L'HISTOIRE DU LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE CONSPIRATEUR

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

§ V.

 

 

Avant de raconter les débats du procès des accusés de Boulogne devant la Cour-des-Pairs, il nous reste encore à parler d'un des conspirateurs les plus actifs, que nous avons déjà vu figurer dans la tentative de Strasbourg et dans le procès 'devant les assises du Bas-Rhin qui en fut la suite ; mais que cette fois l'accusation jugea à propos de ne pas poursuivre, malgré sa coopération non équivoque à la seconde échauffourée de Louis-Napoléon Bonaparte.

Ce complice c'est la belle et aimable Madame Gordon. Voici en quels termes le Times du 28 août s'exprime à son égard :

Les papiers dont le gouvernement est en possession développent le plan de la conspiration dont madame Gordon était un des agents principaux, quoique la police ne l'ait pas arrêtée. On ne sait si elle réclamera contre cette négligence, ou si elle se contentera de la publicité de toutes les pièces saisies.

Il parait que le prince se proposait d'abord de faire sa tentative vers le mois de novembre ; c'est-à-dire au moment présumé de l'arrivée des cendres de Napoléon en France, à ce moment, l'enthousiasme de l'armée et du peuple eussent atteint leur apogée. Mme Gordon a été d'avis que les frimas de novembre ou de décembre pourraient exercer leur influence et glacer les esprits et donner à Louis-Philippe des chances que l'ardeur des jours caniculaires assureraient au prince. Cette sage observation a eu le plus grand succès. Le prince a choisi pour son expédition le moment indiqué par sa belle amie, il lui en a même fait connaître le jour et la marche, et sans doute le secret avait été religieusement gardé.

Mme Gordon, qui chantait à Paris, devait à autre chose qu'à la beauté de sa voix et à la perfection de son talent, l'affluence qui se pressait dans ses salons. Son auditoire se composait en grande partie d'amis de la cause impériale.

Le reste de la société se composait d'agents de police et de curieux.

Cette dame, après avoir terminé ses concerts à Paris, en a donné dans les provinces ; on l'a entendue successivement à Metz, à Douai et dans les autres places fortes, où se trouvaient de nombreuses garnisons ; et là, cette cantatrice ou plutôt cette propagandiste impériale se vantait dans ses lettres au prince, de lui avoir rallié des régiments entiers et des officiers en grand nombre. Le prince se fiant à l'exactitude de ses renseignements, ordonna après avoir reçu une de ses dépêches une levée générale de boucliers. Un de ses partisans devait se rendre à Grand prêt à entrer à Lille, un autre à Mons prêt à entrer à Valenciennes. Toutefois ce projet avait été abandonné. Il est bon de faire connaître un des services réels de cette dame : Les légitimistes et les bonapartistes de France sont certainement- aussi braves qu'âme qui vive, mais malheureusement les hommes qui, sous les ordres de Jeanne et de Barbès, descendent dans la rue pour affronter un gouvernement soutenu par 120.000 baïonnettes ne sont ni légitimistes ni bonapartistes. Un lis ou une aigle ne peuvent pas avoir la vertu de soulever ces hommes entreprenants, M. Crouy- Chanel avait donné l'idée d'opérer une union avec les républicains. Le prince a répondu à cette insinuation par un refus formel. Jamais une idée de républicanisme ne lui est entrée dans la tête. Jamais il n'a proféré un seul mot dans l'intérêt de ses principes. Toutefois la pensée de M. Crouy-Chanel avait frappé Madame Gordon, qui, avec un tact parfait, se chargea de l'affaire et rattacha à la cause impériale plusieurs milliers de bonnets rouges, des ouvriers tailleurs. Cette dame leur disait franchement qu'il s'agissait d'établir non une république, mais un Empire. On ne connait pas les moyens de persuasion employés par Madame Gordon pour convertir les tailleurs imbus de Babœuf et de Barbès et pour les faire passer à l'impérialisme.

Il y a trois sections du parti impérialiste : Nous venons de décrire la première et son chef. Les' deux autres sont celle présidée par Madame Renault de Saint-Jean-d'Angély, veuve du grand sénateur de ce nom. On appelle les membres de cette section les adorateurs. La troisième section a pour chef Madame de Salvage de Faverolles aidée par la duchesse de Raguse. Cette dernière section est la plus éclairée des trois, on appelle ses membres les expectants. Ils ne veulent aucune brusque tentative, M. de Crouy-Chanel n'avait pas entièrement renoncé à son projet de création d'un parti républico-bonapartiste. Il soutenait qu'aucune autre combinaison ne réussirait. Il rappela au prince que précédemment ce plan lui avait souri ; qu'il avait consenti a être présenté aux chefs des réfugiés républicains à Londres, MM. Cavaignac et Marrast, mais ces chefs avaient refusé de se prêter à ce rapprochement. Cependant il avait été arrangé depuis qu'au moment du dessert, chez le général de Montauban le prince viendrait comme par hasard et qu'il serait présenté à M. Cavaignac. Ce dernier avait rendu au prince civilités pour civilités mais il ne lui avait fait aucune concession. Depuis ce jour il n'y eut plus de communication entre le prince et M. Cavaignac. Mais le prince disait à ce propos à l'un de ses partisans : Que Crouy-Chanel joue comme il le voudra la comédie avec le peuple, moi je ne compte que sur l'armée et je lui devrai tout mon succès. C'est là une véritable idée napoléonienne ; tout pour le peuple, rien par le peuple, disait Napoléon. Madame Gordon jouissait de la confiance entière du prince. Dans le cours de ses pérégrinations sur la frontière, elle a déclaré qu'un personnage important se trouvait tout prêt au moment ou quelque effort serait fait. Le gouvernement, on ne sait avec quelle justice, rattachait, à cette déclaration l'arrivée de Joseph Bonaparte à Wiesbade le mois dernier.

