JEANNE D'ARC

 

TOME PREMIER

LIVRE DEUXIÈME. — ORLÉANS.

 

 

Le voyage de Vaucouleurs à Chinon, où était la cour, était déjà pour la mission de Jeanne comme une première épreuve. Tout le pays était aux Anglais et aux Bourguignons : il fallait éviter leur rencontre et passer trois ou quatre rivières, la Marne, l'Aube, la Seine, l'Yonne, dans une saison où la crue des eaux ramenait presque forcément les voyageurs aux villes ou aux ponts gardés par eux. Ils allèrent ainsi pendant onze jours et plus, marchant le plus communément la nuit. Jeanne n'approuvait pas ces mesures d'une prudence tout humaine. Elle eût voulu s'arrêter au moins chaque jour dans quelque village, pour rendre à Dieu ses devoirs accoutumés. Si nous pouvions entendre la messe, leur disait-elle, nous ferions bien. Mais se montrer semblait être un péril tant que l'on était en pays ennemi. Ils ne cédèrent que deux fois à ses désirs, une fois peut-être dans l'abbaye de Saint-Urbain, où l'on passa la nuit, et l'autre fois dans la principale église d'Auxerre. Jeanne, à son tour, condescendit pour tout le reste à leur manière de la conduire ; mais elle leur rappelait les autres guides qu'elle avait au ciel. Quand ils lui demandaient si elle ferait ce qu'elle avait annoncé, elle leur disait de ne rien craindre, qu'elle ne faisait rien que par commandement, et que ses frères de paradis lui disaient tout ce qu'elle avait à faire[1].

Jeanne, pour ses compagnons, n'était déjà plus de la terre. Pendant ce voyage, quoiqu'on marchât la nuit, on s'arrêtait néanmoins pour prendre du repos. Jeanne couchait au milieu d'eux, renfermée dans son habit d'homme. — Mais ce vêtement, qu'elle avait adopté par pudeur, n'était point sa seule sauvegarde en cette compagnie d'hommes de guerre. — Tel était l'ascendant qu'elle avait pris sur eux, que les plus jeunes, loin de songer à lui rien dire ou faire qui pût l'offenser, affirment qu'ils n'ont même jamais eu la pensée du mal auprès d'elle ; ils étaient comme enflammés de l'amour divin qui était en son âme, et devenaient chastes et purs par la contagion de sa sainteté[2].

Ils passèrent la Loire à Gien, et parvinrent à Sainte-Catherine de Fierbois, en Touraine, où Jeanne, par honneur pour la patronne du lieu, l'une de ses deux patronnes, et comme pour compenser les privations qu'elle avait acceptées durant la route, entendit jusqu'à trois messes le même jour. Depuis qu'on n'avait plus à craindre une surprise de l'ennemi, ses compagnons ne cachaient plus l'objet de son voyage. De Gien, la nouvelle était venue aux habitants d'Orléans qu'une bergerette nommée la Pucelle, accompagnée de quelques nobles de Lorraine, avait passé, disant qu'elle venait faire lever le siège de leur ville et mener le roi à Reims pour qu'il y fût sacré. Du hameau de Sainte-Catherine elle-même écrivit, ou, plus exactement, fit écrire au roi pour lui demander la permission de l'aller trouver à Chinon. Elle lui mandait qu'elle avait fait cent cinquante lieues pour lui venir en aide ; qu'elle savait plusieurs bonnes choses qui le touchaient : et, pour lui donner comme un premier gage de sa mission, elle déclarait qu'elle le saurait distinguer parmi tous les autres[3].

Le bruit de son voyage avait sans doute devancé sa lettre à Chinon, et la petite cour qui s'agitait autour de Charles VII l'avait fort diversement accueilli : La position du roi devenait chaque jour plus critique ; sa détresse était extrême : son trésorier déclarait qu'il n'avait pas quatre écus en caisse, tant de l'argent du prince que du sien. Le roi ne savait plus que faire pour sauver Orléans, et, Orléans pris, rien n'était sûr pour lui au sud de la Loire. Il en était réduit à se demander s'il chercherait un refuge en Espagne ou en Écosse. La reine de Sicile, mère de la reine, et ceux qui gémissaient de l'état des affaires, étaient disposés à tout risquer pour sortir de cet abîme ; au contraire, l'homme en faveur, La Trémouille, craignait par-dessus tout un changement de conduite qui pouvait soustraire le prince à son influence en le tirant de cette torpeur. Pour un tel homme, le succès même était un péril. Mais pouvait-on refuser de voir au moins celle qui promettait de si grandes choses ? On lui permit donc de venir, et sur la route. il parait qu'on lui tendit une embuscade : c'était une manière aussi de la mettre à l'épreuve ! L'épreuve réussit mal : ceux qui la voulaient prendre demeurèrent, dit un témoin de Poitiers, comme cloués au lieu où ils étaient[4].

Jeanne vint donc à Chinon (6 mars), mais elle voulait parler au roi : nouvel obstacle à vaincre. Fallait-il aller jusqu'à compromettre le prince dans une entrevue avec une fille des champs que l'on pouvait, leur les rumeurs populaires, soupçonner d'être folle ou pis encore ? C'est ce qu'on agita dans le conseil. Plusieurs la virent et la pressèrent de leur dire à eux-mêmes ce qu'elle se réservait de dire au roi. Elle parla donc ; mais, en l'écoutant, ils s'affermirent dans la pensée que le roi ne devait point l'entendre. D'autres même croyaient qu'il le devait d'autant moins, qu'elle se disait envoyée de Dieu ; et les ecclésiastiques furent consultés sur ce point. Tout bien examiné, ceux-ci ne crurent pas qu'il y eût lieu d'empêcher le roi de la recevoir : mais, comme ces scrupules n'étaient pour plusieurs que des prétextes, une semblable décision ne suffisait point à les dissiper ; et quand Jeanne vint au château, elle rencontra de nouveaux obstacles dans le conseil. Cependant la raison finit par triompher : on allégua au roi que Jeanne venait à lui avec une lettre de Robert de Baudricourt ; on lui dit les périls qu'elle avait affrontés et dissipés comme par miracle pour arriver jusqu'à sa résidence. C'était le dernier espoir des habitants d'Orléans ; ils avaient envoyé une ambassade au roi à la nouvelle de ce secours inespéré ; leurs députés étaient là attendant la décision du prince. Et Jeanne n'avait pas seulement pour elle la lettre, très-froide, sans doute, du sire de Baudricourt ; elle avait ses compagnons de route. Les deux hommes qui avaient cru en elle dès son séjour à Vaucouleurs, s'étaient sentis bien mieux affermis dans leur foi après l'épreuve de ce voyage ; mandés au conseil, ils y parlèrent avec toute la chaleur de leur conviction et persuadèrent[5].

Après deux jours d'attente, Jeanne fut donc introduite au château par le comte de Vendôme. Elle se présenta simplement et avec assurance ; Elle fit les inclinations et révérences accoutumées de faire aux rois, ainsi que si elle eût été nourrie en la cour, dit Jean Chartier. Le roi, continue-t-il, pour la mettre à l'épreuve, s'était confondu parmi d'autres seigneurs plus pompeusement vêtus que lui, et quand Jeanne, qui ne l'avait jamais vu, le vint saluer, disant : Dieu vous donne bonne vie, gentil roi !Je ne suis pas le roi, dit-il : voilà le roi ; et il lui désignait un des seigneurs. Mais Jeanne répondit : En nom Dieu, gentil prince, vous l'êtes, et non un autre. Et, abordant l'objet de sa mission, elle lui dit que Dieu l'envoyait pour lui aider et secourir ; elle demandait qu'il lui baillât gens, promettant de faire lever le siège d'Orléans, et de le mener sacrer à Reims. Elle ajoutait, que c'étoit le plaisir de Dieu que ses ennemis les Anglois s'en allassent en leur pays ; que le royaume lui devoit demeurer, et que s'ils ne s'en alloient, il leur mescberroit (arriverait malheur[6]).

Parmi les princes que le favori n'avait point écartés de la cour, se trouvait le jeune duc d'Alençon. Pris à Verneuil (1424), il avait résisté à toutes les séductions mises en pratique pour l'attirer à la cause de Henri VI ; et il avait dû payer sa fidélité à Charles VII par une captivité de trois ans et une rançon qui le ruinait. Il y avait alors à Chinon bien du loisir autour du roi : le jeune duc se trouvait au voisinage, à Saint-Florent-lès-Saumur, chassant aux cailles. Ayant su, par un de ses gens, l'arrivée à Chinon d'une jeune fille qui se disait envoyée de Dieu pour expulser les Anglais et faire lever le siège d'Orléans, il s'y rendit, et entra comme elle parlait au roi. Le roi l'ayant nommé à Jeanne : Soyez le très-bien venu, dit-elle : plus il y en aura ensemble du sang royal de France, mieux en sera-t-il. Le lendemain elle fut à la messe du roi, et le roi l'ayant prise à part avec Alençon qui le raconte et La Trémouille, elle lui fit plusieurs requêtes : elle lui demandait de donner son royaume au Roi des cieux, et que le Roi des cieux, après cette donation, ferait pour lui comme pour ses prédécesseurs, et le rétablirait dans son ancien état[7].

Mais qui était-elle pour parler avec cette autorité, et quel signe donnait-elle de sa mission ? L'heureuse issue de son voyage pouvait bien, après tout, n'être pas un si grand prodige, et le fait d'avoir reconnu le roi sans l'avoir jamais vu, fournir des armes à ceux qui ne voulaient voir dans tout cela qu'une trufferie. Au lieu de la foi, elle rencontrait même, non-seulement le doute, mais quelquefois l'outrage. Le jour qu'on la présenta au château, un homme à cheval la voyant entrer : Est-ce là la Pucelle ? dit-il ; et il raillait grossièrement sur son titre, reniant Dieu. Ah ! dit Jeanne, tu le renies, et tu es si près de ta mort ! Avant qu'il fût une heure, l'homme tombait à l'eau et se noyait[8].

Ceux qui étaient les plus favorables ne savaient qu'attendre et voir encore. Le roi l'avait donnée en garde à G. Bélier, dont la femme était de grande dévotion et de bonne renommée. En même temps qu'il envoyait dans son pays natal des religieux chargés de s'informer secrètement de sa vie, il la faisait paraître devant sa cour ; il la soumettait à l'examen des gens d'Église : et elle savait garder en toute rencontre la même aisance, la même fermeté ; parlant avec assurance de sa mission, soit devant La Trémouille, soit devant les évêques, et montrant, au besoin, que dans cette carrière des batailles où elle voulait ramener le roi, elle-même saurait faire bonne figure. Un jour après le dîner, le roi étant allé se promener dans la prairie, elle y courut, la lance au poing, et de si bonne manière, que le duc d'Alençon, charmé, lui donna un cheval. Les épreuves se continuaient jusque dans la demeure qui lui avait été assignée. De grands personnages la venaient voir à la tour du château de Coudray (à une lieue de Chinon), et elle répondait à leurs questions. Mais quand elle était seule, elle priait et pleurait[9].

Un jour enfin, elle vint trouver le roi et lui dit : Gentil dauphin, pourquoi ne me croyez-vous ? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de votre royaume et de votre peuple : car saint Louis et Charlemagne sont à genoux devant lui, en faisant prière pour vous ; et je vous dirai, s'il vous plaît, telle chose, qu'elle vous donnera à connoître que me devez croire. L'auteur de la Chronique ajoute qu'elle admit comme témoins de sa déclaration le duc d'Alençon, Robert Le Maçon, seigneur de Trèves (en Anjou), Christophe d'Harcourt et Gérard Machet, confesseur du roi, et qu'après leur avoir fait jurer de n'en rien révéler, elle dit au roi une chose de grande conséquence qu'il avoit faite bien secrète ; dont il fut fort ébahi : car il n'y avoit personne qui le pût savoir que Dieu et lui. D'autres suppriment les témoins, ou du moins les tiennent à distance, s'accordant sur le fait lui-même et sur l'impression que le roi en reçut : Ce qu'elle lui a dit, nul ne le sait, écrit Alain Chartier peu de temps après (juillet 1429), mais il est bien manifeste qu'il en a été tout rayonnant de joie comme à une révélation de l'Esprit saint[10].

Qu'était-ce donc que ce signe ? Jeanne elle-même est convenue du fait devant ses juges ; et elle confirme les derniers témoignages allégués en disant qu'elle ne pense pas que personne ait été alors avec le roi, quoiqu'il y eût bien des gens assez près. Mais en même temps elle déclara qu'elle n'en voulait rien dire. Elle persista longtemps dans ce refus, protestant que sur ce point on n'aurait pas d'elle la vérité ; et d'autant plus pressée qu'elle se récusait davantage, elle finit par se dérober à ces instances par le biais que ses juges mêmes semblaient lui offrir en l'interrogeant sur l'ange qui avait apporté une couronne au roi : bruit populaire qu'elle accueillit comme exprimant sa mission, sous le voile d'une allégorie fort transparente. Par cette allégorie qu'elle expliqua plus tard, elle dépista ses juges : le signe leur demeura donc caché ; car c'était le secret du roi. Mais une parole avait été entendue dans cette conversation secrète ; parole d'une singulière autorité, et dont l'accent put frapper les oreilles de ceux qui se tenaient non loin du prince : Je te dis de la part de Messire que tu es vray héritier de France et fils du roy. Cette parole reproduite en français dans la déposition de Pasquerel, parmi les autres déclarations de Jeanne, reçut plus tard son explication et se trouve rattachée au signe donné au prince, par les déclarations mêmes du roi. Le sire de Boisy, qui, dans sa jeunesse ; avait été l'un des chambellans les plus familiers de Charles VII, a raconté en effet à Pierre Sala, comme le tenant du roi lui-même, qu'un jour, au temps de ses plus grandes adversités, ce prince, cherchant vainement un remède à tant de maux, entra un matin, seul, dans son oratoire, et que là sans prononcer une parole, il fit à Dieu, du fond de son cœur, cette requête : Que s'il était vrai héritier, issu de la maison de France (ce doute était possible avec la reine Isabeau), et que le royaume lui dût justement appartenir, il plût à Dieu de le lui garder et défendre ; sinon, de lui faire la grâce d'échapper sans mort ou prison, et qu'il se pût sauver en Espagne ou en Écosse, où il voulait, en dernier recours, chercher un refuge. — C'est cette prière connue de Dieu seul que la Pucelle rappela. à Charles VII : et on s'explique maintenant la joie qu'au dire des témoins il manifesta, sans que personne en sût alors le motif. Jeanne, par cette révélation, n'avait pas fait seulement qu'il crût en elle ; elle faisait qu'il crût en lui-même, en son droit, en son titre : JE TE DIS (jamais Jeanne n'a parlé au roi de la sorte : c'est quelque chose de supérieur qui parle par sa bouche), JE TE DIS DE LA PART DE MESSIRE, QUE TU ES VRAI HÉRITIER DE FRANCE ET FILS DU ROY[11].

Ce n'était point assez : il fallait que personne n'eût le droit de révoquer en doute sa mission ou d'en suspecter l'origine. Le roi ne précipita rien, et décida qu'on la mènerait à Poitiers, où était le parlement, où siégeait le conseil, où se trouvaient réunis plusieurs des membres de l'Université de Paris, restés fidèles. Il voulait lui faire subir une épreuve plus solennelle, et donner à la résolution qu'on prendrait la sanction des hommes les plus autorisés dans l'État et dans l'Église. Jeanne partit donc, et quand elle sut où on la menait : En nom Dieu, dit-elle, je sais que j'y aurai bien affaire : mais Messire m'aidera. Or allons de par Dieu[12].

