LE NOUVEAU TESTAMENT ET LES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES MODERNES

 

LIVRE III — LES ACTES DES APÔTRES

CHAPITRE III. — SAINT PAUL À PHILIPPES.

 

 

C’est dans son premier voyage de missions que saint Paul avait visité l’île de Cypre ; c’est dans le second qu’il se rendit en Macédoine. Saint Luc l’accompagna dans ce pays et il nous a conservé plusieurs épisodes très intéressants du séjour de son maître dans deux des principales villes de l’ancien royaume d’Alexandre le Grand, c’est-à-dire Philippes et Thessalonique. Nous pouvons suivre à notre tour saint Paul au milieu des Macédoniens, et vérifier l’exactitude de son biographe, à l’aide des découvertes de quelques savants français contemporains.

M. Heuzey, accompagné d’un architecte, M. Daumet, a exploré, en 1861-1862, l’antique royaume de Macédoine qu’il avait déjà visité auparavant[1]. Il a passé près d’un mais à Philippes et il a étudié aussi avec un intérêt particulier Thessalonique[2]. Les résultats de ses recherches sont consignés dans son Exploration archéologique de Macédoine[3].

En 1874, M. l’abbé Duchesne, aujourd’hui directeur de l’École française à Rome, a visité à son tour Thessalonique et y a fait une nouvelle moisson épigraphique qui a été publiée dans les Archives des missions scientifiques[4].

Nous allons voir comment leurs découvertes confirment la véracité des Actes des Apôtres.

Une vision détermina saint Paul à se rendre en Macédoine. Il était à Troade. Pendant la nuit, un Macédonien lui apparut et lui dit : Venez en Macédoine, secourez-nous[5].

Aussitôt après la vision, dit saint Luc en commençant à parler à la première personne, nous nous préparâmes à partir pour la Macédoine... Nous étant donc embarqués à Troade, nous allâmes directement à Samothrace, le lendemain à Néapolis[6] et de là à Philippes[7]. C’est pour la première fois que saint Paul foule la terre d’Europe et lui apporte la bonne nouvelle.

La ville où s’il s’arrête d’abord, Philippes, est décrite dans les termes suivants : Philippes, qui est la première ville de cette partie de la Macédoine [et a le titre de] colonie[8].

Philippes, en effet, était la première ville de Macédoine[9] qu’on rencontrait sur la route suivie par saint Paul, et elle était colonie romaine. Aujourd’hui elle n’est plus qu’un repaire d’animaux sauvages, mais alors elle brillait encore de tout son éclat[10].

La ville de Philippes, en latin Philippi, en grec Φίλιπποι, célèbre par le nom qu’elle tient de son fondateur, illustrée depuis par les événements historiques qui l’ont associée à la chute de la république romaine et aux premiers développements du Christianisme, était située dans cette partie de la Thrace qui s’étend entre le Strymon et le Nestos, et qui fut de bonne heure une province macédonienne[11]... Aux avantages d’une heureuse situation, [dans une plaine encadrée de montagnes[12]], cette terre privilégiée joignait, dans l’antiquité, des richesses exceptionnelles. Le produit qu’elle aurait pu tirer de ses champs fertiles et de ses vastes forêts n’était rien en comparaison du trésor de ses mines. La Thrace possédait sur plusieurs points des gisements aurifères : l’Hèbre roulait l’or en paillettes dans les sables de son cours ; Thasos le tirait de ses montagnes, et les laboureurs de la Péonie, au rapport de Strabon, le trouvaient presque à fleur de sol sous la forme de grains ou pépites ; mais aucun district ne pouvait se comparer au mont Pangée et aux montagnes mêmes de Philippes, où de nombreux filons qui recélaient l’or et l’argent en abondance, suffirent à une exploitation de plusieurs siècles[13]. La recherche de l’or fut donc la grande affaire de cette contrée, pendant une longue suite d’années, et c’est tout le secret de son histoire[14].

Philippe de Macédoine donna son nom à la ville de Philippes[15] ; il y établit des mineurs et un atelier de monnayage, et il en fit une place forte pour contenir les Thraces. Des Macédoniens, elle passa aux Romains. Ceux-ci en étaient lés maîtres, quand saint Paul y arriva.

Philippes avait été, l’an 42 avant J.-C., le théâtre de la victoire d’Antoine et d’Octave sur Brutus et Cassius[16].

C’est à la suite de cette victoire qu’Auguste lui donna le titre de colonie, que mentionne saint Luc. Les médailles de cette ville attestent l’exactitude du récit de l’auteur des Actes et nous apprennent que le nom complet de la nouvelle colonie romaine était Colonia Augusta Julia Philippensis[17].