M. Forestier, arrêté à Boulogne était l'un des agents les plus entreprenants du parti de Louis Bonaparte à Paris. C'est lui qui a présidé à la distribution des lettres de Londres relatives à Louis-Napoléon.

On assure que l'on travaille à faire choisir M. Berryer pour l'avocat du prince. Le but est de réconcilier les légitimistes et les bonapartistes et d'amener ces derniers à favoriser la tentative que feront les légitimistes en faveur du duc de Bordeaux aussitôt après la mort de la duchesse d'Angoulême plus opposée que qui que ce soit à la précipitation et à la témérité.

 

Ces révélations sur le parti bonapartiste à l'époque de la conspiration de Boulogne ne manquent pas d'un certain intérêt on voit le cas que Louis Bonaparte faisait de l'élément populaire qu'il ne comptait pour rien, son idéal a toujours été une dictature militaire, ou l'asservissement du peuple par l'armée. Il permettait tout au plus à M. Crouy-Chanel de jouer la comédie avec le peuple, mais quand à lui il ne comptait que sur l'armée et il prétendait que ce serait à elle qu'il devrait son succès. Cependant les deux tentatives malheureuses de Strasbourg et de Boulogne sont venues lui prouver le contraire et sans les suffrages du peuple qui, en 1848, le portèrent à la présidence de la République il ne serait certainement pas empereur aujourd'hui, et, malgré le triomphe du coup d'Etat du deux, décembre 1851, on peut cependant encore affirmer que Louis Bonaparte ne doit pas à l'armée son arrivée au pouvoir, et que, sans le vote du 10 décembre 1848, il ne serait jamais arrivé à l'Empire.

Cela prouve le peu de solidité de jugement de Louis Bonaparte et qu'il doit son triomphe, non pas à son mérite et à son talent, mais au hasard de sa naissance et aux circonstances qui se sont produites en sa faveur en 1848. L'article que nous avons cité prouve aussi que les républicains ont toujours repoussé les avances et les propositions du prétendant impérial et qu'ils n'ont jamais voulu avoir rien de commun avec lui. Ils n'ont pas imité en cela les légitimistes et les orléanistes qui, au dix décembre 1848, ont votés presque tous pour Louis Bonaparte, qui ont' conspiré avec lui pendant tout le temps de sa présidence dans l'espoir qu'il renverserait la République à leur profit, et qui n'ont cessé de le soutenir que quand ils ont vu qu'ils étaient sa dupe, qu'il les jouait et qu'il travaillait pour lui seul : Cela n'a cependant pas empêché MM. Larochejaquelin, Boissy, Montalembert, Dupin, et quelques autres royalistes de se rallier à l'Empire. Nous avons vu déjà le rôle infâme joué par Crouy-Chanel dans la conjuration Bonapartiste qu'il vendait à la police ; il cherchait probablement à recruter l'adhésion des républicains dans le même but, mais heureusement que leur fidélité à leurs principes et leur mépris pour le parti bonapartiste, composé exclusivement d'aventuriers, leur ont fait éviter ce piège. Madame Salvage de Favrolles, ancienne dame d'honneur de la reine Hortense et son exécutrice testamentaire, est une de ces vieilles sorcières bonapartistes, ridées et édentées qui conspiraient pour l'Empire, et auxquelles faisait spirituellement allusion M. Alphonse Karr dans ses Guêpes. Lors de l'attentat de Boulogne la police a saisi une volumineuse correspondance chez cette dame qui fut emprisonnée et relâchée plus tard.

Un mandat d'arrêt fut aussi lancé contre le colonel Vaudrey habitant alors Paris et auquel Louis Bonaparte avait assigné le commandement de l'artillerie dans ses ordres de service. Mais il n'était pas à son domicile au moment où l'on vint pour l'arrêter, ce fut son frère qui, par méprise, fut emprisonné à sa place, et qui lui facilita ainsi le moyen de se cacher. Le colonel affirma ensuite n'avoir pas voulu faire partie de cette seconde expédition, la première l'ayant complètement désillusionné sur la capacité et le courage du héros de Strasbourg. Le Capitole, organe du parti napoléonien, disait alors que Louis Bonaparte n'eut pas fait son équipée s'il eut écouté M. Vaudrey.

M. Bacciochi, parent du prétendant impérial, et aujourd'hui premier chambellan, surintendant des spectacles, de la musique, de la chapelle, etc. de l'Empereur Napoléon III, était alors chambellan du roi de Wurtemberg, il fut aussi accusé de faire partie de la conjuration de Boulogne et arrêté, mais on ne le comprit pas dans les poursuites et on le relâcha bientôt.

Le gouvernement français était parfaitement informé de toutes les manœuvres et de tous les projets du parti bonapartiste, par sa police et particulièrement par M. Crouy-Chanel qui lui vendait les secrets des conjurés. On lit en effet dans le Moniteur-parisien du 7 août 1846 :

Le gouvernement savait depuis assez longtemps que Louis Bonaparte et ses agents avaient le projet de devancer l'époque de la translation des restes de l'Empereur Napoléon pour occuper d'eux le public par quelque-tentative inattendue. Des émissaires avaient sans cesse voyagé de Paris à Londres, de Londres à nos places de guerre, pour étudier l'esprit de nos garnisons et se livrer à ces manœuvres aussi vaines que coupables, qui sont un passetemps pour certains esprits.

