HISTOIRE DE LA COMMUNE DE PARIS

DEUXIÈME PARTIE. — LA COMMUNE DE PARIS

 

CHAPITRE III. — LA POLITIQUE DE LA COMMUNE.

 

 

LA guerre terrible que la Commune de Paris soutenait contre l'armée de Versailles ne lui empêchait pas de continuer son œuvre de réformes philosophiques, politiques et sociales. Comme la Convention nationale elle était à la fois le soldat et le législateur de la Révolution. Elle défendait cette dernière à coups de canons et à coups de décrets.

Plusieurs de ses membres ayant donné leur démission, la Commune a rendu le décret suivant :

Les électeurs des 1er, 2e, 6e, 8e, 9e, 12e, 16e, 17e, 18e et 19e arrondissement, sont convoqués pour le mercredi prochain, 3 avril, à l'effet d'élire le nombre de membres dont suit le détail.

 

La Commune, considérant que les pouvoirs militaires considérables donnés à un seul homme ont toujours été un grand danger pour les libertés publiques, a rendu le décret suivant :

1. Le titre et les fonctions de général en chef sont supprimés ;

2. Le citoyen Brunet est mis en disponibilité ;

3. Le citoyen Eudes est délégué à la guerre, Bergeret à l'état-major de la garde nationale, Duval au commandement militaire de l'ex-préfecture de police.

La commission exécutive.

(Suivent les signatures.)

Paris, le 1er avril 1871.

 

Voulant aussi mettre un terme aux abus et aux charges occasionnés par les gros traitements, la Commune a rendu un autre décret tout aussi sage que le précédent. Le voici :

La Commune de Paris,

Considérant que, jusqu'à ce jour, les emplois supérieurs des services publics, par les appointements élevés qui leur ont été attribués, ont été recherchés et accordés comme places de faveur ;'

Considérant que dans une république réellement démocratique, il ne peut y avoir ni sinécure ni exagération de traitement ;

Décrète :

Article unique. — Le maximum de traitement des employés aux divers services communaux est fixé à six mille francs par an.

LA COMMUNE DE PARIS.

Hôtel-de-Ville, 2 avril 1871.

 

Afin d'améliorer autant qu'il était possible la situation du travail et de l'industrie, la Commission de travail et d'échange a pris l'arrêté suivant :

Article unique. — Une sous-commission composée des citoyens Bertin, Lévy Lazare, Minet et Rouveyrolles est nommée à l'effet de présenter, dans le plus bref délai, un état détaillé des travaux de construction et de réparation inachevés, et de présenter, s'il y a lieu, un projet relatif à l'achèvement de ces travaux par la Commune de Paris.

(Suivent les signatures.)

Hôtel-de-Ville, 1er avril 1871.

 

Pour assurer le recouvrement des contributions provisoirement nécessaires à l'entretien et à la solde de la garde nationale, les délégués aux finances ont pris l'arrêté dont la teneur suit :

Les citoyens Simon, Langlois, Delamarche, Champeval et Lefranc sont nommés membres d'une commission de réorganisation et de direction du service de l'octroi. Ils agiront de concert avec le citoyen Volpénile, directeur général, nommé par nous, et prendront ensemble telles mesures qu'ils jugeront nécessaires dans l'intérêt financier de la Commune de Paris.

Les membres de la Commune de .Paris, délégués aux finances,

VARLIN, D.-TH. RÉGÈRE.

 

La Commune se consacra tout d'abord, comme on l'a vu, aux besoins de l'administration : les finances, le travail, l'industrie, rechange, les impôts, les secours publics, les échéances des effets de commerce, les loyers, les moyens de défense, l'organisation et l'armement de la garde nationale, etc., absorbèrent toutes ses premières séances.

Malheureusement les violences, les cruautés, les férocités, les atrocités commises par les troupes et par le gouvernement de Versailles forcèrent la Commune de sortir de cette voie sage et modérée pour entrer, bien malgré elle et pour sa sécurité personnelle, dans celle des représailles.

Nous l'avons déjà dit, les hordes policières au service de Versailles, ses bandes grossières, corrompues et fanatiques, se rendaient journellement coupables des plus grandes cruautés envers les malheureux gardes nationaux qu'elles faisaient prisonniers ; elles les massacraient sans pitié au mépris de toutes les lois de la guerre ou les outrageaient de la manière la plus inhumaine et la plus barbare.

A leur arrivée à Versailles les malheureux gardes nationaux étaient maltraités de la manière la plus abominable. Le correspondant de l'Indépendance Belge, qui en a été témoin et qui ne peut être suspecté de bienveillance pour les prisonniers communaux, a été tellement indigné des scènes repoussantes et inhumaines dont il a été témoin qu'il n'a pu dissimuler sa réprobation :

Je suis revenu à temps à Versailles, dit-il, pour voir les entrées des prisonniers. J'ai pu constater avec regret l'attitude exaltée de la foule. Non-seulement elle voulait qu'on mît à mort tous les prisonniers, mais encore elle leur lançait elle-même des pierres. Quant aux spectateurs plus calmes, ils devaient retenir avec soin toute l'expression de la pitié, ne faire aucun appel au respect de la loi et de l'humanité, sous peine de devenir victimes eux-mêmes des fureurs populaires. Des spectateurs ont été maltraités et arrêtés pour avoir eu l'imprudence de manifester un sentiment de pitié.

Les femmes surtout étaient ignobles, odieuses ; c'était à faire lever le cœur de dégoût.

 

Voici une autre correspondance sur le même sujet, et qui exprime la même horreur pour la conduite des Versaillais :

Aux Membres de la Commune de Paris.

Paris, le 5 avril 1871.

J'arrive de Versailles encore tout ému et profondément indigné des faits horribles que j'ai vus de mes propres yeux.

Les prisonniers sont reçus à Versailles d'une manière atroce. Ils sont frappés sans pitié. J'en ai vu sanglants, les oreilles arrachées, le visage et le cou déchirés comme par des griffes de bêtes féroces. J'ai vu le colonel Henry en cet état, et je dois ajouter à son honneur et à sa gloire que, méprisant cette bande de barbares, il est passé fier et calme, marchant stoïquement à la mort.

Une cour prévôtale fonctionne sous les regards du gouvernement. C'est dire que la mort fauche nos concitoyens faits prisonniers.

Les caves où on les jette sont d'affreux bouges, confiés aux bons soins des gendarmes.

J'ai cru de mon devoir de bon citoyen de vous faire part de ces cruautés, dont le souvenir seul provoquera encore longtemps mon indignation.

BARRÈRE.

 

Le citoyen Barrère est le parent du Girondin de ce nom. Le citoyen Leroux, commandant du 84e bataillon de la garde nationale, a certifié la lettre qui précède conforme à la vérité.

Eh bien, qui le croirait, ces atrocités épouvantables faites pour apitoyer les plus insensibles n'ont inspiré à M. Picard que les odieuses et cruelles paroles suivantes.

Jamais, dit-il, en parlant des malheureux prisonniers qu'insultait la foule, la basse démagogie n'avait offert aux regards affligés des honnêtes gens des figures plus ignobles.

Eh bien, ces hommes à figures ignobles étaient les électeurs dont M. Picard avait mendié les voix.

Un autre témoin de faits à peu près semblables raconte dans l'Indépendance Belge :

Les soldats couvraient les prisonniers d'injures et de malédictions. L'un d'eux arrêté en uniforme de soldat de la ligne fut frappé à coups de crosses de fusils.

Trois furent fusillés sommairement par les soldats.

Même les plus gravement blessés n'obtinrent aucune espèce d'indulgence, mais furent raillés sans pitié. L'animosité n'aurait pu être plus vive.

La gendarmerie se montra la moins accessible à la pitié. J'entendis l'un de ses hommes dire qu'il n'était pas besoin de chercher des cordes pour lier les prisonniers, car à la moindre tentative de fuite on les fusillerait.

Un autre assurait que les officiers supérieurs seraient fusillés en tout cas.

 

Voici une abominable exécution racontée par le Mot d'Ordre :

Vers neuf heures du matin dix-huit gardes nationaux, montés sur deux bateaux, traversent la Seine de Reuil à Chatou, et vont déjeuner chez le marchand de vin. A dix heures, quinze d'entre eux remontent dans les deux bateaux et retournent à Reuil. Le capitaine, un sergent et un garde de la 4me compagnie restent seuls à achever leur déjeuner.

Le marquis de Galifet, à la tête de cinq ou six cents cavaliers, parmi lesquels il y avait beaucoup de gendarmes, est informé par un misérable dénonciateur de la présence des trois gardes nationaux, qui sont restés chez le marchand de vin. Il s'y rend aussitôt, s'empare des trois imprudents et les fait immédiatement fusiller route de Saint-Germain.

 

C'étaient trois pères de familles qui sont morts en songeants à leurs malheureuses femmes et à leurs pauvres petits enfants, qui restaient sans appui, sans soutien et sans pain, plongés dans la misère.

Leur bourreau, le marquis de Galifet, songeait, lui, aux débauches qu'il pourrait bientôt faire dans la capitale où il espérait rentrer ; et en attendant il savourait les voluptés des sanglantes orgies auxquelles il se livrait.

Les soldats du gouvernement de Versailles ne respectaient rien, pas même les ambulances, ni le corps médical chargé du soin des blessés, sur le champ de bataille. Us faisaient aux défenseurs de la Commune une guerre de sauvages.