La monnaie de l’empereur Claude que l’on voit ici, figure 9, avec cette légende, est contemporaine du voyage de saint Paul à Philippes.

Un fragment d’inscription sur marbre blanc, découvert par M. Heuzey, confirme et complète ce que nous lisons sur les médailles :

..... patron (?) de la colonie Auguste Julienne Victorieuse des Philippiens, ayant exercé toutes les magistratures, deux fois (investi de telle charge) flamine du divin Titus Auguste Vespasien.....[18]

Les trois premières lignes offrent surtout de l’intérêt, remarque M. Heuzey, si, comme je le pense, on y retrouve dans son entier le titre officiel sous lequel fut fondée la colonie de Philippes : Colonia Augusta Julia Victrix Philippensium. L’inscription d’Antonins Rufus, citée plus haut, et les monnaies qui portent pour légende : Col. Aug. Jul. Phil. jussu Aug., autour de la tête laurée d’Auguste, nous avaient appris déjà que Philippes était une colonie Julienne, c’est-à-dire établie par Auguste, sous les auspices de Jules-César, et corme en exécution de son testament[19]. » Ce fragment, qui contient de plus le mot de victrix, victorieuse, rappelle directement la victoire de Philippes, à laquelle la colonie dut son origine.

Les villes qui portaient le titre de colonies se distinguaient des autres sous plusieurs rapports importants. Elles étaient considérées, pour ainsi dire, comme une partie de Rome et jouissaient des mêmes privilèges que la capitale de l’empire.

Les sujets des Césars se divisaient en deux classes très distinctes, les citoyens et les étrangers, cives et peregrini. Les habitants de l’Italie étaient citoyens romains, ceux des provinces, au moins dans les premiers temps, jusqu’à Caracalla, étaient étrangers, à moins qu’ils n’appartinssent à une colonie ou à un municipium qui avait reçu le droit de cité. Le municipe était une ville étrangère que Rome avait adoptée ; la colonie était une ville où Rome avait envoyé une partie de ses enfants[20]. Ceux-ci n’étaient pas présents dans la capitale, mais leurs noms étaient inscrits dans une des tribus de Rome ; aussi les habitants de la colonie de Philippes disent-ils avec assurance : Nous sommes Romains[21]. On parlait latin dans la colonie ; on y vivait sous les lois de Rome. Les monnaies de la colonie, même en Grèce, portaient des inscriptions latines[22].

On voit par ce qui précède que le mot colonie, à parler rigoureusement, n’avait pas chez les Romains le sens qu’on lui donne habituellement aujourd’hui. La colonie romaine offrait un caractère particulier, en rapport avec l’esprit militaire des Latins. Tandis que les colonies phéniciennes étaient des établissements commerciaux, destinés à favoriser le trafic de la mère-patrie ; tandis que les colonies grecques étaient des essaims qui avaient quitté une ruche trop pleine pour aller se fixer dans une autre contrée et y mener une vie indépendante ; tandis que les colonies européennes sont la simple possession d’un territoire dans une autre partie du monde ; ce que Rome appelait colonie, c’était une station militaire, placée sur les frontières de l’empire et destinée à les garder, à les protéger contre les incursions des peuples voisins, en même temps qu’à tenir en respect les provinces déjà conquises[23]. Comme les routes militaires, elle était un élément de ce grand système de fortifications conçu dans le but d’assurer la sécurité de l’empire[24]. On y envoyait les vétérans qu’on voulait récompenser de leurs longs services, et d’autres Italiens. Ils étaient gouvernés par leurs propres magistrats, ils n’étaient pas soumis au gouverneur de la province.

Divers monuments établissent que la colonie de Philippes, en particulier, eut d’anciens soldats pour premiers habitants. L’arc de triomphe de Kiémer, qui s’élève au milieu de la plaine de Philippes, rappelle la bataille et la fondation de la colonie qui en fut la suite. La légende :

COHOR. PRÆ. PHIL.

qui est gravée sur les petites monnaies de cuivre de la ville, avec trois enseignes de cohorte[25], est aussi un indice que la Colonia Julia Augusta Victrix Philippensium fut primitivement colonisée par une division de vétérans de cette guerre, pris dans les cohortes prétoriennes des triumvirs[26].