Depuis quelques jours il n'était plus permis de douter que le moment de l'action ne fut arrivé. Des ordres et des avertissements avaient été donnés en conséquence dans toutes les villes que désignaient les chimériques espérances des habitués de Carlton-Garden[1] et sur tous les points du littoral ou de la frontière.

 

Le Courrier de l''Europe, journal français, qui se publie à Londres, avait annoncé dans ses colonnes, quinze jours avant l'échauffourée de Boulogne, qu'une descente devait avoir lieu sur la côte de France et mentionnait même cette dernière ville comme un des ports où devait se faire le débarquement. Il donnait tous les détails de l'expédition avec précision, et indiquait les principaux acteurs de la conspiration ; il était si bien informé qu'il avait même annoncé que M. Thiers serait nommé membre du futur gouvernement provisoire.

On voit donc que cette expédition n'était pas alors un mystère puisque les journaux l'avaient annoncée dans ses moindres détails quinze jours à l'avance, que le gouvernement français devait nécessairement en être parfaitement informé et que si le cabinet anglais ne l'a pas empêchée, c'est parce qu'il la tolérait, l'approuvait tacitement et en était complice.

Si l'on veut avoir une idée exacte de la manière dont fut accueillie par l'opinion publique l'échauffourée de Boulogne il faut lire les journaux de l'époque et on verra avec quel universel mépris elle fut appréciée.

Nous citerons ici quelques articles des principaux journaux de la capitale afin que les lecteurs puissent en juger.

Voici d'abord un article du Constitutionnel, du 7 août 1840, aujourd'hui tout dévoué à l'Empire, qui fera voir comment il traitait Louis Bonaparte avant que le crime du deux décembre en ait fait pour lui un personnage sacré, un sauveur, un homme providence ; car maintenant ce n'est plus la vertu ou le mérite qui fait obtenir les éloges de la presse périodique, mais l'infamie ! Si tu fais mal tu seras Empereur, si tu fais bien tu seras pendu !

La nouvelle échauffourée du prince Louis, dit le Constitutionnel, ne saurait être trop sévèrement qualifiée. Ce jeune homme, qui fait tant de bruit du nom qu'il porte, a bien peu le sentiment des devoirs que ce nom impose. Napoléon n'a rien fait de ridicule, Napoléon n'a jamais singé l'émigration.

Le fils de la reine Hortense avait été insensé à Strasbourg, aujourd'hui il est odieux, sa monomanie de prétendant faisait hausser les épaules elle indignera, aujourd'hui tous les cœurs honnêtes. C'est dans le moment où le pays se trouve dans la situation la plus grave[2], qu'il veut- nous jeter ses folies à la traverse. Conseillé, ou non par l'étranger, dans sa criminelle extravagance, il n'a pas d'excuse.

Que veut-il, ce jeune homme, et que nous est-il ? . . . . . Est-ce à dire que tout ce qui s'appelle Bonaparte a le droit de venir troubler le repos de la France ? M. Louis s'est mis en tête qu'il avait des droits à la couronne. Sur cette prétention, que 33 millions de Français pourraient s'arroger aussi bien que lui, il ramasse quelques mécontents et vient s'attaquer à la France même. Il se croit héroïque et n'est que tristement ridicule ; il se dit patriote et il sert bien pauvrement, il est vrai, la cause des plus mortels ennemis du pays. Dans tout cela il n'y a pas même du courage. En nos temps où l'humanité à la voix si haute, il y a peu de danger de vie pour les prétendants.

La politique a résigné ses vieilles et terribles armes ; à Dieu ne plaise que nous nous en plaignons ! mais si la douceur de nos mœurs publiques commande le respect des personnes, il faut au moins que l'opinion flétrisse tous les actes coupables et que ses arrêts sévères en préviennent le retour. La France veut la liberté et l'ordre..... et il n'est donné à personne ni au dedans, ni au dehors, de renverser ce que la France a élevé. La dynastie de Napoléon a fini avec lui ; sa gloire est à la France entière ; elle ne fait pas ombrage un trône de Juillet.

Quand à la famille de Napoléon, la France et la révolution de Juillet avaient un tort envers elle. On devait mettre un terme à son exil. Mais ce tort le prince Louis s'est chargé de l'effacer. On ne doit pas proscrire les citoyens mais, si ridicules qu'ils soient, les prétendants doivent être exclus du sol de la patrie.

 

Pourquoi cette sage maxime n'a-t-elle pas été adoptée après' la révolution de 1848 ? Si elle l'avait été, nous n'aurions pas la douleur, la honte et le malheur de subir les calamités du second empire.

Quand au journal le Capitole, organe de Louis Bonaparte et fondé avec son argent, il fit l'étonné, il joua à la surprise quand on annonça le débarquement de son patron à Boulogne, et cependant, un de ses rédacteurs principaux, M. Bataille était dans le complot et accompagnait le prince, et M. Crouy-Chanel, le créateur de ce journal était allé à Londres quelques jours avant pour concerter l'entreprise.

Mais rien n'égale l'hypocrisie des bonapartistes à tous les degrés de l'échelle sociale, si ce n'est leur effronterie dans le mensonge.

