LE NOUVEAU TESTAMENT ET LES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES MODERNES

 

LIVRE III — LES ACTES DES APÔTRES

CHAPITRE VIII. — LE VOYAGE DE SAINT PAUL DE CÉSARÉE À ROME.

 

 

Les Actes des Apôtres se terminent par le récit du voyage de saint Paul de Césarée à Rome. Ce récit est d’une exactitude si minutieuse, qu’il ravit d’admiration les hommes de nos jours les plus versés dans l’art nautique. Un Anglais, M. Smith, a fait un livre sur ce [voyage][1], et l’on peut dire que ce seul livre pourrait, à la rigueur, dispenser de tout autre, en ce qui touche l’authenticité des Actes[2]. C’est donc une dernière preuve due nous pouvons ajouter à toutes celles que nous avons déjà rapportées en faveur de l’œuvre de saint Luc[3].

Il y avait deux ans que saint Paul était, retenu prisonnier à Césarée, la capitale romaine de la Palestine (59-61 de notre ère). Le procurateur romain, Festus, ne pouvait s’empêcher de reconnaître son ‘innocence, mais, sans doute dans l’espoir que son captif se rachèterait au moyen d’une forte rançon, il le retenait toujours dans les fers. L’Apôtre, à qui cette longue inaction devait peser lourdement, voulut y mettre un terme en faisant appel à César. Festus ne pouvait s’opposer à cet appel. Il fut donc décidé que Paul serait embarqué pour l’Italie avec d’autres prisonniers, sous la conduite d’un centurion nommé Jules, de la cohorte impériale. A Césarée, il y avait cinq cohortes. Le gouverneur profita du départ de celle des cohortes qui était sous le commandement de Julius pour expédier ses captifs à Rome. Le centurion Julius portait ce nom, parce qu’il appartenait à la garde du corps de l’empereur.

On se rendait rarement de Palestine en Italie par la voie directe. On allait d’abord, d’ordinaire, à Alexandrie en Égypte. C’est ce que fit Titus quand il retourna à Rome, après avoir soumis la Judée[4]. Là, il était facile de trouver un navire pour continuer le voyage en Italie, parce que les relations commerciales entre le grand port égyptien et la capitale de l’Empire étaient aussi fréquentes qu’importantes. Seulement Festus n’avait lias sous la main, à Césarée, un bâtiment d’assez fort tonnage qui transportât les prisonniers en Égypte, mais il y avait alors dans le port juif un vaisseau qui se préparait à partir pour Adrumette : c’est là que fut embarqué l’Apôtre avec saint Luc, son compagnon, qui nous a raconté le voyage.

Adramyttion ou Adrumette, aujourd’hui Édremid, était une ville de Mysie, située au fond d’un golfe en arrière de l’île de Lesbos. On croyait autrefois qu’Adrumette était la ville d’Adryméton, sur la côte de Libye. Un passage formel du Stadiasmos ne permet pas de douter qu’il ne s’agisse de la ville mysienne, car l’auteur anonyme grec dit qu’il n’y avait point de port dans la cité punique d’Adryméton[5].

Le centurion romain n’avait point l’intention de se rendre avec ses prisonniers à Adrumette de Mysie ; il comptait que le vaisseau qui allait l’emporter rencontrerait, dans quelqu’un des ports de l’Asie Mineure où il ferait escale, un autre navire qui se chargerait de les conduire jusqu’en Italie, comme il arriva en effet. Les transactions commerciales entre Césarée et la ville où se rendait finalement le vaisseau n’étaient pas assez importantes pour qu’il pût faire un chargement complet destiné uniquement à Adrumette. Il devait trafiquer avec les diverses villes où il pouvait facilement aborder le long de sa route, c’est-à-dire sur la côte d’Asie[6]. C’est ce qui nous explique tes arrêts mentionnés par les Actes. Le navire s’arrêtait aux ports principaux pour déposer ou charger des marchandises, et le centurion s’enquérait s’il n’y avait pas un vaisseau faisant voile pour l’Italie, afin d’y transborder ses prisonniers.

On dut mettre à la voile vers le 15 août. A chaque passager était alloué l’espace étroit de trois coudées de long sur une de large ou 1 mètre 36 centimètres sur 46 centimètres. Il devait pourvoir lui-même à sa nourriture ; on ne lui fournissait que l’eau ; il lui était interdit de faire frire du poisson et de fendre du bois. Paul étant prisonnier, le centurion eut peut-être à pourvoir à sa nourriture, mais les compagnons volontaires de l’Apôtre, saint Luc et Aristarque de Thessalonique, durent s’approvisionner à leurs frais[7]. Les vents du nord-ouest soufflent ordinairement pendant cette saison de l’année[8]. Ils étaient favorables au trajet nord-nord-est de Césarée à Sidon.

Le lendemain de l’embarquement, on arriva en effet à Sidon, ville de Phénicie, à vingt-huit lieues marines de Césarée, après avoir fait environ trois nœuds et demi à l’heure. Paul fut autorisé à visiter ses amis dans la ville, enchaîné sans doute avec un soldat, selon l’usage du temps[9].

De Sidon, le vaisseau devait se rendre à Myrrha, en Lycie. La route directe est à peu près au nord-ouest et laisse l’île de Chypre à droite. Mais comme les vents du nord-ouest qui soufflèrent alors étaient contraires et auraient obligé le navire de louvoyer, ce que les bâtiments de charge des anciens ne pouvaient faire, le capitaine préféra contourner par l’est l’île de Chypre, pour s’engager ensuite dans le large canal formé par le côté septentrional de l’île et la Caramanie[10]. La route si bien relevée par saint Luc se retrouve en remarquable coïncidence avec le régime des vents et des courants signalés aux navigateurs par les instructions nautiques publiées par le ministère de la marine. Il paraît bien établi, disent-elles, que les courants, après avoir prolongé en remontant au nord les côtes de Syrie, portent à l’ouest sur la côte de Caramanie et au nord de Chypre[11].

Quoique naviguant sous le vent de Chypre, le navire ne longeait point pour cela la côte de l’île. La route vers le nord le porta sur les côtes de Cilicie[12], et là il put utiliser les vents qui viennent de terre[13], en suivant le littoral, si les vents du large étaient défavorables, ou bien continuer sa marche en pleine mer, s’il ne rencontrait aucun obstacle. Il dut surtout mettre à profit le courant qui se dirige vers l’ouest et dont la force augmente lorsque le vent d’ouest le refoule sur la Syrie, comme c’était le cas en cette saison. Ce courant ne trouve alors d’issue qu’entre Chypre et le continent. Il porta rapidement saint Paul à Myrrha[14].

Myrrha, aujourd’hui Myra, était la capitale romaine de la Syrie[15]. Bâtie sur une colline, à près de quatre kilomètres de la mer, son port est à quelque distance dans les terres, à l'embouchure d'une petite rivière nommée aujourd'hui Andraki. Sa rade a toujours offert un bon mouillage. Elle avait de fréquentes relations avec l'Égypte. Nous avons la preuve au IVe siècle dans la vie de saint Nicolas, le célèbre évêque de cette ville. C'est sur un navire d'Alexandrie que, dans sa jeunesse, Nicolas se rendit de sa patrie en Égypte. Plus tard, quand il était déjà évêque de sa ville natale, il obtint pendant une famine que des vaisseaux d’Alexandrie, chargés de blé pour Constantinople et qui avaient relâché dans le port, cédassent à Myrrha une partie de leur chargement. De nos jours encore, l’Égypte continue à tirer des bois de Myrrha et de la Caramanie[16].

Fig. 31 — Navire antique, d’après un tombeau de Pompéi.