La colonie formait ainsi une sorte de république, et elle en prenait quelquefois le nom, comme nous le voyons dans une inscription trouvée par M. Heuzey sur une plaque de sarcophage du cimetière de Béréketlu :

La plaque étant brisée aux extrémités, l’inscription n’est pas complète. Le nom de famille de Secundilla manque au début. Voici la traduction de la formule funéraire :

Quiconque placerait dans ce sarcophage un autre corps, payera au trésor de la république (colonie) de Philippes mille deniers, et au délateur deux cents [et tant][27].

Les magistrats de la colonie de Philippes prenaient eu conséquence des titres romains : il y avait des édiles :

1. Publius Hostilius Philadelphe,

2. à cause de l’édilité [dont il a été honoré] a fait tailler cette inscription

3. à ses frais et y a gravé les noms [des membres] de la confrérie

4. qui ont offert des présents [au Dieu][28].

Les Actes donnent aux premiers magistrats de Philippes le nom de préteurs[29], στρατηγοί[30], et nous disent qu’ils avaient des licteurs, ραβδοΰχοι[31].

Tous ces détails s’accordent parfaitement avec tout ce que l’on vient de lire[32]. Quand saint Luc, au début de son récit, nous a dit que Philippes était une colonie, cette explication est loin d’être inutile : elle nous donne comme la clef de la plupart des événements qui vont suivre. Nous voyons par là pourquoi les habitants peuvent se dire Romains ; comment les magistrats portent le titre romain de préteurs, agissent sans aucune forme de jugement contre saint Paul, le jettent en prison, comme ayant un pouvoir discrétionnaire et indépendant, et ne respectent en lui que le titre de citoyen romain[33].

Saint Luc ne se contente pas de remarquer que la ville de Philippes était une colonie ; il ajoute aussi qu’elle était la première ville de cette partie (μερίδος) de la Macédoine’. Cette expression n’est pas encore parfaitement éclaircie. Tite Live nous apprend que cette province était partagée en quatre régions, regiones[34], et ce qu’il dit est confirmé par les médailles.

La première de celles que nous donnons ici (figure 10) représente la tête de Diane sur le bouclier macédonien. Au revers on lit :

ΜΑΚΕΔΟΝΩΝ ΠΡΩΤΗΣ.

C’est-à-dire : (Monnaie) des Macédoniens, de la première (division). Entre ces deux mots grecs est figurée une massue[35]. Le tout est entouré d’une guirlande de feuilles de chêne. Sur le champ, on remarque divers monogrammes[36].

La seconde médaille[37] a une très grande ressemblance avec la première, mais on y lit :

ΜΑΚΕΔΟΝΩΝ ΔΕΥΤΕΡΑΣ.

(Monnaie) des Macédoniens, de la seconde (division), au lieu de la première division.

On ne connaît aucune monnaie de la troisième division de la Macédoine, mais on ne peut douter de son existence, puisque nous possédons une médaille de la quatrième division, représentant la tête de Jupiter, et au revers de laquelle on lit :

ΜΑΚΕΔΟΝΩΝ ΤΕΤΑΡΤΗΣ.

(Monnaie) des Macédoniens, de la quatrième (division)[38].

Plusieurs ont cru que le mot μερίς des Actes indiquait une des quatre divisions de la Macédoine, mais comme ces divisions n’existaient plus du temps de saint Paul[39], on doit entendre ce mot dams le sens vague de partie : Philippes était la première ville de cette partie de la Macédoine.

C’est ainsi que la description de Philippes par l’auteur des Actes se trouve justifiée dans tous ses détails. Nous allons suivre maintenant l’Apôtre pendant le séjour qu’il fit dans cette ville.

A cause sans doute du caractère de place forte qu’avait la ville de Philippes, les Juifs n’y étaient pas nombreux ; ils n’y possédaient point de synagogue, mais seulement une sorte d’oratoire ou de lieu de réunion, où il était convenu qu’on se rendait pour prier, ce qu’on appelait en grec, proseuchê[40].

Cet oratoire était hors de la ville, probablement sur la voie Egnatia, qui servait de promenade eaux habitants et les conduisait sur les bords du Gangitès, à quelques mètres de l’arc de triomphe de Kiémer. C’est là que demeurait Lydie, la marchande de pourpre[41], dont nous parle saint Luc.

Le jour du sabbat, dit-il, nous sortîmes de la ville, [et nous allâmes] près de la rivière, à l’endroit où était le lieu de prière [des Juifs], et nous étant assis, nous parlâmes aux femmes qui y étaient venues. Et une femme, nommée Lydie, marchande de pourpre, de la ville de Thyatire, adorant Dieu, [nous] écouta, et le Seigneur lui ouvrit le cœur, pour recevoir ce que disait Paul. Et quand elle eut été baptisée, elle et sa maison, elle nous pria, disant : Si vous jugez que je sois fidèle au Seigneur, entrez et restez dans ma maison. Et elle nous força [d’accepter][42].

