JEANNE D'ARC

 

TOME PREMIER

LIVRE QUATRIÈME. — COMPIÈGNE.

 

 

  La mission de Jeanne d'Arc finissait-elle au sacre ? On l'a soutenu très-anciennement déjà et on le répète encore tous les jours, comme pour mieux établir la vérité de son inspiration, au risque d'amoindrir son caractère. On dit qu'après la cérémonie elle se voulait retirer, mais qu'on la retint et qu'elle resta, cessant dès ce moment d'être l'envoyée de Dieu pour n'être plus que l'instrument d'une politique tout humaine ; et l'on allègue à l'appui de cette opinion les déclarations mêmes de Jeanne d'Arc. Mais pour la ramener à sa juste valeur, il a suffi d'examiner de plus près les textes dont elle s'appuie.

Dunois raconte que lorsqu'on traversa la Ferté et Crespy-en-Valois, comme le peuple accourait criant Noël, Jeanne, qui était à cheval entre l'archevêque de Reims et le bâtard d'Orléans, dit : Voilà un bon peuple, et je n'ai jamais vu peuple qui se réjouît tant de l'arrivée d'un si noble prince. Et puissé-je être assez heureuse pour finir mes jours et être inhumée en cette terre !Ô Jeanne, lui dit l'archevêque, en quel lieu croyez-vous mourir ? Elle répondit : Où il plaira à Dieu, car je ne suis assurée ni du temps, ni du lieu, pas plus que vous-même. Et que je voudrais qu'il plût à Dieu, mon créateur, que je m'en retournasse, quittant les armes, et que je revinsse servir mon père et ma mère, gardant leurs troupeaux avec ma sœur et mes frères, qui seraient bien aises de me voir !

Cette anecdote, racontée par Dunois lui-même, est reproduite dans la Chronique de la Pucelle et dans le journal du siège d'Orléans, mais avec cette variante : Jeanne dit à Dunois : J'ai accompli ce que Messire m'avoit commandé, qui étoit de lever le siège d'Orléans et faire sacrer le gentil roi. Je voudrois bien qu'il voulût me faire ramener auprès mes père et mère, etc. La Chronique de la Pucelle est d'un contemporain et d'un homme généralement bien informé. On lui peut reconnaître le droit d'ajouter de son propre fonds aux traits qu'il prend ailleurs. Mais ici l'addition est telle qu'elle change, presque à l'insu de l'auteur, tout le sens du passage : car ce n'est plus de Dieu, c'est du roi que la Pucelle, dans la forme nouvelle du récit, parait vouloir obtenir son retour auprès de ses parents ! On peut donc dire que la leçon est sans valeur en face du texte parfaitement clair de l'original. Évidemment, dans ce récit, les paroles de Jeanne ne sont ni un aveu que sa mission est terminée, ni un désaveu de l'entreprise qu'elle poursuit : c'est le cri du cœur au milieu des répugnances naturelles qu'elle savait vaincre pour obéir à ses voix ; comme à Vaucouleurs, quand elle demandait à partir, déclarant qu'il n'y aurait de salut que par elle, elle ajoutait : Et pourtant j'aimerais bien mieux filer auprès de ma pauvre mère ; car ce n'est pas mon état : mais il faut que j'aille et que je le fasse, parce que Messire veut que je fasse ainsi[1].

S'il y avait un doute possible entre ces deux versions, il y aurait un moyen sûr de le lever : c'est de recourir aux déclarations les plus authentiques de Jeanne. Or il y en a une qui remonte au commencement de sa mission, et qui est contenue dans un document signé d'elle : je veux parler de la lettre qu'elle adressa aux Anglais avant de les attaquer. Dans cette lettre, datée du 22 mars 1429, elle leur dit expressément : Je suis cy venue de par Dieu le Roi du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France. C'est ce qu'elle avait dit à Vaucouleurs, à Chinon, à Poitiers ; c'est ce qu'elle répétait à toutes les époques de sa carrière, si l'on s'en réfère aux témoignages les plus autorisés[2].

Parmi ces documents, il y a en effet des distinctions à faire.

Les témoignages qui se rapportent aux premiers temps de la mission de Jeanne, aux mois de juin ou de juillet 1429, à la veille ou au lendemain du sacre, sont unanimes à ne marquer d'autre terme à sa mission que l'expulsion des Anglais. C'est ce que dit Perceval de Boulainvillers dans sa lettre citée plus haut : Elle affirme que les Anglais n'ont aucun droit en France, et qu'elle est envoyée de Dieu pour les chasser et les vaincre, toutefois après les avoir avertis... préliminaires auxquels Jeanne tenait beaucoup, et dont la mention prouve que l'auteur est bien informé. C'est ce que disent encore, on- l'a vu, les envoyés allemands, marquant pour terme à l'accomplissement de sa parole, le 25 juin : ils écrivaient moins de huit jours auparavant ! C'est ce que répète, moins le terme ajouté peut-être par le bruit populaire, Alain Chartier dans une lettre écrite un mois plus tard, vers la fin de juillet : Délivre Orléans, lui dit la voix, mène sacrer le roi à Reims, reconduis-le à Paris et le rétablis dans son royaume. C'est ce que répètent en France et en Allemagne les docteurs qui examinent si l'on doit croire à sa déclaration : Jean Gerson, Jacques Gelu, qui se prononcent pour elle en raison même du but qu'elle se propose : le rétablissement du roi dans son royaume et l'expulsion de ses ennemis ; Henri de Gorcum, qui, après avoir rappelé ce même objet de sa mission, se borne à donner six raisons pour et contre, laissant à d'autres le soin de poursuivre l'enquête et de conclure ; l'auteur enfin de la Sibylle française, qui, loin de douter, montre pourquoi Dieu devait se prononcer en faveur de la pieuse France contre la cruelle Angleterre, et choisir une jeune fille afin que le royaume, perdu par une femme, fût recouvré par une femme ; et il joint aux prédictions de la Nouvelle Sibylle ses prophéties à lui, qui ne sont pas toutes aussi infaillibles. L'objet de la mission de Jeanne était donc bien l'expulsion des Anglais ; et Christine de Pisan ne lui en marquait pas d'autre, quand, pour chanter cette guerre sacrée de la délivrance, elle retrouvait le cri de la Croisade :

Et sachez que par elle Anglois

Seront mis jus sans relever :

Car Dieu le veult[3].

Les témoins entendus au procès de réhabilitation paraissent quelquefois réduire la mission de Jeanne aux faits d'Orléans et de Reims. Simon Charles, président de la chambre des comptes, dit qu'en arrivant à Chinon elle déclarait avoir reçu de Dieu deux commandements : l'un de faire lever le siège d'Orléans, l'autre de mener le roi à Reims pour qu'il y fût sacré. C'est ce que disent aussi le conseiller Garivel, l'écuyer Thibault ; et Dunois semble même exclure tout autre objet, lorsqu'il dit que Jeanne, bien que souvent sur le fait des armes elle parlât par manière de plaisanterie, pour animer les gens de guerre, de beaucoup de choses touchant la guerre qui peut-être ne sont point arrivées à l'effet, cependant, quand elle parlait sérieusement de la guerre, de son fait et de sa mission, elle ne déclarait jamais affirmativement autre chose, si ce n'est qu'elle était envoyée pour faire lever le siège d'Orléans, secourir le peuple opprimé dans cette ville et lieux circonvoisins, et mener le roi à Reims pour le faire consacrer[4].

Mais si les témoins de 1429 écrivaient au milieu de tous les entraînements des espérances populaires, ceux du procès de réhabilitation n'ont-ils pas pu se réduire à ne parler que des faits que Jeanne avait accomplis ? H est juste de se défier de la réserve des uns au moins autant que de l'exagération des autres ; et à part quelques traits de la lettre des Allemands, où l'on sent trop qu'ils ont moins recueilli la parole de Jeanne que des bruits de la foule, c'est aux premiers qu'il faut s'attacher de préférence : car ce qu'ils disent, Jeanne elle-même non-seulement l'a déclaré dans.sa lettre, mais l'avoue et le maintient dans son procès.

Dans le dixième des 70 articles proposés contre elle, on lit qu'elle prétendu avoir eu par saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, cette révélation de Dieu, qu'elle ferait lever le siège d'Orléans, couronner Charles, qu'elle dit son roi, et chasserait tous ses adversaires du royaume de France. Et l'on ne peut pas dire que ce soit une allégation mensongère de ses juges, invention dont on les pourrait bien croire capables, à voir toutes les faussetés que l'accusation y ajoute pour entacher sa prédiction de sortilège quand l'événement la vérifiait ! Jeanne en convient ; elle confesse qu'elle porta les nouvelles de par Dieu à son roi, que notre Sire lui rendroit son royaume, le feroit couronner à Reims et mettre hors ses adversaires ; et elle ajoute, qu'elle disoit tout le royaume, et que si monseigneur le duc de Bourgogne et les autres sujets du royaume ne venoient en obéissance, le roi les y feroit venir par force. Elle confirme enfin ses précédentes déclarations sur ce sujet, lorsque le 2 mai, dans la séance de l'admonition publique, interrogée sur l'habit d'homme qu'elle portait toujours, et pourquoi elle le portait sans nécessité, par exemple dans la prison (on verra si dans la prison il lui fut inutile), elle répondait : Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de par Dieu, je prendrai habit de femme. Même dans sa prison de Rouen, et à la veille de monter au bûcher, elle ne croyait donc pas sa mission terminée ; elle ne le pouvait pas croire tant qu'elle vivait, et qu'il y avait un Anglais en France. On peut même avancer qu'elle ne croyait pas sa mission bornée là ; et ce que Perceval de Boulainvilliers dit encore dans sa lettre, touchant le duc d'Orléans qu'elle comptait délivrer, trouve dans les déclarations de Jeanne au procès une entière confirmation. On demande à Jeanne comment elle entendait délivrer le duc d'Orléans : selon le bruit public recueilli par Boulainvilliers, c'était par un miracle. Elle écarte le miracle, et répond hardiment qu'elle aurait pris en deçà de la mer assez d'Anglais pour le ravoir (par échange), et si elle n'en eût pris assez, elle eût passé la mer pour l'aller chercher en Angleterre par force. Elle ajoutait que, si elle eût duré trois ans sans empêchement, elle l'eût délivré[5].

Ce quadruple objet de la mission de Jeanne levée du siège d'Orléans, sacre du roi à Reims, expulsion des Anglais, délivrance du duc d'Orléans, c'est ce qu'atteste d'ailleurs un témoin du procès de la réhabilitation, qui n'avait pas moins été que Dunois dans la compagnie de la Pucelle : le duc d'Alençon. « Elle disait, déclare-t-il, qu'elle avait quatre charges : mettre les Anglais dehors, faire consacrer et couronner le roi, délivrer le duc d'Orléans et faire lever le siège mis par les Anglais devant Orléans. ii Est-ce à dire que Jeanne dût atteindre à ce quadruple but sous peine d'être, en contradiction avec soi-même ? Non assurément. Elle disait qu'elle était envoyée pour le faire, mais non qu'elle le ferait en tout état de cause. Il fallait qu'on y aidât. Et les choses dont elle avait annoncé l'accomplissement au roi finirent après tout par s'accomplir. Seguin, un de ceux qui l'entendirent à Poitiers, tout en rappelant lui-même les quatre points de la déposition du duc d'Alençon, constate, à l'honneur de Jeanne, qu'on les a vus accomplis[6].

Le rôle de Jeanne n'était donc point terminé à Reims, et si le succès ne répond plus à ses efforts, ce n'est point que la grâce de sa mission lui fasse défaut. Serait-ce qu'elle-même a manqué à sa mission ? C'est ce que l'histoire va nous montrer.

Quand on reprend la série des faits, une réflexion vient ajouter une nouvelle force aux conclusions que nous avons tirées des témoignages : c'est que si Jeanne, après le sacre, avait songé à retourner dans sa famille, ce n'est pas la politique de Charles VII qui l'en eût empêchée : car cette politique était toujours celle de La Trémouille et de sa faction. C'était pour eux un grand effort que d'avoir achevé le voyage de Reims. La chose faite, ils n'avaient pas lieu de regretter d'être venus jusque-là sans doute ; mais la suite permet de croire qu'ils n'étaient pas tentés d'aller plus loin.

Le roi sacré à Reims, la Pucelle voulait qu'il entrât dans Paris. Tout le monde s'y attendait et Bedford le premier. Dans une lettre datée du 16 juillet, la veille du sacre, le régent, annonçant au conseil d'Angleterre que Reims, après Troyes et Châlons devait le lendemain ouvrir ses portes au dauphin (le dauphin y entra ce jour même), ajoutait : On dit qu'incontinent après son sacre il a intention de venir devant Paris et a espérance d'y avoir entrée ; mais à la grâce de N. S., aura résistance. Mais si les villes, de Gien à Reims, avaient montré si peu d'ardeur à le combattre, devaient-elles, après le sacre, résister mieux, de Reims à Paris ? Le ton même du message de Bedford prouve qu'il n'en était pas si assuré. Le sacre, il le sentait bien, devait produire partout une impression considérable en France. C'est pour cela que dans cette lettre il manifeste tant de regrets que le jeune Henri VI n'ait pas prévenu son rival, tant d'impatience qu'il vienne en France se faire sacrer à son tour en toute possible célérité : car, ajoute-t-il, s'il eût plu à Dieu que plus tôt y fût venu, ainsi que jà par deux fois lui avoit été supplié par ambassadeurs et messagers, les inconvénients ne fussent pas tels qu'ils sont. À défaut de Notre-Dame de Reims, il fallait donc lui garder au moins Notre-Dame de Paris. Or, dans cet ébranlement général, Paris même n'était pas sûr ; et pour le garder le régent en était réduit à compter sur deux hommes qui n'étaient là ni l'un ni l'autre, le duc de Bourgogne qui venait de partir, et le cardinal de Winchester qui n'arrivait pas[7].

Winchester n'arrivait pas, et il n'y avait guère lieu de s'en alarmer encore. Le traité par lequel le cardinal s'engageait à mettre sa troupe au service du roi était du 1er juillet ; l'ordre de lui rembourser ce qu'il avait dépensé, du 5 : mais Bedford ne peut contenir son impatience. Il annonce qu'il se rend le surlendemain en Normandie, puis en Picardie pour aller à sa rencontre : il semble qu'il veuille le prendre au débarquement, de peur qu'il ne lui échappe. Le duc de Bourgogne était parti ce jour même (le 16), promettant d'amener des renforts ; et Bedford se loue extrêmement des services qu'il a rendus et de ceux qu'il va rendre ; il va jusqu'à dire que sans lui Paris et tout le remenant s'en alloit à cop (était perdu) ! Mais le duc avait-il bien sincèrement oublié tant de griefs personnels, si capables de contrebalancer en lui les raisons qui l'avaient entraîné vers les ennemis de sa race : les prétentions de Glocester sur le Hainaut, les refus de Bedford touchant Orléans ? et ne savait-il pas que ceux-là mêmes qui venaient de lui rappeler avec tant d'éclat le meurtre de son père, avaient naguère eu la pensée de se débarrasser de lui de la même sorte ? Invité par la Pucelle à se rendre à Reims, il était venu à Paris. Mais la campagne qui avait si rapidement conduit au sacre. pouvait bien l'ébranler comme les autres. Le 16, après les cérémonies organisées à Paris par Bedford, on avait pu le voir partir avec quelque espérance. Le 17, après les cérémonies de Reims, on ne pouvait plus être assuré de le voir revenir[8].

