JEANNE D'ARC

 

TOME PREMIER

LIVRE PREMIER. — VAUCOULEURS.

 

 

  Jeanne d'Arc naquit le 6 janvier 1412 à Domrémy, petit village situé dans la vallée de la Meuse, entre Neufchâteau et Vaucouleurs, aux confins de la Champagne et de la Lorraine. Domrémy, lié à Vaucouleurs, qu'une ordonnance de Charles V (1365) avait déclaré inséparablement uni au domaine royal, se rattachait par Vaucouleurs à la prévôté d'Andelot et au bailliage de Chaumont en Bassigny ; ce qui tranche la question agitée récemment encore : Jeanne d'Arc est-elle Lorraine ? Jeanne d'Arc est-elle Champenoise ? Jeanne d'Arc était Française. Son père, Jacques d'Arc, avait pris naissance en un autre village de la Champagne : à Séfond (Ceffonds), près Montier en Der (Haute-Marne) ; sa mère, Ysabellette Romée, était de Vouthon près Domrémy[1].

C'étaient de simples laboureurs de bonne vie et renommée, n'ayant, avec leur chaumière, qu'un bien petit patrimoine ; mais considérés dans leur état, vrais et bons catholiques, et soutenant avec honneur leur pauvreté.

Ils eurent trois fils : Jacques, Jean et Pierre, et deux filles, Jeanne ou Jeannette et Catherine[2].

Des deux sœurs, Jeanne était l'aînée. Elle grandit auprès de sa mère, formée par elle à la religion et au travail : c'est un témoignage qu'elle se rendit à elle-même ; et, par ce témoignage, c'est sa mère qu'elle honorait. Elle était bonne, simple et douce fille, dit une amie de son enfance ; point paresseuse, ajoute un voisin : et elle travaillait de bon cœur, tantôt filant, jusque bien avant dans la nuit, aux côtés de sa mère, ou la remplaçant dans les soins du ménage ; tantôt partageant les devoirs plus rudes de son père, pourvoyant à l'étable, allant aux champs, Mettant la main, selon qu'il le voulait, à la herse, à la charrue, et quelquefois aussi gardant pour lui, dans la prairie commune, le troupeau du village, quand le tour en était venus[3].

Bonne fille, c'est le cri de tous ; honnête, chaste et sainte, parlant en toute simplicité, selon le précepte de l'Évangile : Oui, non ; cela est, cela n'est pas. — Sans manque, sine defectu, voilà tout ce qu'il lui arrivait d'ajouter sa parole pour en attester la vérité. Un pur rayon de l'amour divin illuminait cette vie si occupée, et donnait du charme à ses labeurs. Le petit jardin de la maison paternelle touchait au cimetière, qui est comme le jardin d'une église de village. Jeanne usait du voisinage pour aller à l'église le plus souvent qu'elle le pouvait elle y goûtait une douceur extrême. On l'y voyait prosternée devant le crucifix, ou bien les mains jointes, les yeux levés vers l'image du Sauveur ou de la Vierge sa mère. Tous les matins, pendant le saint sacrifice, elle était au pied des autels ; et le soir, quand la cloche qui sonnait les complies la surprenait aux champs, elle s'agenouillait, et son âme s'élevait à Dieu. Elle se plaisait à entendre chaque soir ce commun appel à la prière. Quand le sonneur de l'église (on le sait de lui-même) venait à l'oublier, elle le reprenait, disant que ce n'était pas bien, et promettait de lui donner des lunes (quelque espèce de gâteaux). pour qu'il se montrât plus diligent. Elle ne se bornait pas aux devoirs que la religion prescrit à tout fidèle. Cette jeune fille, qui avait accompli de si grandes choses à dix-neuf ans, est tout entière à ces pratiques naïves de dévotion où les âmes simples et pures ont tant de charme à se répandre. Non loin de Domrémy, sur le penchant du coteau qui descend vers la Meuse, il y avait un ermitage dédié à Notre-Dame de Belmont. Jeanne aimait à le visiter ; et le jour que l'Église a plus spécialement consacré à Marie, le samedi, vers la fin de la journée, elle se joignait à d'autres jeunes filles pour y venir prier ensemble et y brûler des cierges : symbole consacré par l'Église pour rappeler aux fidèles la foi qui veille et l'amour qui doit brûler pour Dieu[4].

Jeanne fut donc, dès sa plus tendre enfance, un modèle de piété. Elle n'avait point, disait le curé, sa pareille au village. Les jeunes gens se moquaient bien un peu de sa dévotion ; les jeunes filles en jasaient aussi. Mengette, sa petite amie, trouvait elle-même, et lui disait qu'elle était trop pieuse ; et ce reproche était pour Jeanne comme un éloge qui la faisait rougir. Mais sa foi se traduisait en bonnes œuvres. Si peu d'argent qu'elle eût, elle en avait pour l'aumône. Elle consolait les malades, elle recueillait les pauvres, elle leur donnait place au foyer, elle leur cédait même son lit, secondée dans sa charité par la religieuse condescendance de ses parents. Aussi était-elle aimée de tout le monde[5]

Elle ne cherchait point d'ailleurs à se distinguer des autres, et se mêlait à ses compagnes dans les fêtes du village. Sur cette même pente où s'élevait la chapelle de la Vierge, entre les bords fleuris de la Meuse et la sombre forêt de chênes, le bois Chesnu, qui en couronnait les hauteurs, il y avait un hêtre d'une remarquable beauté, beau comme un lis, dit l'un des habitants, large, touffu, dont les branches retombaient jusqu'à terre. On l'appelait Aux loges les Dames, Ad lobias Dominarum, ou encore l'arbre des Dames. Autrefois, quand le château de Domrémy était encore habitable, les seigneurs et les dames du lieu, avec leurs demoiselles et leurs suivantes, venaient,. au retour. du printemps, faire un repas champêtre sous son ombrage. Peut-être un jour ces joyeuses réunions avaient-elles amené quelque mystérieuse aventure qui changea de nature et de forme en passant dans la tradition. Le nom de darnes, donné aux femmes de haut parage, était aussi le nom donné aux fées dans le langage populaire. On racontait qu'un chevalier, seigneur de Bourlemont, venait y voir une fée, conversait avec elle. Jeanne Thiesselin, l'une des marraines de Jeanne, avait entendu dire qu'on le lisait dans un roman (récit en langue vulgaire). L'arbre des Dames était donc aussi l'arbre des Fées. C'étaient les fées qui, dans les anciens temps, venaient danser sous le beau hêtre ; on disait même qu'elles y venaient encore. Cela n'empêchait pas les habitants de Domrémy de faire ce que faisaient leurs pères. L'arbre était toujours aussi beau. Au printemps, on se rassemblait sous sa large voûte de verdure. On l'inaugurait, en quelque sorte, avec les beaux jours, le dimanche de la mi-carême, Lætare. En ce jour, qu'on nommait. aussi le dimanche des Fontaines, les jeunes garçons et les jeunes filles venaient sous l'arbre fameux faire ce qu'un appelait leurs fontaines. Ils emportaient, comme provision de la journée, de petits pains faits exprès par leurs mères, et s'y livraient aux ébattements de leur âge, chantant, dansant, cueillant des fleurs dans les prairies d'alentour pour en faire des guirlandes dont ils ornaient les rameaux du bel arbre ; puis, quand ils avaient mangé, ils allaient se désaltérer aux eaux limpides d'une source voisine, tout ombragée de groseilliers[6].