Elle vint donc à Poitiers, et fut, comme à Chinon, confiée à la garde de l'une des plus honorables familles de la cité : celle de Jean Rabateau, avocat général au parlement. L'archevêque de Reims, chancelier de France, et l'un des principaux chefs du parti dominant, d'accord avec les membres du conseil, convoqua les' évêques présents et les docteurs les plus renommés entre ceux qui avaient suivi la fortune de Charles VII : Gérard Machet, évêque de Castres, confesseur du roi ; Simon Bonnet, depuis évêque de Senlis ; l'évêque de Maguelonne et l'évêque de Poitiers ; maitre Pierre de Versailles, depuis évêque de Meaux, et plusieurs autres, au nombre desquels le dominicain frère Séguin, à qui l'on doit le récit le plus étendu de ces conférences. On leur dit qu'ils avaient commission du roi pour interroger Jeanne et en faire leur rapport au conseil, et au lieu d'appeler la Pucelle devant eux, on les envoya vers elle, chez maitre Jean Rabateau[13].

Dès qu'elle les vit entrer dans la salle, elle alla s'asseoir au bout du banc, et leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils lui dirent qu'ils la venaient trouver, parce qu'elle avait dit au roi que Dieu l'envoyait vers lui ; et ils lui montrèrent, par belles et douces raisons, qu'on ne la devait pas croire. Ils y furent, dit la Chronique, plus de deux heures, dont chacun d'eux parla sa fois ; et elle leur répondit : dont ils étoient grandement ébahis comme une si simple bergère, jeune fille, pouvoit ainsi répondre. Nous n'avons plus les procès-verbaux de ces conférences tenues par des hommes défiants, sans doute (c'était leur devoir), mais sincères : actes auxquels Jeanne, dans son procès, renvoie plusieurs fois en toute assurance, et où l'on trouverait les libres effusions de son âme, recueillies sans réticence et sans altération. Mais à défaut de ce monument qui a péri de bonne heure, il reste comme un écho fidèle encore, quoique plus lointain, de sa parole, dans les dépositions de deux témoins : Gobert Thibault, écuyer du roi, et frère Séguin, docteur en théologie.

Dans la première visite, après diverses questions sur elle, sur sa famille, sur son pays, Jean Lombart lui ayant demandé qui l'avait poussée à venir vers le roi, elle lui dit ses visions, comme ses voix lui avaient appris la grande pitié qui était au royaume de France, et qu'il fallait qu'elle y allât : à ces paroles, elle s'était mise à pleurer ; mais la voix avait commandé. Et elle racontait comment elle avait entrepris ce voyage, accompli, parmi tant d'obstacles, en toute sûreté, selon Qu'il lui était prédit. Jeanne, lui dit Guillaume Aymeri, vous demandez gens d'armes, et dites que c'est le plaisir de Dieu que les Anglais laissent le royaume de France et s'en aillent en leur pays. Si cela est, il ne faut point de gens d'armes, car le seul plaisir de Dieu les peut déconfire et faire aller en leur pays.

En nom Dieu, reprit Jeanne, les gens d'armes batailleront, et Dieu donnera victoire.

Maitre Guillaume avoua que c'était bien répondu.

Alors Séguin, un bien aigre homme, dit la Chronique, voulant savoir que penser de ses voix, lui demanda quelle langue elles lui parlaient.

Meilleure que la vôtre, répondit-elle.

Il parlait limousin.

Croyez-vous en Dieu ? dit le docteur visiblement blessé.

Mieux que vous, répliqua Jeanne sur le même ton.

Eh bien ! reprit Séguin, Dieu défend de vous croire sans un signe qui porte à le faire ; et il déclara que, pour sa part, il ne donnerait point au roi le conseil de lui confier des gens d'armes et de les mettre en péril sur sa simple parole.

En nom Dieu, répliqua Jeanne, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire signes ; mais menez-moi à Orléans, et je vous montrerai les signes pour quoi je suis envoyée. Qu'on me donne si peu de gens qu'on voudra, j'irai à Orléans. Le frère Séguin si aigre homme que le dise la Chronique, a eu du moins la bonhomie de nous garder ces traits sans leur rien ôter de ce qu'ils avaient de piquant pour lui-même ; moins soucieux de son amour-propre que de la vérité[14].

L'examen se prolongea pendant trois semaines, et Jeanne en témoigna parfois son impatience. Le jour que vint Gobert Thibault, en compagnie de Jean Érault et de Pierre de Versailles, la Pucelle, voyant entre les deux docteurs l'écuyer du roi, qu'elle avait sans doute rencontré à Chinon, lui frappa familièrement sur l'épaule, et lui dit qu'elle voudrait bien avoir plusieurs hommes d'aussi bonne volonté. Puis, s'adressant à Pierre de Versailles :

Je crois bien, dit-elle, que vous êtes venu pour m'interroger je ne sais ni À ni B ; mais je vies de la part du Roi des cieux pour faire lever le siège d'Orléans, et mener le roi à Reims, afin qu'il y soit couronné et sacré.

Et ensuite :

Avez-vous du papier, de l'encre ? dit-elle à Jean Érault. Écrivez ce que je vous dirai : Vous, Suffort, Classidas et La Poule, je vous somme par le Roi des cieux, que vous en alliez en Angleterre. — La lettre, écrite alors, se retrouvera en original à l'époque où elle eut enfin acquis le droit de l'envoyer aux Anglais[15].

On ne l'interrogea point seulement sur ses révélations : on la fit surveiller par des femmes dans sa manière de vivre, on l'interrogea sur sa croyance. Car ses visions fussent-elles constantes, il fallait savoir d'où elles venaient : si elles venaient du diable, on était convaincu qu'il se trahirait par quelque mot malsonnant touchant la foi. Jeanne sortit tout aussi heureusement de ces épreuves. Elle n'avait pas compté en vain sur Celui dont elle disait aux docteurs : Il y a ès livre de Notre-Seigneur plus que ès vôtres. Malgré ces vivacités de langage contre la science des docteurs, ils l'admiraient et confessaient qu'elle leur avait répondu avec autant de prudence que si elle eût été un bon clerc. Plusieurs crurent sincèrement à son inspiration le confesseur du roi et d'autres voyaient en elle celle qu'annonçait une prophétie (la prophétie de Merlin, sans doute, alléguée, en ce temps même, dans les vers de Christine de Pisan). Jean Érault, cherchant à la révélation de Jeanne un appui dans une autre, cita à l'assemblée ce que l'on rapportait de Marie d'Avignon. On disait que cette femme, renommée alors par ses prédictions, était venue jadis trouver le roi, et lui avait communiqué ses visions sur la prochaine désolation de la France. Elle avait vu quantité d'armes ; elle avait craint que ce ne lui fût un signe d'aller à la guerre. Mais elle avait été rassurée : il lui avait été dit que ce signe ne la touchait pas ; qu'une pucelle viendrait après elle, qui porterait ces armes et délivrerait la France de l'ennemi. Jean Érault ne doutait point, pour sa part, que Jeanne ne fût la pucelle prédite[16].

Sans aller aussi loin, les docteurs ne laissèrent pas de conclure en faveur de Jeanne. Ils louaient le roi de n'avoir, dans cette nécessité pressante du royaume, ni rejeté la Pucelle, ni cru trop légèrement à ses promesses ; mais de l'avoir éprouvée en cherchant dans sa vie et en demandant à ses actes la preuve qu'elle était envoyée de Dieu. Sa vie a fait l'objet d'une enquête sérieuse, Jeanne pendant six semaines a été gardée par le roi, visitée par toutes sortes de personnes ; et Pen n'a rien trouvé en elle, que bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse. Son signe, c'est devant Orléans qu'elle prétend le montrer. Puisque la première preuve est faite, il ne faut pas refuser la seconde qu'elle offre ; il faut la mener à Orléans : car, la délaisser sans apparence de mal, ce seroit répugner au Saint-Esprit et se rendre indigne de l'aide de Dieu. Les matrones firent leur rapport à leur tour. La reine de Sicile, les dames de Gaucourt et de Trèves attestèrent que Jeanne était digne de porter son surnom populaire, et dès lors la démonstration était complète car on n'admettait pas que l'âme pure d'une vierge eût commerce avec le démon[17].

Le peuple, pour croire en elle, n'avait pas demandé tant d'épreuves. Les plus incrédules ne résistaient point à l'accent de sa parole : tel qui en venant déclarait ses promesses pures rêveries, ne s'en allait pas sans avouer que c'était une créature de Dieu ; et plusieurs en revenant pleuraient à chaudes larmes. Jeanne avait gagné tous les suffrages. Les hommes d'Église rendaient témoignage à sa vertu et à sa foi ; les hommes de guerre s'émerveillaient de la façon dont elle parlait sur le fait des armes, et les dames et les demoiselles ne s'étonnaient pas moins de trouver une simple jeune fille dans celle qui faisait l'admiration des hommes de guerre et des docteurs. Elle qui, sous les armes, semblait égale aux plus habiles par sa tenue, par ses discours, elle se retrouvait, quand elle avait dépouillé le harnois, ce qu'elle était dans son village, moult simple et peu parlant, toujours pieuse et recueillie, priant dans le secret, et accueillant avec bonté les hommes de toute condition que la curiosité attirait autour d'elle, et principalement les femmes. Elle leur parlait si doucement et si gracieusement, dit la Chronique, qu'elle les faisait pleurer. Elle s'excusait auprès d'elles de l'habit qu'elle portait : et les femmes surtout la devaient comprendre. L'habit d'homme, qui effaroucha tant la pudeur du tribunal institué par les Anglais, n'excita pas les mêmes scrupules parmi les évêques et les docteurs du parti de Charles VII. Il n'en est pas dit un mot dans ce qui est resté de l'enquête de Poitiers ; et si la question s'y posa, elle fut résolue par le bon sens, comme elle l'a été dans la consultation que l'archevêque d'Embrun envoya au roi, peu de temps après la délivrance d'Orléans, sur les actes de la Pucelle. Il est plus décent, dit le prélat, de faire ces choses en habit d'homme, puisqu'on les doit faire avec des hommes.

Le roi ne différa plus. Il l'envoya à Tours (vers le 20 avril), et lui composa toute une maison militaire. Les deux plus jeunes frères de Jeanne (Jean et Pierre) l'étaient venus rejoindre ; ses deux guides, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, ne l'avaient point quittée. Le roi les maintint dans sa compagnie. Il lui donna pour maitre d'hôtel, ou chef de sa maison militaire, Jean d'Aulon, honnête écuyer ; pour pages Louis de Contes, qui s'était déjà trouvé près d'elle au château du Coudrai, et un autre du nom de Raimond ; de plus, quelques varlets, deux hérauts d'armes. Un religieux augustin, frère Jean Pasquerel, connu de ceux qui avaient amené Jeanne à Chinon, lui fut présenté par eux et devint son aumônier. Le roi fit faire à la Pucelle une armure complète, et lui donna des chevaux pour elle et pour ses gens. Mais à l'épée qu'il lui offrit, elle en préféra une qu'elle semblait tenir de l'une de ses patronnes. Sur son indication, on alla dans la chapelle de Sainte-Catherine de Fierbois, et l'on trouva derrière l'autel, à une petite profondeur, une épée marquée de cinq croix, toute couverte de rouille. La rouille céda facilement, et l'épée fut envoyée à Jeanne avec deux fourreaux magnifiques, l'un de velours vermeil, l'autre de drap d'or : elle s'en fit faire un autre de cuir fort, pour l'usage ordinaire. On lui fit en outre, d'après les indications qu'elle en donna, un étendard de linon, brodé de soie, au champ d'argent (blanc) semé de lis. On y voyait l'image de Dieu assis suries nuées du ciel, tenant le monde, et deux anges aux côtés, avec ces mots : JESUS MARIA ; et sur le revers une annonciation : la Vierge et l'ange, un lis à la main. Elle aima son épée : mais, comme elle le dit en son procès ; elle aimait quarante fois plus son étendard. Car cet étendard, bien plus que son épée, était pour elle le signe et l'instrument de la victoire. Jamais elle ne tua personne. Pour ne point s'y exposer dans la bataille, elle abordait l'ennemi l'étendard à la main.

Il n'y avait plus de temps à perdre si l'on voulait sauver Orléans. Les Anglais achevaient leurs bastilles ; ils avaient fortifié et relié par de nouveaux boulevards leurs positions à l'ouest et au nord de la place (de la fin de mars au 15 avril), et ils s'établissaient à l'est par la construction des bastilles de Saint-Loup (10 mars) et de Saint-Jean le Blanc (20 avril). Le blocus allait donc se resserrant chaque jour, et l'on devait compter de moins en moins à l'intérieur sur ces arrivages, en quelque sorte furtifs, qui, échappant à l'ennemi grâce à leur médiocrité même, renouvelaient de temps à autre les ressources des assiégés. C'était d'une tout autre sorte et dans d'autres proportions que Jeanne voulait ravitailler la place. Son concours étant enfin accepté, on prépara un grand convoi de vivres. La reine de Sicile, qui était l'âme du parti national, fut chargée d'en réunir à Blois les éléments avec le duc d'Alençon, Ambroise de Loré, et l'amiral Louis de Culan. L'argent manquait : le roi sut en trouver, cette fois ; et bientôt Jeanne vint elle-même à Blois en la compagnie de Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de France, et du sire de Gaucourt, chargés sans doute de donner les derniers ordres pour le départ. Le maréchal de Boussac et le seigneur de Rais, investis du commandement, y vinrent très-peu après, avec La Hire, Poton de Xaintrailles, et tous ceux qui devaient faire l'escorte. Jeanne n'évalue pas à moins de 10 ou 12.000 hommes le nombre de ceux qui la composaient[18].

Avant d'engager la lutte, Jeanne essaya de la prévenir, marquant du signe de la paix le premier acte de sa mission ; car sa mission c'était aussi la paix aux hommes de bonne volonté. Mais comment obtenir de la bonne volonté des Anglais ce que réclamait le droit 'de la France à être libre ? Jeanne ne s'en crut pas moins obligée à leur envoyer ce message, dont les termes ont été gardés textuellement :

Jhesus Maria.