Le centurion Julius trouva dans le port un navire d’Alexandrie en partance pour l’Italie. Les vaisseaux d’Alexandrie transportaient à Rome les blés de l’Égypte, véritable grenier d’abondance, qui approvisionnait la capitale de l’empire. Ils déchargeaient leur cargaison à Pouzzoles (Puteoli), où elle était accueillie avec grande joie[17]. Quelques-uns de ces navires avaient de très grandes dimensions. L’Isis, que Lucien[18] décrit comme étant d’une dimension extraordinaire, avait une capacité de plus de deux mille six cents tonneaux[19], si les mesures qu’il donne ne sont pas fort exagérées[20]. Les marins d’Alexandrie passaient pour les meilleurs de cette époque. Ils conduisent leur navire, disait l’empereur Caligula à Agrippa, petit-fils d’Hérode, avec l’habileté et la sûreté du cocher qui guide ses chevaux dans un champ de course[21].

C’était donc une bonne fortune pour le centurion, chargé d’amener saint Paul à Rome, de rencontrer à Myrrha un navire d’Alexandrie. Le vent d’ouest qui avait forcé le bâtiment d’Adrumette à se diriger au nord avait obligé celui d’Alexandrie à suivre la même route[22]. Il se rendait vraisemblablement à Pouzzoles, et devait ainsi amener les prisonniers juifs jusqu’en Italie. De Myrrha à Pouzzoles, il y a trois cents lieues marines. Cette traversée pouvait s’effectuer en dix jours, si toutes les conditions étaient favorables. En tenant compte des calmes, des vents contraires et des relâches pour faire de l’eau, on pouvait calculer qu’on avait encore un mois avant les mauvais temps pour arriver, avec une vitesse moyenne, au terme du voyage.

Le navire alexandrin dut partir de Myrrha vers le commencement de septembre. En quittant ce port, pour suivre sa route vers l’ouest, il n’avait plus le bénéfice du courant parallèle à la côte, car, parvenu à la hauteur du cap Khélidonia, le courant tourne vers le sud. On ne put donc avancer qu’avec peine en longeant la côte et en utilisant les vents de terre qui soufflaient pendant la nuit, ce qui causait des pertes de temps considérables. Il fallut attendre longtemps avant de parvenir à la pointe sud-ouest de l’Asie Mineure, dans le voisinage de Cnide. Nous allâmes fort lentement pendant plusieurs jours, dit saint Luc, et nous arrivâmes avec grande difficulté vis-à-vis de Cnide[23].

Si le vent avait été favorable, le vaisseau se serait dirigé vers l’ouest, aurait traversé la mer Égée, doublé le cap Maléa et continué directement sa route vers la Sicile. Mais au lieu du vent du nord dont il aurait eu besoin, le vent d’ouest nord-ouest, qui l’avait tant gêné pour arriver à la hauteur de Cnide, soufflait toujours et s’opposait à la marche en avant. Force fut de se résigner à prendre la route du sud-sud-ouest, vers le cap Sulmone, pour passer sous l’île de Crète[24]. Arrivé là, on peut utiliser les vents de terre, en longeant la côte méridionale de l’île. C’est ce qu’on fit, mais non sans beaucoup de peine[25]. La navigation est fort difficile à l’est et au sud de la Crète ; tantôt des rafales qui tombent des montagnes, tantôt des calmes sont les obstacles à vaincre, lorsque l’on se tient près de terre[26]. Les retards éprouvés par les marins qui se dirigent vers l’ouest, dans cette partie de la Méditerranée, durant les mois d’automne, sont si inévitables, que j’ai rencontré à peine un cas, dit James Smith, dans lequel on ne les ait pas éprouvés[27]. Un pèlerin de Terre Sainte, au XVIe siècle, Rauwolf, raconte qu’après avoir passé le cap Sulmone, en venant, de l’est, le navire qui le portait rencontra un bâtiment qui était parti de Tripoli depuis sept semaines, et à qui l’on fut obligé de donner du biscuit, parce qu’il avait épuisé ses provisions[28].

Le navire qui portait saint Paul atteignit enfin l’endroit appelé Bonsports[29], dans le voisinage d’Alassa. Kalo-Limniones ou, plus correctement, ‘stus Kalùs-Limiônes, dit Findlay, est une petite baie, ouverte à l’est, mais protégée en partie par deux îlots, situés au sud-est et au sud[30]. Voilà pourquoi elle n’est pas recommandée comme ancrage bon pour hiverner[31]. Alassa ne peut être que la ville d’Alai, mentionnée par le Stadiasmos, entre Lébena et Matala[32]. Kalo-Limniones est à trois milles marins à l’est du cap Matala ou Lithinos, qui forme la pointe la plus méridionale de l’île dé Candie. Saint Luc remarque, comme le Directoire de la Méditerranée, que Kalo-Limniones n’était pas propice pour hiverner[33]. Ce fut là ce qui détermina le capitaine du navire à continuer sa route, malgré l’avis de saint Paul, et quoique la saison où l’on avait coutume de suspendre la navigation chez les anciens fût arrivée.

Saint Grégoire de Nazianze, parti eu novembre d’Alexandrie pour la Grèce sur un navire d’Égine, raconte dans ses poèmes que c’est un temps que les matelots redoutent ; le plus grand nombre n’oserait se mettre en mer[34]. Je demeurai, dit-il, vingt jours et vingt nuits couché sur la poupe, implorant la pitié du Seigneur[35].

A l’époque où nous sommes arrivés du voyage de saint Paul, on n’était encore qu’à la fin de septembre[36], mais déjà, comme le dit saint Luc, la navigation n’était plus sûre[37]. Les vaisseaux des anciens n’étaient pas faits pour braver les intempéries de l’hiver, outre que l’habitation en était fort peu commode pendant les jours courts et froids ; surtout, ils ne pouvaient se diriger quand le temps était couvert[38]. Ce n’est que sous l’empereur Justinien qu’il fut défendu sous des peines légales de naviguer en hiver, mais l’usage général était de rester au mouillage de novembre à mars, et, selon le droit rhodien, conservé par le Digeste[39], le capitaine qui risquait son navire n’avait aucun recours sur les marchandises, s’il était forcé de jeter à la mer ses agrès et son armement[40].

Chez les anciens, l’armateur, celui que saint Luc appelle le maître du vaisseau, accompagnait d’ordinaire son propre bâtiment pour régler la question de fret ou s’occuper de son commerce. Il s’adjoignait un capitaine. Quand saint Paul signala le danger qu’on allait courir, si l’on continuait le voyage, l’armateur et le capitaine ne l’écoutèrent point, dans l’espoir peut-être d’arriver à destination avant le mois de novembre, qui clôturait généralement la navigation, et ils gagnèrent le centurion à leur avis. Comme le port n’était pas propice pour hiverner, la plupart furent d’avis de se remettre en mer pour tâcher de gagner Phénice[41]. On se proposait cependant d’hiverner en ce dernier endroit[42].

Phénice est le port actuel de Latro, à treize lieues seulement à l’ouest de Kalo-Limniones, c’est-à-dire à une journée de navigation. C’est la seule baie de la côte sud dans laquelle un bâtiment pourra mouiller en toute sécurité dans l’hiver, parce que les vents du sud, repoussés par les hautes montagnes qui la dominent, ne viennent jamais à terre, et parce que : la mer qu’ils soulèvent arrive presque morte à la côte, de sorte que les bâtiments roulent, mais les amarres ne fatiguent pas[43]. C’est ce que dit saint Luc en d’autres termes : Phénice est un port de Crète qui est abrité du Libonotus (vent du sud-ouest) et du Corus (vent du nord-ouest)[44].

Le port de Kalo-Limniones n’étant pas sûr, et celui de Phénice offrant, au contraire, toute sorte d’avantages, il semblait qu’on agit selon les règles de la prudence en essayant de s’y abriter, mais l’événement prouva que saint Paul était éclairé d’une lumière supérieure à l’expérience humaine.