Jeanne y venait comme les autres ; Mengette, son amie, dit qu'elle y fut et y dansa plus d'une fois avec elle. Pourtant elle n'était point danseuse ; et souvent, au retour de la fête, elle prenait le chemin de sa chapelle chérie, et suspendait à l'image de la Vierge les guirlandes qu'elles avait tressées des premières fleurs des champs[7].

C'est du milieu d'une vie si calme et si paisible qu'elle fut appelée à s'armer pour la France.

La mission de Jeanne d'Arc produisit une si complète et si rapide révolution dans les destinées de la France, qu'assurément il n'est point de problème plus digne de fixer l'attention de l'historien. Aussi a-t-on mis en jeu toutes les ressources de la critique, examiné les faits, recueilli, pesé les témoignages. Il en est un qui domine tous les autres, et qui, ce semble, en pourrait bien tenir lieu, c'est celui de Jeanne d'Arc. Elle affirme qu'elle a reçu de Dieu sa mission. Mais ce qu'on cherche, c'est une solution qui permette de rejeter ou d'interpréter une déclaration si précise et si nette : et on fait bien de ne l'accueillir qu'avec défiance. Ce n'est qu'à bon escient qu'il faut admettre le merveilleux dans l'histoire. Seulement, quand on veut l'expliquer, il faut, en produisant ses arguments, n'eu pas surfaire la valeur, et si l'on ne peut se rendre compte de tout, il vaut mieux en convenir que d'inspirer, sur des raisons insuffisantes, une sécurité pire que le doute ou l'ignorance. On ne dit pas que Jeanne ait trompé sciemment ; on ne dit plus qu'elle ait servi d'instrument à une machination politique, complice ou dupe elle-même de la fraude qu'elle était chargée d'accréditer. Mais on cherche en elle, et dans les plus nobles inspirations du cœur, dans l'extase d'une âme pieuse, dans l'exaltation d'un ardent patriotisme, la source de l'illusion qu'elle aurait propagée de bonne foi.

Jeanne était une mystique, dit-on ; et, pour montrer qu'elle le fut, on fait appel à toutes les influences qui ont pu produire en elle cette disposition de l'âme : influences générales du pays et du temps où elle vivait ; influences plus intimes de sa propre nature. Mais la Champagne, ou, si l'on veut, la Lorraine champenoise (car pour désigner la patrie de Jeanne d'Arc il est juste d'associer les deux mots), n'a jamais été un pays de mystiques ; et tous les efforts tentés au procès de Rouen pour grossir les superstitions de son village, n'ont servi qu'à montrer combien elles avaient peu d'empire sur elle. Quant aux illuminés de son temps, ils n'ont rien dans les vagues épanchements.de leur âme qui ne soit en contraste avec le caractère si parfaitement précis et défini des révélations de Jeanne. Ce n'était pas non plus une jeune fille maladive, dont la nature imparfaitement développée la fit sujette aux hallucinations. Le témoignage d'où on l'a voulu conclure est une simple opinion, un ouï-dire qui ne prouve que l'extrême délicatesse de sa pudeur ; et tous s'accordent à déclarer qu'elle était aussi forte que belle : belle et bien formée (d'Aulon) ; bien compassée de membres et forte (Chron. de la Pucelle) ; grande et moult belle (Mirouer des Femmes vertueuses) ; de grande force et puissance (Chron. de Lorraine) ; d'une force qui n'avait rien de viril : elle avait la voix douce, une voix de femme, disent ceux qui l'ont entendue (Gui de Laval, P. de Boulainvillers) ; d'une puissance qui marquait dans la jeune fille l'entier développement de la femme. — C'était une âme religieuse dans un corps robuste et sain[8].

Ce que le mysticisme n'explique pas, le doit-on rapporter au seul amour de la patrie ? Jeanne assurément n'était pas insensible aux malheurs de son pays. La vieille querelle des Armagnacs et des Bourguignons partageait, jusque dans ce coin reculé de la France, les villages, les familles même ; et la haine était vive entre les deux partis. Domrémy (Dompnus Remigius), ancien domaine de l'Église métropolitaine de Reims, devenu plus tard un des apanages de la seigneurie de Joinville, et rattaché depuis au domaine de la couronne, était resté fidèle au roi. Tout le monde y était Armagnac, sauf un seul homme ; et Jeanne avoue qu'elle aurait vu sans regret qu'on lui coupât la tête, si toutefois c'était la volonté de Dieu. À Maxey, au contraire, tout à côté, sur la même rive de la Meuse, les habitants étaient Bourguignons, et la lutte s'engageait sourient entre les enfants des deux villages. Jeanne vit plus d'une fois ceux de Domrémy revenir de la bataille le visage meurtri et sanglant. C'était une image de la guerre civile ; mais on n'a pas de preuve. qu'elle ait sévi entre les habitants de ces contrées autrement que par ces combats d'enfants. On n'y souffrit pas beaucoup plus de la guerre étrangère. Cette marche de la Lorraine, aux frontières de l'Allemagne, n'étais pas le chemin des Anglais. La paix de Troyes les avait établis en Champagne ; mais ils n'en occupaient qu'un petit nombre de points. Ce n'était qu'à grand'peine et avec l'aide de Jean de Luxembourg, qu'ils avaient pris position sur le cours inférieur de la Meuse, à Beaumont, à Mouzon ; quant au cours supérieur, ils l'avaient laissé aux entreprises des Bourguignons, qui, au nombre de quatre ou cinq cents partisans, ravagèrent le Barrois en 1424, réunirent en 1428 (1er juillet), postérieurement aux premières démarches de Jeanne (13 mai), quelques soldats pour attaquer Vaucouleurs, et probablement se séparèrent sans avoir rien tenté. Cette sanglante guerre paraît s'être réduite, pour les habitants de Domrémy, à quelques alertes. Parfois, à l'approche d'une troupe de partisans, on sauvait les bestiaux dans l'île formée devant le village par les deux bras de la Meuse. Un jour même tous les habitants s'enfuirent à Neufchâteau. Jeanne y suivit ses parents, et demeura quatre ou cinq jours, ou même quinze jours avec eux chez une honnête femme nommée la Rousse. Après quoi on revint au village ; et rien ne dit que ce fit alors ou en pareille circonstance qu'il ait été brûlé. Voilà tout ce que les recherches les plus habiles et les plus minutieuses ont pu faire découvrir sur la part de Domrémy aux malheurs du temps. Assurément c'est quelque chose, et il ne faut pas tenir pour nulle l'impression que Jeanne en put recevoir. Mais, sans aucun doute, si le sentiment des souffrances que la guerre apporte, si la haine qu'inspire la vue du conquérant maitre du sol natal avait suffi pour donner un sauveur à la France, il serait né partout ailleurs[9].