Telle était la situation de Bedford : tout semblait se dérober à lui ; et Paris même était au roi, si le roi suivait ce mouvement qui devait s'accroître à chaque pas et devenir, par son progrès, irrésistible. C'était à quoi poussait Jeanne d'Arc ; mais la cour était de tout autre humeur. Empêcher le retour du duc de Bourgogne et prévenir l'arrivée de Winchester, voilà ce qu'il fallait faire ; et marcher en avant pour arrêter le second était encore le plus sûr moyen.de retenir le premier. On aima mieux commencer par entrer en négociation avec le duc de Bourgogne ; on pensa que, lui gagné, l'Anglais serait déjà vaincu ; et Jeanne dut accommoder sa conduite aux décisions qui avaient prévalu.

Ce n'est pas qu'elle répugnât aux négociations. C'est par là qu'elle avait commencé, même à l'égard des Anglais ; et si elle souhaitait moins de vaincre l'ennemi que de faire qu'il se retirât volontairement, à plus forte raison désirait-elle user des moyens dé persuasion envers des Français. Elle avait déjà écrit à Philippe le Bon avant le sacre. Elle lui écrit le jour même de la cérémonie ; et sa lettre lui fut portée peut-être par la députation que le roi lui envoyait pour le ramener à sa cause. Jeanne aussi veut triompher de sa. résistance ; mais comme sa lettre diffère par le ton et l'accent des lettres qu'elle avait écrites aux Anglais avant de les combattre ! Les Anglais sont des ennemis : elle les somme de partir, sans autre alternative que d'être mis dehors : car c'est pour cela qu'elle est envoyée. Le duc de Bourgogne est du sang royal, c'est un fils égaré de la France : elle le supplie, elle le conjure à mains jointes de faire la paix, ne craignant pas de se faire trop humble ; car une chose la relève dans cet abaissement, et donne une singulière autorité à ses prières : c'est qu'elle sait, c'est qu'elle affirme que s'il refuse il ne peut être que vaincu. Elle le prie donc, non par aucun intérêt de parti, mais parce que sera grant pitié de la grant bataille et du sang qui y sera respendu ; car c'est le sang de France[9].

Jeanne s'accordait donc avec la cour pour négocier ; mais tout en négociant elle voulait agir aussi : elle croyait que l'action était tout à la fois un moyen de soutenir les négociations ou d'y suppléer au besoin. D'ailleurs, si peu disposé que l'on fût à courir de nouveaux hasards, il y avait à faire, aux alentours, plusieurs conquêtes qui promettaient d'ajouter sans péril au prestige du voyage. En attendant que le duc de Bourgogne répondit, le roi s'occupa de rallier les villes disposées à se soumettre. Après quatre jours passés à Reims, ayant accompli dans l'abbaye de Saint-Marcoul les pratiques de tout roi nouvellement sacré, il vint à Vailly-sur-Aisne, où les bourgeois de Soissons et de Laon lui apportèrent les clefs de leur ville. Le 23, il se tendit à Soissons, et là de nouvelles députations vinrent mettre en son obéissance Château-Thierry, Provins, Coulommiers, Crécy en Brie[10].

Il y avait pourtant un ordre à suivre dans cette marche victorieuse, pour la faire aboutir à la délivrance du royaume. Le roi avait reçu sa couronne : Jeanne voulait qu'il reprit sa capitale ; et cette suite de soumissions, obtenues à si peu de frais, lorsqu'elles n'étaient pas entièrement spontanées, devait, selon son plan, mener droit à Paris. Mais les courtisans trouvaient plus sûr et plus commode de prendre Paris par le duc de Bourgogne. Philippe le Bon, moins touché des raisons de Jeanne qu'effrayé de son approche, affectait cette fois de répondre aux intentions du roi ; et les conseillers intimes de Charles VII, ne demandant pas mieux que de se croire à la veille de la paix, prenaient occasion des offres de soumission qui leur venaient des villes d'alentour pour modifier, selon leurs vues, l'itinéraire de la Pucelle. Le 29 juillet, on vint à Château-Thierry, où le sire- de Châtillon, connaissant les dispositions du peuple, n'essaya pas de tenir plus d'un jour. Le 1er août, on était à Montmirail ; le 2, à Provins. On retournait vers la Loire[11].

Les retards du roi avaient donné à Bedford le temps de se reconnaître ; sa marche en arrière lui offrait l'occasion de reprendre l'offensive. Il n'y manqua point. Le 25 juillet il avait amené dans Paris les 5.000 hommes de Winchester ; le 4 août il en sortait avec cette troupe et un nombre égal d'autres soldats recrutés par lui-même, et il arrivait par Corbeil à Melun. Sur le bruit que les Anglais étaient proche, l'armée royale sortit de Provins, et alla jusqu'à la Motte-de-Nangis. Mais on ne vit rien ; et le bruit courant que Bedford regagnait Paris, le roi reprit le chemin de la Loire. C'est derrière ce fleuve que les courtisans voulaient aller se reposer d'une campagne qu'ils trouvaient assez longue[12].

Leurs intentions furent pourtant déconcertées.

En quittant la Motte-de-Nangis, le roi était venu à Bray, où il comptait passer la Seine. Les habitants avaient promis obéissance, et l'on avait remis le passage au lendemain. Mais pendant la nuit, une troupe d'Anglais, détachée sans doute par Bedford, s'établit dans la ville, et les premiers qui s'approchèrent furent tués ou détroussés. Le passage ne fut point forcé ; car il n'y aurait eu que les courtisans pour l'entreprendre : toute l'armée avait vu avec indignation qu'on s'en allât quand tout invitait à marcher en avant. Cette déconvenue était donc une bonne fortune ; le duc de Bar (René d'Anjou) et le duc d'Alençon, les comtes de Clermont, de Vendôme et de Laval, comme Jeanne et tous les autres capitaines, laissèrent voir la joie qu'ils en avaient[13]

On revint donc au plan de la Pucelle : et on le voit par une lettre qu'elle. écrit ce jour même, 5 août, aux habitants de Reims. Elle les rassure contre les craintes que leur devait inspirer la retraite du roi vers la Loire. Elle leur apprend le fait qui a suspendu ses progrès et trompé l'impatience de leur attente : le roi a conclu avec le duc de Bourgogne une trêve de quinze jours, à l'expiration de laquelle le duc lui doit rendre Paris. Elle convient que, malgré cette promesse, elle n'est point contente de trêves ainsi faites ; et ne sais, dit-elle, si je les tiendrai, mais si je les tiens ; ce sera seulement pour garder l'honneur du roi. Du reste, elle affirme qu'on n'abusera pas le sang royal, et qu'au terme de quinze jours l'armée sera prête à agir s'ils ne font la paix. Et pour ne laisser aucun doute sur le but vers lequel on marche ; elle date sa lettre emprès un logis sur champ, au chemin de Paris[14].

Si le duc de Bourgogne devait, au terme de quinze jours, rendre Paris, il convenait sans doute d'être à portée de le recevoir : la trêve même qu'on venait de conclure faisait un devoir à la cour de se rapprocher de la capitale. Le roi reprit le chemin de Provins : le 7 il était à Coulommiers ; le 10, à la Ferté-Milon ; le 11, à Crespy en Valois. Ce brusque changement dans la marche de l'armée française alarma justement Bedford. Le régent y avait été pour quelque chose, si, comme on le peut croire, c'est lui qui avait envoyé les troupes que l'on a vues à Bray ; et lui-même s'était porté à Montereau-faut-Yonne, pour appuyer ce mouvement. Mais apprenant que le roi, loin de chercher à forcer le passage ; regagnait le Nord, il lui écrivit une lettre où ses appréhensions se cachent sous les termes du mépris et de l'insulte. Il écrit à Charles qui se disait dauphin et ose maintenant se dire roi ; et après lui avoir reproché ce qu'il entreprend tortionnairement sur la couronne du roi Henri, naturel et droiturier roi de France et d'Angleterre, et les moyens qu'il emploie pour abuser le, simple peuple, comme de s'aider d'une femme désordonnée et diffamée, étant en habit d'homme et de gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant (frère Richard), apostat et séditieux ; tous deux, selon la sainte Écriture, abominables à Dieu ; il ajoute qu'il le poursuit de lieu en lieu sans le pouvoir rencontrer, et lui offre cette alternative : ou de fixer un jour et un endroit pour une conférence à laquelle il pourra venir avec l'escorte de la diffamée femme et apostat dessusdits et tous les parjures, et autre puissance qu'il voudra ou pourra avoir ; mais à la condition qu'il s'agisse d'une paix non feinte, corrompue, dissimulée, violée ni parjurée, comme celle de Montereau, où le dauphin a fait assassiner Jean sans Peur ; ou.de terminer promptement la querelle par les armes, afin d'épargner au pauvre peuple les malheurs de la guerre, et lui rendre ce repos que tous rois et princes chrétiens qui ont gouvernement doivent querir et demander[15].

Ce fut le 11, à Crespy en Valois, que le roi reçut cette lettre, et déjà Bedford était au voisinage (à Mitry près Dammartin), prêt à donner la bataille qu'il offrait, mais à une condition pourtant : c'est qu'on la vînt chercher dans ses lignes ; car il comptait sur l'impétuosité française pour qu'elle renouvelât à son profit les journées de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt. Ainsi provoqué, le roi vint à Lagny-le-Sec, poussant son avant-garde à Dammartin, et il envoya La Hire et quelques autres capitaines pour reconnaître la position des Anglais. Pendant toute la journée du 13, il y eut de fortes escarmouches autour de Thieux, en avant de l'armée anglaise. Mais tout se borna là : car les capitaines jugèrent que les Anglais s'étaient trop assuré l'avantage du terrain ; et Bedford, ne se voyant point autrement attaqué, se replia le soir même sur Paris pour chercher des renforts[16].

Ces hésitations des Anglais, ces défis suivis sitôt de la retraite, ne faisaient qu'encourager les villes à se donner au roi. Le roi les pressait d'ailleurs par ses messages. Revenu à Crespy, il envoya ses hérauts à Compiègne, à Beauvais, et il marchait lui-même vers la première de ces villes, quand il apprit que Bedford n'avait pas dépassé Louvres, d'où il ramenait, avec ses troupes, celles qu'il, attendait. Il revint sur ses pas, et, arrivé à Baron, il envoya Loré et Xaintrailles s'assurer des mouvements de l'armée anglaise. Il ne fut pas longtemps sans recevoir d'eux la nouvelle qu'elle marchait sur Senlis, qu'ils l'avaient vue tout entière : mais quelque hâte que l'on fit, on arriva trop tard pour l'empêcher de franchir l'étroit passage de la rivière qui coule de Baron à Senlis (la Nouette) et de s'y établir près d'un lieu de favorable augure, l'abbaye de Notre-Dame de la Victoire. Il était soir ; après quelques escarmouches, les Français se logèrent près de Montépilloy[17].

Le lendemain, 15 août, malgré la solennité de la fête, tous s'attendaient à la bataille. La messe fut dite à la première heure ; et aussitôt chacun de monter à cheval et de se préparer au combat. L'armée s'était formée en trois corps : le premier sous le duc d'Alençon et le comte de Vendôme ; le second sous René d'Anjou, duc de Bar ; le troisième, formant l'arrière-garde, où était le roi avec le comte de Clermont et La Trémouille : les maréchaux de Boussac (Sainte-Sévère) et de Rais commandaient les ailes ; Graville, les archers. Il y avait en outre, pour faire escarmouche et subvenir à tout, une autre troupe qui ne devait pas avoir la moindre part à la journée : car elle avait à sa tête Dunois, La Hire et la Pucelle[18].

On marcha donc vers les Anglais ; mais ils restèrent immobiles dans leur position. Ils avaient passé la nuit à la fortifier avec leur industrie accoutumée. Protégés sur les derrières par la rivière et un étang et sur les côtés par de fortes haies d'épines, ils s'étaient barricadés de leurs charrois et couverts sur leur front par des fossés garnis de palissades. C'est là qu'ils attendaient l'attaque : les archers faisant la première ligne, tous à pied avec leurs pieux aiguisés fichés devant eux ; et derrière, les seigneurs à pied aussi, formant un seul corps de bataille, où dominaient, avec l'étendard de Saint-Georges, les deux bannières de France et d'Angleterre : car le régent combattait au nom des deux nations. La Pucelle, voyant qu'ils ne faisaient point mine de sortir, se vint mettre à l'avant-garde, et alla frapper de son étendard leurs retranchements ; mais ils ne répondirent à ce défi qu'en repoussant les plus hardis des assaillants. Vainement, pour les tirer dehors, la Pucelle fit-elle retirer tous ses gens jusqu'au corps de bataille ; vainement leur offrit-on de faire reculer toute l'armée elle-même, pour leur donner le loisir de se mettre aux champs et de se ranger. Ils s'obstinèrent à demeurer dans leur position, sans en sortir que pour des escarmouches : ils repoussaient les assaillants, qui, revenant en plus grand nombre, provoquaient à leur tour une sortie plus nombreuse ; et vers la fin, la mêlée fut telle qu'au milieu d'un nuage de poussière on ne se distinguait plus, Français ou Anglais[19].

Avant que les choses en vinssent à ce point, La Trémouille s'était laissé séduire par ce simulacre de bataille. Il s'avança, monté sur un coursier superbe et richement paré, et, la lance au poing, il donna des éperons et fondit sur l'ennemi. Mais son cheval tomba et le fit rouler parmi les Anglais. On s'empressa de l'en tirer, et l'aventure aurait pu lui être fatale : car ce n'était point tournois de chevalerie. Il y avait en jeu des haines nationales : et n'étoit homme, dit Monstrelet, de quelque état qu'il fût, qui fût pria à finances : ains (mais) mettoient tout à mort sans pitié ni miséricorde[20].

Le roi, voyant que les Anglais ne sortiraient pas, s'en revint le soir à Crespy. La Pucelle, le duc d'Alençon et tout leur corps d'armée passèrent la nuit sur le champ de bataille ; et le lendemain de grand matin, pour éprouver si l'ennemi, les voyant moins nombreux, ne se déciderait point à les poursuivre, ils se reculèrent jusqu'à Montépilloy. Mais les Anglais ne songèrent à profiter de ce mouvement que pour opérer leur retraite plus à l'aise. Vers une heure, la Pucelle fut informée qu'ils avaient repris le chemin de Senlis et marchaient droit sur Paris. Il était trop tard pour les suivre. Elle vint donc à Crespy rejoindre le roi[21].

Rien ne devait plus arrêter le mouvement qui ramenait les villes à Charles VII. Les hérauts qu'il avait envoyés à Compiègne, à Beauvais, y recevaient le meilleur accueil. À Beauvais, le peuple ne le vit pas plus tôt, portant les armes royales, qu'il se mit à crier : Vive Charles, roi de France ! et chanta le Te Deum, au grand déplaisir de l'évêque-comte, Pierre Cauchon, partisan déclaré des Anglais. Le peuple proclama que tous ceux qui ne voudraient pas se soumettre au roi pourraient s'en aller, et il les laissa emporter leurs biens. Mais Cauchon ne pouvait emporter son évêché et sa seigneurie. Il emporta sa haine, qu'on retrouvera plus tard.

Le 17, le roi reçut à Crespy, où il était encore, les clefs de Compiègne. Il s'y rendit le lendemain et fut accueilli avec de grands honneurs. Il voulait donner la capitainerie de cette ville à La Trémouille. Mais Compiègne, placée par son adhésion à Charles VII entre les convoitises du duc de Bourgogne et les haines des Anglais, avait besoin d'avoir chez soi un bon officier. qui la sût défendre. Les bourgeois demandèrent à Charles VII d'y maintenir un brave gentilhomme de Picardie nommé Guillaume de Flavi, qu'ils avaient pris pour capitaine. La Trémouille eut le titre, mais Guillaume de Flavi, sous le nom de lieutenant, garda la charge avec tous ses pouvoirs[22].

Avant de quitter Crespy pour se rendre à Compiègne, Charles VII avait ordonné au comte de Vendôme et aux maréchaux de Boussac et de Rais de marcher sur Senlis. Les habitants n'eurent garde de résister à une armée devant laquelle ils venaient de voit Bedford battre en retraite. Ils accueillirent Vendôme, qui en demeura gouverneur. La nouvelle en arriva au roi à Compiègne, en même temps que l'annonce de l'adhésion si enthousiaste de Beauvais[23].

