, on comprend que l'Église n'ait pas voulu alors décréter un culte qui eût obligé l'Angleterre comme la France. Quand on voit l'influence de l'esprit de parti se perpétuer, des écrivains bourguignons jusque dans les jugements portés en France sur la Pucelle, on comprend qu'elle ait continué de s'abstenir, laissant le sentiment public se produire librement dans le domaine de l'histoire. Mais quelle qu'ait été la diversité des opinions des historiens, la foi du peuple n'a jamais varié, et on ne peut pas dire que l'Église, dans sa réserve même, lui ait jamais fait défaut. C'est dans une fête religieuse que les honneurs populaires rendus à la Pucelle se sont perpétués jusqu'à nous : je veux parler de la procession par laquelle les Orléanais rendent chaque année témoignage à sa mission, en rapportant à Dieu son signe, l'acte de leur délivrance ; et naguère, à l'inauguration de son dernier monument, c'est dans la chaire de Sainte-Croix et par la voix éloquente et vraiment inspirée de leur premier pasteur que leur calte pour elle a reçu la consécration la plus éclatante. Aujourd'hui l'opinion est fixée partout. L'Allemagne a rendu à la jeune fille d'Orléans un touchant hommage dans le livre de G. Gœrres. La Belgique a depuis longtemps abjuré les haines des Bourguignons ; l'Angleterre elle-même a répudié dans le poème de Robert Southey le crime de Bedford et les injures de Shakespeare. En France, on ne diffère que par la manière de la déclarer sainte. Quand l'Église le voudra faire selon le mode qui lui appartient, le travail ne saurait être bien long : les enquêtes sont, dès à présent, entre les mains de tous, par l'édition des deux procès ; et celui des deux qui la condamne n'est pas celui qui crie le moins haut pour elle. Quel plus grand témoignage en effet à la gloire des saints que les actes mêmes de leur martyre ? Oui, quand on arrive avec les pièces de ce procès au terme de cette histoire, on peut le dire avec une entière conviction : Jeanne a été, par toute sa vie, une sainte, et par sa mort, une martyre : martyre des plus nobles causes auxquelles on puisse donner sa vie, martyre de son amour de la patrie, de sa pudeur, et de sa foi en Celui qui l'envoya pour sauver la France !

 

FIN DU SECOND TOME ET DERNIER

 

 

 



[1] Flammes écartées afin qu'on la vît morte : t. III, p. 191 (J. Riquier) ; — afin qu'on l'a vît nue : Et là fut bientosi estainte et sa robe toutte arse, et puis le feu tiré arrière ; et fut vue de tout le peuple toutte nue, et tous les secret qui peuent estre ou doibvent en femme, pour oster les doubtes du peuple. T. IV, p. 471 (Bourgeois de Paris). Les ennemis de Jeanne ne sont pas incapables de cette vilenie : c'est une victoire digne du milord qui ne l'avait pu vaincre dans ses fers. Le Bourgeois ajoute : Et quant ils forent assez à leur gré vue toutte morte liée à restache, le bourrel remist le feu grant sus sa poure charongne. Pauvre charogne ! voilà toute la marque de compassion du Bourgeois de Paris. — Cendres jetées à la Seine : t. III, p.18 (Marguerie).

Jeanne sainte : t. III, p. 168 (Ladvenu) ; p. 50 (P. Maurice) ; p. 375 (J. Alespée) : Vellem quod anima mea esset ubi credo animam istius mulieris esse.  La colombe : t. II, p. 352. L'Averdy suit la leçon de flamma qu'on trouve pour la première fois dans Paul Manuce. M. Quicherat a maintenu la leçon de Francia comme il le devait, conformément à tous les manuscrits ; mais on ne peut méconnaître que l'autre, si peu autorisée au point de vue de la critique du texte, est plus conforme au sens général du passage. De Francia, quelque explication qu'on en puisse donner, paraît être une faute, fût-ce dans le texte original. — Le nom de Jésus : Et audivit a multis quod visum fuit nomen JHESUS inscriptum in flamme ignis in quo fuit combusta. T. II, p. 372 (Th. Marié). — Le bourreau : Quod tyrannice ipsa passa fuerat mortem. T. II, p. 368 (Ladvenu) ; — Quod, corpore igne cremato, et in pulvere redacto, remansit cor illæsum et sanguine plenum. T. III, p. 160 (Massieu). — Quod valde timebat quin esset damnatus, quia combusserat unam sanctam mulierem. T. II, p. 352 (Is. de La Pierre). — J. Tressart : Nos sumus omnes perditi, quia una sancta persona fuit combusta. T. III, p. 182 ; cf., t. II, p. 307 et 347 (P. Cusquel). Le greffier Manchon témoigne naïvement de sa propre douleur : Et dit le déposant que jamais ne ploura tant pour chose qui lui advint, et que par ung mois après ne s'en povoit bonnement appaiser. Pourquoy, d'une partie de l'argent qu'il avoit eu du procès, il acheta un petit messel, qu'il a encores, affin qu'il eust cause de prier pour elle. T. II, p. 15.

[2] Cri public : Communia fama erat et quasi totus populus murmurabat quia eidem Johannæ fiebat magna injuria et injustitia. T. III, p. 181 (Cusquel) ; cf. t. II, p. 363 (P. Miget). Un religieux dominicain fut poursuivi, et, grâce à sa rétractation, condamné seulement à la prison, pour avoir dit qu'on avait mal fait de la condamner. T. I, p. 493-496. — Horreur pour les juges : Magnani notam a popularibus incurrerunt ; nam postquam ipsa Johanna fuit igne cremata, populares ostendebant illos qui interfuerant et abhorrebant. T. III, p. 165 (G. Colles). — Jugement de Dieu : L'évêque de Beauvais et N. Midi, ibid. ; Loyseleur et J. d'Estivet, ibid., p. 62 (id.).