D'où vient donc la mission de Jeanne d'Arc ? Nous ne voulons pas trancher d'avance la question. Notre unique objet, au contraire, est de mettre en garde contre les explications prématurées, et de faire voir que tout ne se résout pas aussi naturellement qu'on le pourrait croire, au moyen des influences alléguées. Quelque vraisemblance que ces causes puissent avoir d'ailleurs à première vue, il faut, pour se faire admettre, qu'elles se justifient au contrôle des faits accomplis. Revenons donc à la vie de Jeanne d'Arc. Écoutons ce qu'elle a dit et voyons ce qu'elle a fait. L'entière manifestation du caractère de Jeanne dans la suite de l'histoire, sa franchise, sa droiture, sa netteté d'esprit et son parfait bon sens, montreront mieux que toutes les raisons du monde quelle idée ou se doit faire de sa personne, quelle foi on peut avoir en ses discours.

Le récit de la vocation de Jeanne d'Arc ne nous est pas venu par la tradition populaire : si merveilleux qu'il paraisse, il ne fait pas l'objet d'une légende. C'est Jeanne elle-même qui parle : ce sont ses juges qui ont fait écrire ses paroles au procès.

Elle raconte qu'à l'âge de treize ans (cela reporte à l'an 1425) elle eut une voix de Dieu qui l'appela. C'était un jour d'été, à l'heure de midi, dans le jardin de son père. La voix se fit entendre d'elle à la droite, du côté de l'église, et une grande clarté lui apparut au même lieu ; et rarement depuis elle entendit la voix sans qu'elle vit en même temps cette lumière. La première fois elle eut grand'peur ; mais elle se rassura, elle trouva que la voix était digne : et elle déclare à ses juges qu'elle lui venait de Dieu ; à la troisième fois, elle connut que c'était la voix d'un ange[10].

C'était, comme elle le sut plus tard, l'archange saint Michel. Il se fit voir à elle entouré de la troupe des anges : Je les ai vus des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois, disait-elle à ses juges ; et lorsqu'ils s'en allaient de moi je pleurais, et j'aurais bien voulu qu'ils me prissent avec eux. L'ange, dans ces premières apparitions, ne faisait que la préparer à son œuvre ; il lui disait de se bien conduire, de fréquenter l'Église, d'être bonne fille, et que Dieu lui aiderait. Déjà pourtant il lui faisait entrevoir le but de sa mission. Il lui apprenait qu'un jour il lui faudrait venir en France ; qu'elle y viendrait au secours du roi ; et il lui racontait là pitié qui était au royaume de France. Mais, que faire pour y porter remède ? L'ange ne lui en donnait point encore le secret ; seulement il lui promettait d'autres apparitions plus familières en quelque sorte et plus intimes. Sainte Catherine et sainte Marguerite devaient venir à elle pour la guider : il lui ordonnait de croire à leurs paroles ; que c'était le commandement de Dieu. Et dès ces premiers temps, les saintes liai apparurent et commencèrent à gouverner sa vie[11].

Aux premières marques de cette vocation divine, Jeanne se donna tout entière à Dieu en lui vouant sa virginité. Elle vivait dans le commerce de ses saintes, ne changeant rien d'ailleurs à sa manière de se conduire. On la voyait bien quelquefois quitter ses compagnes, se recueillir comme si elle était devant Dieu, et les autres s'en moquaient. Mais nul ne sut ce qui se passait en elle, pas même celui qui l'entendait en confession. Elle garda la chose secrète, non qu'elle se crût obligée à la taire, mais pour se mieux assurer du succès quand le temps viendrait de l'accomplir : car elle craignait les pièges des Bourguignons, elle craignait les résistances de son père[12].

Cependant les périls s'étaient accrus. Tandis que tout manquait à Charles VII, qu'on l'engageait à se retirer en Dauphiné, qu'il songeait lui-même à chercher un refuge soit en Espagne, soit en Écosse, Bedford venait de raffermir ses alliances sur le continent, et Salisbury passait en France pour porter enfin la guerre au cœur des pays demeurés fidèles au roi national. Les apparitions de Jeanne lui venaient plus fréquentes. Deux et trois fois par semaine, la voix lui répétait qu'il fallait partir et venir en France ; et un jour enfin il lui fut ordonné d'aller à Vaucouleurs auprès de Robert de Baudricourt, capitaine du lieu, qui lui donnerait des gens pour partir avec elle[13].

Partir, quitter sa mère, ses jeunes amies, ses paisibles travaux, pour se jeter en pareille compagnie dans cette vie de hasards, c'était chose qui devait troubler étrangement cette âme simple et recueillie. Elle disait plus tard qu'elle eût mieux aimé être tirée à quatre chevaux que de venir en France sans la volonté de Dieu. Jusque-là le caractère de sa mission pouvait se dérober à ses yeux dans les ombres de l'avenir et l'attirer par le mystère. Quand les voix lui disaient qu'il fallait aller au secours de la France, elle se sentait pleine d'ardeur et d'impatience : elle ne pouvait durer où elle était. Mais quand les voiles tombèrent, quand le présent se montra avec toutes les misères, les dégoûts de la réalité, et qu'il fallut partir, elle s'effraya. Elle répondit qu'elle n'était qu'une pauvre fille qui ne saurait ni monter à cheval ni faire la guerre. Mais la voix avait parlé : elle triompha de ses répugnances. Et Jeanne, sans étouffer le cri de son cœur, n'eut plus qu'une pensée : ce fut de concourir de toute sa force à l'accomplissement de la volonté de Dieu[14].