Roi d'Angleterre, et vous duc de Bethfort qui vous dites régent le royaume de France ; Guillaume de Laponie (Pole), comte de Suffort (Suffolk), Jehan sire de Thalebot (Talbot), et vous, Thomas, sire d'Escalles (Scales), qui vous dites lieutenans dudit de Bethfort, faites raison au liai du ciel de son sang royal ; rendez à la Pucelle cy envoyée de par Dieu le roi du ciel, les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est venue de par Dieu le Roi du ciel, pour reclamer le sang royal ; elle est toute preste de faire paix, si vous lui voulez faire raison, par ainsi que France vous mettez sur (rendez) et paiez de ce que l'avez tenue. Entre vous, archers, compagnons de guerre gentils, et autres qui estes devant la bonne ville d'Orliens, allez-vous-en, de par Dieu, en vos pays, et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle qui vous ira voir brièvement à vostre bien grand dommage. Roi d'Angleterre, si ainsi ne le faites, je suis chef de guerre, et en quelque lieu que j'attaindrai vos gens en France, je les en ferai aller, veuillent ou non veuillent ; et s'ils ne veulent obéir, je les ferai tous mourir, et s'ils veulent obéir, je les prendrai à merci. Je suis cy venue de par Dieu, le roi du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France, encontre tous ceux qui voudroient porter trahison, malengin ni dommage au royaume de France. Et n'ayez point en vostre opinion, que vous ne tiendrez mie (que vous tiendrez jamais) le royaume de France de Dieu, le Roi du ciel, fils de sainte Marie ; ains le tiendra le roi Charles, vrai héritier ; car Dieu, le Roi du ciel, le veut ainsi, et lui est revelé par la Pucelle : lequel entrera à Paris à bonne compagnie. Si vous ne voulez croire les nouvelles de par Dieu de la Pucelle, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous ferrons (férirons, fapperons) dedans à horions, et si (ainsi) ferons un si gros hahaye, que encore a mil années (il y a mille ans) que en France ne fut fait si grand, ai voua ne faites raison. Et croyez fermement que le Roi du ciel trouvera (ou envoiera) plus de force à la Pucelle que vous ne lui sauriez mener de tous assauts, à elle et à ses bonnes gens d'armes ; et adonc verront lesquels auront meilleur droit, de Dieu du ciel ou de vous. Duc de Bethfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faites pas destruire. Si vous faites raison, encore pourrez venir en sa cc compagnie l'où que les François feront le plus beau fait qui oncques fut fait pour la chrestienté. Et faites réponse en la cité d'Orliens, si voulez faire paix ; et si ainsi ne le faites, de vos bien grands dommages vous souvienne brièvement.

Escrit le mardi de la semaine sainte.

De par la Pucelle.

Et dessus : Au duc de Bethfort, soi disant régent le royaume de France, ou à ses lieutenans estans devant la ville d'Orliens[19].

Cette lettre, datée du 22 mars et probablement écrite à Poitiers, ne fut sans doute adressée aux Anglais qu'après que Jeanne fut agréée de Charles VII ; peut-être seulement quand elle vint à Blois. Elle fut accueillie avec insulte. Ils ne se bornèrent point à des outrages envers la Pucelle ; ils allèrent jusqu'à une violation du droit des gens sur son messager : ils le retinrent, et ils n'attendaient pour le briller que l'avis de l'Université de Paris[20].

Jeanne n'avait donc plus de ménagements à garder envers eux. Pendant qu'on prenait les dernières dispositions pour le départ, elle s'y préparait elle-même à sa manière. Indépendamment de son propre étendard, elle avait fait faire une seconde bannière où était peinte l'image de Jésus en croix ; et chaque jour, matin et soir, des prêtres se rassemblaient alentour pour chanter les hymnes de Marie. Jeanne y venait, et elle eût voulu que tous y fussent avec elle : mais nul homme d'armes n'y était admis qu'il ne fût en état de grâce, et Jeanne les engageait à se confesser aux prêtres qui étaient là tout disposés à les entendre. Au moins voulut-elle qu'avant de partir chacun mit ordre à sa conscience. Elle leur fit oster leurs fillettes. Il n'y avait point de place pour elles dans une armée conduite par la Pucelle sous l'invocation de la Mère de Dieu[21].

La congrégation qu'elle avait formée autour de ce pieux étendard fut son avant-garde, lorsque le 28 avril elle sortit de Blois pour aller à Orléans : c'était elle qui ouvrait la marche au chant du Veni Creator. Jeanne eût voulu qu'on marchât droit sur Orléans par la rive où la ville s'élève. On passait à travers les plus fortes bastilles des Anglais ; mais on arrivait sans autre obstacle, et elle avait déclaré que les Anglais ne bougeraient pas. Toutefois les capitaines de Charles VII ne pouvaient point fonder leur plan de campagne sur cette assurance, que Talbot, Suffolk et les Anglais, maitres des positions, laisseraient passer entre leurs plains, sans tenter de le prendre, un convoi de vivres dont ils pouvaient eux-mêmes si bien faire leur profit. Ils résolurent donc de suivre la rive gauche (côté de la Sologne), laissant le fleuve entre leur troupe en marche et les principaux établissements de l'ennemi. De ce côté, en décrivant un cercle, on évitait les bastilles occupées par les Anglais aux abords du pont d'Orléans, et en passant la Loire au-dessus de leurs dernières positions, on revenait vers la ville par la rive droite, à travers une plaine moins garnie de bastilles. La marche se fit ainsi. On trompa la simple jeune fille sur la vraie position d'Orléans ; on traversa le pont de Blois, et l'on passa devant Baugency et Meun, sans que l'ennemi, qui occupait ces places, fit rien pour inquiéter le convoi. On coucha en rase campagne (Jeanne, qui ne voulut pas quitter ses armes, en fut toute meurtrie), et on gagna Olivet, derrière les bastilles anglaises de la rive gauche. Jeanne put reconnaître alors comme on s'était joué de son ignorance. Elle était devant Orléans, mais séparée de la ville par la rivière. Elle en fut vivement affectée. Elle eût voulu au moins ne s'en pas éloigner davantage, et sans prétendre forcer, dès l'arrivée, les bastilles qui défendaient l'accès du pont, elle demandait qu'on attaquât la plus occidentale et la plus isolée, celle de Saint-Jean le Blanc : les Anglais s'y attendaient si bien, qu'ils en rappelèrent la garnison aux Augustins et aux Tourelles, croyant la position trop faible pour être défendue. Mais les autres jugèrent le lieu trop rapproché de l'ennemi pour y tenter la traversée, et ils se dirigèrent vers I'Île-aux-Bourdons, devant Chécy (à deux lieues d'Orléans), où ils 'trouvaient le double avantage d'embarquer le convoi plus sûrement et de le débarquer en lieu plus commode[22].

La ville d'Orléans attendait avec anxiété l'issue de cette tentative. On ne doutait pas que les Anglais ne fissent tout pour la faire échouer. Il fut ordonné que chacun fût sous les armes, prêt à agir ; et Dunois vint, avec quelques autres, rejoindre le convoi, comme il se trouvait à la hauteur de l'église Saint-Loup, pour aviser aux meilleurs moyens de lui faire passer le fleuve et de l'introduire dans la ville. La chose n'était pas si facile encore. Il fallait des bateaux : on ne pouvait les faire venir que d'Orléans, sous le feu des bastilles ennemies, et le vent était contraire. Jeanne était moins touchée de ces difficultés que du parti qu'on avait pris d'en éviter par là de plus grandes, au risque de montrer, dès le début de l'entreprise, si peu de confiance en elle et surtout si peu de foi en Dieu.

Êtes-vous le bâtard d'Orléans ? dit-elle à Dunois quand il l'aborda.

Oui, et je me réjouis de votre venue.

Est-ce vous, reprit-elle, sans autrement répondre au compliment, qui avez donné le conseil de me faire venir ici par ce côté de la rivière, et non pas directement où étaient Talbot et les Anglais ?

Dunois répondit que lui, et de plus sages que lui, avaient donné ce conseil, croyant mieux faire et plus sûrement.

En nom Dieu, s'écria Jeanne, le conseil de Messire (Dieu) est plus sûr et plus sage que le vôtre. Vous m'avez cuidé (pensé) décevoir et vous vous êtes déçus vous-mêmes, car je vous amène le meilleur secours que eut oncques chevalier, ville ou cité ; et c'est le plaisir de Dieu et le secours du Roi des cieux : non mie pour l'amour de moi, mais il procède purement de Dieu. Lequel, à la requête de saint Louis et saint Charles le Grand, a eu pitié de la ville d'Orléans, et n'a pas voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du duc d'Orléans et sa ville[23].

En ce moment sa parole sembla se confirmer par un signe : le vent changea tout à coup ; des bateaux arrivèrent d'Orléans, et l'eau, qui était basse, parut, sous l'impulsion du vent contraire au courant, s'enfler pour en rendre plus facile l'abordage. On y plaça les chariots tout chargés et les bœufs, et on les débarqua au port de Chécy. Mais les moyens manquaient pour y transporter en même temps tous les hommes d'armes. Point d'autre passage que le pont de Blois d'où l'on venait. Plusieurs proposèrent donc de les y reconduire ; Dunois se bornait à prier Jeanne de venir avec lui dans la ville ce soir même : car Orléans eût cru ne rien avoir, recevant les vivres sans elle. Jeanne en fut très-irritée. Elle ne savait se décider ni à laisser partir les siens ni à les suivre : car elle ne venait pas seulement ravitailler Orléans, mais le sauver. Or elle avait là des hommes préparés comme elle l'avait voulu, bien confessés, pénitents, et de bonne volonté. En leur compagnie, disait-elle, je ne craindrais pas toute la puissance des Anglais ; — et elle redoutait qu'une fois partis, leur troupe ne vint à se dissoudre. Il y en avait, en effet, dit Jean Chartier, qui faisaient difficulté de mettre tant de gens en ladite ville, pour ce qu'il y avait trop peu de vivres : on eût craint sans doute à la cour d'être obligé de refaire bientôt les frais d'un nouveau convoi. Dunois, voyant qu'on ne la pouvait point avoir autrement, vint trouver les capitaines qui commandaient l'escorte, et il les supplia, au nom de l'intérêt du roi, de laisser Jeanne et de la décider à le suivre dans la ville, en lui promettant d'aller à Blois passer la Loire pour la rejoindre bientôt à Orléans. Les capitaines firent ce qu'il désirait, et Jeanne agréa leur promesse. Elle laissa à ses hommes la bannière autour de laquelle elle avait coutume de les réunir ; elle leur laissait Pasquerel son aumônier, et les prêtres qui les entretenaient dans leurs pieux exercices : et elle-même, avec Dunois, La Hire et deux cents hommes d'armes, passa le fleuve à la suite du convoi[24].

De ce côté, les Anglais n'avaient qu'une seule bastille, celle de Saint-Loup : pour leur ôter la tentation d'en sortir et d'inquiéter les arrivants, les Orléanais les y assaillirent eux-mêmes, et de telle sorte, qu'ils en rapportèrent un étendard ; mais, ce qui valait mieux, la file des chariots, grâce à la diversion, tournait la forteresse ennemie, et entrait saine et sauve dans la place, par la porte de Bourgogne. Jeanne et ses hommes d'armes étaient restés aux champs jusqu'à la fin. Pour éviter l'empressement tumultuaire de la foule, on était convenu qu'elle n'entrerait dans la ville que la nuit. Elle y entra à huit heures du soir, armée de toutes pièces et montée sur un cheval blanc. Elle s'avançait précédée de sa bannière, ayant à sa gauche Dunois, richement armé, et derrière elle plusieurs nobles seigneurs et quelques hommes de la garnison ou de la bourgeoisie d'Orléans, qui étaient venus lui faire cortège. Mais c'est en vain qu'on eût voulu exclure la foule : tout le peuple était accouru à sa rencontre, portant des torches et manifestant une aussi grande joie que s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux. Jeanne, en effet, était pour eux comme l'ange du Dieu des armées. Ils se sentoient, dit le Journal du siège, tous réconfortés et comme des assiégés par la vertu divine qu'on leur avoit dit être dans cette simple pucelle. Tous se pressaient autour d'elle, hommes, femmes et petits enfants, cherchant à la toucher, à toucher au moins son cheval (dans leur empressement, ils faillirent de leurs torches brûler sa bannière) ; et ils l'accompagnèrent ainsi, lui faisant grant chère et grant honneur, à l'église principale, où elle voulut, avant toute chose, aller rendre grâces à Dieu ; puis jusqu'auprès de la porte Regnart, en l'hôtel de Jacques Boucher, trésorier du due d'Orléans, où elle fut reçue aveu set deux frères et les deux gentilshommes qui l'avaient amenée de Vaucouleurs[25].

Jeanne avait dès ce moment changé la face des choses. Les Orléanais, d'assiégés, devenaient décidément assiégeants. Le peuple avait repris tant de confiance, qu'autrefois (c'est Dunois qui l'avance) deux cents Anglais eussent Mis en fuite plus de huit cents hommes de l'armée du roi, et maintenant quatre ou cinq cents hommes d'armes osaient braver toutes les forces anglaises.

Dès le lendemain matin, les plus impatiente, et dans le nombre Florent d'Illiers, arrivé de Châteaudun l'avant-veille avec quatre cents combattants, sortirent enseignes déployées, chargèrent les Anglais et les refoulèrent vers leur bastille voisine de Saint-Pouair, sur la route de Paris ; et déjà on ne parlait dans la ville que d'apporter de la paille et des fagota pour y mettre le feu à mais l'attaque ne fut pas soutenue. Jeanne n'avait rien su de l'entreprise ; et, si pressée qu'elle fût de combattre, on peut croire qu'elle l'eût désapprouvée car avant d'attaquer l'ennemi, elle le voulait sommer encore ; mais elle entendait qu'on ne différât pas davantage. Elle ne voulait pas même attendre sa propre troupe, qui devait passer la Loire à Blois, et se refusait à ce que Dunois l'allât chercher, aimant mieux qu'il restât pour faire immédiatement sommation, ou, en cas de refus, donner l'assaut aux Anglais. Dunois ne se refusa point à lui laisser faire telles sommations qu'il lui plairait ; mais il tint à ne point combattre avant d'avoir reçu ses moyens d'attaque ; et Jeanne dut céder à son tour. Elle écrivit donc aux Anglais dans le même sens que la première fois, réclamant le héraut qui 'leur avait porté sa lettre de Blois. Ceux qu'elle envoyait d'Orléans pouvaient bien avoir le même sort : car les Anglais ne se croyaient point tenus du droit des gens envers cette fille qu'ils réputaient pour le moins hérétique ; mais Dunois leur manda en même temps que s'ils ne les renvoyaient tous, il ferait mourir les Anglais prisonniers, et ceux qu'on avait envoyés pour traiter de la rançon des autres.

Ils cédèrent à cette menace, selon le Journal du siège ; selon d'autres témoignages qui trouvent ailleurs leur confirmation, des deux messagers ils retinrent l'un, et ne renvoyèrent l'autre que pour avoir l'occasion de publier ce que leur haine avait dès lors résolu contre la Pucelle. Ils lui mandèrent qu'ils la brûleroient et feroient ardoir ; et, mêlant l'insulte à la menace, ils ajoutaient qu'elle n'étoit qu'une ribaude et comme telle s'en retournât garder ses vaches[26].

Jeanne fut vivement émue de ces insultes grossières ; mais, au risque de les subir en face, elle voulait, avant de commencer l'attaque, adjurer, en personne, les Anglais de l'éviter en se retirant. Elle s'en alla donc au boulevard de la Belle-Croix, position avancée des Orléanais sur le pont, et de là elle somma Glansdale (Glacidas) et les soldats qui occupaient les Tourelles de se rendre de par Dieu, ne leur assurant que la vie sauve. On devine comment cette sommation fut accueillie. Glacidas et ceux de sa rote, dit le Journal, répondirent vilainement, l'injuriant et appelant vachère, comme devant, crians moult haut qu'ils la feroient ardoir (brûler) s'ils la pouvoient tenir. La Pucelle prit encore en patience leurs injures ; mais elle leur déclara qu'ils s'en iraient bientôt, et à leur chef qu'il ne le verrait pas. Sa parole s'accomplit : mais les Anglais n'en seront que plus ardents à tenir leur promesse[27].