Le vent du midi commençant à souffler doucement, on mit à la voile, mais il se leva un peu après un vent impétueux nommé Eurakylon[45]. Du sud, le vent sauta donc brusquement au nord-est[46]. Les rafales qui tombent du mont Ida, lorsqu’il fait un coup de vent du nord, soufflent dans la baie [de Messara, à l’ouest de Kalo-Limniones], avec une grande violence, et ces vents sont très fréquents entre les mois de juin et d’octobre[47]. Le navire d’Alexandrie était donc à peine arrivé à la hauteur du cap Matala, sans avoir pu embarquer le canot, qu’un violent ouragan éclata ; il emporta le vaisseau, sans qu’on pût le gouverner, et l’on fut réduit à le laisser aller au gré de la tempête[48]. Il aurait fallu virer de bord, mais c’était impossible. L’ouragan était survenu si rapidement qu’on avait à peine eu le temps d’amener la voile, que le vent aurait emportée sans cette précaution. Si la tempête trouble violemment la mer, dit Euripide, les matelots, se livrant à la Fortune, doivent se confier au cours des flots[49].

Saint Paul et ses compagnons furent portés au-dessous d’une petite île nommée Cauda, ou, d’après beaucoup de manuscrits Clauda[50]. Ptolémée[51] mentionne cette île sous le nom de Caaudos, Pomponius Mela sous celui de Gaudus, un fragment palimpseste de Strabon[52] récemment découvert sous celui de Caudos :

κεΐται δέ κατά Καΰδον τής Κρήτης έν κτλ.[53].

Le Stadiasmos l’appelle Klaudia ; les Grecs lui donnent le nom de Clauda-nesa ou Gaudonesi, que les Italiens ont corrompu en Gozo. Cette île, d’ailleurs sans importance, est à l’ouest du cap Matala, au sud de la Crète et de Phénice, à vingt milles de distance de Sphakia[54].

On parvint enfin, non sans peine, à tirer sur le navire le canot qui devait être la dernière ressource en cas de naufrage. Le vaisseau craquait de toutes parts. Ceux qui ont navigué par des temps forcés connaissent ces grincements sinistres et alarmants des boiseries, qui se font entendre dans toutes les parties du navire, répondant à chaque coup de roulis et de tangage[55]. Les matelots, pour résister à la tempête, employèrent toutes sortes de moyens, ils lièrent le vaisseau par-dessous, et craignant d’être jetés sur la Syrte, ils mouillèrent l’ancre flottante et se laissèrent ainsi aller[56].

Les anciens redoutaient beaucoup les Syrtes périlleuses comme les nommait Pline. Là politique de Carthage avait exagéré les difficultés de la navigation sur les côtes des deux Syrtes ; mais la grande, comprise entre les deux caps Mezrata et Monktar, sur une étendue de 357 kilomètres, méritait sa mauvaise réputation. Largement ouverte aux vents du nord, imparfaitement protégée contre ceux du sud par les basses terres qui la bordent, la grande Syrte est alternativement balayée par deux courants atmosphériques d’une extrême violence, qui déterminent tour à tour d’énormes accumulations d’eau vers le centre ou d’effroyables ras de marée à la circonférence. Ce double phénomène, que les anciens expliquaient à tort par le flux et reflux, constituait le seul véritable péril de la grande Syrte, mais ce péril était sérieux, et il l’est encore pour nos voiliers. C’était à ces courants irrésistibles que les Syrtes devaient leur nom : Syrtes ab tractu nominatæ, disait Salluste[57].

Lorsqu’un navire, détourné de sa route par le vent ou par les courants, s’engage, écrit Procope, dans le demi-cercle que décrit le golfe, il lui est impossible de reprendre sa direction primitive ; il semble entraîné par une force invisible et croissante, et c’est pour cela, j’imagine, que les anciens ont donné aux Syrtes le nom qu’elles portent. Les navires ne peuvent même pas arriver jusqu’au rivage : la plage presque toute entière est semée de roches sous-marines qui ne permettent pas d’y aborder et causent la perte des bâtiments. Ce n’est qu’en abandonnant le navire et en se jetant dans les embarcations que l’équipage peut espérer un salut toujours incertain[58]. D’autant plus incertain, que le barbare Nasamon, qui habitait la côte, traitait le naufragé comme une proie que lui livrait la mer :

... Æquorens Nasamon, invadere fluctu

Audax naufragia et prædas avellere ponto[59].

Le vent, dont la direction était nord-est, poussait le vaisseau d’Alexandrie vers ces redoutables écueils. La grande Syrte n’est qu’à cent quarante lieues de la Crète. Pour éviter d’y être porté, et afin de diminuer le tirant d’eau et de casser la vitesse du navire, on jeta d’abord la plus grande partie de la cargaison à la mer, et puis les agrès du vaisseau, vergues, gaffes, avirons, cordages, etc. On allait ainsi à l’aventure, ignorant même où l’on se trouvait, car, pour comble de malheur, le soleil et les étoiles ne paraissaient plus depuis plusieurs jours[60] ; or, les marins de l’antiquité, quand ils perdaient les côtes de vue, se réglaient sur le soleil et sur les étoiles, les Grecs sur la grande Ourse, les Sidoniens sur la petite[61]. Tout paraissait perdu ; on ne prenait même plus de nourriture. C’est alors que saint Paul releva le courage de tous en leur assurant qu’il ne périrait personne, quoiqu’ils dussent être jetés contre une île, comme Dieu le lui avait révélé[62].

Je vous engage à prendre courage, leur dit l’Apôtre, car personne d’entre vous ne périra, excepté le vaisseau. Un ange du Dieu à qui je suis et que je sers m’est apparu cette nuit et il m’a dit : Paul, ne crains pas ; il faut que tu comparaisses devant César et Dieu t’a accordé la vie de tous ceux qui naviguent avec toi. C’est pourquoi ayez courage, amis, car je suis certain qu’il sera fait selon la parole de Dieu, comme il m’a été dit[63].

Les compagnons de saint Paul n’étaient pas habitués à entendre un tel langage et il dut faire sur eux une impression profonde. Les littérateurs l’ont admiré à bon droit. Il y a, dit Saint-Marc Girardin, dans les luttes que l’homme soutient contre la nature, un genre de courage qui ne combat pas le danger mais qui le dédaigne : c’est le courage du chrétien... Le récit de la tempête de saint Paul, dans les Actes des Apôtres, est le meilleur exemple de l’intérêt qu’ex-cite ce genre de courage... A Dieu ne plaise que je mette les fictions d’Homère en parallèle avec la vérité du récit sacré ! Je veux seulement comparer les sentiments que Dieu donne à son Apôtre avec ceux que représente le héros d’Homère. Dans la tempête des Actes des Apôtres, comme dans celle d’Ulysse, l’homme est toujours en scène. Mais, entre Ulysse et saint Paul, quelle différence ! L’un, qui ne désespère ,jamais, quoiqu’il ne se résigne jamais non plus, et qui n’est soutenu, dans sa lutte contre le danger, que par l’amour de la vie, sentiment qui donne plus de patience que de dignité ; l’autre qui, dans un vaisseau battu par les flots, n’a pas l’air de s’occuper de l’orage, sinon pour consoler ses compagnons, et qui leur dit d’un ton assuré qu’ils ne perdront pas un cheveu de leur tête[64] : l’ange de Dieu le lui a dit, et son Dieu ne trompe pas. Homère montre Ulysse qui hésite, quand Leucothée lui conseille de quitter son vaisseau et de se jeter dans les flots : peut-être est-ce une ruse d’un dieu ennemi[65] ? Mais le Dieu que sert saint Paul n’a point de ruses, et ses paroles n’inspirent pas l’hésitation ; elles affermissent le cœur de l’homme, elles lui donnent l’oubli de l’orage et de ses fureurs. Saint Paul n’est plus un naufragé qui se débat avec courage contre la mort ; c’est un prophète et un apôtre. La tempête cesse presque d’être un danger ; elle n’est plus qu’une occasion de faire éclater la grandeur du Dieu qu’il sert, du Dieu auquel il est : car il est à Dieu et non pas à ces vagues courroucées qui le croient leur proie, non pas à ce vaisseau à demi brisé et destiné à périr ; il est à Dieu, lui et tous ses compagnons, dont Dieu lui a accordé la vie[66].

