L'HISTOIRE DU LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE CONSPIRATEUR

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

§ IV.

 

 

Les accusés de Boulogne ayant tous aussi été transférés à Paris, une ordonnance du roi fut rendue, le 9 Août 1840, pour convoquer la Cour des Pairs et la saisir de l'affaire.

Le 18, elle se réunit sous la présidence du chancelier Pasquier, pour se constituer, recevoir l'ordonnance, entendre le réquisitoire du procureur général et nommer une commission d'instruction, qui fut composée de MM. de Bellemare, Besson, de Cambacérès, de Caux, Dutaillis, de Feurtier, Fréteau de Peny, d'Heudelet, Odier, Rossi, le chevalier Tarbé de Vauxclairs et Villemain.

M. le Chancelier de la Cour, le baron Pasquier, délégua en-outre pour l'assister dans l'instruction, MM. le duc Decazes, le comte Portalis, le baron Girod (de l'Ain), le maréchal comte Gérard[1] et Persil, ce dernier fut nommé rapporteur.

C'est le 28 Septembre que les accusés de la tentative insurrectionnelle de Boulogne comparaissent pour la première fois devant la Cour des Pairs. Ils sont introduits à midi et un quart escortés par la gendarmerie de la Seine et suivis de leurs avocats.

Louis-Napoléon Bonaparte entre le premier, il est revêtu d'une redingote noire et porte la plaque de grand officier de la légion d'honneur, dont il s'est décoré gratuitement et sans en avoir le droit. Il paraît que sa mésaventure de Strasbourg et la scène de dégradation, qui lui a été infligée, dans laquelle le grand cordon de la légion d'honneur lui a été arraché par le colonel Taillandier ne l'ont pas guéri de sa manie de revêtir des décorations. Viennent ensuite MM. Montholon, Voisin, Mésonan, Parquin et les autres accusés qui occupent plusieurs bancs. La Cour fait son entrée à Midi et demi, et tous les accusés se lèvent alors.

Le ministère public est représenté par M. le procureur général Frank-Carré, par MM. Bouchy, Nouguier et Glandaz, ses substituts.

On remarque aux bancs de la défense : Mes Berryer, Ferdinand Barrot, Marie, Delacour, Barillon, Duchezeau, Jules Favre, Nogent de Saint Laurent et Lignier.

Nous ne pourrions donner une idée plus exacte de l'attitude des accusés devant la Cour qu'en citant ici un article d'un journal français de l'époque, l'Univers, du 30 septembre 1840.

Les débats du procès de Louis Bonaparte, dit-il, ont commencé et se poursuivent au milieu de l'indifférence la plus complète. La curiosité n'est pas même excitée. Pas un seul groupe n'a stationné devant le palais de la Cour des Pairs.

Nous ne croyons pas que la Cour ait jamais été aussi nombreuse dans aucun procès. Cent soixante sept Pairs prennent par à la délibération.

Le prince Louis Bonaparte est un jeune homme de trente-deux ans, de taille moyenne ; il est bien loin d'avoir dans les traits, dans la physionomie, dans la voix une expression quelconque, qui annonce un homme capable de recommencer le rôle d'un Napoléon. Avant de répondre aux questions du président Louis Bonaparte, a commencé par lire une profession de foi politique où il s'est posé non pas en accusé, mais en vaincu. Cette lecture n'a causé aucune impression. La voix de l'accusé est faible, aussi le greffier, M. de la Chauvinière, a-t-il été obligé de répéter toutes les réponses faites par Louis Bonaparte.

Il a été également impossible d'entendre les réponses de presque tous les autres accusés, réponses toujours reproduites devant la Cour par M. de la Chauvinière.

A la contenance embarrassée et presque honteuse des prévenus, on dirait des écoliers pris au piège plutôt que des partisans vaincus dans une tentative hardie. A l'exception du lieutenant Aladenize, tous ont persévéré dans leur ridicule système de défense, s'obstinant à soutenir que le prince leur avait caché ses desseins ; il n'est pas jusqu'à son secrétaire intime (d'Almbert), et celui de ses affidés qui imprimait ses proclamations et ses brochures (Conneau), qui n'aient employé ce moyen de défense. Leurs réponses au surplus n'ont rien appris de nouveau, si non leur radicale et humiliante incapacité ; on ne s'imagine pas une réunion plus complète d'infirmités physiques et morales. L'étrange conspiration que celle dont tous les membres ont besoin d'amples libations pour se mettre à l'œuvre et dont presque une moitié est percluse. Aussi quand on contemple en face de l'imposant tribunal des Pairs. Cette masse confuse de jeunes gens et de vieillards groupés au tour d'un chef de trente ans, dont la figure n'en porte pas vingt-cinq, et dont la contenance est sans grandeur, on se sent pris d'une compassion profonde. Volontiers, si ce n'était le sang versé et la paix du pays compromise, on implorerait la pitié de la Cour pour ces têtes grises et blondes qu'un même grand nom à également troublées.

 

Ce fut M. Persil, commissaire nommé par la Cour qui donna lecture du rapport sur l'attentat du 6 août 1840. Nous donnons ici la plus grande partie de ce document remarquable, qui est un résumé impartial de toutes les charges qui pesaient alors sur Louis Bonaparte et sur ses complices, et qui prouvera d'une façon irréfutable la véracité des faits que nous avons déjà rapportés.

Cour des Pairs.

Audience du 15 septembre 1840.

Attentat du 6 Août, dit de Boulogne. — Louis Bonaparte et ses Complices.

Rapport fait à la Cour par M. Persil, l'un des commissaires[2] chargés de l'instruction du procès déféré à la Cour des Pairs par ordonnance royale du 9 août 1840.

Messieurs, l'attentat de Strasbourg, dit M. Persil, qui annonçait dans ses auteurs, avec l'appréciation la plus étrange des sentiments nationaux, autant de présomption que d'imprévoyance, ne semblait pas devoir se renouveler. L'opinion publique en avait fait justice, et l'indignation générale avait remplacé, jusqu'à un certain point, la répression légale qui avait manqué à ce grand crime. L'impunité qui lui fut alors acquise, et qui fit sur le pays une sensation si pénible, tenait à des circonstances assez extraordinaires pour qu'on dut croire que ceux qui en avaient profité, avertis par le danger qui avait plané sur leur tête, sauraient y puiser une salutaire leçon. Cet espoir si naturel ne s'est point réalisé. L'acquittement de Strasbourg est devenu, à leurs yeux, une preuve de la sympathie de toute la population pour la cause napoléonienne — brochure de Laity, page 75 ; proclamation au peuple français, distribuée à Boulogne —, et lorsque, plus tard, le Roi eut la noble pensée de restituer à la terre de France les cendres glorieuses de l'Empereur, ils n'ont vu, dans, la manifestation de l'enthousiasme excité par les souvenirs d'une époque où se sont opérées de si grandes choses, qu'une occasion de satisfaire, par de coupables moyens, des ambitions insensées, et de renverser nos institutions au nom de celui dont le premier titre à la reconnaissance de ses concitoyens fut d'avoir détrône l'anarchie. Bien ne les a arrêtés : ni les leçons de l'expérience, qui auraient dû les éclairer sur l'impopularité, sur l'isolement et l'abandon universel de leur cause ; ni l'état prospère de la France, attachée chaque jour davantage à sa dynastie et au gouvernement qu'elle s'est donnée ; ni ce refroidissement des passions, que le temps et la puissance irrésistible de l'opinion publique ont amené au sein même des partis les plus exaltés. Ils ont tout méconnu, tout attaqué avec la même présomption et une confiance plus folle, s'il est possible, que celle qui les avait conduits jusque dans les murs de Strasbourg.

Nous serions heureux de penser que les difficultés internationales qui préoccupent et inquiètent tout le monde n'ont pas aussi décidé et précipité leurs coupable, projets. Mais que ne peut-on pas croire de ceux qui, par une surprise sur Boulogne, avec quelques officiers en retraite pour la plupart, avec quelques homme sans nom, inconnus à la France, et une trentaine de soldats déguisés en domestiques ou de domestiques déguisés en soldats, ont conçu la pensée de s'emparer de la France, et d'y rétablir, au nom du peuple et de la liberté, sous l'égide d'une renommée trop haut placée pour qu'il soit donné à personne de lui succéder, un système de gouvernement qui nous a fait, il est vrai, recueillir d'amples moissons de gloire ; mais que ne signalaient à notre reconnaissance, ni un ardent amour de la liberté et de l'égalité, ni un profond respect pour les droits des citoyens ! D'autres temps, d'autres besoins : ce qui pouvait être un bien, ce qui a pu être commandé par une inexorable nécessité dans les premières années du 19e siècle, alors que les dissensions intérieures et le fardeau de la plus vaste guerre qui se soit jamais soutenue accablaient le pays, serait aujourd'hui un insoutenable anachronisme. La civilisation est en progrès, et sa marche veut être éclairée par la liberté, par le respect des droits de tous et par des institutions qui rendent impossibles l'arbitraire et l'absolutisme. Aussi, voyez comme a été reçue cette criminelle attaque sur Boulogne. Les conjurés ont été arrêtés par ceux qu'ils allaient séduire : dans ces militaires, dans ses gardes nationaux, que leur présomptueuse confiance croyait d'avance gagnés à leur cause, ils n'ont trouvé que des défenseurs de l'ordre établi. La leçon puisse-t-elle enfin être comprise ! Elle le sera, car l'heure de la justice est arrivée. Vous devez, messieurs, en être les organes, c'est pour préparer vos décisions que nous venons rendre compte des résultats de l'instruction dont M. le chancelier nous a appelé à partager avec lui la tâche laborieuse.

Une des premières réponses du principal inculpé, Louis Bonaparte, à l'interrogatoire que lui a fait subir M. le chancelier, assisté de la commission d'instruction, nous a tout d'abord reportés à l'origine, à la première pensée, aux premiers préparatifs de l'attentat.

Il n'y a guère, a-t-il dit, qu'un an ou dix-huit mois que j'ai recommencé à entretenir en France des intelligences. Tant que j'ai cru que l'honneur me défendait de rien entreprendre contre le gouvernement, je suis resté tranquille. Mais lorsqu'on m'a persécuté en Suisse, sous prétexte que je conspirais, ce qui était faux alors, j'ai recommencé à m'occuper de mes anciens projets. (Interrogatoire du prince Louis, du 19 août)

Vous allez juger si cette réponse est complètement exacte. À peine Louis Bonaparte, est-il de retour des Etats-Unis, où la clémence la pius généreuse l'avait fait transporter, qu'il débarquait à Londres, qu'il faisait imprimer et distribuer avec le concours de Persigny, toujours son complice, une brochure destinée à l'apologie de l'attentat de Strasbourg, en montrant la possibilité de sa réussite et les chances de ses succès ultérieurs. C'était la première édition de l'écrit de Laity, que vous avez condamné au mois de juin 1838.

Dès le mois de février précédent, Louis Bonaparte s'adressait au commandant Mésonan, que le ministre venait de faire passer à la retraite ; il voulait mettre à profit le mécontentement de cet officier, publiquement exhalé jusque dans les journaux[3]. A cette époque, il n'était pas encore rentré en Suisse, et le gouvernement n'avait pas du demander son expulsion : il ne s'y décida que longtemps après la révélation des menées auxquelles Louis Bonaparte continuait à se livrer dans cet Etat voisin de la France. L'échec de Strasbourg ne l'avait pas déconcerté. Aussitôt après son retour en Europe, il ne négligea rien pour renouer les fils de ses criminelles trames, et il recommença à s'occuper de ses anciens projets dans un temps où l'honneur, pour nous servir de ses propres expressions, lui aurait défendu de rien entreprendre.

Les préparatifs de ce nouvel attentat sont les mêmes que ceux employés pour celui de Strasbourg ; cela ne surprendra personne, car ce n'est qu'un autre essai, une seconde épreuve d'un seul et même projet repris et continué en dépit du mauvais succès de la première tentative. La presse quotidienne est le moyen le plus efficace de disposer des esprits dans nos temps modernes, c'est le commencement obligé de toute entreprise pour les remuer puissamment. On lui demandera donc d'attaquer, d'abaisser tout ce qui est, pour élever ce qu'on veut mettre à la place ; on lui demandera de servir d'intermédiaire aux partis dont on veut amener la coalition contre le pouvoir. Tous les autres genres de publication seront aussi appelés ou admis ; on en attendra d'autant plus d'appui que les idées pourront y être plus développées, et on recourra aux plus petits formats, parce qu'ils se transportent commodément et passent avec plus de rapidité d'une main dans une autre. Toutes les précautions seront d'ailleurs prises pour faire arriver les journaux et les pamphlets partout où l'on espère trouver des adeptes. Viendront ensuite les émissaires chargés de parcourir les départements et de s'arrêter dans les villes de garnison ; car c'est surtout par l'armée que Louis Bonaparte veut arriver. Les embaucheurs, les messagers de désordre, les entrepreneurs de guerre civile et de révolutions sont toujours et partout les mêmes. Ceux auxquels on aura recours devront profiter du mécontentement qu'il leur sera loisible d'exciter ou de faire naître ; ils iront au-devant des hommes que les factieux de tous les temps appellent les victimes., de l'arbitraire et de la tyrannie ; aux soldats ils offriront de hautes payes et des décorations ; aux sous-officiers de l'avancement ; à l'officier supérieur, que l'inflexibilité de la règle a placé dans la retraite avant qu'il ait perdu toute sa vigueur, on promettra de lui rendre cette activité dont il déplore la perte ; on ira enfin, attendant le moment décisif, jusqu'à recueillir, en les gardant dans une espèce de dépôt, ou même en les plaçant dans la domesticité, les anciens militaires que le désordre ou le malheur aurait réduits à accepter cette pénible dépendance.

Tel est, messieurs, le résumé des points généraux recueillis par l'instruction en ce qui touche les préparatifs de l'attentat. Permettez-nous de faire passer sous vos yeux les détails et les preuves.

Dans l'interrogatoire dont nous avons déjà parlé, et que Louis Bonaparte a subi devant M. le chancelier, assisté de la commissions d'instruction, il n'a pas hésité à reconnaître qu'il avait dépensé beaucoup d'argent pour fonder et soutenir en France quelques journaux ; il a refusé de faire connaître ces journaux, le chiffre de ces dépenses, les personnes avec lesquelles il correspondait ; mais sa discrétion n'excitera que de faibles regrets en présence de l'importante révélation que l'instruction a amenée.

Quelques imputations adressées par un journal du département du Nord au sieur Crouy-Chanel, avaient provoqué de sa part une réclamation que vous avez pu lire dans le Courrier-Français du 22 août dernier. Crouy-Chanel était accusé d'avoir reçu du prince Louis une somme de 250.000 frs. pour un usage criminel. Après avoir repoussé cette assertion comme une outrageante calomnie, Crouy-Chanel ajoutait : Jamais le prince ne m'a compté une somme égale à celle dont il s'agit. D'où le Courrier tirait cette conséquence que Crouy-Chanel convenait d'une manière implicite qu'il n'avait pas les mains entièrement nettes.

La publicité de cette polémique traçait à l'instruction la marche quelle avait à suivre. Un mandat de comparution délivré contre Crouy-Chanel l'amena devant M. le chancelier. Il déclara qu'en 1839, époque de la fondation du journal le Capitole, il avait reçu de Louis Bonaparte une somme de 140.000 frs., qu'il avait employée à ce journal ou pour différentes commissions très-avouables[4] ; que leurs relations avaient duré trois mois, depuis le mois de juin 1839 jusqu'au mois d'octobre on de novembre suivant ; que depuis leurs rapports avaient entièrement cessé ; que, s'il avait fait un voyage à Londres dans ces derniers temps, il n'y avait pas vu Louis Bonaparte.

Celui-ci, interrogé à son tour sur cet incident, le 26 août dernier, a confirmé les déclarations de Crouy-Chanel ; d'une part, en ce qui concerne l'envoi de sommes d'argent destinées et employées par ce dernier à la publication du Capitole ; d'autre part, en ce qui touche la cessation de leurs rapports vers la fin de 1839 ; mais à la différence de Crouy-Chanel, il les a fait remonter au mois de juin et d'août 1838, peu après la publication de la brochure de Laity. Crouy-Chanel, qui le vint voir en Suisse, lui avait, dès cette époque, proposé de contribuer à la fondation d'un journal. Cette proposition, qu'il n'accepta pas alors, fut reprise plus tard, et elle a eu pour résultat la création du Capitole. Rien, dans le cours de l'instruction, n'est venu démentir, en ce qui concerne l'épisode de ses relations avec Crouy-Chanel, les assertions de Louis Bonaparte, et elles sont, ainsi qu'on doit le remarquer, conformes à celles de Crouy-Chanel. Celui-ci avait été déjà arrêté pour ses rapports avec Louis Bonaparte, et pour d'autres intrigues politiques ; mais toute la procédure à laquelle les poursuites entamées contre lui ont donné lieu, n'a abouti qu'à une ordonnance de non-lieu. Toutefois, une correspondance volumineuse avait été saisie à son domicile ; ne pouvait-elle pas mettre sur la voie des préparatifs de l'attentat de Boulogne, et faire connaître quelques-uns de ceux qui y avaient contribué ? M. le chancelier a ordonné l'apport au greffe de la Cour du dossier où cette correspondance était renfermée. La commission l'a soigneusement compulsée, et il est ressorti de son travail que les manœuvres auxquelles s'était livré Crouy-Chanel, et dont la plus grande partie se rapportait eu effet à Louis Bonaparte, avaient pris fin dès le mois de novembre 1839, et que leurs rapports avaient entièrement cessé à partir de cette époque. Quoi qu'on puisse penser de la nature des desseins que Crouy-Chanel nourrissait pendant tout le temps qu'ont duré ces intrigues, il est donc impossible d'en tirer la conséquence qu'il ait connu la résolution d'agir exécutée sur Boulogne, ni qu'il y ait concouru en aucune manière.

Mais n'a-t-il pas été au moins pour quelque chose dans le choix des hommes et des moyens qui y ont été employés ? Sur la demande adressée à Louis Bonaparte par M. le chancelier, et qui était ainsi conçue : Il est probable que Crouy-Chanel a pu contribuer à vous donner sur les hommes et sur les choses des notions extrêmement fausses et qui ont pu influer sur les projets que vous avez réalisés dernièrement. (Interrogatoire du 26 août.) Voici ce qu'il a répondu : Il n'a eu aucune influence sur mes projets, parce que j'avais très-peu de confiance en son jugement.

Il n'est donc résulté de l'examen : le plus approfondi des rapports de Louis Bonaparte avec Crouy-Chanel, qu'une démonstration plus complète de sa longue préméditation de l'attentat qui a éclaté à Boulogne et de sa persévérance à rechercher tout ce qui pouvait lui en faciliter l'accomplissement, alors même qu'il n'était pas encore fixé sur les moyens de le commettre, ni sur le lieu où il devait l'entreprendre.