Puisque Dunois ne voulait point combattre sans les troupes renvoyées à Blois, le plus sûr et le plus court était peut-être encore qu'il les allât chercher. Il partit donc le dimanche matin, 1er mai, avec Boussac, d'Aulon et plusieurs autres, passant fièrement sous les bastilles anglaises. La Pucelle était venue s'établir entre ces bastilles et la ville, et sa présence avait suffi pour que l'ennemi, si fort qu'il fût, ne remuât pas[28].

Rentrée en ville, elle employa les loisirs qu'on lui faisait à se mettre plus intimement en rapport avec la population, en lui communiquant, avec sa foi en Dieu, sa confiance dans la victoire, et en la préparant à braver les Anglais dans leurs forts ; si les Anglais continuaient de rester sourds à ses invitations.

Et d'abord elle voulut donner satisfaction à l'empressement populaire. Les Orléanais se portaient en tel nombre vers son hôtel, qu'ils en rompaient presque les portes. Elle parcourut à cheval les rues de la ville, et la foule était si grande sur son chemin qu'à' grand-peine pouvait-elle s'ouvrir un passage : car le peuple ne se pouvoit saouler de la voir. Tous admiraient sa bonne grâce à cheval, sa tenue militaire ; et ils sentaient qu'elle ne se trompait pas lorsque, tournant vers Dieu leur confiance, elle allait répétant sans cesse : Messire m'a envoyée pour secourir la bonne ville d'Orléans. Puis elle renouvela auprès des Anglais de la rive droite ses démarches si mal accueillies à la rive gauche. Elle vint près de la croix Morin, invitant ceux qui tenaient la bastille voisine à Se rendre, la vie sauve, et à s'en retourner en Angle. terre. Mais ils lui répondirent comme aux Tourelles par des insultes. Voulez-vous donc, s'écriait le Bagnard de Granville, que nous nous rendions à une femme ? Et il jetait à la face des Français, dont elle était suivie, des injures qui retombaient encore sur elle[29].

Le lendemain (lundi, 2 mai), elle sort à cheval et s'en vient par les champs examiner les bastilles et les positions des Anglais ; et le peuple la suivait en grande foule, prenant plaisir à la voir et à être autour d'elle, sana souci de l'ennemi : comme si avec Jeanne nul péril ne les pût atteindre. Et en effet les Anglais ne bougèrent pas ; et Jeanne, après avoir inspecté leurs fortifications tout à loisir, rentra dans la ville et vint à l'église Sainte-Croix entendre vêpres[30].

Le mardi, grande procession à laquelle elle assiste avec les capitaines, afin de tourner les cœurs, par cette manifestation publique, vers Celui de qui elle attendait son secours : car pour elle, elle ne mettait point en doute la défaite des ennemis ; et si quelque sage homme lui disait : Ma fille, ils sont forts et bien fortifiés, et sera une grande chose à les mettre hors, elle répondait : Il n'est rien d'impossible à la puissance de Dieu.

Ce jour-là on vit arriver les garnisons de Gien, de Château-Regnard, de Montargis, cette brave ville qui, après avoir vaillamment repoussé les Anglais en 1427, prêtait, à la même fin, si volontiers secours aux autres. Mais de Blois, personne encore : et cependant, si les capitaines avaient tenu leur promesse, c'est en ce jour qu'on les devait voir revenir. Enfin, le soir, on apprit qu'ils étaient en marche[31].

Ce n'était pas sans raison que Dunois avait jugé utile d'aller à leur rencontre ; car, lorsqu'il arriva, leur départ était mis en question. On délibérait devant le chancelier de France. Quelques-uns opinaient que chacun retournât en sa garnison ; c'était probablement l'avis du chancelier et de ses adhérents : car pour les capitaines, presque tous voulaient revenir à Orléans comme ils s'y étaient engagés. Dunois montra que si cette petite armée, réunie avec tant de peine et déjà réduite des deux tiers, venait à se dissoudre, c'en était fait de la ville. Il l'emporta. On résolut de revenir à Orléans avec des munitions nouvelles, et d'y revenir comme on l'avait arrêté, comme Jeanne l'avait voulu d'abord, par la Beauce (la rive droite), à travers les principales bastilles des Anglais[32].

Jeanne n'était plus parmi ces soldats que par la bannière commise à Pasquerel et aux prêtres. Mais elle devait être là quand on passerait devant l'ennemi. Le mercredi (4 mai), apprenant leur approche, elle vint au-devant d'eux jusqu'à une lieue d'Orléans, son étendard à la main, suivie de La Hire, de Florent d'Illiers et de plusieurs autres. Et tous ensemble ils repassèrent avec leur convoi devant la grande bastille des Anglais nommée Londres, processionnellement, les prêtres chantant des cantiques, sans que les Anglais, qui avaient l'avantage de la position et du nombre, fissent rien pour les arrêter. Cet ennemi, qui était le plus fort et qu'on ne pouvait point soupçonner de manquer de courage, était resté comme frappé d'impuissance devant celle que la veille encore il outrageait[33].

C'était maintenant aux Anglais de se défendre ; et ce n'était pas sans une vive sollicitude qu'ils attendaient des renforts à leur tour. La Pucelle ne les redoutait pas. Ce jour même, après le diner, Dunois l'étant venu trouver pour lui dire que Falstolf leur amenait des vivres et des hommes, et qu'il était déjà à Janville : Bastard, Bastard, s'écria Jeanne dans une saillie de joie, en nom Dieu, je te commande que tantôt (aussitôt) que tu sauras la venue dudit Falstolf, tu me le fasses savoir : car s'il passe sans que je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête. Dunois lui dit sur le même ton de ne rien craindre : qu'il le lui ferait bien savoir[34].

Ce fut pourtant sans lui rien dire que l'on commença l'attaque.

Elle s'était jetée sur un lit pour se reposer un moment des fatigues de la journée, quand tout à coup elle se leva, et réveillant d'Aulon, son écuyer, qui dormait sur un autre lit : En nom Dieu, dit-elle, mon conseil m'a dit que j'aille contre les Anglois ; mais ja ne sais si je dois aller à leurs bastilles ou contre Falstolf qui les doit ravitailler. Comme il l'armait, on entendit grand bruit : on criait dans la ville que les ennemis portaient grand dommage aux Français. Elle quitte d'Aulon, qui lui-même se revêt de ses armes, sort précipitamment de sa chambre, et rencontrant son page : Ha, sanglant garçon, s'écrie-t-elle, vous ne me disiez pas que le sang de France fût répandu ! Allez querir mon cheval. Elle achève de s'armer avec l'aide de la dame du logis et de sa fille ; puis, sautant sur le cheval que le page amenait, elle l'envoie chercher son étendard, le reçoit par la fenêtre sans lui laisser le temps de descendre, et part, courant droit par la grande rue vers la porte de Bourgogne, si vite que les étincelles jaillissaient du pavé[35].

C'est de ce côté qu'était l'action dont le bruit s'était répandu dans la ville. Après l'entrée du convoi, ceux d'Orléans qui l'avaient escorté, ayant pris leur repas à la hâte, étaient allés à l'hôtel de ville, où ils se firent donner des coulevrines, des arbalètes, des échelles, et ils étaient partis pour attaquer Saint-Loup. Mais cette bastille, qui commandait le passage de la Loire en amont et le chemin de la Bourgogne, avait été fortement mise en défense par Talbot. Il y avait là trois cents Anglais d'élite : malgré l'absence de leur capitaine, Th. Guerrard, ils résistaient avec vigueur aux assaillants, et bon nombre de blessés étaient rapportés vers la ville. Jeanne s'arrêta au premier dont elle fit la rencontre, et sachant que c'était un Français : Jamais, dit-elle, je n'ai vu sang de François que les cheveux ne me levassent en sur (sur la tête). Elle arriva devant la bastille : elle avait été rejointe par son écuyer, son page, tous ses gens ; et bientôt Dunois et plusieurs autres vinrent soutenir l'attaque si témérairement commencée. Jeanne leur ordonna d'observer l'ennemi, et d'empêcher qu'il ne vint des autres forts au secours de Saint-Loup. Elle-même, debout sur le bord du fossé, son étendard à la main, encourageait ses hommes à l'assaut. Les Anglais tinrent trois heures, forts de leur propre résolution et comptant sur le secours des autres. Talbot, en effet, donna l'ordre de sortir des retranchements pour faire diversion en menaçant la place, et ceux de Saint-Pouair, cette grande bastille que les Anglais avaient nommée Paris, plus rapprochés de la bastille attaquée, tentèrent de la dégager en prenant par derrière les assaillants. Mais par deux fois la cloche du beffroi dénonça leur entreprise, et ceux d'Orléans, sous la conduite de Boussac, de Graville et de quelques autres, sortant aussitôt de la ville au nombre de six cents, se rangèrent en bataille et les contraignirent à rétrograder. Ceux de Saint-Loup ne se laissèrent point encore abattre, et, disputant le terrain pied à pied, se retirèrent au clocher de l'église ; mais, malgré leur bravoure, ils y furent forcés et tués ou pris. Quelques gens d'Église qui étaient parmi eux, ou de soi-disant tels, vinrent sous l'habit ecclésiastique se présenter à Jeanne. Elle les reçut, empêcha qu'on ne leur fit aucun mal, et les emmena dans son hôtel. C'étaient assez de tués en cette journée. Elle pleurait sur eux, dit Pasquerel, en pensant qu'ils étaient morts sans confession[36].

Les Français trouvèrent à Saint-Loup grande quantité de vivres et d'autres biens qu'ils pillèrent, et ils mirent le feu à la bastille. Quand ils furent rentrés à Orléans, les Anglais eurent bien la pensée de reprendre la place ; mais à la vue des flammes, ils rebroussèrent chemin, la jugeant décidément perdue pour eux[37].

Ce premier succès fut célébré dans Orléans comme le premier acte de la délivrance. Jeanne, qui avait mené le peuple à la victoire, lui rappelait qui en était l'auteur. Elle répondait à l'empressement dont elle était l'objet, en menaçant ses hommes d'armes de les quitter s'ils ne se rapprochaient de Dieu par la pénitence ; elle les exhortait à lui rendre grâces, et promettait que dans cinq jours le siège serait levé et qu'il n'y aurait plus un seul Anglais devant Orléans. Le peuple la croyait. On courait aux églises, et le sen des cloches portait comme un retentissement de cette joie publique aux Anglais étonnés d'être vaincus[38].

La Pucelle ne voulait point qu'on leur laissât le temps de se raffermir. Dès le lendemain, quoique ce fût le jour de l'Ascension, elle demandait qu'on les attaquât au cœur même de leurs positions, à la bastille de Saint-Laurent. Mais les capitaines se refusèrent à ces instances, alléguant la sainteté du jour. Jeanne céda, et sut elle-même honorer la fête et y chercher de nouveaux éléments de succès, non-seulement en allant recevoir dans la communion le Pain des forts, mais en rappelant à ses compagnons les vraies conditions de la victoire promise. Depuis qu'elle était à l'armée, elle n'avait cessé de combattre en eux le désordre et le vice, comme leur plus dangereux ennemi et le plus grand obstacle à leur triomphe. Elle ordonna que personne ne sortit le lendemain pour combattre qu'il ne fût confessé, et renouvela la défense qu'aucune femme dissolue ne les suivit, parce que Dieu pourrait permettre qu'ils fussent battus à cause de leurs péchés[39].

En même temps, elle voulait offrir à l'ennemi un dernier moyen d'éviter une plus sanglante défaite. Elle lui écrivit une dernière lettre, que Pasquerel, son fidèle compagnon en toutes ces journées, reproduit en ces termes :

À vous, hommes d'Angleterre, qui n'avez aucun droit en ce royaume de France, le Roi du ciel ordonne et mande par moi que vous laissiez vos bai-tilles et vous en alliez en Notre pays, ou sinon je vous ferai un tel hahu (ou hahaye) qu'il en sera perpétuelle mémoire. Voilà ce que je vous écris pour la troisième et dernière fois, et je ne vous écrirai pas davantage. JHESUS MARIA. Jeanne la Pucelle.

Elle ajoutait après avoir signé :

Je vous aurais envoyé mes lettres plus honorablement, mais vous me retenez mes hérauts. Vous m'avez retenu mon héraut Guyenne. Renvoyez-le-moi et je vous renverrai quelques-uns de vos gens pris dans la bastille Saint-Loup ; car ils ne sont pas tous morts.

Elle prit alors une flèche, y attacha la lettre, et la fit lancer aux Anglais avec ce cri : Lisez, ce sont nouvelles. Les Anglais la relevèrent, et l'ayant lue se mirent à crier : Voilà des nouvelles de la p... des Armagnacs. Jeanne, à ces mots, soupira et répandit d'abondantes larmes, appelant à son aide le Roi du ciel. Et le Seigneur la consola[40].

Pendant que Jeanne cherchait tout à la fois à rendre la lutte décisive et à la prévenir, s'il se pouvait encore, les chefs, dans un conseil tenu chez le chancelier du duc d'Orléans, délibéraient à part sur la manière de la conduire. Jeanne avait proposé d'aller droit à la grande bastille des Anglais. Ils convinrent d'adopter son plan, lisais seulement en apparence s ils voulaient, par une fausse attaque sur la rive droite, y attirer ceux de la rive gauche, et profiter de la diversion pour enlever les bastilles de cette rive, dégarnies de leurs défenseurs. De cette sorte, ils devenaient maîtres du pont ; ils rendaient toute liberté à leurs communications avec la Sologne, et se ménageaient les moyens d'introduire dans la place de quoi soutenir un long siège : car ils n'avaient point d'autre ambition que de lasser l'ennemi.

Jeanne n'était pas de ce conseil ; et plusieurs même voulurent qu'on ne lui dit rien de l'attaque projetée contre les bastilles de la Sologne, c'est-à-dire du véritable but de la journée, de peur qu'elle n'en parlât. En effet, quand on l'appela, on ne lui fit part que du projet d'attaquer la grande bastille de la Beauce ; et l'on croyait la tromper d'autant mieux, que ce projet répondait à ses vues. Quand le chancelier lui eut fait l'exposition concertée, elle répondit, indignée de ces subterfuges :

Dites ce que vous avez conclu et appointé : Je cèlerais bien plus grande chose. Et elle allait et venait par la place, marchant à grands pas.

Jeanne, lui dit Dunois, voulant réparer l'effet de cette injurieuse maladresse, ne vous courroucez pas, on ne vous peut pas tout dire à une fois. Ce que le chancelier vous a dit a été résolu ; mais si ceux de l'autre côté se départent pour venir aider la grande bastille de par deçà nous avons résolu de passer la rivière, pour y besogner ce que nous pourrons. Et nous semble que cette conclusion est bonne et profitable.

Jeanne se calma, et répondit qu'elle était contente et que la conclusion lui semblait bonne, pourvu qu'elle fût ainsi exécutée. De quelque côté que portât le coup, elle sentait qu'il serait décisif ; mais sa défiance n'était que trop légitime : ils ne firent rien de ce qu'ils avaient résolu[41].

On se décida à se porter directement sur la rive gauche.

