JEANNE D'ARC

 

TOME SECOND

LIVRE SEPTIÈME. — ROUEN : LE JUGEMENT.

 

 

  Pendant le cours de l'instruction, un clerc de Normandie, de grand renom, maître Jean Lohier, étant venu à Rouen, l'évêque de Beauvais désira avoir son avis sur le procès commencé. On lui communiqua les pièces, on lui donna deux ou trois jours pour répondre : mais la réponse trompa l'attente du juge. Lohier déclara que le procès ne valait rien parce qu'il n'était point en forme de procès ordinaire, qu'il était traité en lieu clos et fermé, où les assistants n'étoient pas en pleine et pure liberté de dire leur pleine et pure volonté ; parce que l'on y touchait à l'honneur du roi de France sans l'appeler lui-même, ni personne qui le représentât ;enfin, parce que les articles n'avaient point été communiqués, et qu'on n'avait donné à l'accusée, une simple jeune fille, aucun conseil pour répondre, en si grande matière, à tant de maîtres et de docteurs. Pour toutes ces causes, le procès lui semblait nul. L'évêque de Beauvais fut, comme on l'imagine, furieux du résultat de sa consultation. Il vint trouver les maîtres et docteurs plus dociles : Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicole Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Loyseleur, et leur dit : Voilà Lohier qui nous veut bailler belles interlocutoires en notre procès ! Il veut tout calomnier, et dit qu'il ne vaut rien. Qui le voudroit croire, il faudroit tout recommencer, et tout ce que nous avons fait ne vaudroit rien. Et passant en revue ses objections : On voit bien de quel pied il cloche, ajouta-t-il ; par saint Jean ! nous n'en ferons rien, oins (mais) continuerons notre procès comme il est commencé. Le lendemain, le greffier Manchon, qui rapporte l'incident, ayant rencontré Lohier dans l'église Notre-Dame, lui demanda à lui-même ce qu'il pensait, de l'affaire. Vous voyez, dit le docteur normand, la manière comment ils procèdent. Ils la prendront, s'ils peuvent, par ses paroles, c'est à savoir dans les assertions où elle dit : Je sais de certain ce qui touche les apparitions ; mais si elle disoit : Il me semble, pour ces paroles : Je sais de certain, il m'est avis qu'il n'est homme qui la pût condamner. Il semble qu'ils procèdent plus par haine que par autrement ; et pour cette cause je ne me tiendrai plus ici, car je n'y veux plus être. Il quitta Rouen et il fit bien : on le voulait jeter à la rivière[1].

L'évêque poursuivit donc son œuvre. Dès le lendemain du jour où l'interrogatoire avait fini, le dimanche 18 mars, il réunit dans sa maison le vice-inquisiteur et dix ou douze des assesseurs que l'on a vus, et soumit à leur examen quelques propositions extraites des réponses de Jeanne. Ils délibérèrent et en dirent leur avis. Mais avant d'aller plus loin, l'évêque voulut qu'ils consultassent les traités écrits sur la matière, et les ajourna au jeudi suivant, intervalle qu'il comptait employer à tirer des interrogatoires de Jeanne certains articles dont on donnerait lecture au tribunal. Les docteurs ne trouvèrent dans la jurisprudence rien qui ne confirmât la marche proposée par l'évêque. Le jeudi donc (22) il fut arrêté que les extraits des réponses de Jeanne seraient réduits en articles par forme d'assertions ou de propositions, et communiqués aux docteurs pour servir de base à leurs délibérations, ou, le cas échéant, à des informations nouvelles[2].

Avant d'y procéder, on voulut avoir l'aveu de Jeanne au procès-verbal de ses interrogatoires. Jean de La Fontaine, commissaire de l'évêque, le vice-inquisiteur et quelques autres vinrent donc lui donner lecture de la minute française. Comme le greffier s'apprêtait à la lire, le promoteur Jean d'Estivet s'engagea à en prouver la vérité pour le cas où Jeanne songerait à en récuser quelque chose. Jeanne promit de ne rien ajouter à ses réponses qui ne fût vrai. Elle interrompit le lecteur à propos de son nom, pour dire qu'on la nommait d'Arc, ou encore Rommée, parce que dans son pays les filles portaient le nom de leur mère. Elle l'invita à poursuivre la lecture, tenant pour vrai ce qu'elle ne contredirait pas, et n'ajouta qu'une chose touchant son habit : Donnez-moi une robe de femme pour aller à la maison de ma mère, et je la prendrai ; déclarant d'ailleurs qu'elle ne la prendrait que pour sortir de prison ; et que, lorsqu'elle serait hors de prison, elle demanderait conseil sur ce qu'elle devrait faire[3].

Cet habit, le seul crime qu'on eût trouvé en elle, et l'on a vu par quelle impudeur, devait fournir à l'hypocrisie de ses juges l'occasion d'une belle scène le lendemain. C'était le dimanche des Rameaux. L'évêque, accompagné de plusieurs des docteurs de Paris, Jean Beaupère, N. Midi, Pierre Maurice et Thomas de Courcelles, vint trouver Jeanne dans sa prison, et lui rappelant que souvent, et notamment la veille, elle l'avait prié, à cause de la solennité du jour, de lui permettre d'entendre la messe, il lui demanda si elle voulait bien pour cela quitter son habit d'homme et reprendre les vêtements de femme, comme elle faisait dans son pays, et comme faisaient.les femmes de son pays. — Était-elle donc dans son pays, parmi les femmes de son pays ? Si cela eût été sérieux, elle y avait déjà répondu, et l'on savait ses conditions. — Elle répondit cette fois en demandant, avec la permission d'entendre la messe en 'habit d'homme, celle de communier à Pâques.

Répondez à ma question, dit l'évêque : quitterez-vous l'habit d'homme, si je vous l'accorde ?

Je ne suis point avisée, je ne puis prendre l'autre habit.

Voulez-vous avoir conseil de vos saintes ?

On pourrait bien me permettre d'entendre la messe en cet état, comme je le désire vivement ; quant à l'habit, je ne puis le changer, cela n'est pas en moi.

Les docteurs insistèrent, mais elle dit qu'il n'était pas en son pouvoir de le faire ; que si elle le pouvait, ce serait bientôt fait. On l'invita encore à consulter ses voix, afin de savoir si elle pouvait reprendre l'habit de femme pour communier à Pâques. Mais Jeanne répondit que pour ce qui était d'elle, elle n'irait pas communier en échangeant son habit contre un habit de femme ; elle priait qu'on lui permit d'entendre la messe en habit d'homme, disant que cela ne chargeait pas son âme, et que de porter cet habit n'était pas contre l'Église. Le promoteur se fit donner acte de ces déclarations[4].

Tout ce qui s'était fait jusqu'à présent, les enquêtes, les interrogatoires, n'étaient que l'instruction du procès : le procès même était maintenant en état. L'évêque, réunissant chez lui ses conseillers ordinaires, 'leur donna lecture des propositions que le promoteur devait soutenir. On approuva les articles ; on les reçut comme base de l'accusation ; on chargea le promoteur de les défendre, soit par lui-même, soit par quelque solennel avocat, et il fut décidé que si Jeanne refusait d'y répondre, elle en serait réputée convaincue[5].

On remit au lendemain pour l'interroger et l'entendre sur ces propositions.

Le lendemain en effet, une nombreuse assemblée de docteurs se tint sous la présidence de l'évêque, dans la chambre voisine de la grande salle du château de Rouen. Jeanne comparut, et le promoteur présenta son réquisitoire. Il dit qu'à la suite des enquêtes et des interrogatoires faits par les juges eux-mêmes, Jeanne était l'a pour-répondre, et lui pour établir au besoin la Vérité des accusations dont il remettait la liste au tribunal. Il demandait que Jeanne fût invitée à jurer d'y répondre catégoriquement ; il voulait que dans le cas où elle refuserait de le faire ou réclamerait un trop long délai, elle fût censée contumace et déclarée excommuniée, et il finissait en priant les juges de fixer un terme au delà duquel tout article auquel elle n'aurait pas répondu serait tenu pour avoué[6].

L'acte d'accusation étant déposé, les docteurs délibérèrent. Ils furent généralement d'avis que l'on commençât par lire à Jeanne les articles ; qu'elle fût contrainte de jurer de dire la vérité en ce qui touche le procès ; et qu'avant de la déclarer excommuniée on lui donnât quelque délai. Le promoteur alors jura qu'il n'agissait ni par faveur, ni par ressentiment, ni par crainte, ni par haine, mais par zèle pour la foi. Puis l'évêque, s'adressant à Jeanne, lui représenta que les juges devant lesquels elle comparaissait étaient des gens d'Église et des docteurs habiles dans le droit divin et humain, qui voulaient procéder envers elle en toute piété et mansuétude, ne cherchant point à la châtier dans son corps, mais bien pintât à l'instruire et à la ramener dans la. voie de la vérité et du salut. Et comme elle n'était pas assez instruite, soit dans les lettres, soit en tes matières difficiles, pour se consulter sur te qu'elle devrait faire ou répondre, il l'invitait à se choisir pour conseil un ou plusieurs des assistants, ou, si elle ne savait choisir, d'en recevoir de sa main (c'était sans grand péril donner satisfaction à l'un des griefs de Lohier) ; après quoi il requit d'elle te serment de dire ta vérité sur toutes les choses qui toucheraient son fait[7].

Jeanne répondit :

Premièrement ; de ce que vous m'admonestez touchant mon bien et notre foi, je vous remercie et toute la compagnie aussi. Quant au conseil que vous m'offrez, aussi je vous remercie ; mais je n'ai point intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur. Quant au serment que vous voulez que je fasse, je suis prête de jurer dire vérité de tout ce qui touchera votre procès. Et elle prêta serment sur les Évangiles[8].

Thomas de Courcelles commença alors la lecture des articles contenus dans l'acte d'accusation, lecture qui tint les deux séances du mardi et du mercredi.

Le préambule de l'acte d'accusation montrait déjà ce que valait ce serment du promoteur de n'agir ni par ressentiment ni par haine. Jeanne était- pour lui une fille décriée et mal famée, et il priait les juges de la déclarer sorcière, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice et conjuratrice de mauvais esprits, superstitieuse, pratiquant les arts magiques ; pensant mal de la foi catholique ; schismatique, doutant et s'écartant du dogme Unam sanctam et de plusieurs autres articles de foi ; sacrilège, idolâtre, apostate, mal disant et mal faisant ; blasphématrice envers Dieu et les saints, scandaleuse, -séditieuse, troublant et empêchant la paix, excitant à la guerre, cruellement ait& rée de sang humain et poussant à l'effusion du sang ; ayant abjuré sans pudeur la décence de son sexe, et prenant sans vergogne l'habit indécent et l'extérieur des hommes d'armes ; pour ces choses et plusieurs autres, abominable à Dieu et aux hommes, violatrice des lois divine, naturelle et ecclésiastique ; séductrice des princes et des peuples ; permettant et consentant, au mépris de Dieu, qu'on la vénère et qu'on l'adore, donnant ses mains et ses vêtements à baiser ; usurpatrice de l'honneur et du culte dus à Dieu ; hérétique, ou du moins véhémentement suspecte d'hérésie[9].

Le promoteur en venait alors aux articles. C'est l'histoire de Jeanne travestie par la passion du juge ; une histoire faite le plus souvent à l'encontre des déclarations de l'accusée, sur des fondements qu'on ne produit pas et qui n'ont jamais existé.

Après avoir proclamé le droit et le devoir qu'ont l'ordinaire (l'évêque) et l'inquisiteur, de poursuivre et d'extirper les hérésies, comme de châtier ceux qui les répandent (art. 1er), l'accusateur posait en fait que Jeanne, dès sa première jeunesse, avait pratiqué des superstitions et des sortilèges, fait métier de devineresse, invoqué les esprits malins et fait pacte avec eux (art. 2) ; qu'elle était tombée dans l'hérésie, et avait soutenu des propositions qui blessaient les bonnes mœurs et les chastes oreilles, etc. (art. 3). Puis, entrant dans le détail, et commençant par son enfance, il déclarait qu'elle n'avait pas été instruite dans les éléments de la foi, mais formée par quelques vieilles femmes à la pratique des divinations (art. 4). Elle a hanté les lieux que l'on disait visités par des fées, elle s'est mêlée à des danses remplies de sortilèges (art. 5) ; elle a suspendu à l'arbre des Dames des guirlandes que l'on ne retrouvait plus le lendemain (art. 6) ; elle porte dans son sein de la mandragore, espérant par là arriver à la fortune (art. 7). Vers sa vingtième année (Jeanne à cette heure même n'avait pas vingt ans), elle est allée de sa propre volonté et sans permission de ses parents à Neufchâteau en Lorraine, où elle s'est mise au service d'une hôtelière nommée La Rousse, chez qui demeuraient de, jeunes femmes débauchées, et le plus souvent des gens de guerre. C'est là que menant les brebis aux champs ou les chevaux à l'abreuvoir, elle a appris à monter à cheval et s'est formée au métier des armes (art. 8). Pendant qu'elle était au service de cette hôtelière, elle a cité devant l'official de Toul un jeune homme pour cause de mariage ; mais celui-ci, ayant su parmi quelles femmes elle vivait, refusa de l'épouser (art. 9)[10].

Après cette audacieuse imposture, l'accusateur exposait comment, au sortir de cette maison, Jeanne, qui prétendait avoir depuis cinq ans des apparitions, était venue, malgré ses parents, trouver Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, afin qu'il la mit en mesure d'aller délivrer Orléans, faire couronner le roi et chasser ses ennemis. Repoussée deux fois, elle avait fini par se faire recevoir (art. 10) ; et admise alors dans son intimité, elle avait annoncé un jour qu'après avoir accompli sa mission, elle aurait trois fils, dont le premier serait pape, le second empereur et le troisième roi. Sur quoi le capitaine lui dit : Je voudrais bien t'en faire un, puisque ce seront de si grands personnages : j'en vaudrais beaucoup mieux ; et Jeanne : Gentil Robert, nenni, nenni, il n'est pas temps ; le Saint-Esprit ouvrera. C'est Robert, ajoute l'accusateur, qui l'a dit et publié en présence de prélats, de seigneurs et de notables personnes (art. 11). Jeanne ensuite avait demandé au capitaine des habits d'homme et des armes, ce à quoi le capitaine, si pudibond, comme on l'a vu, n'avait consenti qu'avec une grande horreur ; et elle partit pour la guerre (art. 12)[11].

L'habit d'homme était un des grands crimes de Jeanne. On lui reprochait non-seulement de l'avoir pris, mais d'avoir dit qu'elle l'avait pris par commandement de Dieu, opposant ainsi Dieu à ses Écritures qui le défendent. On lui reprochait non-seulement ce vêtement, mais le luxe et la recherche de son costume étoffes précieuses, drap d'or, vêtements flottants fendus sur les deux côtés, cheveux taillés en rond à la mode des hommes. Aussi était-ce trop peu que d'attester ici la pudeur des femmes : tout homme honnête, au dire de l'accusateur, aurait rougi de ces parures qui ne convenaient qu'aux gens dissolus. Rapporter tout cela au commandement de Dieu, des saints anges et des saintes vierges, c'était blasphémer Dieu et les saints, renverser la loi divine, violer le droit canonique, scandaliser le sexe féminin et insulter à sa pudeur, pervertir toute la décence des formes extérieures, donner l'exemple de toute dissolution au genre humain et y induire les hommes (art. 13). Et Jeanne persévère dans cette impiété (art. 14) ; elle a repoussé toutes les instances qu'on lui a faites pour quitter cet habit, soit à Beaurevoir soit à Arras (art. 15). Elle a repoussé les instances de ses juges, préférant se passer de la messe que de s'en dépouiller (art. 16)[12].