Voici de quelle façon sournoise l'honnête journal le Capitole, du 7 août, s'y prend pour faire croire à son ignorance de la conjuration :

Le bruit s'est répandu hier soir, que le gouvernement avait reçu dans la journée un avis télégraphique annonçant que le prince Louis Napoléon était débarqué à Boulogne et qu'il avait été arrêté presque immédiatement.

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Jusqu'à plus ample information notre raison se refuse à croire au renouvellement d'une tentative semblable à celle de Strasbourg. Si le prince Napoléon était revenu en France, ce fait ne pourrait s'expliquer que par la pénible situation où il s'est vu placer quand la guerre est devenue imminente entre sa patrie et l'Angleterre, seul asile qui lui fut ouvert en Europe.

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Accusé devant ses concitoyens de se faire l'instrument d'une politique hostile à la France à la suite d'une invasion, son âme française aurait-elle préféré courir les hasards d'une détermination téméraire, en rentrant seul (sic) dans sa patrie, plutôt que de rester dans une situation qui l'exposât à des soupçons flétrissants ? ...

 

Non, son âme française n'a pas préféré courir les hasards d'une détermination téméraire, elle a mieux fait, elle lui a inspiré l'heureuse idée dans l'entrevue qu'il a eu avec lord Palmerston, d'offrir ses services au gouvernement anglais, et de venir apporter la guerre civile en France au moment ou cette nation était sur le point d'entrer en lutte avec l'Angleterre. Voilà ce que son âme française a préféré. Mais seulement elle n'est pas venue seule, cette âme française. Non, il lui a fallu, dans l'espoir de mieux réaliser sa trahison, une bande de plus de soixante chenapans de tous les pays, presque tous étrangers à la France, à la tête desquels marchaient quelques officiers ambitieux, mécontents et traîtres à leurs serments. Il ne manquait plus aux bonapartistes que de conspirer avec l'étranger, Louis Bonaparte s'est chargé de leur donner cette gloire en 1849.

Le journal le Temps signale les mêmes faits de la manière suivante :

L'Angleterre, dit-il, a voulu lâcher sur nous un prétendant. En vérité cela renchérirait sur Coblentz et sur Pillnitz, sur le manifeste du duc de Brunswick. Les délires de son union avec la Russie font tourner la tête à lord Palmerston.

 

Voici maintenant l'opinion d'un journal légitimiste, l'Echo-français qui prouve combien était unanime dans tous les partis la croyance, malheureusement si bien fondée, que Louis Bonaparte était en 1840, l'agent de l'étranger.

Malgré tout le respect que nous devons au malheur, écrit ce journal, nous ne pouvons nous empêcher de dire que le prince Louis Napoléon a fait une mauvaise action en servant en quelque sorte d'avant garde aux étrangers qui menacent aujourd'hui la France.

 

Nous verrons encore la même idée exprimée dans l'article suivant du Journal des Débats, du 8 août.

Tout Paris a appris avec une indignation mêlée de pitié qu'une tentative, plus folle encore et plus coupable que l'échauffourée de 1836, venait d'être faite sur la ville de Boulogne par l'amnistié de Strasbourg, M. Louis Bonaparte. Nous n'avons pas besoin de dire que cette nouvelle entreprise a échoué misérablement. M. Louis Bonaparte, qui se figure toujours être le vainqueur d'Austerlitz et de Wagram débarquant à Cannes a vainement tenté la fidélité des troupes.. Un seul officier, s'est laissé entraîner. Les aigles, les proclamations emphatiques, les prétentions impériales, de M. Louis Bonaparte, n'ont, réussi qu'à le couvrir une seconde fois d'odieux et de ridicule. Poursuivi par les soldats et par la brave et fidèle garde-nationale de Boulogne, qui a pris les armes avec une ardeur incroyable, M. Louis Bonaparte a été arrêté au moment même où il essayait de regagner à la nage le bateau qui l'avait apporté. Tous ses exploits se sont bornés à blesser dangereusement d'un coup de pistolet un soldat fidèle à son devoir et à son drapeau. Ses adhérents au nombre de cinquante environ et parmi lesquels on nomme le commandant Parquin déjà compromis dans l'échauffourée de Strasbourg, le colonel Voisin, M. de Montholon, ont été arrêtés en même temps que lui, quelques personnes ont été tuées ou blessées.

En vérité, l'excès de la folie que dénote une pareille entreprise confond et laisse à peine place à un sentiment sérieux. Qu'on parle encore de l'entêtement des légitimistes et des préjugés de la vieille noblesse !