Les Anglais occupaient, on l'a vu, la tête du pont ou la bastille des Tourelles, et, un peu au-dessus des Tourelles, la bastille des Augustins, l'une et l'autre couvertes par leur boulevard. Ils avaient de plus, en aval du fleuve, le boulevard de Saint-Privé, qui était relié à la grande bastille de Saint-Laurent (rive droite) par un boulevard, élevé dans l'île Charlemagne ; et, en amont, la bastille de Saint-Jean le Blanc, qui était moins une forteresse qu'un poste fortifié, ou, selon l'expression du Journal, un guet pour garder ce passage, poste abandonné une première fois à l'approche de Jeanne, et occupé de nouveau après son entrée dans la ville. Ce fut par ce côté que la Pucelle et les capitaines allaient commencer leur attaque.

Il y avait là une petite île appelée depuis Île-aux-Toiles et alors île Saint-Aignan, séparée de la rive par un étroit canal. Rien ne convenait mieux pour disposer à loisir une attaque dirigée d'Orléans contre les positions des Anglais sur la rive gauche ; et les Orléanais en avaient usé plusieurs fois. Ils y passèrent cette fois encore. Deux bateaux, amenés entre l'île et la rive gauche, furent comme un pont qui mena de l'une à l'autre. Mais quand ils vinrent à Saint-Jean le Blanc, ils le trouvèrent encore abandonné. Glansdale, menacé d'une attaque sérieuse, avait jugé prudent d'en rappeler ses soldats dans les bastilles qui défendaient le pont[42].

La Pucelle vint les y attaquer aussitôt, sans même attendre que tous ses gens eussent passé de l'île sur la rive gauche, et elle planta sa bannière sur le rebord du boulevard des Augustins. Mais ses compagnons ne soutinrent pas son audace. Une terreur panique les saisit tout à coup. Le bruit se répand que les Anglais viennent en grande force du côté de Saint-Privé. On fuit, on cherche à regagner le pont de bateaux, afin de se mettre en sûreté dans l'île de la Loire ; et les Anglais, sortant de leurs bastilles, poursuivent à grands cris les fuyards, insultant de leurs grossiers propos la Pucelle qui cherchait à couvrir leur retraite. Elle se retourne alors, et leur faisant visage, si peu de monde qu'elle eût autour de soi, elle marche à eux, sa bannière déployée. Les Anglais s'effrayent, et, sans l'attendre, fuient à leur tour jusque dans leur bastille des Augustins ; mais Jeanne lés presse, et plantant de nouveau sa bannière sur le fossé du boulevard, elle rallie alentour les Français ramenés par son exemple.

A la vue des Anglais sortant de leurs bastilles, on pouvait croire que ceux de la rive droite, à l'exemple, des Français, avaient passé la Loire, et venaient, par Saint-Privé, au secours des places attaquées ; et, dans ce cas, la prudence commandait peut-être de rentrer dans la ville. Mais la Pucelle, en changeant l'aspect des choses, avait changé les résolutions des capitaines. Ils arrivaient, et ne songeaient plus qu'à forcer avec elle l'ennemi dans son refuge. Deux chevaliers qui, dans ces alternatives de retraite et d'attaque, s'étaient défiés à qui ferait le mieux son devoir, étaient déjà au pied des palissades : mais un Anglais, grand, puissant et fort, occupant à lui seul tout le passage, les tenait en échec. D'Anion le signala au fameux canonnier Jean le Lorrain, qui l'abattit d'un coup de sa coulevrine ; et les deux chevaliers, entrant dans la bastille, y furent suivis d'une foule d'assaillants. Tous les Anglais périrent ou cherchèrent un refuge derrière le. boulevard des Tourelles. La bastille contenait des vivres et du butin en abondance. Pour ôter aux vainqueurs la tentation du pillage et leur en éviter les périls, la Pucelle fit mettre le feu à la bastille, et tout fut brûlé[43].

Restaient les Tourelles : on les investit immédiatement, et l'on prépara tout pour les attaquer le lendemain.

Il y a ici, dans les témoignages contemporains, des différences qui ne laissent aucun moyen de les concilier. Perceval de Cagny et Jean Chartier disent que Jeanne passa la nuit devant la bastille des Tourelles ; le héraut Berri, la Chronique de la Pucelle et celle de la fête du 8 mai, qu'elle la passa dans Orléans. Cette même opposition se retrouve jusque dans le témoignage de ceux qui étaient là qui étaient attachés sa personne. D'Anion son écuyer dit qu'elle demeura avec les seigneurs toute icelle nuit devant les Tourelles ; L. de Contes, son page, qu'elle repassa le fleuve, et lui-même avec elle, qu'elle rentra dans Orléans et y coucha dans son hôtel avec quelques femmes, selon son habitude. Pasquerel, son confesseur, raconte ce qu'elle fit ce même soir dans Orléans, lui présent ; et ce qu'il dit est trop important pour qu'on y puisse soupçonner une erreur de mémoire ; Colette, femme de Pierre Milet, cite un trait qui se rapporte au moment où elle repartit, le samedi matin, d'Orléans, pour attaquer la bastille du Pont. Les témoignages les plus pertinents établissent donc son retour dans la ville ; et l'on peut dire que c'est l'opinion qui ale plus d'autorité dans ses histoires, puisque c'est la version de la Chronique aussi est-ce l'opinion que la plupart des écrivains modernes ont adoptée[44].

La Pucelle laissa donc, non sans appréhension pourtant ni sans regrets, ses gens devant les Tourelles, et rentra le vendredi soir dans Orléans ; — et les vraisemblances sont encore ici pour les témoignages qui nous ont paru les plus sûrs. Ce n'est pas seulement parce qu'elle s'était blessée aux chausse-trappes, ni parce qu'elle ne manquait jamais d'aller passer la nuit parmi les femmes, quand cela n'était pas impossible : c'est parce que, dans l'intérêt même du succès, il fallait qu'elle fit, non dans l'armée, mais dans la ville : car là était le plus grand péril. Les capitaines avaient accepté son concours : mais ils ne voulaient pas avoir l'air de suivre sa direction ; et plus on allait, plus ils semblaient craindre de lui laisser l'honneur de la victoire. Mais chaque fois leur opposition tournait contre eux-mêmes. La Pucelle avait toujours voulu porter le coup au cœur de la puissance anglaise. C'est contrairement à son avis qu'ils l'avaient amenée Orléans par la Sologne ; et elle leur avait bien prouvé que son avis était le meilleur, lorsque, trois jours après, elle y fit entrer un autre convoi, trois fois moins escorté, par cette route de la Beauce, à travers ces mêmes bastilles anglaises qu'ils avaient craint d'affronter d'abord, C'est contrairement à son avis, et, autant qu'il avait été en eux, à son insu, qu'ils avaient résolu d'attaquer les bastilles de la rive gauche ; et c'était elle qui avait fait réussir leur attaque au- moment même qu'ils se décidaient à l'abandonner. Après cet éclatant succès qui promettait le dégage. ment du pont pour le lendemain, ils voulurent s'arrêter encore, Le soir, quand Jeanne eut pris un peu de nourriture — contre son habitude, dit Pasquerel, elle n'avait point jeûné ce vendredi-là parce qu'elle était trop fatiguée —, un des notables chevaliers lui vint dire que les capitaines avaient tenu conseil. Il leur avait semblé, ajoutait-il, qu'ils étaient bien peu, vu le nombre des Anglais, et que Dieu leur avait déjà fait une grande grâce en leur accordant ce qu'ils avaient obtenu ; que la ville étant pleine de vivres, il leur serait facile de la bien garder en attendant le secours du roi ; et que par suite il ne paraissait pas opportun au conseil de faire sortir le lendemain les gens de guerre. Jeanne lui répondit : Vous avez été en votre conseil, et j'ai été au mien ; et croyez que le conseil de Dieu s'accomplira et tiendra ferme, et que cet autre conseil périra ; et se tournant vers son confesseur, qui le raconte : Levez-vous demain de grand matin, dit-elle, et vous ferez plus qu'aujourd'hui. Tenez-vous toujours auprès de moi ; car demain j'aurai beaucoup à faire, et plus que je n'ai jamais eu : demain le sang coulera de mon corps au-dessus du sein[45].

Ce qui peut expliquer jusqu'à un certain point, sinon excuser entièrement l'étrange résolution des capitaines, c'est que les Anglais, après la prise des Augustins et l'investissement des Tourelles, avaient rappelé sur la rive droite, dans leur bastille de Saint-Laurent, les hommes qui occupaient, sur l'autre rive, le boulevard de Saint-Privé. Ils renonçaient donc à aller directement au secours des Tourelles : mais ne se réservaient-ils point de tenter une forte attaque contre la ville elle-même ? et dans ce cas n'était-il pas prudent de les observer et d'attendre ? La Pucelle ne le crut point, non plus que les habitants de la ville même. Jeanne pensait à ces braves gens qu'elle avait laissés devant les Tourelles, exposés, sans elle, aux sorties des Anglais ; quant aux habitants d'Orléans, ils passèrent cette nuit à leur envoyer des vivres et des munitions, et à préparer tous les engins qui pouvaient servir à désarmer le boulevard ennemi de ses défenses et à en rendre l'accès plus praticable aux assaillants[46].

Le lendemain, de grand matin, Pasquerel dit la messe, et Jeanne partit pour l'assaut. Au moment du départ, son hôte voulait la retenir pour manger d'une alose qu'on venait de lui apporter. Gardez-la jusqu'au soir, dit-elle dans une saillie de bonne humeur, et je vous amènerai un godon (on reconnaît le sobriquet populaire) qui en mangera sa part ; et elle promettait de repasser par-dessus le pont. Mais les capitaines persistaient dans leur opposition à l'entreprise, et ils avaient donné ordre au gouverneur d'Orléans, Gaucourt, de garder les portes pour empêcher qu'on ne sortit. Jeanne le trouvant devant elle comme elle voulait passer : Vous êtes un méchant homme, dit-elle ; et qu'il vous plaise ou non, les gens d'armes viendront et gagneront comme ils ont gagné. Gaucourt aurait vainement essayé de résister à ceux qui suivaient Jeanne, et il ne s'était déjà que trop mis en péril. Jeanne fit ouvrir la porte de Bourgogne et une petite porte, près de la grosse tour ; qui donnait directement sur la Loire, et, passant le fleuve, elle alla rejoindre avec ces nouveaux combattants ceux qu'elle avait laissés devant le fort ennemi[47].

Les capitaines, même ceux qui l'avaient voulu arrêter, la suivirent : jaloux de vaincre sans elle, ils ne nsouciaient guère qu'elle triomphât sans eux. Avec Dunois et La Hire, qui paraissent toujours plus prêts à la seconder, on compta bientôt devant lés Tourelles, liais, Graville, Poton de Xaintrailles, Thibaut d'Armagnac, seigneur de Termes, Louis de Culan et Gaucourt lui-même. La lutte s'engagea dès 6 ou 7 heures du matin. Anglais et français rivalisaient d'ardeur. Ceux d'Orléans voyaient dans la victoire le gage de leur délivrance ; ceux de la bastille combattaient pour leur vie et pour leur liberté : car ils n'avaient point de refuge. Les Français descendaient dans les fossés du boulevard, et sous le feu des canons ou les traits des arbalètes, ils cherchaient à gravir l'escarpement avec une telle vaillance, qu'il sembloit à leur hardi maintien qu'ils cuidassent être immortels ; mais lorsqu'ils touchaient au sommet, ils trouvaient l'ennemi armé de haches, de lances et de maillets de plomb ; ils ne cédaient qu'accablés par le nombre dans des combats corps à corps. Ces assauts, toujours repoussés, recommençaient toujours ; la Pucelle était là soutenant les courages et disant : Ne vous doubtez (ne craignez pas), la place est vôtre. L'attaque se prolongeait sans résultat, lorsque, vers une heure après midi, elle descendit dans le fossé et dressa une échelle contre le parapet : au même instant, elle fut atteinte entre l'épaule et la gorge d'un trait d'arbalète qui la perça de part en part. Se sentant blessée, elle eut peur et pleura. Que craignait-elle, et pourquoi pleurer ? N'était-elle plus sûre de la victoire, ou craignait-elle de mourir ? Non, car elle avait prédit qu'elle serait blessée et qu'elle en guérirait. Ce faite tout merveilleux qu'il soit, est mis bers de doute par les témoignages les plus irrécusables. Ce n'est pas seulement Jeanne dans le procès de Rouen, ce ne sent pas seulement les témoins du procès de réhabilitation qui le constatent : c'est lite pièce écrite après qu'elle eut prédit sa blessure et avant qu'elle Petit reçue. Cet accident courir-niait donc sa parole ; mais la femme demeurait dans l'héroïne et dans la sainte : elle eut peur et pleura. Cependant elle l'ut consolée, comme elle disait. Elle arracha le fer delà plaie, et comme plusieurs hommes de guerre lui proposaient de charmer la blessure, elle s'y refusa, disant : J'aimerais mieux mourir que de rien faire que je susse être péché ou contre la volonté de Dieu ; mais elle ne refusait pas qu'on entreprît de la guérir, si l'on y pouvait appliquer quelque remède permis On lui mit une compresse d'huile d'olive ; après quoi elle se confessa, versant des larmes[48].

Cette longue résistance des Anglais et l'accident de Jeanne avait découragé les assaillants. Les chefs la vinrent trouver, et tout en lui exprimant leur peine de la voir blessée, ils lui dirent qu'il valait mieux laisser l'assaut jusqu'au lendemain. Elle ne répondit à ces ouvertures que par les plus nobles paroles, les exhortant à ne pas faiblir ; mais fort peu touchés de ce langage, ils suspendirent l'assaut, et se retirèrent à distance, songeant à ramener dans Orléans et leurs troupes et leur artillerie : car elles n'eussent plus été fort en sûreté, même pour une nuit, de ce côté de la Loire, après un échec avoué. Jeanne, malgré ses souffrances, vint alors elle-même trouver Dunois, et le supplia d'attendre un peu encore : En nom Dieu, disait-elle, vous entrerez bien brief (bientôt) dedans, n'ayez doute, et les Anglois n'auront plus de force sur vous. C'est pourquoi reposez-vous un peu, buvez et mangez. Ils le firent, car sa parole avait un accent qui les subjuguait ; et alors : Maintenant, dit-elle, retournez de par Dieu à l'assaut derechef : car sans nulle faute, les Anglais n'auront plus la force de se défendre, et seront prises les Tourelles et leurs boulevards.

L'attaque recommença, ou plutôt reprit avec une ardeur nouvelle, car elle n'avait jamais été entièrement suspendue. Jeanne demanda son cheval, et laissant son étendard à d'Aulon, son écuyer, s'en vint à l'écart dans une vigne voisine, pour faire à Dieu son oraison : mais elle reparut bientôt, et prenant elle-même sa bannière, elle dit à un gentilhomme qui était auprès d'elle : Donnez-vous garde (regardez) quand la queue de mon étendard touchera contre le boulevard. Un peu après il lui dit : Jeanne, la queue y touche ! Elle s'écria : Tout est vôtre et y entrez[49].