L'incident de l'habit a entrainé l'accusateur. Il reprend Jeanne au moment où elle vient trouver le roi pour lui exposer sa mission. Elle lui promit trois choses : faire lever le siège d'Orléans, faire couronner le dauphin à Reims, et le venger de ses ennemis en les tuant tous, ou en les chassant du royaume, tant Anglais que Bourguignons (art. 17). Jeanne, tant qu'elle fut avec ledit Charles, le dissuadait de toutes ses forces de se prêter à aucun accommodement avec ses adversaires, poussant au meurtre et à l'effusion du sang humain, affirmant que la paix ne pouvait s'acquérir qu'au bout de la lance et de l'épée, que Dieu l'avait ordonné ainsi, parce que les adversaires du roi ne quitteraient point autrement ce qu'ils occupaient dans le royaume, et que les vaincre de la sorte était un des grands biens qui pût arriver à toute la chrétienté (art. 18)[13].

Cette mission, elle l'avait pourtant accomplie, au moins en partie, et on n'en pouvait nier les merveilles. Le promoteur en prend sujet de l'accuser de magie, et les contradictions ne lui coûtent pas. Jeanne, consultant les démons et usant de divination, a envoyé chercher dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois une épée qu'elle y avait malicieusement et frauduleusement cachée (qu'avait-elle besoin de divination alors ?) afin de séduire les princes et les grands, le clergé et le peuple, et de les amener à croire à ses paroles (art. 19). Elle a mis un sort dans son anneau, dans son étendard et dans certaines pièces de toiles ou panonceaux qu'elle portait ou faisait porter communément par les siens ; elle a dit qu'avec ces panonceaux ils ne pouvaient dans les assauts souffrir aucun mal ; elle l'a déclaré publiquement à Compiègne, la veille du jour de sa sortie (elle en sortit le jour même qu'elle y était entrée) ; sortie où beaucoup des siens furent blessés, tués ou pris, et elle-même faite prisonnière (art. 20)[14].

Pour éviter l'effusion du sang, Jeanne, avant d'attaquer les Anglais, leur avait écrit, les sommant de s'en aller : nouveau crime : Elle a osé écrire des lettres portant les noms de Jésus et de Marie, avec le signe de la croix ; et elle les a envoyées de sa part au roi d'Angleterre, au sire de Bedford, régent de France, et aux seigneurs et capitaines qui assiégeaient Orléans ; lettres remplies de choses mauvaises et dommageables à la foi catholique. Et après cette inculpation, on ose en donner la teneur (art. 21 et 22) ! On en tire même trois nouveaux griefs : 1° qu'elle est trompée par les malins esprits, et qu'elle invente des fables pour séduire le peuple (art. 23) ; 2° qu'elle a abusé des noms de Jésus et de Marie et du signe de la croix, pour avertir les siens de faire tout le contraire de ce qu'elle mandait sous ce signe (art. 24) ; 3° qu'elle s'est dite envoyée de Dieu pour des choses qui tendent à l'effusion du sang humain, ce qui répugne à toute sainteté, et est abominable à toute âme pieuse (art. 25). — De la lettre aux Anglais, le promoteur passe à la lettre au comte d'Armagnac, et il trouve moyen d'accuser Jeanne tout à la fois d'avoir douté du vrai pape, et de s'être engagée à faire savoir, dans un délai déterminé, auquel il. faudrait croire (art. 26-30)[15].

Dans la seconde partie de son réquisitoire, le promoteur s'attaque aux révélations de la Pucelle. Elle s'est vantée et se vante encore tous les jours d'avoir des révélations et des visions ; malgré les admonitions charitables ou les réquisitions juridiques sous la foi du serment, elle refuse de les faire connaître ; elle déclare que plutôt que de les révéler, elle se laissera couper la tète ou arracher les membres ; qu'on ne tirera point de sa bouche le signe que Dieu lui. a révélé, et par lequel on a connu qu'elle vient de Dieu (art. 31)[16].

L'accusation mettait à découvert la pensée dominante que nous avons signalée dans le dédale des interrogatoires. Le promoteur tenait moins à nier les révélations de Jeanne qu'à prouver leur origine diabolique ; il en cherchait la preuve dans la dureté et clans l'orgueil qu'elle y montre, dans les mensonges et les contradictions qu'on y trouve (art. 32). Il prétendait la prendre en flagrant délit de témérité dans ses déclarations, de contradiction dans ses actes. Elle se vante de connaître l'avenir, prérogative de la divinité (art. 33) ; elle prétend connaître la voix des anges et des saints (art. 34), et savoir quels hommes Dieu hait ou aime (art. 35). Elle parle de voix qui la dirigent (art. 36) ; et elle avoue qu'elle leur a désobéi, comme. à Saint-Denis et à Beaurevoir (art. 37) ; quoique depuis sa jeunesse elle ait commis mille choses honteuses, scandaleuses, indignes de son sexe, elle dit qu'elle n'a rien fait que de par Dieu (art. 38). Quoique le sage tombe sept fois en un jour, elle dit qu'elle n'a jamais fait œuvre de péché mortel : et cependant elle a de fait accompli tout ce que font les gens de guerre, et pis encore (art. 39). Et on se charge de lui faire sa confession. Elle a communié en habit d'homme (art. 40) ; elle s'est jetée du haut d'une tour, pour aller secourir les habitants de Compiègne, préférant la libération de leurs corps au salut de son âme, et disant qu'elle se tuerait plutôt que de se laisser livrer aux Anglais (art. 41). Elle a dit qu'elle a vu des saints en leurs corps, qu'ils parlent français et non anglais, supposant, à leur honte, qu'ils détestent une nation aussi bonne catholique que l'Angleterre (art. 42, 43). Elle ne se borne point à dire qu'elle n'a point péché, elle se Vante que sainte Catherine et sainte Marguerite lui ont promis de la conduire en paradis, et s'en croit sûre, pourvu qu'elle garde sa virginité (art. 44). Elle prétend connaître qui sont les saints et les élus (art. 45) ; et pourtant elle blasphème : elle a blasphémé en apprenant le danger de Compiègne (art. 46) ; elle a blasphémé après le saut de Beaurevoir, et bien des fois depuis qu'elle est en prison (art. 47)[17].

Mais d'autres traits encore la chargent plus spécialement des crimes d'hérésie, d'idolâtrie et de sortilège. Elle croit que les esprits qui lui apparaissent sont des anges et des saints, aussi fermement qu'elle croit aux articles de la foi, quand cependant elle n'allègue aucun signe qui ait sel à motiver sa croyance, et qu'elle n'a consulté sur ce point, ni évêque, ni curé, ni personne du clergé : ce qui est mal penser de la foi et rendre suspectes les révélations ainsi cachées aux hommes d'Église (art. 48). Sans autre motif de croire, elle a vénéré ces esprits, baisant la terre par où elle dit qu'ils ont passé, s'agenouillant devant eux, les embrassant et leur faisant d'autres révérences, ce qui, vu les raisons qui rendent ces apparitions suspectes, semble tenir de l'idolâtrie et d'un pacte fait avec les démons (art. 49). Elle les invoque tous les jours et les consulte : invocation des démons (notons que les juges l'y avaient invitée plusieurs fois) (art. 50). Et on rappelle ce qu'on l'a amenée à dire sur le signe du roi (art. 51). Elle a peut-être fasciné le roi ; du moins a-t-elle séduit le peuple, à tel point que plusieurs l'ont adorée en sa présence, et l'adorent encore en son absence par des hommages sacrilèges (art. 52). Elle s'est faite orgueilleusement chef de guerre (art. 53). Elle a vécu parmi les hommes de guerre, refusant les soins des femmes, et employant des hommes de préférence, même dans son service privé (art. 54). Elle a usé de ses révélations pour en tirer, comme les faux prophètes, un profit temporel, se faire un grand état, procurer des biens à ses frères et à ses parents (art. 55). Elle s'est vantée d'avoir des conseillers qu'elle appelait les conseillers de la fontaine (art. 56) : ce qui ne l'a pas empêchée d'échouer à Paris, à la Charité, à Pont-l'Évêque, à Compiègne (art. 57). Et l'accusateur allègue encore comme preuve de son orgueil, l'image de Dieu peinte sur son étendard avec les noms de Jésus et de Marie ; son étendard porté au sacre ; ses armoiries presque royales et ses armes déposées en offrande, après sa blessure devant Paris, dans l'église de Saint-Denis[18] (Art. 58-59).

A tous ces crimes, s'ajoutent ceux qu'elle a commis même en justice. Elle a refusé de jurer de dire la vérité, se rendant par là suspecte d'avoir dit ou fait en matière de foi ou de révélation des choses qu'elle n'ose faire connaître aux juges (Art. 60). Elle a refusé de se soumettre à l'Église militante, disant que pour ses dits et ses faits elle ne veut se soumettre qu'à l'Église triomphante (Art. 61). Elle s'efforce d'attirer le peuple à croire en ses paroles, usurpant l'autorité de Dieu et des anges, et s'élevant au-dessus de toute puissance ecclésiastique pour induire les hommes en erreur (Art. 62). Elle n'a pas craint de mentir en justice, violant son propre serment ; de se contredire mille fois sur ses révélations ; de jeter l'insulte à de nobles seigneurs, à tout un peuple (le peuple anglais) ! de proférer des paroles de dérision et de moquerie qui répugnent à la sainteté, et témoignent qu'elle est gouvernée dans ses actions par l'esprit du mal, et non par le conseil de Dieu, selon la parole de Jésus-Christ : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. (Art. 63.) Elle s'est vantée d'avoir obtenu le pardon du péché qu'elle a commis en se jetant, par désespoir, de la tour de Beaurevoir, quand l'Écriture dit que personne ne sait s'il est digne d'amour ou de haine, ni par conséquent, s'il est lavé de son péché (Art. 64). Elle dit souvent qu'elle demande à Dieu de lui envoyer une révélation expresse sur ce qu'elle doit faire, comme, par exemple, si elle doit dire en justice la vérité sur quelques-uns de ses faits ce qui est tenter Dieu et lui demander ce qui ne doit pas être demandé (art. 65)[19].

Le promoteur, récapitulant l'accusation et terminant comme il avait commencé, affirmait que dans ce qui avait été dit, il y avait des choses contraires au droit de l'Église et de l'État : des sortilèges, des divinations, des superstitions ; des choses qui sentent l'hérésie, séditieuses, propres à troubler ou à empêcher la paix, à faire répandre le sang humain ; des malédictions et des blasphèmes contre Dieu et les saints ; des paroles qui blessent les oreilles pieuses. En toutes ces choses, ajoutait-il, l'accusée, dans son audace téméraire et à l'instigation du diable, a offensé Dieu et sa sainte Église ; elle a péché contre l'Église, elle a, été scandaleuse et notoirement diffamée (Art. 66) ; et il établissait pour tous ces crimes l'aggravation  de la récidive (Art. 67). C'est par le bruit public que le juge en avait été saisi (Art. 68) ; et loin de s'être amendée, l'accusée persévère dans ses erreurs, malgré toutes les admonitions et les sommations (Art. 69). — Le promoteur couronnait son ouvrage en affirmant que toutes les choses susdites étaient vraies, notoires, manifestes, accréditées parla voix publique, et que Jeanne elle-même les avait plusieurs fois et suffisamment reconnues pour vraies, en présence d'hommes probes et dignes de foi, tant en jugement qu'au dehors (Art. 70)[20].

Jeanne dut subir pendant deux jours la lecture de ce violent réquisitoire. Elle savait qu'elle avait des ennemis dans ses juges, et la suite de ses interrogatoires lui avait suffisamment révélé leur esprit. Mais ces questions, si perfides qu'elles fussent, avaient au moins pour prétexte de chercher la vérité ; elle y avait répondu, et aucun démenti n'avait été donné à, sa parole. Quel ne dut pas être son étonnement, quand elle vit ce qu'elle devait croire acquis au débat, remplacé par ce tissu d'imputations calomnieuses et d'impostures, et ses réponses transformées en nouveaux griefs par l'habileté de l'interprétation ! Elle soutint cette nouvelle épreuve avec son calme et sa fermeté accoutumés. Le plus souvent elle se tait, elle renvoie à ce qu'elle a dit, déclarant. que pour la conclusion, elle s'en attend à Notre-Seigneur ; et les extraits de ses interrogatoires, ajoutés après chacun des articles dans le procès-verbal, en sont plus d'une fois le démenti le plus complet. Mais quelquefois pourtant elle reprend la parole, et sa réplique sillonne d'un trait de lumière les ténèbres amusées par l'accusation.

Ainsi, dès l'article premier, quand le promoteur proclame le droit de l'évêque et de l'inquisiteur sur les hérétiques, elle proteste contre l'application que le préambule en faisait assez clairement à sa personne, et elle établit nettement comment elle accordait ces deux faits qu'on prétendait opposer l'un à l'autre sa foi en l'Église et sa foi en ses révélations.

Je crois bien, dit-elle, que notre saint père le pape de Rome et les évêques et autres gens d'Église sont pour garder la foi chrétienne et punir ceux qui défaillent ; mais quant à moi, en ce qui touche mes faits, je ne me soumettrai qu'à l'Église du ciel, c'est à savoir à Dieu, à la vierge Marie et aux saints et saintes du paradis ; et je crois fermement que je n'ai point défailli en notre foi chrétienne, et je n'y voudrais défaillir[21]. (Art. 1er.)

Elle repoussa de même l'accusation d'idolâtrie rattachée aux hommages qu'on lui rendait :

Si aucuns, dit-elle, ont baisé mes mains ou mes vêtements, ce n'est point par moi ni de ma volonté, mais je m'en suis gardée selon mon pouvoir. (Art. 2.)

On avait rapporté ses prétendues erreurs à l'ignorance et aux superstitions où elle avait été nourrie, et on en trouvait une nouvelle preuve dans cet aveu, qu'elle ne savait pas si les fées étaient de mauvais esprits :

Les fées, répondit-elle, je ne sais ce que c'est, mais j'ai pris ma créance et j'ai été enseignée bien et dûment comme un bon enfant doit faire.

Et comme on la requérait alors de dire son Credo, elle répondit :

Demandez au confesseur à qui je l'ai dit. (Art. 4.)

Elle n'ajouta rien à ces premières déclarations, si impudemment travesties dans l'exposé que l'accusateur faisait des temps de son enfance ; et quand il produisit pour la première fois cette scène aussi absurde qu'indécente et sacrilège, où il la montre se vantant d'avoir un jour trois enfants, dont l'un serait pape, l'autre empereur, l'autre roi, elle dit avec sa simplicité ordinaire, qu'elle ne s'était jamais vantée d'avoir un jour ces trois enfants (Art. 11)[22].

L'habit d'homme avait tenu une grande place dans les articles comme dans les interrogatoires. Le porter c'était une violation des Écritures ; en attribuer le commandement à Dieu, un blasphème :

Je n'ai, dit Jeanne, blasphémé ni Dieu ni ses saints.