Il vit aussi arriver à Compiègne les ambassadeurs qu'il avait envoyés au duc de Bourgogne, et bientôt ceux du duc lui-même. Les quinze jours de la trêve finissaient. Paris n'était pas rendu ; et il était trop clair que le duc de Bourgogne, en eût-il la volonté, n'était pas en mesure de le rendre. Le roi, ainsi déçu : ne pourrait-il pas vouloir se dédommager à ses dépens ? Sa marche de Crespy sur Compiègne, quand Compiègne se donnait d'elle-même, semblait trahir la secrète pensée d'aller prendre Paris à Lille ou à Gand. Il y avait donc au moins des ménagements à observer ; et la plupart des conseillers du duc inclinaient franchement à la paix : mais le duc lui-même était trop circonvenu parles agents de Bedford. Le régent sut le retenir par de fortes remontrances ; et le duc se borna à envoyer au roi Jean de Luxembourg et l'évêque d'Arras pour lui donner de belles paroles. Ils réussirent à faire proroger la trêve jusqu'à Noël. Le duc promettait toujours de livrer Paris ; mais en attendant, c'était lui qui devait recevoir du roi Compiègne pour tout le temps de la trêve[24].

Le roi était là depuis cinq jours, recevant la soumission d'une foule de places du voisinage : Creil, Pont-Sainte-Maxence, Choisy, Gournai-sur-Aronde, Chantilly, etc. ; et il aurait pu, sans ces négociations avec le duc de Bourgogne, amener à lui les villes les plus considérables de la Picardie : Saint-Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville ; car la plupart des habitants d'icelles, dit l'historien bourguignon Monstrelet, étoient tout prêts de le recevoir à seigneur, et ne désiroient au monde autre chose que de lui faire obéissance et pleine ouverture. Mais la Pucelle ne le voyait pas sans chagrin oublier, parmi ces soumissions volontaires, la ville sens laquelle la possession des autres n'avait rien de durable ni d'assuré. Pour le tirer de sa fausse quiétude, elle fit ce qu'elle avait fait à Gien pour l'entraîner au voyage de Reims. Elle ne prit conseil de personne. Elle appela le duc d'Alençon et lui dit : Mon beau duc, faites appareiller vos gens et ceux des autres capitaines ; je veux aller voir Paris de plus près que ne l'ai vu[25].

Le mardi 23 août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent en effet de Compiègne avec une nombreuse troupe d'hommes d'armes. Ils rallièrent en passant une partie de ceux qui étaient demeurés à Senlis, et le vendredi suivant, 26, ils se logeaient à Saint-Denis. Le roi, sous peine de rester presque seul à Compiègne, était bien forcé de les suivre, car tous les voulaient rejoindre. Il vint donc jusqu'à Senlis d'abord, à grand regret, dit l'historien du duc d'Alençon : et sembloit qu'il fût conseillé au contraire du vouloir de la Pucelle, du duc d'Alençon et de ceux de leur compagnie[26].

Au moment où le roi hésitait à se rapprocher de Paris, Bedford n'osait plus y rester, craignant le soulèvement, non point tant de la ville que de la Normandie. À Paris, les haines civiles lui donnaient encore, dans le parti bourguignon des auxiliaire : contre les Armagnacs. Mais la Normandie n'était point travaillée des mêmes passions s l'empire des Anglais y était devenu une domination étrangère. L'exemple de Beauvais, puis d'Aumale, montrait au régent la défection gagnant de proche en proche ; et il savait aux frontières de cette province le connétable, qui, exclu du voyage de Reims, brûlait de montrer ce qu'il pouvait à lui seul. Il laissa donc pour garder Paris Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, son chancelier de France, un chevalier anglais, nommé Radley, avec environ 2.000 Anglais, et L'Isle-Adam avec ses Bourguignons ; et il partit pour Rouen[27].

Les représentants de Bedford, à Paris, ne négligèrent rien pour assurer la défense de la ville. Le 20, le jour où la Pucelle et le due d'Alençon arrivaient à Saint-Denis, le chancelier L. de Luxembourg réunit en la chambre du parlement tous les membres du corps, l'évêque et le prévôt de Paris, les maîtres des comptes, les prieurs des couvents, les curés des paroisses, etc., et leur fit renouveler le serment de fidélité qu'ils avaient déjà prêté en présence de Bedford, et tout récemment encore avant son départ. Puis il commit deux magistrats pour aller dans les couvents et les églises recevoir pareil serment des clercs, tant réguliers que séculiers. En même temps les chefs de quartiers s'occupaient de fortifier ; chacun dans se section, les portes, les boulevards de la ville et le maisons qui étaient sur les murs. On y mettait les canons en batterie ; on y disposait des tonnes pleines de pierres ; on réparait les fossés, on établissait de nouvelles barrières au dedans et au dehors. Il fallait des hommes pour donner force à ces dispositions : on excitait lé peuple en faisant appel à la haine et à la peur. On digit que le prétendu rai avait promis d'abandonner à ses gens Paris tout entier, hommes et femmes ; grands et petite, et que son intention était de passer lit charrue sur la ville : ce qui n'est pas, dit l'honnête greffier du parlement, auquel on doit ces détails ; mais le peuple, en pareil cas, croit tout sans raisonner[28].

Le duc d'Alençon avait commencé par inviter les échevins à recevoir le roi, et il avait fait jeter des proclamations dans la ville pour agir sur le peuple. Mais on lui répondit comme il pouvait l'attendre de ceux qui commandaient au nom des Anglais, et on l'engagea à S'abstenir de pareilles démarches. Il en vint donc aux armes, et il ne se passait pas de jour qu'il n'y eût deux ou trois escarmouches aux portes de Paris, sur un point ou sur un autre, et notamment auprès d'un moulin qui s'élevait entre la porte Saint-Denis (du temps) et la Chapelle. La Pucelle assistait à ces escarmouches et examinait avec grande attention la situation de Paris, afin de voir où donner l'assaut. Mais l'assaut ne pouvait Bedonner tant que le roi n'amenait pas le reste des troupes. Les messages qu'on lui envoyait restant sans réponse, le duc d'Alençon vint lui-même à Senlis, le 2, puis sa démarche n'ayant pas eu plus de résultat, le 5 septembre, et cette fois il fit tant que le roi se mit en route et vint, le mercredi 7, dîner à Saint-Denis. Son arrivée fut saluée comme une victoire. On ne doutait plus du succès, après avoir triomphé de cette étrange résistance ; et il n'y avait personne qui ne dît dans l'armée : Elle mettra le roi dedans Paris, si à lui ne tient[29].

Dès que le duc d'Alençon eut rapporté l'assurance que le roi venait, la troupe, logée à Saint-Denis, alla s'établir à la Chapelle (le 6). Le jour même de son arrivée (le 7) il y eut une plus forte escarmouche ; et les Parisiens, se figurait que dès ce jour on voulait prendre la ville, s'applaudissaient comme d'un triomphe du résultat de la lutte. Ils étaient fiers surtout d'avoir tenu contre cette créature qui étoit en forme de femme avec eux, que on nommoit la Pucelle. Que c'étoit, Dieu le sait, dit le Bourgeois de Paris[30].

L'assaut qu'on ne songeait point à donner ce jour-là fut tenté plus sérieusement le lendemain.

C'était encore un jour de fête (la Nativité) : mais la Pucelle ne croyait pas que ces jours fussent moins propices à la sainte mission qu'elle avait reçue. Et si, comme elle le dit dans son procès, les seigneurs, qui eurent la pensée d'attaquer Paris ce jour-là ne voulaient faire encore qu'une escarmouche ou une vaillance d'armes, elle était décidée d'aller outre et de les entraîner après elle au delà des fossés. fis partirent à huit heures de la Chapelle, divisés en deux corps, les uns qui devaient attaquer, les autres demeurer en observation pour prévenir les sorties et couvrir les assaillants. Ceux-ci allèrent se loger derrière une forte butte (le marché aux Pourceaux, depuis butte des Moulins ou butte Saint-Roch), d'où ils pouvaient surveiller la porte Saint-Denis. Les autres se dirigèrent vers la porte Saint-Honoré, et dès l'abord ils enlevèrent le boulevard qui la protégeait. La Pucelle, tenant à la main son étendard, se jeta avec les plus hardis dans les fossés de la place, et elle y soutint un vif combat. Pierriers, canons, coulevrines, étaient dirigés contre les assaillants sans qu'ils pussent arriver aux murailles. Ils avaient bien franchi le premier fossé, qui était à sec, et le dos d'âne ; mais au revers ils avaient trouvé le second fossé rempli d'eau. Jeanne, quoique surprise, ne s'en rebuta point, et, tout en sommant la ville de se rendre, elle donnait ordre d'apporter des fagots qu'elle faisait jeter dans le fossé pour le combler, quand elle fut frappée à la cuisse d'un trait d'arbalète. Il était soir ; et cependant Jeanne, toute blessée qu'elle fût, demeurait là : elle continuait de faire combler le fossé, et pressait les soldats de courir aux murs, leur disant que la place serait prise. Et en effet l'émotion était grande dans le peuple. Dès le commencement de l'assaut, on avait vu des gens criant par la ville que tout était perdu, que les ennemis étaient entrés dans Paris, que chacun se retirât songeant son salut : et la multitude, que les prédicateurs haranguaient dans les églises, S'enfuyait en désordre. On rentrait dans les maisons, on fermait les portes. Mais l'assaut durait depuis midi ; et les capitaines, voyant les troupes lasses et Jeanne blessée, résolurent de le suspendre. Vaille, ment elle insistait, refusant de quitter la place ; ils rappelèrent les troupes. Quant à elle, il fallut que le duc d'Alençon, Gaucourt et d'autres vinssent la prendre de force et la missent à cheval pour la ramener à la Chapelle : et elle, sous le feu des canons qui, de la porte Saint-Denis, la poursuivaient de leurs boulets jusque par delà saint-Lazare, elle ne cessait de protester, affirmant que la place eût été prise[31].

Jeanne comptait bien encore qu'elle le serait. Le lendemain, quoique blessée, elle se leva de grand matin, et, faisant appeler le duc d'Alençon qui était toujours comme l'interprète de ses volontés dans le commandement, elle le pria de faire sonner les trompettes et monter à cheval pour retourner devant Paria, promettant de n'en point partir qu'elle n'eût la ville. Le due d'Alençon et plusieurs autres ne demandaient pas mieux t et leur espoir n'était pas sans fondement. Quoique dominée par les Anglais, le ville était loin d'être unanime dans le parti bourguignon, et l'on vu le trouble excité la veille, moins par l'assaut peut-être qu'à l'occasion de l'assaut, Au milieu de ces alarmes vraies ou fausses, il n'eût pas été difficile, il était encore possible de forcer la place. Et ce n'était pas seulement une multitude cédant à la peur : c'étaient les plus nobles de la chevalerie, qui regardaient la venue dé la Pucelle comme un signal de se rallier au roi. Au moment où le duc d'Alençon donnait l'ordre de revenir sur la ville, le baron de Montmorency et 50 ou 60 gentilshommes vinrent de Paris se joindre à la compagnie de la Pucelle. Mais comme ils approchaient des murailles, pleins d'ardeur, René d'Anjou et le comte de Clermont vinrent au nom du roi inviter la Pucelle à retourner vers lui à Saint-Denis ; ordre était donné en même temps au duc d'Alençon et aux autres capitaines de s'en venir aussi et d'amener la Pucelle[32].

Ils obéirent, la douleur dans l'âme. Mais en s'éloignant de la place, ils ne perdaient point l'espérance d'y revenir par un autre chemin. Le roi avait cédé peut-être à la crainte de renouveler contre de trop forts obstacles un assaut malheureux. Or le duc d'Alençon avait fait jeter un pont sur la Seine à Saint. Denis. On pouvait passer la rivière et attaquer brusquement la ville par un côté où elle ne craignait pas. Le roi ne s'expliqua point sur ce projet ; mais dans la nuit suivante (du vendredi au samedi), il fit détruire le pont. C'était assez déclarer qu'il ne voue lait plus attaquer Paris d'aucune manière. Il demeura quelques jours encore à Saint-Denis. Il s'y fit introniser, selon l'usage, dit Thomas Basin. Mais il semblait qu'une fois investi de tous les symboles de la royauté il pût sans inconvénient en abandonner tous les gages. Il tint plusieurs conseils : il y pourvut au gouvernement des pays récemment réunis. n les confia au comte de Clermont, et laissa à Saint-Denis le comte de Vendôme et le sire de Culan, amiral de France, avec des forces capables de surveiller momentanément, mais non plus de menacer Paris. Évidemment il ne s'agissait plus que de protéger le roi dans sa retraite. Il partit le 13[33].

Quand la Pucelle vit que par aucune raison elle ne l'en pouvait plus empêcher, elle vint dans l'abbaye de Saint-Denis, et déposa ses armes en offrande devant l'image de la sainte Vierge et les reliques du saint patron du royaume : pieux hommage à celui qu'on invoquait dans les batailles, pour ce que c'est le cry de France, dit-elle ; et en même temps protestation muette contre une résolution qui désarmait le roi. Mais elle-même elle ne le quittait point, parce que moins que jamais elle devait croire sa mission terminée. Elle. le suivit donc, pleine de tristesse, dans un chemin si différent de celui où elle le conduisait naguère. Naguère on marchait en avant, et chaque pas était marqué par un triomphe qui acheminait vers la libération du royaume : maintenant on se retirait de cette capitale où Jeanne avait compté introduire son roi couronné ; et la retraite se faisait avec une telle précipitation, que parfois elle aurait pu sembler une fuite. On passe non par les villes qu'il eût fallu rallier encore, mais par celles dont la soumission promettait un plus sûr passage : Lagny, Provins, Bray : cette fois les Anglais n'étaient plus là pour fermer la route. Sens refusait d'ouvrir ses portes : on passa l'Yonne à gué, près de la ville, et l'on revint enfin par Courtenay, Château-Regnart et Montargis, à Gien, d'où l'on était parti en un bien autre appareil trois mois auparavant (21 septembre)[34].

Quelle était la cause de ce départ précipité du roi, -et quelles raisons pouvait-on alléguer dans ses conseils pour l'amener à cette retraite, quand celle qui avait délivré Orléans, vaincu l'Anglais et accompli le voyage de Reims, selon qu'elle l'avait prédit, contre toute apparence, continuait de dire qu'elle mettrait le roi dans Paris ? Ce qu'on alléguait, c'étaient les promesses du duc de Bourgogne, que l'on affectait toujours de croire. Mais ne valait-il pas mieux prendre Paris sans le duc que par le duc ? Oui, sans doute, de l'aveu de tout le monde, à l'exception toutefois de ceux qui dominaient dans les conseils du roi. Prendre Paris sans le duc de Bourgogne, c'était le prendre par la seule force de la Pucelle et de l'armée ; c'était faire passer aux capitaines toute l'importance que se donnaient les favoris : car il ne suffisait pas de le prendre, il le fallait garder ; il eût des fallu que le roi fût dès lors ce qu'il devint plus tard, qu'il entrât sérieusement dans la conduite de son gouvernement ; et, pour cela, il avait besoin d'autres hommes. Prendre Paris par le duc de Bourgogne, c'était peut-être le lui laisser ; mais on acquérait la sécurité sans contracter l'obligation d'agir, et le roi pouvait continuer plus à l'aise la vie qu'il menait dans ses châteaux de la Loire. Le choix des courtisans fut donc bien vite arrêté. C'était à leur corps défendant, et comme sous la contrainte de la Pucelle, qu'ils avaient laissé le roi aller de Compiègne à Senlis, et de Senlis à Saint-Denis : l'accident qui avait fait suspendre l'assaut avait été pour eux une trop bonne occasion d'y renoncer. On partit, sans vouloir se dire que partir après une attaque sans résultat, c'était en faire un véritable échec : c'était exalter dans Paris les ennemis du roi, et mettre le duc de Bourgogne, l'eût-il voulu, dans l'impossibilité de lui donner la ville. Et on le vit bientôt. Le duc de Bourgogne, muni du saufconduit du roi, vint à Paris (29 septembre), traversant tout le pays repris par les Français, salué au passage par le chancelier de France et le comte de Clermont, commandant des troupes françaises en ces parages ; et il répondit à ces avances en resserrant son alliance avec Bedford. Bedford lui dune en une fois l'investiture de la Champagne et la lieutenance du royaume, c'est-à-dire la charge de reprendre Reims et de garder Paris, ne retenant pour lui-même que le gouvernement de la Normandie ; et las Anglais, qui avaient craint même pour cette province, en prirent de nouveau à espérer la conquête de la France[35].