Voici une lettre, adressée au journal La Commune, qui le prouve d'une manière irréfutable :

Citoyen rédacteur,

Nous tenons à porter à la connaissance des honnêtes gens un fait inouï, accompli par les artilleurs du Mont Valérien, dans la journée du 3 avril. Une vingtaine de médecins portant le brassard réglementaire, accompagnés de sept voitures de la société internationale, pourvues du drapeau blanc à la croix rouge de la Convention de Genève, ont été pris pour point de mire, et sans un pli de terrain, où ils ont pu s'abriter, médecins et blessés auraient été atteints par les obus, etc. . . . . .

Le médecin en chef de l'Hôtel-de-Ville : DR. HERZFELD.

Le médecin adjoint : DR. CLAUDE.

 

Ce que les Prussiens n'avaient pas fait pendant le siège de Paris, les soldats français au service de la réaction royaliste et cléricale s'en sont rendus coupables. Ils ont bombardé les voitures des ambulances.

Cela ne s'était jamais vu. Mais aucune infamie ne doit étonner de la part de gens qui ont violé, ainsi que nous le prouverons plus loin, d'honnêtes et malheureuses ambulancières, de respectables femmes qui se dévouaient et s'exposaient à la mort pour soigner les blessés.

Pendant que ces scènes horribles, dignes des hordes sauvages, s'accomplissent, le gouvernement de Versailles, qui trouve que les cours martiales ne frappent pas encore avec assez de rapidité et que le sang français ne coule pas assez vite, ni assez abondamment, a présenté un projet de loi à l'Assemblée destiné à accélérer la marche de la procédure devant les tribunaux militaires appelés à juger les gardes nationaux prisonniers. L'urgence a été votée ; quoi en effet de plus urgent pour les Versaillais que de fusiller leurs concitoyens ?

Mais ce n'est pas assez pour les bêtes féroces de Versailles de massacrer et de fusiller les prisonniers ; pour elles les vertus sont des crimes ; l'exercice de l'hospitalité, respecté même chez les peuplades barbares, est puni comme le plus grand des forfaits par ces fous furieux, qui ont la sanglante monomanie du carnage.

M. Baratte, paisible habitant de Courbevoie, demeurant route de Saint-Germain, avait recueilli chez lui deux gardes nationaux blessés. Cinq sergents de ville s'en étant aperçu, ont non-seulement fusillé les malheureux malades, mais encore impitoyablement massacré non-seulement M. Baratte, mais encore sa femme et ses deux demoiselles, après avoir fait subir à ces deux dernières les plus honteux outrages sous les yeux de leur père et de leur mère garrottés, qui se tordaient dans les angoisses du désespoir.

Voilà de quels crimes sans nom et sans exemple se sont souillés les défenseurs de l'ordre, du trône et de l'autel ; les soutiens de la famille, de la religion, de la propriété et de la société toute entière.

Nous pourrions citer des milliers d'autres cruautés infâmes, raconter le viol et l'assassinat des ambulancières et des cantinières, le massacre de centaines de prisonniers de la façon la plus atroce ; des horreurs si épouvantables que seuls les soldats de Versailles, les reîtres de l'Empire échappés des prisons de l'Allemagne et les chouans fanatiques de Charette en étaient capables ; mais nous ne voulons pas affliger trop douloureusement nos lecteurs par le récit de ces carnages repoussants. Les exemples que nous avons cités suffisent pour donner une idée exacte de la férocité et de la luxure des sauveurs de l'ordre.

Toutes ces exécutions sommaires faites au mépris non-seulement des lois de la guerre, mais encore en violation outrageante de tout sentiment d'humanité ; toutes ces atrocités bien faites pour soulever la conscience et pour inspirer non-seulement la plus vive réprobation et la plus grande horreur, mais encore le désir de justes représailles, forcèrent la Commune à chercher un moyen de préserver ses défenseurs, les gardes nationaux de Paris, des massacres, des fusillades et des assassinats auxquels ils étaient exposés lorsqu'ils étaient faits prisonniers.

La Commune hésita longtemps, avant d'entrer dans cette voie de représailles malheureusement trop justifiées, car elle répugnait par instinct, et par un sentiment élevé du respect de la vie humaine, à employer les seuls moyens qui étaient en son pouvoir pour mettre un terme, si c'était possible, aux sanglantes et odieuses exécutions des sicaires versaillais, qui versaient le sang de leurs compatriotes, les gardes nationaux de Paris, comme de l'eau.

Il y avait déjà près d'une semaine que les gendarmes de Versailles avaient traîné à la queue de leurs chevaux et massacré les malheureux fédérés qu'ils avaient fait prisonniers ; il y avait déjà plusieurs jours que les horreurs que nous avons racontées avaient eu lieu, que Flourens, Duval et tous leurs courageux compagnons avaient été lâchement assassinés, quand la Commune se décida à voter la loi des otages qui lui a tant été reprochée ; et qui cependant est bien douce et bien équitable à côté de celle sur les cours martiales que M. Dufaure, ministre de la sanglante justice de Versailles, trouvait trop douce et surtout trop peu expéditive.

La loi sur les otages est en effet bien modérée et bien équitable à côté des pratiques barbares des lyncheurs de Versailles, qui mettaient journellement à mort leurs prisonniers, sans même leur accorder la garantie du jugement sommaire que le terrible justicier américain Lynch ne refusait pas aux plus grands criminels.

Vinoy et Galifet, ces bourreaux sinistres, plus chargés de crimes qu'ils n'ont de cheveux, ne faisaient pas même interroger leurs victimes. Ils les faisaient mettre à mort sans les connaître, parce qu'elles avaient eu le malheur d'attirer leurs regards, de fixer leur attention, ou de leur déplaire. Ils faisaient un signe à leurs bravi et ces misérables se précipitaient sur les malheureux innocents désignés à leurs coups, ils les poussaient contre un mur et les fusillaient sans pitié ; les femmes elles-mêmes ne trouvaient pas grâce devant ces féroces janissaires, qui les violaient d'abord et les massacraient ensuite.

Voici la loi sur les otages ; qu'on la lise avec soin et l'on conviendra qu'elle est bien humaine comparée aux crimes dont elle a pour but d'empêcher la continuation.

La Commune de Paris,

Considérant que le gouvernement de Versailles foule ouvertement aux pieds les droits de l'humanité comme ceux de la guerre ; qu'il s'est rendu coupable d'horreurs dont ne se sont même pas souillés les envahisseurs du sol français ;

Considérant que les représentants de la Commune de Paris ont le devoir impérieux de défendre l'honneur et la vie des deux millions d'habitants qui ont remis entre leurs mains le soin de leurs destinées ; qu'il importe de prendre sur l'heure toutes les mesures nécessitées par la situation ;

Considérant que des hommes politiques et des magistrats de la cité doivent concilier le salut commun avec le respect des libertés publiques ;

Décrète :

Art. 1. Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d'accusation et incarcérée.

Art. 2. Un jury d'accusation sera institué dans - les vingt-quatre heures pour connaître des crimes qui lui seront déférés.

Art. 3. Le jury statuera dans les quarante-huit heures.

Art. 4. Tous les accusés retenus par le verdict du jury d'accusation seront les otages du peuple de Paris.

Art. 5. Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie' de l'exécution d'un nombre triple des otages retenus en vertu de l'article 4, et qui seront désignés par le sort.

Art. 6. Tout prisonnier de guerre sera traduit devant le jury d'accusation, qui décidera s'il sera immédiatement remis en liberté ou retenu comme otage.

 

Si on examine froidement l'esprit de cette loi, on voit tout d'abord qu'elle s'applique à des complices du gouvernement de Versailles, c'est-à-dire à des espions, à des traîtres, et non pas à des prisonniers de guerre. Jamais il n'est entré dans l'esprit des membres de la. Commune d'appliquer cette loi à des soldats faits prisonniers. L'article 1 dit que tous les prévenus de complicité avec Versailles seront traduits devant le jury d'accusation, qui décidera s'ils seront immédiatement remis en liberté ou retenu comme otages. Or, il est certain que les soldats proprement dits, ceux qui n'ont trempé dans aucune trahison et dans aucun massacre, seront mis en liberté. On sait avec quelle bonté et quels égards la Commune traitait les prisonniers de guerre appartenant à l'armée régulière. Si des gendarmes, des sergents de ville faits prisonniers ont été déclarés otages, ce n'est pas en leur qualité de prisonniers militaires, mais à cause de leurs fonctions policières, de -leurs actes comme membres de la police au service de l'ennemi. Le gouvernement de Versailles, en enrôlant dans son armée tout le personnel de la police, l'a exposé à de justes représailles, cent fois justifiées par la conduite infâme de tous les corps policiers, non-seulement depuis le Dix-huit mars, mais depuis le Deux décembre 1851.

L'article 2 du décret sur les otages institue un jury d'accusation devant lequel seront traduits les accusés de complicité avec Versailles ; et par une autre loi il a été statué que ce jury d'accusation serait tiré au sort parmi les délégués de la garde nationale.