Mais, dit le juge, les saints canons et les saintes Écritures portent que les femmes qui prennent habit d'homme, ou les hommes habit de femme, sont chose abominable à Dieu. Est-ce du commandement de Dieu que vous avez pris ces habits ?

Je vous ai répondu : si vous voulez que je vous réponde davantage, donnez-moi dilation et je vous répondrai.

Le juge, voulant lui faire répéter en public ce qu'elle avait dit le dimanche des Rameaux, dans la prison, lui demanda si elle consentirait à prendre l'habit de femme pour recevoir son Sauveur à Pâques.

Je ne laisserai point mon habit encore, pour quelque chose que ce soit, ni pour recevoir, ni pour autre chose. Je ne fais point de différence d'habit d'homme ou de femme pour recevoir mon Sauveur, et on ne doit point me le refuser pour cet habit. (Art. 13).

C'était confirmer le grief qu'on lui faisait dans l'article suivant, d'outrager Dieu en refusant de quitter cet habit sans une révélation expresse :

Je ne fais point mal de servir Dieu, dit Jeanne, et demain vous en serez répondus.

Un des juges voulut encore lui faire redire qu'elle l'avait fait par révélation : elle s'en référa à sa réponse, et renvoya au lendemain, disant qu'elle savait bien qui lui avait fait prendre l'habit, mais ne savait point comment elle le devait révéler. (Art. 14.)

Circonstance aggravante : elle avait sacrifié à cet habit l'obligation même d'entendre la messe :

J'aime plus cher mourir, dit Jeanne hardiment, que révoquer ce que j'ai fait du commandement de Notre-Seigneur.

Voulez-vous, dit encore le juge, insistant sur un point où il était sûr qu'elle ne céderait pas, voulez-vous laisser l'habit d'homme pour entendre la messe ?

Elle répondit qu'elle ne le pouvait laisser encore, qu'il ne dépendait point d'elle de fixer le terme où elle le laisserait, ajoutant que ai les juges refusent de lui faire entendre la messe, Notre-Seigneur pourra bien la lui faire ouïr quand il lui plaira, sans eux. (Art. 15.) Et comme l'accusateur avait la maladresse de lui reprocher non-seulement de se vêtir en homme, mais d'agir en homme, délaissant les œuvres de femme :

Quant aux œuvres de femme, dit-elle, il y a assez d'autres femmes pour les faire[23]. (Art. 16.)

L'habit d'homme se rattachait à sa mission. Elle la soutint, même dans ses fers, aussi entière qu'elle l'avait proclamée au début. Elle confessa qu'elle était venue de par Dieu annoncer au roi que Dieu lui rendrait son royaume, le ferait couronner à Reims, et mettrait hors ses ennemis. Elle déclarait qu'elle entendait parler de tout le royaume ; et que si Monseigneur de Bourgogne et les autres sujets du royaume ne venaient en obéissance, le roi les y ferait venir par force. Quant à la manière dont elle avait connu Robert de Baudricourt et le roi, elle s'en tenait à ce qu'elle avait déjà répondu[24]. (Art. 17.)

Mais cette mission, disait l'accusateur, c'était la guerre et l'effusion de sang humain. Jeanne répondit simplement qu'elle requérait d'abord qu'on fit la paix, et que, dans le cas où on ne la voudrait pas faire, elle était toute prête à combattre (Art. 25). L'accusateur, pour amasser sur elle plus de haine, mettait ensemble Anglais et Bourguignons. Elle distingua :

Quant au duc de Bourgogne, dit-elle, je l'ai requis par lettres ou par ses ambassadeurs qu'il y eût paix entre lui et le roi. Quant aux Anglais, la paix qu'il y faut, c'est qu'ils s'en aillent en leur pays, en Angleterre. (Art. 18.)

Même à l'égard des Anglais, elle avait pourtant donné un signe de ses dispositions pacifiques, en les sommant avant de les attaquer ; mais on lui en faisait un nouveau crime : on y voyait une marque d'orgueil. Elle répondit touchant les lettres, qu'elle ne les avait point faites par orgueil ou par présomption, mais par le commandement de Notre-Seigneur ; et elle en confessa le contenu, sauf les trois mots qu'elle avait déjà signalés. Elle ajouta que si les Anglais eussent cru ses lettres, ils eussent fait que sages :

Et avant qu'il soit sept ans, dit-elle, renouvelant sa prophétie, ils s'en apercevront bien[25]. (Art. 21.)

Les réponses de Jeanne, s'intercalant à chacun des articles, avaient fait que la lecture n'avait pu s'en achever dans la journée du mardi. Le mercredi, après lui avoir fait prêter serment, on l'invita à donner les explications qu'elle avait promises touchant son habit. Elle répondit fermement que l'habit et les armes qu'elle a portés, elle les avait portés par le congé de Dieu ; et comme on l'adjurait encore de laisser son habit, elle répondit qu'elle ne le laisserait pas sans le congé de Notre-Seigneur, dut-on lui trancher la tête[26].

Dans la lecture du reste des articles, qui ont trait surtout à ses révélations, elle montra la même présence d'esprit, la même constance. On les voulait rapporter au diable ; elle repoussa l'imputation : elle a agi par révélation de sainte Catherine et de sainte Marguerite, et le soutiendra jusqu'à la mort. Et revenant sur un passage du procès-verbal où on lui faisait dire : Tout ce que j'ai fait, c'est par le conseil de Notre-Seigneur ; elle dit qu'on y doit lire : Tout ce que j'ai fait de bien.

A son signe, le siège d'Orléans, on ne manquait pas d'opposer ses échecs devant la Charité, devant Paris. On lui demanda si elle avait fait bien ou mal d'aller devant la Charité :

Si j'ai mal fait, dit-elle, on s'en confessera.

Quant à Paris, elle répéta que les gentilshommes de France voulurent l'attaquer. Mais elle n'a garde de leur en faire un blâme :

De ce faire, dit-elle, il me semble qu'ils firent leur devoir en allant contre leurs adversaires. (Art. 32.) La faute n'était pas d'avoir été à l'assaut, mais de n'y avoir point persévéré[27].

On objectait à ses révélations sa simplicité, son ignorance :

Il est à Notre-Seigneur, dit-elle, de révéler à qui il lui plaît. (Art. 33.)

On objectait ses désobéissances mêmes : à Beaurevoir, à Saint-Denis :

Je m'en tiens à ce qu'autrefois j'en ai répondu, dit Jeanne ; ajoutant toutefois qu'à son départ de Saint-Denis, elle eut congé de s'en aller.

Mais, dit le juge, faire contre le commandement de vos voix, n'est-ce pas pécher mortellement ?

J'en ai autrefois répondu, et m'en attends à ladite réponse. (Art. 37.)

On objectait encore le mystère qu'elle avait fait de ses révélations : comment y croire, et quelles raisons elle-même avait-elle eues d'y croire ?

Si ceux, dit-elle, qui demandent des signes, n'en sont dignes, je n'en peux mais ; et plusieurs fois j'ai été en prière, afin qu'il plût à Dieu qu'il le révélât à aucun de ce parti. Elle ajouta que pour y croire elle ne demandait conseil à évêque ni à personne, et qu'elle croyait que c'était saint Michel, pour la bonne doctrine qu'il lui montrait.

Vous a-t-il dit : Je suis saint Michel ?

J'en ai autrefois répondu.

Mais pour ne laisser aucun doute sur la constance de sa foi, elle ajouta :

Je crois aussi fermement que je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert mort pour nous racheter des peines de l'enfer, que ce sont saints Michel et Gabriel, saintes Catherine et Marguerite que Notre-Seigneur m'envoie pour me conforter et conseiller[28]. (Art. 48.)

L'accusateur y croyait beaucoup moins ; et il faisait de ces communications un de ses principaux griefs contre Jeanne : invoquer ces voix c'était invoquer le démon :

J'ai répondu, dit Jeanne ; et je les appellerai en mon aide tant que je vivrai.

De quelle manière les requérez-vous ?

Je réclame Notre-Seigneur et Notre-Dame qu'ils m'envoient conseil et confort.

En quels termes les requérez-vous ?

Très-doux Dieu, en l'honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m'aimez, que vous me révéliez ce que je dois répondre à ces gens d'Église. Je sais bien, quant à l'habit, le commandement comme je l'ai pris ; mais je ne sais point par quelle manière je le dois laisser. Pour ce, plaise vous à moi l'enseigner. — Et tantôt ils viennent.

Elle ajouta qu'elle avait souvent nouvelles par ses voix de monseigneur de Beauvais :

Et que disent-elles de moi ? dit l'évêque.

Je le dirai à vous à part ; elles sont aujourd'hui venues trois fois.

Étaient-elles en votre chambre ?

Je vous en ai répondu ; toutefois, je les entendais bien. Elle ajouta que sainte Catherine et sainte Marguerite lui avaient dit la manière dont elle devait répondre touchant l'habit[29]. (Art. 50.)

Elle fut beaucoup plus brève dans sa réponse sur le signe du roi. Elle se borna à relever ce qu'on lui faisait dire des mille millions d'anges elle n'en avait point souvenir, du moins quant au nombre ; et quant à la couronne, où elle fut faite et forgée, elle s'en rapporte à Notre-Seigneur. (Art. 51.) Mais, en tout ce qui touchait sa mission même, elle savait reprendre ses avantages. On l'accusait d'avoir osé, contre les préceptes de Dieu et. des saints, prendre empire sur les hommes et se faire chef de guerre :

Si j'étais chef de guerre, dit-elle hardiment, c'était pour battre les Anglais. (Art. 53.)

On l'accusait d'avoir vécu parmi les hommes.

Mon gouvernement était d'hommes ; mais quant au logis et au gîte, le plus souvent j'avais une femme avec moi. Et quand j'étais en guerre, je couchais vêtue et année là où je ne pouvais trouver de femme. (Art. 54.)

On lui reprochait les bienfaits du roi et ce qu'il avait donné à ses frères, comme si c'était pour des biens temporels qu'elle eût, à la manière des faux prophètes, vendu ses prédictions.

J'ai répondu, dit-elle. Quant aux dons faits à mes frères, ce que le roi leur a donné, c'est de sa grâce, sans ma requête. Quant à la charge que me donne le promoteur et à la conclusion de l'article, je m'en rapporte à notre Sire[30]. (Art. 55.)

On faisait de ses voix des démons familiers, sous le nom de conseillers de la fontaine, et l'on ajoutait que, selon la déclaration de Catherine de la Rochelle, elle sortirait de prison par le secours du diable, si elle n'était bien gardée.

Quant aux conseillers de la fontaine, dit-elle, je ne sais ce que c'est ; mais je crois bien qu'une fois j'y entendis sainte Catherine et sainte Marguerite. Quant à la conclusion de l'article, je la nie, et j'affirme par mon serment que je ne voudrais point que le diable m'eût tirée hors de la prison. (Art. 56.)

On accusait aussi ses délais et ses réticences : elle répond qu'elle n'a point pris délai, si ce n'est pour répondre plus sûrement à ce qu'on lui demandait, ou quand elle doutait de répondre, pour savoir si elle devait le faire. Quant au conseil de son roi, comme il ne touche point le procès, elle ne l'a point voulu révéler ; et pour le signe donné au roi, elle l'a dit parce que les gens d'Église l'ont condamnée à le dire (art. 60)[31].

Enfin, l'accusateur avait insisté sur la question de l'Église, afin de mettre Jeanne, par son refus de s'y soumettre, en opposition avec l'article du symbole Unam sanctam :

Pour ce qui est de l'Église militante, dit Jeanne, je lui voudrais porter honneur et révérence de tout mon pouvoir ; ajoutant, quant à ses faits : Il faut que je m'en rapporte à Notre-Seigneur, qui me l'a fait faire.

Ne vous en rapporterez-vous point à l'Église militante ?

Envoyez-moi le clerc samedi prochain, et je vous répondrai. (Art. 61.)

On lui reprochait de s'adresser souvent à Dieu pour en obtenir une révélation sur sa manière d'agir, ce qui était tenter Dieu : Jeanne dit qu'elle y a répondu, et qu'elle ne veut pas révéler ce qui lui a été révélé, sans le congé de Dieu.

Je ne requiers point Dieu sans nécessité, ajouta-telle, et je voudrais qu'il m'envoyât encore plus de révélations, afin qu'il apparût mieux que je viens de sa part, que c'est lui qui m'a envoyée. (Art. 65.)

A toutes les accusations d'hérésie, de sortilège, etc., ramassées par forme de récapitulation vers la fin du réquisitoire, elle se contenta de répondre :

Je suis bonne chrétienne ; je m'en rapporte à Notre-Seigneur. (Art. 66.)

Et comme le juge, la reprenant par ce côté, lui demandait si, dans le cas où elle eût fait quelque chose contre la foi chrétienne, elle s'en voudrait soumettre à l'Église et à ceux à qui en appartient la correction, elle dit :

Samedi, après dîner, je répondrai[32]. (Art. 69.)

Le samedi donc, veille de Pâques, l'évêque, prenant avec lui un certain nombre d'assesseurs, se rendit dans la prison de Jeanne pour recevoir ses déclarations sur les articles où elle avait requis délai. On l'interrogea d'abord sur ce qui, par des malentendus habilement ménagés, était devenu le point capital du procès, sa soumission à l'Église. On lui demanda si elle se voulait rapporter au jugement de l'Église, qui est sur la terre, de tout ce qu'elle avait dit ou fait, bien ou mal, et spécialement des crimes ou délits qu'on lui imputait, et de tout ce qui touchait son procès. Elle répondit qu'elle s'en rapporterait de tout à l'Église militante, pourvu qu'elle ne lui commandât chose impossible à faire.

Qu'appelez-vous impossible ?

C'est que les choses que j'ai dites ou faites, comme je l'ai déclaré au procès, touchant les visions et les révélations que j'ai eues de par Dieu, je ne les révoquerai pour quelque chose que ce soit, et ce-que notre Sire m'a fait faire et commandé, et commandera, je ne le laisserai à faire pour homme qui vive ; et il me serait impossible de le révoquer. Elle ajoutait que, dans le cas où l'Église lui voudrait faire faire autre chose au contraire du commandement de Dieu, elle ne le ferait pour aucune chose au monde.

Si l'Église militante, dit le juge, lui dévoilant toute sa pensée, vous dit que vos révélations sont illusion, ou chose diabolique, ou superstition, ou mauvaise chose, vous en rapporterez-vous à l'Église ?

Je m'en rapporterai à Notre-Seigneur, duquel je ferai toujours le commandement. Je sais bien que ce qui est contenu en mon procès est venu par le commandement de Dieu, et ce que j'ai affirmé audit procès avoir fait du commandement de Dieu, il me serait impossible de faire le contraire.

Et si l'Église militante vous commandait de faire le contraire ?

Je ne m'en rapporterais à homme du monde, fors (excepté) à Notre-Seigneur, que je ne fisse toujours son bon commandement.

Ne croyez-vous point que vous êtes sujette à l'Église qui est en terre, c'est à savoir à notre Saint-Père le Pape, aux cardinaux, archevêques, évêques et autres prélats de l'Église ?

Oui, notre Sire premier servi (Notre-Seigneur servi d'abord).