A sa voix, ils reviennent à l'assaut. Et oncques, dit un contemporain, on ne vit grouée d'oisillons eux parquer sur un buisson comme chacun monta contre ledit boulevard. En même temps ceux d'Orléans venaient, du boulevard de la Belle-Croix, attaquer, par le pont, les Tourelles. De ce côté, les Anglais. étaient séparés des assaillants par plusieurs arches qu'ils avaient rompues ; mais les Orléanais, apportant avec eux des échelles, de vieilles gouttières, se mirent en devoir de les jeter d'un pilier à l'autre ; et comme la plus longue de ces gouttières était encore trop courte de trois pieds, ils la rajustèrent, l'étayèrent comme ils purent. C'est sur ce pont de nouvelle sorte qu'un chevalier de Rhodes, le commandeur Nicole de Giresme, s'aventura le premier tout armé. Les Anglais étaient donc assaillis des deux côtés à la fois ; mais ce qui les terrifiait, c'était de voir, présidant à l'assaut sur la rive gauche, cette femme qu'ils se flattaient d'avoir tuée. L'étonnement paralysa leurs forces : comme Jeanne l'avait annoncé, ils ne firent presque plus de résistance. Ils cherchaient à fuir du boulevard dans les Tourelles, par le pont jeté entre les deux places ; mais, là aussi, ils se trouvaient prévenus par l'intrépide activité de ceux d'Orléans. Pendant que l'attaque se poussait sur les deux côtés, contre la bastille et contre le boulevard, un bateau chargé de matières combustibles fut amarré sous le pont qui joignait l'une à l'autre ; et quand les Anglais, forcés dans le boulevard, voulurent se retrancher dans les Tourelles, le pont, attaqué par les flammes, céda, et presque tous furent précipités dans les flots. La Pucelle eût voulu les sauver : Glacidas ! Glacidas ! criait-elle à leur chef, rends-ti, rends-ti (rends-toi) au Roi du ciel... Tu m'as appelée p... ; j'ai grand'pitié de vos âmes ! Mais Glansdale fut entrainé avec les autres, et la Pucelle ne put voir sans verser des larmes cette fin misérable de tant de braves gens. Il ne resta sur la rive gauche aucun Anglais qui ne fût tué ou pris[50].

Il était soir quand les Tourelles furent occupées. La Pucelle y demeura une partie de la nuit, afin de voir si les Anglais de Saint-Laurent ne tenteraient rien polir venger leurs compagnons et regagner la position perdue ; mais ils n'en avouent nul vouloir. La Pucelle rentra donc dans Orléans. En moins de trois heures, les Orléanais avaient su rendre le pont praticable, si bien que Jeanne put, comme elle l'avait dit, le repasser pour rentrer dans la ville. Et Dieu sait, dit Perceval de Cagny, à quelle joie elle et ses gens y furent reçus. On la débarrassa de ses armes ; on mit un nouvel appareil sur sa blessure. Elle prit un peu de pain trempé dans du vin mélangé d'eau ; et alla se reposer[51].

Tandis que les cloches d'Orléans saluaient cette nouvelle victoire, les Anglais qui, pendant ces deux jours, n'avaient rien fait pour la prévenir, ne songeaient plus qu'à la rendre définitive en se retirant. C'était bien se déclarer vaincus par celle qu'ils avaient accueillie de tant d'outrages. La terreur seule qu'elle avait inspirée peut expliquer cette impuissance et cette résolution parmi des hommes qui, depuis si longtemps, avaient pris l'habitude de vaincre les Français. Le dimanche donc, de grand matin, ils sortirent de leurs bastilles ; mais en capitaine consommé, Talbot comprit que, s'il laissait voir de la peur, sa retraite deviendrait une déroute. Bien loin de fuir, il rangea son armée devant la ville, comme pour offrir la bataille aux Français. Les Français sortirent aussitôt et se disposèrent en ordonnance de combat, sous les bannières de leurs capitaines. La Pucelle était sortie avec les autres, revêtue d'une simple cotte de mailles. Mais cette fois les Français, impatients de combattre, attendirent vainement qu'elle leur en donnât le signal. C'était dimanche. Elle défendit de commencer la bataille, disant que c'était la volonté de Dieu qu'on les laissât s'ils s'en voulaient aller ; mais que, s'ils attaquaient, on aurait la victoire. En attendant, elle voulut d'abord qu'on dit la messe ; elle fit dresser un autel, et deux messes furent célébrées en présence de l'armée. La cérémonie achevée : Or, regardez, dit-elle, si les Anglois ont le visage tourné devers vous ou le dos. On lui répondit qu'ils se tournaient vers Meun : En nom Dieu, ils s'en vont, laissez-les aller ; il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui : vous les aurez une autre fois[52].

Les Anglais, après être restés en ligne une heure entière, s'étaient retirés en bon ordre, brûlant leurs bastilles et emmenant leurs prisonniers : mais ils ne se retiraient point si librement, qu'ils ne dussent laisser derrière eux une partie de leur artillerie et de leurs approvisionnements, et même, selon la Chronique, leurs malades ; et les hommes d'armes n'obéirent point si complètement à la Pucelle, qu'ils ne s'en allassent avec La Hire faire quelques escarmouches et gagner du butin sur les derrières de l'ennemi[53].

Parmi les prisonniers que les Anglais voulaient emmener avec eux était un Français, nommé Le Bourg du Bar, pris comme il voulait aller d'Orléans rejoindre Dunois près du comte de Clermont, la veille de la bataille de Rouvray. Talbot tenait beaucoup à son captif. Il le gardait enferré par les pieds d'une paire de fers si pesants qu'il pouvait marcher à peine ; et il avait commis la charge de le voir et de lui donner de la nourriture à un augustin anglais, son propre confesseur. C'est aussi à lui qu'il avait laissé le soin de l'emmener dans la retraite. Le chevalier s'en allait ainsi au bras du moine, marchant le pas et demeurant fort en arrière des autres, en raison des fers qu'il avait aux pieds. Quand il les vit à une distance suffisante, il s'arrêta et dit au moine qu'il n'irait pas plus avant. Il fit plus : il le contraignit, enferré comme il était, à le ramener à Orléans sur ses épaules, et il fit ainsi son entrée dans la ville, pouvant compter pour sa part de butin sa propre rançon dont il se libérait, grâce au concours forcé du moine son conducteur[54].

Pendant que les Anglais se retiraient vers Meun et Baugency, les habitants d'Orléans couraient aux bastilles qui depuis si longtemps les tenaient emprisonnés : ils les démolirent et en rapportèrent en triomphe les canons, bombardes et approvisionnements de toute sorte que l'assiégeant y avait dû laisser. Puis, guidés encore par Jeanne d'Arc, ils allèrent d'église en église rendre grâces à Celui qui leur avait donné la victoire, improvisant dans la joie du triomphe cette procession dont l'évêque d'Orléans institua peu après la solennité, et qui s'est perpétuée d'âge en âge sous l'invocation de la Pucelle : témoignage durable de la vénération de la France pour la sainte fille qui, en un jour de péril, sauva la patrie.

Mais la Pucelle n'était encore qu'aux débuts de sa mission. Elle avait hâte de la mener à son terme. Le lendemain donc elle se déroba à l'enthousiasme des Orléanais et aux fêtes de la victoire pour se rendre à la cour de Charles VII, où elle allait avoir d'autres ennemis à vaincre, d'autres obstacles à surmonter[55].

 

 

 



[1] Chron. de la Pucelle, ch. XLII, et Journal du siège, Procès, t. IV, p. 207 et 126 ; et les témoignages de Jean de Metz et de Bertrand de Poulengy, ses compagnons, t. II, p. 437 et 456.

[2] Ipsa puella jacebat juxta eumdem testem, suo gippone et caligis vaginatis induta... induta suo lodice et caligis suis, etc.. (Les mêmes, et H. Lemaistre et M. La Touroulde, t. III, p. 198 et 87.)

[3] À Gien : Procès, t. III, p. 3 (Dunois) et 21 (G. de Ricarville) ; — à Fierbois : t. I, p. 56 et 75.

[4] Détresse du roi : t. III p. 85 (M. La Touroulde) ; t. V, p. 339 (le religieux de Dumferling). — Embuscade : t. III, p. 203 (Seguin.)

[5] Difficultés à l'admission de Jeanne : t. II, p. 115 (Sim. Charles) ; cf. ibid., p. 4 (Dunois) ; p. 81 (Barbin) ; t. V, p. 118 (lettre de Perceval de Boulainvilliers, 21 juin 1422).

La députation d'Orléans : t. III, p. 3 (Dunois) ; — les compagnons de Jeanne au conseil : Chron. de. la Pucelle, ch. XLII, et Journal du siège, t. IV, p. 207 et 127.

[6] Présentation : III, p. 4 (Dunois) ; p. 16 (Gaucourt) ; cum magna humilitate et simplicitate, Procès, t. IV, p. 52 (J. Chartier) ; ibid., p. 306 (Thomassin) ; il décrit son costume.

Le roi distingué par la Pucelle : t. III, p. 116 (Simon Charles) ; p. 192 (Jean Moreau) ; J. Chartier, l. l., et Chron. de la Pucelle, ibid., t. IV, p. 207.

Déclaration de Jeanne : Chron. de la Pucelle, ibid. ; Journal du siège, ibid. ; Chartier, ibid., p. 53, cf. t. III, p. 17 (Gaucourt) ; p. 103 (Pasquerel, ses aumônier).

[7] Le duc d'Alençon : t. III, 91-92 (Alençon), cf., ibid., p. 103 (Pasquerel).

[8] L'insulteur : Esse pas là la Pucelle ? negando Deum quod si haberet eam nocte, quod ipsam non redderet puellam, ibid., p. 102 (Pasquerel).

[9] L'hôte de la Pucelle : ibid., p. 17 (Gaucourt). — Enquête dans son pays : Audivit dici quod fuerunt Fratres Minores in dicta villa ad faciendum informationes, t. II, p. 397 (Beatrix Estellin) ; cf. p. 394 (Dom. Jacob) et t. III, p. 83 (Barbin) : Et misit etiam, ut audivit, in loco nativitatis ipsius Johannæ ad sciendum unde erat.

Examens divers, etc. : Chron. de la Pucelle, ch. XLII, t. IV, p. 208 ; t. III, p. 92 (Alençon) ; ibid., p. 66 (L. de Contes, son page) : Et ipse loquens pluries eamdem Johannam vidit ire et redire versus regem, et fuit assignatum eidem Johannæ hospitium in quadam turri castri du Couldray.... Per plures dies veniebant homines magni statua locutum cum eadem Johanna. Multotiens vidit eamdem Johannam genibus flexis, ut sibi videbatur, orantem ; non tamen potuit percipere quid dicebat, licet aliquando fleret.

[10] Chron. de la Pucelle, ch. XLII. Procès, t. IV, p. 208 ; Journal du siège, ibid., p. 128 ; Alain Chartier, Lettre à un prince étranger, ibid., t. V, p. 133 ; d'Aulon, ibid., t. III, p. 209, p. 116 (Sim. Charles), cf. Th. Basin ; Hist. de Ch. VII, liv. II, ch. X. Il allègue le témoignage de Dunois.

[11] Le signe du roi : t. I, p. 75 et 93. Voir sur les réponses de Jeanne à cet égard ce que nous en dirons au procès. M. Michelet dit : qu'il semble résulter des réponses, du reste fort obscures, de la Pucelle à ses juges, que cette cour astucieuse abusa de sa simplicité, et que pour la confirmer dans ses visions on fit jouer devant elle une sorte de mystère où un ange apportait une couronne (Hist. de France, t. V, p. 65.). Mais cela n'est d'accord ni avec le caractère de Jeanne, ni avec la politique de la cour. Loin qu'on cherchât à abuser la Pucelle, en cette matière, il fallut, on le verra, toute la constance et la force de sa conviction pour qu'on cédât à son entraînement.

Parole de Jeanne : Et his auditis rex dixit adstantibus quod ipsa Johanna aligna secreta sibi dixerat que nullus sciebat aut scire poterat, nisi Deus. T. III, p. 103 (Pasquerel). — Pierre Sala : Procès, t. IV, p. 270-280 ; cf. l'Abréviateur du Procès, ibid., p. 258, et le Miroir des femmes vertueuses, ibid., p. 271 ; L'Averdy, Notices des Manuscrits, t. III, p. 307 ; Lebrun des Charmettes, Hist. de J. d'Arc, t. I, p. 379, et M. J. Quicherat, Aperçus Nouveaux, p.62 et suiv.

[12] Envoi à Poitiers : t. IV, p. 209 (Chron.).

[13] L'hôte de Poitiers : En l'hostel d'un nommé maître Jean Rabateau qui avoit espousé une bonne femme. T. IV, p. 209 (Chron.) ; cf. t. III, p. 74 (G. Thibault) et p. 82 (Barbin). — Le conseil à Poitiers : ibid., p. 203 (Seguin). — Les examinateurs de Poitiers : Il faut joindre à ceux que nous avons nommés, Jordan Morin, député du duc d'Alençon, Jean Lombard, professeur de théologie à l'Université de Paris, Guillaume Lemaire ou Lemarié, chanoine de Poitiers, Guillaume Aymeri, professeur de théologie de l'ordre des frères Prêcheurs, frère Pierre Turelure, autre dominicain, maître Jacques Maledon, Mathieu Ménage, ibid., p. 19 (Fr. Garivel) ; p. 74 (Gob. Thibault) ; p. 92 (Alençon) ; p. 203 (Seguin).

[14] Interrogatoire : Chronique, et Seguin, l. l. — Le signe : t. III, p. 20 (Garivel) et p. 17 (Gaucourt) : Ipsa respondit quod signum quod ostenderet eis esset de levatione obsidionis et succursu villæ Aurelianensis.

[15] Durée de l'examen : Qui pluribus ut iteratis vicibus et quasi spatio trium septimanarum examinaverunt dictam Johannam. T. III, p. 19 (Garivel) ; cf. p. 17 (Gaucourt) : Spatio et tempore trium septimanarum et amplius, tam Pictavis quam Caynone. Dans le résumé des conclusions de Poitiers, il est dit que le roi a fait garder et observer Jeanne depuis six semaines (t. III, p. 392.) — Gob. Thibault. Venit eis, obviam et percussit loquentem super spatulam, eidem loquenti dicendo quod bene vallet habere plures homines voluntatia loquentis.... Ego nescio nec A nec B, etc. T. III, p. 74.

[16] Surveillance exercée sur Jeanne : t. III, p. 20 (Seguin). Il y a ès livres de N. S. etc. : t. III, p. 86 (Marg. de La Touroulde.) — La prophétie de Jeanne : Audivit dici dicto defuncto domini confessori, quod viderat in scriptis, quod debebat venire quædam puella, quæ debebat juvare regem Franciæ... Quod ipsi credebant eam esse de qua prophetia loquebater. T. III, p. 75 (G. Thibault). — Sur la prophétie de Merlin, Christine de Pisan, vers achevés le 31 juillet 1429, Procès, t. V, p. 12. Cf. la déposition de P. Miget, t. III, p. 133 ; Thomassin, t. IV, p. 305, et Walter Bower, ibid., p. 480 ; — combien le passage des prophéties de Merlin se rapporte peu à Jeanne : M. J. Quicherat, t. III, p. 340 et 341 (notes).

[17] Conclusions des docteurs : Voy. le résumé qu'on en a : Procès, t. III, p. 391, et ce qu'en dit M. J. Quicherat, t. V, p. 472. — Quod attenta necessitate eminenti et periculo in quo erat villa Aurelianensis, rex poterat de ea se juvare. Procès, t. III, p. 205 (Seguin) ; cf. ibid, p. 93 (Alençon), p. 102 (Pasquerel), et p. 209 (d'Aulon).