Nous avons déjà dit que Louis Bonaparte ne s'était pos borné à préparer son avènement par la presse quotidienne ; il y voulut joindre en effet, outre sa biographie destinée à relever les espérances attachées à la descendance cadette de l'Empereur Napoléon, de petites brochures qui, répandues avec profusion dans le public, et surtout jetées adroitement dans les villes de garnison et dans les casernes, y pourraient, il s'en flattait du moins, populariser son nom et le lier indissolublement à celui de l'Empereur.

Vous vous rappelez l'écrit distribué à Londres sous le nom de Persigny, et à Paris sous celui de Laity. Il est trop connu de la Cour pour qu'il soit nécessaire d'en redire le dangereux esprit ; il était destiné à réhabiliter le coup de main de Strasbourg, à exalter la cause de Louis Bonaparte, à tromper par de fausses espérances ceux qui pourraient être tentés de s'y associer, à lui créer enfin en tous lieux de nouveaux et crédules prosélytes. Voilà à quels caractères la Cour des Pairs y reconnut une attaque contre le principe et la forme du gouvernement, une provocation à son renversement. Votre prévoyance avait déjà signalé les nouveaux projets que commençait à accomplir Louis Bonaparte.

D'autres brochures avaient la même destination. C'étaient les Idées-napoléoniennes, par Louis-Napoléon, et les Lettres de Londres. Tous ces écrits respirent les mêmes prétentions et tendent aux mêmes efforts pour lui créer des partisans et pour les ranger activement sous sa bannière.

Toutes les mesures étaient prises, toutes les précautions employées, pour répandre utilement ces écrits séditieux et les faire parvenir entre les mains de nos populations. On choisissait de préférence les contrées où se trouvaient d'anciens militaires, tous naturellement remplis des merveilleux souvenirs de l'Empire, et les dépôts de nos jeunes soldats, toujours disposés à écouter avec avidité les récits presque fabuleux, malgré leur réalité, de notre vieille gloire militaire.

Entr'autres preuves recueillies à cet égard par l'instruction, en voici une qui ne laissera aucun doute dans vos esprits.

Le 24 juin dernier, un individu, nommé Ausias, avait abordé dans une rue de Lille, un grenadier du 46e régiment de ligne, en garnison dans cette ville ; sous le prétexte de traiter un compatriote, il l'avait amené dans un cabaret où il lui donna deux exemplaires des Lettres de Londres. Il en laissa une dizaine au cabaretier, en l'invitant à les distribuer. Encouragé par le succès, Ausias se présenta le lendemain à la caserne, qu'il demanda à visiter. En ayant obtenu la permission, il pénétra dans une chambre où des grenadiers étaient réunis ; il se mettait en devoir de renouveler son audacieux embauchage, lorsqu'il fut arrêté en flagrant délit, et livré à l'autorité judiciaire.

D'autres émissaires, placés dans une situation sociale plus élevée, s'étaient aussi chargés de la distribution de ces écrits. Nous pourrions citer le commandant Mésonan, le commandant Parquin, etc. Mais ceux-ci avaient une autre mission, plus en rapport avec les relations qu'ils avaient le moyen d'entretenir ; ils devaient voir les personnes sur lesquelles ils se flattaient d'exercer quelque influence ; ils devaient leur faire les propositions les plus séduisantes, ne rien négliger enfin pour les enrôler définitivement sous les drapeaux du parti.

L'instruction n'a pas, sans doute, fait connaître tous ces embaucheurs si zélés, mais elle a nommé les principaux : ce sont les inculpés Parquin, Lombard, Persigny, D'Almbert, Bataille, Mésonan, Forestier.

Ce n'est pas ici le lieu de faire connaître les faits particuliers d'embauchage de chacun de ces inculpés ; cette partie de la prévention trouvera mieux sa place lorsque nous nous livrerons à l'examen de toutes les charges qui pèsent sur chacun d'eux ; mais nous ne laisserons pas échapper l'occasion de vous rendre compte, dès à présent, de deux incidents qui confirment tout ce que nous venons de vous exposer, relativement au zèle avec lequel on tentait de faire des prosélytes à la cause-de Louis Bonaparte.

L'inculpé Parquin, depuis que le prince était de retour des Etats-Unis, n'avait presque pas eu d'autre demeure que celle de ce dernier, dont il se disait l'aide-de-camp. Toujours à ses ordres, il était sans cesse en mission dans les intérêts de la cause qu'il servait aveuglement. Peu de jours avant l'attaque tentée sur Boulogne, il était encore à Paris ; vous devinez ce qu'il y faisait. Les anciens soldats de l'Empire, pauvres et tombés dans le malheur, lui étaient spécialement recommandés. Il les recherchait, il les envoyait à Londres sous des prétextes qu'on voudrait pouvoir ne traiter que de frivoles, mais qui trop souvent ont été bien peu honorables.

C'est ainsi qu'il embaucha le nommé Brigaud et le capitaine Desjardins, qu'on a retrouvés ensuite parmi les conjurés.

L'instruction n'a pas fait connaître, dans toute leur étendue, les menées auxquelles s'étaient livrés, pendant leurs fréquents voyages en France, les inculpés Lombard et Persigny. Tout porte à croire que la trahison du lieutenant du 42e, Aladenize, a été l'ouvrage de d'Almbert ou de Bataille et de Forestier ; mais c'est surtout sur l'incident relatif au commandant Mésonan que nous devons fixer votre attention. Il ne s'agit plus là de quelques soldats isolés,-rattachés à la cause qu'on leur fait embrasser par la misère, le désœuvrement, ou par la ruse de quelque adroit embaucheur ; c'est jusqu'aux chefs que Mésonan élève ses vues ambitieuses ; s'il se peut qu'il parvienne à séduire le maréchal-de-camp commandant le département du Nord, ne lui serait-il pas dès-lors permis de se croire maître de la frontière et de la côte où doit s'opérer le débarquement : les nombreuses garnisons qui sont placées sous les ordres de cet officier-général ne suivront-elles pas infailliblement son exemple ?

M. le chancelier a interrogé Mésonan sur cette si téméraire, si incroyable entreprise. Il lui a demandé si dans les tournées qu'il convenait avoir faites dans les départements du Nord, il n'avait pas adressé à quelques officiers généraux des ouvertures de la part de Louis-Bonaparte : si notamment, il n'avait pas montré à un général une lettre qu'il disait venir de lui ? Voici sa réponse textuelle : (Interrogatoire du 20 août.)

Non, monsieur, j'ai causé longuement politique avec un général ; il m'a ouvert son cœur qui était froissé par quelques promotions qui avaient eu lieu ; il s'est même exprimé à ce sujet avec beaucoup de chaleur. Je ne lui ai pas caché que j'allais en Angleterre, que j'y verrais le prince, mais je ne lui ai fait aucune ouverture de la part du prince.

M. le chancelier a demandé à Mésonan quel était ce général, et il a répondu : C'est le général Magnan.

Les devoirs de votre commission d'instruction étaient tracés par cette réponse. M. le chancelier a fait citer le maréchal-de-camp Magnan. Il l'a entendu, et c'est sa déposition entière qui doit passer sous vos yeux. Nous la ferons suivre du nouvel interrogatoire que Mésonan a dû subir en présence du témoin.

Voici la déposition du général :

À la fin de mars 1840, je fus informé, par le préfet du Nord, qu'un sieur Lombard, ex-chirurgien aide-major, et compromis dans les événements de Strasbourg, était à Lille, qu'il y était en rapport avec quelques officiers de la garnison. Je ne nommerai pas ces officiers, ni les régiments auxquels ils appartiennent ; le Roi, informé par M. le ministre de la guerre et par moi de leur étourderie, les a couverts de son indulgence. Ces officiers avaient été désignés par moi au ministre de la guerre, le 29 mars 1840, comme plus étourdis que coupables ; j'avais été assez heureux pour prévenir, et je n'avais pas voulu me réserver le droit de punir.

Le 6 avril 1840, j'avais l'honneur de rendre compte à M. le ministre de la guerre que l'ex-commandant Parquin, un des principaux acteurs dans les événements de Strasbourg, était arrivé à Lille. Je lui disais : Ainsi Lombard n'est pas plus tôt parti que Parquin arrive. Je suis sans aucune inquiétude, quoi qu'il fasse ou qu'il tente ; toutefois, pour remplir mes devoirs, j'ai réuni MM. les officiers de la garnison de Lille, et bien que leur loyauté et leur dévouement me fussent connus, il était de mon devoir de leur signaler la présence de Parquin dans nos murs. Le commandant Parquin ne resta que 24 heures à Lille et partit. Il avait été au spectacle la veille ; je l'y vis. Il entra dans la loge occupée par un chef d'escadron de cuirassiers, le commandant Granger, qui aussitôt quitta sa loge et alla ailleurs.

Vers la même époque et au mois de février, autant que je me rappelle, le commandant Mésonan arriva à Lille. Il se présenta chez un ancien ami à lui, le chef d'escadron Cabour-Duhé attaché à l'état-major' de la division. Il fut aussi chez le colonel du 60e régiment à Lille, un de ses amis. Ce colonel lui dit : Je ne puis te donner à dîner parce que je dîne chez le général Magnan. Le connais-tu ! Va le voir, il t'invitera sans doute à dîner et nous nous trouverons ensemble. Le commandant Mésonan se présenta chez moi ; je l'avais connu à Brest, en 1829, aide-de-camp du lieutenant-général comte Bourke, inspecteur-général du régiment que je commandais alors. J'avais conservé une grande reconnaissance à M. le comte Bourke pour ses bontés pour moi et mon régiment comme inspecteur-général ; j'avais pour son aide-de-camp beaucoup de bienveillance. Je ne l'avais pas vu depuis 1829, j'étais heureux de le revoir ; je l'invitai à dîner, il accepta. Il dîna chez moi avec M. le lieutenant-général comte Corbineau, le vicomte de Saint-Aignan, préfet du Nord, le colonel du 60e de ligne et plusieurs officiers supérieurs de la garnison. Après le dîner, dans mon salon, et en présence de tout le monde, je demandai au commandant Mésonan ce qui l'amenait à Lille et où il allait ; il me répondit qu'il allait à Gand voir d'anciens amis qu'il y avait faits en 1809, il me demanda des renseignements sur quelques personnes de cette ville où j'avais eu mon quartier comme commandant de la division des Flandres, alors que j'étais en mission en Belgique. Je les lui donnai. Il me dit aussi qu'il irait à Bruxelles voir un ancien négociant, son compagnon de captivité en Angleterre. Je le présentai à M. le lieutenant-général commandant la division et au préfet. Les parties de whist s'organisèrent, et je ne parai plus à Mésonan, qui se retira avec toute la société.

Le lendemain Mésonan vint chez moi, il fut introduit dans mon cabinet par mon aide-de-camp ; il me parla de sa mise à la retraite au moment où, disait-il, on lui avait promis de l'avancement et le grade de lieutenant-colonel ; il me parla des services qu'il avait rendus à Paris en 1830, au moment de la révolution de Juillet, où il devint aide-de-camp du général Maurin, commandant la première division ; il m'entretint très-longuement de ses services à Lyon sous M. de lieutenant général Aymar, au moment où éclata le mouvement républicain dans cette ville. Je vis en lui un homme mécontent, mais il ne me parla nullement de sa liaison avec le prince Louis. Il me remit une petite brochure inséré e dans le temps dans le journal le Courrier de l'Europe, et qui était l'expression de son mécontentement et de ses plaintes. Je jetai la brochure sur mon bureau, et lui dis que j'avais lu tout cela dans les journaux, étant en Belgique ; j'ajoutai : Si vous voulez mon cher Mésonan, que je vous donne toute mon opinion sur cette affaire, je vous dirai que je vous ai blâmé en Belgique et que je vous blâme encore ; vous êtes garçon, vous n'avez pas de charges, pas d'enfants, vous avez un peu de fortune ; vous êtes trop heureux d'être à la retraite ; qu'auriez-vous gagné à être lieutenant-colonel ? cinquante ou soixante francs de pension de plus.

Mésonan me quitta ; il revint plusieurs fois à Lille, se présenta chez moi, ne me trouva pas, parce que j'étais en inspection trimestrielle. Cependant ces allées et ces venues me parurent suspectes ; je demandai au commandant Cabour ce que faisait sans cesse à Lille M. Mésonan ; le commandant Cabour me répondit que c'était pour une femme, et je le crus. Cependant, dans les derniers jours de juin, le commandant Mésonan revint encore à Lille, il vint de nouveau me voir, et, de nouveau, je l'invitai à dîner. Je lui en fixai le jour, dont je ne me souviens plus ; c'était, je crois, le 22 ou le 23 juillet. Pour le même jour j'avais invité M. le capitaine Gueurel, du 50e de ligne, qui était venu à Lille déposer dans une affaire du conseil de guerre. Ces deux messieurs, ma femme et moi, nous fûmes tous les quatre ensemble, après le dîner, nous promener sur l'Esplanade ; je les quittai, ainsi que ma femme, sur les huit heures, et pris congé du capitaine Gueurel et de M. Mésonan, qui partaient tous deux le lendemain. Sur l'Esplanade, en me quittant, Mésonan me donna un petit livre en me priant de le lire ; je crus que c'était encore l'affaire de sa polémique ; je le mis dans ma poche et je fus à la préfecture.

Le lendemain de ce dîner, Mésonan, que je croyais parti, entra dans mon cabinet après s'être fait annoncer comme de coutume par mon aide-de-camp ; je lui trouvai un air embarrassé ; je lui demandai comment il n'était pas parti ? Il me répondit qu'il avait une lettre à me remettre. — Et de qui ? — Lisez, mon général. Il me remit cette lettre, qui avait pour suscription : A M. le commandant Mésonan. Je la lui rendis en lui disant. Vous vous trompez, monsieur, elle est pour vous, et non pas pour moi. Il me répondit : Non, elle est pour vous. J'ouvris la lettre, et je lus les premières phrases, que je crois pouvoir me rappeler parfaitement : Mon cher commandant, il est important que vous voyiez de suite le général en question ; vous savez que c'est un homme d'exécution, et que j'ai noté comme devant être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100.000 frs. de ma part, et 300.000 frs. que je déposerai chez un banquier, à son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement. Je m'arrêtai, l'indignation me gagnant ; je tournai le feuillet et vis que la lettre était signée Napoléon-Louis. Je remis la lettre au commandant en lui disant que je croyais lui avoir inspiré assez d'estime pour qu'il n'osât pas me faire une pareille proposition ; que ma devise était : Fais ce que dois, advienne que pourra ; que jamais je n'avais trahi mes serments, même en 1815, n'ayant pas voulu servir la première restauration, étant devenu clerc de notaire de capitaine de la garde impériale et d'officier de la Légion-d'Honneur ; que mon culte pour la mémoire de l'Empereur ne me ferait jamais trahir mes serments ; que lui, Mésonan, était fou de se mettre du parti du neveu ; que c'était un parti ridicule et perdu.

J'ajoutai : Et quand je serais assez lâche, assez misérable pour accepter les 400.000 frs. du prince, je les lui volerais ; car, si demain je me présentais devant la garnison de Lille pour lui parler un autre langage que celui de la fidélité aux devoirs et aux serments, le dernier des caporaux me mettrait la main sur le collet et m'arrêterait, tant l'armée a le sentiment du devoir et de l'honneur. Je dis à Mésonan : Je devrais vous faire arrêter et envoyer votre lettre à Paris ; mais il est indigne de moi de dénoncer l'homme que j'ai reçu chez moi, que j'ai reçu à ma table ; je ne le ferai pas. Sauvez-vous, il en est temps encore ; conservez, en renonçant à ces projets, l'estime de vos camarades, et que l'armée ignore ce que vous avez voulu tenter. Mésonan voulut répliquer ; j'ouvris la porte de mon cabinet et le mis dehors en lui disant : Allez vous faire pendre ailleurs[5]. En le congédiant, je lui promis que s'il partait de Lille, s'il n'y revenait pas, je ne donnerais aucune suite à ses infâmes propositions. L'affaire m'était personnelle, je pouvais agir autrement que si un de mes subordonnés était venu me porter plainte en subornation contre Mésonan. Mésonan me dit qu'il partait le soir et qu'il ne reviendrait plus.

Après mon départ, je me rappelai le livre qu'il m'avait donné la veille ; je le demandai à mon domestique, car il était resté dans ma poche, et je vis que ce livre était intitulé : Lettres de Londres. Je fis venir le colonel Saint-Paer du 4e cuirassiers, à qui je le remis, avec invitation de s'assurer si, dans son régiment, on n'en avait pas répandu de pareils et le faire passer à MM. les colonels dans le même but. Cet ouvrage avait été répandu dès la veille, en effet, dans la caserne du 46e régiment de ligne. Le lieutenant-colonel Sallex, qui commandait ce régiment par intérim, vint m'en rendre compte ; je lui en demandai un rapport, que j'adressai, le 26 juin, au ministre de la guerre.

Le même jour, 26 juin, j'écrivis aux treize commandants de place sous mes ordres, pour les prévenir contre les embaucheurs bonapartistes.

Les premières communications que j'avais faites à M. le ministre de la guerre, sur les tentatives de Lombard et de Parquin, avaient paru de ma part ridicules et puériles, tant on attachait peu d'importance à ces menées. M. le colonel baron de Varennes, chef d'état-major de la division, arrivant de Paris, m'avait dit que j'avais paru trop préoccupé de folies.

Mon devoir exigeait plus encore : il importait que je visse mes troupes. Je pris le conseil de révision que j'avais donné à M. le colonel Paillon, et j'accompagnai M. le préfet du Nord. Je lui communiquai, en voyageant avec lui, tous les détails de mon entrevue avec Mésonan : le préfet me demanda l'autorisation d'en prévenir le ministre de l'intérieur. Ainsi le gouvernement fut averti, non par moi, îl est vrai, mais par le préfet du Nord, avec mon autorisation. A mon retour, mon aide-de-camp m'avertit que Mésonan était venu chez moi en mon absence, se plaignant de ce qu'il était surveillé. Je dis de suite à mon aide-de-camp tout ce qui s'était passé entre Mésonan et moi : mon indignation était grande ; je défendis à mon aide-de-camp, si Mésonan se présentait chez moi, de le laisser entrer. Je le consignai à mon planton et à mon domestique. Au même instant, j'appelai le commandant de la gendarmerie, je lui signalai Mésonan comme l'agent du prince Louis, et lui donnai l'ordre de le rechercher et de le faire arrêter. Je fus moi-même chez le procureur du roi, lui signaler Mésonan, et j'eus l'honneur d'écrire au ministre de la guerre le 5 juillet, c'est-à-dire le même jour. J'étais à peine rentré chez moi, et assis dans mon cabinet, que Mésonan, sans se faire connaître au planton, entra furtivement dans mon cabinet ; je me levai, marchai à lui et lui dis : Vous ne renverserez pas le gouvernement, mais vous perdrez la tête, ou plutôt vous l'avez déjà perdue. Vous êtes fou, sortez, partez, la gendarmerie vous cherche, sauvez-vous. D'ami que j'étais pour vous, je deviens votre ennemi ; vous voulez renverser le gouvernement que j'ai juré de défendre, séparons-nous. Il sortit, et je ne le revis plus.