Ordinairement en temps de guerre on ne fait pas juger les complices de l'ennemi par un jury, mais on les défère à une cour martiale ou on les traite comme espions. C'est donc une grande garantie pour eux que d'être traduits devant un jury composé d'honorables citoyens élus par le suffrage universel. Les gardes nationaux, prisonniers de guerre à Versailles, s'estimeraient très-heureux si on leur offrait de pareilles garanties juridiques. Mais malheureusement le gouvernement réactionnaire de Versailles les traduit par fournées devant ses conseils de guerre, soumis à l'obéissance passive, qui les condamnent sans pitié à mort ou aux travaux forcés, conformément aux consignes qui leur sont données.

D'après la loi sur les otages, lorsqu'un prévenu de complicité avec l'ennemi était reconnu coupable par le jury d'accusation, il n'était condamné ni à mort, ni aux travaux forcés, ni même à l'emprisonnement, ni à aucune peine. Il était seulement retenu /en prison jusqu'à la paix, comme prisonnier de guerre, et il n'était soumis aux dangers de la loi des otages' que dans le cas où ses alliés, ses partisans, les défenseurs du gouvernement de Versailles, commettaient contre les prisonniers de la Commune de nouvelles cruautés contraires aux lois de la guerre.

Il dépendait donc du gouvernement de Versailles et des chefs militaires que les rigueurs de cette loi ne soient jamais appliquées. Il suffisait pour cela de ne pas assassiner les prisonniers qu'ils feraient à la garde nationale et de les traiter conformément aux lois de la guerre. Etait-ce donc trop exiger ?

Cette loi des otages était donc juste au fond, puisqu'elle ne s'appliquait qu'à des complices du gouvernement de Versailles, reconnus et déclarés coupables par un jury offrant toutes les garanties d'honorabilité, d'impartialité et d'indépendance. Toutes les garanties, toutes les facilités et toutes les libertés de défense étaient accordées.

Cette loi était même très-humaine, car elle assurait la vie sauve à tous les complices de l'ennemi, aux traîtres et aux espions. Ils ne pouvaient être au plus soumis qu'à un emprisonnement temporaire qui ne pourrait être bien long, car il ne se serait certainement pas prolongé au delà de la guerre.

Cette mesure exceptionnelle, nécessitée par les circonstances, et que les cruautés des soldats du gouvernement de Versailles avaient rendue indispensable, avait été inspirée par le désir ardent qu'avaient les membres de la Commune de faire cesser les massacres impitoyables auxquels se livraient ses ennemis.

Il dépendait donc des prétendus défenseurs de l'ordre de faire qu'à l'avenir pas une goutte de sang d'un prisonnier de guerre et même d'un espion ne soit versée. Il lui suffisait pour cela de respecter les lois de la guerre, et de traiter les prisonniers, de la Commune avec autant d'humanité que cette dernière en avait pour ceux qu'elle lui avait faits.

Quel est l'homme sérieux, consciencieux et véritablement honnête qui, tenant compte des circonstances terribles dans lesquelles se trouvait la Commune par la faute et les crimes du gouvernement de Versailles, oserait blâmer la mesure prise par les défenseurs de Paris.

Nous savons bien qu'au point de vue des principes de droit absolu, représentés par la Commune, que la vie humaine devait être sacrée pour elle. Mais nous faisons observer à la décharge du gouvernement de l'Hôtel-de-Ville qu'il était en guerre, forcé de se défendre, de lutter à armes égales ; qu'il avait le devoir absolu d'employer tous les moyens compatibles avec le droit des gens pour sauvegarder la vie des gardes nationaux, honnêtes citoyens et pères de famille, et qu'il ne pouvait sous aucun prétexte les laisser massacrer impunément lorsqu'ils étaient prisonniers. Si l'inviolabilité de la vie humaine est un principe philosophique admis par quelques-uns et contesté par d'autres, il n'est personne au monde qui puisse nier le droit absolu d'égalité et de réciprocité qui doit toujours exister entre deux combattants. Or, ce principe de justice absolu reconnu, on ne peut admettre que l'un des adversaires ait le droit de fusiller les prisonniers qu'il fait et que l'autre doit respecter les siens.

La seule raison ayant une valeur réelle, que l'on puisse invoquer contre la loi des otages, est la suivante : On peut dire que nul n'est responsable que de ses actes, que les délits et les crimes sont personnels. Il est donc injuste de faire expier à des otages des crimes auxquels ils sont étrangers, et auxquels ils n'ont pu contribuer en rien parce qu'ils étaient prisonniers lorsqu'ils ont été commis.

C'est là une raison sérieuse ; nous sommes trop équitable pour ne pas la mentionner ici et la reconnaître.

Aussi, nous n'aurions pas voté la loi des otages, si nous avions été membre de la Commune quand elle a été faite, sans proposer un amendement, dans lequel il aurait été dit : Que cette loi n'aurait pas d'effet rétroactif pour les otages qui étaient en prison quand les crimes à punir ont été commis.

Ceux qui auraient été arrêtés après la perpétration des crimes à punir, auraient été admis à prouver devant le jury qu'ils y étaient complètement étrangers, qu'ils n'y avaient participé en rien, et dans ce cas ils auraient été mis en liberté et simplement consignés dans Paris jusqu'à la paix.

Nous croyons que sous aucun prétexte on ne doit jamais se départir dans la pratique de la justice des grands principes du droit immuable, qui doit être la base des actes de tout honnête homme aussi bien que de tout ordre social. Et nous sommes heureux, quoiqu'en puissent penser et dire nos ennemis, de n'avoir jamais violé ces principes, qui ont toujours servi de règle à notre conduite.

Voici la proclamation de la Commune qui a précédé la promulgation de son décret sur les otages :

Chaque jour les bandits de Versailles massacrent ou fusillent nos prisonniers, et à chaque instant nous apprenons qu'un acte d'assassinat a été commis. Vous connaissez ceux qui se rendent coupables de ces crimes : ce sont les gendarmes de l'Empire, les royalistes de Charette et de Cathelineau, qui marchent sur Paris, au cri de Vive le roi ! et le drapeau blanc à leur tête. Le gouvernement de Versailles agit contre les droits de la guerre et de l'humanité, et nous serons forcés de faire des représailles si on continue de méconnaître les usages ordinaires de la guerre entre peuples civilisés. Si nos ennemis assassinent un seul de nos soldats, nous y répondrons en faisant exécuter un nombre égal ou double de prisonniers. Le peuple, même dans sa colère, déteste l'effusion du sang comme il déteste la guerre civile ; mais il est de son devoir de se protéger contre les sauvages attentats de ses ennemis, et quoi qu'il en puisse coûter, ce sera œil pour œil, dent pour dent.

Signé : LA COMMUNE DE PARIS.

 

Les assassinats de Flourens, de Duval, de plusieurs commandants de la garde nationale, et d'un grand nombre de simples gardes, ceux des cantinières et des ambulancières soumises avant aux derniers outrages par les bandits de Versailles, et toutes les autres horreurs commises par ces derniers, devaient logiquement provoquer des représailles et pousser la Commune dans la voie des mesures rigoureuses.

Le 5 avril, l'archevêque de Paris et M. Daguerry, curé de la Madeleine, ont été arrêtés sous l'inculpation de complot contre la République, de complicité avec Versailles.

M. Isard, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice ; M. Bertans, curé de Saint-Sulpice ; le curé de Saint-Séverin ; l'aumônier-général des prisons ; le recteur de Notre-Dame de Lorette ; M. Blondeau, curé de Notre-Dame de Plaisance ; M. Croses, aumônier de la prison de la Roquette ; M. Ducoudray, recteur de l'Ecole Sainte-Geneviève ; M. Bertaux, curé de Saint-Pierre de Montmartre ; le père Bosquet, supérieur, et onze autres pères et un frère de la Congrégation de Picpus ; M. Bagle, vicaire-général ; Miguel, premier vicaire de Saint-Philippe du Roule ; le frère Calixte, de la Doctrine Chrétienne ; Lurtèque, curé de Saint-Leu ; Millaud, curé de Saint-Roch ; Geslain, curé de Saint-Médard ; Sire, professeur à Saint-Sulpice, le vicaire de Saint-Bernard la Chapelle, etc., etc., ont aussi été incarcérés pour le même motif.

La Commune, en opérant ces arrestations d'ecclésiastiques, avait surtout l'intention d'arrêter le massacre des prisonniers parisiens par l'armée de Versailles. Elle espérait que M. Thiers ne voudrait pas exposer l'archevêque de Paris et les principaux ecclésiastiques de la capitale à de terribles représailles, et que ces arrestations suffiraient pour mettre un terme aux cruautés et aux barbaries du gouvernement de Versailles. Et les preuves que c'était bien là son intention, ce sont les deux lettres écrites à M. Thiers par l'archevêque de Paris et par le Curé de la Madeleine, afin de prier le chef du pouvoir exécutif de faire cesser le massacre des prisonniers et tous les mauvais traitements qui étaient exercés sur eux. Ce fut M. Bertaux, curé de Saint-Pierre de Montmartre, qui se chargea de porter ces deux lettres, en s'engageant par écrit à revenir apporter la réponse et se constituer prisonnier, sous trois jours. Ce qu'il fit en effet, en rapportant une réponse écrite de M. Thiers, dans laquelle le chef des bourreaux de Duval, de Flourens et de tant d'autres malheureux prisonniers massacrés d'une façon si barbare, niait effrontément tous les crimes de ses hordes de policiers assassins. Le bombardeur de Paris resta sourd aux supplications de l'archevêque et du Curé de la Madeleine, et, malgré leurs prières, il continua de faire massacrer les gardes nationaux prisonniers, ainsi que nous le verrons plus loin, et cela sans prendre en considération les dangers auxquels il exposait les otages de la Commune. A son retour, M. Bertaux fut mis en liberté.