Voilà un jeune homme qui, parce qu'il s'appelle Napoléon, se croit l'héritier direct de la gloire et de la couronne d'un grand homme et qui se figure qu'il n'a qu'à paraître en France pour que tout le monde se jette à ses pieds. La leçon de Strasbourg toute sévère qu'elle a été n'a pas pu lui ouvrir les yeux. Il revient bravement, tout couvert du pardon qu'il a reçu et qu'on a accordé à sa jeunesse, à son inexpérience, à la mémoire de l'Empereur, essayer une seconde fois de débaucher les troupes et d'allumer en France la guerre civile ? Et que l'occasion est bien choisie ! comme il sied bien à un neveu de l'Empereur, de partir des côtes de l'Angleterre, pour se jeter sur nos villes dans un moment où l'étranger nous verrait avec tant de plaisir, tourner nos forces contre nous-mêmes ! Quelle mission patriotique M. Louis Bonaparte a remplie là. Déclarons pourtant que nous ne croyons pas le gouvernement anglais complice des projets insensés de M. Louis Bonaparte. On a quelquefois accusé la politique anglaise de ne pas se piquer d'une grande loyauté, jamais de manquer d'intelligence et de lumière. Après l'échauffourée de Strasbourg il est impossible qu'aucun gouvernement raisonnable ait pu songer à employer M. Louis Bonaparte comme un instrument de révolution. Non ! nous ne croyons pas ce malheureux jeune homme lui-même se vantant de l'appui de l'étranger ! Il n'a été, cette fois encore, que la dupe de s'a propre vanité. Il n'a pris sa mission que dans son ambition ridicule. Il joue le rôle de héros et il ne voit pas qu'il déshonoré le nom qu'il porte. Parce que la France va chercher à Sainte-Hélène les dépouilles mortelles du grand capitaine, il s'est imaginé qu'il y avait pour lui-même une couronne à revendiquer sur ce tombeau ! Avec quelques phrases empruntées aux bulletins et aux proclamations de l'Empire, il a cru qu'il allait faire soulever l'armée, la garde nationale et tout le pays !

Cependant l'excès du ridicule ne peut pas couvrir le crime. Le sang a coulé à Boulogne ; ceci passe la comédie. On ne tue pas les fous, soit : mais on les enferme. M. Louis-Bonaparte a voulu être jugé il le sera. Puisque décidément il a la manie de jouer le rôle d'Empereur et de grand homme, il faut au moins qu'il le joue en lieu d'où ses fantaisies ne pourront compromettre la vie et l'honneur de personne.

 

Voici un article de La Presse du 8 août, journal de M. Emile de Girardin, autrefois vendu au gouvernement de Louis-Philippe, comme il l'est aujourd'hui à celui de Louis-Bonaparte, qui est encore beaucoup plus sévère que celui des Débats.

Nous n'avons pas besoin de dire tout ce que cette nouvelle tentative d'insurrection a de ridicule et d'odieux. Les faits parlent suffisamment. M. Louis Bonaparte s'est placé dans une position telle que nul en France ne peut honorablement aujourd'hui éprouver pour sa personne la moindre sympathie, ni même la moindre pitié. Le ridicule est dans l'avortement si misérable de ses projets, dans cette fuite précipitée dès le premier signe de résistance ; dans cette subite métamorphose des farouches conspirateurs en tritons effrayés et transis. L'odieux est dans l'ingratitude qui oublie qu'une fois déjà la clémence royale a pardonné généreusement au crime qu'on avait le droit de punir des peines les plus sévères, et que Napoléon particulièrement eut fait expier chèrement à ses auteurs dans les vingt-quatre heures. L'odieux est encore dans ce calcul qui a fait choisir pour jeter l'anarchie au sein de la France, précisément le moment où elle avait besoin de tout son calme de toute la puissante unité.

Mais laissons là ce jeune homme qui ne parait pas avoir plus d'esprit que de cœur. Disons seulement que ce qui vient de se passer répond suffisamment à ceux qui attaquaient il y a deux ans, M. Molé, parce qu'indigné des complots incessants qui se tramaient à Arenenberg, il exigeait que M. Louis Bonaparte fut expulsé de la Suisse. On disait alors, et les journaux ministériels d'aujourd'hui étaient les premiers à le dire, que le gouvernement français se préoccupait de craintes chimériques ; que M. Louis Bonaparte ne songeait plus au trône de France, qu'il n'avait plus d'autre ambition que de celle de s'acquitter avec exactitude de ses devoirs de citoyen de Thurgovie. Le gouvernement français ne se paya pas toujours de ces mauvaises raisons, et il fit bien. Ceux qui l'en blâmaient alors doivent le reconnaître aujourd'hui.

Il y a quelques jours les journaux anglais ont annoncé une visite de M. Louis Napoléon Bonaparte à lord Melbourne et à lord Palmerston[3]. Malgré la coïncidence de cette nouvelle avec l'échauffourée de Boulogne, nous n'accuserons pas l'Angleterre d'avoir trempé dans cette conspiration. En vérité cela serait trop niais ! Si l'Angleterre avait voulu jeter un prétendant au milieu de nous elle lui aurait sans doute donné d'autres moyens de succès que ceux qui ont été trouvés en la possession de Louis Bonaparte et de ses tristes compagnons. Nous ne professons pas une grande estime pour la loyauté politique de l'Angleterre, mais nous croyons à son habileté. Or rien ne serait plus stupide qu'une pareille complicité.

Nous ne l'accusons donc pas ; et en cela nous montrons plus de mesure, nous qui avons combattu avec tant de constance et d'énergie l'alliance anglaise, que le journal ministériel le Temps, qui, après avoir toujours prôné cette alliance, ne craint pas ce matin de la proclamer capable et coupable de l'attentat commis à Boulogne. Comment le ministère permet-il à ses organes d'envenimer ainsi toutes les questions ? Quoi donc ? la situation n'est-elle pas assez délicate pour qu'on en parle enfin avec quelque circonspection ? Nous ne saurions dire le mal qu'ont fait depuis quinze jours les journaux ministériels.

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Les insinuations du Temps sont d'autant plus blâmables que malheureusement les passions populaires sont très disposées à les accepter. Pour les masses en France l'Angleterre est toujours la Perfide-Albion. Et c'est quand la traînée de poudre peut s'embraser si vite, que vous en approchez ainsi l'étincelle ! Imprudents ! .....