 

Aussitôt après avoir reçu cette importante déclaration, M. chancelier se transporta à la Conciergerie. Il fit amener devant lui le prévenu Mésonan, et l'interrogea ainsi qu'il suit, en présence de M. le général Magnan :

Nous citons textuellement.

D. Connaissez-vous la personne ici présente ?

R. C'est M. le général Magnan.

Sur notre interpellation, le témoin déclare qu'il reconnaît le prévenu : C'est, dit-il, M. le commandant Mésonan.

D. Au prévenu : Vous allez entendre la lecture de la déclaration qui vient d'être faite par M. le général Magnan en ce qui vous concerne personnellement.

Cette lecture faite, nous demandons au prévenu : Qu'avez-vous à dire ?

R. Ceci n'est pas tout à fait exact. Je ne veux rien ôter au général du mérite qu'il a ou qu'il se donne. J'ai bien fait au général quelques confidences ; je lui ai parlé de mes projets de voyages ; le général m'a donné des conseils, il a montré de très-bons sentiments, cela est vrai, je ne veux rien dire contre, mais il n'est pas exact de dire qu'il m'ait jeté la porte. On me représente comme ayant voulu m'introduire chez le général malgré lui, comme ayant forcé sa consigne : tout cela n'est pas. En supposant que j'eusse dit quelque chose au général, je me serais acquitté d'une commission ; je n'ai cherché à exercer sur lui aucune influence ; je le laissai maître de ce qu'il voulait faire ou ne pas faire.

D. Vous ne vous êtes pas expliqué d'une manière suffisamment catégorique sur le fait le plus important, qui résulte de la déposition du général, sur cette lettre que vous lui auriez remise, et qui contenait l'offre d'une somme d'argent considérable, et qui disait, de plus, qu'il était noté pour être un jour maréchal de France.

R. Ce n'était pas à moi à faire de semblables propositions au général ; je n'avais pas qualité pour cela.

D. Vous ne répondez pas à ma question ; avez-vous remis ou non une lettre au témoin ?

R. Il est bien possible que j'aie fait lire une lettre au général, mais elle ne contenait rien de semblable à ce que vous venez de dire.

Au témoin.

D. Persistez-vous dans la déclaration que vous avez faite, et dont il vient d'être donné lecture au prévenu ?

R. Je persiste à dire que le commandant Mésonan m'a remis une lettre portant pour suscription : À. M. le commandant Mésonan, et contenant les phrases que j'ai citées dans ma déposition. J'ajouterai que le mot : mis à la porte, m'est échappé en dictant ma déclaration : ce mot est un peu dur ; je me suis servi d'une expression plus polie. Si ce mot a blessé le commandant, j'en suis fâché ; mais il est homme d'honneur ; il doit se souvenir que chez moi, je lui ai pris les mains, le suppliant avec les plus vives instances de renoncer à ses projets.

Le prévenu : Oui, cela est vrai.

Au prévenu :

D. Vous avez entendu que le général maintient sa déclaration relativement à la lettre que vous lui auriez remise, et qui contenait les propositions dont je vous ai parlé ?

R. Je ne me rappelle pas cela.

D. Je vous fais remarquer qu'il est impossible que vous ne vous rappeliez pas un fait de cette nature ; vôtre réponse équivaut à un aveu.

R. Demandez au prince si j'ai jamais eu une lettre semblable ; il ne m'appartenait pas de faire de telles propositions. J'aurais tout au plus été un intermédiaire dans cette affaire, en admettant que j'aie fait quelque chose.

D. Vous venez de dire que vous ne vous rappeliez pas le fait sur lequel je vous ai interpellé ; je vous ai fait remarquer que ce manque de mémoire était tout à fait invraisemblable ; avant cela, vous avez dit que vous aviez peut-être montré quelque lettre au témoin ; de quelle lettre entendez-vous parler ?

R. Je n'en sais rien : quelque lettre, peut-être, relative à ce qui me concernait, parce que je suis assez communicatif pour mes affaires.

D. Remarquez que vous êtes d'accord avec le général sur les confidences que vous lui auriez faites de vos projets, sur les sages conseils qu'il vous aurait donnés : et, à côté de cela, vous voudriez faire croire que le général aurait inventé le fait de la remise de cette lettre dont je vous ai parlé ?

R. J'ai dit au général que le prince avait des accointances avec des personnes haut placées dans le gouvernement, qui devaient l'avertir du moment où il faudrait qu'il vint en France. Le général a blâmé cela, disant que quand on servait un gouvernement, il fallait le faire avec honneur. Après cela, il est possible que j'aie montré au général des lettres du prince ; j'en avais, j'étais en correspondance avec lui, cela est certain ; mais je ne me souviens pas du fait. Je rends justice au général, mais je suis fâché qu'il me charge et qu'il veuille m'accabler.

Nous faisons retirer le témoin, et nous interpellons le prévenu ainsi qu'il suit :

D. Comment voulez-vous que j'ajoute foi à ce que vous dites quand je rapproche votre déclaration de ce que vous avez dit, dans un précédent interrogatoire, de la disposition d'esprit dans laquelle vous aviez trouvé le général, du mécontentement que vous prétendez qu'il aurait éprouvé de certaines promotions qui avaient été faites, de l'amertume avec laquelle il s'en serait exprimé devant vous et avec vous.

R. Il est bien vrai que le général m'a parlé avec amertume de quelques promotions qui avaient pu le blesser, mais je n'ai pas voulu dire qu'il ait partagé mes vues : je. suis bien loin de dire cela.

D. Je lis textuellement le passage de votre interrogatoire dont je vous parle : N'avez-vous pas montré à un général une lettre de Louis Bonaparte ?

R. Non, monsieur, j'ai causé longuement politique avec un général ; il m'a ouvert son cœur, qui était froissé par quelques promotions qui avaient eu lieu ; il s'est même exprimé à ce sujet avec beaucoup de chaleur. Je ne lui ai pas caché que j'allais en Angleterre et que j'y verrais le prince, mais je ne lui ai fait aucune ouverture de la part du prince.

R. C'est bien ce que j'ai dit.

Nous faisons rentrer le témoin, et, en sa présence, nous interpellons le prévenu ainsi qu'il suit :

D. Vous êtes convenu que vous aviez pu montrer au général une lettre du prince ; à qui espérez-vous faire croire que le général, au caractère duquel vous rendez hommage, ait imaginé un fait de cette gravité et jusqu'aux phrases mêmes qu'elle contenait ?

R. J'ai pu faire voir au général plusieurs lettres du prince, mais ces lettres ne contenaient rien de pareil aux offres dont vous me parlez.

Le témoin dit : Le commandant fait erreur ; il ne m'a pas fait voir plusieurs lettres du prince, comme il le dit ; mais une seule lettre : cette lettre est celle dont j'ai parlé, et qui contenait les phrases que j'ai citées. Loin de vouloir accabler le commandant, j'ai manqué à mon devoir, je me suis compromis pour lui en ne le faisant pas arrêter de suite ; mais il m'avait promis de ne jamais revenir à Lille. S'il avait tenu sa promesse, j'aurais tenu la mienne, et je n'aurais jamais parlé de cette lettre : c'est son retour à Lille qui a tout perdu.

Au prévenu : D. Vous venez d'entendre le témoin ; persistez-vous toujours à expliquer comme vous l'avez fait la présentation de cette lettre ?

R. Si le prince a fait des propositions au général il est possible que j'aie fait voir au général la lettre dans laquelle elles étaient contenues, mais je ne me rappelle pas : d'ailleurs, dans tout cela, je n'aurais été que le truchement du prince.

Pour terminer ce qui regarde cet incident, nous ajouterons ce que Louis Bonaparte en a dit dans son premier interrogatoire.

M. le chancelier lui demande si Mésonan n'a pas été porteur d'une lettre de lui qu'il pût montrer à quelques officiers-généraux ?

R. Je ne me souviens pas de cela.

D. Je vous fais observer que ne pas se souvenir, ce n'est pas nier ?

R. Je ne m'en souviens pas.

 

De telles menées ne pouvaient se pratiquer sans que le gouvernement en reçût quelques informations ; mais il n'avait pas lieu de s'en alarmer, et l'événement a suffisamment prouvé que, si rien ne peut empêcher qu'une tentative insensée vienne à se produire, ce n'est pas une raison pour se départir de la juste confiance qui est due à l'honneur et à la fidélité des dépositaires du pouvoir, dans tous les rangs où ils se trouvent placés.

Quels furent donc les étranges motifs, les causes extraordinaires qui précipitèrent ces fatales résolutions ?

L'instruction a inutilement cherché à percer ce mystère : rien n'a pu la mettre sur la voie. Louis Bonaparte a été interrogé, il s'est renfermé dans une réserve dont il ne s'est pas départi un seul moment. Ses complices ont adopté le même système. Le plus grand nombre d'entre eux s'étaient, s'il faut les en croire, résignés à une obéissance passive, et ne peuvent dès lors rien savoir.

Le champ est donc resté ouvert aux conjectures. Louis Bonaparte et ses complices ont-ils réellement pensé, sincèrement cru que leurs forces, bien peu considérables, puisqu'elles ne s'élevaient pas au-delà de 50 à 60 hommes, suffiraient, en y réunissent les partisans que les intrigues des trois dernières années leur auraient procurés pour vaincre toute résistance et les amener triomphants au sein de la capitale ? La couronne devait-elle être le prix d'une seule victoire ou d'une suite de combats plus ou moins disputés ? il faudra chercher à son départ précipité de Londres, à la résolution d'une attaque si étrangement combinée du territoire de la France, de motifs, une cause qui, jusqu'ici, n'ont pas été pénétrés.

Nous avons déjà fait remarquer, en parlant de la brochure de Laity, cette insoutenable opinion que l'acquittement des accusés de Strasbourg était une preuve de la sympathie de toute la population pour la cause napoléonienne. Louis Bonaparte pourrait bien avoir cette conviction : l'histoire ne nous apprend-elle pas que c'est la faiblesse de tous ceux qui ont joué le rôle de prétendants de se croire ardemment désirés par la nation au-devant de laquelle ils s'avancent, et qui, se disent-ils, n'attend que leur présence pour secouer le joug sous lequel ils la supposent opprimée ? À entendre les complices dont Louis Bonaparte était entouré, la France était couverte de mécontents, que le grand nom de l'Empereur aurait bientôt ralliés autour de celui qui en était le plus digne représentant. L'Empereur Napoléon, prisonnier à l'île d'Elbe, entouré de quelques braves seulement, qui servaient de cortège à sa vieille gloire, n'est-il pas venu à Paris sans tirer l'épée ? Et pourquoi celui qui portait son nom, qui se présentait comme l'héritier de ses droits, n'aurait-il pas le même bonheur ?

Avons-nous besoin, messieurs, de dire tout ce qu'une telle raison a d'étrange et d'insoutenable ?

Revenons à la marche des faits et plaçons-les soigneusement dans l'ordre où ils se sont produits.

Vers la fin de juillet, les conjurés étaient réunis à Londres ou aux environs. Ce fut à cette époque que se durent définitivement arrêter le plan, les moyens d'attaque, le lieu du débarquement et la conduite ultérieure. Entre quelles personnes une délibération si capitale a-t-elle dû s'établir ? A qui Louis Bonaparte s'est-il plus particulièrement confié ? Interrogé à ce sujet par M. le chancelier, il a persisté à déclarer qu'il n'avait fait de confidence positive à personne. Dans une occasion cependant, où il lui était impossible de nier qu'il ne se fût plus ou moins ouvert à quelques-uns de ses adhérents, voici comment il s'est exprimé : (Interrogatoire du 19 août.)

Je dois ajouter, parce qu'il ne faut pas compromettre des personnes innocentes, et de cela je vous donne ma parole d'honneur, que le colonel Vaudrey et M. Bacciochi, dont les noms figurent dans la procédure, avaient refusé de marcher avec moi.

 

Louis Bonaparte ne dit pas ici toute la vérité, et il en fournit lui-même la preuve, en ne plaçant sous la garantie de sa parole d'honneur que le colonel Vaudrey et le sieur Bacciochi. M. le chancelier lui en a fait l'observation, sans obtenir d'autre réponse que la confirmation de l'exception relative aux sieurs Vaudrey et Bacciochi. Tous ceux qui ont pris part à l'entreprise de Boulogne connaissaient sans doute ses intentions de renouveler un jour ses attaques sur la France, mais tous n'avaient pas été également informés à l'avance du moment de l'exécution : les domestiques, par exemple, il les faisait sans doute marcher sans avoir besoin de leur rien communiquer de ses desseins ; à d'autres, sur le dévouement desquels il croyait pouvoir compter, il lui suffisait de dire : Faites cela, et ils le faisaient, sans savoir jusqu'où cela pourrait les conduire — premier interrogatoire devant M. le chancelier —. Mais il avait certainement des amis qui, avancés plus que les autres dans sa confiance, n'ignoraient rien de ce qu'il méditait, et qui ont dû former son conseil intime.

On ne peut guère douter que depuis quelque temps l'idée ne fût arrêtée dans ce conseil, d'entrer en France par les départements du Nord, que certains des conjurés avaient depuis quelques mois exploré dans tous les sens. Des cartes très soignées de ces départements étaient en la possession de Louis Bonaparte, et on les a retrouvées parmi ses effets : il avait même tracé au crayon un plan où se trouvaient notées, avec les lieux d'étapes, les distances à parcourir entre les principales villes, puis, pour chacune d'elles, les régiments qui y tenaient garnison, le nombre d'hommes dont ils se composaient, et l'arme à laquelle ils appartenaient.

Le lieu du débarquement étant choisi, tout ce qu'il faudrait faire ensuite fut soigneusement prévu dans des ordres de service écrits de la main du colonel Voisin.

Des armes avaient été réunies. On avait fait confectionner en Angleterre des uniformes d'officiers-généraux, et on avait acheté en France des habits de soldats. Les boutons seuls manquaient : la fabrique de Londres en avait fourni sur lesquels était le ne 40. C'était le numéro d'un régiment qui tenait garnison dans le voisinage du port de débarquement.

Enfin, dans la supposition que la troupe attaquante prendrait possession de Boulogne, des lieux environnants, et presque de la France entière sans coup férir, tout avait été disposé pour organiser immédiatement les régiments, la population, la force armée, et le gouvernement lui-même. Des ordres en blanc, écrits à la main, désignaient ceux qui devaient être chargés de recevoir les objets indispensables à l'armée, tels que chevaux, selles, brides, etc. ; d'autres concernaient le commandement des troupes, d'autres leur recrutement, d'autres enfin des mesures de précaution.

Voici la copie de quelques-uns de ces écrits, que nous ferons précéder du plan de campagne, saisi, comme les autres pièces, dans le portefeuille du colonel Voisin :

Entrer dans le port de V..... à marée montante ; débarquer hommes et chevaux au moyen d'un pont volant, sur lequel on aura étendu des couvertures ; s'emparer des douaniers, débarquer les bagages, aller droit à Wimille prendre des voitures.

Donner le mot d'ordre et de ralliement B ... et N...

Arrêter tout ce que qu'on rencontrera en chemin, faisant accroire que, venant de Dunkerque pour une mission du gouvernement, on a été obligé de relâcher.

Marcher sur le château, ayant une avant-garde commandée par Laborde, Bataille, aide-de-camp ; Persigny, sergent-major, et six hommes, dont deux sapeurs et deux éclaireurs.

Parlementer avec le garde du château Choulem ; le château pris, y laisser deux hommes, dont l'un se tiendra en dedans et gardera les clés ; l'autre fera sentinelle en dehors.

Le capitaine D'Hunin commandera l'arrière-garde, composée de Conneau, sergent-major, et dix hommes. A son arrivée à la haute-ville, il prendra les dispositions suivantes :

1e Fermer la porte de Calais ;

2e S'établir militairement à la porte de l'Esplanade ;

3e Fermer la porte de Paris ;

4e Poser une sentinelle sur la place d'Armes, au point de repère des trois portes, pour être prévenu à temps de ce qui pourrait survenir.

Le corps principal s'emparera de l'hôtel-de-ville, où il y a 500 fusils, et chemin faisant, on enlèvera le poste de l'église Saint-Nicolas, où se trouvent dix hommes et un officier ; on se dirigera sur la caserne, et avant d'y pénétrer, des sentinelles seront placées sur toutes les issues pour en interdire les approches.

Ces diverses opérations seront faites dans le plus profond silence ; mais une fois la troupe enlevée, on viendra s'établir à l'hôtel-de-ville ; on fera sonner le tocsin, on répandra les proclamations, et on prendra les dispositions suivantes :

1e S'emparer de la poste aux chevaux,

2e S'emparer de la douane,

3e S'emparer du sous-préfet,

4e S'emparer des caisses publiques,

5e S'emparer du télégraphe.

La haute ville sera indiquée comme lieu de rassemblement.

MM. le colonel Laborde et le capitaine Desjardins s'occuperont chacun de la formation immédiate d'un bataillon de volontaires qu'ils rassembleront sur la place d'armes, devant l'Hôtel-de-Ville. A cet effet, ils nommeront des capitaines chargés de recruter chacun cent hommes. Ces capitaines nommeront leur sergent-major, et les volontaires choisiront leurs sous-officiers, ainsi qu'un sous-lieutenant et un lieutenant. Ces compagnies de volontaires auront un effectif de cent hommes, compris un sergent-major, quatre sergents, un fourrier et huit caporaux.

Aussitôt qu'une compagnie sera formée, on la conduira sur la place des Tintelleries et on la fera monter sur les voitures.

Fonctions diverses.

Le sous-intendant Galvani se procurera les voitures, ainsi que le pain, la viande cuite et l'eau-de-vie pour un jour.

Orsi saisira les caisses publiques, se faisant accompagner d'hommes du pays ; il s'emparera aussi du sous-préfet.

Le colonel Nebru réorganisera l'administration civile et militaire et la garde nationale.

M. Flandrin choisira huit hommes pour aller en chaise de poste détruire le télégraphe de Saint-Tricat.

Le colonel Montauban s'emparera du poste des douaniers et les rassemblera sur l'Esplanade. Il s'occupera de surveiller en-outre la réunion de trente chariots attelés de quatre chevaux et prendra de préférence les voitures de mareyeurs, qui peuvent contenir trente personnes. Ces voitures stationneront aux Tintelleries.