La Commune avait aussi été obligée de prendre des mesures sévères contre la presse, ainsi que l'avait déjà fait le Comité Central de la garde nationale, en supprimant le Figaro et le Gaulois dès le 19 mars.

Tous les journaux réactionnaires de la capitale avaient non-seulement attaqué ouvertement et de la manière la plus indigne, à l'aide de mensonges, de grossières calomnies, d'injures et de diffamations, le Comité Central et la Commune, leurs membres et leurs actes, mais encore ils avaient prêché ouvertement la désobéissance à leurs décrets, et excité publiquement contre eux à la révolte et à la guerre civile.

Il était donc du devoir de la Commune et du Comité Central de prendre les mesures les plus énergiques, et de se défendre contre cette presse vénale et criminelle, aux gages de l'ennemi et qui était un véritable danger dans la situation critique où Paris se trouvait alors.

L'Europe entière connaît le rôle indigne que joue une partie de la presse française depuis vingt-deux ans. Elle a été pour le monde entier un objet de scandale et une honte pour la France.

La Commune avait le devoir, le droit et le pouvoir de la réprimer, et elle a très-bien fait de mettre un terme aux excès coupables de cette presse soumise, dégradée et vile, vivant depuis vingt ans sous la tolérance de la police, et qui n'est plus qu'une branche, qu'une succursale de la rue de Jérusalem.

En supprimant tous les organes immoraux défenseurs du gouvernement de Versailles, la Commune, en guerre avec ce dernier, ne faisait que se défendre, qu'user du droit de légitimes représailles. Elle ne pouvait, raisonnablement tolérer que son ennemi ait des organes, des défenseurs, des partisans dévoués dans l'intérieur de Paris assiégé par Versailles. En agissant ainsi elle ne faisait du reste qu'user de réciprocité.

Le gouvernement de Versailles non-seulement ne tolérait la publication d'aucun journal favorable à la Commune, mais encore il faisait saisir tous les organes républicains-socialistes, dès qu'ils sortaient de Paris. Voici textuellement l'arrêté pris à ce sujet par M. Picard : Ordre est donné de saisir tous les journaux expédiés de Paris, et d'en interdire la circulation. Tous étaient saisis, les journaux amis n'étaient pas même épargnés.

Mais déjà avant la guerre le gouvernement de la défense nationale avait fait supprimer six journaux populaires. Tous les organes honnêtes et modérés, qui se plaignaient d'être interdits, avaient applaudit pendant dix-huit ans à la suppression de la liberté de la presse. Ils étaient donc mal venus à se plaindre aujourd'hui.

Pendant que Versailles continuait de faire une guerre à outrance, à Paris des représentants d'associations libres cherchaient à faire cesser les hostilités par leur intervention bienveillante.

Les délégués de la Ligue républicaine des droits de Paris, et ceux du Syndicat général de l'union nationale cherchaient à s'interposer entre les belligérants. L'Union républicaine des droits de Paris avait adopté le programme suivant :

Reconnaissance de la République ;

Reconnaissance du droit de Paris à se gouverner, à régler par un conseil librement élu et souverain dans la limite de ses attributions sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement, et l'exercice de la liberté de conscience ;

Le garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale, composée de tous les électeurs valides.

Amnistie pleine et entière pour tous les citoyens qui ont pris part à la Révolution du 18 mars et aux actes de la Commune.

Et conclusion d'un armistice préalable pour traiter de ces conditions et de la paix définitive.

 

Les propositions formulées par le Syndicat général de l'union nationale étaient à peu près les mêmes que celles contenues dans le programme de l'Union des droits de Paris.

Les délégués de ces deux associations n'ont pu obtenir la faveur d'être reçus par M. Thiers qu'à la condition de ne pas se présenter au nom de la Commune, avec laquelle le chef du pouvoir exécutif, l'élu des départements soumis à l'occupation, étrangère et au joug prussien, ne voulait pas entrer en pourparler, ne lui reconnaissant pas le droit des belligérants.

Les délégués ayant déclaré qu'ils n'avaient reçu aucun mandat de la Commune, et qu'ils se présentaient au nom d'une réunion de citoyens libres et indépendants de toutes relations avec le gouvernement de l'Hôtel-de-Ville, M. Thiers daigna les recevoir, et après avoir écouté l'exposé du but de leur mission il leur répondit :

Que des négociations ayant un caractère officiel ne pourront être entamées que s'il était d'abord admis en principe que Paris déposerait les armes.

Que pendant tout le temps qu'il sera au pouvoir la République ne sera pas renversée.

Que Paris jouira des franchises municipales dans les mêmes conditions que les autres villes de France, conformément à la loi qui sera votée par l'assemblée de Versailles.

Que Paris sera placé dans le droit commun, rien de plus, rien de moins.

Que la garde nationale sera réorganisée, mais qu'il ne saurait lui confier exclusivement la garde de Paris, ni admettre en principe l'exclusion absolue de l'armée permanente.

Que, ne reconnaissant point la qualité de belligérants aux personnes engagées dans la lutte contre l'Assemblée nationale, il ne peut ni ne veut traiter d'un armistice ; mais que, si les gardes nationaux de Paris ne tirent ni un coup de fusil, ni un coup de canon, les troupes de Versailles ne tireront ni un coup de fusil, ni un coup de canon, jusqu'au moment indéterminé où le pouvoir exécutif se résoudra à une action et commencera la guerre.

Que tous ceux qui renonceront à la lutte armée, c'est-à-dire qui rentreront dans leurs foyers en quittant toute attitude hostile, seront à l'abri de toute recherche ; excepté ceux que M. Thiers appelle les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas, qui seront jugés si on les découvre.

 

Voici, d'après une circulaire de M. Thiers aux préfets, datée du 13 avril, quelle est la réponse qu'il à faite aux envoyés de l'Union des droits de Paris :

Les délégués sont arrivés à Versailles. S'ils avaient été envoyés par la Commune, ils n'auraient pas été admis ; mais ils ont été reçus, parce que ce sont de sincères républicains de Paris. Je leur ai répondu invariablement : Personne ne menace la République, excepté les assassins. Les insurgés auront la vie sauve. Les ouvriers malheureux continueront à être provisoirement assistés. Paris doit revenir au droit commun. Toute sécession sera supprimée en France comme on a fait en Amérique. Telle a été ma réponse.

 

On comprend que la réponse de M. Thiers n'offrait aucune chance de succès, car la garde nationale ne consentirait jamais à déposer les armes, pas plus qu'à accepter la loi municipale réactionnaire élaborée par l'assemblée de Versailles, et l'aumône insuffisante et humiliante que M. Thiers voulait bien dans sa munificence accorder aux ouvriers nécessiteux. Aussi la Commune refusa d'entrer en relation avec le gouvernement de Versailles, et fit interdire les réunions des comités conciliateurs.

La Commune, comprenant tous les inconvénients graves qui résultaient du secret de ses séances, se décida enfin à leur donner non pas une publicité complète, mais à publier le procès-verbal de chacune d'elles.

Dans sa séance du 12 avril la Commune a décidé la formation d'un conseil de guerre dans chaque légion de la garde nationale, et réduit le prix des passeports à 50 centimes.

Mais le décret de cette séance qui a produit la plus profonde sensation et qui a eu le plus grand retentissement est le suivant :

La Commune de Paris,

Considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brutale et de fausse gloire, une affirmation du chauvinisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l'un des trois grands principes de la République française, la fraternité ;

Décrète :

Article unique. — La colonne de la place Vendôme sera démolie.

Paris, le 12 avril 1871.

 

Dire ce que l'adoption de ce décret a soulevé de naine et de colères contre la Commune serait difficile. Nous attachons peu d'importance à ces monuments consacrés à rappeler les souvenirs de fausse gloire et à flatter la gloriole nationale. Nous croyons qu'ils ne méritent que le mépris et le dédain. Mais c'est toujours une chose bonne, morale et utile que de les faire disparaître, afin qu'ils ne rappellent plus aux générations présentes et à celles de l'avenir les triomphes éphémères de la tyrannie et l'égorgement des peuples au profit de quelques bandits couronnés, qui appellent guerres glorieuses le pillage, l'incendie et la destruction des générations. Et parmi tous les monuments qui symbolisent ces époques de carnage en grand et de brigandage héroïque, nul ne méritait mieux que la colonne de la place Vendôme d'être jetée par terre. Ne fut-ce que pour faire disparaître et fouler aux pieds la statue du scélérat impérial drapé .en César romain qui la surmontait, la Commune, en faisant disparaître ce souvenir du premier Empire, maudit précurseur du second, a rendu un grand service à la France et à l'humanité.

Le lendemain la Commune ordonnait par un décret la formation de compagnies d'ambulanciers.

Une commission de cinq membres, les citoyens Theisz, Vermorel, V. Clément, Parisel et Lefrançais, est nommée pour examiner les différents projets relatifs à la question de l'ajournement des billets de commerce échus et à échoir, afin de faire un rapport sur ce sujet.