Les promesses qu’avait faites saint Paul, au nom du Seigneur, ne tardèrent pas à se réaliser. Le quatorzième jour après le départ de Kalo-Limniones, sur la mer Adriatique, les matelots, vers le milieu de la nuit, crurent qu’ils approchaient de quelque terre. Ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses et un peu plus loin quinze[67]. Alors, craignant de donner contre quelque écueil, ils jetèrent de la poupe quatre ancres et ils attendirent avec impatience que le jour se fît[68].

Saint Luc a encore ici parfaitement observé : mouiller au moyen des ancres de l’avant, c’eût été forcer le navire à venir présenter l’avant au vent, et ce mouvement tournant qu’on appelle en marine évitage, n’eût pas été sans danger, car, dans son évolution, le navire fût resté un temps plus ou moins long de travers à la lame. Tant que l’art de forger n’a pu fournir aux navigateurs des ancres d’un grand poids, on y a suppléé par le nombre. Cet état de choses a duré fort longtemps : deux nefs construites pour saint Louis à Gênes, aux dimensions de 21 mètres de quille et de 8 mètres de largeur devaient, suivant les conditions de marche, être pourvues chacune de vingt-six ancres[69].

On a fait le calcul suivant sur le chemin parcouru par le navire durant la tempête : Depuis qu’on avait quitté l’île de Cauda, il s’était écoulé treize jours et demi ou 324 heures. Nous comptons maintenant qu’un navire allant à mât et à cordes pendant une tempête, fait par heure de un à deux milles marins ou en moyenne un mille et demi. Nous pouvons admettre cette évaluation pour le vaisseau de saint Paul. La longueur du chemin qu’il parcourut est donc de 466 milles. Or, comme le naufrage le montra plus tard, on était arrivé dans le voisinage de Malte... et la distance de Cauda à Malte en droite ligne est de 474 milles. La concordance est d’autant plus étonnante que le vaisseau avait dû suivre une route un peu plus longue, parce qu’il avait été emporté par un vent du nord-est, passant lentement au sud, et ne soufflant pas par conséquent dans la direction exacte de Cauda à Malte[70].

Le navire était enfin arrivé près de terre, et il n’y avait plus qu’à attendre le jour afin de pourvoir à la sûreté de tous. Mais les matelots craignirent que le vaisseau ne sombrât dans la nuit et ils mirent la chaloupe à la mer, sous prétexte d’aller jeter des ancres, du côté de la proue, en réalité pour s’enfuir et abandonner les passagers à leur malheureux sort. Saint Paul déjoua leur lâche tentative ; le centurion et les soldats prévenus par lui coupèrent les câbles du canot et le laissèrent aller à la dérive. L’Apôtre rassura d’ailleurs tout le monde en leur promettant que personne ne perdrait un seul cheveu, et il engagea chacun à manger pour reprendre des forces. On avait conservé du blé qui servait de lest au navire. Saint Paul donna l’exemple, et tous mangèrent comme lui. On ne faisait pas de cuisine sur les bâtiments des anciens, excepté dans des cas rares et pour des voyageurs d’un rang élevé. On ne cuisait les aliments qu’à terre, ce qu’on pouvait faire d’ailleurs assez fréquemment, parce qu’on longeait souvent les côtes. Si la navigation en pleine mer devait être de longue durée, on emportait des mets préparés d’avance[71]. Le fonds de l’alimentation était le panis nauticus, le biscuit[72], fait de farine d’orge, apprêtée avec de l’eau, du lait, du vin ou de l’huile, la viande fumée ou salée et le poisson salé, auquel on ajoutait du fromage, des oignons et des poireaux. On avait à bord des moulins à bras pour moudre le blé, en cas que la provision de farine fût insuffisante. C’est ainsi que, dans Tite Live, les Arétins promettent autant de meules qu’il en faut pour quarante grands navires[73]. Il n’y avait sur le bâtiment ni table servie ni domestique pour servir : chacun devait aller chercher sa nourriture[74].

Quand l’Apôtre et ceux qui étaient avec lui eurent tous mangé, on jeta le blé qui restait dans la mer, parce qu’il fallait diminuer le tirant d’eau du navire en l’allégeant, afin qu’il pût approcher de la côte le plus possible, puisqu’on n’avait plus de canot pour débarquer. Le jour étant venu, les matelots aperçurent une côte bordée de rochers, sur lesquels la mer brisait avec fureur, à l’entrée d’une baie où le capitaine résolut d’échouer, mais que l’équipage ne reconnut point. On s’est étonné sans raison que des marins n’eussent pas reconnu les côtes de Malte, dit M. Breusing. Comme la route d’Alexandrie à Pouzzoles passait par le détroit de Messine, ils pouvaient avoir fait une douzaine de fois et plus la traversée sans avoir même vu cette île, et s’ils l’avaient aperçue de loin, ils auraient pu reconnaître seulement à distance et non de près cette côte rocheuse que rien ne distingue de tant d’autres[75].

Quoiqu’on ne reconnût point les lieux, on ne pouvait pas hésiter à quitter le navire. Ayant rencontré un banc qui avait la merdes deux côtés, on y fit échouer le vaisseau ; la proue s’y étant appuyée demeurait immobile, mais la poupe se rompait par la violence des eaux. Le moment était critique. L’avant s’était relevé en échouant ; par suite, l’arrière s’enfonça dans l’eau et fut envahi par les vagues. Il ne restait plus qu’à se sauver à la nage ou sur les débris du navire. Les soldats romains, craignant que leurs prisonniers ne parviennent à leur échapper, sont d’avis de les faire mourir. Le centurion, qui veut sauver Paul, les empêche d’exécuter leur dessein. Il commande à ceux qui savent nager de se jeter les premiers à la mer ; les autres se réfugient sur des planches ou autres pièces du bâtiment. Le flot les poussa tous vers la terre. Comme l’avait prédit l’Apôtre, tout le monde sans exception fut sauvé. Quand on eut atteint le rivage, on reconnut qu’on était dans l’île de Malte.

Divers commentateurs de nos jours ont prétendu que la Mélita où avait échoué saint Paul n’était point l’île de Malte, mais l’île Mélita, appelée aujourd’hui Méléda, sur les côtes de Dalmatie[76]. Il suffit d’une seule observation pour réfuter ce sentiment. L’île de Méléda ne réalise point les conditions dont parlent les Actes. Saint Luc nous dit que les matelots ayant jeté la sonde dans le voisinage de Mélita trouvèrent vingt brasses et un peu plus loin quinze brasses[77]. Or ce sondage convient parfaitement à l’île de Malte, mais non à celle de Méléda. Le littoral de cette dernière, sur la côte sud, la seule dont il puisse être question, a une pente si rapide dans la mer, qu’au moment où la sonde mesure vingt brasses, on n’a plus le temps d’en retrouver quinze, et de mettre l’ancre[78]. Cette côte n’a pas un seul mouillage.

La baie de l’île de Malte, où prirent terre les naufragés, est celle qui porte aujourd’hui le nom de Saint-Paul, Cala di San Paolo, au nord-est de l’île. La statue du grand Apôtre s’élève sur l’îlot de Gzeir qui ferme la baie au nord, et un bas-fond de roches dans le nord-est, à un demi mille au sud de l’îlot, porte le nom de Banc de Saint-Paul. L’emplacement répond exactement à la description de saint Luc. La baie présente à son extrémité, au sud-ouest, la plage sur laquelle on voulait échouer. Au milieu de la passe se trouve le... Banc de Saint-Paul, sur lequel échoua le navire. Ce banc est formé de terre glaise. On s’explique facilement que les courants provoqués par les vents d’est, violents dans ces parages, aient produit sur le banc fine érosion qui ne peut que s’accroître. De nos jours, il est à sept brasses de profondeur. Au temps de Paul on devait y mesurer de deux à trois brasses. C’est un peu à l’est du banc que nous devons chercher l’endroit où l’on mouille par quinze brasses de fond. Le point situé exactement à l’ouest de ce banc est, d’après les habitants, le lieu où les naufragés se sauvèrent à la nage. Cette supposition est absolument conforme aux faits. Le vent d’est, qu’il soit est-nord-est ou nord-est, fait monter les eaux dans la baie. Cette eau ne peut s’échapper que par le canal situé entre l’île de Gzeir et la terre. Un courant orienté vers le nord suit donc la tête et dut porter les naufragés, cramponnés à leurs planches, non à l’extrémité de la baie, mais à l’ouest du banc[79].