Cette retraite devait avoir une autre conséquence fâcheuse ; puis il semble qu'au gré des courtisans ce fût encore une bonne fortune : c'était de compromettre l'autorité de la Pucelle. Jeanne avait dit qu'elle était envoyée pour délivrer Orléans, faire sacrer le roi à Reims, le mener à Paris et chasser tee Anglais du royaume. On l'avait volontiers laissée dé, livrer Orléans ; on l'avait suivie de mauvaise grâce jusqu'à Reims, et par contrainte jusqu'à Paris. Si ou entrait à Paris comme à Reims, il faudrait donc lui obéir encore quand elle voudrait ne laisser aucun repos que l'Anglais ne fût chassé de France. Il était plus que tempe de s'arrêter, si on ne voulait être jeté dans le mouvement de cette grande guerre. L'échec de Paria mettait eu doute une parole que le peuple tenait pour prophétique, et dispensait de lui céder à l'avenir. À voir comme les ennemis triomphent de cet échec, on peut deviner combien les esprits dans le camp du roi pou. voient être ébranlés. Elle leur avoit promis, dit le faux Bourgeois, que sans nulle faute ils gagneroient celui assaut la ville de Paris, par force, et qu'elle y Omit celle nuit, et eux tous, et qu'ils seroient b3144 enrichis des biens de la cité... Mais Dieu qui mua, la grande entreprise d'Holopherne par une femme nommée Judith, ordonna par sa pitié autrement qu'ils ne pensoient. Il n'est pas besoin, je suppose, de ré, pondre aux allégations du Bourgeois. 'tanne disait aux siens que la place serait prise ; mais à une condition, c'est qu'on persévérât. Pour prendre aussi une comparaison dans la Bible, elle n'avait pu dit que devant son étendard les murs de Paris crouleraient comme ceux de Jéricho devant l'Arche ; mais qu'on allât à l'assaut, qu'on nt effort, et que Dieu aiderait. À Orléans aussi, devant les Tourelles, les capitaines voulaient se retirer après sa blessure : elle les retint, et la bastille fut prise. Si à Paris on eût fait de même, on aurait eu, tout permet de le croire, semblable succès. L'affaire de Paris ne prouve donc rien contre la Pucelle et sa mission. Sa mission était d'y mener le roi, pourvu qu'il n'y fit point obstacle. Ses voix lui avaient marqué ce but ; même après son échec, elles lui commandaient (c'est Jeanne qui le déclare) de persévérer en demeurant à Saint-Denis ; mais elles ne lui avaient pas révéla qu'on y entrerait, quoi qu'on fit, ni que l'assaut dût réussir ou échouer. C'est à ceux qui l'arrêtèrent quand elle disait d'aller en avant, et le lendemain quand elle voulait renouveler la tentative, c'est à ceux- là de répondre de l'échec[36].

Le retour du roi à Gien eut les suites que l'on pouvait prévoir. Il affecta bien de ne pas délaisser les pays qu'il rouvrait à l'ennemi par sa retraite. Il écrivit, dès son arrivée à Gien, aux habitants de Troyes qu'il avait donné ordre à Vendôme de venir à leur aide. Mais plus d'une ville se trouvait compromise, et l'armée dont il aurait eu besoin pour y veiller n'existait déjà plus. Le duc d'Alençon s'en alla en sa vicomté de Beaumont, où l'attendait sa femme ; les autres capitaines, chacun en son gouvernement[37].

Jeanne était demeurée auprès du roi, presque seule, et fort triste de l'inaction où elle était réduite. Cependant le duc d'Alençon, qui partageait si complètement ses vues, revint bientôt s'offrir pour l'en tirer. Il avait réuni des hommes d'armes, et proposait d'entrer en Normandie par les marches de la Bretagne et du Maine, pourvu qu'on lui donnât la Pucelle : car selon qu'elle serait ou ne serait pas avec lui, sa troupe allait bientôt se grossir ou se dissoudre. Les circonstances paraissaient favorables. Les Français avaient dans le pays des partisans : Étrépagny, Torcy, venaient de. leur être livrés. On refusa. L'archevêque de Reims, La Trémouille et le sire de Gaucourt, qu'on trouve toujours sur le chemin de Jeanne pour lui faire obstacle, ne voulurent à aucun prix consentir à cette réunion du duc d'Alençon et de la Pucelle. Le duc, ils le sentaient bien, aurait gagné en importance tout ce qu'il eût ajouté à la fortune du roi. L'historien Perceval de Cagny a bien le droit de mettre à la charge du conseil les conséquences de cette résolution, et de flétrir cette résistance délibérée à la grâce dont la Pucelle était la messagère (octobre 1429)[38].

Le roi allait donc promenant ses loisirs en Touraine, en Poitou, en Berri, et, pendant ce temps-là tout était en proie dans le pays qu'il avait abandonné. La garnison qu'il avait laissée à Saint-Denis s'était repliée sur Senlis ; les Anglais, se jetant sur la ville, la pillèrent, et, sans crainte du sacrilège, ils emportèrent, comme en trophée, ces armes que la Pucelle avait déposées dans l'église de l'abbaye. Le reste de la contrée ne fut guère plus épargné : ces riches campagnes furent ruinées, les villes mises à rançon. On leur voulait faire sentir ce qu'il en éditait d'abandonner si légèrement les Anglais pour nu rut impuissant à les défendre. Et, en effet, on eût pu croire le pays entièrement délaissé. Le comte de Clermont, lieutenant du roi, s'en allait veiller à ses propres domaines ; le comte de Vendôme, substitué à sa charge, avait déjà bien assez de garder ; le Maréchal de Bouette vint, il est vrai, amenant 1.000 combattants environ ; mais que faire avec cette troupe, quand les Anglais et les Bourguignons possédaient tout le pays alentour, la Normandie, la Picardie, la Bourgogne ? Il eût fallu être présent partout pour contenir les uns ou pour observer les autres. Au lieu de se réduite à cette défense laborieuse, tous ces hommes d'armes trouvaient plus commode et plus profitable d'aller à leur tout' porter le ravage sur le territoire de l'ennemi. Ainsi le mal ne faisait que s'étendre et devenir plus général. Paris même, quoique doublement protégé par les armements des Anglais et par le trêves des Bourguignons, souffrait de cet état de choses dans toutes les classes de ses habitants Nul homme de Paris, dit le Bourgeois, n'osait mettre le pied hors des faubourgs, qui ne fût mort ou perdu ou rançonné. Le cent de petits cotterets valait 24 sols parisis ; deux œufs, 4 deniers ; un petit fromage tout nouvel fait, 4 blancs... et n'étoit nouvelle ni pour Toussaint, ni pour autre fête en celui temps, de harengs frais ni de quelque marée[39].

Le Nord, et en particulier l'Île-de-France, était donc en proie aux ravages de la guerre ; et le contrecoup de ces événements pouvait provoquer des périls au voisinage même des résidences royales. Toute la Loire, en effet, n'appartenait pas au roi. L'ennemi était fortement établi à la Charité ; il possédait encore Saint-Pierre-le-Moustier, Cosne et quelques autres places : et ces positions qu'on avait eu raison de négliger pour marcher sur Reims et sur Paris semblaient maintenant plus menaçantes. Un conseil fut tenu à Mehun-sur-Yèvre, et il parut qu'il y avait tout avantage à satisfaire de ce côté l'impatience que la Pucelle avait d'agir. Il fut décidé qu'on l'enverrait faire le siège de la Charité, et qu'on préluderait cette conquête par celle de Saint-Pierre-le-Moustier[40].

La Pucelle aurait mieux aime aller en France, c'est-à-dire vers Paris. Elle se rendit à Bourges pour réunir les troupes destinées à cette campagne ; puis elle vint en compagnie du seigneur d'Albret, assiéger Saint-Pierre-le-Moustier, comme il avait été résolu. Jeanne, selon son habitude, se portait au plus fort du péril, et y demeurait sans compter ceux qui restaient auprès d'elle. D'Aulon, son écuyer, qu'une blessure à la jambe tenait éloigné de l'assaut, la voyant avec quatre ou cinq hommes au plus devant les murailles, monta à cheval, courut à elle, lui demandant ce qu'elle faisait là seule, et pourquoi elle ne se retirait pas comme les autres. Mais elle, ôtant son casque, lui répondit qu'elle n'était pas seule, qu'elle avait en sa compagnie cinquante mille de ses gens, et ne partirait point de là que la ville ne fût prise. Comme il insistait, elle lui ordonna de faire apporter des fascines pour franchir le fossé, et en même temps elle s'écria : Aux fagots et aux claies, tout le monde, afin de faire le pont ! En un instant elle fut obéie, le pont dressé et la ville prise d'assaut. Tout était en proie aux vainqueurs, mais Jeanne sut leur faire respecter une église où les assiégés avaient mis leurs biens en dépôt (novembre 1429)[41].

De là on devait aller assiéger la Charité. Mais la place était forte et bien pourvue, et la petite armée de la Pucelle manquait des choses les plus indispensables à l'attaque. La cour ne sachant pas trouver le moyen d'y pourvoir, elle s'adressa aux villes. On a encore en original une lettre signée d'elle aux habitants de Riom (Moulins, 9 novembre 1429) : elle leur annonce le siège qu'on vient d'accomplir et celui qu'on prépare ; et elle les prie, par l'attachement qu'ils ont au bien et à l'honneur du roi, d'envoyer poudres, salpêtre, soufre, traits, arbalètes fortes et autres habillements de guerre. On commença le siège avec ce qu'on avait, et, tout en le poussant, on continuait de s'adresser aux villes les plus intéressées à déloger l'ennemi de leur voisinage. La ville de Bourges engagea ses octrois, afin d'avoir les 1.300 écus d'or qu'on lui demandait pour entretenir l'armée et la garder devant la place. La ville d'Orléans eut aussi à porter dans ses comptes diverses sommes dépensées pour entretenir ou équiper des capitaines, des gens d'armes, des joueurs de coulevrines envoyés au siège en son nom. Mais ces Secours partiels étaient insuffisants pour une telle entreprise, et le roi n'envoyant rien, l'armée, dépourvue d'argent et de vivres, dut lever le siège, au grand déplaisir de la Pucelle (fin de novembre 1429)[42].

Elle fut reçue à la cour avec non moins d'honneur : dar à quel titre le roi lui eût-il imputé cet échec ? et les courtisans y trouvaient cette compensation peut-être, qu'on serait moins tenté de la suivre quand elle voudrait aller plus loin. On l'anoblit, elle et toute sa famille, et, par un privilège signalé comme unique dans nos annales, on stipula que cette noblesse se transmettrait dans sa race, non-seulement par les hommes, mais par les femmes ; on lui composa un blason où figuraient les lis de France et l'épée qui les avait affranchis : ses frères en prirent le nom de Dulis, mais elle garda son nom et sa bannière. Tous ces honneurs lui étaient donnés en considération des louables et utiles services qu'elle avait rendus au royaume et lui devait rendre encore. On ne renonçait donc point à ses services : et que demandait-elle pour prix de ceux qu'elle avait rendus, que de servir encore ? Mais on ne se pressait pas de la mettre en demeure de le faire[43].

Elle resta donc dans l'inaction, suivant la cour à Bourges, à Sully-sur-Loire, ou visitant les bonnes villes qu'elle avait délivrées, Orléans, par exemple, qui a retenu dans les registres des comptes la trace de son passage ; et elle édifiait toujours par sa sainteté ceux qu'elle n'étonnait plus par ses exploits. Marguerite de La Touroulde, veuve de René de Bauligny, chez qui elle demeura environ trois semaines au retour du voyage de Reims, nous peint encore en elle ces habitudes de recueillement et de piété qui avaient traversé sans altération la vie des camps ; cette simplicité que n'avaient pas corrompue les adorations de la foule ; ce bon sens admirable qui s'appliquait à détruire le faux prestige dont on la voulait entourer. À ceux qui lui disaient qu'elle n'avait point à craindre d'aller à l'assaut parce qu'elle savait bien qu'elle ne serait pas tuée, elle répondait qu'elle n'en était pas plus assurée que les autres ; et quand des femmes venaient en sa maison pour lui présenter des patenôtres et autres signes en la priant de les toucher : Touchez-les vous-mêmes, leur disait-elle en riant, ils seront tout aussi bons[44].

Elle fit preuve du même bon sens, quand une femme nommée Catherine de la Rochelle, se disant inspirée, la vint trouver pendant son séjour à Jargeau et à Montfaucon en Berri. Cette Catherine prétendait qu'une dame blanche, vêtue de drap d'or, lui commandait d'aller dans les bonnes villes, et de faire crier par les hérauts du roi que tous ceux qui auraient de l'or ou de l'argent caché l'apportassent sans retard, annonçant en même temps qu'elle connaîtrait ceux qui ne le feraient pas, et saurait trouver leurs trésors : c'était pour payer les gens d'armes de Jeanne. Quel auxiliaire pour un chef de troupes ! Frère Richard voulait qu'on la mît à l'œuvre, et plusieurs agréaient fort son procédé. Jeanne lui dit de retourner à son mari, d'aller faire son ménage et nourrir ses enfants. Cependant, ne voulant point juger témérairement de J'inspiration des autres, elle consulta ses saintes et elle offrit à Catherine de coucher avec elle pour être témoin de ses apparitions. Elle partagea son lit, en effet, veilla jusqu'à minuit, et, ne voyant rien, s'endormit. Le matin, l'autre lui dit que sa dame était venue, mais que Jeanne dormant, elle ne l'avait pu réveiller. Jeanne s'enquit d'elle si la dame devait revenir la nuit suivante, et lui demanda de renouveler l'épreuve. Mais cette fois elle prit soin de dormir le jour, de telle sorte qu'elle pût rester éveillée toute la nuit ; et de temps à autre elle demandait à sa compagne : Viendra-t-elle point ? Oui, tantôt, disait l'autre.

Inutile de dire que la dame ne vint pas[45].

Jeanne écrivit donc au roi que le fait de Catherine n'était que néant et folie. Frère Richard en fut très-mécontent, et les familiers du roi aussi sans doute : c'était un moyen si commode de trouver de l'argent ! Cette Catherine, qui promettait de leur en fournir, n'entrait pas moins dans leurs vues par sa politique. Tout en offrant de recueillir de l'argent pour les soldats, elle ne pressait pas de faire la guerre : elle refusa d'aller au siège de la Charité, disant qu'il faisait trop froid. Elle proposait de se rendre près du duc de Bourgogne pour faire la paix. À quoi Jeanne répondit qu'il lui semblait qu'on n'y trouverait point de paix, si ce n'était par le bout de la lance[46].