Le citoyen Tridon fait la proposition suivante, qui est adoptée :

La Commune décide l'envoi de deux de ses membres aux funérailles de Pierre Leroux ; après avoir déclaré qu'elle rendait.cet hommage non au philosophe partisan de l'idée mystique dont nous portons la peine aujourd'hui, mais à l'homme politique qui, le lendemain des journées de Juin, a pris courageusement la défense des vaincus.

Sur la proposition du citoyen Vermorel, la Commune adopte un projet de loi d'après lequel il est décidé que toute arrestation devra immédiatement être notifiée au délégué de la Commune à la justice.

Ce décret d'une grande utilité a permis au citoyen Protot de faire contrôler d'une façon sérieuse toutes les arrestations, et de faire immédiatement cesser la détention des citoyens arrêtés par erreur.

La lutte allant toujours en s'aggravant, la Commune crut utile de publier un nouveau manifeste adressé à la province, afin d'éclairer cette dernière sur son programme, de faire cesser tout malentendu s'il en existait, et d'adresser un dernier appel aux départements pour qu'ils fassent cesser le sanglant conflit qui désolait et dévastait la capitale. Mais, hélas ! cet appel ne put parvenir dans les départements ; le gouvernement de Versailles empêchait toute communication entre Paris et la province ; il enserrait chaque jour davantage la capitale dans le cercle de fer et de feu qui l'entourait, afin que la province ne puisse être éclairée, tirée de son ignorance et de son apathie. Paris devait continuer seul contre Versailles la lutte à outrance qu'il soutenait.

Les grandes villes qui s'étaient soulevées à son exemple : Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Avignon, Limoges, Grenoble, et jusqu'au Creuzot, et qui avaient voulu conquérir leur autonomie, proclamer la Commune, avaient été vaincues et placées sous le joug centralisateur du gouvernement de Versailles. Le manifeste de la Commune ne pouvait donc avoir d'effet en province.

Le 20 avril, la Commune arrête :

1. Le pouvoir exécutif est et demeure confié, à titre provisoire, aux délégués réunis des neuf commissions, entre lesquelles la Commune" a réparti les travaux et les attributions administratives ;

2. Les délégués seront nommés par la Commune, à la majorité des voix ;

3. Les délégués se réuniront chaque jour, et prendront, à la majorité des voix, les décisions relatives à chacun de leurs départements ;

4. Chaque jour ils rendront compte à la Commune, en comité secret, des mesures arrêtées ou exécutées par eux, et la Commune statuera.

 

Les citoyens dont les noms suivent ont ensuite été nommés pour composer la Commission exécutive :

Guerre

Cluseret.

Finances

Jourde.

Subsistances

Viard.

Relations extérieures

Paschal Grousset.

Justice

Protot.

Enseignement

Vaillant.

Sûreté générale

R. Rigault.

Travail et échange

Frankel.

Services publics

Andrieux.

Cette nouvelle organisation de la Commission exécutive offrait un grand inconvénient que son auteur, homme politique d'une certaine expérience, aurait dû prévoir.

Les délégués aux divers services publics, ou si on aime mieux aux divers ministères, étaient tous chargés d'un travail administratif considérable qui absorbait tout leur temps et toutes leurs forces. En leur confiant en outre le pouvoir exécutif, c'était les accabler d'une nouvelle et trop importante mission qu'ils étaient impropres à remplir. Il leur était matériellement impossible de se réunir chaque jour pour délibérer comme membres de la Commission exécutive, afin d'imprimer une direction intelligente et énergique à la marche des affaires publiques : à la guerre, à l'armement et à la défense de Paris. Il leur était tout aussi impossible de surveiller efficacement la marche des événements, car le temps et les forces leur manquaient pour cela, absorbés qu'ils étaient par leur travail administratif journalier.

Cette mauvaise organisation du pouvoir, dans un moment aussi difficile et où il y avait tant à faire, ne tarda pas à se faire sentir et à porter ses fruits. Il fallut la modifier, et c'est à elle que l'on doit le Comité de salut public, comme nous le verrons plus loin.

Il a été décidé par un vote, dans la séance du 21 avril, que le Journal Officiel serait affiché à un grand nombre d'exemplaires et que son prix serait réduit à 5 centimes. Mais, malgré ce vote, l'Officiel a continué à être vendu 15 centimes.

Dans la séance du 22 avril, la Commune a adopté un décret proposé par le citoyen Protot, délégué à la justice, sur le jury d'accusation. En voici les principales dispositions :

Art. 1. Les jurés seront pris parmi les délégués de la garde nationale. . . . .

Art. 2. Le jury d'accusation se composera de quatre sections, comprenant chacune douze jurés tirés au sort en séance publique de la Commune convoquée à cet effet. . . . . L'accusé et la partie civile pourront seuls exercer le droit de récusation. . . . .

Art. 5. L'accusé pourra faire citer même aux frais du trésor de la Commune tous témoins à décharge. Les débats seront publics. L'accusé choisira librement son défenseur même en dehors de la corporation des avocats. Il pourra proposer toute exception qu'il jugera utile à sa défense. . . .

Art. 9. L'accusé ne sera déclaré coupable qu'à la majorité de huit voix sur douze. . . . .

 

Ce décret très-libéral, et qui offre de sérieuses garanties aux accusés, a été adopté.

Les malheureux gardes nationaux de Paris, qui languissent depuis quatre mois dans les casemates et sur les pontons, seraient bien heureux si on voulait les traduire devant une juridiction aussi équitable.

Voici un autre décret proposé aussi par le délégué à la justice dans la séance du lendemain, et qui a été également adopté :

Art. 1. Les huissiers, notaires, commissaires-priseurs et greffiers de tribunaux quelconques qui seront nommés à Paris à partir de ce jour, recevront un traitement fixe. Ils pourront être dispensés de fournir un cautionnement.

Art. 2. Es verseront tous les mois, entre les mains du délégué aux finances, les sommes par eux perçues pour les actes de leur compétence.

Art. 3. Le délégué à la justice est chargé de l'exécution du présent décret.

 

Afin de donner une nouvelle garantie aux détenus préventivement, et d'empêcher la mise au secret des prisonniers et les actes arbitraires qui pourraient se commettre derrière les grillés des prisons, sur la proposition du citoyen Vallès, la Commune adopte le décret suivant :

Tout membre de la Commune pourra visiter les prisons, et tous les établissements publics, civils et militaires.

Pendant la séance du 26 avril il s'est produit un incident des plus émouvants. Des délégués de la Maçonnerie ont fait savoir à la Commune qu'un nombre considérable de leurs frères désiraient être reçus par elle dans un intérêt d'humanité. Les membres de la Commune se sont empressés de déférer à cette requête, et les Francs-maçons ont été immédiatement reçus par eux dans la cour d'honneur.

 

Plusieurs milliers de vénérables frères-maçons revêtus de tous leurs insignes ont été introduits. Ils venaient déclarer à la Commune qu'ils voulaient essayer encore d'un dernier moyen de conciliation avec le gouvernement de Versailles, qu'ils allaient planter leurs bannières de paix sur les remparts, marcher au devant de l'armée versaillaise pour conjurer leurs frères qui étaient dans ses rangs de cesser une guerre fratricide. Si leurs supplications n'étaient pas entendues, si leur intervention était repoussée et si une seule balle des soldats de Versailles trouait leurs étendards de paix, tous les frères-maçons s'enrôleraient dans les rangs de la garde nationale quel que soit leur âge, et tous marcheraient d'un même élan contre l'ennemi commun.

Les Francs-maçons, à la tête desquels marche une députation de cinq membres de la Commune, quittent alors l'Hôtel-de-Ville, se dirigent vers la place de la Bastille et suivent ensuite la ligne des grands boulevards jusqu'à l'avenue de la Grande Armée.

Plus de 15 mille Francs-maçons en tenue, décorés de leurs insignes, portant toutes leurs bannières, font partie du cortège, auquel se sont joints presque tous les membres de la Commune et 40 ou 50 mille citoyens. Partout cette manifestation est accueillie par les plus vives sympathies et le plus grand enthousiasme.

Arrivé à l'arc de triomphe de l'Etoile, le cortège de paix est accueilli par une pluie de bombes, une grêle d'obus, que leur envoient les bandits sauvages et cruels, à la solde du gouvernement des traîtres, qui ont livré la France à l'étranger et qui veulent régner encore sur les ruines de Paris.

Un immense cri de Vive la Commune ! Vive la République universelle ! accueille ce nouvel acte de férocité accompli par les barbares sous les ordres de Mac-Mahon. La colonne s'arrête. Quelques citoyens sont blessés. Les vénérables des loges maçonniques s'avancent seuls sur les remparts, où ils vont planter leurs bannières, symboles de paix, sous le feu de l'ennemi. Quelques-uns sont blessés. Quelques étendards sont troués par les balles ; l'un d'eux à sa hampe brisée.

La bannière blanche de Vincennes, sur laquelle on lit : Aimons-nous les uns les autres, flotte au vent. Sans doute que les sicaires versaillais lurent avec une longue-vue son admirable et fraternelle légende, car le feu fut suspendu et les projectiles cessèrent de tomber.

Quarante délégués environ s'avancèrent alors sur la route de Neuilly vers la barricade de Courbevoie, gardée par des gendarmes. Le général Leclerc les reçut en avant du pont et les conduisit auprès du général Montandon, commandant supérieur de la division qui occupait Courbevoie.