M. Heuzey a découvert à Philippes une inscription latine très fruste, où l’on peut juste lire assez de lettres pour constater qu’on se livrait en effet dans cette ville au commerce de la pourpre, comme le raconte saint Luc :

RPVRARI

VV.....N

ET...ATE[43].

Dans l’état actuel de l’inscription, il est impossible de savoir s’il s’agit d’un marchand ou d’une marchande de pourpre[44], purpurarius ou purpuraria, mais ce qui est bien certain, c’est qu’il est question de l’un ou de l’autre.

Lydie était de Thyatire. Des inscriptions découvertes dans cette dernière ville, nous apprennent qu’il y avait là une corporation de teinturiers[45], ce qui confirme indirectement le récit des Actes. C’est de sa patrie sans doute que Lydie faisait venir la pourpre qu’elle vendait à Philippes.

La maison de Lydie, où demeura saint Paul après la conversion de la marchande de pourpre, était à quelque distance de la proseuchê. Or, il arriva, continue saint Luc[46], que, comme nous allions prier à la proseuchê, une jeune fille, ayant un esprit de python, nous rencontra. Elle gagnait beaucoup d’argent à ses maîtres par la divination. Ayant suivi Paul et nous, elle s’écriait, disant : Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils nous annoncent la voie du salut. Elle fit ainsi pendant plusieurs jours. Alors saint Paul, le supportant avec peine, dit à l’esprit : Je te commande de sortir d’elle, au nom de Jésus-Christ. Et il sortit à la même heure. Et ses maîtres, voyant qu’ils avaient perdu l’espoir du gain qu’ils [tiraient d’elle], saisirent Paul et Silas et il les conduisirent à l’agora [ou forum], aux archontes. Et les ayant ainsi amenés aux stratèges, ils dirent : Ces hommes, étant Juifs, troublent notre ville, et ils prêchent des usages[47] qu’il n’est permis ni d’adopter ni de pratiquer, à nous qui sommes Romains[48]. Et la foule se souleva contre eux, et les stratèges, ayant fait déchirer leurs habits, ordonnèrent de les battre de verges. Et quand on les eut frappés de beaucoup de coups, ils les jetèrent en prison.

L’épigraphie ne nous fournit aucun monument qui ait un rapport direct avec cet épisode de la vie de saint Paul, mais il est néanmoins curieux de rapprocher du récit qu’on vient de lire le fragment d’une inscription grecque retrouvée à Philippes par M. Heuzey.

Ces lignes se lisent, en lettres grecques de grande dimension, sur une belle plaque de marbre blanc, qui paraît provenir d’un sarcophage. Les caractères, quoique d’une époque assez basse et toute romaine, sont gravés profondément et avec une [grande] affectation d’élégance. On peut conjecturer par là que celle à qui était élevé le monument avait gagné beaucoup d’argent à ses maîtres, comme la jeune fille dont parlent les Actes des Apôtres[49].

Il s’agit d’une musicienne, probablement nommée Nicæa[50], qui chantait en s’accompagnant sur la cithare, jouait du tétrachorde et d’un instrument appelé νάβλας, sorte de harpe d’origine asiatique, le nébel des Livres Saints. Strabon nous fournit à ce sujet un curieux rapprochement : dans la célèbre digression de son dixième livre, où il montre la musique passant d’Asie en Grèce, par l’intermédiaire de la Thrace, à la suite des cultes orgiaques de Cybèle et de Bacchus, il cite justement le nablas parmi les instruments dont le nom, de forme barbare, confirme sa théorie[51]. On peut donc supposer que l’habile musicienne pour laquelle fut gravée avec luxe l’inscription de Palæokhori, au lieu de gagner sa vie sur le théâtre ou dans les banquets, était attachée au culte que les habitants de ces montagnes, Romains, Grecs et Thraces grécisés, rendaient... au grand dieu du pays, au Bacchus fatidique du mont Pangée[52]. On ne doit pas hésiter, en effet, à regarder les cimes mêmes du Pilaftépé comme le siège du fameux oracle dont parle Hérodote[53].

L’épitaphe de Nicæa et ce que nous savons des pratiques religieuses des Philippiens confirment ainsi, d’une manière générale et indirecte, ce que saint Luc nous raconte de la pythonisse.

L’emprisonnement de saint Paul et sa délivrance, à la suite de la guérison de cette devineresse, n’appartient point au sujet que nous traitons ici. Nous allons le suivre maintenant à Thessalonique.