Elle alla chez son oncle Durand Laxart, qui demeurait à Burey-le-Petit (Burey en Vaux), près Domrémy, comme pour passer quelque temps près de lui ; et au bout de huit jours elle s'ouvrit à lui de ses projets. Elle lui dit qu'elle voulait aller en France vers le dauphin pour le faire couronner. Comme il s'étonnait de son dessein : N'est-il pas dit, ajouta-t-elle, qu'une femme perdrait la France et qu'une jeune fille la relèverait ? Et quand elle le vit ébranlé, elle lui demanda de venir avec elle à Vaucouleurs pour demander au sire de Baudricourt de la faire conduire au lieu où était le dauphin[15].

Il se rendit à sa prière, et la mena à Vaucouleurs vers le temps de l'Ascension (13 mai 1428). Elle se présenta dans ses habits de paysanne au sire de Baudricourt, qu'elle distingua parmi les siens sans l'avoir jamais vu : Mes voix, dit-elle, me le firent connaître ; et elle lui dit qu'elle venait de la part de son Seigneur, afin qu'il mandât au dauphin de se bien tenir et de ne point assigner bataille à ses ennemis, parce que le Seigneur lui donnerait secours avant lé milieu du carême. Elle disait que le royaume n'appartenait pas au dauphin, mais à son Seigneur ; mais que son Seigneur voulait que le dauphin devint roi et qu'il eût ce royaume en commende ; qu'en dépit de ses ennemis il serait roi, et qu'elle-même le conduirait au sacre.

Et quel est ton Seigneur ? dit Robert.

Le roi du ciel.

Le sire de Baudricourt l'estima folle, et l'aurait volontiers livrée aux grossiers ébats de ses soldats. Il crut la ménager fort en disant à son oncle qu'il ferait bien de la ramener à son père bien souffletée[16].

Elle revint à Burey (car ses voix lui avaient prédit cet affront) et de là dans la maison de son père, reprenant ses occupations accoutumées, mais toujours ferme dans sa résolution ; et on aurait pu la deviner à plusieurs paroles. Peu de temps après son retour, la veille de la Saint-Jean-Baptiste, elle disait à un jeune garçon de son village qu'il y avait entre Coussey et Vaucouleurs (Domrémy est entre les deux) une jeune fille qui, dans l'année, ferait sacrer le roi. Une autre fois elle disait à Gérardin d'Épinal : Compère, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque chose. Il crut alors qu'il s'agissait de mariage. Des bruits, d'ailleurs, avaient pu revenir de son voyage à Vaucouleurs. Elle dit dans son procès que, pendant qu'elle était encore chez son père, il avait rêvé qu'elle s'en irait avec les gens d'armes. Sa mère lui en parla plusieurs fois, et se montrait, comme son père, fort préoccupée de ce songe : aussi la tenait-on dans une plus grande surveillance, et le père allait jusqu'à dire à ses autres enfants : Si je pensais que la chose advint, je vous dirais : Noyez-la, et si vous ne le faisiez, je la noierais moi-même. On essaya quelque moyen moins violent de la détourner de ces pensées. On voulut la marier : un homme de Toul la demanda, et comme elle refusait, il l'assigna devant l'officialité, prétendant qu'elle lui avait promis mariage ; mais elle parut devant le juge et confondit son étrange adversaire[17].

Cependant, le temps qu'elle avait marqué approchait. Jeanne voulut faire la démarche décisive. Son oncle s'y prêta encore ; il se rendit à Domrémy, et, alléguant les soins que réclamait sa femme nouvellement accouchée, il obtint des parents de Jeanne qu'elle la vint servir. Elle partit sans prendre autrement congé de ses parents. Dieu avait parlé : Et quand j'aurais eu, disait-elle à ses juges, cent pères et cent mères et que j'eusse été fille de roi, je serais partie. Et néanmoins elle leur écrivit plus tard pour leur demander pardon. Avec ses parents, elle laissait derrière elle de bien chères compagnes. Elle vit en partant la petite Mengette, et s'en alla, la recommandant à Dieu. Quant à Hauviette, l'amie de son enfance, aurait-elle pu lui cacher la cause réelle de son départ ? Elle aima mieux lui laisser ignorer son voyage, et partit sans la voir. Hauviette, dans sa déposition, dit comme elle en a pleuré[18].

Jeanne reparut à Vaucouleurs dans son pauvre habit de paysanne, une robe grossière de couleur rouge, et revit le sire de Baudricourt sans se faire mieux accueillir. Mais elle ne se laissa plus congédier. Elle prit domicile chez la femme d'un charron (Henri Le Royer), et demeura trois semaines dans sa maison, toujours simple, bonne fille et douce, filant avec elle, et se partageant entre ces travaux familiers et la prière. Un témoin, qui était alors enfant de chœur de Notre-Dame de Vaucouleurs, déposa qu'il la voyait souvent dans cette église : Elle y entendait, dit-il, les messes du matin, et y demeurait longtemps en prières, ou bien encore elle. descendait dans la chapelle souterraine, et s'agenouillait devant l'image de Marie, le visage humblement prosterné ou levé vers le ciel. L'objet de son voyage n'était plus un mystère pour personne : elle disait hautement (son hôte, qui l'entendit, en dépose) qu'il fallait qu'elle allât trouver le dauphin ; que son Seigneur, le roi du ciel, le voulait ; qu'elle venait de sa part, et que, dût-elle y aller sur ses genoux, elle irait[19].

Plusieurs des chevaliers du sire de Baudricourt, qui, sans doute, l'avaient entendue devant lui, voulurent la. revoir. Jean de Novelonpont, appelé aussi Jean de Metz, l'un d'eux, la vint trouver chez le charron et lui dit :

Ma mie, que faites-vous ici ? Faut-il que le roi soit chassé du royaume, et que nous devenions Anglais ?

Elle répondit :

Je suis venue ici, à chainbre de roi (dans une ville royale), parler à Robert de Baudricourt pour qu'il me veuille mener ou faire mener au roi. Mais il ne prend souci ni de moi ni de mes paroles. Et pourtant, avant le milieu du carême, il faut que je sois devers le roi, quand je devrais user mes jambes jusqu'aux genoux ; car nul au monde, ni rois, ni ducs, ni fille du roi d'Écosse, ni aucun autre ne peut recouvrer le royaume de France ; et il n'y a point de secours que de moi : et certes, j'aimerais bien mieux filer auprès de ma pauvre mère, car ce n'est point mon état ; mais il faut que j'aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur veut que je le fasse.

Qui est votre Seigneur ? dit Jean.

C'est Dieu.

