LE NOUVEAU TESTAMENT ET LES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES MODERNES

 

LIVRE III — LES ACTES DES APÔTRES

CHAPITRE VII. — SAINT PAUL, À JÉRUSALEM, ACCUSÉ D’AVOIR FAIT VIOLER PAR LES GENTILS L’ENCEINTE DU TEMPLE.

 

 

Saint Paul, après avoir quitté Éphèse à la suite de la sédition dont nous venons de parler, évangélisa encore diverses contrées de la Grèce et se rendit enfin à Jérusalem. C’est là qu’il fut emprisonné dans les circonstances que nous fait connaître le livre des Actes.

A son arrivée dans cette ville, on lui apprit qu’il était accusé d’enseigner que les Juifs, vivant au milieu des Gentils, n’étaient pas tenus d’observer les prescriptions de la loi de Moïse. Pour calmer les habitants de Jérusalem, il se rendit au Temple, hiéron (ίερόν), avec quatre hommes, liés par un vœu. Sept jours après, les Juifs d’Asie l’ayant vu dans le Temple, ameutèrent tout le peuple et se saisirent de sa personne en criant : Israélites, au secours ! Voici l’homme qui prêche partout contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu (le Temple). Il a même introduit des Gentils dans l’enceinte réservée, ίερόν[1], et profané ce saint lieu[2]. Ils l’accusaient à tort d’avoir introduit dans la partie interdite aux païens un Gentil, Trophime d’Éphèse, celui dont la tradition fait le premier évêque d’Arles. Ils cherchèrent donc à le tuer[3], comme ayant fait violer le Temple par Trophime, et saint Paul ne dut son salut qu’à l’intervention d’un tribun romain qui l’arracha, non sans peine, à la brutalité de la foule furieuse.

Le Temple de Jérusalem se composait de plusieurs parties. Du temps de Notre-Seigneur et de saint Paul, son ensemble formait une vaste surface rectangulaire bordée, de chaque côté, de magnifiques portiques soutenus par des colonnes monolithes de vingt-cinq coudées de hauteur[4]. Ces galeries extérieures étaient ouvertes à tout le monde, Juifs et Gentils[5]. Mais les Juifs seuls pouvaient pénétrer au delà, sur une sorte d’esplanade, d’un niveau plus élevé que les galeries dont nous venons de parler. Une barrière ou balustrade entourait cette seconde enceinte[6]. Trois passages de Josèphe[7] nous apprennent qu’il était défendu aux païens, sous peine de mort, de la franchit, et que cette défense leur était signifiée par des stèles placées de distance en distance. Des inscriptions y étaient gravées en grec et en latin, pour que ceux qui commettraient le sacrilège ne pussent alléguer leur ignorance.

Figure 29. - Plan du Temple de Jérusalem.

Le sens de ces passages de Josèphe, les seuls que l’on pût alléguer pour expliquer et défendre le récit de saint Luc, était contesté. I1 ne pourra plus l’être désormais. L’épigraphie l’explique et le confirme, en même temps qu’elle rend témoignage à l’exactitude des Actes.

M. Clermont-Ganneau, alors drogman du consulat de France à Jérusalem, a découvert dans l’ancienne capitale de la Judée, le 26 mai 1871, une des stèles dont parle l’historien juif.

L’original de cette stèle, conservé actuellement au Musée de Constantinople, était encastré dans le mur d’une médrécé ou école de Jérusalem, voisine de la porte Bab-el-Atm, près de l’emplacement de l’ancien temple d’Hérode[8]. C’est un calcaire dur, avant la forme d’un parallélépipède rectangle et mesurant 39 x 90 x 60 centimètres. Le Louvre en possède tin surmoulé en plâtre, exécuté d’après un estampage donné par M. Clermont-Ganneau[9].

Voici l’inscription qu’on y lit. Elle est en grec[10] et comprend sept lignes :

30. - Inscription d’une stèle du Temple de Jérusalem.

Voici la traduction :

1. Qu’aucun étranger ne pé-

2. nètre au delà de la

3. balustrade[11] qui entoure le lieu saint[12] et

4. [n’entre] dans l’enceinte. Celui qui serait

5. pris ne devra accuser que lui-même

6. du [châtiment] qui sui-

7. vra : la mort.

M. Clermont-Ganneau croit qu’on peut rapporter la stèle, avec certitude, au règne d’Hérode le Grand[13]. Elle a pu, par conséquent, être vue par Jésus-Christ et par saint Paul.