M. le colonel Vaudrey réunira tous les anciens canonniers ; il fera atteler une pièce ou deux, mettant, à défaut de cassions, ses munitions dans des voitures, ainsi que cinq bombes chargées pour servir de pétards. Il dirigera la distribution des armes et tout ce qui concerne le service de l'artillerie.

Le colonel Parquin réunira tous les chevaux de selle ; il en fera l'estimation, et les répartira entre les officiers de l'état-major et les volontaires à cheval. Il aura sous ses ordres M. Persigny.

Le capitaine de Querelles commandera le noyau de la compagnie des guides, qui sera porté à cinquante hommes.

Le lieutenant .... formera l'avant garde avec le 42e. Cette avant-garde sera commandée en chef par le capitaine Desjardins.

Le commandant Mésonan, chef d'état-major, enverra des courriers à Calais, Dunkerque, Montreuil, Hesdin, munis d'ordres et de proclamations.

 

A bord du City-Edimbourg, le 4 août 1850.

Monsieur,

Le prince Napoléon vous a désigné pour recevoir, évaluer et payer les chevaux de selle qui, conformément à sa proclamation, seront présentés sur . . .

Ces chevaux devront être sellés et équipés, propres au service ; et, après les avoir reçus, vous en ferez la répartition entre les officiers de l'état-major et les volontaires à cheval.

Vous aurez sous vos ordres M. ..........

 

Mon cher camarade,

Le prince Napoléon vous a désigné pour commander en chef l'artillerie ; il désire qu'aussitôt l'arrivée vous fassiez atteler une ou deux pièces avec des chevaux de poste ou autres ; à défaut de caissons on placerait sur des voitures qui seront parquées sur la place de la Tintellerie (ville haut) :

Les munitions pour l'artillerie ;

Quatre ou cinq bombes chargées, pour servir de pétards, et l'approvisionnement pour l'infanterie.

S. A. désire encore que tous les anciens canonniers qu'elle appelle à se présenter sur la place de l'Hôtel-de-Ville (ville haute) soient réunis en compagnie, et que vous leur donniez une organisation provisoire.

Vous voudrez bien aussi faire surveiller la distribution des armes, et prendre, pour tout ce qui serait relatif à votre service important, les ordres directs de Son Altesse.

Le quartier-général s'établira à l'Hôtel-de-Ville (ville haute).

Le château où sont déposées les armes et les munitions est situé ville haute.

Il existe encore un dépôt de 500 fusils à l'Hôtel-de-Ville. Au dos : Monsieur .... commandant l'artillerie.

 

A bord du City-Edimbourg, le 4 août 1840.

Monsieur le lieutenant-colonel Laborde,

Le prince Napoléon vous a désigné pour former et commander un bataillon de volontaires. Son intention est que vous organisiez en compagnies de cent hommes les volontaires qui se présenteront sur la place d'Armes devant l'Hôtel-de-ville de Boulogne (ville haut). Pour hâter autant que possible la formation de ces compagnies, vous nommerez de suite deux ou trois capitaines chargés de les former et de les commander ; ces capitaines choisiront leur sergent-major, et les volontaires nommeront par acclamation leurs sous-officiers, un lieutenant et un sous-lieutenant.

L'effectif, fixé à 100 hommes, comprendra :

1 sergent-major ;

4 sergents ;

8 caporaux.

Vous ferez dresser un contrôle nominatif ; et à côté de chaque nom on marquera si celui qui le porte a déjà servi.

Aussitôt qu'une compagnie sera formée, elle sera conduite au château pour y recevoir des armes, et on la fera de suite monter sur des voitures qu'on trouvera réunies sur la place des Tintilleries.

Son Altesse appelle votre attention sur la nécessité d'opérer fort vite, et vous recommande en-outre de maintenir la plus exacte discipline parmi ceux placés sous votre commandement, le moindre désordre pouvant compromettre le succès de notre belle cause.

MM. le colonel Montauban et le commandant Desjardins ont une mission semblable à la vôtre.

Nota. L'effectif général du bataillon est fixé à huit compagnies ; la composition de son état-major sera l'objet de décisions ultérieures prises sur vos propositions.

La colonne ne s'arrêtera que 4 heures à Boulogne. Je vous le dis pour vous fixer sur le temps dont vous aurez à disposer.

Pour le prince et par son ordre.

 

A bord du City-Edimbourg, le 4 août 1840.

Monsieur Orsi,

Le prince Napoléon vous a désigné pour remplir les missions suivantes :

1e Vous arrêterez le sous-préfet et le donnerez en garde à la troupe, réunie à la haute ville.

2e Vous saisirez les diverses caisses publiques, vous faisant accompagner, dans cette mission, d'hommes du pays qui vous seront indiqués.

Au moment de remplir votre mission vous demanderez au major-général la troupe nécessaire pour vous assister.

Vous agirez avec vigueur et célérité, et vous vous rendrez ensuite au quartier-général à la haute ville.

Pour le prince et par son ordre.

 

Les écrits que l'on vient de lire pourvoyaient aux premières nécessités de l'invasion. Dans la pensée, nous ne savons pas s'il ne faudrait pas dire dans la conviction des conjurés, toutes les populations allaient accourir au devant de leur chef. Les anciens soldats de l'empire viendraient reprendre du service ; les régiments actuels déposeraient leurs armes ; tout serait à réorganiser. Mais l'ordre une fois rétabli dans cet élan et cet enthousiasme universels, il fallait s'occuper de l'établissement définitif. Les conjurés, comme vous le voyez, n'oublient rien : des proclamations aux habitants du Pas-de-Calais, au peuple français et à l'armée, avaient été préparées d'avance à Londres, au domicile de Louis Bonaparte, pour annoncer et motiver cette grande révolution, qu'un arrêté et un décret du nouveau chef étaient destinés à régulariser.

Tous ces actes, que l'instruction a le devoir de vous faire connaître, devaient être répandus et distribués à Boulogne et dans l'intérieur de la France, aussitôt après le déparquement.

Les voici :

O R D R E  D U  J O U R.

Après avoir pris les ordres du prince Napoléon.

Le major-général a fixe la position de MM. les officiers dont les noms suivent :

MM. Vaudrey, colonel d'artillerie, premier aide-de-camp du prince.

Voisin, colonel de cavalerie, aide-major général.

Mésonan, commandant, chef d'état-major.

Parquin, colonel, commandant la cavalerie à l'avant-garde.

Laborde, lieutenant-colonel, commandant l'infanterie au centre.

Montauban, colonel, commandant les volontaires au centre.

Bacciochi, commandant à l'état-major.

Desjardins, chef de bataillon, à l'avant-garde.

Persigny, commandant les guides à cheval en tête de la colonne.

Conneau, chirurgien principal à l'état-major.

Bure, payeur-général à l'état-major.

Lombard, lieutenant, près le colonel Laborde.

Bataille, idem, à l'état-major.

Bachon, vaguemestre-général.

D'Almbert, idem, aux gardes à pied.

Ornano, idem, à la cavalerie, à l'arrière-garde.

Dunin, capitaine à l'état-major.

Querelles, commandant les guides à pied.

Orsi, lieutenant des volontaires à cheval.

Forestier, lieutenant aux guides à pied.

Galvani, sous-intendant militaire, vivres et convois.

Faure, idem, solde et hôpitaux.

MM. les officiers de toutes armes qui ne sont pas nommés dans le présent ordre sa tiendront près du prince, pour être employés selon l'urgence.

Le major-général, Signé : MONTHOLON.

Quartier-général de Boulogne, le ..... août 1840.

 

Nous supprimons ici les proclamations de Louis-Napoléon Bonaparte à l'Armée, aux habitants du département du Pas-de-Calais au peuple français et le décret de déchéance de la dynastie d'Orléans, que nous avons déjà reproduits et analysés. Vient ensuite un arrêté curieux que nous donnons dans son entier ainsi que la suite du rapport de M. Persil.

A R R Ê T É.

Le prince Napoléon, au nom du peuple français, arrêté ce qui suit :

M. .......... est nommé sous-préfet de la ville de Boulogne ; il présidera le conseil municipal, et réunira dans ses mains, jusqu'à nouvel ordre, les pouvoirs civil et militaires.

Les transactions commerciales ne seront point entravées.

Les étrangers jouiront de la plus grande protection.

Les propriétés seront respectées : l'ordre et la discipline seront rigoureusement maintenus. Tout ce qui sera acquis pour l'armée expéditionnaire sera payé argent comptant par le payeur général.

Ceux qui tenteraient de semer la division dans la ville ou dans les troupes seront jugés militairement.

Les gardes nationaux et autres citoyens qui, embrasés de l'amour de la patrie, désireraient faire partie de l'expédition comme volontaires, se présenteront sur-le-champ à l'Esplanade pour y être armés et organisés.

Chaque compagnie de volontaires nommera ses officiers, sous-officiers jusqu'au grade de capitaine inclusivement. La solde sera ainsi réglée :

Indemnité une fois payée, 5 fr.

Solde journalière, 1 fr. et une ration de pain.

Les différents grades recevront une augmentation de solde.

Les anciens canonniers des armées de terre et de mer se réuniront à l'hôtel-de-ville pour être organisés par le colonel d'artillerie Vaudrey.

Tous les chevaux de selle sont mis en réquisition ; leurs propriétaires les amèneront, sellés et bridés, sur la place des Tintelleries, à .......... précises, pour y être estimés et payés comptant par le lieutenant Bachon. Les cavaliers volontaires se présenteront au même endroit sous les ordres du colonel Parquin.

Cinquante chariots sont mis en réquisition pour le transport des troupes. Ils seront attelés de quatre chevaux et munis de foin, paille et avoine pour deux jours ; ces voitures seront payées à raison de 10 francs par cheval par jour ; et réunies de suite sur la place des Tintelleries.

Tous les douaniers se réuniront sur-le-champ à l'Hôtel-de-Ville.

Les gendarmes se réuniront aussi à l'Hôtel-de-Ville avec leurs chevaux, qui leur seront payés.

Signé Napoléon.

Par ordre du prince :

Le général Montholon, faisant fonctions de major-général ; le colonel Voisin, faisant fonctions d'aide-major-général, le comte Mésonan, chef d'état-major.

Boulogne, le .......... 1840[6].

 

Il ne restait plus qu'à s'embarquer et à faire voile vers la France ! Tout était prêt le 3 août dernier. Un bateau à vapeur, le Château d'Edinbourg, avait été loué à la compagnie commerciale de Londres, par l'intermédiaire d'un courtier nommé Rapallo, italien d'origine et naturalisé Anglais ; rien n'a donné lieu de croire que, ni la compagnie, ni le capitaine, ni l'équipage, eussent aucune connaissance de la coupable destination qui lui était réservée. Le capitaine, tous les hommes du bord, arrêtés au premier moment de l'insurrection et de l'attentat, ont donc été mis en liberté par la commission de douze membres instituée par votre arrêt du 18 août dernier.

Dès le 3, tous les bagages avaient été chargés sur le bateau. Deux voitures et neuf chevaux en faisaient partie. Les hommes qui devaient composer l'escorte du prince avaient été divisés par petits pelotons et embarqués en des lieux divers, afin de ne pas trop attirer l'attention. Les uns sont partis de Londres, les autres de Gravesend, où se trouva un pilote français, destiné à diriger le bâtiment lorsqu'il approcherait des côtes. Ce pilote a disparu. Les derniers embarqués furent pris à Margate ; c'est de là que l'expédition se dirigea sur Wimereux, à 7 kilomètres environ de Boulogne, le mercredi 3 août. Comme les conjurés ne voulaient par arriver de jour, le bateau louvoya très-longtemps ; des témoins ont déclaré l'avoir aperçu de Boulogne dès la veille.

Mais le temps ne fut pas perdu sur le bâtiment : on l'employa à faire apporter et revêtir les uniformes, chacun suivant son grade ; à distribuer les armes, à lire les proclamations, les ordonnances et arrêtés ; à distribuer de l'argent, car nous avons omis de ranger parmi les objets embarqués environ 400.000 fr. en billets de banque d'Angleterre, en or et en argent, appartenant à Louis-Bonaparte et provenant suivant sa déclaration, de la vente d'une partie des valeurs qu'il a recueillies dans l'héritage de sa mère[7]. Cet argent était sans doute destiné à satisfaire aux premiers besoins des conjurés ; mais il devait aussi être répandu à l'appui des proclamations. C'était un moyen d'entraînement qui se recommandait de lui-même.

Le matin du 6 août, vers les deux heures, le débarquement commença. La côte de Wimereux ne permettant pas au bateau d'approcher de terre, il fallut se servir du canot. Les hommes n'arrivaient que par escouades, et les premiers faillirent être victimes de leur empressement. Si un poste de douaniers, qui accourut, ne s'était pas laissé tromper par l'uniforme, le numéro des boutons et le récit d'un événement de mer qui forçait les conjurés à prendre terre, ils pouvaient' devenir prisonniers ; mais, après le débarquement de toute la troupe, ce furent les douaniers qui durent, à leur tour, céder à la force. On les amena avec le cortège, mais sans pouvoir les corrompre ; ils restèrent fidèles, malgré l'offre d'une pension de 1.200 francs que Louis Bonaparte fit faire à leur chef.

Cet accueil, qui n'était guère en rapport avec l'enthousiasme universel qu'attendaient les conjurés, fut suivi d'une déception encore plus sensible. Les intrigues liées et suivies en France dans les deux dernières années leur avaient persuadé qu'ils pourraient compter sur le zèle et l'activité d'un grand nombre de partisans. Plusieurs émissaires, entre autres les inculpés Forestier et Bataille, avaient pris les devants et apporté, dans les jours précédents, à Boulogne même, la nouvelle du débarquement. Ils étaient de leur personne sur la plage au moment où il s'opérait ; mais ils s'y trouvèrent à peu près seuls : ni soldats ni citoyens ne les avaient accompagnés. Tous les efforts de la conjuration n'avaient abouti qu'à séduire un jeune lieutenant du 42e, l'inculpé Aladenize, que l'exaltation de ses idées rendait facile à tromper. C'est trop, sans doute : on regrette que cette tache, unique à la vérité, ait pu être faite à la fidélité si bien éprouvée de l'armée. Mais la contagion n'était pas à craindre, et les conjurés, en ne trouvant sur le port de Wimereux, avec Forestier et Bataille, que le lieutenant Aladenize, ne purent se rassurer que par la confiance qu'ils avaient dans son influence sur les deux compagnies de son régiment en garnison à Boulogne. Vous allez voir combien, sur ce point, ils étaient encore dans l'erreur.

La troupe, conduite par Louis Bonaparte, se range autour du drapeau tricolore, surmonté d'une aigle, et rappelant par des inscriptions les grandes victoires de l'Empereur. C'était l'inculpé Lombard qui le portait. Elle se met en marche arrive sans nouvel incident dans la ville de Boulogne, rue d'Alton, où se trouvait un petit poste du 42e. Trompé par les épaulettes et les uniformes, ce poste avait pris les armes. Le commandant Parquin se détache et lui propose de suivre le mouvement. Son chef, le sergent Morange, lui répond sans hésiter qu'il ne marchera que sur un ordre du commandant de la place. Les conjurés passent outre. C'est à la caserne qu'ils croient triompher. Ils y arrivent à cinq heures du matin. Le lieutenant Aladenize les y avait précédés. Déjà il faisait battre le rappel. Les soldats prenaient les armes ; ils se mettaient en bataille, surpris par les cris de vive l'Empereur ! consternés par la nouvelle inattendue que Louis-, Philippe a cessé de régner A Paris ! leur crie-t-on, à Paris ! Des proclamations imprimées leur sont jetées, et l'argent est distribué à pleines mains ; le prince se fait reconnaître ; il prodigue les promesses, les avancements, les récompenses ; tous les sergents sont nommés capitaines, tous les soldats sont décorés.

 

Que faisaient cependant les officiers pendant que leurs soldats étaient livrés aux plus dangereuses suggestions ? Il n'y avait pas malheureusement de logement pour eux à la caserne, le lieutenant Ragon seul y demeurait. Aussitôt informé, et n'ayant pas assez de confiance dans son influence personnelle sur l'esprit des soldats, il avait couru au plus vite chez le capitaine Col-Puygellier. Le sous-lieutenant de Maussion venait de rencontrer les conjurés, et avait refusé de les suivre, malgré l'insistance du prince lui-même.

Il s'était rendu chez le capitaine ; celui-ci volait aussitôt vers la caserne. Un grenadier portant le numéro du 40e veut l'arrêter, il l'écarte en disant que ce n'est pas le 40e qui fait la police. Il arrive à quelques pas de la porte, obstruée plutôt que gardée par les nouveaux venus. Un homme portant l'uniforme et les insignes de chef de bataillon va droit à lui et s'écrie : Capitaine, le prince Louis est ici : soyez des nôtres, votre fortune est faite. Le capitaine lui répond en mettant le sabre à la main, et manifestant vivement par ses gestes et ses paroles la résolution d'arriver à sa troupe. Il est saisi de toutes parts : plusieurs personnes s'emparent de son bras armé ; il pousse et résiste de tous côtés pour se débarrasser des obstacles et arriver à ses soldats. Avant d'y parvenir, et tout en continuant ses valeureux efforts, il essaie d'éclairer les conjurés eux-mêmes. On vous trompe, disait-il, apprenez qu'on vous porte à trahir. Sa voix est étouffée par les cris de vive le prince Louis ! Où est-il donc, s'écrie-t-il à son tour. Alors se présente à lui un homme de petite taille, blond et paraissant avoir trente ans, couvert d'un chapeau, portant des épaulettes d'officier supérieur et un crachat. Il lui dit : Capitaine, me voilà, je suis le prince Louis ; soyez des nôtres et vous aurez tout ce que vous voudrez. Le capitaine l'interrompt : Prince Louis ou non, je ne vous connais pas ; je ne vois en vous qu'un conspirateur..... Qu'on évacue la caserne. Tout en s'exprimant ainsi, M. Col-Puygellier continuait ses efforts. Ne pouvant parvenir à ses soldats, il veut au moins essayer de se faire entendre : Eh bien assassinez-moi, ou je ferai mon devoir. Sa voix parvient alors à Aladenize, qui accourt, et, le couvrant de ses bras, s'écrie énergiquement : Ne tirez pas, respectez le capitaine, je réponds de ses jours. Cette action mérite d'être ici consignée ; elle fait regretter que ce jeune officier n'ait pas montré dans cette affaire autant de respect pour la religion du serment que d'humanité et d'attachement pour ses camarades.

 

Cette brûlante et vive altercation attire afin l'attention des deux compagnies de 42 e. Les sous-officiers accourent à la voix de leur chef ; ils l'aident à se dégager des mains des conjurés qui font un mouvement en arrière. M. le capitaine Puygellier, d'une voix forte, s'écrie : On vous trompe, vive le Roi ! Mais l'ennemi rentre à rangs serrés, Louis Bonaparte en tête. M. le capitaine Puygellier se porte vivement à sa rencontre, lui signifie de se retirer, ajoute qu'il va employer la force, et, pour toute réponse, lorsqu'il est retourné vers sa troupe, il entend la détonation d'un pistolet que Louis Bonaparte tenait à la main, et dont la balle va frapper un de ses grenadiers à la figure.