Cet officier supérieur, Franc-maçon lui-même, accueillit les délégués avec courtoisie, et il les engagea à envoyer trois d'entre eux en députation auprès de M. Thiers ; ce qui fut fait.

Le bombardeur de Paris fit l'accueil le plus dur et le plus glacial aux hommes dévoués et humains qui avaient bravé ses bombes et ses obus pour arrêter l'effusion du sang, et mettre un terme au fratricide qui ensanglantait la France.

On ne traite pas avec des rebelles, répéta-t-il ; que les Parisiens déposent les armes ; nous garantissons la vie sauve à ceux qui le feront ; seuls les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas seront exceptés de cette mesure de clémence. Après cette déclaration hautaine il congédia sèchement les envoyés.

Le lendemain, quand Paris apprit quelle réception inconvenante et hautaine avait été faite aux envoyés de la Maçonnerie, il en fut indigné.

Sur la proposition du citoyen Léo Meillet la Commune de Paris, dans sa séance du 27 avril, a adopté le décret suivant :

La Commune de Paris,

Attendu que l'église Bréa, élevée à la mémoire du général de ce nom, un des assassins des combattants de juin 1848, est une insulte permanente aux vaincus de juin qui sont tombés en défendant la cause du peuple,

Décrète :

Art. 1. L'église Bréa sera démolie.

Art. 2. L'emplacement de cette église s'appellera place de Juin.

Art. 3. La municipalité du 13me arrondissement est chargée de l'exécution du présent décret.

 

Le citoyen Vésinier, croyant juste de s'occuper de la victime en même temps que du bourreau, propose les articles additionnels suivants :

Art. 4. La Commune déclare en outre qu'elle amnistie le citoyen Nourry, détenu depuis 22 ans à Cayenne à la suite de l'exécution du traître Bréa. Elle le fera mettre en liberté le plus tôt possible.

Art. 5. Elle accorde à sa mère la veuve Nourry, qui pleure son fils depuis 22 ans, la pension à laquelle ont droit les épouses des gardes nationaux morts en combattant.

 

Ce décret ainsi amendé est adopté.

Dans une précédente séance, les citoyens Gambon, Langevin et Vésinier avaient été chargés de faire une enquête sur quatre gardes nationaux prisonniers lâchement assassinés par les sicaires versaillais. Voici le rapport qui a été lu par le citoyen Vésinier :

Les citoyens Langevin, Gambon et Vésinier ont été délégués à Bicêtre pour faire une enquête sur les quatre gardes nationaux du 185e bataillon de marche de la garde nationale ; ils étaient accompagnés des citoyens R. Rigault, procureur de la Commune, Ferré et Léo Meillet, et ils se sont rendus à l'hospice de Bicêtre, où ils ont visité le citoyen Scheffer, garde national au susdit bataillon, appartenant au treizième arrondissement.

Le citoyen Scheffer, blessé grièvement en pleine poitrine, était alité. Le médecin qui le soignait ayant déclaré que le malade était en état de répondre aux questions qui lui seraient adressées, les citoyens Gambon et Vésinier l'ont interrogé. Le malade a déclaré que, le 25 avril, à la Belle-Epine, près de Villejuif, il a été surpris avec trois de ses camarades par des chasseurs à cheval, qui leur ont dit de se rendre. Comme il leur était impossible de faire une résistance utile contre les forces qui les entouraient, ils jetèrent leurs armes à terre et se rendirent. Les soldats les entourèrent et les firent prisonniers sans exercer aucune violence, ni aucune menace envers eux.

Ils étaient déjà prisonniers depuis quelques instants, lorsqu'un officier supérieur de chasseurs à cheval arriva et se précipita sur eux le revolver au poing ; il fit feu sur l'un d'eux, sans dire un seul mot, et l'étendit raide mort, puis il en fit autant sur le garde Scheffer, qui reçut une balle en pleine poitrine et tomba à côté de son camarade.

Les deux autres gardes se reculèrent, effrayés de cette infâme agression ; mais le féroce capitaine se précipita sur les deux prisonniers et les tua de deux autres coups de revolver.

Les chasseurs, après les actes d'atroce et de féroce lâcheté qui viennent d'être signalés, se retirèrent avec leur chef, laissant leurs victimes étendues sur le sol.

Lorsqu'ils furent partis, l'une des victimes, le citoyen Scheffer, se releva, et par un effort désespéré parvint à se diriger du côté de son bataillon, campé à quelque distance, et par lequel il parvint à se faire reconnaître.

Deux des gardes nationaux tués sont restés sur le terrain et n'ont pu être retrouvés encore.

Le cadavre du quatrième garde national a été retrouvé non loin du lieu du massacre, où ce malheureux soldat citoyen avait pu se traîner.

L'état du garde national Scheffer est aussi satisfaisant que possible. Quoique sa blessure soit grave, elle n'est pas mortelle, et sa position n'a rien de dangereux. Le docteur répond de sauver le malade, dont la jeune femme vient d'accoucher il y a moins de dix jours.

Les membres de la Commune :

FERDINAND GAMBON, F. VÉSINIER, C. LANGEVIN.

Le 27 avril 1871.

 

Une enquête ultérieure a prouvé que le misérable qui s'était rendu coupable de ce quadruple assassinat était la bête féroce à face humaine qui a nom Galifet.

La Commission exécutive, par un arrêté en date du 28 avril, interdit le travail de nuit dans les boulangeries.

Dans la journée du 30 avril, le bruit se répandit dans Paris que le fort d'Issy avait été pris par les Versaillais.

Voici ce qui s'était passé : complètement démantelé, couvert de bombes et d'obus, ce fort était dans la position la plus critique ; ses défenseurs enclouèrent leurs pièces et l'abandonnèrent, à l'exception d'un seul homme, un jeune citoyen, qui resta tranquillement dans l'intérieur de ses remparts à moitié démolis.

Cette nouvelle causa la plus vive émotion dans Paris.

La Commune délibéra en comité secret, des mesures énergiques furent prises, le fort d'Issy fut réoccupé.

La Commission exécutive déclara que :

L'incurie et la négligence du délégué à la guerre avaient failli compromettre notre possession du fort d'Issy ; en conséquence la Commission exécutive a cru de son devoir de proposer l'arrestation du citoyen Cluseret, laquelle a été décrétée.

En même temps l'arrêté suivant paraissait à l'Officiel :

Le citoyen Cluseret est révoqué de ses fonctions de délégué à la guerre, son arrestation est ordonnée par la Commission exécutive et approuvée par la Commune.

Il a été pourvu au remplacement provisoire du citoyen Cluseret. La Commune prend toutes les mesures de sûreté nécessaires.

La Commission exécutive arrête :

Le citoyen Rossel est chargé à titre provisoire des fonctions de délégué à la guerre.

La Commission exécutive :

JULES ANDRIEUX, PASCHAL GROUSSET, ED. TAILLANT, F. COURNET, JOURDE.

Paris, le 30 avril 1871.

 

A peine installé, le citoyen Rossel prit l'arrêté suivant :

Le citoyen Gaillard père est chargé de la construction des barricades formant une seconde enceinte en arrière des fortifications. Il désignera ou fera désigner par les municipalités, dans chacun des arrondissements de l'extérieur, les ingénieurs ou délégués chargés de travailler sous ses ordres à ces constructions.

Il prendra les ordres du délégué à la guerre pour arrêter les emplacements de ces barricades et leur armement.

Outre la seconde enceinte indiquée ci-dessus, les barricades comprendront trois enceintes fermées ou citadelles, situées au Trocadéro, aux Buttes Montmartre et au Panthéon.

Le tracé de ces citadelles sera arrêté sur le terrain par le délégué à la guerre, aussitôt que les ingénieurs chargés de ces constructions auront été désignés.

Le général Wroblewski étendra son commandement sur toute la rive gauche de la Seine, aux troupes et aux forts situés d'Issy à Ivry.

Les commandants des forts, les commandants des troupes et autres officiers et employés de la Commune le reconnaîtront en cette qualité et obéiront à ses ordres.

Le délégué à la guerre,

ROSSEL.

Paris, le 30 avril 1871.

 

L'échec éprouvé au fort d'Issy eut encore une autre conséquence : il prouva les défectuosités que nous avons déjà signalées dans l'organisation de la Commission exécutive, et amena son remplacement par un Comité de salut public.

Sur la proposition du citoyen Miot, après deux jours des discussions les plus orageuses, la Commune adopta, par 45 voix contre 23, le décret suivant :

Art. 1. Un Comité de salut public sera immédiatement organisé.

Art. 2. Il sera composé de cinq membres nommés par la Commune au scrutin individuel.

Art. 3. Les pouvoirs les plus étendus sur toutes les commissions et délégations sont donnés à ce comité, qui ne sera responsable que devant la Commune.

 

Le Comité de salut public, afin d'augmenter l'ordre, l'énergie et la régularité de l'administration de la guerre, arrête :

La délégation à la guerre comprend deux divisions :

Direction militaire ; administration.

Le Colonel Rossel est chargé de la direction supérieure des opérations militaires.

Le Conseil Central de la garde nationale est chargé des différents services de l'administration de la guerre, sous le contrôle de la commission militaire.

 

Les citoyens Ferré, Dacosta, Marainville, et Huguenot sont nommés substituts du procureur de la Commune.