Le Capitole qui cherche à excuser son fade héros, dit que sans doute il ne venait en France que pour prendre part à la lutte qu'elle peut être un jour au l'autre appelée à soutenir contre l'étranger. Nous voudrions pouvoir accepter cette excuse, mais elle est trop peu vraisemblable. Si M. Louis Bonaparte avait eu les intentions patriotiques que lui prête si charitablement le Capitole, il serait venu, non pas avec des armes, non pas avec quelques aventuriers déguisés en officiers d'état-major, non pas à la tête, d'une soixantaine de goujats ramassés dans les rues de Londres, non pas enfin en cherchant à tenter la fidélité de l'armée, mais seul, sans insignes hostiles, sans instruments de trahison, comme un homme qui veut servir en volontaire sous le drapeau national. On eut compris cette conduite et nous n'eussions pas été les derniers à y applaudir. Mais M. Louis Bonaparte n'est pas, n'a jamais été à la hauteur de ces sentiments là. Il n'est pas même un chef de parti, il n'en est que la méchante caricature.

 

Malgré tout ce que cet article a de juste et de vrai malgré tout ce qu'a de mérité la flétrissure sanglante qu'il inflige à Louis Bonaparte, on ne peut retenir un sentiment de profonde indignation quand on songe que le publiciste qui l'a fait, M. Emile de Girardin, car il est facile de reconnaître son style dans la facture de cet article, est aujourd'hui un des valets les plus plats, un des écrivains les plus serviles de l'homme qu'il outrageait alors d'une façon si virulente. Qui le croirait, si cela n'était pas un fait avéré, public, authentique, que le rédacteur de la Presse s'ingénie maintenant dans son fade journal en louanges outrecuidantes, en éloges nauséabonds, envers ce même personnage qui n'a pas plus d'esprit que de cœur, et pour lequel on ne peut honorablement éprouver ni sympathie ni pitié. Eh bien ! cela est pourtant, M. de Girardin en est tombé à ce degré de honte et d'abaissement. Il a transformé sa feuille malsaine, son journal malpropre, en une espèce de moniteur officiel des soirées peu décentes, des fêtes décolletées de Saint-Cloud, de Compiègne et des Tuileries. Il nous donne dans leurs plus grands détails, qui souvent frisent de très près l'impudeur, les descriptions des toilettes et des charmes des épouses des tristes compagnons de Louis Napoléon Bonaparte ; et il chante sur sa plus belle gamme, il célèbre avec tout le lyrisme dont il est susceptible les gloires et les vertus, du fade héros, qui, selon lui, n'est pas même un chef de parti, qui n'en est que la méchante caricature. Nous ne savons pas réellement, qui nous cause le plus de dégoût, ou de celui qui inspire de pareilles ignominies, ou de celui qui les commet ? ......

Mais continuons nos citations pour prouver l'unanimité de la presse parisienne pans cette circonstance.

Le Siècle fait aussi ressortir tout le ridicule de l'équipée de Boulogne et termine son article de la manière suivante :

Quoi qu'il en soit, un attentat qui pouvait porter atteinte à la sécurité de l'Etat et faire couler le sang des citoyens a été commis dans des circonstances qui en rendent la répression plus légitime et plus nécessaire. Aujourd'hui, comme en 1836, nous pensons que satisfaction est due aux lois violées et que les lois dans un pays libre sont applicables à tout le monde.

Le Constitutionnel que nous avons déjà cité ajoute encore à la date du 8 août :

Les détails de l'entreprise insensée tentée par Louis Bonaparte, prouvent que nous l'avons qualifiée hier comme elle le méritait. Dans cette misérable affaire, l'odieux le dispute au ridicule. Le chef de cette conspiration, excite tout à la fois l'indignation et la pitié. La parodie se mêle au meurtre, et tout couvert qu'il est de sang, Louis Bonaparte aura honte de n'être qu'un criminel grotesque.

 

Eh bien non ! Louis Bonaparte n'a pas même eu honte, il est tellement dépourvu de sens moral qu'il en a tiré vanité et qu'il s'est encore posé en héros devant la Cour des Pairs et dans ses écrits.

Le Temps du 8 août ajoute encore à ses réflexions de la veille :

En France on ne meurt pas seulement par la balle d'un fusil, on est tué par le ridicule. Boulogne le prouve, puisque Strasbourg n'avait pas suffi. Mais nous aimons encore mieux la parodie du débarquement de Cannes faite en Alsace, que celle du débarquement de Quiberon[4], exécutée en face de la colonne de Boulogne. Partir d'Angleterre pour se jeter sur nos côtés et appeler la guerre civile dans son pays au moment où il est menacé de la guerre étrangère, c'est une politique d'émigré et qu'un prétendant impérial n'aurait pas dû recommencer. Voilà une triste application des Idées-napoléoniennes et un accouchement aussi déplorable que celui de la duchesse de Berry.

 

Louis-Napoléon Bonaparte a prouvé que si en France on meurt de ridicule, comme le disait le Constitutionnel, on ressuscite très bien et on ne s'en porte que mieux, quand on couvre ce ridicule avec du sang, quand à l'ingratitude, au manque de parole envers un roi, qui vous a pardonné, on ajoute publiquement le parjure et la trahison envers tout un peuple qui vous a tiré de l'exil et de la misère et qui vous a élu ; quand au vol des bons de l'Echiquier on ajoute celui des caisses de l'Etat ; quand à la tentative de meurtre sur le soldat de Boulogne, on joint l'assassinat en masse des citoyens et la castration de tout un peuple ; quand en un mot après Strasbourg et Boulogne on faite le deux décembre.