L’île de Malte était alors, depuis deux siècles, sous la domination des Romains, qui l’avaient enlevée à Carthage ; elle dépendait du préteur de Sicile. Saint Luc appelle les habitants des Barbares[80], dans le sens grec de ce mot qui désignait proprement l’étranger ignorant de la langue grecque, parce qu’ils parlaient, comme aujourd’hui encore, une sorte de patois, formé à cette époque comme actuellement des débris des langues parlées par les peuples divers qui ont été tour à tour les maîtres de cette importante station maritime.

Les Maltais reçurent les naufragés avec humanité. Ils allumèrent un grand feu, à cause de la pluie qui tombait et du froid, et ils ranimèrent de la sorte ceux que la fureur des flots venait de confier à leur hospitalité.

Pendant que l’on se réchauffait ainsi, saint Paul, prenant des sarments pour alimenter le feu, fut mordu à la main par une vipère, qui y resta suspendue. Les Barbares se dirent l’un à l’autre, racontent les Actes : Cet homme est sans doute coupable de meurtre, puisque, après avoir échappé à la mer, la vengeance divine ne lui permet pas de vivre. Mais Paul, ayant secoué la vipère dans le feu, n’en souffrit aucun mal. Or, les Barbares croyaient qu’il allait enfler, tomber subitement et mourir. Mais, après avoir longtemps attendu, voyant qu’il ne lui arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment et dirent que c’était un dieu[81].

La vipère n’existe plus à Malte, ce que les habitants attribuent à la protection de saint Paul. Les incrédules ont cherché à tirer de là une difficulté contre le récit de saint Luc. Mais, dit M. Breusing, l’objection qu’on fait parce qu’on ne trouve point de serpents à Malte, se résout sans peine si l’on considère que l’île était autrefois très boisée, de sorte que saint Paul put y ramasser facilement des fagots ; les reptiles pouvaient par conséquent s’y abriter à l’aise. Aujourd’hui, par suite des défrichements successifs, on n’y rencontre plus que quelques arbres[82]. On sait que la flore d’un pays influe considérablement sur sa faune. Tournefort, qui voyageait en Orient au commencement du XVIIIe siècle, raconte que la vipère, qui, du temps de Pline[83], infestait les îles Cimoles, aujourd’hui l’Argentière et Tinos, a complètement disparu de ces îles[84].

Celui qui était alors à la tête de l’île s’appelait Publius. La Vulgate lui donne le titre de prince, principis insulæ, mais le texte grec lui donne un titre caractéristique et qui montre jusqu’à quel point l’auteur des Actes poussait l’exactitude ; il l’appelle : le Premier de l’île[85]. Or, les monuments épigraphiques donnent en effet ce titre de Premier au gouverneur de l’île.

Voici ce qu’on lit dans une inscription grecque :

Λ. Κλ. υίος . Κυρ. Προυδηνς . ιππευς.

Ρωμαιων . πρωτος . Μελιταιων[86].

L(ucius), fils de Cl(aude), de la tribu Qui(rina), Prudens, chevalier romain, Premier des Maltais, etc.

Une inscription latine porte :

MEL. PRIMUS[87].

Saint Paul séjourna à Malte pendant trois mois, guérissant tous ceux de l’île qui étaient malades et venaient à lui[88]. L’Apôtre quitta alors Malte sur un autre vaisseau d’Alexandrie, le Castor et Pollux, qui avait hiverné dans le port de l’île. Ce port, qu’on appelle aujourd’hui La Valette, est excellent[89], et à toutes les époques les navires y ont cherché un refuge contre les mauvais temps. Lorsque soufflent les grands vents d’ouest et du nord-ouest, fréquents pendant l’hiver, le port dé La Valette est encombré et quelquefois rendu inaccessible par le grand nombre de navires qui attendent un bon vent ou qui réparent leurs avaries.

Le Castor et Pollux dut quitter Malte vers le milieu de février. L’époque n’était pas encore très favorable à la navigation, mais en choisissant un moment propice, on pouvait faire la traversée dans de bonnes conditions. Elle ne dut pas demander plus de vingt-quatre heures de Malte à Syracuse, où l’on se rendit directement. Syracuse, capitale de la province sénatoriale de Sicile, était alors une des villes les plus commerçantes de la Méditerranée. Cicéron l’appelait la plus grande des villes grecques et la plus belle des cités[90]. Un temple magnifique de Jupiter Olympien signalait au large ses deux ports aux navires qui lui apportaient leurs marchandises[91].

Après un arrêt de trois jours à Syracuse, le bâtiment alexandrin reprit la mer. Il fit voile pour Rhegium, aujourd’hui Reggio, de l’autre côté du détroit de Messine. Saint Luc observe qu’on côtoya les terres[92]. Il y a dans le détroit des contre-courants qui obligent souvent de longer la côte. Les courants sur les deux bords opposés du détroit, portent au nord, lorsque le courant principal, qui suit le milieu du canal, porte au sud, ou bien l’inverse a lieu, parce que le courant principal se renverse comme les marées. C’est ce qui obligea le Castor et Pollux à se tenir près des terres.

Il ne s’arrêta probablement à Rhegium que pour prendre un pilote[93], afin de franchir sans crainte le passage que rendaient redoutables les écueils fameux de Charybde et de Scylla. Le navire marchand d’Alexandrie, qui ramena Titus à Pouzzoles après sa campagne de Judée, toucha aussi à Rhegium et sans doute pour le même motif[94].

Profitant d’un ont du sud, le vaisseau qui portait l’Apôtre se dirigea vers Pouzzoles, dans la baie de. Naples, dans ce pays enchanteur où la nature semble avoir rassemblé tontes ses beautés et toutes ses séductions. C’était alors le rendez-vous des vaisseaux qui apportaient à Rome les blés de l’Égypte, et on appelait Puteoli, à cause de l’importance de son commerce, la petite Délos, parce que Délos, dans la mer Égée, avait été un des plus grands marchés de l’univers.

Là finit la navigation de saint Paul. Parti de Césarée vers le milieu d’août de l’an 60, il arrivait à Pouzzoles dans les derniers jours de février 61[95]. Quelques jours après, il était à Rome et il prêchait la foi dans ses liens. C’est à l’arrivée de l’Apôtre à Rome que s’arrêtent les Actes des Apôtres.

On voit, par tous les détails dans lesquels nous sommes entrés, combien le récit de saint Lue est précis, exact, en un mot parfaitement historique. Tous les travaux modernes rendent hommage à la véracité des Actes. Les études des marins de nos jours confirment de tous points ce que raconte le compagnon de saint Paul sur la traversée de Palestine en Italie, de même que les relations des voyageurs et les découvertes épigraphiques contemporaines attestent, comme nous l’avons vu, que l’historien des Apôtres était très sûrement renseigné sur les lieux qu’il a décrits, sur tous les faits dont il nous a conservé la mémoire. Il est impossible d’établir l’authenticité d’un écrit, d’une manière plus irréfragable. A chaque page, on reconnaît un auteur contemporain, consciencieux, instruit et digne de foi. Saint Luc ne serait-il pas inspiré, son témoignage serait encore au-dessus de tout soupçon et à l’abri de toute contestation.

 

 

 



[1] James Smith, The Voyage and Skipwreck of saint Paul, in-8°, Londres, 1848.

[2] M. Wallon, De l’autorité de l’Évangile, p. 120.

[3] Le voyage de saint Paul, raconté par saint Luc, a été aussi étudié par A. Breusing, Die Nautik der Alten, in-8°, Brème, 1880, p. 142-205 ; J. Vars, L’art nautique dans l’antiquité, d’après A. Breusing, in-12, Paris, 1887, p. 112-253 ; A. Trève, Une traversée de Césarée de Palestine à Putéoles au temps de saint Paul (Extrait de la Controverse), in-8°, Lyon, 1887. Nous tirons de ces ouvrages la plupart des détails contenus dans ce chapitre.