Avez-vous commandement de vos voix de ne vous point soumettre à l'Église militante qui est en terre et à son jugement ?

Je ne réponds chose que je prenne en ma tête ; ce que je réponds, c'est du commandement de mes voix ; et elles ne me commandent point de ne pas obéir à l'Église, notre Sire premier servi[33].

Avant de la quitter, les juges lui demandèrent ai à Beaurevoir, à Arras ou ailleurs, elle n'avait point eu des limes : on craignait qu'elle ne limât ses fers.

Si on en a trouvé sur moi, dit-elle, je ne vous en ai autre chose à répondre[34].

Le lundi de Pâques et les deux jours suivants, on s'occupa de réviser les soixante-dix articles et les réponses de Jeanne, pour les réduire, selon l'avis des docteurs de Paris, en douze articles nouveaux où fût comprise toute la substance de l'accusation. Les soixante-dix articles contenaient bien des inutilités ou des redites ; les douze nouveaux devaient être de nature à entraîner sans partage la décision des docteurs auxquels on les voulait soumettre[35].

Ces douze articles vont être la hase et le pivot de tout le procès. Dans les interrogatoires, si la pensée du juge se trahit par la forme des questions, la vérité se fait jour par les réponses de Jeanne : et-elle confond, par l'éclat qu'elle répand, la malignité de son adversaire. Dans les soixante-dix articles, la haine et le venin de l'accusateur peuvent se donner libre carrière. On y trouve, comme résumé des aveux de Jeanne, des paroles détournées de leur sens, des faits défigurés et transformés du blanc au noir, et même des assertions calomnieuses qui se produisent pour la première fois ; mais Jeanne est là : elle renvoie à ses déclarations, elle redresse ou elle nie. Si résolu qu'on soit de ne lui point faire raison, il faut qu'on l'entende, et sa simple et brève parole tient en échec toute la furie de l'accusation. Dans les douze articles, œuvre sans nom d'auteur, la dernière trace de la parole de Jeanne est effacée. On n'y trouve plus, il est vrai, -la violence du réquisitoire : elle s'est renfermée tout entière dans la lettre d'envoi qui les accompagne. Ce sont des faits, mais des faits choisis, disposés et rapprochés de telle sorte que la pensée du juge s'y produit tout entière, et qu'à chacun des articles on est amené à joindre de soi-même les conclusions que l'accusateur en a fort habilement retranchées.

I. Une femme dit et affirme qu'à l'âge d'environ treize ans elle a vu de ses yeux saint Michel, quelquefois saint Gabriel, et une grande multitude d'anges, et que, depuis lors, sainte Catherine et sainte Marguerite se sont montrées à elle corporellement. Elles lui ont apparu quelquefois près d'un arbre appelé communément l'arbre des Fées, et d'une fontaine où les malades allaient chercher la santé, quoiqu'elle fût située en lieu profane. Elles lui ont dit qu'elle devait aller trouver un prince séculier, en lui promettant que par son moyen il triompherait de ses adversaires. Elles lui ont commandé de prendre un habit d'homme qu'elle porte toujours, à tel point qu'elle aime mieux renoncer à la messe et à la communion que de reprendre l'habit de femme. Elles l'ont poussée à partir à l'insu de ses parents, à s'associer à des hommes d'armes avec lesquels elle converse nuit et jour ; elles lui ont dit et commandé diverses choses, en raison desquelles elle se dit envoyée de Dieu et de l'Église victorieuse des saints, à qui elle rapporte tous ses faits. Mais elle refuse de les soumettre à l'Église militante. Elle prétend que les saintes l'ont assurée du salut de son âme, si elle garde la virginité qu'elle leur a vouée, et se dit aussi sûre de son salut que si elle était déjà dans le royaume des cieux.

II. Elle dit que le signe qui détermina le prince à la croire fut que saint Michel vint à lui, accompagné d'une multitude d'anges, et aussi de sainte Catherine et de sainte Marguerite ; que l'ange vint avec elle trouver le roi, lui remit une couronne précieuse et s'inclina devant lui. Elle a dit une fois que le prince était seul alors, quoique plusieurs personnes fussent peu éloignées. Une autre fois, qu'un archevêque reçut la 'couronne et la lui donna en présence de plusieurs seigneurs laïques.

III. Elle dit que saint Michel la visite et la conforte ; qu'elle distingue de même sainte Catherine et sainte Marguerite, et qu'elle croit que c'est saint Michel qui se montre à elle, aussi fermement qu'elle croit que Notre-Seigneur Jésus a souffert et est mort pour notre rédemption.

IV. Elle affirme qu'elle est sûre que certaines choses purement contingentes arriveront, comme elle est sûre des choses qui se passent sous ses yeux ; qu'elle a connaissance de choses cachées, par la révélation de sainte Catherine et de sainte Marguerite ; qu'elle a reconnu par révélation certains hommes qu'elle ne connaissait pas, etc.

V. Elle dit que c'est par le commandement de Dieu qu'elle a pris et qu'elle a encore l'habit d'homme, portant les cheveux taillés en rond au-dessus des oreilles, et ne gardant rien sur son corps qui dénote son sexe, que ce que la nature lui a donné comme la marque du sexe féminin. Elle a reçu plusieurs fois l'eucharistie en cet habit ; elle s'est refusée à toute instance pour le quitter, disant qu'elle aimerait mieux mourir, etc. ; et qu'en toutes ces choses elle a bien fait, obéissant an commandement de Dieu.

VI. Elle avoue avoir écrit des lettres portant les noms Jesus Maria, et quelquefois elles les a marquées d'une croix pour qu'on fit le contraire de ce qu'elle disait. Elle a menacé de faire périr ceux qui n'obéiraient pas à ses lettres, et elle dit souvent qu'elle n'a rien fait que par révélation et commandement de Dieu.

Le document expose ensuite son voyage auprès de Robert de Baudricourt et du roi (VII) ; — l'affaire de Beaurevoir, et comment elle s'est précipitée de la tour, aimant mieux mourir que d'être livrée à ses ennemis (VIII) ; — la promesse de salut que lui ont faite les saintes si elle sarde la virginité tant en son corps qu'en son âme ; l'assurance qu'elle en a et la confiance où elle est de n'avoir jamais fait œuvre de péché mortel (IX) ; — son affirmation que Dieu aime certaines personnes, comme elle le sait de sainte Catherine et de sainte Marguerite qui lui parlent français et non anglais, parce qu'elles ne sont pas du parti des Anglais (X) ; — les révérences et les honneurs qu'elle rend à saint Michel et à ses saintes, les invocations qu'elle leur adresse, l'obéissance qu'elle leur a vouée, sans consulter ni père, ni mère, ni curé, ni homme d'Église ; la croyance qu'elle a en ses révélations aussi fermement qu'en la foi chrétienne ; et ce qu'elle ajoute, que si le malin esprit se présentait à elle sous le nom de saint Michel, elle le saurait bien reconnaître (XI). — Il termine par l'accusation capitale : Elle a dit que si l'Église lui voulait faire faire quelque chose de contraire au commandement qu'elle dit avoir reçu de Dieu, elle ne le ferait pour chose que ce fût ; qu'elle ne veut s'en rapporter à la détermination de l'Église militante ni d'aucun homme au monde, mais à Dieu seul : qu'en répondant ainsi elle ne prend pas sa réponse de sa tête, mais du commandement de ses voix, et cela bien qu'on lui ait souvent fait connaître l'article Unam sanctam Ecclesiam catholicam, en lui expliquant que tout fidèle est tenu d'obéir et de soumettre ses dits et faits à l'Église militante, principalement en matière de foi et en ce qui touche la doctrine sacrée et les sanctions ecclésiastiques (XII)[36].

Cet acte, qui prétend résumer tout le débat, et que l'on pose comme fondement au procès, ne fut point communiqué à l'accusée. On n'a donc pu le rectifier sur, ses réclamations ; on n'a pu y consigner ses répliques. C'est une œuvre clandestine qui va directement du juge aux docteurs dont il veut solliciter les lumières : mais qu'en doit-on attendre, si la réponse est dictée par la forme même de la question ? Les demandeurs au jugement de réhabilitation insistent avec beaucoup de force sur l'illégalité de ce procédé ; et, fût-il légal en soi, ils ont signalé un fait qui, à lui seul, suffirait pour l'entacher de fraude : c'est que non-seulement Jeanne n'a pas été mise en demeure de contester les douze articles, mais de plus que des corrections arrêtées par les assesseurs eux-mêmes n'y ont pas été faites, et que la pièce, déclarée inexacte, a été envoyée par le juge aux docteurs telle qu'il l'avait d'abord rédigée[37].

Une note du greffier lui-même avait mis sur la voie de la fraude. Cette note, inscrite à la date du 4 avril, eu marge des douze articles, portait qu'ils différaient sur plusieurs points des déclarations de Jeanne et devaient être corrigés. Manchon, interrogé, reconnut qu'elle était de lui et ajouta qu'il ne croyait pas que les corrections aient pu être faites, car l'envoi du document se fit dès le lendemain. On ne s'était point borné pourtant à cette observation générale 'sur l'inexactitude des articles : on avait signalé les endroits à corriger et proposé les corrections à faire. Les demandeurs en ont donné pour preuve cinq feuilles de la main de Jacques de Touraine, où l'on retrouve les articles avec tant de changements et de contradictions dans la forme, tant d'additions et de corrections sur les marges et ailleurs, qu'il a été impossible de les reproduire au procès. Est-ce le brouillon des douze articles ou le brouillon de leur remaniement projeté ? On pourrait hésiter à le dire, mais il y a une autre pièce qui lève le doute sur le fait en question. C'est une feuille produite par Manchon à son tour, feuille écrite de sa main et transcrite au procès par les nouveaux juges, où l'on trouve le texte même des modifications arrêtées par les assesseurs[38].

Cette pièce, qui justifie le reproche fait aux premiers juges, en diminue à quelques égards la portée : car si elle prouve que des corrections ont été demandées, elle montre aussi, par sa comparaison avec la rédaction définitive, que plusieurs ont été accueillies. Il est vrai que la plupart sont bien insignifiantes : il s'agit de diviser un article en deux (les articles 2 et 3 ne faisaient d'abord qu'un seul article), ou de modifier la rédaction dans ses termes plus que dans son esprit. Il en est même qui sont dans l'esprit de l'accusation. C'est conformément aux corrections proposées que l'on a introduit en deux endroits dans le texte officiel (I et IX), que Jeanne refusait de quitter l'habit d'homme si ce n'est par commandement de Dieu, réserve dont l'accusateur lui faisait un grief particulier dans son réquisitoire (art. 13). Mais il y en avait aussi qui la pouvaient décharger, et de celles-là on ne tient nul compte. D'après l'art. I, les voix ont promis que par le secours et la médiation de cette femme, le prince doit être rétabli, la révision dit qu'il faut ajouter avec l'aide de Dieu. On n'en fit rien. Dans l'article XII (XI ancien), la révision demande (ceci est capital) que l'on ajoute : Elle déclare qu'elle est soumise à l'Église militante, Notre-Seigneur premier servi, et pourvu que l'Église militante ne lui commande rien de contraire à ses révélations passées ou futures. On trouva plus simple de mentionner le refus sans la déclaration de soumission[39].

Ainsi le grief demeure fondé. Mais toutes les corrections eussent-elles été introduites, les douze articles n'en resteraient pas moins ce qu'ils sont, une œuvre déloyale et perfide, établissant en fait des choses qui ont toujours été niées, ou présentant les déclarations de Jeanne de telle sorte qu'elles perdent leur sens naturel pour prendre celui que leur veut donner l'accusation. On y dit que sainte Catherine et sainte Marguerite se sont, d'après ses aveux, montrées à elle corporellement près de l'arbre des Fées (ce rapprochement n'est pas sans intention), qu'elles lui ont commandé de partir à l'insu de ses parents (elle a dit le contraire) (I). On y raconte le signe donné au roi, sans aucun des traits qui peuvent en révéler l'allégorie ou en lever les contradictions apparentes (II). On tourne contre la solidité de sa foi ce qu'elle disait pour marquer, par le terme le plus fort, la fermeté de sa croyance à ce qui, pour elle, était l'évidence même : à savoir, qu'elle croit à ses apparitions comme elle croit à la Rédemption (III) ; ses révélations deviennent des divinations suspectes (IV) ; son habit une violation impudique des préceptes de l'Ancien et du Nouveau Testament, et un sacrilège : il semble qu'elle ne l'a pris que par dérèglement ou par une dérision impie pour aller communier (V). Le signe de la croix dont elle marque ses lettres est une profanation (VI) ; sa mission, une révolte contre l'autorité paternelle (VII) ; sa tentative d'évasion, une tentative de suicide (VIII) ; son innocence, de l'orgueil (IX) ; son inspiration, de la témérité (X) ; sa vénération pour ses voix, de l'idolâtrie (XI) ; son refus de les mettre en question, un refus d'obéir à l'Église (XII).

Ce grief, postérieur au procès, est devenu, il faut le dire, son unique fondement. Car sérieusement, que pouvait-on reprocher à Jeanne ? ses visions ? elle les affirmait, et il était difficile d'y voir une illusion de son esprit. Elle les avait eues dans les conditions les plus diverses s dans le calme de la maison paternelle, dans le tumulte des camps, dans la prison et l'abandon de tous. On pouvait bien l'accuser de mensonge ; mais nul n'aurait pu, sans se déclarer soi-même hérétique, l'accuser d'inventer une chose-contraire à la foi. Ézéchiel avait eu des visions, et les histoires des saints en sont remplies. Il s'agissait donc beaucoup moins, pour les juges, de savoir si Jeanne en avait eu elle-même que de connaître d'où elles lui venaient : et l'intérêt et la passion pouvaient seuls les aveugler assez, pour qu'ils se crussent en droit de les rapporter au démon. Quant à l'habit d'homme, elle avait à diverses reprises assez clairement répondu ; et chacun eût pu faire la réponse pour elle. La règle commune ne fait point loi pour tous les cas, et l'Église avait canonisé sainte Marine, qui prit et porta toute sa vie l'habit d'homme pour demeurer dans un couvent de moines : elle ne pouvait y rester sans le porter, sans doute ; mais il était moins nécessaire qu'elle y restât. Que si d'ailleurs pour absoudre Jeanne il fallait une décision canonique, elle l'avait eue. La question avait été examinée et résolue par les docteurs de Charles VII. Or Jeanne avait le droit de ne pas croire que ce que l'Église avait trouvé bon à Poitiers fût mauvais à Rouen, ni qu'il y eût plus d'autorité dans l'évêque de Beauvais que dans l'archevêque de Reims son métropolitain.

Restait donc la question de l'Église, question née du débat et où il avait paru si facile de mettre son ignorance en défaut. La première fois qu'on lui en parla, on l'a vu, elle profita de l'occasion pour demander pourquoi on ne l'y laissait point aller entendre la messe ! et quand on lui eut expliqué la distinction des deux Églises, elle répondit, selon Massieu : Vous me parlez d'Église militante. et d'Église triomphante. Je n'entends rien-à ces termes ; mais je me veux soumettre à l'Église comme le doit une bonne chrétienne : et elle l'avait bien montré à Poitiers. Là aussi elle avait affirmé ses visions, et elle n'avait pas refusé de les soumettre à l'examen des prélats et des docteurs. Pendant trois semaines ils l'avaient éprouvée avec toute sorte de précaution, et de scrupule, comme le constate, sinon ces registres, si malheureusement perdus, auxquels Jeanne renvoie plusieurs fois, au moins le résultat qu'on en publia. Ils l'avaient éprouvée, et ils l'avaient approuvée. C'était une sanction ecclésiastique comme une autre ; et ici encore elle avait bien le droit de ne pas vouloir soumettre la décision du métropolitain au suffragant, le jugement d'hommes défiants, mais impartiaux, au jugement de ses ennemis.