Le chevalier, mettant ses mains dans les siennes, jura par sa foi que, Dieu aidant, il la mènerait au roi, et il lui demanda quand elle voulait partir.

Plutôt maintenant que demain, plutôt demain qu'après, dit-elle.

Un autre, Bertrand de Poulengi, s'engagea, comme Jean de Metz, à la conduire[20].

Après ces adhésions publiques, le sire de Baudricourt ni pouvait plus prendre la chose avec autant d'indifférence. Jeanne lui avait fait part de ses révélations ; mais fallait-il l'en croire, et même alors, qu'en fallait-il croire ? Si elle avait des visions, d'où venaient-elles ? Pour éclaircir ce point, le capitaine la vint trouver un jour chez le charron, ayant avec lui le curé : le curé, revêtu de son étole, se mit en devoir de l'exorciser, lui disant que s'il y avait maléfice, elle se retirât d'eux, sinon qu'elle s'approchât. Jeanne s'approcha du prêtre et se mit à ses genoux ; — toujours humble, mais gardant dans sa soumission même toute sa liberté de juger. Elle dit après, qu'il n'avait pas bien fait, puisqu'il l'avait entendue en confession : il devait donc savoir si c'était l'esprit malin qui parlait par sa bouche. — Comme l'épreuve n'était pas de nature à dissiper les doutes du capitaine, Jeanne lui cita la prophétie populaire : qu'une femme perdrait la France et qu'une jeune fille la sauverait. On disait dans le pays, une jeune fille des marches de Lorraine ; et la femme de Henri Le Royer, témoin de la scène, en demeura vivement frappée ; car elle avait ouï cette tradition que Jeanne s'appliquait. Mais Robert de Baudricourt doutait encore[21].

Cependant Jeanne était pressée de partir : Le temps, dit le même témoin, lui pesait comme à une femme en travail. Et tous, excepté le sire de Baudricourt, semblaient conspirer avec elle. Les deux chevaliers qui s'étaient offerts à la conduire avaient pris sur eux les frais du voyage ; le menu peuple, qui de plus en plus croyait en elle, y voulut concourir aussi. Pour s'en aller parmi des hommes de guerre, il lui fallait prendre leur habit. Les gens de Vaucouleurs se chargèrent de l'équiper. Ils lui donnèrent ce qui composait en ce temps le costume militaire : gippon ou justaucorps, espèce de gilet ; chausses longues liées au justaucorps' par des aiguillettes ; tunique ou robe courte tombant jusqu'au genou ; guêtres hautes et éperons, avec le chaperon, le haubert, la lance, et le reste. Un autre aida son oncle à lui acheter un cheval. Déjà tout à l'entour il n'était bruit que de la Pucelle, de ses révélations ; et le duc de Lorraine, qui était malade, la voulut voir et lui envoya un sauf-conduit. Elle se rendit à son appel, ne voulant négliger aucun moyen qui pût servir à son voyage. Jean de Metz l'accompagna jusqu'à Toul ; elle continua la route avec son oncle et se présenta devant le duc. Le duc la consulta sur sa maladie. Selon un témoin qui prétend le tenir d'elle-même, elle lui dit qu'il se gouvernait mal et ne guérirait pas s'il ne s'amendait ; et elle l'exhorta à reprendre sa bonne femme, dont il vivait séparé. Dans le procès, Jeanne se borne à dire que, consultée par le duc, elle déclara ne rien savoir sur sa maladie, et qu'elle lui exposa en peu de mots l'objet de son voyage, ajoutant que s'il lui voulait donner son fils et des gens d'armes pour la mener en France, elle prierait Dieu pour sa santé. Le duc évita de s'engager à ce point dans l'affaire ; mais il la congédia avec honneur, et lui donna, dit-on, un cheval et de l'argent[22].

Après avoir mis à profit cette excursion, pour aller, à deux lieues de Nancy, faire ses dévotions à Saint-Nicolas, but fameux de pèlerinage, elle revint à Vaucouleurs. Son départ ne pouvait plus être différé. Le sire de Baudricourt, soit qu'il ait pris l'avis de la cour de Bourges, soit qu'il ait dû céder à l'entraînement qui se manifestait autour de lui, n'essaya plus d'y faire obstacle. On dit que le jour où se donna la bataille de Rouvray (Journée des harengs), Jeanne le vint trouver et lui dit : En nom Dieu (au nom de Dieu : c'est sa manière d'affirmer depuis le commencement dé sa mission), en nom Dieu, vous mettez (tardez) trop à m'envoyer : car aujourd'huy le gentil dauphin a eu assez près d'Orléans un bien grand dommage ; et sera il taillé (court-il fortune) encore de l'avoir plus grand, si ne m'envoyez bientôt vers lui. Il céda, et dès le lendemain, premier dimanche de carême (13 février 1429), elle put se disposer à partir avec sa petite escorte, savoir : Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, qui emmenaient deux de leurs servants (Jean de Honecourt et Julien), et deux autres, savoir Colet de Vienne, messager du roi, et Richard l'Archer. Plusieurs s'effrayaient de voir Jeanne s'aventurer en si petite compagnie : six hommes armés, c'était assez pour la signaler à l'ennemi, trop peu pour la défendre. Mais Jeanne n'avait pas sa confiance dans le secours des hommes. Ce n'était point une armée qu'elle était venue chercher à Vaucouleurs. Elle dissipait ces craintes, elle disait avec assurance qu'elle avait son chemin ouvert, et que si elle rencontrait des hommes d'armes sur sa route, Dieu son Seigneur lui frayerait la voie jusqu'au dauphin qu'elle devait faire sacrer : C'est pour cela, disait-elle, que je suis née. Le sire de Baudricourt vit la petite troupe au départ ; il recommanda aux compagnons de Jeanne de lui faire bonne et sûre conduite. Il lui donna à elle une épée, et, doutant jusqu'à la fin, il la congédia en disant : Allez donc, allez, et advienne que pourra ![23]

 

 

 



[1] Dans son interrogatoire du 21 février 1431, Jeanne dit qu'elle a environ dix-neuf ans. (Procès, t. I, p. 46.) La date de l'Épiphanie est donnée par la lettre de Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, du 21 juin 1429 (ibid. t. V, p. 116). Les traditions fabuleuses qu'il a recueillies sur la naissance du la Pucelle peuvent rendre suspecte la désignation du jour. — Patrie de son père : Traité sommaire tant de nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans (par Charles du Lys), p. 7.

[2] Condition de sa famille : Témoignages des gens du pays, Procès, t. II, p. 388, 393, 395, 397, 400, 401, 403.