Après plusieurs jours de laborieuses délibérations, la Commune a rendu l'important décret suivant sur les objets en gages aux monts de piétés :

Art. 1. Toute reconnaissance du mont-de-piété antérieure au 25 avril, 1871, portant engagement d'effets d'habillements, de meubles, de linge, de livres, d'objets de literie et d'instruments de travail, ne mentionnant pas un prêt supérieur à la somme de 20 francs, pourra être dégagé gratuitement à partir du 12 mai courant.

Art. 2. Les objets ci-dessus désignés ne pourront être délivrés qu'au porteur, qui justifiera en établissant son identité qu'il est l'emprunteur primitif.

Art. 3. Le délégué aux finances sera chargé de s'entendre avec l'administration du mont-de-piété, tant pour ce qui concerne le règlement de l'indemnité à allouer que pour l'exécution du présent décret.

 

Dans la nuit du 3 ou 4 mai un. nouveau malheur est arrivé aux défenseurs de la Commune : les Versaillais, costumés en gardes nationaux, se sont introduits par trahison dans la redoute du Moulin Saquet, après avoir échangé le mot d'ordre avec les factionnaires ; les 55e et 120e bataillons, qui la défendaient, ont été chassés, les artilleurs égorgés et six pièces de canons capturées, ainsi que 300 prisonniers.

L'annonce de cet échec grave produisit la plus grande émotion, qui augmenta encore lorsqu'on apprit trois jours après que le fort d'Issy avait été évacué une seconde fois.

Le citoyen Rossel, délégué à la guerre, fut alors appelé devant la Commune, réunie en séance secrète, afin de fournir des explications sur ces nouveaux désastres.

Le citoyen Rossel, interrogé par le président et par plusieurs membres de la Commune, répondit avec beaucoup de netteté et de laconisme aux questions qui lui furent posées.

Il se plaignit avec insistance du Comité de salut public, qui, disait-il, avait donné des ordres de déplacement aux généraux Dombrowski, Roblewski, et Lacécilia, sans les lui communiquer et sans le consulter ; ce qui avait désorganisé et compromis la défense.

Le citoyen Pyat, membre du Comité de salut public, interrogé en présence du délégué à la guerre, déclara n'avoir jamais envoyé de dépêches directes aux généraux sous les ordres de Rossel, et ne pas avoir déplacé ces derniers.

Le citoyen Rossel maintint son dire et ajouta qu'il avait vu les dépêches envoyées à Dombrowski, à Roblewski et Lacécilia, mais qu'il ne les avait pas sur lui.

Il déclara, sur la demande qui lui en fut faite, qu'il ne répondait pas de la défense de Paris, jusqu'à ce qu'il ait pu réparer le mal fait par les dépêches du Comité de salut public.

Le lendemain le citoyen Arnold communiquait à la Commune, et aux membres du Comité de salut public, plusieurs dépêches adressées directement par ce dernier aux généraux en question. L'une d'elle, la plus importante, était signée Ch. Gérardin, Ant. Arnaud et Léo Meillet. Au dessous, il y avait un postscriptum signé Félix Pyat. Quand on la montra à ce dernier il déclara n'en avoir aucun souvenir, et reconnut très-franchement que sa mémoire, affaiblie par l'excès du travail et des veilles, lui faisait défaut, et il donna sa démission de membre du Comité de salut public.

A la suite de cet incident le citoyen Rossel publia une lettre fort acerbe et très-osée, dans laquelle il accusa ouvertement le Comité d'artillerie, le Comité Central de la garde nationale, le commandant et la garnison du fort d'Issy, les chefs de légion et la Commune, d'indécision, d'inaction, de faiblesse et d'incapacité. Il terminait cette lettre violente et acerbe en donnant sa démission et en demandant une cellule à Mazas

En même temps il faisait apposer un nombre considérable d'affiches sur les murs de Paris, annonçant l'occupation du fort d'Issy par les troupes de Versailles dans les termes les plus étranges. Le drapeau tricolore, disait-il, flotte sur le fort d'Issy abandonné par sa garnison.

Après la publication de ces deux pièces, la Commune n'avait plus qu'une chose à faire ; c'était d'accéder au désir du citoyen Rossel en lui octroyant la cellule qu'il réclamait à Mazas ; c'est en effet ce qui eut lieu. Mais le délégué à la guerre, après réflexion, préféra avec raison l'air pur de la liberté.

Ayant été consigné à l'Hôtel-de-Ville, sous la responsabilité du citoyen Ch. Gérardin, membre du Comité de salut public, le citoyen Rossel et son trop complaisant geôlier en ont profité pour s'éclipser. Mais malheureusement, après avoir échappé au mandat d'arrêt de la trop débonnaire Commune, le citoyen Rossel est tombé dans les mains des bourreaux de Versailles, qui l'ont traduit devant une cour martiale, comme coupable de désertion à l'ennemi, etc. Il est aujourd'hui condamné à mort, et nous faisons les vœux les plus sincères pour qu'il échappe au supplice qui l'attend. Le citoyen Rossel n'a eu qu'un tort vis-à-vis de la Commune, c'est d'avoir cédé à l'entraînement de son caractère irascible et violent. Il aurait pu rendre de grands services à la guerre s'il avait su se contenir et continuer de mettre son talent au service de la cause populaire.

Après les explications relatives aux dépêches du Comité de salut public, qui avaient produit de si regrettables incidents et failli compromettre la défense de Paris, ce comité a été composé des citoyens Gambon, Eudes, Billoray, Ranvier et Ant. Arnaud.

Dans la séance de la Commune du 8 mai, le citoyen Vésinier a été nommé secrétaire de cette dernière, et le 15 du même mois rédacteur en chef du Journal Officiel. Le prix de ce journal a été réduit à 5 centimes. Le tirage, qui n'était que de 2.500, a été décuplé ; il est monté immédiatement à 25.000 pour Paris seulement.

Le citoyen Ferré a été nommé délégué à la sûreté générale en remplacement du citoyen Cournet.

M. Thiers continuant non-seulement de bombarder Paris et de massacrer les prisonniers, mais encore faisant ouvertement appel à la trahison dans une affiche qu'il a fait apposer clandestinement sur les murs de la capitale, le Comité de salut public a résolu de punir d'une façon exemplaire toutes ces atrocités, et il a rendu le décret suivant :

Vu l'affiche du sieur Thiers, se disant chef du pouvoir de la République française ;

Considérant que cette affiche, imprimée à Versailles, a été apposée sur les murs de Paris par les ordres dudit Thiers ;

Que, dans ce document, il déclare que son armée ne bombarde pas Paris, tandis que chaque jour des femmes et des enfants sont victimes des projectiles fratricides de Versailles ;

Qu'il y est fait un appel à la trahison pour pénétrer dans la place, sentant l'impossibilité absolue de vaincre par les armes l'héroïque population de Paris, " Arrête :

Art. 1. Les biens meubles des propriétés de Thiers seront saisis par les soins de l'administration des domaines.

Art. 2. La maison de Thiers, située place Georges, sera rasée.

Art. 3. Les citoyens Fontaine, délégué aux domaines, et J. Andrieux, délégué aux services publics, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution immédiate du présent arrêté.

Les membres du Comité de salut public :

ANT. ARNAUD, EUDES, F. GAMBON, G. RANVIER.

Paris, 21 floréal an 79.

 

Ce décret a été immédiatement mis à exécution.

Le 12 mai la Commune a décrété, sur le rapport et la proposition du citoyen Delescluze, que le 128e bataillon de la garde nationale a bien mérité de la Commune et de la République, pour avoir, sous la conduite du général Dombrowski, nettoyé le parc de Sablonville des Versaillais qui l'occupaient.

Le Comité de salut public arrête :

Art. 1. La commission militaire sera composée de sept membres au lieu de cinq.

Art. 2. Les citoyens Bergeret, Cournet, Geresme, Ledroit, Longlas, Sicard et Urbain sont nommés membres de la commission militaire, en remplacement des citoyens Arnold, Avrial, Johannard, Tridon et Varlin.

(Suivent les signatures.)

Hôtel-de-Ville, le 25 floréal an 79.

 

La démission du citoyen Gaillard père, chargé de la construction des barricades et commandant des barricades, est acceptée à ce double titre :

Le bataillon des barricadiers placé sous ses ordres est dissous ; les hommes qui le composent sont mis à la disposition du directeur du génie militaire, qui avisera à la continuation des travaux commencés, dans la mesure qu'il jugera convenable.

Le délégué civil à la guerre,

DELESCLUZE.

Paris, 15 mai 1871.

 

Le Comité de salut public fait appel à tous les travailleurs, terrassiers, charpentiers, maçons, mécaniciens, âgés de plus de quarante ans.

Un bureau sera immédiatement ouvert dans les municipalités pour l'enrôlement et l'embrigadement de ces travailleurs, qui seront mis à la disposition de la guerre et du Comité de salut public.

Une paye de 3 fr. 75 leur sera accordée.

(Suivent les signatures.)

Paris, le 16 mai 1871.