Voilà au fond à quoi se borne le refus que le procès-verbal de Rouen constate. Mais ee procès-verbal le constate aussi : tout en maintenant la vérité de ses révélations, Jeanne acceptait toujours le jugement de l'Église là où elle la trouvait libre et impartiale, c'est-à-dire, dans son chef ; et les témoignages consignés au procès de réhabilitation reproduisent sa réponse dans une forme qui fait voir clairement le fond de sa pensée quand elle répondait à des instances sans bonne foi. Comme on la sollicitait de se soumettre à l'Église : Qu'est-ce que l'Église ? dit-elle. On lui dit que c'était le pape, les prélats et tous ceux qui président en l'Église militante. Elle répondit qu'elle se soumettait volontiers au pape, requérant être menée à lui. ; mais qu'elle ne se soumettait point au jugement de ses ennemis et en particulier de l'évêque de Beauvais, parce que, lui dit-elle, vous êtes mon ennemi capital. Isambard de La Pierre lui conseilla de se soumettre an concile général de Bâle qui venait de se réunir (le 6 mars 1431) : elle demanda ce que c'était que concile général ; et comme il lui expliquait que c'était une assemblée de l'Église universelle et de la chrétienté, et qu'en ce concile il y en avait autant de son parti que du parti des Anglais : Oh ! s'écria-t-elle, puisque en ce lieu sont aucuns de notre parti, je veux bien me rendre et soumettre au concile de Bâle. — Taisez-vous, de par le diable, cria l'évêque un peu trop tard. Il avait bien laissé faire la demande, il ne s'attendait pas à la réponse.

Le procès-verbal n'a mentionné ni l'une ni l'autre. Il ne parle dans les interrogatoires que de la soumission au pape en cette forme : soit menée devant lui, et puis répondra devant lui tout ce qu'elle doit répondre. (Séance du 17 mars.) Mais on apprend par la même déposition d'Isambard de La Pierre, présent à la séante ainsi que l'évêque, au témoignage du même document officiel, pourquoi le reste ne s'y trouve pas. Le greffier demandant à l'évêque s'il devait écrire la soumission de Jeanne au concile, l'évêque lui dit que ce n'était pas nécessaire. Ah ! reprit Jeanne, vous écrivez bien ce qui est contre moi ; mais vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi[40].

Cette déposition est confirmée au fond par le greffier Manchon lui-même. Mais le témoignage de Manchon offre avec celui d'Isambard de La pierre des différences d'où l'on a tiré sur l'un et sur l'autre les conclusions les moins attendues.

Manchon raconte que Jean de La Fontaine, Isambard de La Pierre et Martin Ladvenu, allant trouver Jeanne dans la prison, lui dirent qu'elle ne devait pas craindre de se soumettre au pape et au concile, puisqu'il y avait dans le concile des clercs de son parti autant que d'ailleurs. Le lendemain, Jeanne, interrogée, répond qu'elle se soumet au pape et au concile. L'évêque, furieux, demande qui l'a visitée la veille, et apprenant du gardien que c'est La Fontaine et les deux religieux, il s'emporte contre le vice-inquisiteur, son collègue, patron des deux derniers. Jean de La Fontaine, se sachant menacé, part de Rouen et n'y revient plus.

Isambard de La Pierre n'avait parlé que de lui ; Manchon lui associe La Fontaine et Ladvenu. C'est dans la séance même, selon Isambard, que le conseil fut donné à Jeanne ; selon Manchon, ce fut la veille. Isambard n'en détermine pas l'époque ; Manchon indique la semaine sainte dans une autre déposition. On en conclut qu'il ne faut s'arrêter ni à l'un, ni à l'autre ; non qu'ils mentent : mais ils se trompent. On n'accuse que leur mémoire.

Mais si leur mémoire est en défaut, c'est apparemment sur les circonstances où ils diffèrent ; et non sur le fond, où ils sont d'accord. Sur les personnes, Manchon ne contredit pas Isambard : il nomme La Fontaine avec lui ; Isambard ne parle que de lui ;même. Sur le moment, fut-ce dans la séance ou la veille ? La différence est plus grave. Les deux assesseurs ont-ils, comme le veut Manchon, conseillé Jeanne la veille, et Isambard a-t-il renouvelé son conseil dans la séance du lendemain ? Je ne propose pas ce mode de conciliation ; je remarque seulement que, dans tous les cas, on ne peut démentir Isambard qui parle d'un fait personnel ; et Manchon, qu'on pourrait soupçonner d'avoir placé volontiers avant la séance un incident dont on ne trouve pas la trace dans son procès-verbal, se lave de ce soupçon, mais confirme ailleurs ce témoignage, en disant qu'un jour Jeanne étant sommée de se soumettre à l'Église, Isambard de La Pierre lui conseilla de se soumettre au concile général, ce qui lui valut l'interpellation de l'évêque : Taisez-vous, de par le diable !

Reste l'époque, dont Manchon parle seul. Il désigne la semaine sainte. Or, il n'y eut pas de séance particulière dans les premiers jours, et le dernier jour, samedi, 31 mars, ni La Fontaine, ni Isambard ne sont présents. Mais puisque dans la semaine sainte aucun jour ne convient, c'est le cas, non de nier le fait, mais de le chercher ailleurs. Or Manchon lui-même y autorise ; car dans une autre déposition il dit : Dans la semaine sainte ou environ ; et un peu plus loin, quand il cite le fait d'Isambard : Dans le jugement, quand Jeanne était examinée. Nous avons pensé que l'incident se rapporte à la dernière séance des interrogatoires, le mardi 17, séance dans laquelle le procès-verbal mentionne, en effet, une question sur le pape. Et l'on comprend pourquoi, après ce refus d'enregistrer sa réponse, Jeanne a répondu comme elle l'a fait à l'évêque, dans la visite du samedi 31 mars. Mais quand il resterait un doute sur les circonstances accessoires, les deux témoignages n'en sont pas moins incontestables au fond. Manchon, qui sait si bien défendre son procès-verbal, et qui, à cette occasion encore, prétend qu'il a écrit tout ce qu'il a entendu, s'avoue coupable par le fait, puisqu'il rapporte ici un conseil d'Isambard et une déclaration de soumission de la Pucelle qu'on ne trouve, nulle part dans les actes du procès. Quant à Isambard de La Pierre, rapporter son témoignage à une occasion où le procès-verbal fait, il est vrai, poser à Jeanne la question du concile, mais pour constater qu'elle refuse de répondre, ce n'est rien concilier ; et son témoignage, qu'on n'accuse pas de mensonge, ne peut être taxé d'inexactitude involontaire. Ses souvenirs sont très-précis ; j'en juge par cette parole de Jeanne, qui est une protestation contre le système entier du procès-verbal : Ah ! vous écrivez bien ce qui est contre moi, et vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi. Parole décisive que le témoin n'a pas pu oublier, et qu'un historien ne devrait pas omettre dans l'examen de cette question[41]

Ce ne sont pas là les seuls faits qui concernent la soumission de Jeanne à l'Église. Nous retrouverons dans le procès-verbal même des déclarations non moins décisives : mais nous ne voulons pas dépasser la limite des interrogatoires que les douze articles avaient la prétention de résumer. Voilà les douze articles, voilà leur sincérité, leur exactitude. Ce ne sont pas seulement des points de droit flue l'on soumet à la discussion des légistes ; ce sont des faits qu'on suppose établis, faits affirmés d'autant plus hardiment que l'accusée n'est point appelée à y contredire, et qu'on a eu soin de taire les démentis qu'elle y a donnés. C'est donc en toute sécurité que l'évêque, dans sa lettre du 5 avril, invite les maîtres et les docteurs à lui donner leur avis sur la pièce qu'il leur envoie, et les prie de lui faire connaître par écrit avant le mardi suivant ce qu'ils en pensent : si les choses arguées leur paraissent contraires à la foi orthodoxe, à l'Écriture et à la détermination de l'Église romaine ou des docteurs, approuvés par l'Église et aux sanctions canoniques ; scandaleuses, téméraires, perturbatrices de la chose publique, injurieuses ou entachées de crimes contre les bonnes mœurs. Les qualifications qu'il sollicite sont tout entières dans ces lignes. Sa lettre d'envoi contient en résumé la réponse qu'il attend[42].

On réunit d'abord un certain nombre de consulteurs (seize docteurs et six bacheliers), dont la réponse devait donner le ton aux autres. Ils s'assemblèrent le jeudi, 12 avril, sous la présidence d'Érard Émengard, dans la chapelle du palais archiépiscopal de Rouen, et déclarèrent que, considérant, la qualité de la personne, ses dits, ses faits et le mode de ses apparitions, etc. ; ces révélations leur paraissaient fictives ou procédant du diable : les divinations superstitieuses, les faits scandaleux et impies, les paroles présomptueuses et téméraires. Ils y relèvent bien d'autres crimes encore : blasphème envers Dieu et les saintes, impiété envers les parents, violation du précepte de l'amour du prochain, idolâtrie, schisme touchant l'unité et l'autorité de l'Église, et soupçon d'hérésie. Croire que ces apparitions sont de saint Michel, etc., comme on croit à la foi chrétienne, c'est être véhémentement suspect d'errer dans la foi ; dire qu'on a bien fait en ne recevant pas les sacrements dans le temps marqué par l'Église et qu'on l'a fait par le commandement de Dieu, c'est blasphémer contre Dieu[43].

Les autres avis ne tardèrent point à suivre : la délibération des seize consulteurs donnait aux plus incertains une base où s'appuyer. La plupart s'y réfèrent absolument, quelques-uns avec des sentiments d'humilité, d'autres avec un empressement qui va au-devant de toutes les exigences. Que peut mon ignorance, dit Gilles, abbé de Fécamp, après tant de savants hommes comme on n'en trouverait pas dans l'univers entier ? Très-révérend père, ordonnez-moi tout ce que vous voudrez. Pour accomplir vos ordres, ma force pourra faillir, mais non ma volonté. L'évêque de Coutances, s'excusant d'avoir à juger une œuvre si bien élaborée, prend, pour exprimer son avis, les termes mêmes de la lettre d'envoi de P. Cauchon. Plusieurs vont déjà jusqu'à l'application de la peine. Si elle ne renonce point à ses erreurs, qu'on la livre au bras séculier ; si elle y renonce, qu'on la garde en prison, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse, pour qu'elle pleure ses péchés et n'y retombe plus. D'autres, tout en approuvant, font pourtant quelques réserves. Onze avocats de Rouen, réunis après les docteurs, dans la chapelle de l'archevêché, donnent une consultation conforme : A moins pourtant, disent-ils, que ces révélations ne viennent de Dieu. Ils se hâtent d'ajouter que cela d'ailleurs ne leur parait pas croyable, et s'en rapportent aux théologiens. Trois bacheliers en théologie avaient aussi déclaré que tout dépendait de l'origine de ces révélations, et que si elles venaient de Dieu (ce qui, ajoutaient-ils, n'est pas établi), ils ne pourraient interpréter à mal le dire de Jeanne. Mais un évêque (l'évêque de Lisieux) avait déclaré que, vu, entre autres choses, la basse condition de la personne, on ne devait pas croire qu'elles lui vinssent de Dieu[44].

D'autres, tout en répondant selon le vœu de l'évêque, demandaient que l'on consultât l'Université de Paris, ou se réservaient d'adhérer, même après leur avis donné, à sa réponse. Le chapitre de Rouen, malgré quelques adhésions individuelles, se montra peu pressé de se prononcer en cette matière. Lorsqu'on le convoqua pour la première fois, le 13 avril, on ne put réunir qu'une vingtaine de membres. Ils s'ajournèrent au lendemain, avec menace de retenir les distributions pendant huit jours à qui ne viendrait pas. Ils furent trente et un, et décidèrent que, pour donner un avis plus sûr, ils attendraient qu'on leur mît sous les yeux la délibération de l'Université de Paris. Les abbés de Jumièges et de Cormeilles avaient réclamé la même chose ; mais l'évêque se fâcha, et comme il insistait, ils réduisirent leur réponse à quatre points : 1° l'autorité de l'Église : Jeanne se rendrait suspecte en refusant de s'y soumettre ; 2° et 3° les révélations en général et l'ordre de Dieu de porter l'habit d'homme : au premier abord, on n'y pouvait croire, faute de miracle ou d'une évidente sainteté ; tee qu'elle n'est pas en péché mortel : Dieu seul le sait ; et comme ils ne peuvent sonder les choses secrètes, et que d'ailleurs ils n'ont pas assisté à l'examen de Jeanne, ils s'en remettent aux théologiens[45].

Parmi ces réponses, on en trouve une encore, fort longuement motivée, et de nature à plaire à l'évêque par ses développements, sauf un point, cependant. L'auteur trouve qu'en prenant l'habit d'homme Jeanne a fait une action indécente, indigne d'une femme qui se dit pucelle ;à moins pourtant, ajoute-t-il, qu'elle ne l'ait fait pour se défendre contre la violence et garder sa virginité. L'accusation n'avait jamais paru se douter de cette raison-là ! De plus, il concluait que, pour donner à la sentence plus de force et de sûreté et la défendre contre tout soupçon d'injustice, pour l'honneur de la majesté royale et de l'évêque, et pour la paix de la conscience de plusieurs, il convenait de soumettre les assertions de Jeanne à l'examen du souverain pontife[46].

Ni l'évêque de Beauvais, ni ses adhérents ne se souciaient de renvoyer la question au souverain pontife. Quant à l'Université de Paris, sa décision leur était moins suspecte. Six de ses membres avaient assisté au procès dès le commencement : trois d'entre eux, I. Beaupère, Jacques de Touraine et Nicole Midi, devaient lui porter la pièce qui tenait lieu des débats, les douze articles. Mais pour aller plus avant on n'attendit pas sa réponse.

Jeanne était tombée malade ; grand trouble parmi les Anglais : si elle échappait à la condamnation par la mort ! Des médecins furent mandés aussitôt par le cardinal de Winchester et le comte de Warwick. Prenez-en bien soin, dit le comte : le roi ne veut pour rien au monde qu'elle meure de mort naturelle. Le roi l'a chère, car il ra achetée cher et ne veut pas qu'elle meure, si ce n'est par justice et qu'elle soit brûlée. Faites donc en sorte qu'elle guérisse.

Les médecins l'allèrent voir, conduits par Jean d'Estivet. Ils lui demandèrent d'où lui venait son mal.

L'évêque de Beauvais, dit Jeanne, m'a envoyé une carpe, dont j'ai mangé, et c'est peut-être la cause de ma maladie.

Paillarde, s'écria le promoteur, tu as mangé des harengs (halleca) et autres choses qui t'ont fait mal.