Quand à Quiberon on ajoute le dix-huit brumaire aggravé ; quand à la politique d'émigré on ajoute celle de Torquemada et de Philippe II, de la révocation de l'Edit de Nantes et des dragonnades ; quand aux Idées-napoléoniennes, à un nouveau manifeste de Brunswick daté de Boulogne, et à la chouannerie bonapartiste du Bas-Rhin et du Pas-de-Calais on ajoute les décrets liberticides et les proclamations féroces du deux décembre, et quand on les exécute impitoyablement, quand on fait les massacres des Cévennes dans trente trois départements et la Saint-Barthélemy à Paris, on n'est plus un prétendant ridicule, on est un grand Empereur.

Mais poursuivons nos curieuses citations :

Voici en quels termes l'Univers, journal des jésuites et des catholiques ultramontains, traitait celui qui fut depuis pour eux l'Empereur-catholique, le Fils aîné de l'Eglise, l'Homme-Providence :

Il y a tout lieu de croire, disait la bonne feuille dans son style onctueux, tout aspergé d'eau bénite, que notre gouvernement ne mettra plus M. Louis-Bonaparte dans le cas d'abuser de sa générosité et de recommencer de nouveaux complots. Quand on rencontre sur son chemin des animaux malfaisants, qu'on a beau chasser et qui s'obstinent à revenir sur vous et à vous mordre, il faut les enchaîner et les tenir prudemment enfermés. Nous pensons donc que cette fois le gouvernement ne s'avisera pas de relâcher M. Louis Bonaparte et de le faire voyager pour tout châtiment aux frais du pays.

 

C'est pourtant pour cet animal malfaisant que les patrons du pieux journal ont entonné le Hosanna ! Mais pour cela il a fallu, que le susdit animal malfaisant qu'on a eu beau chasser et même enchaîner, et tenir prudemment enfermé s'obstinât à revenir une troisième fois sur nous et à nous mordre, et qu'il commit de nouveaux ravages si épouvantables que ses premiers méfaits de Strasbourg et de Boulogne pouvaient à côté passer pour des peccadilles. Quand il fut couvert du sang versé le deux Décembre, quand il eut encombré les rues de la capitale et les boulevards de cadavres et de débris humains ; quand suivant les expressions du Constitutionnel, la parodie se fut mêlée au meurtre et que ce criminel grotesque, tout couvert de sang, eut encore ajouté le parjure à l'assassinat, la trahison odieuse, le guet-apens infâme, à ses exploits passés : Alors, les saints prélats, les oints du seigneur, ceux qui se disent les ministres du Christ qui a condamné le blasphème, qui est mort en croix pour régénérer l'humanité, s'en virent en grande pompe décorés de leurs ornements sacerdotaux, au devant de lui, sur le parvis de Notre-Dame, et appelèrent la bénédiction du Dieu de toute justice sur cet homme couvert de tous les crimes qu'ils avaient eux-mêmes flétris dans les termes que nous avons rapportés, ils brûlèrent l'encens devant lui, se prosternèrent à ses pieds et chantèrent : Seigneur protège Louis-Napoléon ! Et le soleil éclaire depuis plus de quatorze ans toutes ces infamies, qui oppressent la conscience humaine et qui impriment chaque jour plus profondément la honte au front de la France !

Le 9 août le Journal des Débats publia un nouvel article sur l'équipée de Louis. Bonaparte, il est trop curieux pour que nous le passions sous silence.

Nous ne croyons pas, dit-il, que l'histoire ait conservé le souvenir d'une entreprise plus follement conçue, plus misérablement terminée. On dirait vraiment un mauvais mélodrame joué par de pitoyables acteurs. M. Louis Bonaparte pour remplacer les grenadiers de l'île d'Elbe, habille ses domestiques en soldats. Il apporte un aigle vivant, voulant sans doute réaliser au pied de la lettre la célèbre métaphore de l'Empereur : l'aigle volera jusqu'à-Paris de clocher en clocher. Ou bien, qui sait ? Cet aigle était peut-être destiné à représenter dans la pièce l'âme de l'Empereur, et à paraître tout à coup planant sur la tête de M. Louis Bonaparte, comme on raconte qu'à la bataille d'Arbelles un aigle se plaça sur la tête d'Alexandre. Le style des proclamations répond parfaitement au reste. Dans ses bulletins datés de Vienne ou de Moscou l'Empereur, auquel pourtant on a justement reproché plus d'une fois l'enflure insolente de son langage, ne prenait pas un ton plus despotique et plus tranchant ; M. Louis Bonaparte prononce les déchéances, comme si vingt victoires lui avaient donné, nous ne disons pas le droit, mais le pouvoir de disposer des couronnes. Il déclare que la maison d'Orléans a cessé de régner, lui qui ne possède pas même en France-les droits de citoyen, qui s'est fait naturaliser Thurgovien et qui n'a fait d'autre campagne que celle du tournoi d'Eglington !