Les lettres d'anoblissement données aux parents de Jeanne d'Arc supposent qu'ils pouvaient être d'origine servile : non obstante quod ipsi forsan alterius quam liberæ conditionis existant. (Procès, t. V, p. 152.) Mais cela est moins un témoignage sur leur origine, qu'une formule prévoyant tous les cas pour lever tous les obstacles : car la noblesse ne s'accordait communément qu'aux personnes de condition libre.

Nous avons traité, dans les appendices, du nom et du pays de Jeanne d'Arc (II et III).

[3] Son instruction religieuse : Nec alibi didicit credentiam, nisi a præfata matre. Procès, t. I, p. 47. (Les citations du tome I sont toutes du procès de condamnation.) Cf. les témoignages de Jean Moreau, t. II, p. 389, de Beatrix Estellin, p. 395, et des autres, p. 398, 403, 404, 418, 424.

Sur les occupations de son enfance : Utrum in juventute didicerit aliquam artem : dixit quod sic, ad suendum pannos lineos et nendum (t. I, p. 51) ; et les mêmes témoignages, t. II, p. 389, 390, 393, 396, 308, 400, etc. Non erat remissa ; laborabat libenter ; nebat, ihat ad aratrum cum patre, tribulabat terrant cum tribula, et alia domus necessaria faciebat ; et aliquotiens animalia custodiebat, p. 424 : — prout pluries de nocte eam, in domo loquentis cum quadam filia sua nere vidit, p. 409 et 430 ; — laborabat, nebat, sarclabat, p. 422, 423, 427, 462 ; — libenter operabatur et videbat nutrituram bestiarum ; libenter gubernabat animalia domus patris, nebat et necessaria domus faciebat, ibat ad aratrum, tribulatum, et ad turnum animalia custodiebat, p. 433 ; cf. p. 404, 410, 413, 415, 420, etc. Le soin des troupeaux doit se rapporter à sa première enfance : plus grande, elle s'occupait surtout des soins du ménage ; pour les troupeaux, c'était si peu son habitude de les garder, qu'elle-même déclare dans son procès que, si elle le fit, elle ne s'en souvient pas : Vecabat circa negocia familiaria domus, nec ibat ad campos cum ovibus et aliis unimalibus, t. I, p. 51 (Interr. du 22 févr.) ; et quod postquam fuit grandior et quod habuit discretionem, non custodiebat animalia communiter, sed bene juvabat in conducendo ea ad prata, et ad unum castrum quod nominatur Incula, pro timore hominum armatorum ; sed non recordatur an in sua juvenili ætate custodiebat an non, t. I, p. 66 (Interr. du 24 févr.).

[4] Piété de Jeanne : Mêmes témoignages, t. II, p. 400, etc. Dum erat in ecclesia, aliquotiens prona erat ante Crucifixum, et aliquando habebat manus junctas et fixas insimul, ac vultum et oculos erigendo ad crucifixum aut ad beatam Mariam, t. II, p. 459 (Arnolin, prêtre.) — Assiduité à la messe : t. II, p. 390, 396, 398, 400. Si elle avait eu de l'argent, dit naïvement un des prêtres entendus, elle l'aurait donné à son curé pour dire des messes, t. II, p. 402 (Et. de Sienne). — Pratique des sacrements : t. II, p. 390, 394, 396, 399, 404, 415, 418, 432 ; Nicolas Bailly, qui fit l'enquête Vaucouleurs, au nom de Pierre Cauchon, dit au procès de réhabilitation, qu'elle se confessait presque tous les mois, selon qu'il l'avait ouï dire de beaucoup d'habitants (t. II, p. 452). H. Arnolin, prêtre, la confessa trois fois en un carême, t. II, p. 459. — Les complies et les cloches : t. II, p. 393, 413, 420, 424. — Des lunes : on lit aussi fanas (de la laine). — L'ermitage de Belmont : t. II, p. 890, 404, 413, 420, 425, 433, 439 (témoins de Domrémy).

[5] Sa dévotion : Quod non erat bibi similis in dicta villa, t. II, p. 402 (Et. de Sionne). — Quod erat bona catholica, quodque nunquam meliorem ipsa viderat, nec in sua parochia habebat, p. 434 (Colin) ; — et ipse et alii deridebant eam, p. 420 (J. Waterin) ; — quod erat nimis devota, p. 430 (Mengette) et 418 (Hauviette). — Sa charité : Ibid. p. 398 (Jeannette Thevenin) ; — et faciebat hospitare pauperes et volebat jucere in focario et quod pauperes cubarent in suo lecto, p. 427 (Isabelle Gérardin). Un de ceux qu'elle soigna malades, en rend témoignage : Dum erat puer, ipse infirmabatur, et ipsa Johanna ei consolabatur, p. 424 (Musnier.)

[6] L'arbre des dames : Voyez ce qu'en dit Jeanne elle-même, t. I, p. 67, et presque tous les témoins de l'enquête de Vaucouleurs au n° 9 de l'interrogatoire. — Le beau may, t. II, p. 67. — L'arbre dominarum, t. II, p. 394, 396, etc. ; — ad lobias dominarum, p. 427, 430, etc. ; — tempore veris, quia tum est pulcra sicut lilia et est dispersa, ac folia et rami ejus veniunt usque ad terram, t. II, p. 423. En 1628, Edmond Bicher en parlait encore avec admiration. L'arbre n'existe plus ; mais le souvenir s'en est gardé dans le pays (voy. la note de M. J. Quicherat, t. II, p. 390). — Les seigneurs et les dames de Bourlemont : p. 398, 404, 413, 427. — Le chevalier Pierre Granier de Bourlemont et la fée : p. 404. — Les fées : Jeanne rapporte au procès qu'elle a ouï dire de l'une de ses marraines qu'elle les y avait vues : sed ipsa loquens nescit an utrum hoc esset verum vel non, t. I, p. 67. Les témoins de la révision en parlent comme de chose qui n'arrive plus, t. II, p. 410, 420, 425, 440 : Sed propter earum peccata nunc non vadunt, p. 396 (Beatr. Estellin). — Sed, ut dicitur, postquam evangelium beati Johannis legitur et dicitur, amplius non vadunt, p. 391 (J. Moreau).

Divertissement des jeunes gens : p. 390, 394, 400, 407, 423, 425, 427, 430, 434 (témoins de Vaucouleurs).