Les médecins, lui trouvant de la fièvre, crurent qu'une saignée serait bonne, et le dirent au comte de Warwick. Gardez-vous de la saigner, dit le comte ; elle est rusée, elle pourrait se tuer. On la saigna pourtant et elle se trouva mieux. Mais Jean d'Estivet revint la voir, et, tout ému encore du péril qu'avait couru l'édifice de son accusation, il redoubla d'injures, à tel point que Jeanne en reprit la fièvre. Le comte, inquiet, intima au promoteur de ne plus l'injurier à l'avenir[47].

Cet incident avait montré qu'il fallait se hâter. Jeanne n'était point encore remise, que l'évêque voulut, sans plus attendre, donner suite aux consultations qu'il avait déjà réunies. Il vint donc, avec plusieurs docteurs, la trouver dans sa prison, afin de lui faire les exhortations charitables qui étaient un premier degré Our la mener au bûcher. Il lui représenta que, parmi ses réponses, plusieurs avaient paru à de savants hommes mettre la foi en péril, et comme elle était sans lettres, sans connaissance des Écritures, il lui offrait de remettre à des hommes de probité et de science le soin de l'instruire : elle n'avait qu'à choisir parmi les docteurs présents ou désigner quelque autre, si elle en savait de capables. Nous sommes, ajoutait-il, des gens d'Église, disposés par notre volonté comme par noire vocation à vous procurer par toutes les voies possibles le salut de l'âme et du corps, comme nous le ferions pour nos proches ou pour nous-mêmes ; Nous voulons faire ce que fait l'Église, qui ne ferme pas son sein à qui lui revient. Il finissait en l'adjurant de tenir grand compte de cette admonition salutaire, car si elle y contredisait pour s'en tenir à son sens propre et à sa tête sans expérience, il la faudrait abandonner ; et elle pouvait voir à quel péril elle s'exposait : il l'en voulait préserver de toute sa force et de toute son affection[48].

Jeanne répondit en le remerciant de ce qu'il lui disait pour son salut, et elle ajouta :

Il me semble, vu la maladie que j'ai, que je suis en grand péril de mort ; s'il en est ainsi, que Dieu veuille faire son plaisir de moi, je vous requiers avoir confession et mon Sauveur aussi, et qu'on me mette en la terre sainte.

Si vous voulez avoir les sacrements de l'Église, il faudrait que vous fissiez comme les bons catholiques doivent faire, et que vous vous soumissiez à la sainte Église.

Je ne vous en saurais maintenant autre chose dire.

Plus vous craignez pour votre vie, plus vous devriez amender votre vie ; vous n'auriez pas les droits de l'Église comme catholique, si vous ne vous soumettiez à l'Église.

Si le corps meurt en prison, je m'attends que vous le fassiez mettre en terre sainte ; si vous ne le faites mettre, je m'en attends à Notre-Seigneur.

Autrefois vous aviez dit en votre procès, que si vous aviez fait ou dit quelque chose qui fût contre notre foi chrétienne, vous ne le voudriez soutenir.

Je m'en attends à la réponse que j'en ai faite et à Notre-Seigneur.

Vous avez dit avoir eu plusieurs fois révélations de par Dieu, par saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite : s'il venait aucune bonne créature qui affirmât avoir eu révélation de par Dieu touchant votre fait, la croiriez-vous ?

Il n'y a chrétien au monde qui vint devers moi se disant avoir eu révélation, que je ne sache s'il dit vrai ou non ; je le saurais par sainte Catherine et sainte Marguerite.

N'imaginez-vous point que Dieu puisse révéler quelque chose à une bonne créature qui vous soit inconnue ?

Il est bon à savoir que oui ; mais je ne croirais homme ni femme si je n'avais aucun signe.

Croyez-vous que la sainte Écriture soit révélée de Dieu ?

Vous le savez bien, et il est bon à savoir que oui[49].

On la somma de nouveau de prendre conseil des clercs et des docteurs, et on lui demanda, pour finir, si elle se soumettait, elle et ses faits, à notre sainte mère l'Église. Elle répondit :

Quelque chose qui m'en doive advenir, je n'en ferai ou dirai autre chose, que ce que j'ai dit devant, au procès[50].

Les docteurs qui accompagnaient l'évêque prirent tour à tour la parole, alléguant les autorités de l'Écriture et des exemples pour l'amener à se soumettre. Nicole Midi lui cita, entre autres, le passage de saint Matthieu : Si votre frère a péché contre vous, etc., et ce qui suit : S'il n'écoute pas l'Église, qu'il vous soit comme un païen et un publicain. Il le lui dit en français, et il lui représenta que si elle ne voulait se soumettre à l'Église, il faudrait qu'on l'abandonnât comme une Sarrasine. Jeanne répondit :

Je suis bonne chrétienne, j'ai bien été baptisée ; et je mourrai comme une bonne chrétienne.

Puisque vous requérez que l'Église vous donne votre Créateur, soumettez-vous à l'Église, et on promettra de vous le donner.

Je n'en répondrai autre chose que ce que j'ai fait : J'aime Dieu, je le sers, je suis bonne chrétienne, et je voudrais aider et soutenir l'Église de tout mon pouvoir.

Ne voudriez-vous pas, dit l'évêque, qui avait son projet, que l'on ordonnât une belle et notable procession pour vous réduire en bon état si vous n'y êtes ?

Je veux très-bien que l'Église et les catholiques prient pour moi[51].

Cependant, parmi les docteurs consultés, plusieurs avaient été d'avis que Jeanne fût de nouveau instruite et admonestée sur les faits mis à sa charge. Il fallait donc la placer en présence des douze articles, et c'était s'exposer à lui faire publiquement renier, comme à elle inconnu, cet acte que l'on devait croire avoué par elle comme résumé du débat. L'évêque, sans aller à l'encontre des opinions exprimées, s'appropria la chose de manière à ne rien compromettre. Il sut s'arranger de telle sorte que Jeanne, qui ne connaissait point les articles, loin de soupçonner dans la communication une pièce officielle, y vit tout simplement une admonition comme une autre, et que les assesseurs, qui les connaissaient, trouvassent dans son silence à la lecture une preuve, s'ils en avaient besoin, qu'en leur forme originale, ils lui avaient été depuis longtemps communiqués[52].

Le mercredi 2 mai, il réunit tous les assesseurs dans une salle du château de Rouen, et leur fit une allocution. Il leur exposait que les aveux de Jeanne, résumés en un certain nombre d'articles, ayant, été soumis aux docteurs, les réponses déjà arrivées la jugeaient coupable en bien des points. Cependant, avant qu'il prononçât définitivement sur elle, plusieurs ont cru qu'il fallait l'instruire encore de ses erreurs et tenter de la ramener à la vérité. Il l'a fait, et il y a employé plusieurs notables docteurs en théologie : mais l'astuce du diable prévalant, rien n'y a servi encore. L'admonition privée n'ayant point porté de fruit, il lui a paru opportun de recourir à une admonition publique, pensant que la présence et les exhortations du grand nombre la ramèneraient plus facilement à l'obéissance et à l'humilité. C'est pourquoi il a désigné un savant et ancien maitre en 'théologie, Jean de Châtillon, archidiacre d'Évreux, pour s'acquitter de cette charge ; et il annonça que Jeanne allait comparaître devant l'assemblée[53].

Jeanne fut amenée, et l'évêque l'engagea à se rendre aux exhortations qu'on allait lui faire, faute de quoi, elle se mettrait en péril pour l'âme et pour le corps. Alors l'archidiacre, prenant la parole, commença par remontrer à Jeanne que tous les fidèles chrétiens étaient tenus de croire les articles de foi, et il l'invita, par forme de monition générale, à corriger et réformer ses faits et dits selon la délibération des docteurs. Comme il tenait à la main le texte de ses exhortations : Lisez votre livre, dit Jeanne, et puis je vous répondrai. Je m'attends de tout à Dieu mon Créateur ; je l'aime de tout mon cœur[54].

L'archidiacre lut donc le discours qu'il avait écrit : c'étaient les douze articles réduits à six, mais sous une forme singulièrement tempérée par les raisons qu'on donne à Jeanne et les considérations qu'on y ajoute pour la convaincre ou la séduire.

Après lui avoir rappelé qu'elle a promis de s'amender si les clercs trouvaient dans ses dits ou dans ses faits quelque chose à reprendre (Ier), il lui signale les points notés à ce titre par les docteurs son refus de soumettre ses apparitions à l'Église ou à homme qui vive (II) ; son obstination coupable à garder l'habit d'homme (III) ; à dire qu'en le gardant elle ne pèche pas (IV) ; à soutenir des révélations indignes, par leur nature, de l'origine qu'elle leur attribue, et capables d'entraîner le peuple dans l'erreur (V) : révélations qui l'ont poussée elle-même à des témérités de tonte sorte, en actes ou en paroles, comme quand elle prétend annoncer l'avenir, savoir qui Dieu aime, etc., ou quand elle rend honneur à des apparitions qu'elle n'a pas raison suffisante (n'ayant pas même consulté son curé) de croire de bons esprits (VI)[55].

Cette remontrance fut faite à Jeanne en français, et sur plusieurs points on la pressa d'y répondre.

Après qu'on lui eut déclaré ce qu'était l'Église militante, et qu'on l'eut pressée d'y croire et de s'y soumettre :

Je crois bien l'Église d'ici-bas, dit-elle ; mais de mes faits et dits, ainsi qu'autrefois je l'ai dit, je m'attends et rapporte à Dieu.

Croyez-vous que l'Église puisse se tromper ?

Je crois bien que l'Église militante ne peut errer ou faillir ; mais, quant à mes dits et mes faits, je men rapporte à Dieu qui m'a fait faire ce que j'ai fait.

Elle ajouta qu'elle se soumettait à Dieu son créateur qui lui a fait faire ces choses, et s'en rapportait à lui, à sa propre personne.

Voulez-vous dire que vous n'avez point de juge sur la terre ? et notre Saint-Père le Pape n'est-il pas votre juge ?

Je ne vous en dirai autre chose. J'ai bon maitre, c'est à savoir Notre-Seigneur, à qui je m'attends de tout, et non à autre.

Si vous ne voulez croire l'Église et l'article Ecclesiam sanciarn catholicam, vous serez hérétique en vous y obstinant, et punie du feu par la sentence d'autres juges.

Je ne vous en dirai autre chose ; et si je voyais le feu, si dirais-je ce que je vous dis, et n'en ferais autre chose.

(Superba responsio ! écrit le greffier en marge de son procès-verbal.)

Si le concile général, comme notre Saint-Père, les cardinaux et autres membres de l'Église, étaient ici, voudriez-vous vous en rapporter et vous soumettre à eux ?

Vous n'en tirerez de moi autre chose. Mais le juge insista :

Voulez-vous vous soumettre à notre Saint-Père le Pape ?

Menez-m'y, et je lui répondrai.

était une réponse sérieuse à une question qui ne l'était pas : car personne dans le parti anglais ne voulait l'appel au pape. Le juge vit qu'il était allé trop loin et changea de matière[56].

Il passa à la question de l'habit et ne fut pas plus heureux. Jeanne, faisant tomber d'un mot toutes les fausses imputations de ses accusateurs, répondit qu'elle voulait bien prendre longue robe et chaperon de femme pour aller à l'église et recevoir son Sauveur, comme elle l'avait dit autrefois (ce point est à noter), pourvu que tantôt après, elle le quittât et reprît l'autre. On insista sur ce qu'elle l'avait pris sans nécessité, et spécialement depuis qu'elle est en prison. Et elle, sans rien dire des raisons impérieuses qui le lui faisaient garder en prison, elle répondit :

Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de par Dieu, je prendrai l'habit de femme.

Croyez-vous faire bien de prendre l'habit d'homme ? dit le juge, suivant imperturbablement son thème.

Je m'en attends à Notre-Seigneur.

Et comme le juge lui remontrait qu'en prétendant qu'elle faisait bien, et en disant que Dieu et les saints le lui faisaient faire, elle les blasphémait, elle répondit simplement :

Je ne blasphème point Dieu ni ses saints.

On insista encore pour qu'elle renonçât à porter l'habit d'homme et à croire qu'elle faisait bien de le porter ; mais elle dit qu'elle n'en ferait autre chose[57].

On en vint alors à ses apparitions : si elles n'étaient feintes, elles étaient diaboliques ; on n'admettait pas d'autre alternative. On lui demanda si, toutes les fois que sainte Catherine et sainte Marguerite venaient, elle se signait du signe de la croix.

Quelquefois, dit-elle, sans attacher à la question d'autre importance, je fais le signe de la croix, d'autres fois, non.

De ses révélations et de ses prédictions, elle dit qu'elle s'en rapportait à son juge, c'est à savoir Dieu ; et ajouta qu'elles lui venaient de Dieu sans autre intermédiaire. Quant au signe donné au roi, on lui demanda si elle voulait s'en remettre à l'archevêque de Reims, au sire de Boussac, à Charles de Bourbon, à La Trémouille ou à La Rire qui étaient présents, avait-elle dit, quand l'ange apporta la couronne, ou si elle voulait s'en rapporter à d'autres de son parti, qui écriraient sous leur sceau ce qui en était.

Baillez-moi un messager, dit-elle, et je leur écrirai de tout ce procès.

Ce n'est que dans ces conditions et sous cette forme qu'elle accepta de s'en rapporter à eux.

Si on vous envoie trois ou quatre chevaliers de votre parti, qui viennent ici par sauf-conduit, voudrez-vous vous en remettre à eux de vos apparitions et des choses contenues en ce procès ?

Qu'on les fasse venir, et je répondrai.

On lui demanda enfin si elle voulait s'en référer à l'Église de Poitiers où elle avait été examinée. Mais Jeanne, excédée de ces offres sans bonne foi :

Me cuidez-vous prendre par cette manière, et par là m'attirer à vous ?[58]

On conclut en l'exhortant en général à se soumettre à l'Église, sous peine d'être laissée par l'Église. Et si l'Église vous laissait, continuait le juge, vous seriez en grand péril de corps et d'âme ; car vous pourriez bien encourir la peine du feu éternel quant à l'âme, et du feu temporel quant au corps par la sentence d'autres juges.

Elle répondit :

Vous ne ferez jà ce que vous dites contre moi, qu'il ne vous en prenne mal au corps et à l'âme.

On lui demanda de dire une cause pour quoi elle ne s'en rapportait point à l'Église. Elle aurait pu dire qu'elle ne s'en rapportait point à l'Église des Anglais ; mais elle ne voulut faire aucune autre réponse. Vainement les docteurs insistèrent tour à tour dans le même sens : ils n'obtinrent rien de plus. Enfin l'évêque l'avertit d'y faire bien attention et de se bien aviser sur les admonitions et conseils charitables qu'elle venait de recevoir.

Quel temps me donnez-vous pour m'aviser ? dit Jeanne.

C'est à présent même qu'il le faut faire.

Et comme elle ne répondait pas davantage, l'évêque se retira, et elle fut ramenée à sa prison[59].