 

Le décret qui ordonne la démolition de la Colonne Vendôme a été mis à exécution le 16 mai, en présence d'une foule considérable ; le bronze maudit et la statue de tyran, dont la gloire est faite de sang et de larmes, sont tombés dans la poussière aux cris de Vive la République ! Vive la Commune ! et le drapeau rouge du peuple a remplacé sur le piédestal le monument élevé à la gloire de l'Empire. ,

Dans la séance du 17 mai un rapport est déposé sur le bureau, au sujet d'un nouvel acte de cruauté brutale et féroce des janissaires versaillais, encore plus infâme que tous ceux dont ils s'étaient rendus coupables jusqu'à ce jour. Voici quelle est cette nouvelle et odieuse atrocité. Le citoyen Butin, lieutenant de la troisième compagnie du 105e bataillon de la garde nationale, certifie dans un rapport écrit signé par lui qu'une jeune ambulancière a été assaillie, violée et massacrée par les criminels, féroces, dégradés, brutaux et immondes soldats de Versailles, animés des passions les plus basses, les plus infâmes et les plus honteuses.

A la lecture de ce rapport un frisson d'horreur parcourt l'assemblée, plusieurs membres demandent que des mesures énergiques soient prises pour mettre un terme aux atrocités sans nom et sans exemple, dont les êtres dégradés, perdus d'honneur et couverts de crimes, à la solde de Versailles, se rendent journellement coupables.

Plusieurs propositions furent faites à cet effet. Mais sur la demande du citoyen Protot l'ordre du jour suivant fut adopté :

La Commune s'en référant à son décret, du 7 avril 1871, sur les otages, en demande la mise à exécution immédiate et passe à l'ordre du jour.

 

Cet incident et ce vote sont la meilleure réponse qui puisse être faite à ceux qui accusent la Commune de férocité. Il y a un mois et dix jours qu'elle a rendu un décret sur les otages, qui ordonne que toute exécution par les bandes de Versailles d'un partisan de la Commune soit sur-le-champ suivie de l'exécution d'un nombre triple de prisonniers versaillais détenus comme otages. Eh bien, malgré les exécutions journalières des prisonniers faites par les Versaillais, malgré le quadruple assassinat qui a été constaté par les citoyens Gambon, Vésinier et Langevin, la Commune a laissé dormir la loi sur les otages et elle n'a fait aucune exécution. Il a fallu le nouveau et atroce crime de viol et d'assassinat commis sur une ambulancière pour lui rappeler la loi sur les otages. Et malgré l'ordre du jour qu'elle vient de voter elle n'exercera pas encore de représailles, ainsi que nous le ferons voir plus loin, si les Versaillais ne se souillent pas de nouveaux crimes.

Voici un rapport, lu en séance de la Commune et inséré à l'Officiel, fait par le chef d'état-major de la 7me légion, qui confirme les faits infâmes cités dans celui du lieutenant Butin, et qui en constate d'autres presque aussi odieux et beaucoup plus désastreux encore :

Le chef d'état-major de la 7me légion porte à la connaissance de la commission militaire les faits suivants :

Le lieutenant Butin a été aujourd'hui par nous envoyé comme parlementaire au fort de Vanves et aux alentours, accompagné dix docteur Leblond et de l'infirmier Labrune, pour chercher à ramasser les morts et les blessés que notre légion a laissés en évacuant ce fort.

Arrivés à la limite de nos grand'gardes, ils ont rencontré un commandant à la tête de ses hommes, qui leur a serré la main, et leur a dit adieu, leur affirmant qu'il ne croirait pas dire vrai en disant au revoir.

Et à l'appui de ce dire, le commandant a ajouté : Ce matin, dans la plaine, j'ai vu, à l'aide de ma longue-vue, un blessé abandonné ; immédiatement j'ai envoyé une femme attachée à l'ambulance, qui, portant un brassard et munie de papiers en règle, a courageusement été soigner ce blessé. A peine arrivée sur l'emplacement où se trouvait ce garde, elle a été saisie par les Versaillais sans que nous puissions lui porter secours, puis ils l'ont outragée, et, séance tenante, l'ont fusillée sur place.

Malgré ces dires, le lieutenant Butin, accompagné du major et de l'infirmier susnommés, a poussé en avant, précédé d'une trompette et d'un drapeau blanc, ainsi que du drapeau de la société de Genève.

À vingt mètres de la barricade, une fusillade bien nourrie les a accueillis. Le lieutenant, croyant a une méprise, a continué à marcher en avant ; un second feu de peloton leur a prouvé la triste réalité de cette violation des usages relatifs aux parlementaires et du droit des gens chez les peuples civilisés. Une troisième fusillade a seule pu les faire rétrograder.

Ce lieutenant a dû revenir, ramenant ceux dont il était suivi, en laissant au pouvoir des Versaillais dix-neuf morts et soixante-dix blessés.

Dès son arrivée, il est venu nous faire son rapport, et j'ai eu bâte de le communiquer à la commission militaire pour qu'elle fasse appeler le lieutenant Butin et qu'elle entende ses explications.

Le Chef d'Etat-major de la 7me Légion.

 

Que ceux qui accusent la Commune d'avoir fait la loi sur les otages veuillent bien se souvenir de toutes les abominables et criminelles exécutions, de toutes les horreurs accomplies par les troupes de "Versailles, et qu'ils n'oublient pas que c'est pour empêcher de les continuer que la loi sur les otages a été votée.

Dans la séance du 17 mai, le citoyen Vésinier a déposé sur le bureau de l'assemblée de la Commune les projets de décrets suivants, dont il a demandé la mise à l'ordre du jour, le renvoi aux commissions compétentes et la prochaine discussion.

1. Les titres de noblesse, armoiries, livrées, privilèges nobiliaires et toutes les distinctions honorifiques sont abolis.

Les pensions, rentes, apanages, qui y sont jointes, sont supprimées.

2. Les majorats de tous genres sont abolis, les rentes, pensions et privilèges en dépendants sont supprimés.

3. La Légion d'honneur et tous les ordres honorifiques sont abolis.

Un décret ultérieur déterminera les pensions des légionnaires qui doivent être conservées, les autres seront supprimées.

 

Autre proposition :

La loi du 8 mai 1816 est rapportée ; le décret du 21 mars 1803, promulgué le 31 du même mois, est remis en vigueur.

Tous les enfants reconnus sont légitimes et jouiront de tous les droits des enfants légitimes.

Tous les enfants dits naturels non reconnus sont reconnus par la Commune et légitimés.

Tous les citoyens âgés de dix-huit ans, et toutes les citoyennes âgées de seize ans, qui déclareront devant le magistrat municipal qu'ils veulent s'unir par les liens du mariage seront unis, à la condition qu'ils déclareront en outre qu'ils ne sont pas mariés, ni parents jusqu'au degré qui, aux yeux de la loi, est un empêchement au mariage.

Ils sont dispensés de toutes autres formalités légales.

Leurs enfants, s'ils en ont, sur leur simple déclaration seront reconnus légitimes.

 

Tous les journaux honnêtes et modérés sont entrés dans une grande colère à la seule proposition de ces décrets, qu'ils ont déclaré être très-immoraux. Pour ces honnêtes conservateurs et ces prétendus libéraux mettre la mariage, la famille à la portée de tous, abolir le concubinage, la bâtardise, légitimer les enfants naturels, faire dépendre la légitimité des unions du seul consentement mutuel, c'est être immoral. Nous avouons franchement ne rien comprendre à la morale honnête et modérée, et être étonné de l'immoralité reprochée à ces décrets.

Dans une de ses dernières séances, celle du 19 mai, la Commune, que ses ennemis ont depuis accusée si injustement de toutes espèces de délits et de crimes, a rendu les décrets suivants, qui suffiraient à eux seuls pour témoigner devant l'histoire de son désintéressement, de sa probité et de sa haute moralité.

Voici ces divers décrets.

Le premier est proposé par le citoyen Cournet :

Considérant que, dans les jours de révolution, le peuple, inspiré par son instinct de justice et de moralité, a toujours proclamé cette maxime : Mort aux voleurs !

La Commune décrète :

Art. 1. Jusqu'à la fin de la guerre, tous les fonctionnaires accusés de concussions, de déprédations, vols, seront traduits devant la cour martiale ; la seule peine appliquée à ceux qui seront reconnus coupables sera la peine de mort.

Art. 2. Aussitôt que les bandes versaillaises auront été vaincues, une enquête sera faite sur tous ceux qui, de près ou de loin, auront eu le maniement des fonds publics.

 

Le second est proposé par le citoyen Vaillant :

Considérant que sous le régime communal, à chaque fonction doit être allouée une indemnité suffisante pour assurer l'existence et la dignité de celui qui la remplit,

La Commune décrète :

Tout cumul de traitement est interdit.

Tout fonctionnaire de la Commune appelé en dehors de ses occupations normales à rendre un service d'ordre différent, n'a droit à aucune indemnité nouvelle.

 

Le troisième, proposé par les citoyens Miot, Régère et Pothier, est ainsi conçu :

La Commune décrète :

Art. 1. Une commission supérieure de comptabilité est autorisée.

Art. 2. Elle se composera de quatre comptables nommés par la Commune.

Art. 3. Elle sera chargée de la vérification générale des comptes des différentes administrations communales.

Art. 4. Elle devra fournir à la Commune un rapport mensuel de ses travaux.

Paris, le 19 mai 1871.

 

La dernière séance de la Commune, du 21 mai, a été consacrée a interroger le citoyen Cluseret, et elle s'est terminée par sa mise en liberté.