Les événements le démontraient de plus en plus. La trêve avec le duc de Bourgogne, qui expirait, avait été prorogée jusqu'à Pâques, et à défaut de Compiègne qui s'y était refusée, Pont-Sainte-Maxence lui avait été livré en garantie. Mais la trêve ne liait pas les Anglais ; et les Bourguignons, en se cachant sous leur bannière, avaient toute facilité de porter avec eux le ravage dans les pays qui s'étaient donnés au roi. La terreur y était grande partout, et plus d'un sanglant exemple avait montré combien elle était légitime[47].

La ville de Reims, la plus menacée dans cette tentative de restauration, comme la plus signalée par le sacre, écrivit à la Pucelle pour lui communiquer ses craintes. Elle redoutait la vengeance des Bourguignons ; elle redoutait le délaissement du roi, à qui l'on avait dit qu'il y avait des traîtres dans son sein prêts à livrer la ville. La Pucelle leur adresse une première lettre, le 16 mars, afin de les rassurer sur le. siège : Sachez, leur disait-elle, que vous n'aurez pas de siège si je les puis rencontrer ; et si je ne les rencontre et qu'ils viennent vers vous, fermez vos portes, j'y serai et je leur ferai chausser leurs éperons en telle hâte qu'ils ne sauront par où les prendre. Le 28, elle leur écrit pour les rassurer touchant les dispositions du roi et leur promettre une prompte assistance : Si vous prie et requiers, très-chers amis, ajoutait-elle, que vous gardiez bien ladite bonne cité pour le roi, et que vous fassiez bon guet. Vous orrez (ouirez) bientôt de mes bonnes nouvelles plus à plein. Autre chose quant à présent ne vous rescria, fors que toute Bretagne est française, et doit le duc envoyer au roi 3.000 combattants payés pour deui mois. À Dieu vous command (recommande) qui soit garde de vous. Écrit à Sully, le 28e de mars[48].

Ces bonnes nouvelles qu'elle leur promettait d'elle, c'était sa prochaine arrivée sur le théâtre de la guerre. Elle écrivait la veille peut-être de son départ : car sa lettre est du 28 mars, et c'est en mars que le rapporte l'historien Cagny. Lasse de jouer un rôle de parade, et désolée de voir comment le roi et son conseil entendaient arriver au recouvrement du royaume, elle prit le parti de se séparer d'eux et d'aller rejoindre ceux qui combattaient[49].

On combattait en Normandie, et, quoique les Anglais parussent vouloir y concentrer leurs forces, plusieurs nouveaux succès avaient couronné les efforts des Français. La Hire s'était emparé de Louviers (décembre 1429), d'où il faisait des courses jusqu'aux portes de Rouen ; puis de Château-Gaillard, où il avait délivré Barbazan (24 février 1430) ; Torcy avait résisté aux Anglais qui le voulaient reprendre. Mais c'était dans le Nord que la question était surtout reportée depuis le voyage de Reims. Sauver les places qui s'étaient ralliées au roi, défendre la ligne de l'Oise contre le duc de Bourgogne, ramener Paris au roi en l'isolant de plus en plus, voilà la vraie manière de reprendre l'œuvre interrompue le 8 septembre ; et tout y invitait.

Depuis la dernière entrevue de Bedford et du duc de Bourgogne (octobre 1429), Paris dans ses rapports avec eux n'avait eu que des sujets de plaintes. L'ex-régent s'en était allé en Normandie ; le régent nouveau, dans ses propres États, recommandant aux Parisiens, s'ils voyaient venir les Armagnacs, de se bien défendre : et il les laissait sans garnison ! Du reste les Parisiens avaient plus d'une raison de ne point regretter qu'il emmenât ses 6.000 Picards : 6.000 aussi forts larrons, comme il parut bien en toutes les maisons où ils furent logés. Mais le champ restait libre aux Armagnacs ; et la désolation des campagnes, la cherté des vivres, augmentaient l'irritation populaire. On accusait les Anglais de vouloir, par une retraite systématique, tenir en échec les pouvoirs qu'ils avaient donnés au duc de Bourgogne. On cherchait encore des excuses au duo de Bourgogne. Il allait a marier pour la troisième fois ; et au moment où sa fiancée, Isabelle de Portugal, touchait déjà au port de l'Écluse, une tempête s'était élevée si furieuse, qu'elle l'avait repoussée jusque dans son pays. Voilà pourquoi, disait-on à Paris, le duc de Bourgogne entre-laissait la ville si longtemps. Mais quand la jeune princesse, qui avait été recueillie, non en Portugal, mais en Angleterre, fut ramenée en Flandre, le duc ne pouvait guère venir à Paris davantage : ce furent à Bruges des fêtes d'une magnificence inouïe ; et pendant ce temps, les cotterets, les œufs et le fromage haussaient de plus en plus de prix dans le journal du Bourgeois. La masse souffrait, la bourgeoisie commençait à se tourner vers d'autres espérances. Dans les commencements d'avril, on découvrit une conspiration où se trouvaient impliqués des membres du parlement et du Châtelet, avec plusieurs marchands notables ou gens de métier ; et les Armagnacs étaient aux portes. Le 23 mars ils surprenaient Saint-Denis ; le 25 avril ils s'établissaient à Saint-Maur[50].

La Pucelle, ici comme avant de marcher sur Reims et sur Paris, ne demanda conseil à personne ni pour résoudre ni pour agir. Un jour donc, sans prendre congé du roi, elle partit, fit semblant d'aller en aucun ébat, et s'en vint à Lagny-sur-Marne, pour ce que ceux de la place faisoient bonne guerre aux Anglois de Paris et ailleurs. Elle aurait pu hésiter cette fois. Comme elle traversait Melun dans la semaine de Pâques (vers le 15 avril), ses voix lui dirent qu'elle serait prise avant la Saint-Jean ; et depuis elles le lui répétaient tonales jours. Mais elles ne la détournaient point d'aller en avant ; elles lui annonçaient sa captivité comme une chose qu'elle devait souffrir ; et Jeanne, quoiqu'elle eût mieux aimé la mort, marchait sans peur à l'accomplissement de son œuvre[51].

L'occasion qu'elle venait chercher lui fut bientôt donnée. Les Anglais, au nombre de 300 ou 400 étaient allés, sous la conduite d'un gentilhomme nommé Franquet d'Arras, faire le ravage dans le pays d'alentour. Ils revenaient, rapportant leur butin, quand la Pucelle, informée de leur retour, fit monter ses gens à cheval, et vint en force à peu près égale leur disputer le passage. Les Anglais mirent pied à terre, s'établirent derrière une haie ; mais les Français les assaillirent à pied et à cheval, et firent si bien que tous leurs ennemis furent tués ou pris. Au nombre des prisonniers était leur chef, Franquet d'Arras. Ce Franquet, tout gentilhomme qu'il fût, n'était pas seulement un ennemi, c'était un brigand, particulièrement odieux au pays par ses meurtres et ses rapines. Le bailli de Senlis et les gens de justice de Lagny le réclamèrent comme leur justiciable. Jeanne eût voulu le sauver pour l'échanger contre un homme de Paris, qui tenait l'hôtel de l'Ours ; mais ayant su que cet homme était mort, et le bailli lui reprochant de faire grand tort à la justice, elle ne fit plus obstacle à ce qu'elle suivit son cours[52].

Ce retour de la Pucelle sur le théâtre de la guerre eut un grand retentissement dans Paris ; et le succès qui le signalait devait ajouter encore à l'impression de terreur qu'elle avait faite au loin, en Angleterre. Au témoignage de Thomas Basin, des Anglais affirmaient par serment qu'à son nom seul, ou à la vue de son étendard, ils n'avaient plus le courage de se défendre, ni la force dé bander leur arc et de frapper l'ennemi. Et cette terreur superstitieuse est attestée par des actes publics. Les Anglais paraissaient se décider à envoyer enfin leur jeune roi se faire sacrer en France. Plusieurs fois le bruit de son arrivée avait été répandu à Paris. L'administration l'avait salué par des feux de joie, ce dont le menu peuple n'étoit pas bien content, dit le Bourgeois, pour la bûche qui tant étoit chère. Mais cette fois la chose était sérieuse : l'argent nécessaire avait été ordonnancé, les vaisseaux requis, les troupes louées. Or les provisions faites, les soldats et les capitaines qui s'étaient engagés à remettre le 1er mai à la disposition du roi pour le suivre en France restaient chez eux, sans tenir compte de leur marché, ni -des périls du prince. Bedford s'en plaint dans un édit adressé le 3 mai aux vicomtes de Londres, en leur enjoignant de rechercher les réfractaires et de les expédier à Sandwich ou à Douvres, sous peine de dégradation ou d'emprisonnement. La Pucelle n'est pas nommée dans le décret, mais elle l'est dans une rubrique du temps qui en exprime toute la pensée et l'à-propos : Proclamation contre les capitaines et les soldats retardataires terrifiés par les enchantements de la Pucelle[53].

Il y avait dans le nord de la France une ville qui était alors pour Philippe le Bon comme la clef du royaume : c'était Compiègne. Placée aux portes de l'Île-de-France, elle la fermait ou l'ouvrait aux Bourguignons, selon qu'elle était au roi ou au duc. Elle était au roi, et l'imprévoyant Charles VII avait été sur le point de la donner au duc pour de vaines espérances de paix ; dans la suspension d'armes du 28 août, il avait ordonné, on l'a vu, qu'elle lui fût remise pendant la trêve, et l'archevêque de Reims, chancelier de France, s'était fait lui-même porteur de ce message. Mais les bourgeois fermèrent l'oreille aux ordres du roi et aux raisons du chancelier. Le roi avait satisfait autant que possible aux exigences du duc en lui livrant Pont-Sainte-Maxence ; mais le duc voulait Compiègne, et, n'ayant pu l'avoir par cet accord, songeait à la prendre de force. La trêve était à peine expirée (17 avril) qu'il se mit en campagne, et, pour n'avoir rien qui le gênât aux alentours pendant le siège de la ville, il détruisit Gournai-sur-Aronde, et vint assiéger Choisy-sur-Aisne, que Guillaume de Flavy, capitaine de Compiègne, avait confié à Louis de Flavy, son parent[54].

La Pucelle vint à Compiègne, et redoubla par sa présence l'ardeur et la confiance des habitants. On résolut d'aller au secours de la place assiégée. Montgommeri et ses Anglais occupaient Pont-l'Évêque, et le duc de Bourgogne avait laissé plusieurs seigneurs à Noyon pour garder derrière lui, avec eux, le passage de l'Oise. La Pucelle, Chabanne, Xaintrailles et plusieurs autres capitaines, attaquèrent Pont-l'Évêque, et ils allaient y forcer la troupe anglaise, quand les seigneurs laissés à Noyon vinrent l'aider à repousser les assaillants. L'Oise étant défendue, on imagina de tenter une nouvelle attaque sur tes derrières du duc de Bourgogne, en allant passer l'Aisne à Soissons. Mais le capitaine qu'on devait croire ami, puisqu'il gardait la place pour le comte de Clermont, en refusa l'entrée, et, dès qu'ils furent partis, se démasqua en vendant la ville au duc de Bourgogne : il le vint rejoindre devant Choisy, qui fut pris et rasé[55].

Dès ce moment, le siège de Compiègne ne pouvait plus longtemps se faire attendre. Jeanne y revint, sans s'y renfermer pourtant : car elle se multipliait pour réchauffer le zèle de ceux qui soutenaient encore la cause du roi. Elle était à Crespy, quand elle apprit que le duc de Bourgogne et le comte d'Arundel étaient venus mettre le siège devant la place. Sa résolution fut bientôt prise. Sur le minuit, elle réunit 300 ou 400 combattants : et comme on lui disait qu'elle avait bien peu de monde pour traverser le camp des ennemis : Nous sommes assez, dit-elle. J'irai voir mes bons amis de Compiègne. Et au soleil levant elle entrait dans la place sans perte ni dommage[56].

La ville de Compiègne, placée sur la rive gauche de l'Oise, domine la rivière et la vallée qui s'étend de l'autre côté en une prairie basse et humide d'un quart de lieue, avant d'atteindre à l'escarpement du bord de Picardie. La ville y communique par un pont et une chaussée qui se prolonge au-dessus de la prairie jusqu'au versant de la colline. La place était donc forte par elle-même ; et un boulevard, faisant tête de pont, lui assurait le libre accès de l'autre bord. Les ennemis qui l'assiégeaient étaient bien loin de l'avoir investie. Ils n'occupaient que la rive de l'Oise opposée à la ville : le duc de Bourgogne était à Coudun, à une lieue à l'est de Compiègne ; Jean de Luxembourg un peu plus près, à Clairoix, au confluent de l'Oise et de l'Aronde, et Baudon de Noyelle, avec un corps détaché, à Margny, à l'issue de la chaussée devant la place ; à l'ouest, Montgommeri et les Anglais s'étaient logés à Venette[57].

A peine arrivée, la Pucelle voulut chasser l'ennemi de ses positions. Déloger brusquement les Bourguignons de Margny, les poursuivre et les accabler à Clairoix, pour se porter ensuite à Venette, contre les Anglais, telle devait être la suite de ses opérations. D'après ce plan, elle courait un double péril : elle poussait les Bourguignons vaincus sur leur principal corps de bataille, et elle tournait le dos aux Anglais. Mais elle pensait que le corps de Margny dispersé jetterait plus de confusion à Clairoix qu'il n'y trouverait d'appui, et elle comptait sur ceux de Compiègne pour arrêter les Anglais à la chaussée, s'ils osaient sortir de Venette afin de l'attaquer sur les derrières[58].

Le plan s'exécuta d'abord comme elle l'avait conçu. Le 23 mai, vers cinq heures du soir, elle sortit avec 500 ou 600 hommes à pied et à cheval. Jean de Luxembourg, qui commandait à Clairoix, se trouvait alors à Margny, observant la place : il fut surpris avec les autres, et repoussé vivement sur Clairoix ; mais ceux de Clairoix accoururent à son aide, et la lutte se soutint dans la prairie avec des alternatives qui en retardaient le résultat. Les Anglais entreprirent d'en profiter. La chose était prévue, et les archers disposés par Guillaume de Flavy derrière les épaulements du boulevard du pont, devaient leur rendre le passage de la chaussée fort difficile. Mais ce mouvement intimida ceux qui combattaient aux derniers rangs dans la troupe de la Pucelle. Ils craignirent d'être coupés de la place, et, fuyant vers la chaussée, ils suscitèrent le mal qu'ils redoutaient. Les Anglais, en effet, encouragés par leur fuite, se portèrent avec plus d'ardeur vers la chaussée, et s'y logèrent sans péril, protégés par les fuyards eux-mêmes contre ceux du boulevard, qui ne pouvaient plus tirer sans frapper indistinctement amis et ennemis ; et, d'autre part, les Bourguignons se portaient avec plus d'ardeur contre ceux qui tenaient encore avec la Pucelle[59].

Déjà ceux-ci commençaient à plier, et ils la pressaient de regagner la ville. Elle résistait : Taisez-vous, leur disait-elle ; il ne tiendra qu'à vous qu'ils ne soient déconfits. Ne pensez que de férir sur eux. Mais, quoi qu'elle dit, ils voulurent pourvoir autrement à leur salut, et elle fut bien forcée de les suivre, marchant la dernière et soutenant l'effort des assaillants. Malheureusement, ceux contre lesquels elle luttait n'étaient pas les seuls à craindre. Beaucoup d'autres, témoins de sa retraite, se portèrent en foule vers le pont pour lui en disputer le passage ; et Flavy, appréhendant qu'ils n'entrassent avec les siens dans Compiègne, fit lever le pont de la ville et fermer la porte. La Pucelle demeura donc dehors, acculée à la rivière et au fossé du boulevard avec le petit nombre de chevaliers qui s'étaient attachés à sa fortune. Elle était vivement pressée : cinq ou six hommes d'armes s'étaient jetés sur elle en même temps, criant :

Rendez-vous à moi et baillez la foi.

J'ai juré et baillé ma foi à autre qu'à vous, dit-elle, et je lui en tiendrai mon serment.