 

 

 



[1] Avec M. Delacoulonche. Voir Delacoulonche, Mémoire sur le berceau de la puissance macédonienne, in-8°, Paris, 1859, p. 15, note.

[2] Voir son rapport dans le Moniteur du 13 avril 1862.

[3] La publication n’en a été achevée qu’en 1876 ; elle avait été commencée en 1864, Paris, in-folio, avec planches.

[4] Archives des missions scientifiques et littéraires, choix de rapports et instructions publiés sous les auspices du ministère de l’Instruction publique. Troisième série, t. III, 1876. Mission au mont Athos, p. 203 et suiv.

[5] Actes, XVI, 9.

[6] Néapolis, aujourd’hui Cavala.

[7] Actes, XVI, 10-11.

[8] Actes, XVI, 12.

[9] Le mot πρώτη a été expliqué de diverses manières. D’après les uns, il signifie que Philippes était politiquement la première ville de Macédoine ; cette interprétation est fausse, car le chef-lieu de la province de Macédoine était Thessalonique. G. V. Lechler et K. Gerok, Der Apostel Geschichten, in-8°, Bielefeld, 1860, p. 231. D’autres traduisent : urbs primaria, ville importante, cf. Chr. Th. Kuinoel, Acta Apostolorum (in Actes, XVI, 12), 2e édit., in-8°, Leipzig, 1827, p. 542, ce qui est admissible en soi mais ne nous paraît pas être le sens. Le mot πρώτη est employé simplement par rapport au voyage de saint Paul, pour marquer, ce qui est très exact, que Philippes était la première ville de Macédoine qu’on rencontrait en venant de Néapolis, cette dernière appartenant proprement à la Thrace. J. Ayre, Treasury of Bible Knowledge, in-12, Londres, 1879, p. 697.

[10] La ville célèbre de Philippi ne renferme aujourd’hui que des animaux sauvages ; l’oiseau de Minerve s’y régénère au milieu des débris, Cousinéry, Voyage de Macédoine, 2 in-4°, Paris, 1831, t. II, p. 17. — Sur les lieux, en 1894, on nous a dit que des brigands y cherchaient souvent un refuge.

[11] Philippes est située à environ trois heures de la mer, au nord-ouest de l’île de Thasos.

[12] Le mont Pangée et le mont Hæmus.

[13] Strabon, VII, fragm. 34, édit. Didot, p. 280.

[14] L. Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, in-fol., 1876, p. 1-2. — Sur Philippes, voir Rosenmüller, Handbuch der biblischen Alterthumskunde, t. III, p. 393.

[15] Elle s’appelait auparavant Krénides, Datus ou Datum. Elle devait probablement son origine à une factorerie phénicienne, les Phéniciens ayant exploité les premiers les mines d’or du pays, comme celles de Thasos, dans le voisinage.

[16] La plaine entre l’Hæmus et le Pangée est la plaine de Philippes, où les républicains de Rome perdirent leur dernière bataille. Toute cette région est remplie des souvenirs de ce combat. Dans les montagnes, à droite, était le difficile passage par lequel l’armée républicains pénétra en Macédoine ; sur un point de la chaîne même où nous sommes était te camp de Brutus et de Cassius (a) ; devant nous, cette rivière est celle qui coulait devant eux, le Gangas ou Gangitès ; au-dessous de nous, à main gauche de cette plaine unie, est le marécage (b) que traversa Antoine, quand il approcha de l’ennemi ; tout à fait en face est la colline de Philippes où mourut Cassius ; derrière nous est le détroit exigu par lequel Brutus envoya son corps de troupes à l’île de Thasos, de peur que l’armée ne se décourageât avant la lutte décisive. La ville de Philippes était elle-même un monument de la fin de cette lutte,... un mémorial perpétuel de la victoire sur Brutus. Et maintenant un Apôtre juif arrive en ce lieu pour gagner une victoire plus grande que celle de Philippes et pour fonder un empire plus durable que celui d’Auguste. C’est un fait d’une signification profonde que la « première ville » où arriva saint Paul, en entrant en Europe, fut cette « colonie, » qui, plus qu’aucune autre de tout l’empire, méritait d’être considérée comme représentant la Rome impériale. Conybeare and Howson, Life and Espistles of St. Paul, 1880, p. 222-223.

(a) Les républicains étaient placés de manière à être en communication avec la mer. Les trirèmes étaient à Néapolis.

(b) La bataille fut livrée en automne, au moment où la plaine était probablement inondée.