[3] Et ne l'eussent donnée pour Londres : Martial d'Auvergne, Vigiles de Charles VII (Procès, t. V, p. 74). - De Fugitivis ab exercitu quos terriculamenta Puellæ examinaverant arrestandis, 12 déc. 1430. Rymer, t. X, p.472.

Les Parisiens, toujours disposés de la même sorte pour leurs bons amis les Anglais, ne faisaient que rire de leurs échecs. Dans la semaine sainte de 1431, les Anglais avaient attaqué Lagny, où furent jetées, dit le Bourgeois de Paris, quatre cent douze pierres de canon en un jour, qui ne firent oncques mal à personne qu'à un coq. Ils s'en vinrent, continue-t-il, la veille de Pâques. Et disoit-on par moquerie qu'ils étoient ainsi venus pour eux confesser et ordonner à Pâques en leurs paroisses. T. XL, p. 416 de la Collect. de Buchon. — L'Averdy prête à l'inaction de Charles VII plusieurs excuses qui ne sont pas suffisantes (Not. des manuscrits, t. III, p. 156 et suiv.). L'argent et les troupes, on l'a vu, ne lui manquaient pas tellement, qu'il n'en sût trouver pour soutenir, cette même année, La Trémouille dans sa querelle contre Richemont.

[4] Lettre de l'archevêque de Reims : t. V, p. 168.

[5] Lettres de garantie : 12 juin 1431. Ces lettres, bien connues des témoins au procès de réhabilitation [t. III, p. 56 (évêque de Noyon), p. 181 (G. Colles), p. 166 (M. Ladvenu)], y ont été intégralement reproduites, ibid., p. 241-244. — Lettres du roi à l'empereur, etc. (en latin) ; aux prélats, ducs, etc., de France (en français) ; t. I, p. 485-493.

[6] Lettres de l'Université : ibid., p. 496.

[7] Monstrelet : voir sa chronique, II, 105. — Rumeurs anglo-bourguignonnes sur la Pucelle : Armée en guise d'homme, ung gros baston en sa main, et quant aucun de ses gens mesprenoit, elle frappoit dessus de son baston grans coups, en manière de femme très cruelle.... Item, en plusieurs lieux elle fisc tuer hommes et femmes tout en bataille, comme de vengeance volontaire. Procès, t. IV, p. 469 et 470 (Bourgeois de Paris). — Opinion du Bourgeois de Paris sur le procès : ibid., p. 470.

[8] Procession et prédication de Paris : ibid., p. 471-473.

[9] Juvénal des Ursins et Philelphe : Voy. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 156.

[10] Doutes sur la mort de la Pucelle : Et il y avoit adonc maintes personnes qui estoient moult abusez d'elle, qui croyoient fermement que par sa sainteté elle se fust eschappée du feu, et qu'on eust aise une autre cuidant que ce fust elle. T. IV, p. 474 (Bourgeois de Paris). Le Bourgeois n'en croit rien ; mais d'autres doutèrent au moins, même en Normandie. Un chroniqueur normand dit : Finablement la firent ardre publiquement, ou autre femme en semblance d'elle ; de quoy moult de gens ont esté et encores sont de diverses oppinions : (Procès, t. IV, p. 344.) En 1503, Symphorien Champier, dans la Nef des Dames, dit encore des Anglais : qu'ils la brûlèrent à Rouen. Ce disent-ils, néanmoins que les François le nyent. (Ibid., p. 344). Les Grecs de Constantinople refusaient même de croire que les Anglais eussent pu la prendre. T. IV, p. 532 (Bertrandon de la Broquière).

L'Averdy, devant ces doutes, se donne encore la peine de prouver que c'est bien Jeanne qui fut brûlée à Rouen. (Notice des manuscrits, t. III, p. 464.)

La fausse Pucelle : Voyez les documents réunis par M. J. Quicherat, t. V, p. 321 et suiv. Lebrun des Charmettes (t. IV, p. 300) n'est pas éloigné de croire que la fausse Jeanne soit la sœur de la Pucelle. Il a pour lui le silence absolu de l'histoire ; mais il est douteux que personne y voie un argument. — Le Doyen de Saint-Thibaud : Procès, t. V, p. 321. Dans une rédaction postérieure de sa Chronique, le fait est répété, mais la fraude est reconnue (ibid., p. 323). — Contrat de vente : Nous Robert des Harmoises, chevalier seigneur de Thichiemont, et Jehanne du Lys, la Pucelle de France, dame dudit Thichiemont, ma femme, etc. Ibid., p. 328. (Extrait de D. Calmet, Hist. de Lorr., t. III, col. 195.)

[11] Comptes d'Orléans : A Pierre Baratin : Pour bailler à Fleur-de-Lils, le jeudi IXe jour du mois d'aoust, pour don à lui fait pour ce qu'il avoit apporté lettres à la ville de par Jehanne la Pucelle ; pour ce 48 s. p. — .... pour bailler à Jehan Dulils frère de Jehanne la Pucelle, le mardi XXIe jour d'aoust l'an mil CCCC XXXVI, pour don à lui fait la somme de 12 livres tournois pour ce que ledit frère de ladicte Pucelle vint en la chambre de ladicte ville requérir aux procureurs que ils lui voulsissent aidier d'aucun poy d'argent pour s'en retourner par devers sa dicte seur.... — A Regnault Brune, le XXVe jour dudict mois, pour faire boire ung messager qui appartoit lectres de Jehanne la Pucelle ; pour ce, 2 s. 8 d. p. — A Cueur de Lils, le XVIIIe jour d'octobre M CCCC XXXVI, pour ung voyage qu'il a fait pour ladicte ville par devers la Pucelle, laquelle estoit à Arlon en la duchié de Lucembourc, et pour porter les lectres qu'il apporta de ladicte Pucelle à Loiches, par devers le roy qui là estoit.... ; pour ce 6 l. p. — Le IIe jour de septembre, pour pain, vin, poires et cerneauls dépensez.... à la venue dudict Cueur-de-Lils, qui apporta lesdictes lectres de Jehanne la Pucelle, et pour faire boire ledict Cueur-de-Lils, lequel disoit avoir grant soif ; pour ce 2 s. 4 d. p. (T. V, p. 326, 327.)