Mais vainement résistait-elle en face : elle fut tirée par ses longs habits à bas de son cheval, et prise par un archer du bâtard de Wandonne, un des chevaliers de Jean de Luxembourg. Son frère Pierre, son écuyer d'Anion, et Poton de Xaintrailles, qui ne l'avaient pas quittée, eurent le même sort[60].

Ainsi fut prise la Pucelle, aux portes mêmes de la ville qu'elle voulait défendre, abandonnée de ceux qu'elle était venue sauver : c'est le commencement de sa passion. Fut-elle livrée aussi par un des siens, et cette politique funeste qu'elle avait eu tant de peine à vaincre jusqu'à Reims, et qui, depuis Paris, la tenait en échec, a-t-elle triomphé d'elle par un acte formel de trahison ? On l'a dit, et on l'a voulu établir par le témoignage même de la Pucelle. On lit en effet dans le Miroir des femmes vertueuses, petit livre du commencement du XVIe siècle, qu'un matin, la Pucelle, à Compiègne, ayant fait dire la messe et communié dans l'église Saint-Jacques, se retira près d'un pilier de l'église, et trouvant là plusieurs gens de la ville à une centaine d'enfants rassemblés pour la voir, leur dit : Mes enfants et chers amis, je vous signifie que l'on m'a vendue et trahie et que de brief (bientôt) serai livrée à la mort. Si (ainsi) vous supplie que vous priiez Dieu pour moi ; car jamais n'aurai plus de puissance de faire service au roi ne au royaume de France[61].

Ce livre a peu d'autorité par lui-même ; et toutefois il s'appuie ici des témoignages de deux vieillards, âgés l'un de quatre-vingt-huit et l'autre de quatre-vingt-six ans, que l'auteur avait entendus à Compiègne en 1498, et qui disaient avoir été présents lorsque la Pucelle prononça ces paroles. Sans récuser le fait en lui-même, M. J. Quicherat a montré qu'il ne se peut rapporter au jour de la sortie ; car Jeanne, entrée le matin dans Compiègne, fit son attaque et fut prise le soir. Elle savait qu'elle devait être prise, mais. elle ne savait ni quand ni comment : elle a déclaré elle-même que, si elle eût su qu'elle dût l'être à cette sortie, elle n'y serait point allée. Ces paroles peuvent donc avoir été comme un épanchement de la tristesse qu'elle avait dans le cœur en songeant à sa captivité prochaine ; et la scène paraît à M. Quicherat se placer assez convenablement quelques semaines plus tôt, quand Jeanne, voulant passer l'Aisne à Soissons pour tomber sur le duc de Bourgogne au siège de Choisy, se vit arrêtée par la trahison du capitaine de la place, et qu'elle revint tout affligée dans Compiègne. En ce dernier jour, elle redoutait si peu d'y être trahie, qu'elle y était venue exprès le matin même ; et Flavy était le dernier dont elle eût à craindre une trahison, puisqu'elle venait librement défendre la ville qui était sa fortune, et qu'il défendit lui-même avec tant de vigueur pendant six mois. Ajoutons que la Pucelle ne l'en soupçonna pas plus après qu'avant sa captivité : car son idée fixe dans sa prison, idée qui prévalut en elle jusque sur l'autorité de ses voix, c'était d'en sortir au péril même de la vie, pour aller sauver la ville où Flavy semblait près de succomber[62].

C'est donc à tort que l'on a rapporté à la trahison de cet homme la captivité de la Pucelle. Flavy répugnait peu au crime, toute sa sanglante histoire le prouve ; et toutefois, si criminel qu'il ait été, on ne peut l'accuser d'être traître quand il n'eût pu l'être qu'à ses propres dépens. Mais, s'il n'a point livré la Pucelle, est-il complètement innocent de sa perte ? Évidemment, en cette occasion, il se montra moins préoccupé de la sauver que de garder sa ville. Or, la Pucelle était d'assez grande importance pour que tout fût à risquer, même Compiègne, afin de la sauver ; et une sortie énergique de la garnison aurait suffi peut-être pour dégager le pont, ne fût-ce qu'un seul moment, et donner à la Pucelle le temps de rentrer dans la place. Ainsi elle fut victime, sinon de la trahison, au moins d'une coupable indifférence ; et, à cet égard, l'événement de Compiègne répond trop bien à cette funeste politique qui, depuis si longtemps, minait sourdement ou entravait l'ouvre de Jeanne d'Arc. Ce n'est donc pas entièrement sans raison qu'un annaliste de Metz contemporain (pour le reste, assez mal informé) rapportait sa captivité, comme l'échec de Paris, à la jalousie de La Trémouille : Et fut dit qu'il n'estoit mie bien loyaux audit roi, son seigneur, et qu'il avoit envie des faicts qu'elle faisoit et fut coupable de sa prise. Jeanne d'Arc ne fut livrée par personne, mais elle fut constamment trahie par tons ceux qui la devaient le plus soutenir[63].

Ce coup dont elle ne doit point se relever est-il un suprême démenti à la vérité de sa mission ? Ce serait bien mal la comprendre. Jeanne d'Arc a pu révéler des choses qui lui étaient inspirées : mais, pas plus que les prophètes, elle ne s'est jamais donnée comme sachant l'avenir. Les prophètes ont eu, des révélations déterminées ; ils ont parfois annoncé des choses que l'événement a démenties, comme Jonas prêchant la ruine de Ninive : parce que les actes de la Providence ne sont point des actes de la fatalité, et que si Dieu peut suspendre les effets de sa colère en faveur des pécheurs repentants, il peut aussi, devant une indifférence aveugle à la grâce, révoquer les promesses de sa miséricorde. Jeanne avait déclaré l'objet de sa mission : c'était de chasser les Anglais. Elle avait dit qu'elle délivrerait Orléans et ferait sacrer le roi à Reims ; elle avait dit qu'on prendrait Paris ; elle le disait encore, blessée, au pied des murailles : mais, nous le répétons, il fallait qu'on la suivît jusqu'au bout comme à Orléans, comme à Reims. Rien ne se pouvait faire sans un libre concours à la grâce. Pour ce qui la concerne, elle avait su, elle avait dit qu'elle serait blessée à Orléans, qu'elle ne durerait guère plus d'une année, qu'elle serait prise. Quand et comment ? elle ne l'avait pas su, et elle disait très-franchement, on l'a vu, que si elle avait su qu'elle dût l'être dans cette sortie, elle n'y serait point allée. Prisonnière, sa vie active est terminée : mais sa mission ne l'est pas encore, et cette phase où elle entre en est le couronnement et la consécration. Où a-t-on jamais vu que le martyre fût un jugement de Dieu contre ses envoyés ? Sans sa captivité, plusieurs traits de son caractère seraient demeurés inconnus ; sans son procès, sa mission serait restée dans le demi-jour de la légende. Son procès, et je parle surtout du procès de condamnation, offre le témoignage le plus incontestable eu sa faveur. Ses ennemis, qui la pouvaient tuer, ont cru faire plus que lui ôter la vie, ils ont voulu perdre sa mémoire : et ils lui ont élevé un monument plus irrécusable qu'aucun de ceux qui ont établi les droits des saints à la vénération des fidèles. Sa belle et grande figure brille plus parmi ces outrages qu'elle ne l'eût fait parmi les formules respectueuses d'un procès canonique ; et toute la suite de cette longue et insidieuse procédure, en mettant journellement à l'épreuve la sincérité de sa parole, la fermeté de son jugement et ce bon sens exquis dont elle est douée, servira mieux que nulle autre chose à montrer la vérité de son inspiration.

 

 

 



[1] Paroles de la Pucelle à Dunois : t. III, p. 14 (Dunois) ; — à Jean de Metz : t. II, p. 436 (J. de Metz). Cf. sur le trait principal. Chron., chap. LIX, et t. IV, p. 189 (Journal). Voy. M. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 37 et suiv. ; L'Averdy, Notice des manuscrits, t. III, p. 338 et suiv., et la polémique engagée sur ce sujet entre M. Henri Martin et M. Dufresne de Beaucourt.

[2] Lettre de Jeanne aux Anglais : t. V, p. 97.

[3] P. de Boulainvilliers : Dicit Anglicos nullum habere jus in Francia, et dicit se missam a Deo ut illos inde expellat et de vincat, monitione tamen ipsius facta. T. V, p. 120. — Les envoyés allemands : t. V, p. 351. La chronique de la Pucelle redresse ainsi, quart au terme de la Saint-Jean, le bruit populaire : Disoït que par plusieurs fois lui avoient été dictes aucunes révélations touchant la salvation du roy et préservation de toute sa seigneurie, laquelle Dieu ne vouloit luy sstre tollue, ny usurpée ; mais que ses ennemis en seroient déboutez, et estoit chargée de dire et signifier ces choses au roy, dedans le terme de la Saint-Jean, 1429. T. IV, p. 213, 214.

Alain Chartier : T. V, p. 132. — J. Gerson : Restitutio regis ad regnum suum et pertinacissimorum inimicorum justissima repulsio seu debellatio. T. III, p. 301. — Jacques Gelu : Se a Deo missam asserentem, quatenus princeps esset exercitus regii ad domandum rebelles et expellendum ipsius inimicos a regno, ac eum in dominiis suis restituendum. Ibid., p. 400. — H. de Gorcum : Asserens se missam a Deo quatenus per ipsam dictum regnum ad ejus obedientiam reducatur. Ibid., p. 411. — Sibylla Francica : Intraterminum, Domino auxiliante, Delphino regni promisit restitutionem, ipsumque viginti annis regnaturum. Ibid., p. 464. Sic necesse est ut nostra sibylla, Delphino in regem Francorum coronato, dabit informationes et sana consilia, per quæ ipsum regnum conservabitur, gubernabitur et prosperabit. Expleto tempore sui vaticinii, exibit regnum, et Deo serviet in humiliato spiritu. Celebrior namque erit ejus memoria in morte quam in vita. Ibid., p. 426. — Christine de Pisan : voy. ci-dessus, chapitre précédent. Un autre poète, qui a dû connaître la Pucelle, dit aussi (t. V, p. 28) :

Et regem patria pulsum de sede reduces

Illius antiquo populum relevabis ab hoste

Oppressum....

[4] Sim. Charles : Et dixit quod habebat duo in mandatis ex parte Regis cœlorum : unum videlicet de levando obsidionem Aurelianensem ; aliud de ducendo regem Remis pro sua coronatione et consecratione. T. III, p. 115 (Sim. Charles). — Pro reponendo eum in suo regno, pro levando obsidionem Aurelianensem et conducendo ipsum Remis ad consecrandum. Ibid., p. 20 (Garivel). — Ego venio ex parte regis cœlorum ad levandum obsidionem Aurelianensem et ad ducendum regem Remis, pro sua coronatione et consecratione. Ibid., p. 74 (Thibault). Cf. ibid., p. 21 (G. de Ricarville), et p. 22 (R. Thierry). — Quod licet dicta Johanna aliquotiens jocose loqueretur de facto armorum pro animando armatos, de multis spectantibus ad guerram, tamen quando loquebatur seriose de guerre, nunquam affirmative asserebat nisi quod erat misas ad levandum obsidionem Aurelianensem ac succurrendum populo oppresso in ipsa civitate et lotis circumjacentibus, et ad conducendum regem Remis, pro consecrando eumdem regem. Ibid., p. 16 (Dunois).

[5] Art. 10. Quod levaret obsidionem Aurelianensem et quod faceret coronari Karolum quem dicit regem suum, et expelleret omnes adversarios suos a regno Franciæ. (T. I, p. 216.) — Art. 17. Quod vindicaret eum de suis adversariis, eosque omnes sua arte aut interficeret aut expelleret de hoc regno, tam Anglicos quam Burgundos, etc. — Ad hoc articulum respondet Johanna se portasse nova ex parte Dei regi suo, quod Dominus noster redderet sibi regnum suum Franciæ, faceret eum coronari Remis et expelleret auos adversarios.... Item dixit quod ipsa loquebatur de toto regno, etc. Ibid., p. 231, 232. — Item du seurplus qui luy fut exposé de avoir prins habit d'omme sans nécessité, et en espécial qu'elle est en prison, etc. Répond : etc. T. I, p. 394. — Délivrance du duc d'Orléans : Dominum ducem Aurelianensem, nepotem vestrum, dixit miraculose liberandum, monitione tamen prius super sua libertate Anglicis detinentibus facta. T. V, p. 120, 121 (P. de Boulainvilliers). Interroguée comme elle eust délivré le duc d'Orléans, etc. T. I, p. 133, 134 ; cf. t. IV, p. 10 (Gagny) : Elle disoit que le bon duc d'Orléans estoit de sa charge, et du cas qu'il ne revendroit par de çà, elle airoit moult de paine de le aler querir en Engleterre.

[6] Objet de sa mission : Se habere quatuor onera videlicet : fugare Anglicos, de faciendo regem coronari et consecrari Remis ; de liberando ducem Aurelianensem a manibus Anglicorum, et de levando obsidionem per Anglicos ante villam Aurelianensem. T. III, p. 99 (Alençon.) — A quelle condition la mission de Jeanne devait être accomplie par elle : Et s'il la vouloit croire et avoir (foi) en Dieu, en Monsieur Saint Michel et Madame Sainte Catherine et en elle, qu'elle le moinroit corroner à Reins et le remectroit paisible en son royaume. T. IV, p 326 (doyen de Saint-Thibaud de Metz, vers 1445). — Seguin : Et tunc dixit loquenti et aliis adstantibus quatuor quæ adhuc erant ventura, et que postmodum evenerunt : Primo dixit quod Anglici essent destructi et quod obsidio ante villani Aurelianensem existens lavaretur. Dixit secundo quod rex consecraretur Remis. Tertio, quod villa Parisiensis redderetur in obedientia regis ; et quod dux Aurelianensis rediset ab Anglia. Quæ omnis ipse loquens vidit compleri. T. p. 205 (Seguin). Cf. t. IV, p. 311 (Thomassin) : Elle fut par aucuns interroguée de sa puissance de elle durerait guères, et se les Anglois avoient puissance de la faire mourir. Elle respondit que tout estait au plaisir de Dieu ; et si certifia que, s'il luy convenoit mourir avant que ce pour quel Dieu l'avoit envoyée fust accomply, que après sa mort elle n'auroit plus auxdits Angloys qu'elle n'aurait fait en sa vie, et que non obstant sa mort, tout ce pour que elle estoit venue se accompliroit : ainsi que a esté fait par grâce de Dieu.

[7] Instruction baillée à Jarretière roi d'armes de par M. le régent (16 juillet 1429) : Rymer, t. X p. 432. — Situation de Paris : Le bourgeois de Paris témoigne des inquiétudes que la ville alors, même dans les régions les plus élevées de la bourgeoisie, donnait au régent. Le mardi devant la Saint-Jean le bruit court que les Armagnacs doivent entrer dans la ville ; dans la première semaine de juillet, on change le prévôt des marchands, et les échevins, t. XL, p. 390, 391 (Éd. Buchon).

[8] Winchester et le duc de Bourgogne : voy. la même lettre de Bedford : Rymer, t. X, p. 432.— Négociation avec Winchester : ibid., p. 424 et 427. — Projets homicides de Bedford contre le duc de Bourgogne : M. Michelet en a trouvé la trace dans l'extrait d'une pièce qui se trouvait jadis aux archives de Lille. Chambres des comptes, inventaire, t. VIII, an. 1424. Voy. Michelet, Hist. de France, t. V, p.188.

[9] Lettre de Jeanne au duc de Bourgogne : voy. aux appendices, n° VIII.

[10] Le roi à Saint-Marcoul, etc. : t. IV, p. 20 (Cagny c'est lui qui est la principale source pour les dates et la suite du voyage) ; cf. Chron., chap. LIX, t. IV, p. 78 (J. Chartier), et p. 187 (Journal).