[17] La médaille que nous reproduisons, figure 9, d’après Cousinéry, Voyage dans la Macédoine, 1831, t. II, pl. 2, n° 8, vis-à-vis de la p. 19 (dans le texte, p. 43, elle est faussement placée au n° 11), représente l’empereur Claude, tête nue, à gauche. Sur le revers on lit :

COL. AUG. [IUL.] PHILIP.

C’est-à-dire Colonia Augusta Julia Philippensis. Auguste, vêtu de la toge et posé sur un socle, sur lequel on lit DIVUS AUG[ustus], paraît couronner Jules-César, qui est en habit militaire. De chaque côté dû socle on voit deux petits autels. Cf. Mionnet, Description, t. I, n° 281, p. 487. — On trouve des monnaies d’Auguste tout à fait analogues. Pendant le long séjour que j’ai fait dans la Macédoine, dit Cousinéry, ibid., p. 41-42, j’ai pu reconnaître combien ces médailles sont communes et combien elles varient par le style et par le poids. Il n’y a aucun exemple d’une aussi grande quantité de pièces autonomes pour une colonie. Cette reproduction si fréquente du même type ne pouvait avoir d’autre but que de rappeler constamment la bataille de Philippi.

[18] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 17-18. — Nous devons noter ici que les explications que donne M. Heuzey de cette inscription ne sont pas acceptées par Th. Mommsen, spécialement pour Vict[ricis Philipp]ensium, dans le Corpus inscriptionum latinarum, t. III, n° 660, p. 124.

[19] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 13.

[20] Coloni dicebantur cives Romani ad aliquam urbem habitandam missi, qui non propriis, sed populi Romani legibus vivebant. Cornelius a Lapide, Comment., in Act., XVI, 12, édit. Vivés, t. XVII, p. 309.

[21] Cette parole qu’on lit dans le récit de saint Luc, Actes, XVI, 21, comme nous le verrons bientôt, est tout à fait caractéristique et peint très exactement l’idée que les colons avaient de la colonie. Le mot Romain est, du reste, employé toujours dans un sens politique par l’auteur des Actes, XVI, 21, 37, 38 ; XXII, 25, 26, 27, 29 ; XXIII, 27 ; XXV, 16 ; XXVII, 17.

[22] La plupart des inscriptions découvertes à Philippes sont en latin, quoique ce frit une terre grecque. Plusieurs s’y trouvent encore en place et nous les y avons vues en mai 1893. Au bas de la colline de Philippes, près de la voie Egnatia, on remarque entre autres, de grandes et belles inscriptions latines en grande partie ensevelies aujourd’hui dans la terre. — Pour la légende latine des monnaies, voir celle qui est reproduite, figure 9. Non loin de Philippes, à Thessalonique, qui était une ville libre, non une colonie, comme nous le verrons bientôt, les monnaies portent au contraire une légende grecque.

[23] Majores, dit Cicéron, De lege agraria, Or. II, 27, colonies sic idoneis in locis contra suspicionem periculi collocarunt, ut esse non oppida Italiæ, sed propugnacula imperii viderentur. Et Pro Fonteio, I, 3 : Est in eadem provincia (Galliæ) Narbo Martius, colonie nostrorum civium, specula populi Romani, ac propugnaculum iutis ipsis nationibus oppositum et objectum. Édit. Teubner, part. II, t. II, p. 186 et 18.

[24] Conybeare et Howson, The Life and Epistles of St. Paul, 1880, p. 225.

[25] M. Heuzey a trouvé à Philippes, Mission archéologique de Macédoine, n° 56, p. 122, l’épitaphe d’un préfet de cohorte ; n° 58, p. 124, d’un soldat de la troisième cohorte prétorienne, bénéficiaire des préfets du prétoire.

[26] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 10. Cette hypothèse ne contredit en rien l’assertion de Dion Cassius, lorsqu’il rapporte qu’Octave, au lendemain d’Actium, établit à Philippes, à Dyrrachium et dans quelques autres places, un nombre considérable de colons, recrutés parmi les populations italiennes qu’il avait dépouillées de leurs terres, Dion Cassius, LI, 4. Sur les cohortes prétoriennes des triumvirs, voyez Appien, Guerres civiles, III, 66-69 ; IV, 7, 115 ; V, 3. Ibid.

[27] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, n° 12, p. 38. Le même titre de république des Philippiens se lit aussi sur l’inscription n° 69, ibid., p. 139. Cf. n° 78, p. 148.