Il résulte de l’inscription qu’elle contient, que tout étranger qui franchissait l’enceinte sacrée du Temple de Jérusalem était puni de mort. Elle nous explique donc les circonstances qui amenèrent l’arrestation et la première captivité de saint Paul, circonstances qui avaient été souvent considérées jusqu’ici comme obscures. Les Juifs d’Asie, témoins de la prédication de l’Apôtre à Éphèse et ailleurs, n’avaient pu, loin de la Palestine, lui faire expier ce qu’ils considéraient comme son apostasie ; ils veulent maintenant lui infliger le supplice auquel sont condamnés les violateurs du Temple, parce qu’il a fourni, à ce qu’ils prétendent, à Trophime d’Éphèse, le moyen de profaner le lieu saint, en y pénétrant, quoique Gentil. La stèle grecque nous explique très bien sur quoi ils s’appuient pour fonder leurs accusations et attenter à sa vie.

C’est ainsi que l’épigraphie éclaire d’un jour nouveau l’événement important qui amena la captivité de saint Paul et son voyage à Rome, le dernier que nous racontent les Actes. Les pages qui précèdent nous ont fait voir comment d’autres textes épigraphiques confirmaient d’autres parties de l’écrit de saint Luc. L’auteur des Actes insère, accidentellement et sans aucun artifice, dans le tissu des faits, des détails minutieux qu’un faussaire aurait évités avec soin et que la tradition orale n’aurait pas exactement conservés. Il nous renseigne sur tout avec une justesse et une précision qu’on ne peut jamais prendre en défaut. L’île de Cypre est une province proconsulaire au moment où saint Paul la traverse. La ville de Philippes est une colonie romaine. Les premiers magistrats de Thessalonique s’appellent politarques, titre inusité en dehors de la Macédoine, non mentionné par les anciens, mais attesté aujourd’hui par les inscriptions locales des premiers siècles. Éphèse vit, pour ainsi dire, du temple de Diane, et de la statue de la déesse dont elle est la néocore ; les Asiarques président à ses jeux et à ses fêtes ; les proconsuls y représentent le pouvoir romain et y tiennent des assises judiciaires ; le peuple y a des assemblées régulières ; le grammate est à la tête de son administration intérieure. Une stèle grecque défend aux païens, à Jérusalem, sous peine de mort, de pénétrer dans l’enceinte du Temple réservée aux enfants d’Israël. Voilà ce que nous disent les Actes et ce que nous disent aussi les monuments épigraphiques qui semblent ne reparaître, après de longs siècles, à la lumière du jour, que pour rendre témoignage à la véracité de nos Livres Saints.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à parler du dernier fait raconté par saint Luc, la traversée de Césarée de Palestine à Rome.

 

 

 



[1] Le texte original du Nouveau Testament distingue soigneusement la maison de Dieu ou l’édifice comprenant le Saint et le Saint des Saints, qu’il appelle ναός, et l’ensemble du monument sacré, renfermant, outre le ναός, les cours et les portiques qu’il appelle ίερόν. Voir la figure 29.

[2] Actes, XXI, 28.

[3] Actes, XXI, 31.

[4] Voir, figure 29, le Temple de Jérusalem, du temps de Notre-Seigneur, d’après la restauration de M. de Vogüé. - Pour la description du Temple, on peut voir La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. III, p. 313 et suiv.

[5] Comme les Gentils pouvaient pénétrer dans cette cour du Temple, on l’appelait Parvis des Gentils.

[6] Cette barrière est marquée dans la figure 29.

[7] Josèphe, De bell. jud., V, V, 2 ; VI, II, 4 ; Antiq. jud., XV, XI, 7 ; cf. Philon, Ad Caium, II, édit. Mangey, p. 577 et 591.

[8] Une vue de l’entrée de la Médrécé arabe où a été trouvée la stèle a été donnée par le Monde illustré, le 11 janvier 1871, p. 28.

[9] Il est placé dans le Musée judaïque, sous le n° 8. Voir Clermont-Ganneau, Fraudes archéologiques, p. 42 ; Journal officiel, 23 février 1885, p. 1006.

[10] C’est la plus ancienne inscription grecque découverte jusqu’ici à Jérusalem. Héron de Villefosse, Notice des monuments provenant de la Palestine conservés au musée du Louvre, 1876, p. 17.

[11] Τρυφάκτου. Josèphe l’appelle δρυφάκτος.

[12] Τό ίερόν. C’est le mot des Actes, XXI, 28.

[13] Clermont-Ganneau, Une stèle du Temple de Jérusalem, dans la Revue archéologique, avril 1872, p. 221-222.