[7] Jeanne à l'arbre des dames, t. II, p. 407 (Th. Le foyer), 430 (Mengette) ; non tripudiabat, ita quod sæpe ab aliis juvenculis et aliis causabatur, p. 427 (Isab. Gérardin). Jeanne elle-même dit qu'elle a bien pu y danser aussi ; mais qu'elle y a plus chanté que dansé : Et nescit quod, postquam habuit discretionem, ipsa tripudiaverit juxta illam arborem ; sed aliquando bene potuit ibi tripudiare cum pueris, et plus ibi cantavit quam tripudiaverit, t. I, p. 68. — Et faciebat apud arborem serta pro imagine beatæ Mariæ de Dompremi, ibid., p. 67.

[8] Superstitions : Jeanne ne nie pas théoriquement l'existence des fées ou des êtres surnaturels, pas plus que personne en son temps ; mais elle dit qu'elle n'en a jamais vu à l'arbre des Dames, et ne sait si elle en a vu ailleurs (t. I, p. 67) ; car elle déclare qu'elle ne sait ce que c'est (t. I, p. 209) ; et pour ce qu'on raconte de ceux qui vont en l'erre (qui errant) avec les fées, elle ajoute qu'elle n'en sait rien, qu'elle en a entendu parler et n'y croit pas, estimant que c'est sortilège. Après cela, comment M. Henri Martin peut-il parler des fées qu'elle croyait entrevoir ? (Histoire de France, t. VI, p. 140.) Avec ce passage. (Procès, t. I, p. 67), où Jeanne dit qu'elle n'en a jamais vu, l'auteur en cite un autre (Procès, t. I, p. 168), où elle parle des apparitions de ses saintes. C'est se placer, pour en juger, du côté de ses juges.

Contraste de Jeanne et des mystiques de son temps. — C'est ce que montre M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux sur l'Histoire de Jeanne d'Arc, p. 74.

Constitution physique, simple ouï-dire : t. III, p. 219 (d'Aulon). — Ainsi encore ceux qui l'ont suivie dans ses campagnes s'étonnaient de la voir rester à cheval des jours entiers, comme étrangère aux nécessités de la nature : Dum erat in armis et eques, nunquam descendebat de equo pro necessariis naturæ ; et mirabantur omnes armati quomodo poterat tantum stare supra equum. Ibid., p. 118 (Sim. Charles) ; cf., t. V, p. 120 (P. de Boulainvilliers), et M. J. Quicherat, Aperçus, p. 59-60.

Portrait de Jeanne : Procès, t. III, p. 219 ; t. IV, p. 205, 268, 523, 330 ; t. V. p. 108,128, et le témoignage du duc d'Alençon, t. III, p. 100. Un auteur plein d'erreurs et de fables, mais qui cite un chevalier italien, présent alors à la cour de Charles VII, dit qu'elle était petite de taille, mais forte de corps : Erat brevi quidem statura, rasticanaque facie et nigro capillo, sed toto corpore prævalida. T. IV, p. 528 (Ph. de Bergame). Ce qu'il dit de sa taille, en contradiction avec les autres, peut s'expliquer par l'habit d'homme qu'elle portait ; elle pouvait, sans être petite réellement, le paraître sous le costume des hommes. Voy. Lebrun des Charmettes, Hist. de Jeanne d'Arc, t. I, p. 367, et M. Vallet de Viriville, Iconographie de Jeanne d'Arc, p. 2. Quant aux portraits qu'on a de Jeanne, aucun n'est authentique. Voy. ibid., p. 10 et 11.

[9] Le bourguignon de Domrémy : t. I, p. 66. Pour rassurer le lecteur eut le sort de ce Bourguignon, Lebrun des Charmettes remarque que Jeanne l'a plus tard accepté pour compère. (Hist. de Jeanne d'Arc, t. I, p..280, 281.) — Les enfants de Mazey : Procès, t. I, p. 66. — Les Anglais et les Bourguignons sur la Meuse : Monstrelet, II, 22, 37 et 47. Varin, Arch. legist. de Reims, Statuts, t. I, p. 675 et suiv. — Expédition préparée contre Vaucouleurs : Archives de l'Emp., sect. hist. K, cart. 69, n° 63. — Alertes à Domrémy et fuite à Neufchâteau : Procès, t. I, p. 66 et 51 ; l'art. XII de l'enquête de Vaucouleurs, t. II, p. 392 et suiv. et t. III, p. 198. — L'incendie du village, t. II, p. 396 (Béatr. Estellia). Le témoin dit que : Quand le village de Domrémy fut brûlé, Jeanne allait aux jours de fête à la messe à Greux. — Voy., pour tous ces faits, M. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 11-13.

[10] Apparitions : Ulterius confessa fuit, quod dum esset ætatis 13 anuorum, ipsa habuit vocem a Deo, pro se juvando ad gubernandum. Et prima vice, habuit magnum timorem. Et venit illa vox, quasi hora meridiana tempore æstivo in horto patris sui, et ipsa Johanna jejunaverat die præcedenti. (Procès, t. I, p. 52.) — C'est donc le lendemain d'un jeûne, et non un jour de jeûne, comme le dit M. Michelet, qui parait y chercher une cause d'hallucination, Hist. de France, t. V, p. 56). — Quod sibi videbatur digna vox, et credit quod eadem vox erat missa a parte Dei ; et postquam audivit ter illam venem, cognevit quoderat vox angeli. (Procès, t. I, p. 52.)

[11] Quod fuit sanctus Michael quem vidit ante oculos suos ; et non erat solus, sed bene associatus angelis de cælo.... Ego vidi eos oculis meis corporatibus æque bene sicut ego video vos ; et quando recedebant a me plorabam, et bene voluissem quod me secum deportassent. (Procès, LI, p. 73.)Cf. p. 171 : Et vidit ipsum multotiens antequam sciret quod esset sanctus Michael... Prima vice, ipsa erat juvenis et habuit timorem ; et de post idem sanctus Michael in tantum docuit eam et ei monstravit, quod credidit firmiter quod ipso erat. — Mission : Quod docuit eam se bene regere, frequentare ecclesiam, et eidem Johannæ dixit necessarium esse, quod ipsa Johanna veniret in Franciam. (Procès, t. I, p. 52.) — Et lui racontet l'ange la pitié qui estoit en royaume de France. (Ibid., p. 171.) Dixit sibi quod sancta Katharina et Margareta venirent ad ipsam, etc. (Ibid., p. 170.)

[12] Vœu de virginité : Prima vice qua audivit vocem suam, ipsa vovit servare virginitatem suam, tamdiu quamdiu placuit Deo. (T. I, p.128, cf. p. 127 et 157.)