[28] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, n° 33, p. 71, 74. Suit une liste de noms propres. — Voir aussi ibid., n° 60, p. 127, le nom d’un questeur, que M. Heuzey suppose avoir été également édile. Cf. Orelli, Inscriptionum latinarum selecta collectio, n° 3873.

[29] Préteur. C’est, dit Rich, le titre d’un des magistrats civils de Rome, qui, par ordre de dignité venait après les consuls... Le préteur portait la toga prætexta, avait la sella curulis et six licteurs. Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, p. 508.

[30] Actes, XVI, 22, 35, 36, 38.

[31] Actes, XVI, 35, 38.

[32] Les objections soulevées à ce sujet sont sans fondement. G. S. Davies, Saint Paul in Greece, p. 32-33. Les magistrats des colonies avaient le titre de duumviri, mais ils prenaient universellement le titre romain de préteurs, arpxrn7cl. Cicéron en mentionne un exemple à propos de Capoue. Voir Horace, Satires, I, VI ; Conybeare et Howson, Life of St. Paul, p. 225 et 232.

[33] Actes, XVI, 22-39.

[34] Tite Live, XLV, 29, édit. Teubner, t. V, p. 281.

[35] Diane est sans doute représentée sur ces médailles à cause du culte qu’on lui rendait, comme Diane Tauropolos, à Amphipolis ; la massue est probablement un souvenir des traditions des Macédoniens, qui faisaient descendre leurs rois d’Hercule.

[36] These coins are exceedingly common, vast numbers being sometimes discovered in Transylvania and Walachia, as noticed by Eckhel, Doct. num. vet., t. VI, p. 69 ; and many rude imitations exist, the performance of the barbarous people on the confines of the province. Akerman, Numismatic Illustrations of the narrative portions of the New Testament, p. 44.

[37] Voir figure 11. Les spécimens en sont rares.

[38] Akerman, Numismatic Illustrations of the narrative portions of the New Testament, p. 44. La Macedonia prima était la partie de la Macédoine située à l’est du Strymon ; elle avait Amphipolis pour chef-lieu. La Macedonia seconda, dont la métropole était Thessalonique, était entre le Strymon et l’Axius ; la Macedonia tertia et la Macedonia quarta étaient placées au sud, du côté de la Thessalie, et bornées parles montagnes à l’ouest, avec Pella et Pélagonia pour chefs-lieux. La division de la Macédoine en quatre districts fut faite par Paul-Émile en 967 avant J.-C. Tite Live, XLV, 29, édit. Teubner, 1869, L. v, p. 281 : In quattuor regiones divisit Macedoniam.

[39] La division de la Macédoine en quatre districts ne dura que dix-huit ans. En 149 avant J.-C. la Macédoine fut reprise par Andriscus, qui se faisait appeler Philippe, fils de Persée. Tite-Live, Epit., XLIX.

[40] Προσευχή. Ce mot était passé en latin sous la forme proseucha. Juvénal dit dans sa Satire III, 296.

Ede ubi consistas : in qua te quæro proseucha ?

Saint Épiphane parle de ces proseuchæ, De hær., 80, 1, t XLI, col. 757, au sujet de l’hérésie des Massaliens. Josèphe les nomme aussi dans l’histoire de sa vie, Vita, 54. Voir de plus Philon, Ad Caium, 20, 43, 46, édit. Mangey, t. II, p. 565, 596, 600 ; Tertullien, Ad Nation., I, 13, t. I, col. 579 (orationes littorales) ; De jejun., 16, t. II, col. 976 (omissis templis per omne littus quo cumque in aperto aliquando jam precem ad cœlum mittunt). La différence qui existait entre la synagogue et la proseuchê est loin, du reste, d’être certaine. This Greek word (προσευχή) is generally rendered prayer (Vulgate, oratio)... Sometimes, however, it bas been supposed to mean aplace of prayer, or oratory, Luke, VI, 12 ; Actes, XVI, 13. It is certain that there were such places, most by outside the towns where the synagogues could not be built, and near water for the convenience of ablution. And occasionally the name seems to have been applied to large buildings, perhaps even to synagogues. But such an oratory cannot well be meant in the passage first cited above ; and it is questionable whelher there was any actual structure dedicated to devotional purposes at Philippi. The places to which Jews under such circumstances resorted appear to have been in the open air, in a grove, and (as before said) near water, by fountains or streams, or on the sea-shore. It was most probably to such an open place that Paul and his companions repaired on the sabbath, for the purpose ofinstructing those they might meet with there. It would seem, XVII, 1, that there was no synagogue at Philippi. J. Ayre, The Treasury of Bible Knowledge, in-12, Londres, 1879, p. 732. La proseuchê d’Actes, XVI, 16, ne peut guère s’expliquer que d’un lieu où l’on se réunissait pour prier, mais ce lieu pouvait être en plein air, et non un édifice fermé. Philon, In Flaccum, 6, édit. Mangey, t. II, p. 523, nous apprend que les Juifs priaient sur les rivages, ce qui est d’accord avec ce que racontent ici les Actes et les passages cités plus haut de Tertullien. Cf. Josèphe, Ant. Jud., XIV, X, 23 ; E. Schürer, Geschichte des Jüdischen Volkes in Zeitalter Jesu Christi, t. II, Leipzig, 1866, p. 370.