Soit que les conjurés aient été alors bien convaincus de la ferme résolution du capitaine d'employer la force dont il disposait, soit que le coup de pistolet attribué d'abord au hasard, à un accident, à un mouvement involontaire, plutôt qu'à la préméditation, eût changé leurs dispositions, ce coup de feu devint le signal de leur retraite de la caserne. Ils l'effectuèrent, sans être poursuivis, mais sans renoncer encore à leur projet. Après avoir échoué auprès de la garnison, ils osèrent compter sur la population dont ils croyaient si follement avoir toutes les sympathies. Les habitants de Boulogne ont fait raison de cette absurde illusion.

C'est vers la haute ville que marchent les conjurés, semant des proclamations et de l'argent, aux cris de vive l'Empereur ! Louis Bonaparte veut s'emparer du château et y prendre des armes pour les distribuer à la population. Le sous-préfet, prévenu à temps, marche à leur rencontre, et, au nom du Roi, leur intime l'ordre de se séparer. Lombard lui répond par un coup de l'aigle qui surmontait le drapeau. Ils continuent leur marche, un instant interrompue, vers la haute ville. Les portes en avaient été fermées par les ordres 'du sous-préfet et du commandant de place. Les conjurés essaient de les enfoncer. Deux haches sont inutilement dirigées contre cette clôture. Il faut renoncer à cette autre partie du plan, et il ne reste plus aux conjurés qu'à fuir, qu'à regagner leur embarcation ; mais, soit que, dans leur délire, ils gardent encore quelque espérance d'entraîner la population, soit que la confusion et le désespoir les égarent, soit qu'ils cherchent une mort que ce lieu aurait la puissance d'anoblir, ils marchent à la colonne élevée sur le rivage à la gloire de la Grande-Armée.

 

La distance est parcourue sans obstacle. Arrivés au pied de la colonne, les conjurés veulent constater leur prise de possession par la plantation du drapeau sur le sommet. Celui qui le porte, Lombard, pénètre dans l'intérieur et se met en devoir d'en gravir les degrés ; les autres font des dispositions pour se défendre contre la force publique, qu'ils voient arriver de toutes parts. En effet, le capitaine Col-Puygellier avait fait battre la générale, distribué des cartouches et mis sa troupe à la poursuite des rebelles. Le sous-préfet, le maire, les adjoints, le colonel et les principaux officiers de la garde nationale avaient rivalisé de zèle pour réunir les citoyens, qu'une ardeur égale avait rapidement amenés sous le drapeau de l'ordre public, de la liberté et des lois. Tous se disputaient le premier rang pour affronter les coups des conjurés.

Mais ceux-ci, à la vue de cet accord dans la défense entre la troupe, et la population, n'avaient pas tardé à se débander. Ils laissèrent Lombard dans la colonne, où deux citoyens de Boulogne le firent prisonnier, et ils s'enfuirent les uns vers le rivage, où ils essayèrent de gagner le bateau qui les avait portés : les autres vers la ville ou dans les campagnes.

Les premiers, parmi lesquels étaient Louis Bonaparte, le colonel Voisin, Faure, Mésonan, Persigny, d'Hunin, parvinrent à entrer dans un canot qu'ils s'efforcèrent de pousser au large. Ils ne voulurent pas s'arrêter sur l'ordre qui leur en fut donné : on tira sur eux quelques coups de fusil qui blessèrent le colonel Voisin et tuèrent le sieur Faure. Le mouvement qui s'opéra dans le canot le fit chavirer. D'Hunin se noya. Les autres se mirent en devoir de gagner à la nage le paquebot, mais le commandant du port, Follet, qui avait été dépêché pour les saisir, les ayant aperçus, les' retira de l'eau et les fit prisonniers. Presque tous ceux qui s'étaient sauvés dans les rues de la ville ou clans les campagnes éprouvèrent le même sort. Au total on arrêta cinquante-sept personnes, non compris le capitaine et l'équipage du bateau le Château-d'Edimbourg, qui depuis ont été mis en liberté, comme nous l'avons dit plus haut.

C'est ici le lieu de rendre publiquement et solennellement à toute la population de Boulogne-sur-Mer, à ses magistrats, à la garde nationale, à ses chefs, comme à ceux de sa garnison, la justice qui leur est due. Dans cette mémorable circonstance, personne n'a failli et personne n'a hésité dans l'accomplissement du devoir. Aucun n'a mesuré le danger, tous ont bravement payé de leur personne. Gloire et honneur à la fois à ces citoyens dévoués, dans les efforts desquels toute la France s'est reconnue ! Eclatante preuve de l'attachement du pays au gouvernement et à la dynastie de 1830 ! La France ne se laissera jamais imposer un gouvernement par la violence, la révolte et la trahison ; elle veut maintenir ce qu'elle a elle-même établi, et nul n'aura la puissance de la contraindre à se désavouer[8].

Il ne suffisait pas que l'exécution de l'attentat eût été empêchée, il fallait encore que ses auteurs fussent placés sous la main de la justice : le gouvernement a rempli ce devoir en les déférant à la Cour des Pairs, si bien placée pour reconnaître avec une pleine indépendance l'existence et la nature des faits qui leur sont imputés, pour en apprécier impartialement les conséquences et leur attribuer, dans une juste mesure, le degré de culpabilité qui en peut ressortir.

Nous allons maintenant, par une scrupuleuse analyse de l'instruction à laquelle nous nous sommes livrés, et qui a été conduite avec toute la célérité que comportait le soin religieux qui doit être apporté en de telles affaires : nous allons, dis-je, essayer, messieurs, de vous donner une idée exacte de la part que chacun des inculpés est présumé avoir prise à l'attentat dont vous devez connaître.

Mais, avant d'entrer dans ces détails, vos précédents nous imposent le devoir d'appeler l'attention de la Cour sur sa compétence. Il serait inutile d'exposer, même brièvement, toutes les charges de l'instruction, si vous deviez plus tard vous dessaisir.

Les principes vous sont familiers. Ils sont écrits dans la Charte et dans les nombreux arrêts déjà rendus par la Cour.

L'article 28 de la Charte porte : que la Chambre des Pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'Etat qui seront définis par la loi.

Ainsi donc, tant qu'une loi spéciale n'aura pas défini les crimes de trahison et les attentats à la sûreté de l'Etat, ils rentreront tous, d'une manière générale, dans les attributions de la Chambre des Pairs, dont la compétence n'aura de limite que dans la prudence du gouvernement qui la saisit, et, en définitive, dans l'appréciation que la Cour en fait toujours elle-même. A cet égard, vos précédents ont posé des principes, ont fondé une jurisprudence qui offrent à l'Etat et aux citoyens les garanties les plus rassurantes.

Dans l'esprit de la Charte, la haute juridiction de la Chambre des Pairs est constituée pour opposer une digue aux graves commotions qui peuvent naître de certains attentats dont les dangers s'accroissent par la combinaison et la nature des faits qui les constituent, du nombre de ces faits, des lieux où ils se sont passés, du but que leurs auteurs se sont proposé, et enfin des personnes qui y ont pris part, de la position et du rang que ces personnes tiennent dans l'Etat. Quand toutes ces circonstances manquent, il n'y a pas de raison pour enlever à l'autorité judiciaire ordinaire une action à laquelle elle suffit parfaitement.

Mais quand, au contraire, elles se rencontrent plus ou moins complètement, et surtout quand elles viennent toutes à se réunir ; il y a évidemment lieu de recourir au pouvoir qui a été institué en vue de situations parfaitement analogues à celles qui se produisent. Ne pensez-vous pas, messieurs, que tel est le cas qui résulte du compte que nous venons de vous rendre ?

La gravité des faits, leur nombre, leur longue préméditation, la persévérance de ceux qui les ont préparés et accomplis, le but qu'ils se proposaient, le nom dont ils se sont couverts, la situation de quelques unes des personnes que l'instruction a mises en état de prévention, le rang militaire qui a appartenu, qui même, pour certains d'entre eux, appartenait encore, au moment de l'attentat, à plusieurs de ceux qui y auraient participé, les prétentions de leur chef qu'il n'a jamais désavouées, même après la sévère leçon qu'il venait de recevoir, tout nous semble concourir à exiger votre haute intervention, et nous serions tenté de dire qu'il faudrait rayer de la Charte l'article 28, dont la sage prévoyance est cependant incontestable, si vous ne deviez pas retenir, pour les juger, les faits consommés à Boulogne dans la journée du 6 août dernier.

Il nous reste maintenant à retracer les preuves du crime et les charges qui pèsent sur chacun des inculpés. Cette tâche ne peut être ni longue ni difficile après les détails dans lesquels nous sommes déjà entré.

C'est au moment même de la consommation du crime que ses auteurs ont été arrêtés. Ils ont été surpris les armes à la main, provoquant les troupes à la trahison et à la défection par la corruption et la violence, par la séduction d'un grand nom, par des promesses, des distributions d'argent. Des proclamations invitaient la population elle-même à la révolte en même temps que des décrets et des arrêtés prononçaient la, déchéance de la famille royale. Détruisant d'une main le pouvoir légitime, de l'autre les conjurés, organisaient l'usurpation. A ce double fait joignez les aveux constants, uniformes, persévérants de plusieurs, d'entre eux, la manifestation précise de leurs intentions, de leurs regrets d'avoir échoué par suite de l'attitude ferme et décidée de la population, de l'armée et de l'administration ; et vous aurez la réunion de toutes les preuves exigées pour rétablissement d'un fait.

Le crime est donc constant. Vous avez sous les yeux ce que l'on a coutume d'appeler le corps du délit. Nous n'avons maintenant qu'à chercher la part que chacune des personnes y aura prise. Cette analyse des charges individuelles complétera le travail auquel nous avons dû nous livrer.

 

I.

CHARLES-LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Charles-Louis-Napoléon Bonaparte est le créateur et l'âme de l'attentat. C'est lui qui devait principalement en profiter, puisque, après avoir renversé le pouvoir royal, il devait naturellement se mettre à sa place. Un désintéressement sincère, une véritable grandeur d'âme auraient motivé, suivant lui, son agression patriotique. Touché des souffrances du peuple, il se serait dévoué pour le soustraire à la tyrannie d'un gouvernement qui corrompait sa gloire et sacrifiait ses intérêts matériels à des mesquines préoccupations. Après le succès, il aurait laissé à la nation le choix de sou gouvernement ! . . . (Voir les proclamations distribuées à Boulogne.)

N'est-il pas permis de croire que cette prétendue modération, ce feint respect pour le vœu populaire n'étaient qu'un adroit moyen de couvrir ses folles prétentions ? N'en donne-t-il pas lui-même la preuve en se présentant au nom du peuple français, et eu déclarant, au même nom, que. la dynastie de Bourbons d'Orléans avait cessé de régner, que la Chambre des Pairs et la Chambre des Députés étaient dissoutes ? Cette usurpation n'en annonçait-elle pas d'autres ? Après avoir renversé, ne se serait-il pas cru en droit de réédifier ? Ce droit, ne se l'attribue-t-il pas dans les actes qu'il a qualifiés de décrets ? Ne résulte-t-il pas de ses prétentions à l'héritage impérial ? à quel titre se serait-il fait saluer du cri de vive l'Empereur !

 

Dans un interrogatoire devant M. le chancelier, il fait remonter à dix-huit mois l'époque où il aurait, dit-il, recommencé à s'occuper de ses anciens projets. L'instruction montre que, dès son retour des Etats-Unis et a son arrivée à Londres, il annonçait et préparait, par les brochures publiées sous les noms de Persigny et de Laity de nouvelles attaques. Mésonan, qui ne peut être soupçonné de vouloir aggraver les faits à sa charge, déclare un fait qui montre que, dès le mois de février 1838. Louis Bonaparte avait cherché à s'emparer de lui, à exploiter son mécontentement ; que c'est dans le cours de février 1838 que le prince Louis Bonaparte l'a provoqué à se joindre à lui.

Louis Bonaparte n'a pas plus cherché, au reste, à dissimuler ses intentions que les faits par lesquels il les a manifestées.

Invité par M. chancelier de déclarer s'il avouait l'intention si clairement exprimée dans les proclamations, décrets et arrêtés distribués par lui à Boulogne de renverser le gouvernement établi en France par la Charte de 1830, il a répondu : Oui certainement.

 

Ses actes ont été en harmonie parfaite avec cette intention. C'est lui qui a fait louer le bateau à vapeur sur lequel il a placé ses amis, ses gens et ses équipages. Il s'était procuré précédemment des uniformes et des armes. C'est lui qui fournissait à toutes les dépenses, et qui, pour l'exécution de ses projets, s'était muni d'une somme de quatre cent mille francs environ en or ou en billets, Après le débarquement à Wimereux, on le voit se mettre à la tête de sa troupe et marcher sur Boulogne, offrant une pension de 1.2000 frs., au chef des douaniers, s'il voulait le suivre. Arrivé à la caserne de Boulogne, il sème à pleines mains les proclamations et l'argent, se flattant de gagner ainsi à sa cause les populations surprises ; il s'adresse à la troupe par toutes sortes de suggestions et d'embauchage. Au sous-lieutenant de Maussion, qu'il rencontre dans la rue, il dit, en lui prenant la main : J'espère que vous serez des nôtres ; je viens ici pour rendre à la France humiliée depuis dix ans le rang qui lui convient. Et au capitaine Col-Puygellier : Soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez.

Vous savez comment furent accueillies ces propositions, et comment de son côté Louis Bonaparte répondit au noble langage du capitaine Col-Puygellier. Expulsé de la caserne une première fois, et revenant plus vivement à la charge sur cet officier, il répondit à l'honorable et courageuse résistance de celui-ci par un coup de pistolet, qui alla blesser un grenadier placé derrière ou à côté de lui ; joignant ainsi un crime contre les personnes à un crime contre la paix publique et contre l'existence du gouvernement.

L'échec reçu à la caserne, qui aurait dû enfin ouvrir les yeux des conjurés, et qui en effet les amena, s'il faut croire la plupart d'entre eux, à conseiller à leur chef de regagner son embarcation, ne fit qu'enflammer de nouveau l'ardeur de celui-ci. Perdant le secours de la force armée, il veut s'adresser à la population ; il' faut l'armer, et c'est à la ville haute qu'il croit en trouver les moyens.

Là comme à la caserne, comme ensuite à la colonne, ses efforts sont impuissants, il est obligé de fuir ; la mer est sa dernière ressource, et c'est des flots, qui menacent sa vie, qu'il passe prisonnier au château de Boulogne.

Nous n'ayons rien à dire pour faire ressortir la gravité des charges qui pèsent sur le principal inculpé. Nous voudrions pouvoir mettre en regard de ces faits quelques circonstances qui les atténueraient au moins en partie. mais il ne nous en a indiqué aucunes, et, lorsque M. le chancelier lui demande comment il n'avait pas compris, après la tentative de Strasbourg, que l'honneur lui défendait de rien entreprendre contre le gouvernement qui avait usé envers lui de tant de clémence, il s'est contenté de dire qu'il répondrait devant la Chambre des Pairs. Louis Bonaparte ne s'est écarté de cette réserve que pour détruire l'impression fâcheuse qu'aurait pu laisser dans les esprits un fait grave, que l'instruction met à sa charge, celui du coup de pistolet dirigé contre le capitaine Col-Puygellier, si l'on supposait qu'il l'eût tiré à dessein : Comme tout dépendait, a-t-il dit dans un de ses interrogatoires, de la tentative faite sur les deux compagnies, voyant mon entreprise échouer, je fus pris d'une sorte de désespoir ; et comme je ne cacherai rien, je pris un pistolet, dans l'intention de me défaire du capitaine, et le coup partit et atteignit un grenadier, à ce que j'ai appris plus tard.

Pour les autres accusés nous ne citerons pas textuellement M. le rapporteur, qui reproduit une grande partie des faits et des détails que nous avons déjà donnés, nous nous attacherons à présenter chacun des complices de Louis Bonaparte, sous des aspects plus nouveaux en citant pour quelques uns d'entre eux des faits qui ont été révélés depuis et qui donnent le véritable cachet de leur physionomie.

2e Le général comte Charles-Tristan de Montholon, habitait alors Londres depuis quelque mois. Après son retour de Sainte-Hélène où il avait accompagné l'Empereur et partagé sa captivité, le général Montholon avait perdu dans des spéculations ruineuses environ deux millions de francs et avait contracté des dettes se montant à la même somme, il avait été déclaré en faillite et réduit à un tel état d'indigence qu'il s'était vu obligé de vendre les objets précieux que lui avait donné l'Empereur Napoléon à Sainte-Hélène, tels que la fameuse capote et le célèbre chapeau, que portait Napoléon à Waterloo, le nécessaire donné au premier Consul par le prince régent d'Angleterre depuis Georges IV, plusieurs montres et des bijoux, etc.[9]. Il parait qu'à cette époque Louis-Napoléon Bonaparte, qui disposait pourtant de sommes considérables, ainsi que le prouve la saisie opérée à bord du paquebot. La ville d'Edimbourg, ne tenait pas beaucoup aux reliques de la défroque impériale puisqu'il les laissait mettre en vente et qu'il ne venait pas toujours en aide à ses partisans, puisqu'il laissait dans l'indigence un homme qui lui était aussi dévoué que le comte de Montholon, un ancien serviteur de son oncle qui avait suivi ce dernier jusqu'à Sainte-Hélène.

Le général Montholon, adopte le même système de défense que presque tous les accusés, il prétend, ainsi qu'eux, ne rien avoir su de l'entreprise avant d'être en mer et avoir suivi le prince par dévouement à sa personne et à sa cause ; il se plaint même en termes assez amers que le prince a mis beaucoup de soin à lui cacher ses projets.

Le prince, ajoute-t-il encore, cherchait toute espèce de moyens de rentrer en France à mains armées et de reprendre la couronne. Je m'efforçais de le détourner de ses projets, et c'est parce qu'il savait que mon opinion était contraire qu'il s'est caché de moi au dernier moment et non seulement de moi, mais encore de son oncle[10]. Il nous a trompés l'un et l'autre. Je suis convaincu que si le comte de Survilliers n'avait pas eu son accident et s'il était resté à Londres, le prince Louis n'eut pas débarqué en France. Il faut même que le dimanche ou le lundi, le prince eut reçu de France quelques nouvelles qui l'aient décidé car je me refuse à croire qu'il m'ait trompé à ce point, j'ajoute que le prince avait toujours dit au comte de Survilliers que ses droits à lui ne pouvaient jamais venir qu'après ceux de son oncle Joseph et qu'après ceux de son père, l'ancien roi de Hollande.