La fausse Jeanne en Poitou, en 1436. La Chronique du connétable Alvaro de Luna parle d'ambassadeurs qu'elle envoya, en 1436, à la cour du roi de Castille, afin d'obtenir des vaisseaux qui concourussent, selon le traité d'alliance des deux couronnes, à l'attaque des possessions anglaises (t. V, p. 329, et la note rectificative de M. J. Quicherat sur la Rochelle, désignée à tort par le Chroniqueur). En 1438, les comptes de Tours portent en dépense les frais d'un message que le bailli de Touraine envoyait au roi à Orléans touchant le fait de dame Jehanne des Armaises, avec une lettre de ladite dame (27 septembre 1438), ibid., p. 332. — En 1439, à Orléans : Le 19 juillet, pour dix pintes et choppine de vin présentées à ma dicte dame Jehanne, 14 s. p. Le 30 juillet, pour viande achetée de Perrin Basin pour présenter à madame Jehanne des Armoises, 40 s. p. ; pour 21 pintes de vin à disner et à soupper, présentées à ladicte Jehanne des Armoises, ce jour, 28 s. p. — Le 1er aoust, pour dix pintes et choppine de vin à elle présentées à disner quand elle se partit de ceste ville, 14 s. p., etc. Ibid. Elle y revint encore le 4 septembre. Son retour est attesté dans les comptes par une nouvelle dépense de 4 s. 4 d. parisis pour six pintes et une chopine de vin, ibid. — Suppression du service annuel : Il ne fut pas rétabli. Voy. Procès, t. V, p. 274.

[12] Pierre Sala : t. IV, p.281. — Le maréchal de Rais : ... deux ans a, dit à icellui suppliant qu'il vouloit aler au Mans et qu'il vouloit qu'il prinst la charge et gouvernement des gens de guerre que avoit lors une appelée Jehanne, qui se disoit Pucelle, etc. T. V, p. 333. (Extrait d'une rémission du Trésor des chartes, an 1441. Le fait remonte donc à 1439). — La fausse Pucelle à Paris : ibid., p. 335 (Bourgeois de Paris, août 1440). Elle avait frappé sa mère voulant frapper une autre femme ; et pour cela elle avait été à Rome ; elle y était allée en habit d'homme, elle y avait fait métier de soldat, etc. — En Allemagne, Jean Nider, refaisant sa vie, dit qu'on la voyait à Cologne, dansant, buvant avec les soldats, faisant des sortilèges, bravant l'Église ; et il raconte comment, soustraite à l'inquisition par le jeune comte de Wurtemberg, elle vint en France et épousa un chevalier, et l'abandonna pour un prêtre, avec lequel elle vécut à Metz en concubinage, t. V., p. 324. Les lieux désignés autorisent à croire qu'il s'agit de celle dont avait parlé le doyen de Saint-Thibaud. En France, la fausse Jeanne ne fut pas plus épargnée. C'est la Pucelle du Mans, hypocrite, invocatrice, sorcière, magique, lubrique, dissolue, enchanteresse, le grand miroir de abusion, qui, selon son misérable estat, essaya à faire autant de maulx que Jehanne la Pucelle avoit fait de biens. Après sa chimérale ficte et mensongère dévotion, de Dieu et des hommes délaissée, comme vraie archipaillarde, tint lieux publiques, de laquelle pour l'honneur des bonnes et vertueuses n'en vueil plus long à écrire. — Il en a bien dit assez. Voy. t. V, p. 336, Livre des Femmes célèbres, par A. Dufaur (1504).

[13] Défaite des Anglais : Après la mort de Jeanne, ils avaient pris Louviers : La Hire, sorti de la place pour aller chercher des secours, était tombé entre leurs mains, et la ville se dut rendre (25 octobre 1431) ; mais les échecs suivirent. (Voy. J. Chartier, etc.) Vainement chercha-t-on à raffermir les affaires de Henri VI en le faisant couronner à Paris (16 décembre 1431). La chose ne fit que mécontenter davantage les Parisiens par les déceptions qu'ils y trouvèrent. (Voy. le Bourgeois de Paris). — En 1433, La Trémouille tombe en disgrâce. En 1434, la Normandie commence à se soulever. Dès 1432, la mort de la duchesse de Bedford, sœur du duc de Bourgogne, avait rompu le plus fort lien qui retînt ce dernier à la cause anglaise. Le 14 septembre 1435, Bedford meurt lui-même au château de Rouen ; le 21, la paix est signée à Arras entre le duc de Bourgogne et le roi ; et les Anglais répondent par la guerre aux tentatives de médiation de Philippe le Bon. Son lieutenant L'Isle-Adam soulève toute l'Île-de-France, et le 13 avril 1436 il entre avec Dunois et Richemont à Paris.

[14] Réhabilitation : t. II, p. 2. (Lettres de commission de G. Bouillé.) — Voy. sur le procès de réhabilitation la notice fort étendue de L'Averdy, Notice des manuscrits, t. III, p. 247 et suiv.