Recueillement : Et sæpe dum jocarent insimul, ipsa Johanna se trahebat ad partem et loquebatur Deo, ut sibi videbatur. (T. II, p. 420.) — Secret : Interrogée se de ces visions elle a point parlé à son curé ou autre homme d'Église ; respond que non.... Et dit oultre qu'elle ne fust point contrainte de ses voix à le celer, mais doubtoit moult le révéler pour doubte des Bourguignons qu'ilz ne l'empeschassent de son voyage, et par especial doubtoit moult son père, qu'il ne la empeschast de son véage faire. (T. I, p. 128.)

[13] Détresse de Charles VII : Th. Basin, Vie de Charles VII, liv. I, ch. i. — Ordre de partir : Quod illa vox sibi dicebat his aut ter in hebdomade quod optutebat ipsam Johannam recedere et venire in Franciam. (T. I, p. 52.) — Quod ipsa Johanna iret ad Robertum de Baudricuria apud oppidum de Vallecoloris, capitaneum dicti loci ; et ipse traderet sibi gentes secum ituras. (Ibid.)

[14] Combats intérieurs : Quod mallet esse distracta cum equis, quam venisse in Franciam sine licentia Dei. (T. I. p. 74.) — Et non poterat plus durare ubi erat. (Ibid., p. 53). — Quod erat una pauper filia quæ nesciret equitare et ducere guerram. (Ibid.)

[15] Premier voyage à Vaucouleurs : MM. Michelet et Henri Martin disent que l'oncle y alla seul d'abord : c'est, je crois, mal interpréter le témoignage de Durand Laxart : Et hoc ipsa dixit eidem testi quod iret dictum Roberto de Baudricuria quod faceret eam ducere ad locum ubi erat dominus Dalphinus. (Procès, t. II, p. 444.) Quod iret peut vouloir dire qu'il allât ou qu'elle irait : mais ce qui prouve qu'il faut l'entendre dans ce dernier sens, c'est la déposition de Jeanne elle-même au procès : Dixit ultra quod ivit ad avunculum suum, sibique dixit quod apud eum volebat manere per aliquod modicum tempus ; et ibi mensit quasi per octo dies ; dixitque tum præfato avunculo suo quod oportebat ipsam ire ad prædictum oppidum de Vallecoloris, et ipse avunculus ejus illo duxit eam. (T. I p. 53.) Comparez le témoignage de Jean Moreau qui parle de plusieurs voyages : Ipsa ivit bina aut trina vice ad Vallis-Colorem, locutum Ballivo. (T. II, p. 391.) Jeanne avait reçu l'ordre, non d'envoyer mais d'aller à Vaucouleurs (t. I, p. 53). Jean Laxart dit qu'elle demeura six semaines chez lui : mais il ne le dit pas spécialement de ce voyage (t. II, p. 443).

[16] Robert de Baudricourt : Ipsa cognovit Robertum de Baudricuria, cum tamen antea nunquam vidisset, et cognovit per illam vocem prædictum Robertum. (T. I, p. 53.) Cf. les témoignages de D. Laxart, son oncle, de Jean de Novellompont, dit de Metz, et de Bertrand de Poulengi, ses premiers adhérents (t. II, p. 444, 436, 458), et la Chron. de la Pucelle (t. IV, p. 205, ou ch. XLII, p. 271, 272 de l'édit. de M. Vallet de Viriville).

[17] Retour : Ipse autem Robertus bina vice recusavit et repulit eam, et ita etiam dixerat sibi vox quod eveniret. (Procès, t. I, p. 53.) — Demi-confidences : Quod erat una puella inter Couxeyum et Vallis-Colorem, quæ, antequam esset annus, ipsa faceret consecrare regem Franciæ. (T. II, p. 440.) — Gérardin d'Épinal : t. II, p. 423. — Songes et menaces de son père : t. I, p. 131. — Son poursuivant de Toul : t. I, p. 127.

[18] Son prétexte pour partir : t. II, p. 428 (Isab. Gerardin), 430 (Mengette) et 434 (Colin). S'elle eust c pères et c mères et s'il eust été fille de roy, si fust-elle partie. (T. I, p. 129.) — Adieu à Mengette (t. II, p. 431). — Hauviette : Nescivit recessum dictæ Johannettæ : quæ testis propter hoc multum flevit. (T. II, p. 419.) — Adieu au père de Gérard Guillemette ; aux gens de Greux : t. II, p. 416 (Ger. Guillemette), et 421 (Watrin).

[19] Séjour de Jeanne à Vaucouleurs. — Erat bons, simplex, dulcis et bene moderata filia.... Libenter et bene nebat, et quia nevit in domo sua cum ipsa. (T. II, p. 446.) Erat bona filia ; tunc nebat cum uxore sua, libenter ibat ad ecclesiam. (Ibid., p. 448.) Audiebat misses matutinas et multum stabat in ea orando. (Ibid., p. 461). Elle se confessa deux ou trois fois pendant son séjour. (Ibid., p. 432.)

Sa résolution : Quod si deberet ire supra genua sua, iret. (Ibid., p. 448.)

[20] Jean de Metz, et Bertrand de Poulengy : t. II, p. 436 et 456. A propos de la fille du roi d'Écosse, M. J. Quicherat fait la remarque que dès lors, il était déjà question de marier Marguerite d'Écosse au fils du roi, encore enfant. (Ibid., p. 436.)

[21] Baudricourt, et le curé exorcisant Jeanne, etc. : t. II, p. 446, 447 (Cath., femme d'Henri le Royer.)

[22] Impatience de Jeanne : Et erat sibi tempus grave ac si esset mulier prægnans. (Ibid.) — Les frais du voyage : ibid., p. 437 (J. de Metz), équippement (ibid.), et Vallet de Viriville, Iconogr. de J. Darc, p. 2, 3. Le cheval acheté par son oncle coûta 16 francs, soit, à raison de 10 fr. 53 c. (valeur intrinsèque), 168 fr. 48 c. Voy. les excellentes tables de M. Natalis de Wailly, Mémoire sur la variation de la livre tournois. Mém. de l'acad. des inscript., Nouvelle Série, t. XXI, 2e partie, p. 249. — Jeanne chez le duc de Lorraine : t. I, p. 54 ; cf. t. II, p. 391, 406, 437, 444 ; t. III, p. 87.

[23] Prédiction de la bataille de Rouvray : Chron. de la Pucelle, Procès, t. IV, p. 206, ou chap. XLII, p. 272 (Vallet de Viriville). — Escorte de Jeanne : Procès, t. II, p. 406, 432, 437, 444, 457. — Sa confiance : t. II, p. 449 (Henri le Royer). — Adieu de Baudricourt : Vade, vade, et quod inde poterit venire, veniat. (T. I, p. 55.)