Visite de matrones : d'Anion, ibid. ; cf. Pasquerel, ibid., et la Lettre de Perceval de Boulainvilliers, t. V, p. 119.

[18] Situation d'Orléans : Voy. ci-dessus, et le Journal du siège. — Convoi préparé à Blois : Le duc d'Alençon, t. III, p. 93 (Alençon) ; p. 4 (Dunois) ; p. 18 (Gaucourt) ; p. 78 (S. Beaucroix) ; p. 67 (L. de Contes) : Et stetit ibi Johanna cum armatis in dicta villa Blesensi per aliqua tempora, de quibus non recordatur. Pasquerel dit qu'elle y resta deux ou trois jours (ibid., p. 104). — Cf. la Chronique, ch. XLIII ; Procès, t. IV, p. 214, 215. Cagny, ibid., p. 5. — Force de l'escorte : Interrogata qualem comitivam tradidit sibi rex suus, quando posuit eam in opus : respondit quod tradidit X vel XII millia hominum. T. I, p. 78. Monstrelet porte à sept mille ceux qui vinrent à Orléans avec Jeanne (II, 59).

[19] Lettre de la Pucelle : Voy. entre autres transcriptions de cette lettre, Procès, t. V, p. 96. Nous n'avons fait qu'en modifier l'orthographe. — Oportebat primitus quod ipsa summaret et scriberet Anglicis. T. III, p. 20 (Garivel). Le Journal du siège (t. III, p. 140) et la Chronique de la Pucelle (ibid., p. 215) disent que cette lettre, dont ils reproduisent la date, fut envoyée de Blois, d'où Jeanne s'apprêtait à mener le convoi de vivres à Orléans ; mais ils font commencer six semaines trop tôt l'expédition de la Pucelle.

[20] Les Anglais : L'appelant ribaulde, vachière, la menaschant de la faire brûler. Journal du siège, t. IV, p. 141 ; cf. p. 150 ; Chron., p. 220 : et les vouloient faire ardoir. Berri, ibid., p. 42 : Lesdits Anglois prindrent ledit hérault et jugèrent qu'il seroit ars, et firent faire l'attache pour le ardoir. Et toutes voies avant qu'ils eussent l'opinion et conseil de l'Université de Paris et de ceulx tenus de ce faire, etc.

[21] La bannière : Dixit loquenti quatenus faceret fieri unum vexillum pro congregandis presbyteris, gallice une bannière, et quod in eodem vexillo faceret depingi imaginem Domini nostri crucifixi. T. III, p. 104 (Pasquerel). Voy. sur cette seconde bannière l'appendice IV, ci-dessus.

Les chants autour de la bannière, etc. : t. III, p. 104 (Pasquerel) ; p. 78 (Beaucroix) ; t. IV, p. 217 (Chron., ch. XLIV).

[22] Départ de Blois, le 28 avril : Eberhard de Windecken. (Procès, t. IV, p. 490.) Le Journal du siège (t. IV, p. 150) semble aussi rapporter le départ à cette date. De plus, d'accord en cela avec la Chronique (ibid., p. 217), il fixe l'entrée dans Orléans au 29 au soir ; J. Chartier (ibid., p. 54) dit qu'on ne passa qu'une nuit en route ; et on peut entendre dans le même sens Louis de Contes, qui, à propos de la blessure de Jeanne, parle de la nuit du voyage. Multum fuit læsa.... quia ipsa cubuit cum armis in nocte sui recessus a villa Blesensi. (T. III, p. 66.) Ces témoignages, par leur accord, doivent l'emporter sur celui de Pasquerel qui compte deux nuits (ibid., p. 105).

La Bastille Saint-Jean le Blanc évacuée : t. IV, p. 217 (Chron., ch. XLIV), et p. 54 (Chartier). Et erat ipsa Johanna pro tunc intentionis quod gentes armorum deberent ire de directo apud fortalitium seu Bastildam Saucti Joannis Albi ; quod non fecerunt, imo iverunt inter [civitatem] Aurelianensem et Jargeau. T. III, p. 78 (Beaucroix). Et vindrent par la Sauloigne et passèrent par Olivet ou près, et arrivèrent jusques à l'Isle-aux-Bourdons qui est devant Checi. T. V, p. 290. (Chron. de l'établ. de la fête du 8 mai. L'auteur parait avoir été contemporain. Voy. M. Quicherat, ibid.) Cf. t. IV p. 150 (Journal du siège).

[23] Le Bastard d'Orléans et la Pucelle : t. III, p. 5 (Dunois), et t. IV, p. 218 (Chron. de la Pucelle). Lebrun des Charmettes (t. II, p. 10) montre très-bien que la Pucelle avait raison.

[24] Passage de la Loire : Et saichant ceux d'Orléans que elle venoit, furent très-joyeulx et firent babiller challans à puissance ; et estoit lors la rivière à plain chantier ; et aussi le vent qui estoit contraire se tourna d'aval, et tellement, que un chalen menoit deux, ou trois chalens, qui estoit chose merveilleuse, et falloit dire que ce fust miracle de Dieu. (Chron. de l'établissement de la fête, ibid.) Erat tunc riparia ita modica quod naves ascendere non poterant, nec venire usque ad ripam ubi erant Anglici, et quasi subito crevit aqua, ita quod naves applicuerunt versus armatos. T. III, p. 105 (Pasquerel ; cf. ibid., p. 7 (Dunois) ; p. 18 (Gaucourt), et t. IV, p. 218 (Chron.).

On a vu les textes qui marquent en face de Chécy le lieu où passa le convoi de vivres amené par Jeanne d'Arc ; et M. Jollois établit qu'il n'avait pas pu se faire ailleurs ni autrement (Hist. du siège d'Orléans, p. 72-74) ; mais d'autre part tous les témoignages s'accordent à dire que Dunois la rejoignit plus tôt : Du côté de Saint-Jean le Blanc, t. III, p. 119 (Th. de Termes) ; à un quart de lieue, ibid., p. 210 (d'Anion) ; à la vue des Anglais, ibid., p. 105 (Pasquerel). Dunois lui-même semble indiquer le point opposé à l'église Saint-Loup. Usque juxta ecclesiam que dicitur Sanct Lupi. (T. III, p. 5.) La Chronique de la Pucelle (t. IV, p. 218) fait arriver Dunois avec les bateaux près de Saint-Jean le Blanc.

Retour de l'armée par Blois : Et quia gentes armorum transire non poterant ultra fluvium Ligeris, aliqui dixerunt quod oportebat reverti et ire transitum fluvium Ligeris in villa Blesensi, quia non erat pars propior in obedientia regis, ex quo multum fuit indignata ipsa Johanna, timens ne recedere vellent et quod opus remaneret imperfectum. Nec voluit ipsa Johanna ire cum aliis transitum apud villam Blesensem, sed transivit ipsa Johanna cum ducentis lanceis vel circiter per ripariam in navibus.... et intraverunt villam Aurelianensem per terram. T. III, p. 78 (Beaucroix). De qua re fecit difficultatem, dicens quod nolebat dimittere gentem suam seu armatos homines qui erant bene confessi, pœnitentes et bonæ voluntatis, etc. T. IV, p. 5 (Dunois), et t. III, p. 219 (Chronique) ; J. Chartier, t. IV, p. 54. — Et ipse loquens de jussu dictæ Johannæ, cum presbyteris et vexillo reversus est apud villam Blesensem. T. III, p. 105 (Pasquerel).

[25] Entrée dans Orléans : Journal du siège. Procès, t. IV, p. 151-153 ; cf. ibid., p. 220 (Chronique), et t. III, p. 68 (L. de Contes). Recepta fuit cum tanto gaudio et applausu ab omnibus utriusque sexus, parvis et magnis, ne si fuisset angelus Dei. T. III, p. 24 (Luillier). — Quod vidit ipsam Johannam quando primo intravit villam Aurelianensem, quod ante omnia voluit ire ad majorem ecclesiam ad exhibendam reverentiam Deo creatori suo. T. p. 26. (J. L'Esbahy, bourgeois d'Orléans.)

Le Journal du siège (t. IV, p. 126) et le greffier de l'hôtel de ville d'Albi (t. IV, p. 300) disent que Jeanne vint trouver le roi, accompagnée de ses deux frères (Pierre et Jean). Il ne semble pas, d'après les dépositions des témoins de Vaucouleurs, qu'ils soient partis avec elle de cette ville ; mais il est possible qu'ils l'aient rejointe avant son arrivée à Chinon. Tous les deux étaient avec elle à Orléans. Le Journal du siège les y mentionne (t. IV, p. 153), et les comptes d'Orléans, qui se rapportent au temps du siège comprennent plusieurs sommes dépensées, soit en don envers eux, soit en payement des choses qui leur ont été fournies. Jean y figure nommément pour une somme de 40 l. p. (environ 283 fr.) qui lui est allouée afin de lui aider à vivre et à soutenir son état (t. V, p. 260) ; de son côté, Pierre obtint plus tard (28 juillet 1443) du duc d'Orléans la donation de l'Île-aux-Bœufs (île de la Loire, aujourd'hui disparue, en face de Chécy), en récompense de ses services, notamment au siège d'Orléans (t. V, p. 212). Il ne parait donc pas qu'on les doive séparer comme le fait Lebrun des Charmettes, à cause du témoignage de Pasquerel qui mentionne un frère (le mot mater du texte doit se lire frater : t. III, p. 101), et de la lettre de Gui de Laval (8 juin), où il est aussi question d'un frère venu depuis huit jours et qui part avec la Pucelle pour Jargeau (t. V, p. 108). Son arrivée près d'elle pour cette nouvelle campagne n'implique pas qu'il n'ait pas été avec elle à Orléans.

[26] Confiance des Orléanais : t. III, p. 8 (Dunois), et t. IV, p. 221 (Chron.). — Journée du samedi 30 avril. Florent d'Illiers : t. IV, p. 150 et 154 (Journal). — Empressement de Jeanne à combattre : t. III, p. 7 (Dunois), et p. 68 (L. de Contes). Plusieurs des historiens de Jeanne d'Arc font intervenir dans le conseil de guerre un sire de Gamache, qui traite la Pucelle de haut, et qui paraîtra encore comme l'homme important dans plusieurs épisodes du siège. M. J. Quicherat a débarrassé la scène de ce personnage, en montrant que son histoire, écrite à la plus grande gloire des Gamaches, datait du siècle dernier, et devait avoir pour auteur l'éditeur (t. IV, p. 358).

Les hérauts : Comparez à ce que dit le Journal (t. IV, p. 154) le témoignage de Jacques L'Esbahy (t. III, p. 27). La Chronique reproduit l'une et l'autre version (t. IV, p. 220). La lettre de Jeanne selon Pasquerel (t. III, p. 108), rapportée plus bas, appuie la seconde.

[27] Sommations et réponses : t. IV, p. 155 (Journal) ; t. V, p. 290 (Fête du 8 mai) ; t. IV, p. 463 (Bourgeois de Paris).

[28] Dunois à Blois : t. III, p. 78 (Beaucroix) ; p. 211 (d'Aulon) ; t. IV, p. 158 (Journal).

[29] Empressement du peuple vers Jeanne : Journal, ibid. — Sa mission : t. III, p. 124 (Colette, femme de P. Milet). — Nouvelle sommation : Journal, ibid., et t. III, p. 68. (L. de Contes.)

[30] Lundi, 2 mai : Journal, l. l.

[31] La Procession : Pour ceulx qui portèrent les torches de la Ville à la procession ou 3e de may derrenier, présens Jehanne la Pucelle et autres chiefs de guerre, pour implorer Nostre Seigneur pour la délivrance de la dicte ville d'Orléans ; pour ce 2 s. p. T. V, p. 259. (Extrait des comptes.) — Les paroles de Jeanne : t. V, p. 291 (Chron. de la fête du 8 mai). — Les garnisons de Montargis, etc. : t. IV, p. 222 (Chron. de la Pucelle).

[32] L'armée de Blois : t. IV, p. 221 (Chron.), et p. 55, 56 (J. Chartier).

[33] Entrée du deuxième convoi à Orléans : t. III, p. 105 (Pasquerel) ; p. 211 (d'Aulon) ; t. IV, p. 56 (Chartier) ; p. 156 (Journal) ; p. 222 (Chronique). — La Chronique suppose que Dunois ne quitta point la Pucelle. La Chronique de la fête du 8 mai dit que Jeanne alla à la rencontre du convoi jusqu'en la forêt d'Orléans, et qu'elle le ramena le long de la bastille appelée Paris (celle du nord), t. V, p. 291.

[34] Jeanne et Dunois : t. III, p. 212 (d'Aulon).

[35] Réveil de Jeanne : t. III, p. 212. (d'Aulon) ; p. 68 (L. de Contes). — Subito evigilavit se et dixit : En nom Dé, nos gens ont bien à besogner ; et ibid., p. 127 (P. Milet). Cf. p. 124 (Colette) ; p. 79 (Beaucroix) ; t. IV, p. 223 (Chron.) : Elle alla aussi droit comme si elle avoit su le chemin paravant.

[36] Attaque de Saint-Loup : t. V, p. 291 (Fête du 8 mai), t. IV, p. 223 (Chron.) ; p. 7 (Cagny) ; t. III, p. 213 (d'Aulon) ; t. IV, p. 43 (Berri) ; p. 57 (J. Chartier) ; p. 157 (Journal) ; p. 223 (Chron.) : et depuis sa venue audit lieu ne fut Anglois qui peust illec blesser François. — Tentatives de secours : t. IV, p., 157 (Journal) ; p. 57 (Chartier). Charles VII en parle dans sa lettre aux habitants de Narbonne, datée du 10 mai 1429 : Nos gens.... ont assailli l'une des plus fortes bastides des dits ennemis, c'est assavoir celle de Saint-Loup ; laquelle, Dieux aydant, ilz ont prinse et gaignée par puissance et de bel assaut, qui dura plus de quatre ou cinq heures. Et y ont esté mors et tués tous les Anglois qui dedens estoient, sans ce qu'il y soit mort des nostres que deux seules personnes, et combien que les Anglois des autres bastides fussent alors yssus en bataille, faisant mine de vouloir combattre, toutes voix, quand ils virent nos dites gens à l'encontre d'euls, ils s'en retournèrent hastement, sans les oser attendre. T. V, p. 101, 102. — Les ecclésiastiques : t. III, p. 48 (L. de Contes). — Compassion de Jeanne pour les morts : ibid., p. 105 (Pasquerel). Gagny (t. IV, p. 7) dit qu'à l'arrivée de Jeanne d'Arc, ceux de la place se vouldrent rendre à elle. Elle ne les voult recevoir à rançon et dist qu'elle les prendroit maulgré eux, et fist renforcier son assault. Et incontinent fut la place prinse et presque tous mis à mort. Ce fait est trop en désaccord, non pas seulement avec ce que dit Pasquerel, mais avec tout ce que l'on sait de la manière d'agir de Jeanne à toute époque, pour qu'on le puisse admettre. Le héraut Berri compte 60 morts et 22 prisonniers ; le Journal, 114 tués et 40 prisonniers ; la Chronique 160 tués.

[37] Les Anglais renoncent à reprendre saint-Loup : t. IV, p. 42 (Berri).