Enquête de Bouillé : t. II, p. 3-22 ; — du cardinal d'Estouteville (2 et 3 mai 1452) : ibid., p. 291 ; — teneur des douze articles sur lesquels les témoins sont interrogés : ibid., p. 293 ; — déposition des témoins : p. 297-308 ; — de Philippe de La Rose : p. 309 ; le nombre des articles fut porté de 12 à 27. Voy. leur teneur, p. 311. Vingt-deux nouveaux témoins comparurent avec ceux qui avaient été déjà interrogés. Voy. leurs dépositions, p. 317-377.

[15] Intervention de la famille de Jeanne : t. II, p. 74 (préface des greffiers), et L'Averdy, Notice des man., t. III, p. 250.

Consultation de P. Pontanus et de. Th. de Leliis : t. II, p. 22 et 59.

[16] Calixte III : t. II, p. 72 ; — son rescrit : p. 95. Voy. sur les divers personnages qui figurent au procès les excellentes notes biographiques de M. J. Quicherat.

[17] Séance préliminaire (probablement le 7 novembre) : t. II, p. 82 ; cf. t. III, p. 372 et la Notice de M. J. Quicherat, t. V, p. 436.

[18] Séance du 17 novembre : t. II, p. 92 ; — Discours de P. Maugier : p. 98-106.

[19] Assignations publiées dans le diocèse de Rouen : pour le 20 décembre : t. II, p. 113 ; — dans le diocèse de Beauvais, pour le 20 décembre : ibid., p. 125.

[20] Séance du 12 décembre : p. 136. — Discours de Maugier : p. 139. — Conclusions de Prévosteau : p. 151. (En 1452, le cardinal d'Estouteville l'avait fait promoteur de la cause : note de M. J. Quicherat, t. II, p. 109.) — Nomination des officiers des juges : greffiers, Denys Le Comte et François Ferbouc ; promoteur, Simon Chapitaut, p. 152 ; — la minute du premier procès : p. 155 ; — les pièces de l'enquête du cardinal, etc. : p. 157. On ne fit point usage officiellement de l'enquête de Bouillé, parce qu'elle procédait de l'autorité civile, et, que le procès était ecclésiastique. Voy. L'Averdy, Notice, etc., p. 249.

[21] Assignation des témoins de Rouen : p. 159. — Requête de Prévosteau, p. 163-190.

[22] Déclaration de la famille de P. Cauchon. t. II, p. 194496.

[23] Réquisitoire du promoteur : ibid., p. 198-204.

[24] Enquête ordonnée dans le pays de Jeanne (on en chargea Reginald de Chicheri, doyen de Vaucouleurs, et G. Thierry, chanoine de Toul) : ibid., p. 205. — Déclaration de compétence : ibid., p. 205-208.

[25] Séance du 16 février, 1456 : (1455, vieux style) t. II, p. 261.

[26] Les articles des demandeurs : p. 212-259.

[27] Déclaration de Bredouille : t. II, p. 867 ; — de Chaussetier : p. 268. — Admission des articles, etc. : ibid.

[28] Enquête à Rouen (commencée le 10 décembre 1455) : t. III, p. 43 ; — dans le pays de Jeanne (le 28 janvier 1456) t. II, p. 387 ; — à Orléans (février et mars) : t. III, p. 2 ; — à Paris (janvier, avril et mai) : ibid. — Réception des enquêtes : t. II, p. 288.

[29] Séance du 1er juin : t. III, p. 222 ; — du 2 : p. 227 ; — du 4 et du 5 : p. 229 et 230. — Production des pièces : p. 230 ; — de la feuille de Manchon : p. 231 et 237 ; — des cinq feuilles de Jacques de Touraine : p. 232 ; — des lettres de garantie : p. 233 et 240 ; — des mémoires : p. 245 ; mém. de Gerson : p. 298 ; d'Élie de Bourdeilles, évêque de Périgueux : p.306 ; — de Thomas Basin : p. 309 ; — de Martin Berruger : p. 314 ; — de Jean Bochard, évêque d'Évreux : p. 317 ; — de Jean de Montigny : p. 319 ; — de G. Bouillé, l'auteur de la première enquête : p. 322 ; il insiste sur cette pensée, que c'est la maison de France qu'on a voulu flétrir en condamnant Jeanne comme hérétique ; — de Robert Ciboule : p. 326. Nous avons parlé du traité de Gerson, qui a du prix comme témoignant des sentiments des docteurs français sur Jeanne, avant sa captivité et sa mort ; les autres ne disent rien qu'on ne retrouve dans les arguments des avocats de la famille de Jeanne.

[30] Séances des 9 et 10 juin : t. III, p. 252 et 253, cf. p. 247, où tout est rapporté au même jour, 9 juin ; — du 18 : p. 255.

[31] Séance du 1er juillet : t. III, p. 256 ; — du 2, p. 258 ; réquisitoire du promoteur, p. 260 et 265 (verbo pariter atque scripto). — Motifs de droit et conclusions des demandeurs : p. 275.

[32] Examen des pièces par les juges : t. III, p. 329 ; — résumé de J. Bréhat : p. 334.

[33] Séance du 7 juillet, t. III, p. 351. — Jugement de réhabilitation : p. 355.

[34] Rouen. — La croix érigée sur la place du Vieux-Marché à Rouen, en exécution du jugement, fut remplacée au XVIe siècle par une fontaine portant l'image de Jeanne. La fontaine et la statue que l'on voit aujourd'hui au milieu de la place sont de 1756. Voy. M. J. Quicherat, Procès, t. V, p. 235.

Orléans. — Cérémonie expiatoire présidée par l'évêque de Coutances et l'inquisiteur, ibid., p. 277.