On voulut employer le dernier moyen pour la faire parler, la torture. Le 9 mai, l'évêque la fit mener dans la grosse tour du château de Rouen. Il avait avec lui l'abbé de Saint-Corneille de Compiègne, Jean de Châtillon et Guillaume Érard ; André Marguerie et Nicolas de Venderez, archidiacres de Rouen ; Guillaume Haiton et Aubert Morel, Nicolas Loyseleur, et l'huissier Jean Massieu. L'évêque lui signala plusieurs points de son procès où elle était soupçonnée de n'avoir pas dit la vérité ; et il lui dit que, si elle ne la voulait déclarer, on la mettrait à la torture, dont on lui faisait voir les instruments étalés à l'entour. Les bourreaux étaient là, tout prêts à remplir leur office pour la ramener dans les voies de la vérité, comme disait l'évêque, afin d'assurer par là le salut de son âme et de son corps, si gravement compromis par ses inventions erronées. Jeanne répondit :

Vraiment, si vous me deviez faire détraire (arracher) les membres et faire partir l'âme hors du corps, si ne vous dirai-je autre chose ; et si je vous disais autre chose, après je vous dirais toujours que vous me l'auriez fait dire par force.

C'était d'un mot faire voir ce que vaut la torture. Elle ne refusa point d'ailleurs de parler, mais elle le fit pour confirmer toutes ses paroles. Elle dit que le lendemain de son dernier interrogatoire public, à la fête de la Sainte-Croix (3 mai), elle avait eu le secours de saint Gabriel : Et croyez que ce fut saint Gabriel, dit-elle ; mes voix me l'ont fait connaître. Elle dit encore qu'elle avait demandé conseil à ses voix pour savoir si elle devait se soumettre à l'Église comme on la pressait de le faire, et qu'elles lui avaient dit, que si elle voulait que Notre-Seigneur lui aidât, elle s'attendit à lui de tous ses faits. Elle ajouta, contre les imputations qui rapportaient ses apparitions au malin esprit, qu'elle savait que Notre-Seigneur avait toujours été maître de ses faits, et que l'ennemi n'y avait jamais eu puissance. Enfin elle avoua qu'elle avait demandé à ses voix si elle serait brûlée, et que ses voix lui ont répondu qu'elle s'en attende à notre Sire, et qu'il lui aidera. On lui reparla de la couronne donnée, selon qu'elle l'avait prétendu, à l'archevêque de Reims, et on lui demanda si elle voulait s'en rapporter à lui. Posée par les juges, la question ne pouvait pas être douteuse ;. posée par Jeanne, rien n'eût été plus facile que de s'y entendre. Elle répondit :

Faites-le venir et que je l'entende parler, et puis je vous répondrai. Il n'oserait dire le contraire de ce que je vous ai dit[60].

Les juges, frappés de sa fermeté, comprirent que la torture n'y ferait rien, et crurent sage d'y surseoir. Ils se réunirent, le 12, pour en délibérer de nouveau, et résolurent d'y renoncer définitivement, les uns disant que la question était inutile, que l'on avait sans torture assez ample matière ; les autres, que le procès était bien fait, et qu'il ne fallait point par là l'exposer à la calomnie. Dans la minorité qui approuvait la torture, on compte le jeune et brillant docteur Thomas de Courcelles, et celui qui s'était fait agréer comme confesseur de Jeanne, Nicolas Loyseleur[61].

Les choses marchaient vers la conclusion. Dès après la séance du 2 mai, quand Jeanne eut publiquement refusé de s'en remettre, touchant ses faits, à la décision de l'Église, dans les termes où on l'y invitait, le chapitre de Rouen se réunit, et renonçant au délai qu'il avait réclamé d'abord, il n'hésita plus à déclarer que l'opinion des docteurs sur les assertions de Jeanne lui paraissait fondée en raison, et que Jeanne, vu son obstination, devait être réputée hérétique (4 mai). C'était déjà un suffrage important pour l'évêque de Beauvais ; mais depuis, il en avait reçu un autre de bien plus grande autorité, un suffrage auquel beaucoup d'autres s'étaient référés par avance : je veux dire l'avis officiel de l'Université de Paris[62].

L'Université de Paris avait reçu, un peu tard, communication des douze articles. Les trois docteurs, ses suppôts, chargés de les lui remettre, Jean Beaupère, Jacques de Touraine et Nicole Midi, étaient partis de Rouen à la suite de l'Exhortation charitable du 18 avril, et devaient lui donner de vive voix toute explication sur l'affaire dont ils avaient suivi les débats. L'Université avait dès l'origine vivement désiré d'attirer à elle le procès de Jeanne d'Arc ; elle se jeta avec passion encore sur ces restes qu'on lui en donnait. Le 29 avril, elle se réunit à Saint-Bernard pour prendre connaissance et des articles, et des lettres du roi d'Angleterre et des juges de Rouen qui les accompagnaient. Sur la proposition du recteur, elle chargea les deux facultés de théologie et des décrets (de droit) d'examiner chacune à part la pièce soumise à ses délibérations, et, le 14 mai, elle s'assembla de nouveau pour entendre leurs rapports[63].

Jean de Troyes, remplissant les fonctions de doyen de la faculté de théologie, prit le premier la parole, et lut la réponse de la faculté à chacun des douze articles.

Les apparitions de Jeanne : La faculté déclare que, vu la fin, le mode et la matière des révélations, la qualité de la personne et les autres circonstances, elles lui paraissent fictives, mensongères, séductrices et inspirées plutôt par les esprits diaboliques ; et elle les nomme : à savoir, Bélial, Satan et Behemmoth.

Le signe du roi : Mensonge présomptueux et pernicieux, attentatoire à la dignité des anges.

Les visites de saint Michel, de sainte Catherine et de sainte Marguerite, et la foi qu'y a la Pucelle : Croyance téméraire et injurieuse dans sa comparaison aux vérités de la foi.

Les prédictions : Superstition, divination et vaine jactance.

L'habit d'homme porté par commandement de Dieu : Blasphème envers Dieu, mépris de Dieu dans ses sacrements, violation de la loi divine et des sanctions ecclésiastiques, et suspicion d'idolâtrie.

Les lettres : Elles peignent la femme : traîtresse, perfide, cruelle, altérée de sang humain, séditieuse, poussant à la tyrannie, blasphématrice de Dieu.

Le départ pour Chinon : Impiété filiale, violation du commandement d'honorer père et mère, scandale, blasphème, aberration dans la foi, etc.

Le saut de Beaurevoir : Pusillanimité tournant au désespoir et à l'homicide, assertion téméraire touchant la remise de la faute, erreur sur le libre arbitre.

Confiance de Jeanne en son salut : Assertion présomptueuse et téméraire, mensonge pernicieux, etc.

10° Que sainte Catherine et sainte Marguerite ne parlent pas anglais, etc. : Blasphème envers sainte Catherine et sainte Marguerite ; violation du précepte de l'amour du prochain.

11° Les honneurs qu'elle rend à ses saintes : Idolâtrie, invocation des démons, etc.

12° Refus de s'en rapporter de ses faits à l'Église : Schisme, mépris de l'unité et de l'autorité de l'Église, apostasie, obstination dans l'erreur[64].

Guérold de Boissel, doyen de la faculté des décrets, lut ensuite les délibérations de sa faculté, résumées en six points :

Si cette femme, disait la faculté, était dans son bon sens quand elle a affirmé les propositions contenues dans les douze articles, on peut dire, par manière de conseil et de doctrine, et pour parler charitablement :

1° Qu'elle est schismatique comme se séparant de l'obéissance de l'Église ;

2° Hors de la foi, comme contredisant à l'article Unam sanctam Ecclesiam catholicam ;

3° Apostate, comme s'étant coupé les cheveux que Dieu lui a donnés pour voiler sa tète, et ayant quitté l'habit de femme pour l'habit d'homme ;

4° Vicieuse et devineresse, quand elle se dit envoyée de Dieu sans le montrer par des miracles ou par des témoignages de l'Écriture, comme fit Moïse, comme fit saint Jean-Baptiste ;

5° Égarée dans la foi, quand elle demeure sous le coup de l'anathème prononcé par les canons, quand elle aime mieux ne pas communier aux temps marqués par l'Église que de laisser l'habit d'homme ;

6° Abusée, quand elle se dit aussi sûre d'aller en paradis que si elle y était.

C'est pourquoi, si, avertie charitablement, elle ne veut pas revenir à r unité de la foi catholique et donner satisfaction, elle doit être abandonnée aux juges séculiers pour subir le châtiment de son crime[65].

Cette lecture faite, le recteur demanda si c'était bien l'avis.des deux facultés ; et, sur la réponse affirmative des doyens, il soumit les deux actes à l'approbation du corps entier. L'Université se sépara pour en délibérer par faculté et par nations, et bientôt, se réunissant en assemblée générale, elle déclara qu'elle les approuvait[66].

A l'expédition authentique de ces actes qui fut remise aux trois envoyés de Rouen, étaient jointes les lettres de l'Université, tant pour l'évêque de Beauvais que pour le roi d'Angleterre. L'Université complimentait l'évêque du zèle qu'il avait montré, comme un bon pasteur, contre cette femme dont le venin avait infecté tout le troupeau des fidèles en Occident ; elle louait la marche du procès et sa conformité au droit, vantait les docteurs qui n'y avaient épargné ni leurs personnes ni leurs peines, et recommandait à la sollicitude paternelle de l'évêque de ne rien négliger, jusqu'à ce qu'il eût vengé la majesté divine de l'insulte qu'elle avait reçue. Dans sa lettre au roi d'Angleterre, elle louait lé prince de l'ardeur avec laquelle il avait, en cette occasion, défendu la foi et extirpé l'erreur. Elle rappelait les lettres qu'elle lui avait écrites elle-même touchant la Pucelle, donnait son approbation au procès, et suppliait le prince de faire toute diligence pour qu'il fût mené à terme brièvement : car, en vérité, disait-elle, la longueur et dilation est très-périlleuse, et si est très-nécessaire, sur ce, notable et grande réparation, à ce que le peuple, qui par icelle femme a été moult scandalizé, soit réduit à bonne et sainte doctrine et crédulité[67].

Ces pièces à peine arrivées, le 19 mai, l'évêque de Beauvais réunit les assesseurs dans la chapelle du palais archiépiscopal de Rouen pour leur en donner lecture. Tous y adhérèrent, et alors chacun fut invité à donner son avis sur la marche à suivre pour arriver à la conclusion[68].

Gilles, abbé de Fécamp, opina que l'on prit jour pour que le promoteur dit s'il avait quelque chose à ajouter, et qu'on avertit Jeanne. D'autres pensaient que l'affaire était suffisamment instruite, et qu'il ne restait qu'à conclure en présence des parties. La plupart adoptaient purement et simplement l'avis de l'Université de Paris : avertir Jeanne charitablement, soit en particulier soit en public, lui faire connaître la peine à laquelle son obstination l'exposait. Et si elle se refusait à ces instances, les uns s'en remettaient au juge de ce qui resterait à faire, les autres prononçaient d'eux-mêmes qu'elle devait être déclarée hérétique et livrée au bras séculier. Quelques-uns pensaient qu'on pouvait le même jour conclure et prononcer la sentence, et la livrer au bras séculier[69].

L'évêque, après avoir recueilli ces opinions, annonça, conformément à l'avis du plus grand nombre, qu'il emploierait encore auprès de Jeanne l'admonition charitable pour la ramener dans la voie de la vérité et du salut de son âme et de son corps : après quoi il procéderait selon leur sentiment, fermerait le débat et prendrait jour pour prononcer la sentence.

Le 23 mai, il fit amener Jeanne dans une salle voisine de sa prison. Il y siégeait, ayant à ses côtés les évêques de Thérouanne et de Noyon, et quelques-uns des docteurs que l'on a déjà vus au procès, Jean de Châtillon, Jean Beaupère, Nicole Midi, Guillaume Érard, Pierre Maurice, André Marguerie et Nicole de Venderez. Pierre Maurice était chargé d'exposer à l'accusée les fautes, les crimes et les erreurs où elle était tombée, au sentiment de l'Université de Paris, c'est-à-dire de lui reproduire en substance et sous les voiles de son discours l'acte capital qu'on lui dérobait toujours dans sa forme officielle, et de l'inviter à renoncer à ses erreurs et à se soumettre au jugement de l'Église.

Jeanne, disait-il, tu as dit que, depuis l'âge de treize ans environ, tu as eu des révélations ; que des anges, que sainte Catherine et sainte Marguerite te sont apparus, que tu les as vus fréquemment des yeux de ton corps, qu'ils t'ont parlé et te parlent encore souvent, qu'ils t'ont dit plusieurs choses exposées plus pleinement dans ton procès. Or les clercs de l'Université de Paris et d'autres, considérant le mode et la fin de ces apparitions, la matière des choses révélées et la qualité de ta personne, ont dit que ces choses sont feintes, séductrices et pernicieuses, ou que de telles révélations et apparitions procèdent des esprits diaboliques.

Tu as dit.... Et il reprenait ainsi, en résumé, chacun des douze articles, en les faisant suivre du jugement de l'Université de Paris[70].

Après quoi, procédant à l'exhortation charitable :

Jeanne, ma très-chère amie, disait-il, il est temps, maintenant que l'on touche au terme de votre procès, de bien peser ce qui a été dit...

Il lui rappelait combien de fois on l'avait pressée de se soumettre à l'Église, l'obstination de ses refus et la longanimité de ses juges, qui, étant en mesure de prononcer dans la cause, avaient voulu soumettre ses paroles à l'examen de l'Université de Paris. L'Université a répondu, et les juges veulent supplier Jeanne encore de revenir sur ses résolutions, de ne se point faire retrancher de la communion de Jésus-Christ pour aller se perdre avec les ennemis de Dieu. Le prédicateur l'invitait à se défier de cet ennemi du genre humain, qui, pour le séduire, se transforme quelquefois en ange de lumière :

C'est pourquoi, ajoutait-il, si quelque chose de tel vous est apparu, n'y croyez pas, mais bien plutôt repoussez toute adhésion de votre esprit à de semblables choses, acquiesçant aux dires et aux opinions de l'Université de Paris et d'autres docteurs qui connaissent la loi de Dieu et la sainte Écriture, et jugent qu'on ne doit point croire à de semblables apparitions ni à aucune apparition extraordinaire, si ce n'est sur l'autorité de la sainte Écriture ou d'un signe suffisant, et d'un miracle. Or vous n'avez eu ni l'une ni l'autre de ces garanties ; vous y avez cru légèrement, sans vous tourner à Dieu par une oraison fervente, pour qu'il vous en assurât ; vous n'avez recouru ni à un prélat, ni à quelque autre homme d'Église éclairé qui pût vous instruire, ce que vous auriez dû faire, vu votre état et la simplicité de votre savoir. Et prenez un exemple : Si votre roi, de son autorité, vous avait commis la garde de quelque forteresse, vous défendant d'y recevoir personne ; quand même quelqu'un dirait qu'il vient en son nom, à moins qu'il ne vous apportât des lettres ou quelque signe certain, vous ne devriez le croire ni le recevoir. Ainsi, lorsque Notre Seigneur Jésus-Christ, montant au ciel, a commis au bienheureux Pierre, apôtre, et à ses successeurs le gouvernement de son Église, il leur a défendu de recevoir désormais aucun de ceux qui viendraient en son nom, si cela n'était établi suffisamment autrement que par leur dire. C'est donc chose certaine : vous n'avez pas dû ajouter foi à ceux que vous dites vous être venus de cette sorte ; et nous, de même, nous ne devons pas vous croire, puisque le Seigneur nous ordonne le contraire.