[41] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 120.

[42] Actes, XVI, 13-16.

[43] Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, n° 9, p. 28.

[44] Ou bien d’un teinturier ou d’une teinturière en pourpre. Les teinturiers formaient une corporation, comme nous l’apprend une inscription de Salonique, Journal officiel, 17 juin 1884, p. 3127.

[45] Conybeare et Howson, Life and Epistles of St. Paul, 1880, p. 227. — Homère, Iliade, IV, 141, nous apprend que l’art de la teinturerie était très ancien dans le voisinage de Thyatire. Thyatire était en Lydie. Lydos, dit Pline, H. N., VII, 56, Sardibus primos rationem invenisse lanas purpuras inficiendi. Les communications entre Thyatire et Philippes étaient faciles, soit directement du port de Pergame, soit par la route qui conduisait d’Adramyttium à Troade. Cf. Duchesne, Archives des missions, 1876, inscription 83.

[46] Actes, XVI, 16-23.

[47] Έθη, Vulgate, morem, signifie pratiques, observances religieuses. C’est le sens du mot έθη dans tous les passages analogues des Actes, VI, 14 ; XXVI, 3 ; XXVIII, 17.

[48] L’accusation était en partie vraie et en partie fausse. Il était tout à fait faux que Paul et Silas troublassent la colonie, car rien ne pouvait être plus tranquille et mieux réglé que l’exercice de leur culte et que leur prédication dans la maison de Lydie ou dans la proseuchê sur le bord de l’eau. Quant à l’auge partie de l’accusation, elle contenait un certain fonds de vérité. La lettre de la loi romaine, même sous la République, s’opposait à l’introduction des religions étrangères, et quoiqu’on fit des exceptions, comme dans le cas des Juifs eux-mêmes, cependant l’esprit de la loi condamnait absolument les innovations religieuses qui auraient pu jeter le trouble dans l’esprit des citoyens ou produire quelque sédition, et le conseil donné à Auguste et fidèlement suivi par lui et par ses successeurs, consistait à couper court à tout changement dans le culte, le plus promptement possible, de peur qu’à la fin l’état ne fut ruiné. Ainsi Paul et Silas avaient indubitablement fait des choses qui, jusqu’à un certain point, les exposaient à des pénalités légales... La gravité d’une autre partie de l’accusation, qu’on introduisait adroitement, savoir que ces hommes étaient des Juifs, sera facile à apprécier, si nous nous rappelons que non seulement les Juifs étaient généralement haïs, suspectés et méprisés, — suspiciosa ac maledica civitas, comme les appelle Cicéron, Flac., 28, — mais qu’ils venaient récemment d’être chassés de Rome, à la suite d’une sédition (Actes, XVIII, 2 ; cf. Suétone, Claude, 25), et qu’il convenait à Philippes, en qualité de colonie, de suivre l’exemple et d’imiter l’indignation de la mère-patrie. Conybeare and Howson, Life and Epistles of St. Paul, p. 233. Les ennemis de saint Paul n’exposent pas leur véritable grief, la guérison de la pythonisse, parce qu’ils sentent qu’ils ne peuvent le faire valoir. L’esclave qui avait été jusque-là pour eux une source de gain était subitement devenue sans valeur, mais la loi n’avait aucun remède pour sauvegarder la propriété dépréciée par un exorcisme. La véritable cause [de l’accusation] fut donc dissimulée, Ibid., p. 232.

[49] Actes, XVI, 16.

[50] Νείκαια pour Νίκαια.

[51] Strabon, X, 17, édit. Didot, p. 404.

[52] Fort différent du Dionysos grec. Les Thraces l’appelaient Sabazis.

[53] Hérodote, VII, 110-112. — Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, p. 28-29. — Pilaftépé est le sommet le plus élevé du Pangée, ibid., p. 27. Cf. Smith, Dictionary of the Bible, art. Philippi, t. II, 1803, p. 837.