Monument de la Pucelle. — Voy. les notes ajoutées aux pièces données par M. Quicherat, t. IV, p. 448, (fragment de Pontus Heuterus), et t. V, p. 222-224 (marchés pour la restauration du monument en 1570), et p. 367 et 238 (inscriptions de 1571 et de 1771), et les Observations sur l'ancien monument de la Pucelle par M. Vallet de Viriville, t. XXIV des Mémoires des Antiquaires de France. Les deux savants auteurs établissent que c'est sans aucun fondement qu'on a rapporté à Charles VII et à l'époque de la réhabilitation le monument de bronze élevé sur le pont, et qui se composait du Christ en croix, de la Vierge et des deux figures de Charles VII et de Jeanne d'Arc, agenouillées aux deux côtés. L'exécution d'un pareil monument n'eût pas été possible alors, et le costume des personnages rappelle la fin du XVe siècle.

Suppression du monument en 1792. — Les membres de la section de Saint-Victor demandent aux administrateurs composant le Conseil permanent du Loiret, la conversion des statues en canons, seuls monuments qui doivent exister chez une nation libre pour faire trembler les tyrans. Le Conseil de la commune représente que le monument de la Pucelle, loin de pouvoir être regardé comme un signe de féodalité insultant à la liberté du peuple français, n'annonce, au contraire, qu'un acte de reconnaissance envers l'Être suprême, et un témoignage glorieux de la valeur de nos ancêtres, qui ont délivré la nation française du joug que les Anglais voulaient lui imposer. Mais l'Administration du département ne trouva point qu'une jeune fille à genoux au pied d'un Christ pût en aucune façon rappeler les services de l'héroïne. En conséquence la conversion des figures en canons fut décidée. Seulement on arrêta que pour conserver la mémoire du monument de la Pucelle, un des canons porterait le nom de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans. (T. V, p. 240-243.) On aurait pu faire de ce bronze un plus mauvais emploi.

Restauration du monument en 1804 avec l'approbation toute spéciale du premier consul, t. V, p. 243. — Ce monument, d'une médiocre exécution, élevé sur la place du Martroi, a été remplacé en 1855 par une statue équestre, due au talent de M. Foyatier.

Libéralités de la ville d'Orléans envers la famille de Jeanne d'Arc. — Pierre d'Arc, père de la Pucelle, était mort de chagrin à la mort de sa fille, selon Valeran de Varanis, dans son poème latin de la Pucelle (t. V, p. 83). Jacquemin d'Arc, l'aîné des frères, qui était resté dans la maison paternelle, et qui fut anobli comme les autres, était mort avant la réhabilitation. Isabelle Romée, mère de Jeanne, vint habiter Orléans, où une pension de 48 sous p. par mois (environ 21 fr. 60, valeur intrinsèque) lui fut régulièrement servie par la ville jusqu'à sa mort. (Ibid., p. 276.) Pierre et Jean du Lis, frères de Jeanne, reçurent, indépendamment des titres de noblesse que l'on a vus, des pensions qui se continuèrent sous le règne de Louis XI, et se transmirent, celle de Pierre au moins, à Jean son fils. Pierre reçut du duc d'Orléans l'Île-aux-Bœufs en face de Chécy. Jean fut bailli de Vermandois et capitaine de Chartres, puis capitaine de Vaucouleurs, charge qu'il laissa pour une pension. Voy. J. Quicherat, Procès, t. V, p. 151, 213, 279 et 280. Sur la descendance de cette famille, voy. M. Vallet de Viriville, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc, p. 10-13. Les deux branches s'éteignirent par les mâles au XVIIe siècle. Le privilège exceptionnel d'anoblissement par les femmes fut supprimé en 1614. (Procès, t. V, p. 233.)

[35] Sur le procès de réhabilitation : M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, 25, p. 549. — M. H. Martin, développant une idée de M. Quicherat, reproche aux juges de la révision de n'avoir pas voulu voir la vérité sur tout. Il dit qu'on évita tout interrogatoire sur les événements de la fin de 1429, et sur ceux de 1430, que l'on restreignit autant que possible ce qui regardait l'enquête de Poitiers. Ces lacunes sont regrettables au point de vue de l'histoire. Mais il ne faut pas oublier que les juges avaient pour objet, non d'amasser des matériaux pour l'histoire de Jeanne d'Arc, mais de réformer le premier procès.

[36] Procédés de l'Inquisition : Absence d'information. Directorium inquisitorum, pars III, c. LXVIII et LXXIX ; — d'avocat : Simpliciter et de plano, absque advocatorum ac judiciorum strepitu et figura. Sext. Decret. VI, 1, 20. Cf. Malleus malefic., III, quæst. 6 (Ed. 1620).

Usage de faux confidents : Tractat. de hæresi pauperum de Lugduno, ap. Martène, Thes. anecd., t. V, col. 1787. Voy. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 122, 109 et 131.

Ennemis capitaux : Voy. Malleus malefic., III, quæst. 5, p. 345. On peut voir par un autre article encore (quæst. 12, p. 364), combien on recommande de précautions contre les ennemis capitaux.

Prison : M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 112.

[37] Enquête préalable faite et supprimée : ibid., § 15, p. 116.

[38] Refus de conseil : M. J. Quicherat, § 17, p. 129. — Faux confident : ibid., § 18, p. 131.

[39] Les douze articles : ibid., § 16, p. 124.

[40] Tém. d'Isamb. de La Pierre : Procès, t. II, p. 351. — Communion : Sext. decretal. V, I, 4, cité par M. J. Quicherat, l. l., p. 144. La sentence de P. Cauchon est conforme à cette règle : elle se termine par ces mots : Et si in te vera pœnitentiæ signa apparuerint, titi ministretur pœnitentiæ sacramentum. (T. I, p. 475.) Il lui promet, après l'avoir condamnée, le sacrement de pénitence si elle se repent, et il lui avait donné auparavant la communion ! Nous avions donc raison de dire que sa sentence condamne sa conduite.