[4] Suétone, Titus, 5.

[5] Stadiasmus maris magni, 116, dans les Geographi græci minores, édit. Didot, t. I, p. 470.

[6] La meilleure leçon du texte est μέλλοντι πλεΐν, qui devait côtoyer, se rapportant au navire, au lieu de μέλλοντες πλεΐν que porte le textus receptus, et qui se rapporte à ceux qui étaient sur le navire, Actes, XXVII, 2.

[7] A. Trève, Une traversée de Césarée de Palestine à Putéoles, p. 8-9.

[8] The most prevailing winds are the N. E. or Etesian winds, which blow fresh and almost constantly for several months in autumn. J. Stewart, dans Findlay, Mediterranean Directory, p. 3.

[9] Eadem catena et custodiam et militera copulat, dit Sénèque, Epist., V.

[10] Saint Luc emploie l’expression technique exacte : ύπεπλεύσαμεν τήν Κύπρον. Actes, XXVII, 4. Le navire de saint Paul, en quittant Sidon pour le nord, ne pouvait passer qu’à l’est de Chypre. Comme les marins nomment le côté tourné vers le vent le dessus du vent, et la région opposée le côté sous le vent, l’expression ύποπλεΐν τήν Κύπρον, dont le contraire serait ύπερπλεΐν τήν Κύπρον, est le terme nautique. Par un vent d’ouest, on mettait le cap sur l’est de Chypre, par conséquent sous le vent de Chypre. A. Breusing, Die Nautik der Alten, p. 155. Saint Luc, dit J. Smith, par l’emploi exact des termes nautiques, donne à son langage une grande précision et exprime en un seul mot ce qui autrement aurait demandé une périphrase. Voyage and Shipwreck of saint Paul, p. 20-21.

[11] A. Trève, Une traversée, p. 10. Voir aussi sur ce courant, Findlay, Mediterranean Directory, p. 7.

[12] Actes, XXVII, 5.

[13] Dans l’antiquité, comme de nos jours, on tirait notamment parti du vent qui souffle de terre pendant la nuit. Héliodore, Æthiop., IV, 16.

[14] Un célèbre hydrographe anglais, Sir Francis Beaufort (dans W. H. Smyth, The Mediterranean, Londres 1851, p. 168), raconte ce qui suit, qui est comme le commentaire de ce passage des Actes : Depuis la Syrie jusqu’à l’Archipel, règne un courant constant vers l’ouest, faible en pleine mer, mais très sensible près de la côte, le long de laquelle il court avec une vitesse considérable, quoique irrégulière... La grande masse d’eau qui se meut vers l’ouest est interceptée par la côte occidentale du golfe d’Adalia [Adalia, aujourd’hui Sataliéh en Caramanie, est l’ancienne Attalia ou Olbia fondée par Attale II en Pamphylie]. Alors, resserrée et accumulée, elle se précipite avec une plus grande violence vers le cap Khélidonia, d’où elle se déverse en pleine mer et s’étale de nouveau.

[15] La Vulgate et le Codex Sinaiticus portent Lystre, mais c’est certainement Myrrha qui est la véritable personne. Le Stadiasmus maris magni l'appelle Άλμυρά, Geographi græci minores, édit. Didot, t. I, p. 492. Ptolémée l'appelle Αίλμυρα. C'est de cette dernière orthographe qu'est venue probablement la leçon Αύστρα, de la Vulgate et du Codex Sinaiticus.

[16] A. Trève, Une traversée, p. 11.

[17] Voir Sénèque, Epist. LXXVII : Gratus illarum (navium) Campaniæ adspectus est.

[18] Lucien, Nav., I.

[19] Le tonneau est de 1.000 kilogrammes.

[20] A. Breusing, Nautik, p. 157. M. Trève, Une traversée, p. 17, ne compte pour l’Isis que 14 à 1.500 tonneaux. - Voir, Figure 31, un vaisseau antique, avec ses voiles et ses cordages, tel qu’il est représenté sur un tombeau de Pompéi, d’après Mazois, Ruines de Pompéi, Paris, 1824.

[21] Philon, Adv. Flacc., p. 968.

[22] Voir J. Smith, Voyage and Shipwreck of saint Paul, p. 32.

[23] Actes, XXVII, 7.

[24] Actes, XXVII, 7.

[25] Actes, XXVII, 8.

[26] Voir Spratt, Instructions sur l’île de Crète, trad. A. Le Gras, in-8°, Paris, 1861.

[27] J. Smith, Voyage and Shipwreck, p. 37.

[28] L. Rauwolf, Aigentliche Beschreibung der Rais inn die Morgenländer, in-8°, Laugingen,1583, p. 17-18. Rauwolf, dit que ce navire était de Marseille et il en donne le nom : Santa Maria de la cura bursa. Cf. J. Smith, Voyage and Shipwreck, p. 37-42.

[29] Καλοί λιμένες.

[30] Ces deux flots s’appellent aujourd’hui Mégalo-Nisi et Saint-Paul.

[31] Findlay, Mediterranean Directory, p. 66. Voir aussi T.-A.-B. Spratt, Instructions sur l’île de Crète, p. 39, et de plus longs détails dans ses Travels and Researches in Crète, 2 in-8°, Londres, 1865, t. II, p. 1-7, avec une vue de Bonsports, frontispice, dans les Geographi græci minores, édit. Didot, t. I, p. 506.

[32] Άλαί, Stadiasmus, § 322 et 323, sect. II.

[33] Actes, XXVII, 12.

[34] Saint Grégoire de Nazianze, Orat. XVIII, in patrem, 31, t. XXXV, col. 1024 ; Poemata histor., I, De rebus suis, 307 ; X, De vita sua, 124, t. XXXVII, col. 993, 1038.

[35] Saint Grégoire de Nazianze, Poematar, t. XXXVII, col. 993.

[36] Saint Luc dit qu’on venait de faire le jeûne du yom kippour ou du grand pardon, qui a lieu à l’équinoxe d’automne. Actes, XXVII, 9.

[37] Actes, XXVII, 9.

[38] Nam tum lux minima noxque prolixa, nubium densitas, aeris obscuritas, ventorum imbri vel nivibus geminata sævitia classes e pelago deturbat. Végèce, De re mil., V, 9.

[39] Digeste, l. XIV, c. II, édit. Mommsen, in-4°, Berlin, 1872, p. 187.

[40] M. Pardessus, Collection de lois maritimes antérieures au XVIIIe siècle, 6 in-4°, Paris, 1828-1834, t. I, p. 65, 104 et suiv.

[41] Actes, XXVII, 12.

[42] Il est possible toutefois qu’on n’eût proposé l’hivernage à Phénice que pour décider tout le monde à continuer le voyage et avec l’arrière-pensée d’aller droit en Italie. Du cap Matala au détroit de Messine, il y a 480 milles marins, et même avec une vitesse de quatre nœuds par un faible vent du nord, on pouvait arriver en Italie en cinq jours. Breusing, Nautik, p. 164.

[43] Spratt, Instructions sur l’île de Crète, p. 44. Cf. Findlay, Mediterranean Directory, p. 67. Voir aussi Stadiasmos, § 328.

[44] Actes, XXVII, 12.

[45] Actes, XXVII, 13-14.

[46] C’est là la signification d’Eurakylon, comme l’a très bien établi R. Bentley, Remarks on a late discourse on freethinking, in-8°, Londres, 1713, p. 97. — Sur cet ouvrage et son auteur, voir Les Livres Saints et la critique rationaliste, 4e édit., t. II, p. 75.

[47] Spratt, Instructions sur l’île de Crète, p. 40.

[48] Actes, XXVII, 15.

[49] Euripide, Troad., 686-688, édit. Didot, p. 379.

[50] Actes, XXVII, 16.