[38] Suite de la prise de Saint-Loup : t. II, p. 106 (Pasquerel). A son de cloches que Anglois pouvoient bien ouyr ; lesquels furent fort abaissés de puissance par ceste partye, et aussi de courage : T. IV, p. 224 (Chron.).

[39] Le jour de l'Ascension : C'est la Chronique (t. IV, p. 224) qui prête à Jeanne l'intention de combattre le jour de l'Ascension. Pasquerel dit, au contraire, que la veille au soir elle lui dit qu'on ne combattrait point à cause de la sainteté du jour ; et que ce jour-là, elle voulait se confesser et communier (t. III, p. 107). — Défense des blasphèmes : t. III, p. 126 (P. Milet).

[40] Nouvelle lettre de Jeanne : t. III, p. 107 (Pasquerel). Cf. p. 126 (P. Milet). — Le dernier trait auquel nous avons fait allusion ailleurs, tranche, si la mémoire de Pasquerel est fidèle, la question relative aux hérauts. Ajoutons que, selon Berri (t. IV, p. 52), les Anglais qui voulaient brûler le héraut de Jeanne le laissèrent en leur logis tout enferré quand ils en partirent. — Insulte des Anglais : Ex quibus verbis ipsa Johanna incœpit suspirare et fiere cum abundantia lacrymarum, invocando Regem cœlorum in suo juvamine. Et postmodum fuit consolata, ut dicebat, quia habuerat nova a domino suo. T. III, p. 108 (Pasquerel).

[41] Conseil : J. Chartier, t. IV, p. 57-59. Le Journal du siège (ibid., p. 158), ne parle que d'un conseil tenu ce jour-là avec la Pucelle, où l'on résolut ce qui s'exécuta le lendemain.

[42] Passage de la Loire : t. III, p. 213 (d'Anuln). — Saint Jean le Blanc évacué : L. de Contes dit simplement qu'on le prit (t. III, p. 69), comme aussi le Journal du siège (t. IV, p. 159) ; mais d'Aulon, Beaucroix et la Chronique, disent expressément que la position fut abandonnée (t. III, p. 214 et 79, et t. IV, p. 225), et c'est ce qui est rapporté aussi dans la Lettre des agents d'une ville ou d'un prince d'Allemagne, écrite en juin 1429 (t. V, p. 348).

[43] Attaque des Augustins : Voy. surtout d'Aulon (t. III, p. 214), la Chronique de la Pucelle (t. IV, p. 226), et celle de la fête du 8 mai (t. V, p. 292). On ne peut pas croire que les capitaines aient cru la journée finie par l'occupation de la forteresse abandonnée de Saint-Jean le Blanc. C'est la crainte que les Anglais ne vinssent de l'autre rive par Saint-Privé, qui put seule leur donner un instant la pensée de la retraite. — Sur la prise des Augustins, cf. Gagny (t. IV, p. 7), J. Chartier (p. 56), le Journal du siège (p. 159), et la déposition de Pasquerel (t. III, p. 107). — Il parait qu'il ne resta rien des Augustins : c'est l'opinion de l'abbé Dubois, cité par N. Jollois (Siège d'Orléans, p. 82). Il se fonde sur ce qu'il n'a trouvé dans les comptes de la ville rien qui décelât qu'on en eût vendu la moindre chose. Il en fut autrement de la bastide de Saint-Loup et du fort des Tourelles.

[44] La nuit du 6 au 7 mai : T. IV, p.7 (Cagny) ; p. 61 (J. Chartier) ; p. 43 (Berri) ; p. 227 (Chronique) ; t. III, p. 215 (d'Aulon) ; p. 70 (L. de Contes) ; p. 108 (Pasquerel) ; p. 124 (Collette) ; t. V, p. 293 (Fête du 8 mai) : Et là demourèrent toute nuyt. Et ce voyans les dits seigneurs que la dicte Pucelle estoit fort folée (fatiguée), la menèrent en la ville pour soy refreschir. Cf. t. III, p. 79 ( Beaucroix) : Quod tamen facere nolebat, dicendo : Amittemus nos gentes nostras ? Le Journal du siège (t. IV, p. 159) se borne à constater, ce qui n'est pas douteux, qu'après la prise des Augustins on resta la nuit devant les Tourelles.

[45] Jeanne et le conseil des capitaines : t. III, p.109 (Pasquerel). — Ce témoignage, d'accord d'ailleurs avec ce que dit L. de Contes (t. III, p. 70), et la Chronique (t. IV, p. 227 : voy. ci-après), nous parait préférable au témoignage de la Chronique de la fête du 8 mai, qui parle d'un conseil tenu le 8, à la suite duquel Jeanne, requise de tenir sa promesse et d'accomplir sa charge, monta à cheval et dit : En nom Dé, je le feray, et qui me aimera, si me suive. (T. V, p. 293.) Les paroles sont dignes d'elles ; mais on peut croire qu'elle n'eut pas besoin d'y être provoquée.

[46] Évacuation du boulevard de Saint-Privé : t. IV, p. 227 (Chron.), et t. V, p. 293 (fête du 8 mai) : plusieurs se noyèrent au passage. Voy. aussi M. Jollois, Siège d'Orléans, p. 83. — Sollicitude de la Pucelle et des Orléanais pour ceux qui étaient restés devant les Tourelles : t. IV, p. 227 (Chron.) ; p. 159 (Journal du siège) et Extrait des comptes de la ville d'Orléans, cités par M. Jollois, l. l.

[47] L'alose et le godon : t. III, p. 124 (Colette) ; t. IV, p. 227 (Chron.). — La rentrée par le pont prédite : ibid., et t. III, p. 217 (d'Aulon). — Opposition de Gaucourt à la sortie : Simon Charles, qui en parle d'après Gaucourt lui-même, la rapporte au jour où fut prise la bastille des Augustins (t. III, p. 117). Mais on peut croire qu'il a confondu, et qu'il devait dire la bastille des Tourelles, si on rapproche son témoignage de celui de L. de Contes : Die autem postmodum immediate sequente (après la prise des Augustins), ipsa Johanna, contradicentibus pluribus dominis, quibus videbatur quod ipsa volebat ponere gentes regis in magno periculo, fecit aperiri portam Burgundiæ, et quamdam parvam portam existentem jutas grossam turrim, et passavit aquam cum aliis gentibus armatis ad invadendum bastildam seu fortalitium pontis. (T. III, p. 70.) La chronique de la Pucelle dit aussi que contre l'opinion et volonté de tous les chefs et capitaines qui estoient là de par le roi, la Pucelle se partit à tout son effort et passa la Loire. (T. IV, p. 227.)

[48] Attaque des Tourelles : Voy. P. de Cagny, Berri, J. Chartier ; le Journal, la Chronique de la Pucelle, la Chronique de la fête du 8 mai et les témoins de l'événement, Dunois, L. de Contes, d'Aulon, Pasquerel, etc. aux endroits cités. — Blessure de Jeanne : Fuit læsa de una sagitta seu viritone in collo, t. I, p. 79 (Jeanne) ; ex una sagitta que penetravit carnem suam inter collum et spatulas de quantitate dimidii pedis, t. III, p. 8 (Dunois). Supra mammam taliter quod tractus apparebat ex utroque latere, t. III, p. 109 et 111 (Pasquerel) ; cf., ibid., p. 70 (L. de Contes), t. IV, p. 61 (J. Chartier) ; p. 160 (Journal du siège) : entre l'espaule et la gorge, si avant qu'il passoit oultre ; p. 228 (Chron.) : par l'espaule tout oultre ; p. 494 (lettre des envoyés allemands) : ein wenig unter der rechten Brust. — Sa blessure prédite : Sicut prædixerat, t. III, p. 109 (Pasquerel), cf. p. 127 (Aignan. Viole) ; t. IV, p. 231 (Chron.), p. 494 (les envoyés allemands), et la lettre écrite de Lyon à Bruxelles le 22 avril 1429, quinze jours avant l'événement et relatée dans un registre de la chambre des comptes de Bruxelles, par le greffier de la cour : Scripsit ulterius ex ejusdem militis relatione quod quædam Puella, oriunda ex Lotharingia, ætatis XVIII annorum vel circiter, est penes prædictum regem ; quæ sibi dixit quod Aurelianenses salvabit, et Anglicos ab obsidione effugabit, et quod ipsa ante Aureliam in conflictu telo vulnerabitur, sed inde non morietur. (T. IV, p. 426.) Cf. Lebrun des Charmettes, Hist. de J. d'Arc, t. I, p. 223. — Et dum sensit se vulneratam, timuit et fievit, et fuit consolata, ut dicebat, et aliqui armati, videntes eam taliter læsam, voluerunt eam charmare, gallice, charmer ; sed ipsa noluit, dicendo, etc. T. III, p. 109 et 111 (Pasquerel).

[49] L'assaut suspendu et repris : t. IV, p. 160 (Journal), cf. p. 228 (Chron.), p. 9 (Cagny). — Propter quod dictus dominus deponens satagebat et volebat quod exercitus retraheretur ad civitatem. Et tunc dicta Puella venit ad eum et requisivit quod adhuc paulisper exspectaret ; ipsaque ex illa hora ascendit equum, et sola recessit in unam vineam, satis longe a turba hominum ; in qua vines fuit in oratione quasi per spatium dimidii quarti horæ ; ipsa autem regressi ab illo loco, statim cepit suum vexillum in manibus suis, posuitque se supra bordum fossati etc. T. III, p. 8 (Dunois). Cf. t. III, p. 70 (L. de Contes) : Quod quando perciperent quod ventus perduceret vexilla versas fortalitium, quod haberent illud. Beaucroix rapporte le succès à l'étendard plus qu'à Jeanne : dictum fuit quod afferretur vexillum Johannæ, et allatum astitit, et incepetunt invadere dictum fortalitium, etc. (T. III, p. 80). D'Aulon raconte une assez longue histoire où il semble s'attribuer un peu trop complaisamment l'honneur du dernier assaut. Voyant la retraite décidée, comme il tenait l'étendard en l'absence de la Pucelle, il a l'idée de se porter au pied du boulevard pour y ramener les soldats : il le remet à un Basque qui le doit suivre et saute dans le fossé. Mais la Pucelle arrive, et, voyant son étendard aux mains d'un inconnu, elle le saisit pour le reprendre. Le Basque résiste, tire à lui l'étendard et va rejoindre d'Aulon. Les gens d'armes qui au mouvement de la bannière ont cru voir un signal se rallient et emportent la place (t. III, p. 216).

[50] L'assaut du boulevard : t. V, p. 294 (Chron. de la fête du 8 mai) ; cf. t. III, p. 80 (Beaucroix) ; p. 71 (L. de Contes) ; t. IV, p. 230 (Chron.) — L'attaque par le pont : t. IV, p. 161 (Journal) ; p. 229 (Chron.). Les comptes de forteresse pour l'an 1429, art. 57, en gardent la trace : Payé quarante sous pour une grosse pièce de bois prinse chez Jean Bazin quand on gagna les Tourelles, contre les Anglois, pour mettre au travers d'une des arches du pont qui fut rompue. — Baillé à Champeaux et aux autres charpentiers seize sous, pour aller boire le jour que les Tourelles furent gaignées. Voy. Jollois, Hist. du siège, p. 84. — Terreur des Anglais à la vue de Jeanne : Et instante ipsa ibi existente, Anglici fremuerunt et effecti sunt pavidi. T. III, p. 8 (Dunois) ; cf. p. 71 (L. de Contes). La Chronique de la fête du 8 mai dit que leurs boulets n'avaient pas plus de force qu'une boule jetée par un homme : Et à venir joindre, lesdits Anglois avoient les meilleurs canons du royaulme ; mais ung homme eut aussi fort getté une bole, comme la pierre povoit aller d'iceulx canons, qui estoit bel miracle. T. V, p. 294. On peut croire que l'épuisement des munitions y était pour quelque chose. — Rupture du pont entre le boulevard et les Tourelles : Ceulx de la ville chargèrent ung grand chalen plein de fagots, d'os de cheval, savattes, souffre et toutes les plus puantes choses que on sceut finer, et fut mené entre les Torelles et le boloart, et là, fut boté le feu qui leur fist ung grand grief. T. V, p.294 (Chron. du 8 mai). Le registre des comptes d'Orléans rappelle ce fait, en constatant que l'on paya huit sous à Jehan Poitevin, pécheur, pour avoir mis à terre sèche ung challan qui fut mis sous le pont des Tourelles pour les ardre quand elles furent prinses (art. 19) : opération nécessaire pour le radouber, dit M. Jollois ; neuf sous à Boudou pour deux esses, pesant quatre livres et demie, mises au challan qui fut ars sous le pont des Tourelles (art. 9), etc. Voy. Jollois, Siège d'Orléans, p. 84. Beaucroix attribuait la rupture du pont à une bombarde dirigée par d'Aulon, t. III, p. 80. — Pitié de Jeanne pour Glansdale : t. p. 110 (Pasquerel). Berri (t. IV. p, 44 ) compte quatre ou cinq cents Anglais tués, noyés ou pris ; Jean Chartier (ibid., p. 62), quatre cents morts ; la Chronique (ibid., p. 230), trois cents morts et deux cents prisonniers ; le Journal du siège (ibid., p. 162), quatre ou cinq cents tués ou noyés, exceptez aucun peu qu'on retint prisonniers ; et il déplore le grant dommage des vaillants Françoys, qui pour leur rançon eussent peu avoir grant finance.

[51] Les ponts rétablis : t. IV, p. 9 (Gagny). — Rentrée de Jeanne : t. IV, p. 163 (Journal) ; p. 231 (Chron.) ; t. III, p. 9 (Dunois).

[52] Retraite des Anglais : t. IV, p. 10 (Cagny) ; p. 44 (Berri) ; p. 63 (J. Chartier), etc. — Jeanne défend d'attaquer : t. III, p. 9 (Dunois) ; p. 25 (Luillier) ; p. 128 (A. Viole) ; t. IV, p. 164 (Journal), t. V, p. 295 (Chron. de la fête du 8 mai). — Les deux messes, etc. : ibid., p. 232 (Chron.) ; t. III, p. 29 (Champeaux).

[53] Prise d'une partie des munitions : t. IV, p. 44 (Berri) ; p. 63 (J. Chartier) ; p. 164 (Journal) ; p. 231 (Chron.), et la fin de la lettre de Charles VII aux habitants de Narbonne, 10 mai 1429 : s'en sauvèrent et deslogèrent si hastement qu'ils laissèrent leurs bombardes, canons, artillerie et la plupart de leurs vivres et bagages. T. V, p. 103. Monstrelet (II, 59), dit que les Anglais perdirent au siège six à huit mille combattants, et les Français seulement cent hommes environ de tout état. Les nombres sont exagérés dans l'un et l'autre sens.

[54] Le Bourg du Bar : t. IV, p. 63 (J. Chartier) ; p. 163 (Journal). Voici comme Martial d'Auvergne rime l'anecdote t. V, p. 56 :

Comme Talbot si s'en alloit,

Un augustin son confesseur

Ung François prisonnier vouloit

Amener,après son seigneur :

Mais ledit François enferré,

Par l'augustin, devant les gens,

Se fisc porter, bon gré, mau gré,

Sur son col, dedans Orléans.

[55] T. IV, p. 156 (Journal) ; t. III, p. 110 (Pasquerel). — Florent d'Illiers était reparti la veille avec sa troupe pour Châteaudun, t. IV, p. 165 (Journal).