[41] Absence de condamnation civile : t. II, p. 6 (Is. de La Pierre) ; p. 8 (M. Ladvenu) ; p. 344 (Manchon) ; t. III, p. 165 (G. Colles) ; p. 187 (Guesdon, lieutenant du bailli), et les autres textes cités plus haut. M. Ladvenu, dans une de ses dépositions, ajoute que deux ans plus tard, un malheureux, nommé Georget Folenfant, ayant été abandonné au bras séculier, lui-même fut envoyé au bailli par l'archevêque de Rouen et par l'inquisiteur, pour lui recommander de ne pas faire comme pour Jeanne : Sed eum duceret in foro suo et faceret quod justifia suaderet, t. III, p. 169.

[42] Perceval de Cam : Procès, t. IV, p. 36. ; — J.  Chartier, ibid., p. 93 ; — le Champion des Dames (par Martin Lefranc), t. V, p. 49.

[43] Le faux Amelgard (Thomas. Basin). Hist. de Ch. VII, lib. II, c. XVI, t. I, p. 85, ou Procès, t. IV, p. 350. Il cite lui-même son mémoire sur la Pucelle, en signalant les vices du procès : Quemadmodum ex libello quem desuper, ab eodem Carolo expetito a nobis consilio, elatins, poterit apparere. Ibid., p. 355.

[44] Martial d'Auvergne, Vigiles de Charles VII (t. V, p. 51 et suiv.) — Il dit du procès de condamnation (p. 76) :

Lui firent ung tel quel procès

Dont les juges estoient partie,

. . . . . . . . . . . . . . . .

Ainsi velà le jugement.

Et la sentence bien cruelle

Qui fut donnée trop asprement

Contre icelle povre pucelle.

Si firent mal ou autrement,

Il s'en faut à Dieu rapporter,

Qui de telz cas peut seullement

Lassus congnoistre et discuter.

Puis il raconte ses prédictions sur l'expulsion des Anglais et le rétablissement du roi ; la demande en. réhabilitation faite par la mère et les frères de Jeanne, accueillie par le roi et soumise :par le pape à un nouveau jugement ; les enquêtes ; la sentence (p. 76-78).

Ledit procès est enchesné

En la librairie Nostre-Dame

De Paris, et fut là donné

Par l'Evesque dont Dieu ait l'ame.

Quelques traits s'élèvent pourtant dans son récit au-dessus du ton de la complainte et de la chronique.

Ne fut-ce pas moult Brant merveille

D'avoir réveillé tant de gens

Au bruit d'une simple pucelle

Et bergière nourrie es champs ?

Las ! en peu d'heure Dieu labeurs

N'au besoing jamais ne defaut ;

La chose qu'il veult faire est seure

Et sait bien toujours qu'il nous feuil.

(Tome V, p. 67.)

[45] Traditions sur Jeanne : Chron. de Lorraine, donnée par dom Calmet (Hist. de Lorraine, t. III, col. VI), et rapportée par lui à quelque serviteur de René II, vers 1475. Voy. M. J. Quicherat, Procès, t. IV, p. 329 et suiv. - Philippe de Bergame, de Claris mulieribus, Ferrare, 1497 (t. IV, p. 521). — Chalcondyle (vers 1460) (t. V, p. 529).

[46] Shakespeare, Henri VI ; première partie ; Monstrelet, II, 57 (Procès, t. IV,. p. 362) ; Wavrin de Forestel, ch. 8 (ibid., p. 406) ; Lefebvre-St-Rémi, ch. 151 (ibid., p. 430). — Pie II, dans ses Mémoires (ibid., p. 518).

[47] Dubellay, Instructions sur le fait des Guerres, II, 3, p. 56 (Éd. 1548). Du Haillan, Hist. de France, XXI, ch. VII, p. 1147 in-fol., 1576). Voy. M. Quicherat, Aperçus nouveaux, § 26, p. 158 et suiv. ; M. de Carné, dans la Revue des Deux-Mondes, 1856, 15 janvier ; p. 313-315 ; M. Vallet de Viriville, Revue de Paris, 1854, t. XXII, p. 440 et suiv.