[11] Château-Thierry : t. IV, p. 381 (Monstrelet, II, 63). Perceval de Gagny (ibid., p. 21) s'accorde au fond avec Monstrelet, quand il dit que le roi demeura tout le jour devant la place, s'attendant à être attaqué par Bedfort, et que le soir la ville se rendit. Monstrelet ajoute que le sire de Châtillon et les autres chevaliers tillèrent à Paris rejoindre Bedfort, qui rassemblait des troupes.

[12] Arrivée de Winchester et de ses troupes à Paris, le 25 juillet : t. IV, p. 453 (Clém. de Fauquemberque). Bedfort à Melun et à Corbeil : t. V, p. 453 (Clém. de Fauq.) : avec dix mille h. : t. IV, p. 382 (Monstrelet, II, 65) — dix à douze mille : Chron., chap. LIX, et t. IV, p. 79 (J. Chartier).

Le roi à la Motte de Nangis : Chron., et J. Chartier, ibid. — On y rapporte qu'il y resta tout un jour en bataille, et que le duc de Bedford, qu'on attendait, s'en retourna à Paris. Il faut l'entendre d'un bruit répandu, car Bedford se retrouvera le 7 à Montereau. — Clément de Fauquemberque dit que Bedford était parti de Paris le 4 août, et d'un autre côté, nous savons, par la date de la lettre de la Pucelle, que, le 5, Charles VII avait repris le chemin de Paris. Il semble bien difficile de placer tous les événements intermédiaires dans cette même journée du 4. Tout au plus le pourrait-on en supposant que Bedford, parti la veille de Paris, était à Melun le 4 au matin. Le roi a pu, l'apprenant, se porter jusqu'à La Motte de Nangis, et revenir dans la même journée vers Bray-sur-Seine. (Voy. ci-après.)

[13] Le roi à Bray : Chron., chap. LIX et t. IV, p. 79 (J. Chartier) ; p. 188 (Journal).

[14] Lettre de Jeanne aux habitants de Reims : voy. Append., n° VI. On voit par les extraits des délibérations du conseil de Reims les inquiétudes que donnait à la ville la marche incertaine du roi. Le 3 août on fait écrire à Mgr de Reims que l'on a entendu dire qu'il veut délaisser son chemin.... et aussi sa poursuite, qui (ce qui) pourroit estre la destruction du pays, attendu que les ennemis, comme on dit, sont forts. (Varin, Archives législ. de Reims, Statuts, t. I, p. 741.) Le 4, on écrit à Laon et à Châlons pour leur communiquer ces inquiétudes et les démarches que l'on fait en conséquence auprès du roi. Le 11 août, nouvelle démarche auprès du roi, et invitation à Châlons et à Troyes de s'y associer. — Ces inquiétudes de Reims redoubleront quand se sera dissipé l'espoir que leur avait dû rendre la lettre de la Pucelle, et on en trouve de nouveaux témoignages au commencement de la campagne suivante, 15 mars, 19 avril 1430. Voy. Varin, Archives législatives de Reims, Statuts, t. I, p. 746.

[15] Le roi à Coulommiers, le 7 août : t. IV p. 21 (Gagny). — La Chronique, chap. LIX, et Jean Chartier (t. IV, p. 80) le font revenir à Château-Thierry la vigile de la Notre-Dame d'août (14 août). Cela est inadmissible. — Lettre de Bedford : t. IV, p. 382-385 (Monstrelet, II, 85).

[16] La lettre de Bedford reçue par le roi à Crespy : t. IV, p. 46 (Berri). — Les Anglais à Mitry : Chron., chap. Lx, et t. IV, p. 80 (J. Chartier). — Retraite de Bedford : La Chronique (chap. LX) dit qu'il retourna à Paris ; — dedans Paris, t. IV, p. 190 (Journal). Il vaut mieux croire Berri, qui dit qu'il s'arrêta à Louvres (t. IV, p. 47).

[17] Hérauts du roi à Compiègne, à Beauvais : Chron., chap. LX ; t. IV, p. 80 (J. Chartier). — Retour de Bedford : t. IV, p. 47. (Berri). — La Chronique (chap. LX) et le Journal (t. IV, p. 190) disent que les troupes qu'il joignit à son armée sont les croisés de Winchester ; mais on a vu qu'il les avait déjà menés avec lui à Melun et à Montereau. — Position des Anglais et des Français : t. IV, p. 433 (Lefebvre Saint-Remi) ; Chron., l. l., et t. IV, p. 82 (J. Chartier), et 92 (Journal).

[18] Chron., l. l., et t. IV, p. 193 (Journal) ; cf. p. 434 (Lefebvre Saint-Remi), p. 387 (Monstrelet, II, 66).

[19] Ligne de défense des Anglais : Chron., I. I., et t. IV, p. 22 (Cagny) ; p. 83 (J. Chartier) ; p. 386 (Monstrelet) ; P. Cochon, Chron. norm., chap. XLIX. — La Pucelle frappant les palissades anglaises, etc. : t. IV, p. 22 (Cagny) ; cf. Chron., l. l., et t. IV, p. 84 (J. Chartier) ; p. 194 (Journal).

[20] Aventure de La Trémouille : Le seigneur de La Trémouille, qui estoit bien joly et monté sur un grand coursier, voulut venir aux escarmouches, etc. Chron., chap. LX, et t. IV, p. 19 (Journal). — Point de quartier : t. IV, p. 389 (Monstrelet, II, 66 : il porte le nombre des morts à 300). Les Écossais de l'armée du roi joignaient leurs haines à celles des Français contre les Anglais ; cf. ibid., p. 388.

[21] Lefebvre Saint-Remi, historien bourguignon, dit que les Français battirent en retraite devant les Anglais en cette journée (t. IV, p. 435), et il semble avoir pour lui Jean Chartier qui dit : Le lendemain matin, environ dix heures, se deslogea l'ost desdit François, et s'en alla à Crespy, en Valois, et aussitost s'en retournèrent lesdits Anglais à Paris (t. IV, p. 84). Mais le vrai sens du mouvement des Français est indiqué par P. de Cagny (t. IV, p. 23), et par le rédacteur du Journal du siège (t. IV, p. 196). Lefebvre Saint-Remi lui-même confirme, contre sa propre assertion, l'opinion que nous avons suivie, quand il dit que, plusieurs voulant poursuivre les Français, le régent ne le voulut pas souffrir pour le doubte des embusches.Monstrelet (II, 68) se borne à dire qu'ils se deslogèrent les uns de devant les autres sans plus rien faire, t. IV, p. 389. Il ne se serait pas exprimé de la sorte, si les Français s'étaient retirés par peur des Anglais.

[22] Beauvais : Chron., chap. LX, et t. IV, p. 190 (Journal) ; — Compiègne : Chron., chap. LXI, et t. IV, p. 23 (Cagny) ; p. 47 (Berri) ; p. 80 (J. Chartier) ; p. 196 (Journal).

[23] Senlis : mêmes auteurs.

[24] Négociation avec le duc de Bourgogne : Charles VII avait envoyé au duc de Bourgogne son chancelier l'archevêque de Reims, les sires d'Harcourt, de Dampierre et de Gaucourt, etc. Il déclarait par leur organe qu'il était disposé à faire des réparations (pour le crime de Montereau), même plus qu'il ne convient à une majesté royale. (Monstrelet, II, 67.) — Dispositions favorables des conseillers du duc : ibid. — Et mesmement ceux de moyen et de bas estat y estoient si affectés, que dès lors ils s'empressoient autour du chancelier pour obtenir de lui des grâces, des lettres de remission, comme si le roi fût plenement en sa seigneurie. Ibid. — Efforts du régent pour le retenir : ibid., 69. — Ambassade du duc au roi : ibid. — Trêves : ibid., et Procès, t. IV, p. 47 (Berri) ; cf. dom Plancher, Hist. de Bourgogne, t. IV, p. 133 et suiv., et Preuves, n° 70. — ...Auquel, par traité fait audit Compiègne, le 28 dudit mois d'aoust [1429] avoit esté accordé trêve jusques au jour de Noël, prorogée depuis de trois mois, pendant laquelle, la dicte ville de Compiègne seroit mise ès mains dudit duc ou de ceulx qui seroient pour ce par lui commis. T. V, p. 174. (Mémoire à consulter sur Guill. de Flavy, rédigé seulement vers le temps de Henri II, mais sur des documents authentiques.)

[25] Soumission des places de l'Île-de-France : t. IV, p. 391 (Moustrelet, II, 70). — A Abbeville, le maire et les échevins mettent en prison deux hommes qui avaient outragé le nom de la Pucelle, t. V, p. 143. — Départ de Compiègne : t. IV, p. 24 (Cagny).

[26] Ibid., p. 25. C'est sans aucun fondement que P. Cochon, dans sa Chronique normande, chap. LI, porte à trente ou quarante mille hommes les troupes menées par le roi devant Paris. Le bourgeois de Paris est aussi fort suspect d'exagération quand il compte douze mille hommes, ou plus, à l'assaut du 8, t. IV, p. 464.

[27] Bedford en Normandie : Chron., chap. LXI, et t. IV, p. 25 (Cagny) ; p. 47 (Berri) ; p. 87 (J. Chartier) ; p. 197 (Journal) ; P. Cochon, Chron. norm., chap. XLIX. — Richemond en Normandie : t. IV, p. 377 et 391 (Monstrelet, II, 63 et 70) : [Bedford] s'en alloit en Normandie pour combattre le connestable, lequel vers Évreux travilloit fort le pays.

[28] Préparatifs de défense à Paris : t. IV, p. 454, 455 (Mém. de Fauquemberque) ; p. 463 (Bourgeois de Paris).

[29] T. IV, p. 25, 26 (Cagny). — Le moulin dont il est question était, selon toute apparence, sur la hauteur où s'élève aujourd'hui l'église de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle.

[30] Attaque du 7 septembre : Ils la cuidoient prendre, mais peu y conquestèrent, si ce ne fut douleur, honte et meschef ; car plusieurs furent navrés (blessés) pour toute leur vie qui, par avant l'assaut, étoient tous sains, mais fol ne croit jà tant qu'il prend. Pour eux le dis qui estoient pleins de si grand malheur et de si malle créance. Et le dis pour une créature qui estoit en forme de femme avec eux, que on nommoit la Pucelle. Que c'estoit, Dieu le sait. T. IV, p. 484.

[31] L'assaut du 8 septembre : Interroguée se quant elle ale devant Paris, se elle l'eust par révélation de ses voix de y aller : respond que non ; mais à la requeste des gentils hommes qui vouloient faire une escarmouche ou une vaillance d'armes ; et avoit bien entencion d'aller oultre et passer les fossés. T. I, p. 147 (Interrog. du 13 mars), Cf. p. 250. — Porte Saint-Honoré : L'ancienne rue des Remparts, près le théâtre Français, indiquait le voisinage des remparts en cet endroit. — Particularités de l'assaut : Chron., chap. LXI, et t. IV, p. 26 (Cagny), p. 87 (J. Chartier) ; p. 198 (Journal) ; p. 457 (Clem. de Fauquemberque) : Et hastivement plusieurs d'iceulx estans sur la place aux Pourceaux et environs près de ladicte porte (Saint-Honoré), portant longues bourrées et fagots, descendirent et se boutèrent ès premiers fossés, esquels point n'avoit d'eaue, et gettèrent lesdites bourrées et fagots dedans l'autre fossé prochain des murs, esquele avoit grant eaue. Et à celle heure y ot dedans Paris gens affectée ou corrompus, qui eslevèrent une voix en toutes les parties de la ville de ça et de là les pons, crians que tout estoit perdu, etc. Cf. le Bourgeois de Paris (t. IV, p. 465, 466), qui rappelle Judith et Holopherne (la Pucelle pour lui n'est pas Judith). On peut laisser à sa charge toute une moitié de la sommation qu'il prête à la Pucelle. Cf. t. I, p. 148.

[32] Nouveau projet d'attaque, etc. : t. IV, p. 27 (Gagny). Monstrelet (II, 70), qui doit être moins bien informé, mentionne la soumission du sire de Montmorenci pendant le séjour du roi à Compiègne (Procès, t. IV, p. 391).

[33] Pont de Saint-Denis : t. IV, p. 28 (Cagny). — Intronisation à Saint-Denis, et Th. Basin, Histoire de Charles VII, liv. II, chap. XIII. — On a accusé Perceval de Cagny de partialité, mais il n'est pas le seul qui ait ainsi jugé l'affaire de Paris. Berri rapporte à La Trémouille l'ordre de renoncer à l'attaque (t. IV, p. 47). Le Journal du siège d'Orléans dit : Et certes aucuns dirent depuis que se les choses se feussent bien conduites, qu'il y avoir bien grante apparence qu'elle en fust venue à son vouloir ; car plusieurs notables personnes estans lors dedans Paris, lesquels cognoissoient le roi Charles, septième de ce nom, estre leur souverain seigneur, lui eussent faict plainière ouverture de sa principale cité de Paris. T. IV, p. 200. Et P. Cochon dans sa Chronique normande (chap. LI) : Et croy que ils eussent Baigné la dicte ville de Paris, si l'on les eust laissié faire. T. IV, p. 343. Cf. Chron., chap. LXI et LXII.

[34] Le cry de France : t. I, p. 179. — Retraite du roi : t. IV, p. 29 (Cagny) ; p. 48 (Berri) ; p. 89 (J. Chartier) ; p. 201 (Journal).

[35] Le duc de Bourgogne à Paris : Monstrelet, II, 73 ; Bourgeois de Paris, p. 398 (Édit. Buchon) ; cf. Procès, t. IV, p. 48 (Berri), et p. 201 (Journal) ; Godefroy, Vie de Charles VII, p. 332 (Abrégé chronol., 1400-1467) ; P. Cochon, Chronique normande, chap. LII. — Lieutenance du royaume : Registres du parlement, t. XV, (Archives imp.). L'investiture de la Champagne au duc de Bourgogne fut ratifiée par le conseil l'année suivante, au moment de rentrer en campagne (9 mars 1430). Rymer, t. X, p. 454. Sur cette opposition constante du parti dominant à la Pucelle, voy. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, § 4, p. 30 et suiv.

[36] Impression de l'échec de Paris : t. IV, p. 466 (Bourgeois de Paris). — Ce qu'on dit Jeanne d'Arc : Et ne fut centre ne par le commandement de ses voix. T. I, p. 169. Cf. p. 147. — Saint-Denis : Quod vox dixit si quod maneret apud villam Sancti Dionysii in Francia ; ipsaque Johanna ibi manere volebat ; sed contra ipsius voluntatem Domini eduxerunt eam. Ibid., p. 57.

[37] Lettre du roi aux habitants de Troyes (23 septembre), t. V, p. 145 (extrait des registres de la ville).  Avec cette lettre est mentionnée une lettre de Jeanne écrite la veille, où elle annonce aux habitants qu'elle a été blessée devant Paris.

[38] Le duc d'Alençon : t. IV, p. 30 (Cagny). — Quand le roy se trouva audit lieu de Gien, lui et ceulx qui le gouvernoient firent semblant que ilz fussent comptens du voyage que le Tay avoit fait ; et depuis de longtemps après, le roy n'entreprint plus nulle chose à faire sur ses ennemis oh il vousist estre en personne. On pourroit bien, dire que ce estoit par son (sot ?) conseil, se lui et eulx eussent voulu regarder la très-grant grâce que Dieu avoit  fait à lui et à son royaulme par l'entreprinse de la Pucelle, message de Dieu en ceste partie, comme par ses fais povoit estre aperceu. Elle fist choses incréables à ceulx qui ne l'avoient veu ; et peult-on dire que encore eust fait, se le roy et son conseil se fussent bien conduiz et maintenus vers elle. T. IV, p. 30 (Gagny).

Étrepagny (septembre) ; Torci (26 octobre) : P. Cochon, Chron. nom., chap. LII et LIII.