Le prince nous a tout caché, bien que cela puisse paraître invraisemblable, cela est pourtant ainsi. Je n'ai consenti à revêtir mon uniforme que pour sauver le prince, si cela était possible, et pour arrêter l'effusion du sang..... En le sauvant je croyais rendre service à mon pays ; je n'avais pas oublié la mort du duc d'Enghien, dont le sang n'a été effacé ni par les victoires, ni par la gloire de l'Empire. Je crois que c'est à mes conseils qu'il a cédé en se retirant[11].

 

Ce bon Monsieur de Montholon qui s'est ainsi qu'il le certainement, dit sacrifié pour sauver le prince et pour arrêter l'effusion du sang, qui n'avait pas encore coulé, a sans le vouloir rendu un bien mauvais service à son pays, car si le héros de Boulogne avait été tué alors, nous n'aurions pas eu les massacres de décembre 1851, les hécatombes de Sébastopol, de Chine, du Mexique ni même les journées de Juin 1848, qui ont été commencées par les Bonapartistes lesquels y ont pris une part active jusqu'au dernier moment, ainsi que nous le montrerons plus tard, quand nous serons arrivé à l'histoire de la Révolution de 1848, qu'il nous suffise de citer ici une ou deux preuves de notre assertion. Du premier au vingt-deux Juin 1848, il parut seize journaux bonapartistes ; Lahr et Luc, insurgés de Juin et assassins du général Bréa qui ont été exécutés étaient des Bonapartistes, ainsi que la chose a été prouvée par les débats de leur procès, on a trouvé au domicile du second une lettre qu'il adressait à Louis-Napoléon Bonaparte. M. Nadaud, représentant du peuple, a raconté a M. Louis Blanc, que Lahr lui a proposé deux ou trois jours avant l'insurrection de juin de boire à la santé de Louis Bonaparte, car il était temps, disait-il encore ; de se mettre à la besogne[12].

Mais une preuve incontestable de la participation de Louis-Napoléon Bonaparte aux journées de Juin 1848 est la lettre suivante écrite et signée de lui qu'il avait adressée au général Rapatel.

Le 22 Juin 1848.

Général, je connais vos sentiments pour ma famille. Si les événements qui se préparent tournent dans un sens qui lui soit favorable, vous êtes ministre de la guerre.

Signé : Napoléon-Louis Bonaparte.

 

Cette lettre a été remise par le général Rapatel lui-même, pendant que l'on se battait dans les rues de Paris, au colonel Charras, qu'il prit pour le général Cavaignac Elle fut d'abord tenue secrète afin de ne pas grandir l'importance de Louis Bonaparte, et déposée ensuite dans les dossiers de l'enquête sur les événements de juin. Depuis elle a été distraite par M. Baroche, procureur général ; aujourd'hui ministre, à la fortune politique duquel elle a puissamment contribué, ce dernier l'a remise à Louis-Napoléon Bonaparte qui l'a anéantie ; mais plusieurs personnes, occupant alors de hautes positions officielles, telles que les généraux Rapatel, Cavaignac, Bedeau, Lamoricière, le colonel Charras, MM. Bastide et Hetzel, ont certifié sur l'honneur l'avoir lue et tenue entre leurs mains, de sorte qu'elle n'en est pas moins acquise à l'histoire malgré la soustraction frauduleuse qui en a été opérée.

Ainsi, comme nous venons de le prouver Louis Bonaparte avait contribué puissamment à l'insurrection de juin, et cherché à se frayer le chemin de trône dans le sang du peuple et en marchant sur les cadavres des Français, et son existence loin d'avoir été utile à notre patrie lui a au contraire déjà coûté un nombre considérable de ses enfants, occasionné des massacres, épouvantables et fait verser des flots de sang.

Quand au parallèle que M. de Montholon cherche à établir entre Louis Bonaparte et le duc d'Enghien il est de la plus grande fausseté.

D'abord Louis-Philippe n'a jamais eu l'idée de commettre un acte aussi criminel que celui de l'assassinat du prince de Condé qui flétrira éternellement la mémoire de Napoléon Ier et le qui place au premier rang des plus grands coupables. Et, si Louis-Philippe eut fait fusiller Louis-Napoléon dans les fossés de la citadelle de Strasbourg en 1836, ou sur la plage de Boulogne en 1840, en lui appliquant les lois de la guerre, il aurait pu avoir, jusqu'à un certain point, une apparence de justice, car Louis Bonaparte et tous les conspirateurs de Strasbourg et de Boulogne, avaient fomenté une insurrection militaire, ils s'étaient costumés en soldats, armés de sabres, d'épées et de fusils de militaires, une partie d'entre eux appartenaient à l'armée active et presque tous les autres étaient d'anciens soldats, il était donc tout naturel qu'ils fussent jugés par des conseils de guerre comme des militaires, et certainement que si le gouvernement eut voulu forcer l'interprétation de la loi il aurait pu le faire et, dans ce cas, il est très probable que les principaux accusés eussent été condamnés à mort et il est indubitable, que comme récidiviste, MM. Louis Bonaparte, Persigny, Parquin, Lombard et de Querelles eussent été fusillés. En ne le faisant pas juger militairement la monarchie constitutionnelle a été plus qu'indulgente en vers eux. M. Louis-Napoléon Bonaparte n'a pas craint en 1851, de faire juger et condamner par les conseils de guerre les défenseurs de la Constitution, et il les a fait guillotiner comme de misérables assassins ; comme son oncle il n'a jamais reculé devant la crainte de verser le sang innocent quand il s'est agit do son intérêt.

Il n'a fait en cela qu'imiter son modèle Napoléon Ier, qui faisait arrêter le duc d'Enghien sur le territoire étranger, et fusiller sans preuve aucune, après une comparution sommaire devant une commission militaire nommée ad hoc, avec le mandat impératif de le mettre à mort. Il a ainsi commis, comme nous l'avons observé, un crime énorme, dont sa mémoire ne se dessouillera jamais.

Nous l'avons déjà dit plusieurs fois, les Bonapartistes ont perdu le sens moral dans la pratique de leurs doctrines perverses et M. Montholon vient d'en fournir une preuve de plus.

3e M. Voisin (Jean Baptiste), colonel de cavalerie en retraite remplissant les fonctions d'aide major au près des général de Montholon.

4e M. Mésonan (Le Buff de), Séverin-Louis, commandant en retraite, remplissant, au près de Louis Bonaparte, le grade de chef d'Etat-major. Etait un des agents les plus actifs de la conspiration, c'est lui qui ainsi que nous l'avons déjà raconté s'était chargé de séduire le général Magnan.

Comme la plupart des conjurés, c'était par mécontentement et par ambition froissée, qu'il se jeta dans la conjuration, et Louis-Napoléon, très habile dans l'art d'exploiter les mauvaises passions, et de recruter des partisans l'avait facilement entraîné ainsi que le prouve la déclaration suivante, extraite de son interrogatoire du 29 août : Je suis en en relation avec Louis Bonaparte depuis deux ans et demi environ, dit-il : À cette époque je fus mis en retraite. Froissé dans mes intérêts, j'écrivis au ministre de la guerre, qui m'avait mis à la retraite d'office, des lettres assez sévères, qui furent insérées dans le Courrier-Français et dans d'autres journaux. Le prince m'écrivit à ce sujet d'Arenenberg, au mois de février 1838, autant que je puisse croire, pour me complimenter. Je ne le connaissais pas avant ce temps là, et je ne l'avais jamais vu. Je ne l'ai vu que plus tard lorsqu'il était en Angleterre, il y a environ un an ou quinze mois.

5e M. Parquin (Denis Charles) ancien chef d'escadron de la garde municipale, que nous avons déjà vu jouer un des rôles principaux dans la conspiration de Strasbourg, avait à Boulogne le grade de colonel, commandant la cavalerie à l'avant garde.

6e Bouffet de Montauban (Hippolyte François-Athale-Sébastien), âgé de 47 ans, se disant général des volontaires parisiens de 1830 à 1831, né à Verneuil (Eure) demeurant à Londres, nommé par Louis Bonaparte commandant des volontaires du centre.

Ce célèbre guerrier, ne s'est en rien distingué dans la fameuse expédition de Boulogne, il a, alors au contraire comme toujours, brillé par sa nullité complète, et assisté aux exploits des insurgés en véritable amateur ; quand on l'interroge devant la Cour des Pairs, il répond : qu'il croyait faire avec le prince une partie de plaisir, qu'il ignorait absolument ses projets. Il raconte ensuite l'entrée de la bande bonapartiste à Boulogne, la scène de la caserne, et comment il a été arrêté vers la coteau moment où il cherchait à se rembarquer. Quand à son rôle personnel il se réduit à une simple promenade en uniforme.

Cependant il paraît qu'il n'en est pas moins un héros d'un rare mérite et d'une grande valeur, puisque son maître, depuis qu'il est arrivé au pouvoir, l'a chargé du commandement de l'expédition de Chine, et que c'est lui qui a eu la gloire impérissable de piller le palais d'été de l'Empereur du céleste empire. Aussi pour le récompenser de ce nouvel exploit et surtout de sa participation à l'attentat de Boulogne, S. M. l'Empereur Napoléon III, l'a fait duc de Palikao, et comme la France ne saurait jamais payer assez cher les dévouements à la précieuse et disgracieuse personne de S. M. Cette dernière voulait faire voter, au Corps-législatif, une dotation au nouveau duc, mais ce grand-corps de l'Etat, malgré son abaissement, a cependant, cette fois là, par exception, eut le courage de s'opposer aux ordres du maître. La dotation n'a pas été votée. Mais le souverain qui n'a pas voulu en avoir le dernier mot, la lui paie sur sa cassette particulière ; et il a saisi cette occasion pour se moquer de la France, en lui disant d'une manière plus qu'impolie, dans une lettre adressée par lui au cher Palikao : que les nations dégénérées marchandent seules les récompenses pour les services qu'on leur rend. On ne peut pas adresser ce reproche aux prétendants à l'Empire qui récompensent largement les services qu'on leur rend avec l'argent des contribuables, sous ce rapport, ils ne sont pas dégénérés. C'est une justice que nous nous plaisons à leur rendre.

7e Laborde (Etienne) né à Carcassonne (Aude), lieutenant-colonel en retraite. Comme les accusés précédents il prétend ne pas avoir été initié au complot avant son départ de Londres, il croyait faire un voyage de santé en Belgique ; c'est aussi dans d'excellentes intentions qu'il a débarqué et cherché à exciter les soldats à la révolte et à pousser les citoyens à la guerre civile ; il voulait éviter une collision et l'effusion du sang. Quels bonnes gens, quels conspirateurs vertueux, craintifs, innocents que ces Bonapartistes quand ils sont prisonniers et accusés, quel dommage qu'ils ne soient pas les mêmes au pouvoir, et qu'alors ils ne craignent plus de verser le sang à flot. C'est extraordinaire comme la puissance et la fortune corrompent les meilleures natures.

8e Lombard (Jules-Barthelemy), ex-chirurgien de l'hôpital militaire de Strasbourg se, disant officier d'ordonnance du prince Napoléon, qui a déjà été impliqué, comme nous l'avons vu, dans l'affaire de Strasbourg.

Contrairement au système de défense de presque tous ses collègues il a avoué avoir eu connaissance à l'avance de l'expédition.

Ce héros terrible, portait le drapeau et l'aigle appelés à Boulogne, comme à Strasbourg, à opérer des prodiges d'enthousiasme sur les soldats, il en donna un grand-coup au sous-préfet, qui lui disait de se rendre ainsi qu'à ses collègues.

Il fait devant la cour étalage d'une grande générosité, il prétend avoir fait grâce de la vie au capitaine Col-Puygellier.

Et suivant lui, et d'après une de ces idées ingénieuses et subtiles qui n'appartiennent qu'aux Bonapartistes, c'est au coup de pistolet de Louis Bonaparte que l'on doit qu'il n'y a pas eu de sang répandu.

Qui aurait jamais soupçonné cela : le prince Louis, cherche à assassiner un capitaine en lui tirant par derrière, lâchement, traîtreusement, un coup de pistolet, il le manque, et fracasse la mâchoire d'un malheureux grenadier, et cet acte de couardise cruelle est représenté comme ayant été une chose heureuse, providentielle, — il parait que le prince a toujours été une Providence —, qui a évité l'effusion du sang, tandis qu'au contraire il l'a fait couler. De pareilles prétentions ne sont-elles pas aussi- absurdes que ridicules.

9e. M. Conneau (Henry) docteur en médecine attaché au service du prince Louis-Napoléon, fut secrétaire du père de Louis-Napoléon Bonaparte, médecin, puis amant de l'ex-reine Hortense, il avoue avoir participé au complot, en avoir été informé d'avance et avoir fait la composition typographique et le tirage des proclamations de Louis Bonaparte. Ses nobles sentiments sont à la hauteur de ceux de tous les conjurés et de leur chef.

Quand on lui demande quels étaient les motifs qui l'ont poussé dans la conjuration il répond :

Ma position, et un devoir encore plus saint, la reconnaissance que m'inspirent les bontés dont ma comblé la mère du prince, la reine Hortense. C'est faveurs galantes qu'il aurait du dire pour être exact.

Heureuse influence que celle qu'exerce une femme aimable après sa mort, qui fait transformer en un saint devoir, la reconnaissance qu'inspire à son amant le souvenir de son amour et qui lui fait reporter sur le fils la tendresse qu'il avait pour la mère.

Aussi quel admirable parti Me Barillon, défenseur de M. Conneau sait tirer de ces souvenirs d'amour et de cette situation touchante, quand il rappelle avec une délicatesse exquise, avec un pathétique charmant, les dernières paroles de la vertueuse princesse : Je désire que mon fils puisse toujours garder le docteur Conneau auprès de lui.

Aussi quand l'éloquent défenseur, se tournant vers la Cour eh lui montrant le docteur assis sur le banc des accusés auprès du prince Louis dit : Ce dernier vœu, Messieurs, a été religieusement observé, car sur ce banc de douleur, vous apercevez Conneau à côté du fils de sa bienfaitrice[13] ; MM. les Pairs ne purent maîtriser un mouvement de profonde satisfaction.

Aujourd'hui M. le docteur Conneau est impérialement récompensé pour les soins empressés, l'aimable tendresse, l'affection galante, les douces jouissances qu'il a prodigués à la facile reine Hortense et pour le dévouement qu'il a si religieusement témoigné au fils de cette amoureuse et sensible princesse ; car Louis Bonaparte a fait M. Conneau sénateur, avec 30.000 frs. de gages, sans compter de magnifiques appointements qu'il lui accorde comme médecin de S. M., des faveurs des croix, des places, des grades, des dotations pour lui et pour toute sa famille. Maintenant cet ex-accusé de Boulogne est un haut et puissant personnage, quand il est indisposé, le moniteur officiel donne à la France et au monde le bulletin de sa santé et tous les journaux de la cour racontent, avec un complaisant empressement, les plaisirs et les amusements de la famille Conneau et apprennent au monde extasié, quels étaient les délicieuses toilettes de mesdames et mesdemoiselles Conneau et les tenues de cour ou les costumes de bals de MM. Conneau, père, fils et Cie.

Ces plaisirs et leur description forment le plus brillant côté des gloires de l'Empire.

10e. M. Fialin de Persigny, nous arrivons ici a l'un des plus célèbres conspirateurs napoléoniens, un Don Quichotte de la bande impériale dont nous avons déjà esquissé les hauts faits à Strasbourg.

Après cette journée mémorable dont la glorieuse auréole resplendit encore aujourd'hui autour du front de l'élu du dix décembre 1848, M. Jean Gilbert Fialin, dit de Persigny, était tombé eu disgrâce auprès de son maître et avait été fortement soupçonné de trahison par tous les autres conjurés ; plusieurs motifs étaient cause de cette froideur et de ces soupçons.

Lès insurgés de Strasbourg avaient trouvé très extraordinaire le rôle qu'avait joué M. Fialin pendant l'exécution du complot dont il avait été après Louis Bonaparte le principal machinateur. C'était en effet quelque chose d'inexplicable que la conduite qu'il joua alors. On ne le vit ni à la Finckmatt, ni chez le général Voirol, nulle part où il y avait quelque danger à courir, que faisait donc pendant ces tentatives malheureuses, celui que l'on considérait comme l'âme du complot ?

Il accomplissait alors à l'aide d'un renfort de vingt artilleurs, la moins périlleuse des opérations, il arrêtait M. Chopin d'Arnouville préfet de Strasbourg, le plus débonnaire des magistrats, qui n'opposa pas la moindre résistance, mais que M. Fialin, sans doute pour se donner une attitude héroïque et augmenter l'importance de sa capture, fit fort mal mener par ses soldats qui maltraitèrent fort le pauvre préfet qui, suivant le témoin Jacquet, tremblait de tous ses membres, en l'accablant de coups de poings, de coups de pieds et de coups de crosses, pendant le trajet, de son domicile à la caserne d'Austerlitz où il le fit écrouer. Voilà à quoi se bornèrent les faits d'armes de M. Fialin dans la journée néfaste du 30 octobre 1836. Aussi M. Chauvin Beillard, son ancien collaborateur à l'Occident Français et défenseur de l'accusé Gricourt, qualifiait de la manière suivante devant la cour d'assises, le rôle équivoque joué alors par M. Fialin :

Quel est donc ce conjuré important, disait-il, qui sait tout, qui est partout, et qui en définitive ; au grand jour du 30 octobre, est chargé d'arrêter M. le préfet du Bas-Rhin, le plus inoffensif des préfets ! En vérité c'est là une mission bien singulière pour un chef de conjurés qui avait à sa disposition tant de braves officiers et déjà tout un régiment.

C'est pourtant à cela que se borna tout le rôle du prétendu directeur en chef du complot, qui, après cet exploit, quand il apprit l'issue malheureuse de la tentative faite à la Finckmatt, s'en fut plus mort que vif à son domicile, où, sans la présence d'esprit, le courage et le sang froid de Madame Gordon, qui le sauvèrent des mains des gendarmes, il eut été infailliblement emprisonné.

Voici comment une publication bonapartiste[14], qu'on n'accusera pas de malveillance, raconte cet épisode :

Après l'issue de l'événement, Madame Gordon se rendit chez Persigny, qu'elle trouva livré à un violent désespoir et versant des larmes abondantes. Malgré sa propre affliction elle chercha à ranimer son courage, puis elle entassa pèle mêle des papiers divers dans un poêle et les livra aux flammes. Quatre gendarmes arrivèrent bientôt pour les arrêter l'un et autre : Peu soucieuse d'elle-même, elle avait lancé un regard de désespoir et de regret sur son compagnon d'infortune ; il n'avait pas vu ce regard. Une idée d'espérance lui sourit tout-à-coup et l'exécution en est aussi rapide que la pensée. Persigny ! s'écrie-telle, mon flacon, je n'en puis plus j'étouffe ...... et il semblait qu'elle allait mourir ! ! !