[48] Jac. Meyer. Ann. Flandr., lib. XVI, p. 272-277 : Joanna virgo, dux Gallorum non ascite, non creata, non electa, seda Deo data, etc. — Ét. Pasquier, Recherches sur la France, liv. II, ch. V. — Histoire et discours du siège qui fut mis devant la ville d'Orléans par les Anglais, in-4°, 1576. — De l'extraction et parenté de la Pucelle d'Orléans, etc., 1610 ; Joannæ Darc heroinæ nobilissima historia, par Jean Hordal, 1612 ; Traité sommaire tant du nom et des armes, que de la naissance et parenté de la Pucelle et de ses frères, 1612 et 1628. Inscriptions pour les statues du roi Charles VII et de la Pucelle d'Orléans, qui sont sur le Pont de ladite ville, 1613 (par Charlesbulys). Voy. M. J. Quicherat, l. l. — Chronique de la Pucelle : voy. la nouvelle édition qu'eu a donnée M. Vallet de Viriville et la notice, dont il l'a fait précéder. — Lenglet-Dufresnoy, Histoire de Jeanne d'Arc, vierge, héroïne et martyre d'État, 3 vol. in-12°, 1753-1754. Les publications et les notices de MM. Petitot, Buchon et Michaud et Poujoulat, dans leurs collections de Mémoires. — Avec M. J. Quicherat, il faut nommer parmi ceux qui ont jeté le plus de lumière sur cette époque, son collègue à l'École des Chartes, M. Vallet de Viriville. Citons, en ce qui touche Jeanne d'Arc : Un épisode de la vie de Jeanne Darc, Bibl. de l'École des Chartes, 1842, t. IV, p. 486 ; Texte restitué de deux diplômes relatifs à la Pucelle, ibid., troisième série, t. V, p. 271 ; Jeanne Darc d'après les dernières recherches, Revue de Paris, 1854, t. XXII, p. 161 ; Privilèges de Domrémy-la-Pucelle, Bull. de la Société de l'hist. de Fiance, 1854, p. 104 ; Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne Darc, 1854 ; Recherches iconographiques sur Jeanne Darc, 1855 ; Observations sur l'ancien monument érigé à Orléans en l'honneur de la Pucelle, extrait du t. XXIV de la Société des Antiquaires de France (1858), et divers articles dans l'Athenæum français (1854) ; dans la Nouvelle Biographie générale de MM. Didot. — Parmi les histoires de Jeanne d'Arc, il faut citer celles de MM. Berryat-Saint-Prix (1 vol. in-8°, 1817) ; Lebrun des Charmettes (4 vol. in-8°, 1817, l'étude la plus laborieuse et la plus exacte qu'on ait faite sur Jeanne d'Arc avant la publication de M. Quicherat ; ses défauts sont peut-être en partie de son temps) ; Gœrres (traduit en 1835, par Léon Bord) ; Abel Desjardins (1 vol. in-12°, 1854, histoire où respire la foi en Jeanne d'Arc, et la plus vive admiration pour sa personne) ; Lafontaine (1854, in-4°) ; Remi (1857, in-8°) ; et principalement celles que MM. de Barante, Michelet et Henri Martin ont tirées de leurs histoires générales.

[49] L'Église entière, dit Sismondi, semblait se déclarer contre la pucelle : toute personne qui prétendait à des pouvoirs surnaturels que l'Église ne lui avait pas délégués excitait sa jalousie et était par elle accusée de magie. Hist. des Français, t. XIII, p. 180. L'historien devrait dire à qui l'Église a jamais délégué des pouvoirs surnaturels. Voy. aussi M. H. Martin, Hist. de France, t. VI, p. 265 et suiv.

[50] Que Jeanne en se soumettant à l'Église pouvait se réserver le fait de ses apparitions. — M. H. Martin dit, à propos de l'assertion de l'avocat dans son plaidoyer : Il sembla un instant vouloir sortir du cercle de convention où l'on étouffait cette grande cause ; et il ajoute : L'avocat, comme effrayé de sa hardiesse, n'alla pas plus loin et rentra sur le terrain convenu. (Jeanne d'Arc, p. 304.) Cette mise en scène et ce prétendu cercle de convention tiennent uniquement au système de l'auteur. L'avocat n'alla pas plus loin, parce qu'il avait suffisamment dit ce qu'il avait à dire. Mais les demandeurs sont si peu effrayés de cette hardiesse, qu'ils la reproduisent toutes les fois qu'ils parlent ou qu'ils posent des conclusions : discours de P. Maugier au début de l'instance, t. II, p. 104 ; propositions en forme d'articles : art. 77 et 78 : Primo quoniam et id facere (soumettre ses révélations à l'Église) non esse adstrictam præsumendum est verisimiliter conjectura et judicio.... Et stante dubio an hujusmodi inspirationes et revelationes ex bono vel malo spiritu procederent, cum id foret omnino occultum et soli Deo notum, de his Ecclesia nihil judicare valuit (in can. Erubescant, dist. XXXII ; et in cap. Sicut tuis et in cap. Tua nos. De Simonia, cum Summa). Imo et Ecclesiæ judicium id soli Deo reservat, et proprie relinquit conscientiæ (in cap. Inquisitioni. De sententia excommunicationis) ....In his enim secretis, quilibet potest sequi opinionem propriam.... Itaque ad propositum nostrum credere inspirationem hujusmodi, non est de articulis fidei ; item nec Ecclesia tenet aut docet quod sit malo spiritu ; imo hujus modi arcanum relinquit judicio Dei. Igitur Johanna, etc. T. II, p. 249-251. On y revient dans les motifs de droit présentés à la fin du procès : Istæ enim occulte apparitiones et inspirationes ; an a Deo procedant velne, soli Deo pertinent et notæ sunt, qui secreta et occulta solus judicat (in can. Erubescant, XXXII dist., in can. Christiana caus. XXX, quæst. 5) ; nec spectant judicio Ecclesiæ (in can. Tua nos, De Simonia). T. III, p. 284 ; et le promoteur conclut dans le même sens, t. III, p. 271. Nous ne parlons pas des traités joints à la cause, qui sont tous d'accord en ce point ; mais nous dirons que cela paraît être la doctrine du Malleus maleficarum, cité plusieurs fois par M. Quicherat comme résumant les maximes de l'inquisition ; car on y lit : Ecclesia non potest judicare nisi de iis quæ patent : occultorum enim cognitor est Deus et judex. (Part. III, quæst. t, p. 328, 329. Ed. 1620.) Et encore : Quia asserens contra determinationem Ecclesiæ non simpliciter, sed in his dumtaxat quæ pertinent ad fidem et salutem est hereticus. Ibid., p. 332. — Ajoutons que c'est toujours au fond la doctrine des théologiens : Certum est Ecclesiam infallibilitatis privilegio non gaudere circa facta historiæ aut mere personalia, quia tale privilegium ipsi necessarium non est ad depositum fidei custodiendum. (Bouvier, Tract. de Vera Eccl., cap. III, art. 3, t. I, p : 261, 262, éd. 1834.)