[39] Le roi sur la Loire : t. IV, p. 31 (Gagny). — Les Anglais à Saint-Denis, etc. : t. IV, p. 89 (J. Chartier). — Détresse de Paris : Bourgeois de Paris, p. 399 (éd. Bucbon).

[40] Places de l'ennemi sur la Loire : t. III, p. 217 (d'Aulon) ; cf. t. IV, p. 181 (Journal du siège) ; t. V, p. 148 (Lettre du sire d'Albret aux habitants de Riom).

[41] Saint-Pierre-le-Moustier : t. III, p. 218 (d'Aulon) ; p. 23 (Thierry) ; cf. t. I, p. 109.

[42] La Charité. Lettre de Jeanne aux habitants de Riom : Voy. aux Append., n° X. — A la lettre de Jeanne était jointe une lettre du sire d'Albret. Il y touche plus expressément aux intérêts de commerce qui doivent déterminer les villes à des sacrifices. Ibid., p. 148. Jeanne et le sire d'Albret avaient adressé de semblables messages à Clermont-Ferrand et probablement à d'autres villes. On a la note des envois faits par Clermont-Ferrand. Ibid., p. 146. — Bourges (24 novembre 1429) : On y engage la ferme du treizième du vin vendu en détail en ladicte ville de Bourges. T.,V, p. 357. — Orléans : A Jacquet Compaing pour bailler à FauVeau et à Gervaise le Fèvre, joueurs de coulevrines pour aller audit lien 9 l. 12 s. p. — A lui pour argent baillé à 89 compaignons envoiez audit lieu de par la ville, à chacun d'eux, 4 l., etc. Ibid., p. 269.

Levée du siège : Pour ce que le roy ne fist finance de lui.envoyer vivres ne argent pour entretenir sa compaignie, luy convint lever son siège et s'en départir à grant desplaisance. T. IV, p. 31 (Cagny). Le héraut Berri n'est pas moins fort, et il en rejette toute la responsabilité sur La Trémouille. Rappelant la proposition du duc d'Alençon touchant la Normandie : Mais le sire de La Trémoille ne le voulut pas, mais l'envoya avec son frère, le sire de Lebret (Albret), au plus fortde l'iver, et le maréchal de Boussac, à bien pou de gens devant la ville de la Charité, et là furent environ un mois, et se levèrent honteusement sans que ce secours venist à ceux de dedens ; et y perdirent bombardes et artilleries. T. IV, p. 48.

[43] Anoblissement de Jeanne : Karolus, Dei gratis Francorum rex, ad perpetuam rei memoriam. Magnificaturi divinæ celsitudinis uberrimas nitidissimas que celebri ministerio Puellæ, Johannæ Darc de Dompremeyo, charæ et dilectæ nostræ, de Ballivia Calvi Montis, seu ejus ressortis, nobis elargitas... Notum facimus.... quod hos... considerantes insuper laudabilia grataque et commodiosa servitia nobis et regno nostro, am per dictam Johanham Puellam, multimode impensa, et quod in futurum impendi speramus, præfatam Puellam, Jacobum Darc dicti loci de Dompremeyo, patrem ; Isabellam ejus uxorem, matrem, Jacqueminum, et Johannem Darc et Petrum Prerelo fratres ipsius, et totam suam parentelam et lignagium, et in favorem et pro contemplatione ejusdem, etiam eorum posteritatem masculinam et femininam, in legitimo matrimonio natam et nascituram nobilitavimus et per præsentes de gratia speciali nobilitamus et nobiles facimus, aliorum nobilium ex nobili scirpe procreatorum consorcio aggregamus ; non obstante quod ipsi, ut dictum est, ex nobili geuere ortum non sumpserint, et forsan alterius quam liberæ conditionis existant, etc. Vallet de Viriville, d'après la copie gardée aux Archives, sect. histor. K. 63, n° 9. Bibl. de l'Éc. des Chartes, 1854, 3e série, t. V, p. 277. M. Vallet de Viriville croit que la concession des armoiries fut jointe à l'acte d'anoblissement et que ces armes furent données à Jeanne comme à ses frères. Il induit ce dernier fait de ce que Berri (roi d'armes, comme on sait,) sous la date 1429, l'appelle Jeanne Du Lys dans le manuscrit 9676, 1, A de la Bibl. impériale (Nouvelles recherches, p. 29). Si ces armes furent données à la Pucelle, au moins ne les a-t-elle jamais portées. — Les villes d'Orléans et de Montargis reçurent aussi vers cette époque, par divers privilèges, la récompense de leur bravoure et de leur dévouement : Orléans, 16 janvier, et février ; Montargis, mai 1430 (Ord., t. XIII, p. 144, 150 et 167).

[44] Jeanne à Bourges : t. V, p. 155 ; — à Sully : ibid., p. 160 et 162 ; — à Orléans : A Jehan Morchoesne pour argent baillé pour l'achat de six chappons, neuf perdrix, treize congnins (lapins) et cinq fesans présentés à Jehanne la Pucelle, maistre Jehan de Sully, maistre Jehan de Rabateau et monseigneur de Mortemar, le XIXe jour de janvier : 6 l. 12 s. 4 d. p. — A Jacques Leprestre pour 52 pintes de vin aux dessus dits à deux repas ledit jour, 52 s. p. (Il n'est pas besoin de faire observer que toute la suite de Jeanne et de ces seigneurs prend sa part aux deux repas) ; — à Isambert Bocquet, cousturier pour un pourpoint baillé au frère de la Pucelle, 29 s. p. T. V, p. 270. — Marguerite de La Touroulde : t. III, p. 86 et suiv.

[45] Catherine de la Rochelle : t. I, p. 107, 108 ; cf. p.119.

[46] Opinion de Jeanne sur Catherine : ibid., p. 108.

C'est à cette époque qu'il faudrait rapporter une lettre de Jeanne aux Hussites, datée de Sully (3 mars 1430), et publiée en allemand par M. de Hormayr en 1834 (voy. Procès, t. V, p. 156). Mais cette lettre, par le style comme par tout le reste, n'a aucun des caractères de celles que l'on a de Jeanne. Ce n'est pas Jeanne qui aurait dit, par exemple, aux Hussites : Si je n'apprends bientôt votre amendement, je laisserai peut-être les Anglais et me tournerai contre vous pour vous arracher l'hérésie ou la vie. La réputation de Jeanne en Allemagne était grande : il est très-probable qu'on y aura fabriqué cette lettre en son nom. L'allusion qu'y fait Jean Nider (Procès, t. IV, p. 503) peut se rapporter à une pièce fausse, tout aussi bien qu'à une pièce authentique. Jeanne songea à une grande entreprise en dehors de la guerre des Anglais, mais cela même se rattachait à sa mission : c'est la croisade où elle les invitait, dans sa première lettre, avant de les combattre, afin d'offrir une autre carrière à leur ambition et de transformer la rivalité des deux peuples en une rivalité de gloire au profit de la chrétienté tout entière. Les Anglais refusant, elle n'eut plus qu'une pensée et un but, c'est de les chasser de France.

[47] La trêve avec le duc de Bourgogne : Monstrelet, II, 72 et 74 ; cf. t. V, p. 175 (Mémoire à consulter sur G. de Flavy).

[48] Lettres de la Pucelle aux habitants de Reims (18 et 28 mars 1430). Voy. aux appendices, n° XI.

[49] Départ de Jeanne : t. IV, p. 32 (Gagny).

[50] Louviers, Château-Gaillard, Torcy : Th. Basin, Hist. de Ch. VII, liv. II, chap. XXV ; P. Cochon, Chron. norm., LIII-LV ; cf. Monstrelet, II, 78. — Situation de Paris : Journal du Bourgeois de Paris, p. 399. — La princesse de Portugal : ibid., p. 400. On a dans Rymer l'ordonnancement des dépenses que sa réception inattendue en Angleterre a causées (16 décembre 1429), t. X, p. 436. — Fêtes du mariage du duc de Bourgogne : Monstrelet, II, 77 et 78. C'est à cette occasion qu'il institua la Toison d'or. — Conspiration à Paris : Journal du Bourgeois, p. 399 et suiv. — Les Français à Saint-Denis et à Saint-Maur : ibid.

[51] Départ de Jeanne : t. IV, p. 32 (Cagny). — Prédiction de sa captivité : t. I, p. 115. — Le château de Melun avait été tout récemment occupé par les Français, avec le concours des habitants.

[52] Franquet d'Arras : t. IV, p. 399 (Monstrelet, II, 84), et p. 442 (Chastelain) ; cf. p.32 (Gagny) ; p. 91 (J. Chartier). Monstrelet et Chastelain portent les Anglais à 300, les Français à 400, et disent qu'après un combat douteux la Pucelle fit venir toute la garnison de Lagny. Perceval de Cagny dit que les Français étaient en moindre nombre que les Anglais et qu'il périt 300 ou 400 Anglais ; J. Chartier, que les Français n'étaient guère plus que les Anglais et que ces derniers furent tous tués ou pris. — Sur la mort de Franquet d'Arras, il faut suivre la déclaration de Jeanne d'Arc, t. I, p. 158 ; cf. p. 264.

[53] Terreur inspirée par la Pucelle : Tentus enim ex solo Puellæ nomine eorum animis pavor incesserat, ut sacremento magne eorum plurimi firmarent, quod, solo eo audito aut ejus conspectis signis, nec reluctandi vires animumque, vel accus extendendi et jacula in hostes torquendi, seu feriendi, uti soliti per prius fuerant, ullo modo assumere possent. (Th. Basin, Hist. de Ch. VII, liv. II, chap. XI.) — Le nom de la Pucelle estoit si grant jà et si fameux, que chacun la resongnoit comme une chose dont on ne savoit comment jugier, ne en bien, ne en mal ; mes tant avoit fait jà de besongnes et menées à chief, que ses ennemis la doubtoient, et l'aouroient ceulx de son party, principalement pour le siège d'Orliens, là où elle ouvra merveilles ; pareillement pour le voyage de Rains, là où elle mena le roy coronner, et ailleurs en aultres grans affaires, dont elle prédisoit les aventures et les événemens. T. IV, p. 442 (Chastelain) ; cf. p. 32 (Cagny). — Passage de Henri VI en France, etc. : Journal du Bourgeois, p. 405 et 407, et divers actes dans Rymer, t. X, p. 449, 450, 452. — Édit contre les capitaines, etc. : Rymer, ibid., p. 459, et M. J. Quicherat, Procès, t. V, p. 162.

[54] Le duc de Bourgogne ayant réuni ses troupes vint à Péronne, où il célébra la fête de Pâques (c'était le terme de la trêve, 17 avril) ; de là il vint à Montdidier, et de Montdidier à Gournai-sur-Aronde. Monstrelet, II, 81 et 82 ; Procès, t. V, p. 174, 175 (mémoire sur Flavy). — Gournai-sur-Aronde, Choisy : ibid.

[55] Pont-l'Évêque : ibid., et t. IV, p. 437 (Lefebvre Saint-Remi) ; p. 50 (Berri). Jeanne déclare qu'elle n'y alla point par le conseil de ses voix, et que depuis la prédiction de sa captivité elle se reporta le plus du fait de la guerre à la voulenté des cappitaines. T. I, p. 147. — Soissons : t. IV, p. 50 (Berri) ; cf. t : I, p. 111 ; t. IV, p. 32 (Gagny), et t. I, p. 114.

[56] Entrée de Jeanne à Compiègne : t. IV, p. 32 (Gagny).

[57] Situation de Compiègne : Voy. l'exposé très-net de M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 85 et suiv.

[58] Jeanne à Compiègne : Interroguée quant elle fust venue à Compaigne, s'elle fut plusieurs journées avant qu'elle fist aucune saillie : respond qu'elle vint à heure secrète du matin, et entra en la ville sans ce que ses annemis le sceussent gueires comme elle pense ; et ce jour mesmes, sur le soir feist la saillie dont elle fut prinse. T. I, p. 114. Lefebvre Saint-Remi (t. IV, p. 333) et G. Chastelain (ibid., p. 443) disent que Jeanne y fut deux nuits et un jour, et qu'elle y prédit la défaite des Bourguignons et des Anglais, voire même la prise du duc de Bourgogne. Mais ces bruits, recueillis par eux, n'ont aucune valeur ; s'ils avaient eu le moindre fondement, on en aurait parlé au procès pour la confondre dans ses prédictions.

[59] Sortie de Compiègne :        Et ala avec la compaignie des gens de son parti sur les gens de Mgr de Luxambourg et le rebouta par deux fois jusques au logeis des Bourguegnons, et à la tierce fois jusques à my le chemin, et alors les Anglois qui là estoient coupèrent les chemins à elle et à ses gens, entre elle et le boulevert ; et pour ce, se retrairent ses gens ; et elle en se retraiant ès champs en costé, devers Picardie, près du boule-vert, fut prise ; et estoit la rivière entre Compiègne et le lieu où elle fut prinse ; et n'y avoit seullement en ce lieu où elle fut prinse et Compiègne, que la rivière, le boulevert et le fossé dudit boulevert. T. I, p. 116 (déclaration de Jeanne) ; cf. t. p. 401 (Monstrelet, II, 86) ; p. 439 (Lefebvre Saint-Remi), et p. 446 (Chastelain). — Dont la Pucelle passant nature de femme, soustint grand fés ; et mist beaucoup de peine à sauver sa compagnie de perte, demorant derrier, comme chief et comme la plus vaillant, du troppeau.

[60] Prise de la Pucelle : t. IV, p. 34 ; (Cagny) ; p. 439 (Lefebvre Saint-Remi). Cf. t. V, p. 167 (Lettre du duc de Bourgogne aux habitants de Saint-Quentin, datée du jour même). — Monstrelet (ibid., p. 401) et G. Chastelain (ibid., p.447) disent qu'elle se rendit au bâtard de Wandonne. Cf. t. V, p. 177 (Mémoire sur Flavy).

[61] T. IV, p. 272. Passion de Jeanne : Le rapprochement que ce mot implique a déjà été fait par l'Abréviateur du procès de Jeanne d'Arc, quand il dit de ses juges : Ne se monstrèrent pas moins affectés à faire mourir la dicte Pucelle, que Cayphe et Anne et les scribes et pharisées se monstrèrent affectés à faire mourir Nostre Seigneur. (T. IV, p. 265.)

[62] Qu'elle ne savait ni le jour ni l'heure : t. I, p. 115 ; cf. t. p. 200 (P. Daron). — Crainte vague de trahison : Quand Gérard d'Épinal la vit à Châlons pendant le voyage de Reims, elle lui disait qu'elle ne craignait rien qu'un traître, t. II, p. 423. Voy. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, §§ 8-10, p. 77 et suiv. M. Vallet de Viriville (Bibliothèque de l'école  des Chartes, 1855, 4e série, t. I, p. 151 et suiv.) a signalé un autre témoignage sur cette crainte de trahison exprimée par la Pucelle à Compiègne ; mais ici ses appréhensions sont surtout pour la ville. Jean Le Féron, héraldiste et historien du XVIe siècle, a écrit sur un exemplaire des Annales d'Aquitaine de Jehan Bouchet (Bibl. impér. réserve, in-fol. L, 359), en marge du chapitre intitulé : La Pucelle trahie et vendue : Ladite Pucelle estoit logée au logis du procureur du roy dudit Compiègne, à l'enseigne du Bœuf, et couchoit avec la femme dudit procureur, mère grand de maistre Jehan Le Féron, appelée Marie le Bouclier, et faisoit souvent lever de son lit ladite Marie, pour aller avertir ledit procureur que se donnast de garde de plusieurs trahisons des Bourguignons, l'espace de sept mois sept jours, et fut ladite Pucelle prinse sur le pont de Marigny par ledit de Luxembourg.

[63] L'Annaliste de Metz, t. IV, p. 323, et M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 90.