Le jeune homme lui tend un flacon de sels, et au moment où il lève les yeux sur elle, elle lui indique d'un coup d'œil une porte entre ouverte, derrière cette porte se trouvait une fenêtre donnant-sur un rez-de-chaussée ; il la comprend, mais il sent son impuissance car deux bras vigoureux l'étreignent puissamment. Alors cette femme qui, tout à l'heure encore, s'évanouissait, revient à elle, elle se relève ; ses yeux se raniment, et s'élançant sur le gendarme qui tenait Persigny d'une main et de l'autre un sac qu'il venait de lui enlever, s'écrie : Rendez-moi mon sac, je veux mes papiers mon argent ! et elle l'arrache violemment. Le gendarme, surpris, presque effrayé de cette brusque attaque ne peut le retenir. Le jeune homme est un instant libre, il en profite, en une seconde il a franchi la porte et la fenêtre.

 

Ce manque d'énergie, cette conduite équivoque et jusqu'à la fuite de Fialin, au moment où tous ses complices étaient arrêtés, produisirent le plus mauvais effet sur ces derniers, et firent naître d'étranges soupçons dans leur esprit ; ils n'accusèrent pas seulement l'ex-sous-officier Fialin de lâcheté mais encore de trahison.

Cette opinion réagit aussi fortement sur l'esprit de Louis-Napoléon Bonaparte qui n'avait plus la même confiance dans son agent principal.

Mais lorsque Louis-Napoléon Bonaparte revint d'Amérique, au mépris de la foi jurée, pour reprendre ses intrigues et renouer les fils de ses conspirations, M. Fialin redoubla d'efforts et de zèle pour reconquérir une amitié refroidie.

Il offrit de nouveau son dévouement et ses services qui furent enfin agréés, il recommença ses voyages en France et surtout à Londres, où Louis-Napoléon s'était définitivement fixé après avoir été obligé de quitter la Suisse à la suite des mesures coercitives que sa présence avait amené contre cette petite république de la part du gouvernement français. Louis Bonaparte publia alors ainsi que nous l'avons déjà dit plusieurs brochures politiques ; entre autres les lettres de Londres qui étaient supposées écrites par un général à un autre général, dans lesquelles, M. de Persigny qui en était l'auteur, glorifiait la ridicule entreprise de Strasbourg et proclamait la légitimiste des droits du neveu légal de l'Empereur au trône de France. Ces lettres furent à l'aide de nombreux agents bonapartistes répandues à profusion dans l'armée.

Nous avons déjà fait voir en partie quelle fut la conduite de M. Fialin dans l'échauffourée de Boulogne, où il ne fit pas plus preuve de courage qu'à Strasbourg, et où il fit un étalage de fanfaronnades ridicules devant la cour des Pairs, en se vantant d'avoir voulu tuer le lieutenant Maussion et le capitaine Puygellier au moment où ils entraient dans la cour de la caserne, et en ajoutant avec une jactance ridicule : je n'ai rien de plus a dire, j'ai apporté ma tête ici qu'on la prenne. Mais qui aurait voulu de la tête du célèbre Fialin, qu'en aurait on fait ? On la lui a laissé sur les épaules, et on a bien fait, cela aurait privé ses contemporains de voir passer M. Fialin à l'état d'ambassadeur, de ministre et de duc de l'Empire, ce spectacle divertissant, vaut bien l'argent qu'il a couté. Mais comme on dit quelquefois, la nuit porte conseil le premier comparse des comédies ridicules de Strasbourg et de Boulogne, changea d'avis le lendemain, il craignit que la Cour des Pairs ne le prit au mot et qu'il ne lui vint la fantaisie de le condamner à la peine capitale, il modifia sa déposition de la veille de la manière suivante :

Messieurs les Pairs, dit-il, le onze août je fis à Boulogne une déclaration relative à ma conduite dans la caserne vis-à-vis du capitaine Col-Puygellier et du lieutenant Maussion.. Cette déclaration, je la fis librement volontairement, après six jours de réflexions, quoique aucune déposition n'eut été faite contre moi, n'ayant été reconnu par aucun témoin. L'accusation a attribué à un sentiment de vanité cette déclaration. Je vous laisse à vous, messieurs les Pairs, le soin de la caractériser. Quoiqu'il en soit j'y ai persisté déterminé à en subir toutes les conséquences, mais hier en en rendant compte à la Cour, l'émotion que j'éprouvais en parlant devant une aussi imposante assemblée, exagéra mes expressions au point de donner à mes réponses un caractère odieux qui n'était ni dans ma pensée ni dans mon cœur, ni dans le caractère de l'entreprise du prince. Je prie donc la Cour de vouloir bien me permettre de rétracter ce que j'ai dit à ce sujet, désirant en référer à ma déclaration du 11 août, quoique cette déclaration elle-même se borne au récit froid et décoloré des faits sans faire mention des circonstances et des mobiles qui m'entraînèrent dans ce moment de désespoir.

Du reste, messieurs les Pairs, si vous saviez à quelles infâmes calomnies je suis en butte vous comprendriez l'irritation de mes paroles.

 

On voit qu'après réflexion la forfanterie de M. Fialin se tempérait singulièrement. Dans tous les cas cette attitude n'était ni digne, ni convenable et montrait tout ce qu'avait de vain, de puérile et de versatile le caractère de ce complice de Louis Bonaparte.

Les conjurés de Boulogne, accusaient alors M. Fialin : d'avoir manqué de résolution dans la caserne, au lieu de l'énergie dont il se vantait dans son interrogatoire et d'avoir donné le signal de la retraite à la haute ville, du sauve-qui-peut à la colonne de la grande armée et fait chavirer, en se précipitant follement à la mer, la barque sur laquelle il se sauvait avec Louis Bonaparte et plusieurs autres de ses collègues, qu'il fit ainsi tomber à l'eau et livra sans défense et sans moyen de fuite à leurs ennemis. Mais ils le soupçonnaient même de trahison, ainsi qu'il le donne lui-même à entendre à la Cour des Pairs en disant à ses membres : Si vous saviez à quelles infâmes calomnies je suis en butte, vous comprendriez l'irritation de mes paroles.

M. Elias Regnault dans son Histoire de huit ans, s'exprime ainsi au sujet des mêmes faits :

Tous les accusés de Boulogne étaient persuadés qu'ils avaient été trahis ; beaucoup d'entre eux faisaient tomber leurs soupçons sur M. Fialin de Persigny. Durant les débats leur attitude et leurs regards témoignaient leurs méfiances ; ils ne communiquaient pas avec lui et dans les suspensions d'audience, pendant que tous ensemble se livraient à leurs épanchements, ils se tenaient à l'écart de lui et affectaient de le laisser dans l'isolement. Me Marie fut tellement frappé de ces démonstrations qu'il crut devoir demander quelques explications au prince. Celui-ci répondit qu'il jugeait les soupçons mal fondés.

Personne n'ignorait alors, que le comte de Saint-Leu[15], avait voulu désigner Fialin, dit de Persigny, quand il s'écriait douloureusement après l'arrestation de son fils en 1840, dans une lettre publiée par tous les journaux :

. . . . . Convaincu que mon fils, le seul qui me reste, est victime d'une infâme intrigue et séduit par de vils flatteurs, de faux amis et peut-être par des conseils insidieux, je ne saurais garder le silence sans manquer à mon devoir et m'exposer aux plus amers reproches.

Je déclare donc que mon fils, Napoléon Louis, est tombé pour la troisième fois dans un piège épouvantable, dans un effroyable guet-apens, puisqu'il est impossible qu'un homme qui n'est pas dépourvu de moyens et de bon sens se soit jeté de gaité de cœur dans un tel précipice.

S'il est coupable, les plus coupables et les véritables sont ceux qui l'ont séduit et égaré. . . . . . . . . .

Je recommande mon fils égaré et séduit à ses juges et à tous ceux qui portent un cœur français et de père.

Signé : Louis de Saint-Leu.

Florence, le 24 août 1840.

 

Disons enfin pour terminer la citation des présomptions nombreuses de trahison qui s'élevaient alors contre M. Fialin, qu'après sa condamnation, il fut traité avec indulgence par le gouvernement de Louis-Philippe, qui lui donna d'abord la citadelle de Doullens pour prison et plus tard lui rendit la liberté et l'interna à Versailles où il pouvait tranquillement se promener, s'amuser ou travailler selon son bon plaisir.

Le gouvernement de Juillet réservait toutes ses rigueurs pour les républicains et toutes son indulgence pour les prétendants dynastiques et leurs partisans.

Aussi ces derniers pour lui témoigner leur reconnaissance, quand plus tard ils sont arrivés au pouvoir, n'ont rien eu de plus pressé que de confisquer les biens de la famille d'Orléans qu'avaient respectés les révolutionnaires de 1848, ces farouches républicains, que la royauté à toujours calomniés en les représentant comme des pillards, des voleurs et des buveurs de sang et qu'elle a toujours poursuivis, et traités avec cruautés, malgré les preuves nombreuses de désintéressement, d'honnêteté, de probité, d'amour de la justice et du droit qu'ils ont toujours données.

M. Fialin, dit de Persigny, quand il est arrivé au pouvoir ne s'est plus souvenu de la façon indulgente dont il avait été traité, il a été impitoyable, il n'a su que frapper, emprisonner, exiler, déporter, fusiller, guillotiner les défenseurs de la légalité et du droit. Tel est l'homme.

11e. D'Almbert (Alfred) secrétaire intime de L. Bonaparte, devant remplir les fonctions de Vaguemestre aux gardes à pied. Sa participation un complot est insignifiante.

12e. Orsi (Joseph), négociant, né à Florence demeurant à Londres. Cet accusé avait été banquier de la famille Bonaparte à Florence, comme tous les autres accusés il avait fait partie de l'expédition, débarqué à Wimereux et pris part à toutes les tentatives insurrectionnelles de Boulogne ; il avoue d'abord qu'il avait en connaissance à l'avance de l'objet de l'attentat, mais dans un interrogatoire subséquent, du 22 août il modifie ainsi sa première déclaration : J'ai voulu dire que le prince était toujours occupé des affaires politiques, qu'il ne perdait pas de vue ses projets dans l'avenir, mais je n'ai pas voulu dire que je savais ; qu'il préparait quelque chose matériellement et immédiatement. Le prince est très caché, il ne laisse pas facilement pénétrer sa pensée[16].

Nous avons cité cette déposition du banquier Orsi parce qu'elle peint avec beaucoup de vérité le caractère de Louis-Napoléon Bonaparte qui, ainsi qu'il le dit, ne perd jamais de vue ses projets, qui est très caché et ne laisse pas facilement pénétrer sa pensée. Nous donnerons dans l'avenir plusieurs exemples qui prouveront toute la justesse et toute la vérité de cette appréciation.

Mais outre sa participation matérielle à l'attentat de Boulogne, le banquier Orsi a rendu un bien plus grand service à Louis Bonaparte, car c'est lui qui a découvert le moyen de se procurer les fonds nécessaires à l'entreprise. Voici comment : M. Orsi connaissait dans les bas fonds de la Bourse de Londres un industriel Génois, nommé Rapallo, détenteur d'une somme considérable provenant de billets volés à l'Echiquier anglais.

Ces valeurs avaient déjà été offertes à un autre prétendant, le comte de Montemolin, qui les avait refusées par délicatesses, mais le héros de Boulogne moins scrupuleux les accepta avec empressement, et comme il était alors bon prince et pas fier il voulut bien, témoigner sa reconnaissance à l'industriel Génois en lui faisant l'honneur de tenir sa fille sur les fonds baptismaux.

Le Morning-Post assurait alors que le bateau à vapeur qui a transporté Louis Bonaparte et ses complices, avait été frété par des joueurs à la Bourse, qui avaient en même temps poussé ce jeune fou à cette entreprise dans le but d'influer les consolidés anglais.

Il nous a été révélé de curieuses circonstances sur l'affaire de Boulogne, dit ce journal, le maniaque Louis-Napoléon, dont le nom vient encore de se produire d'une manière si ridicule, n'a été autre chose assure-t-on, qu'un instrument entre les mains de certains aventuriers de la Bourse. On dit que le paquebot à vapeur qui a été mis à sa disposition par la compagnie commerciale lui à été procuré par des propriétaires d'actions qui ont pensé que par ce moyen ou éveillerait moins les soupçons qu'en faisant noliser ce bateau au nom du prince. . . . . . . . . .

Cela est assez probable et doit devenir l'objet d'une sérieuse investigation en haut lieu.

Nous ne pensons pas que le comité de la Bourse veuille ou puisse faire à cela la moindre objection. Il doit désirer, au contraire, qu'aucun soupçon ne plane sur lui ou sur aucun de ses membres. Il n'est pas douteux, et c'est ce que l'on doit le moins regretter dans cette affaire, que ceux qui ont soutenu ou poussé le prince dans cette entreprise révolutionnaire perdront plusieurs milliers de livres par suite de l'échec qu'elle a éprouvé. Il parait que les individus qui ont nolisé le paquebot à la Compagnie de la navigation à vapeur, ont dit que c'était pour faire un voyage d'agrément de quelques jours à Hambourg. Une certaine somme a été payée d'avance et une somme pareille devait être payée chaque semaine. Le capitaine du paquebot ne devait certainement rien connaître du complot, car c'est un honnête homme qui jouit de toute l'estime de la compagnie.

 

Mais des bruits plus graves circulèrent bientôt et accusèrent le gouvernement anglais de ne pas être étranger à l'attentat de Boulogne, on allait même jusqu'à désigner des membres du cabinet anglais comme étant ces amis puissants à l'extérieur, dont parle Louis Bonaparte dans sa proclamation aux habitants du Pas-de-Calais, ces rumeurs prirent même une telle consistance que le gouvernement de Sa Majesté britannique crut devoir lés démentir, ainsi que l'annonçait le journal des Débats du 10 août 1840, en disant : Le gouvernement anglais a fait officiellement désavouer la nouvelle que le prince Louis Bonaparte avait eu une entrevue avec lord Palmerston. Bien que nous n'ayons jamais supposé que le gouvernement anglais pût avoir la moindre part à cette odieuse comédie, nous devons le féliciter d'en avoir repousse jusqu'à l'insinuation.

Les rapports entre la France et l'Angleterre étaient en effet tellement tendus à cette époque à cause de la question d'Orient, que l'on s'attendait chaque jour à voir la guerre éclater entre les deux nations, cela était si vrai qu'un correspondant du Times, lui écrit de Boulogne[17] : Depuis quelques jours les bruits de guerre avaient tellement agité notre population, que ce matin en entendant battre la générale, bien des gens se figuraient déjà que les Anglais venaient de débarquer sur la côté.

Voila quel était le moment opportun que le neveu de Napoléon choisissait pour venir exciter la guerre civile en France avec l'aide de ses puissants amis de l'extérieur.

Lord Palmerston a-t-il réellement trempé dans l'entreprise de Boulogne, c'est ce qui est plus que probable ; on serait presque autorisé à le croire, malgré le démenti officiel du gouvernement anglais qui, comme tous ceux de cette nature n'a aucune valeur morale, car le journal le Capitole affirmait que l'entrevue avait eu lieu. Ce témoignage a une grande valeur, car le journal en question appartenait à Louis Bonaparte qui l'avait fait fonder, il devait donc nécessairement être bien informé, et par conséquent son affirmation réduisait à néant la dénégation officielle du gouvernement anglais qui était tout au plus bonne pour sauver les apparences. Voici l'article du journal bonapartiste :

Le ministère anglais fait formellement démentir par ses journaux que lord Palmerston ait en une entrevue avec le prince Louis, peu de jours avant les événements de Boulogne. Cette dénégation donne à la visite du ministre de la Grande-Bretagne une apparence de gravité qu'elle n'avait point jusqu'alors ; car enfin de simples rap ports de société et d'anciennes liaisons avec la famille impériale pouvaient, seules, avoir donné lieu à cet entretien. Mais puisque le cabinet anglais nie un fait avéré, incontestable, il provoque lui-même, les interprétations les plus étranges, quand à nous, nous devons persister dans notre première déclaration et affirmer de nouveau que le ministre anglais a rendu au prince Louis une visite qui s'est prolongée pendant deux heures ; et nous avons lieu de penser que lord Palmerston éprouverait quelque embarras à soutenir le contraire, s'il était mis en présence de la personne qui fut témoin oculaire de son entrée dans le cabinet du prince et de sa sortie de Carlton-Gardens[18].

 

En présence d'une pareille affirmation faite par un organe de Louis-Napoléon Bonaparte, le mystère qui entourait cette entrevue n'existe plus, le doute, pour nous n'est plus possible, nous sommes parfaitement persuadés que la visite a eu lieu, et que le ministre anglais était un de ces amis puissants que Louis Bonaparte disait avoir à l'extérieur, dans sa proclamation aux habitants du Pas-de-Calais. Mais nous n'en sommes pas moins indigné pour cela de voir un Bonaparte conspirer avec un Anglais contre la sûreté intérieur de la France en y excitant la révolte des troupes et la guerre civile :

 

Le corps des agents de change et les négociants de la citée imitèrent l'exemple du gouvernement anglais et s'empressèrent aussi de répudier toute participation à l'affaire de Boulogne, et toute liaison avec Rapallo en déclarant que ce dernier était un courtier marron[19].

Voici la traduction textuelle de la déclaration au comité des agents de changes de Londres :

Le comité nie formellement que M. Rapallo, qui a frété le bateau à vapeur Edimbourgh Castle, soit un de ses membres. Le comité déclare que M. Rapallo lui est totalement étranger. C'est un Italien, qui a spéculé sur l'échauffourée du prince et qui, par conséquent, a dû perdre une somme d'argent considérable. Sous ce rapport il n'aura que ce qu'il mérite. Mais on voudrait qu'il fut puni plus sévèrement.

Mais il n'en resta pas moins acquis que c'était ce dernier qui par l'intermédiaire de l'accusé Orsi, avait fourni aux conspirateurs les capitaux nécessaires pour mener l'entreprise à bonne fin ; qu'il avait lui-même loué le bateau à vapeur en payant d'avance la plus grande partie de sa location.

Voici du reste une lettre du directeur de la compagnie des paquebots à vapeur, du commerce, à qui appartenait le bâtiment le Château d'Edimbourg qui, prouve que c'est bien Rapallo qui avait loué le vapeur.

A Monsieur le maire de Boulogne.

Samedi soir.