Que ses faits et ses dits soient envoyés à Rome devers notre Saint-Père le Pape, auquel et à Dieu premier elle se rapporte. (Prédication de saint Ouen, t. I, p. 445.) M. Henri Martin n'a pas cité ce passage dans l'endroit où il discute la question de la soumission de Jeanne à l'Église (Hist. de France, t. VI, p. 272-274, note) ; il se borne à le donner en son lieu (ibid., p. 285), sans en relever la valeur. Cette parole donne cependant une singulière autorité aux témoignages de la réhabilitation qui accusent les réticences, disons mieux, les suppressions commandées du procès-verbal dans les déclarations de Jeanne en cette matière. Dieu premier, ce n'est pas une clause dont on ait le droit d'être jaloux pour le pape. La déclaration de Jeanne, même avec ces mots où elle témoigne qu'elle persiste dans sa foi, tout en invoquant un autre juge, est un véritable appel au pape. Il ne faut pas lui en contester le bénéfice, parce que la pauvre fille, seule et ignorante, ne l'a pas fait par procureur.

[51] Bonne chrétienne : t. I, p. 380 (18 avril).

[52] Idée qu'on se faisait des visions de Jeanne. — On en peut voir un échantillon dans ce qu'en dit cet autre universitaire qu'on appelle le Bourgeois de Paris : Et ils parloient à ly comme amy fait à l'autre, et non pas comme Dieu a fait aucunes fois à ses amis par revélacions, mais corporellement et bouche à bouche, comme un amy à autre. (Procès, t. IV, p. 468.) — Questions supprimées : La preuve en est dans les réponses négatives : car on ne marque dans un procès-verbal ce que l'accusé ne dit pas, qu'autant qu'il est, par une demande expresse, mis en demeure de parler de la chose. Or, si le greffier supprime en ce cas la question, il le peut faire partout ailleurs. Si l'on veut voir combien ce mode de procéder change la physionomie de la scène, on n'a qu'à lire le résumé que L'Averdy présente des réponses de Jeanne dans une exposition continue où toutes les questions sont supprimées. (Notice des man., t. III, p. 37 et suiv.)

[53] Saint Michel : t. I, p. 93 et 173. — Les saintes : t. I, p. 71, 86, 186. — L'Ange à la couronne : t. I, p. 90, 140-146.

[54] Réserves sur ses révélations : t. I, p. 60 et 63. — Réponses évasives sur les saintes : p. 85,86, 177. La face même n'est rien qu'on puisse prendre au sens matériel : Les anges dans les cieux contemplent la face du Père qui est dans les cieux. (Matth., XVIII, 10.) — Sur les anges : t. I, p. 89 et 93. — Les anges de son étendard : t. I, p. 180. — Très-vrai prud'homme : p. 173. — Prud'homme selon saint Louis : Joinville, p. 9 de l'édit. de M. Didot. — Opinion exprimée dans les douze articles : t. I, p. 328 ; dans l'admonition : p. 390. — Comment les voix peuvent parler : p. 86.

[55] Voix et lumière : t. I, p. 52 et 153. — Présente dans le château : p. 218. — Comment Jeanne reconnaît ses voix : p. 170 et 172.          

[56] Gob. Thibault : t. III, p. 75 ; — Seguin : ibid., p. 204 ; Duc d'Alençon : p. 92 ; — Dunois : p. 12 ; — d'Aulon : p. 219 ; — Alain Chartier : t. V, p. 132 ; — Perceval de Boulainvilliers : p. 117. On peut ajouter à ces témoignages ceux des historiens du temps Perceval de Cagny et l'autre chroniqueur alençonnais donné en partie par M. J. Quicherat, le héraut Berri et Jean Chartier se bornent à dire qu'elle était envoyée de Dieu, t. IV, p. 3, 38, 46, 53. Le Journal du siège d'Orléans et la Chronique de la Pucelle parlent des révélations qu'elle a reçues et de ses voix (ibid., p. 118, 168, 205, 223) : ils ne nomment même ni les anges ni les saintes.

[57] Sur le caractère des visions de Jeanne d'Arc, voy. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, §§ 6 et 7, p. 45 et suiv., et M. H. Martin, Hist. de France, t. VI, p, 143, note.

Révélations : Nous renvoyons à l'histoire. Lebrun des Charmettes, t. III, p. 422, et Gœrres, chap. XXX, ont particulièrement signalé comme une preuve de la réalité extérieure ou, si l'on veut, objective de ses voix, cette prédiction touchant sa délivrance qu'elle fit connaître à ses juges : prédiction qui s'appliquait à sa mort, dans le sens de ses voix, et qu'elle entendait, elle, de sa sortie de prison. A propos de sa délivrance, de quelque façon qu'on l'entende, M. Henri Martin a signalé, comme ne s'étant pas accomplie, cette parole : qu'il fallait qu'elle vit auparavant le roi des Anglais, t. I, p. 163. Jeanne, quand elle eut cette révélation, était aux mains des Bourguignons, craignant de tomber entre celles des Anglais. Il est difficile de voir dans cette parole autre chose que l'annonce qu'elle leur serait livrée. Rien n'empêche d'ailleurs de la prendre à la lettre. Jeanne fut à Rouen depuis le mois de décembre 1430 jusqu'à sa mort (30 mai 1431), et le roi d'Angleterre y était arrivé le 29 juillet 1430 (P. Cochon, Chron. norm., chap. LVI), pour n'en repartir qu'au mois de décembre de l'année suivante (1431). C'est même parce qu'il était à Rouen avec ses principaux conseillers qu'on y mena Jeanne, et non point à Paris, à ce que croit Manchon (t. III, p. 136, 137). Il eut donc tout loisir de voir Jeanne d'Arc ; et il n'est pas supposable qu'on n'ait point procuré cette distraction à l'enfant royal pendant ce long séjour.