Il n'y a dans tout ceci qu'une réflexion curieuse à faire et la voici : la ridicule issue de la tentative de M. Louis Bonaparte prouvera aux étrangers à quel point il se faisaient illusion, s'ils comptaient sur nos dissensions intérieures pour diviser nos forces et nous occuper chez nous, sous ce rapport M. Louis Bonaparte a parfaitement bien choisi son moment ; il nous a rendu, sans le vouloir, un notable service. La cruelle leçon qu'il vient de recevoir, à Boulogne, en sera aussi une pour l'Europe, qui apprendra à ne pas confondre les honneurs que la France rend à la mémoire de l'Empereur, avec les intrigues et les rêves d'une petit nombre de bonapartistes obstinés. S'il y a une famille oubliée en France, c'est la famille impériale ! Le fils de Napoléon en mourant, a emporté avec lui dans la tombe les restes d'intérêt qui s'attachaient encore au sang de l'Empereur. La France a tout pardonné à l'Empereur, l'insupportable dureté de son régime intérieur, les rigueurs inouïes de la conscription, les désastres de 1812 et de 1813 ; les maux causés par une ambition démesurée, et cependant le bonapartisme est mort ; l'éclat même de la gloire de l'Empereur écrase ceux qui essaient ridiculement de s'en couvrir. Où a été arrêté M. Louis Bonaparte ? au pied de la colonne de Boulogne, au pied même de cette colonne élevée a la grande armée et à son chef ! Il fallait que le bonapartisme vint expirer là !

Enfin le Constitutionnel ajoute encore :

La misérable équipée du prince Louis a soulevé dans le public plus de dégout que de colère, si un brave soldat n'avait pas été victime de son dévouement on n'aurait guère que des rires de pitié pour cet extravagant jeune homme qui croit nous rendre Napoléon parce qu'il fait des proclamations hyperboliques et qu'il traîne après lui un aigle vivant.

 

Mais c'est une faute cruelle que celle qui verse le sang des Français. La société doit être vengée puisque le précédent de Strasbourg n'a pas suffi, il faut qu'une sévère leçon soit donnée aux aventuriers coureurs de trône et qu'on leur apprenne, une fois pour toutes, que la couronne de France n'est pas vacante. Le journal ministériel du soir annonce que M. Louis Bonaparte demeure compris avec ses complices dans une instruction commune. Cette marche est parfaitement sage. On a fait une faute en 1836, qui a eu de déplorables conséquences ; il faut aujourd'hui la réparer. Avec de tels entêtés la justice dans toute sa sévérité est plus profitable que la clémence.

L'opinion publique ne s'est pas un instant émue : La Bourse, si prompte à prendre l'alarme, a répondu à la nouvelle par une hausse. C'est en effet un bien que la faction napoléoniste. ait fait sa tentative ; depuis longtemps on savait qu'elle machinait quelque chose, et l'on désignait à l'avance l'époque du débarquement des cendres de Napoléon comme le moment choisi par elle. Alors, comme aujourd'hui une poignée de soldats ou de gardes nationaux en eut eu raison. Mais c'eut été un triste incident aux pieux hommages que la France veut rendre aux mânes de l'Empereur. Aujourd'hui, nous en avons fini, grâce au ciel avec une faction ridicule, et un prétendant, au moins, est à jamais tombé sous les sifflets du pays, les cendres de Napoléon peuvent traverser la France sans que leur marche soit troublée par un bruit séditieux.

 

Voila pourtant par quelles sanglantes flétrissures toute la presse a accueilli la tentative de Louis-Napoléon Bonaparte en 1840 ; par quels sifflets et quel mépris elle a salué son essai de restauration impériale. Et quand on pense que c'est le même prétendant ridicule et odieux qui, douze ans plus tard, a été nommé Empereur, quand il eut ajouté un crime monstrueux aux deux actes de folle et stupide ambition accomplis à Strasbourg et à Boulogne ; quand on songe que c'est l'homme, qui n'a d'autre titre de gloire devant la postérité que d'avoir commandé les aventuriers de la Finckmatt, les laquais de l'Edimburg Castle, les soldats en goguette de Satory et les malfaiteurs du deux décembre qui règne et triomphe depuis seize ans, qui dispose de la France comme d'une chose lui appartenant, qui la fait ruiner par les immoraux Morny, Persigny, Fleury et Cie et tous les frères et amis d'Arenenberg, de Carlton-Garden, de l'Elysée et des Tuileries, qui la donne en régence, quand il lui plait d'aller en Italie ou en Afrique, à la trop sensible et galante Montijo, qui lui impose la flétrissure publique et authentique de voir les actes de l'Etat signé d'un nom qui eut malheureusement une trop grande célébrité dans les alcôves de la cour de Madrid, dans les cirques, parmi les toréadors et les habitués des casinos des maisons d'eaux et de jeu de toute l'Europe ; quand on songe comment meure Lincoln et comment vit Bonaparte on est tenté de croire que si, comme le prétendent les intéressés à la chose, il y a une Providence, c'est certainement celle des coquins, et que Mercure n'est pas une fiction.

 

 

 



[1] Nom de l'habitation de L. Bonaparte, à Londres.

[2] Sur le point d'avoir la guerre avec l'Angleterre.

[3] Cette déclaration des journaux anglais à laquelle la Presse a l'air de ne pas croire, pour ne pas infliger un démenti formel au cabinet anglais qui l'a niée, est une nouvelle preuve de plus que Louis Bonaparte, en 1840, était l'agent du gouvernement anglais.

[4] C'est à Quiberon, que les émigrés royalistes ont débarqué en venant d'Angleterre, comme Louis Bonaparte.