[51] Ptolémée, III, 17, § 1.

[52] Le P. Cozza m’a montré en 1888 à Rome, à la Bibliothèque du Vatican, les fragments palimpsestes de Strabon qu’il a déchiffrés avec tant de sagacité et dans lesquels il a découvert le nom de Caudos. Voir sur cette découverte O. Marucchi, Bulletino di Archeologia cristiana, 4e série, t. III, p. 136. Cf. G. Cozza-Luzi, Della Geografia di Strabone, frammenti scoperti in membrane palimseste, part. II, in-8°, Rome, 1888, p. XVI.

[53] Voici la justification de la lecture du P. Cozza, qui est si importante pour le récit des Actes : Ce texte appartient à Strabon, XVII, 22 (édit. Didot, p. 711, ligne 28), paragraphe consacré à la Cyrénaïque. L’auteur énumère les villes de Cyrène, d’Apollonia, de Naustathmus, de Zephyrium, de Chersonesus, de Catabrathmus, etc., et à propos de Chersonesus (identifié avec le Ras-et-Tin d’aujourd’hui), il donne la distance qui sépare ce port de la station de X. Ici,est le point important. Le texte reçu, en effet, est ainsi conçu : [Χερρόνησος] κεΐται δέ κατά Κύκλον τής Κρήτης έν διάρματι χιλίων καί πεντακοσίων σταδίων νότω. Chersonèse est à quinze cents stades de distance de Κύκλον, de Crète. Ce texte est doublement fautif : 1° parle que la Crète est en réalité à deux mille cinq cents stades ; 2° parce que Κύκλον n’a aucun sens. Aussi les divers éditeurs ont-il proposé de corriger le passage. Coray corrige Κύκλον en Κώρυκος ; malheureusement Corycus est sur le rivage nord de la Crète et ne saurait être dit en face de la Cyrénaïque. Ch. Müller, dans l’édition Didot, corrige Κύκλον en Μάταλον, sous prétexte que Alatalum est une ville du rivage sud de la Crète, qui peut être dite faire face à Chersonesus ; mais cette correction est des plus aventureuses. Quant à χιλίων, les éditeurs tombent d’accord que c’est une faute de copiste et qu’il faut lire δισχιλίων, mais c’est une correction très arbitraire.

Voici maintenant la leçon lue par le P. Cozza dans notre palimpseste : Κεΐται δέ κατά Καΰδον τής Κρήτης έν κτλ. Rien de plus légitime que cette leçon, car le marin qui, de l’île de Chersonesus se dirige sur l’île de Crète, rencontrera, comme première et unique station, la petite île de Καΰδος, à trois cents stades du rivage crétois, une petite île qui a une ville et un port : έχει πόλιν καί λιμένα, comme dit le Stadiasmus maris magni, à l’article Crète. Ajoutez que Καΰδος est dit τής Κρήτης pour le distinguer du Καΰδος τής Σικελίας de Strabon, VI, 3 (édit. Didot, p. 230, lig. 32). C’est donc bien là la bonne leçon. Note communiquée par M. l’abbé Batiffol.

[54] Spratt, Instruction sur l’île de Crête, p. 46.

[55] Trève, Une traversée, p. 27.

[56] Actes, XXVII, 17. Pour le commentaire technique de ce verset, voir Breusing, Nautik, p. 170-184.

[57] Salluste, Jugurtha, LXXVIII. — Charles Tissot, Exploration scientifique des côtes de la Tunisie, géographie comparée de la province romaine d’Afrique, 2 in-4°, Paris, 1881-1888, t. I, p. 225-226. Sur la petite Syrte, voir ibid., p. 183.

[58] Procope, De Ædif., VI, III, 3, édit. de Bonn, t. III, p. 334-335 ; Tissot, Exploration scientifique de la Tunisie, t. I, p. 226.

[59] Silius Italicus, Punica, III, 320, édit. Teubner, 1890, t, I, p. 58.

[60] Actes, XXVII, 20.

[61] Ovide, Epist. XVIII, 149, édit. Lemaire, t. I, p. 339. — La boussole, connue anciennement en Chine, ne l’a été en Occident qu’au XIIe siècle. Quant à la découverte de l’étoile polaire, sans laquelle on ne pouvait guère naviguer auparavant qu’en longeant les côtes, cette découverte appartient, dit-on, aux Phéniciens : elle leur donna, pendant plus de deux cents ans, le monopole du commerce maritime. A partir de cette époque, l’essentiel pour le navigateur n’est pas tant d’avoir le vent en poupe que de pouvoir discerner l’étoile polaire. De quels nuages Jupiter a couvert la mer immense ! tel est le premier cri du pilote antique à l’approche de la tempête. Le pilote du moyen âge ne se montre pas moins effrayé, dès qu’il est exposé à perdre la tramontane... Le vaisseau que montait saint Paul et qui voulut tenter un tardif passage de Gnide à Rome, portait 276 personnes ; rien ne fait présumer qu’il fut moins propre que les grandes jonques chinoises à prêter le flanc à l’orage. Nous le voyons pendant quatorze jours lutter avec succès contre le vent du nord. Emporté par des grains impétueux au large de la Crète, il ne se laisse pas affaler dans le golfe de la Syrte ; il s’allège d’une partie de sa cargaison, se débarrasse d’une portion de ses drosses et tient obstinément à travers. Tout irait bien, en somme, si le soleil et les étoiles consentaient seulement à se montrer ; mais, par malheur, le soleil reste obstinément voilé. On s’imagine courir vers l’Adriatique, on tombe à l’improviste sur la côte de Malte. La hourque d’Alexandrie avait eu raison de la tempête ; son capitaine la conduit au naufrage par une erreur de route. Vice-amiral Jurien de la Gravière, La navigation hauturière, dans la Revue des deux mondes, 1er septembre 1874, p. 100-101.

[62] Actes, XXVII, 21-26.

[63] Actes, XXVII, 22-25.

[64] Actes, XXVII, 34.

[65] Homère, Odyssée, V.

[66] Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, 7e édit., t. I, 1861, p. 71-74.

[67] La brasse d’aujourd’hui est de 1 m. 624 ; celle des anciens était à peu près la même. C’était primitivement la longueur des deux bras d’un homme de moyenne taille. A. Jal, Glossaire nautique, in-4°, Paris, 1848, p. 337.

[68] Actes, XXVII, 21-29.

[69] Trève, Une traversée, p. 36-37.

[70] Breusing, Nautik, p. 188-189.

[71] Cum triginta dierum coctis cibariis naves conscenderunt. Tite Live, XXIV, 11. Id., XXIX, 25 : Commeatus imponendi M. Pomponio prætori cura data : quinque et quadraginta dierum cibaria, e quibus quindecim dierum cocta imposita.

[72] Vetus aut nauticus panis tusus atque iterum coclus sistit alveum. Pline, Hist. nat., XXXII, 25 (68). Άρτους όκτώ ναυτικούς έν γυργάθω ξηρους. Lucien, Dial. meret., 14, édit. Didot, p. 686.

[73] Molas, quantum in quadraginta longas naves opus esset. Tite Live, XXVIII, 45, édit. Lemaire, t. V, p. 438.

[74] Breusing, Nautik, p. 196.

[75] Breusing, Nautik, p. 190-191.

[76] On allègue que cette île est dans l’Adriatique et que saint Luc dit qu’on naviguait sur l’Adriatique, Actes, XXVII, 27. Mais la mer Adriatique d’alors, Άδρίας, Ptolémée, Geogr., III, IV, 1 ; III, XV, 1 ; Άδριατικόν πίλαγος : Procope, De bell. Vand., I, 14, s’étendait depuis l’île de Crète jusqu’à la Sicile. Ptolémée appelle la mer Adriatique actuelle : ό Άδρίας κόλπος, Geogr., VII, V, 3, 10. La mer Ionienne et l’Άδρίας étaient quelquefois confondus. Apollonius de Rhodes, IV, 308, scolie : ποτέ μέν τόν Άδρίαν Ίόνιον, ποτέ δέ τόν Ίόνιον Άδρίαν καλοΰσιν.