Jeanne, remarquez-le bien encore : si, dans les États de votre roi, lorsque vous y étiez, un chevalier ou tout autre, né sous sa domination et son obéissance, s'était levé, disant : Je n'obéirai point au roi et je ne me soumettrai point à ses officiers, n'auriez-vous pas dit qu'il dût être condamné ? Que direz-vous donc de vous-même, qui êtes née dans la foi du Christ, devenue, par le sacrement du baptême, fille de l'Église et épouse de Jésus-Christ, si vous n'obéissez point aux officiers du Christ, c'est-à-dire aux prélats de l'Église ? quel jugement porterez-vous de vous-même ? Cessez donc, je vous prie, de parler de la sorte, si vous aimez Dieu votre créateur, votre précieux époux et votre salut, et obéissez à l'Église en acceptant son jugement. Sachez que, si vous ne le faites et si vous persévérez dans cette erreur, votre âme sera condamnée au supplice éternel, livrée à des tourments sans fin ; et quant au corps, je doute fort qu'il ne vienne en perdition ! Que le respect humain ne vous retienne pas, ni cette fausse honte qui peut-être vous domine, parce que vous avez été en de grands honneurs que vous pensez perdre en agissant comme je dis. Il faut préférer l'honneur de Dieu et le salut tant de votre corps que de votre âme : or tout cela se perd si vous ne faites ce que j'ai dit, parce que, de cette sorte, vous vous séparez de l'Église et de la foi que vous avez promise au sacré baptême ; vous mutilez l'autorité de Dieu et celle de l'Église, qui pourtant est conduite, régie et gouvernée par l'autorité de Dieu et par son Esprit. Il a dit aux prélats de l'Église : Qui vous écoute m'écoute, et qui vous méprise me méprise. Lors donc que vous ne voulez pas vous soumettre à l'Église, de fait vous vous en séparez, et, en refusant de vous soumettre à elle, vous refusez de vous soumettre à Dieu. Vous errez contre l'article Unam sanctam Ecclesiam, dont le caractère et l'autorité vous ont été suffisamment, montrés, dans les précédentes admonitions. Cela étant, je vous avertis donc, de la part dé messeigneurs l'évêque de Beauvais et le vicaire de l'inquisiteur, vos juges, je vous avertis, vous prie et vous conjure, par cette piété que vous avez pour la passion de votre Créateur, par l'intérêt que vous prenez au salut de votre âme et de votre corps, de corriger et redresser les choses susdites, et de rentrer dans la voie de la vérité en obéissant à l'Église, en acceptant son jugement et sa détermination dans les choses qui ont été dites. Et en agissant ainsi, vous sauverez votre âme et rachèterez, comme je pense, votre corps de la mort. Mais si vous ne le faites et que vous vous obstiniez, sachez que votre âme sera frappée de damnation, et je crains la destruction de votre corps : desquelles choses daigne vous préserver Jésus-Christ ![71]

Jeanne écouta cette admonition, et sans se laisser ébranler par les prières plus que par les menaces, elle dit :

Quant à mes faits et mes dits que j'ai dits au procès, je m'y rapporte et m'y veux soutenir.

Croyez-vous que vous ne soyez point tenue de soumettre vos dits et faits à l'Église militante ou à autre qu'à Dieu ?

La manière que j'ai toujours dite et tenue au procès, je la veux maintenir quant à ce.

Et elle ajouta :

Si j'étais en jugement et voyais le feu allumé, et les bourrées allumées et le bourreau prêt à bouter le feu ; si j'étais dans le feu, je n'en dirais autre chose et soutiendrais ce que j'ai dit au procès, jusqu'à la mort.

Le juge demanda au promoteur et à Jeanne s'ils n'avaient rien à ajouter ; et sur leur réponse négative, il déclara la clôture du débat, renvoyant au lendemain pour prononcer la sentence et procéder au delà comme de droit et de raison[72].

 

 

 



[1] Lohier : t. II, p. 11 (Manchon) ; cf. p. 300 et 341, et surtout t. III, p. 138 (id.) : Sub pœna submersionis, t. III, p. 50 (G. de la Chambre). Il mourut à Rome doyen de la Rote, t. II, p. 12 (Manchon).

[2] Séance du 18 mars : t. I, p. 188. — Les assistants sont : l'abbé de Fécamp, le prieur de Longueville, les docteurs de Paris, J. Beaupère, Jacq. de Touraine, N. Midi, P. Maurice, G. Feuillet, Th. de Courcelles, R. Roussel, N. de Venderez, J. de La Fontaine et N. Coppequesne. — Séance du 22 : t. I, p. 189. — Parmi ceux qui ont assisté à la réunion du 18, l'abbé de Fécamp et Th. de Courcelles ne sont plus nommés. Par compensation, on compte cette fois, avec les autres : Jean de Châtillon, Érard Émengart, G. Bouchier, M. Duquesney, P. Houdenc, J. Nibat, J. Fabri ou Lefebvre, J. Guesdon, G. Haiton, N. Loyseleur et Isambard de La Pierre.

[3] T. I, p. 190. La Fontaine et le vice-inquisiteur ont avec eux cinq des docteurs de Paris, J. Beaupère, N. Midi, P. Maurice, G. Feuillet et Th. de Courcelles ; et de plus maitre Enguerrand de Champrond, official de Coutances, qu'on ne trouve que cette fois au procès.

[4] T. I, p. 191.

[5] T. I, p. 194.

[6] T. I, p. 195-198. On y compte trente-huit assesseurs.

[7] T. I, p. 198-200.

[8] T. I, p. 201.

[9] T. I, p. 202-204.

[10] T. I, p. 204-215.

[11] T. I, p. 215-223.

[12] T. I, p. 223-230.

[13] T. I, p. 231-233.

[14] T. I, p. 234-236.

[15] T. I, p. 239-246.

[16] T. I, p. 247.

[17] T. I, p. 249-272.

[18] T. I, p. 273-304.

[19] T. I, p. 305-319.

[20] T. I, p. 320-323.

[21] T. I, p. 205.

[22] T. I, p. 206, 209, 220.

[23] T. I, p. 224, 226, 227, 230.

[24] T. I, p. 232.

[25] T. I, p. 243, 233, 239.

[26] T. I, p. 247.

[27] T. I, p. 250.

[28] T. I, p. 251, 260, 274.

[29] T. I, p. 279.

[30] T. I, p. 283, 284, 293, 294.

[31] T. I, p. 295-306.

[32] T. I, p. 313, 320, 321, 322.

[33] T. I, p. 324.

[34] T. I, p. 326.

[35] T. I, p. 326.

[36] T. I, p. 328-336. L'Averdy, en regard de chacun des douze articles, a rétabli les faits que l'accusation supprime ou altère. Notice des man., t. III, p. 71-97.

[37] Les douze articles attaqués au procès de réhabilitation : t. II, p. 174, etc. Thomas de Courcelles conjecture, sans oser l'affirmer, qu'ils ont été rédigés par N. Midi. Il ajoute qu'il ne sait si on arrêta qu'ils seraient corrigés, ni s'ils furent corrigés, t. III, p. 60.

[38] Note de Manchon : Et ostensa etiam eidem loquenti quadam notula manu sua scripta, ut asseruit ipse loquens ; mandatis etiam notariis in hujus processu ad recognoscendum hujus modi notulam de data diei IV aprilis, anni D. MCCCCXXXI ; in qua notula in gallico, contenta in processu, expresse habetur quod hujusmodi duodecim articuli non erant bene confetti, sed a confessionibus saltem in parte extranei, et oh hoc veniebant corrigendi, etc. T. III, p. 143 (Interr. de Manchon) ; cf. p. 196 (Int. de Taquel). — Item quod credunt quod de correctione hujusmodi articulorum facienda, ita fuit appunctuatum prout constat in dicta notula. Sed si hujusmodi correctio fuit addita.... nesciunt. Tamen credunt quod non, quia constat ipsis per quamdam aliam notulam scriptam manu magistri G. de Estiveto.... quod fuerunt transmissi in crastinum per enradem de Estiveto sine correctione. T. III, p. 144.

Brouillon de J. de Touraine : Quinque folia papyrea, manu magistri Jac. de Turonia, ut dicitur, scripta, ubi ponuntur articuli.... sub alia et contraria in multis forma, cum multis additionibus et correctionibus. Quæ quidem quinque folia, quia ad verum transcribi vel grossari non possent, dictis additionibus tam in margine foliorum quam aliter factis. T. III, p. 232 (Procès de réhab., chap. VI). Ce qui doit faire croire que c'est plutôt un projet de modification des douze articles, qu'un premier projet des douze articles mêmes, c'est que Thomas de Courcelles, on l'a vu, semble désigner comme auteur du travail principal N. Midi.

[39] Les corrections : voy. la reproduction de cette feuille, t. III, p. 238-240.

[40] Et le lendemain qu'elle fut ainsi advertie, elle dit qu'elle se vouldroit bien soubmettre à nostre Saint-Père le Pape et au sacré concille. Et quant monseigneur de Beauvais oyt cette parole, demanda qui avoit esté parler à elle le jour de devant, et manda le garde anglois d'icelle Pucelle.... et pour ce, en l'absence d'iceulx de Fonte et religieux, ledit évesque se courrouça très-fort contre maistre Jehan Magistri, vicaire de l'inquisiteur, en les menassant très-fort de leur faire desplaisir. Et quant ledit de Fonte eut de ce cognoissance et qu'il estoit menacé pour icelle cause, se partit de ceste cité de Rouen, et depuis n'y retourna. T. II, p. 13. — In Hebdomade sancta. T. III, p. 139 (id.). Voy. M. H. Martin, Hist. de France, t. VI, p. 272-274, note.

[41] Témoignage de Manchon sur Isambard : Dicit ulterius audivisse, dum ipsa Johanna summabatur de se submittendo Ecclesiæ, dum frater Isambardus de Petra suaderet sibi quod se submitteret concilio generali, [quod] episcopus Belvacensis hoc audiens, eidem fratri Bardini dixit : Taceatis in nomine diaboli. T. II, p. 343. — Époque de la visite : Durante processu in hebdomade sancta vel circa. T. III, p. 341. — Le conseil donné en séance : Et fuit hoc in judicio, quando ipsa Johanna examinabatur. Ibid., p. 343.

[42] T. I, p. 327.

[43] T. I, p. 337-340. — Parmi ces consulteurs, se trouve Isambard de La Pierre.

[44] Adhésion à la délibération des consulteurs : J. Basset, t. I, p. 342 ; J. Guesdon, J. Maugier, p. 345 ; J. Brullot, p. 346 ; N. de Venderez, p. 347 ; N. Caval, p. 349 ; J. de Châtillon, p. 351 ; J. Bouesgue, J. Guarin, p. 352. — Réponse de l'abbé de Fécamp : p. 344 ; de l'évêque de Coutances : p. 361. —Avis avec détermination de la peine : J. Gastinel, p. 342 ; A. Morez et J. de Quemino, p. 357. — Avis des trois avocats de Rouen : p. 358 ; des trois bacheliers (P. Minier, J. Pigache et R. de Grouchet) : p. 369. — Voilà donc ce que vous avez fait, leur dit l'évêque en colère, t. II, p. 359 (R. de Grouchet) ; p. 325 (N. de Houppeville) ; de l'évêque de Lisieux (l'Italien Zano de Castiglione) : t. I, p. 365.

[45] Référence à l'Université de Paris : Robert Barbier et J. Alespée, p. 350. — Délibération du chapitre de Rouen : p. 354. — Les abbés de Jumièges et de Corneilles : p. 357.

[46] T. I, p. 374 (R. Le Sauvaige). — Plusieurs réponses contraires aux vues de l'évêque ne furent pas insérées au procès. On en peut donner pour exemple celle de l'évêque d'Avranches, au témoignage d'Isambard de La Pierre. Il dit, t. I, p. 5 : que lui-mesme en personne, fut pardevers l'évesque d'Avranches, fort ancien et bon clerc, lequel, comme les autres, avoit esté requis et prié sur ce cas donner son oppinion. Pour ce, ledit évesque interrogua le tesmoing envoyé pardevers lui, que disoit et déterminoit monseigneur saint Thomas, touchant la submission que on doit faire à l'Eglise. Et celui qui parle bailla par escript audit évesque la déterminacion de saint Thomas, lequel dit : Es choses douteuses qui touchent la foy, l'on doit toujours recourir au pape, ou au général concile. Le bon évesque fut de cette oppinion, et sembla estre mal content de la délibération qu'on avoit faicte par-deçà de cela. N'a point esté mise par escript la déterminacion ; ce qu'on a laissé par malice.

[47] Jeanne malade : Quæ respondit quod sibi fuerat misse quædam carpe per episcopum Belvacensem, de qua comederat, et dubitabat quod esset causa suce infirmitatis. Audivit ab aliquibus ibidem præsentibus quod ipsa passa fuerat multum vomitum. T. III, p. 49 (J. Tiphaine). — Quia pro nullo rex volebat quod sua morte naturali moreretur : rex enim eam habebat caram et care emerat, nec volebat quod obiret, nisi cum justitia, et quod esset combusta. Ibid., p. 51 (G. de la Chambre). — Injures de J. d'Estivet : ibid., p. 49 et 52 ; cf. p. 162 (G. Colles).

[48] T. I, p. 374.

[49] T. I, p. 377-379.

[50] T. I, p. 379.

[51] T. I, p. 379-381.

[52] Tactique du juge dans les admonitions : Lebrun des Charmettes, t. IV, p. 75 et 105.

[53] Procès, t. I, p. 381-384. — Plus de soixante assesseurs se rendirent à la convocation.

[54] T. I, p. 385.

[55] T. I, p. 386-392.

[56] T. I, p. 392-394. — Note du greffier : dans le m. 5965, f°. 129, r° (Bibl. imp. Fonds latin). A cette séance pourrait se rapporter la déclaration de Marguerie qu'il a ouï dire à Jeanne que pour certaines choses elle ne croirait ni prélat, ni pape ni personne, parce qu'elle les tenait de Dieu. (T. III, p. 354). Marguerite, du reste, n'ajoute rien à l'autorité du procès-verbal : c'est un des assesseurs qui ont condamné Jeanne (t. I, p. 464) ; il peut tenir plus que d'autres (Ladvenu, Is. de La Pierre) à justifier le jugement.

[57] T. I, p. 394-395.

[58] T. I, p. 395 -397.

[59] T. I, p. 397-398.

[60] T. I, p. 399-400.

[61] T. I, p. 402-403.

[62] Délibéré du chapitre de Rouen : t. I, p. 353.

[63] Envoi des douze articles à Paris : t. I, p. 407 et 409. — Jacques de Touraine et Nicole Midi assistent à Rouen à la séance du 18 avril, t. I, p. 375. — Séance du 29 avril, à Paris : t. I, p. 411 et suiv. (la date est donnée, p. 421).

[64] T. I, p. 414.

[65] T. I, p. 417.

[66] Délibération de l'Université de Paris : t. I, p. 421.

[67] Lettre à l'évêque de Beauvais : p. 408 ; au roi d'Angleterre : p. 407.

[68] T. I, p. 404-406.

[69] T. I, p. 422-429.

[70] T. I, p. 430-437.

[71] T. I, p. 437-441.

[72] T. I, p. 441-442.