[77] Actes, XXVII, 28.

[78] Voir la carte du service hydrographique de la marine autrichienne, Küstenkarte, Blatt 22, Meleda, édit. de 1819, par E. H. Schimpf, à Trieste ; Breusing, Nautik, p. 190.

[79] J. Vars, L’art nautique, p. 258-259. — Sur l’exactitude des dénominations du Banc de Saint-Paul, etc., voir aussi A. Trève, Une traversée, p. 40.

[80] Actes, XXVIII, 2, 4.

[81] Actes, XXVIII, 3-6.

[82] Breusing, Nautik, p. 991.

[83] Pline, Hist. nat., IV, 12.

[84] P. de Tournefort, Relation d’un voyage du Levant, 2 in-4°, Paris, 1717, t. I, lettres IV et VII, p. 142, 357-358.

[85] Τώ πρώτω τής νήσου. Actes, XXVIII, 7.

[86] Bœckh, Corpus inscript., t. III, n° 5754, p. 682.

[87] J. Smith, Voyage and Shipwreck of saint Paul, p. 113-994. Cf. Schæffer, Dissertatio de Publio Πρώτω Melitensium, in-4°, Iéna, 1755.

[88] Actes, XXVIII, 9.

[89] J. S. Bayot, Mer Méditerranée, côte de Tunis, îles Maltaises, in-8°, Paris, 1876, p. 49.

[90] Cicéron, Verrines, IV, 52.

[91] Une petite église, dédiée à saint Paul, que nous avons visitée en 1892, perpétue à Syracuse le souvenir du passage du grand Apôtre et des trois jours qu’il s’y arrêta, comme le marque une inscription placée sur la façade. Elle n’a d’ailleurs rien de remarquable en dehors de ce souvenir, aussi ni Bædeker, ni Gsell Fels n’en parlent dans leurs descriptions de Syracuse. Le guide qui nous accompagnait nous détournait même d’y entrer, en nous disant qu’elle ne méritait pas d’être vue. Mais c’était surtout ce souvenir que nous étions allés chercher dans la ville sicilienne.

[92] Actes, XXVIII, 13.

[93] En enlevant récemment, à Reggio, les décombres d’une maison détruite par le dernier tremblement de terre, on a découvert au-dessous les ruines d’un temple antique. On suppose que c’est le temple de Diane, dans l’atrium duquel saint Paul aurait prêché d’après la tradition en l’an 61, lors de son passage dans cette ville. Allgemeine Zeitung, Beilage, 8 février 1895.

[94] Suétone, Titus, V.

[95] Entre Pouzzoles et Rome, les Actes des Apôtres ne mentionnent plus que le Forum d’Appius et les Trois Tavernes, où les fidèles de Rome étaient allés au devant du grand Apôtre, Actes, XXVIII, 15. En avril 1892, j’ai fait, avec M. l’abbé Le Camus, un pèlerinage en Italie aux lieux où était passé saint Paul captif. Ce n’est pas sans peine que nous avons pu nous rendre compte de l’emplacement des Tres Tabernæ. A Rome, avant notre départ, on n’avait pu nous donner aucune indication précise. A Velletri, où nous avions quitté le chemin de fer pour prendre une voiture et suivre la voie Appia, celle qu’avait suivie saint Paul, les savants de cette localité nous avaient affirmé que l’emplacement des Trois cavernes était à Cisterna. On était d’ailleurs fort surpris d’apprendre quel était le but de notre voyage. Le loueur de voitures ne connaissait qu’un ministre anglican qui eut eu, comme nous, la pieuse curiosité de visiter les Trois Tavernes et le Forum d’Appius.

A Cisterna, ville située dans un bas-fonds, au milieu d’une végétation luxuriante, mais où tout le monde est atteint de la fièvre, le curé nous montra dans son église une chapelle dédiée à saint Paul, et dans la sacristie une, inscription latine rappelant que les descendants da ceux qui avaient reçu l’Apôtre à son arrivée en Italie ont reçu Pie IX à Cisterna. Le curé ajouta, avec raison, que les Trois Tavernes n’étaient pas à Cisterna, ville qui ne date que d’environ 500 ans, mais à trois milles plus loin, près de Torre d’Annibale. Là s’élèvent aujourd’hui trois ou quatre constructions modernes, à une petite distance de la route, à un endroit qui correspond en effet à l’indication donnée par l’Itinéraire d’Antonin, au mille XXXIII (Antonini Augusti Itinerarium, dans de Fortia d’Urban, Recueil des itinéraires anciens, in-4°, Paris, 1845, p. 31-32). Les pierres milliaires, indiquant les distances en chiffres romains, se dressent tout le long de la route sur la Via Appia (On a retrouvé quelques milliaires antiques. Corpus inscript. latin., t. x, part. I, p. 683). Les Trois Tavernes avaient du temps de saint Paul une certaine importance ; c’était une halte pour les voyageurs, parce que là était l’embranchement où la route d’Antium (aujourd’hui Porto Anzio) rejoignait la voie Appienne. Cicéron, Ad Attic., II, 12. Cf. W. Smith, Dictionary of Greek and Roman geography, t. II, 1857, p. 1226, 1291. ; E. Desjardins, La Table de Peutinger, in-fol., Paris, 1869, p. 199, 216.

A dix milles des Trois Tavernes, à quarante-trois milles de Rome, se trouve Foro Appio, l’ancien Forum Appii (Corpus inscriptionum latinorum, t. x, p. 59). Des Trois Tavernes, la route conduit d’abord à Torre Tre Ponti, où relaie la diligence de Velletri à Terracine. On traverse d’immenses prairies, où de grands troupeaux de bœufs, de buffles et de chevaux disparaissent presque au milieu des hautes herbes. On a le même spectacle sous les yeux pendant plusieurs kilomètres. Le chemin, ombragé de beaux arbres, va droit comme un i à perte de vue, au milieu des marais Pontins. Tous les voyageurs que nous rencontrons sont armés comme si l’on était en guerre et avait à redouter quelque surprise.

Nous arrivons enfin à Foro Appio. Il y a là trois ou quatre maisons ou fabriques. Le propriétaire des terrains est le gendre du célèbre archéologue, M. de Rossi. Je m’étais souvent demandé pourquoi on avait établi ainsi un forum ou marché en cet endroit, au milieu des marécages. Aucun livre ne m’en avait fourni l’explication. Mais dés l’arrivée sur les lieux, l’explication m’apparut avec évidence. C’est juste là qu’une rivière abondante, aux eaux limpides et que j’ai trouvé fort bonnes, vient des monts Lepini se jeter dans le canal delle Botte creusé d’abord par Auguste. Ce cours d’eau a motivé sans nul doute le choix de l’emplacement du Forum d’Appius. Les voyageurs qui arrivaient ou partaient de là en barque, comme Horace, Satir., I, 5, 1-4, ou bien continuaient leur chemin par terre, s’arrêtaient auprès de cette rivière, Horace, Satir., I, 5, 7, se plaint de la mauvaise eau, aqua teterrima, qu’on lui avait fait boire ; elle devait être mélangée avec celle des marais. Le pont sous lequel passe en cet endroit la voie Appia, à l’embouchure de la rivière dans le canal, est très ancien. Deux inscriptions antiques, l’une au de !à de la rivière, dressée sur un piédestal, et portant, avec le nom de Trajan, celui de Forum Appii (elle est reproduite dans le Corpus inscriptionum latinorum, t. X, n° 6824, p. 685) ; l’autre en deçà, encastrée dans un pan de mur en ruines, sont les deux seuls souvenirs antiques que nous retrouvons. Du côté opposé à celui d’où vient la rivière, de l’autre côté du canal, il y a une petite chapelle misérable, où l’on vient quelquefois dire la messe, mais à notre grand étonnement, rien n’y rappelle saint Paul. Une vieille enseigne de locanda, sur une maison qui sert aujourd’hui d’habitation à des douaniers porte le nom de Foro Appio.