Monsieur, c'est avec le plus profond regret et la douleur la mieux sentie que les directeurs de la compagnie des paquebots à vapeur du commerce apprennent qu'ils ont été sans le savoir, les instruments de transport sur les côtés de France d'une réunion d'hommes ayant pour but d'exciter le tumulte et la désaffection au sein d'une population avec laquelle, ainsi qu'avec son gouvernement, le peuple Anglais a si longtemps été et espère encore longtemps rester en bonne amitié et paix parfaite. Certain qu'il existe, dans les esprits des hommes éclairés et bien disposés des deux pays un vif désir qu'aucun événement ne puisse troubler les relations pacifiques heureusement établies, et partageant eux même de tout cœur ces sentiments, les directeurs de la compagnie sont jaloux de saisir la première occasion de déclarer formellement et publiquement qu'aucun membre de leur compagnie, ni aucun de leurs subordonnés ou employés — ils en ont du moins la ferme conviction — n'a pu même soupçonner l'objet criminel et insensé pour lequel le vaisseau a été frété. La demande du bâtiment n'a pas été faite à la compagnie par le prince Louis personnellement ; ni par aucune des personnes notoirement liées avec lui ou déclarant agir pour lui ou pour son compte. La demande à été faite par un Monsieur du nom de Rapallo, membre de la bourse dont le bureau d'affaires est établi dans Angel-Court, Throgmorton-street. Le navire a été frété dans le but avoué de conduire plusieurs amis à une excursion dans le détroit et sur les côtes d'Angleterre. Les directeurs espèrent et croient qu'un tel désaveu de leur part est superflu. Ils pensent que la nation française est trop juste pour leur attribuer une participation ou une connivence, même la plus légère, à cette vile et traitreuse tentative pour troubler la paix d'une nation amie. C'est moins pour convaincre la nation française que pour satisfaire leur conscience, que les directeurs font cette déclaration publique.

La compagnie a reçu des autorités et des habitants de Boulogne en particulier tant d'encouragements et de marques de bienveillance, qu'elle se doit à elle-même et qu'elle leur doit de leur manifester son horreur pour cette entreprise qui pouvait livrer au pillage et au meurtre leur ville paisible. La compagnie s'empresse de les féliciter cordialement de ce que la bravoure et la loyauté des habitants ont si promptement et si efficacement ruiné les espérances de cette folle invasion, etc., etc. . . .

Signé John Bleaden, secrétaire.

 

Cette lettre est une preuve de plus de l'aversion et du mépris qu'a causé en Angleterre comme en France la criminelle équipée de Louis Bonaparte et que ce fut bien M. Rapallo qui fréta le navire le Château d'Edimbourg.

Il était cependant bien difficile de s'expliquer comment Rapallo qui était dans une position tout à fait précaire avait pu fournir au prétendant, notoirement à bout de ressources financières les sommes considérables que nécessitait son expédition ; ce ne fut qu'un an plus tard que ce mystère fut percé.

A la fin d'octobre 1841, on découvrit qu'un grand nombre de bons de l'Echiquier, qui sont en Angleterre des valeurs semblables aux bons du trésor de France, se trouvaient en duplicata. Ce furent MM. Masterman et Cie, depuis actionnaires pour des sommes considérables dans plusieurs chemin de fer de France et qui furent en 1840, les promoteurs de la manifestation impérialiste de notre héros qui a été désavouée par les commerçants de la citée de Londres, qui s'aperçurent les premiers de l'irrégularité de plusieurs bons de l'Echiquier en circulation[20].

Une enquête qui fut ouverte immédiatement, amena la découverte que ces bons avaient été volés par Beaumont Smith, un des principaux employés de l'administration de l'Echiquier, et neveu de l'amiral Sidney Smith. Après son arrestation, le coupable déclara qu'il avait remis tous les bons volés à Rapallo, qui lui avait promis qu'on les rachèterait avant leur négociation à la bourse et il ajouta encore : que Rapallo était engagé dans l'expédition de Louis Bonaparte contre la France et que c'était lui qui avait loué le bateau à vapeur pour descendre à Boulogne. Rapallo fut alors arrêté comme complice de Smith et il répondit au magistrat instructeur : qu'il connaissait l'accusé depuis longtemps ; qu'il n'ignorait pas quelle était sa position officielle, et qu'il s'avait que les bons qui lui avaient été confiés par Smith n'étaient pas la propriété de ce dernier[21].

Baumont Smith expliqua de la manière suivante, devant la cour criminelle, quelles étaient les circonstances qui l'avaient amené à dérober les bons en question : Des difficultés financières provenant d'une confiance mal placée, dit-il, mais ne dépassant pas quelques centaines de livres sterling, m'ont exposé aux suggestions d'hommes qui m'engagèrent à me libérer, en me servant pour un court délai, des bons de l'Échiquier qui se trouvaient à ma disposition. Je cédai à la tentation sans atteindre le but que je m'étais promis et une fois dans les mains du tentateur, il me fut impossible de me dégager. Séduit, fasciné par des conseils diaboliques et des promesses auxquelles je ne sus pas résister, ma situation devint inextricable, et tandis qu'on obtenait de moi des bons de l'Echiquier pour une somme énorme, je n'en retirai pas même l'argent nécessaire pour me libérer des embarras insignifiants qui m'avaient assaillis d'abord[22].

Le malheureux Baumont-Smith fut condamné à la transportation à vie, et Rapallo, le fournisseur des bons aux conspirateurs bonapartistes, par l'intermédiaire de l'ex-banquier florentin Orsi, fut retenu en prison jusqu'à la fin de la cession et mis en liberté, après avoir été admis comme témoin à charge — queen's evidence — contre son co-accusé.

Des interpellations eurent ensuite lieu au parlement anglais au sujet de cette affaire lorsqu'il s'agit de rembourser les porteurs de bons de bonne foi et le défenseur de Smith, sir T. Wilde, dans la séance de la Chambre des Communes, du 4 avril 1842 s'écria :

J'ai raison de croire d'abord que Rapallo a encore entre les mains pour cent mille livres sterling de billets de même nature en sa possession. Dans ce cas il me semble que la Chambre ne doit pas dire quelle marche elle entend suivre de crainte que Rapallo, connaissant cette marche ; n'engage des personnes à prendre ces billets. La Chambre doit donc bien prendre garde, tout en se mettant à même de rendre justice à certains porteurs de billets dont les noms sont familiers, que d'autres ne se mettent en avant et ne fondent de nouvelles réclamations avec les billets encore en la possession de Raspallo.

 

Outre la déclaration de Baumont-Smith, qui dit que Rapallo était engagé dans l'expédition de L. Bonaparte, il y avait au dossier du complot de Boulogne, des pièces qui y avaient été annexées, après la découverte de la soustraction des bons de l'Echiquier, qui prouvaient que ces derniers étaient passés de mains de Rapallo, dans celles de Louis-Napoléon Bonaparte et que le demi million trouvé à bord du paquebot la Ville d'Edimbourg, saisi lors de l'affaire de Boulogne, provenait de la négociation des bons de l'Echiquier, volés par Smith, ainsi que le prix de la location du paquebot, et toutes les sommes si facilement gaspillées par les conjurés qui, comme nous l'avons vu, jetaient l'argent et l'or à pleines mains aux passants. Mais aujourd'hui, ces preuves n'existent plus, un des premiers soins du conspirateur de Boulogne ; après son élection à la présidence de la République fut de s'emparer de ces documents compromettants et de les détruire. Il n'a pas craint pour cela de violer les archives, c'est à cette occasion et pour ne pas être solidaire de cette infamie, que M. L. de Malleville, alors -ministre de Louis Bonaparte, donna sa démission.

Après l'insuccès de la ridicule et odieuse expédition de Boulogne, le-courtier génois Rapallo retomba dans la misère, dont il n'était sorti qu'un instant.

En 1849, quand la fortune eut enfin souri à son ancien obligé de 1840, il lui réclama le prix des services qu'il lui avait rendus et le montant des bons volés à l'Echiquier qu'il lui avait remis s'élevant à plus d'un million ; Louis Bonaparte fit d'abord la sourde oreille, il voulut faire éconduire l'importun ; mais celui-ci le menaça de tout révéler, de publier les lettres et les reçus du prince, ainsi que sa correspondance avec l'ex- banquier Orsi, force fut donc à notre héros de céder pour éviter un scandale qui l'aurait perdu ; M. Conneau ménagea une entrevue entre Rapallo et son puissant débiteur, qui malheureusement n'étaient pas en fonds ; Louis-Napoléon fit comprendre à son créancier combien il était alors gêné, il lui remit un faible à compte de 2.500 francs et une chaîne d'or avec un cœur en brillants pour sa fille, dont il était parrain, il lui promit en-outre de le désintéresser le plus tôt possible, aussitôt que des circonstances plus favorables le permettraient. C'est au guet-apens du deux décembre 1851, que Rapallo a dû d'être remboursé de sa créance véreuse, son débiteur l'a depuis désintéressé au moyen de quarante paiements mensuels de vingt-cinq mille francs chacun. Dans cette circonstance encore, c'est avec l'or de la France et avec la fortune publique sur laquelle il avait fait main basse, que Louis Bonaparte a payé sa créance impure ; l'argent des contribuables, la sueur du peuple ont fait les frais de l'odieuse expédition de Boulogne, comme depuis dix-sept ans ils entretiennent le faste, les dépenses fabuleuses et les dilapidations des anciens conspirateurs ridicules de Strasbourg et de Boulogne. Jusqu'à quand la France tolérera-t-elle de pareilles saturnales dont-elle devrait rougir ?

13e Alexandre (Prosper) dit Desjardins, capitaine en retraite. Cet accusé n'a joué qu'un rôle de comparse dans l'expédition, il était dans une position malheureuse, père de cinq enfants et sans ressources, il dit que c'est la misère qui l'a entraîné dans la conjuration. Il devait remplir le rôle de chef de bataillon à l'avant garde.

14e Galvani (Mathieu), Corse d'origine et sous-lieutenant en retraite, avait été nommé sous-intendant militaire. Il n'a pris aussi qu'une part insignifiante à l'action. II prétend ne s'être embarqué que dans l'intention de faire un voyage d'agrément et n'avoir eu connaissance du but de l'expédition que sur le paquebot. ... Le 5, a-t-il dit, le prince est monté sur une chaise ; il a appelé tout le inonde sur le pont et il a dit qu'il regrettait beaucoup de ne pas avoir instruit d'avance tout le monde de ses projets ; mais que le succès dépendait du secret, que maintenant il prévenait ceux qui l'entouraient qu'il allait en France, et qu'il ne tarderait pas à arriver à Paris.

15e Ornano (Napoléon), sous-lieutenant démissionnaire, est aussi un Corse, parent de Louis-Napoléon. Il a avoué sa participation au complot et déclaré en avoir été aussi instruit d'avance.

16e Forestier (Jean-Baptiste-Théodore), plusieurs charges pèsent sur lui, il est accusé d'avoir préparé l'attentat : par ses liaison avec Persigny., par la distribution de brochures napoléoniennes dans les casernes, par l'embauchage de militaires, par la fourniture qu'il a faite d'un passeport à Persigny, par l'achat qu'il a fait d'uniformes militaires pour costumer les insurgés, par le recrutement de plusieurs personnes qu'il a engagées soi-disant comme domestiques pour le compte de Louis Bonaparte et pour en faire les comparses de la tragi-comédie de Boulogne. Voici sa déclaration à cet égard : J'ai été dupe dans cette affaire là, je croyais envoyer des domestiques à des personnes qui m'avaient été indiquées, pour cela je me suis adressé à toutes les personés que je connaissais ; j'ai agi au grand jour. Les domestiques que j'ai envoyés en Angleterre ont été trompés comme moi : si vous les interrogez ils pourront vous le dire.

On lui demande si on ne lui avait pas recommandé d'envoyer de préférence des hommes qui avaient servi : il répond alors : Oui et à défaut d'anciens militaires, on m'avait recommandé d'envoyer de beaux hommes, des gens qui pussent remplir l'office de chasseur.

Il est en outre accusé d'avoir quitté Londres la veille de l'expédition, d'être venu à Boulogne prévenir l'accusé Bataille afin qu'il avertit le lieutenant Aladenize de se tenir prêt pour le lendemain, d'avoir été en compagnie de ces deux Messieurs attendre sur la plage de Wimereux l'arrivée des insurgés, d'avoir assisté à leur débarquement et d'avoir pris part à tous les événements de la journée du 6 août.

17e Bataille (Martial Eugène), ingénier civil, âgé de 25 ans, né à Kingston (Jamaïque), Cet insurgé était un des rédacteurs de la publication napoléonienne le Capitole fondée par MM. Fialin et Crouy-Chanel comme nous l'avons dit et qui, devait d'abord conduire ses patrons à la roche tarpéienne en attendant qu'ils montassent triomphalement les marches du temple fameux qui fut sauvé par les volatils qu'effrayèrent si fort nos pères les Gaulois, compagnons' de Brennus. Dès le premier août il attendait à Boulogne, l'ordre de prévenir les complices, qui étaient en France, du jour du débarquement, et comme nous l'avons vu, c'est Forestier qui lui transmit cet ordre, ainsi qu'il l'a avoué dans un premier interrogatoire pour le désavouer dans un second. Mais Louis Bonaparte s'est chargé lui-même de compromettre ces trois complices en déclarant : Qu'il avait envoyé à Boulogne Forestier prévenir Bataille, lequel a prévenu, croit-il, Aladenize.

18e Aladenize, lieutenant au 42me de ligne, âgé de 27 ans. Cet insurgé de Boulogne est le seul militaire en activité de service qu'ait pu séduire Louis-Napoléon Bonaparte en 1840. C'est un ancien combattant décoré de juillet 1830. Il a pris une part active à l'échauffourée de Boulogne ; à la la caserne du 42e de ligne il a fait les plus grands efforts pour séduire et entraîner les soldats sans cependant avoir pu y réussir.

En 1848, cet accusé de Boulogne s'est donné comme républicain et à ce titre il est' devenu un des chefs de la garde mobile dans laquelle il servait bien entendu là-cause bonapartiste. Après le coup d'Etat du deux décembre il a été enfin récompensé de ses anciens et de ses nouveaux services, le conspirateur en chef de Boulogne l'a nommé consul à Nice, où il remplit l'honorable mission d'expulseur des proscrits et des réfugiés républicains victimes de l'ostracisme de son maître ; après s'être dit autrefois leur ami et avoir affiché de 1848 à 1851 des opinions républicaines. Mais cet ancien et obscur combattant de 1830, devenu ensuite un des tristes héros de Boulogne, quand il se vit revêtu d'une position officielle ne mit plus de bornes à son luxe et à ses orgies et monsieur le consul de S. M. l'Empereur à Nice, causa un tel scandale, que son patron, qui pourtant n'est pas scrupuleux en pareille matière, dut le révoquer et le rappeler, mais comme ce diplomate de fraîche date avait par ses folles dépenses contracté des dettes assez considérables, ses meubles furent saisis et vendus sur la place publique et il dut lui-même se sauver pour éviter les poursuites de ses créanciers ; depuis cette nouvelle équipée on n'a plus entendu parler de lui, sans doute qu'il végète dans les bas fonds de la tourbe impériale.

19e De Querelles, lieutenant en disponibilité, dont nous avons raconté les hauts faits à Strasbourg, devait nécessairement se trouver au nombre des insurgés de Boulogne, il était venu une seconde fois tenter la fortune d'ans l'espérance d'être plus heureux qu'à Strasbourg et de gagner cette fois les vingt mille livres de rente, les épaulettes, les décorations, et revêtir le beau chapeau à plumes, le grand plumet qui faisaient l'objet de son ambition, et dont l'espoir de les obtenir un jour l'avait déjà fait accompagner le prince dans sa première folle équipée ; dans cette seconde -tentative il est revêtu du grade de commandant des guides à pieds, corps de fantaisie qui n'a jamais existé, imaginé sans doute pour flatter sa vanité en attendant qu'il soit nommé maréchal de camp ainsi qu'il en avait manifesté le désir dès 1836. Nous ignorons ce qu'est devenu ce héros ridicule et vaniteux. A Boulogne il a fait aussi triste figure qu'à Strasbourg, quoique ayant cependant été plus heureux dans cette seconde équipée puisqu'il est parvenu à se soustraire à une arrestation par la fuite.

20e Flandin-Vourlat, ancien corsaire, qui a commandé en approchant des côtes de France le vapeur le Château d'Edimbourg, est aussi absent.

21e Bachon, écuyer au service de Louis Bonaparte, proteste de son innocence et assure qu'il n'a pas été informé du but de l'expédition, qu'il a été entraîné malgré lui et comme par une sorte de fatalité, mais, quoiqu'il en soit il a été depuis récompensé de ses services de 1840 plus ou moins volontaires. Il est aujourd'hui écuyer de S. M. l'Empereur et officier de la légion d'honneur, son nom figure à l'almanach impérial entre ceux de MM. le général Fleury et du baron de Bourgoing.

Viennent ensuite trente trois autres inculpés pour la plupart valets au service du prince, qu'il avait déguisés en simples soldats et en sous-officiers du 40e de ligne, et qui formaient le gros de sa troupe de braves, d'hommes généreux gui, les premiers, ont salué de leurs acclamations son drapeau d'Austerlitz et auxquels la France devait voter des actions de grâce, ainsi qu'il le disait dans ses proclamations ; et sur lesquels plus de la moitié n'étaient pas Français.

Voilà quels étaient les complices de Louis-Napoléon Bonaparte dans l'attentat ridicule de Boulogne considéré à juste titre comme une injure grossière envers la France qui en fut alors justement indignée.

 

 

 



[1] Une chose qui surprendra sans doute le lecteur, c'est de voir un ancien soldat de Napoléon figurer parmi les commissaires qui instruisaient le procès de son neveu, mais il n'y a rien là cependant de bien extraordinaire, les bonapartistes étant avant tout toujours du parti du plus fort.

[2] Les commissaires étaient, comme nous l'avons dit, M. le baron Pasquier, chancelier de France, président de la Cour, et MM. le duc Decazes, le comte Portalis, le baron Grirod (de l'Ain), le maréchal comte Gérard, et M. Persil, commis par M. le chancelier, président.

[3] Extrait de l'interrogatoire de Mésonan, du 29 août :

D. Depuis combien de temps êtes-vous en relation avec Louis Bonaparte ?

R. Depuis deux ans et demi environ : à cette époque, je fus mis en retraite. Froissé dans mes intérêts, j'écrivis au ministre de la guerre, qui m'avait mis à la retraite d'office, des lettres assez sévères qui furent insérées dans le Courrier Français et dans d'autres journaux. Le prince m'écrivit à ce sujet d'Arenenberg, au mois de février 1838 autant que je puisse croire, pour me complimenter. Je ne le connaissais pas avant ce temps-là, et je ne l'avais jamais vu. Je ne l'ai vu que plus tard et alors qu'il était en Angleterre, il y a environ un an ou 15 mois.

[4] M. le rapporteur ne dit pas ici toute la vérité à propos de M. Crouy-Chanel qui, non seulement s'était occupé de propagande napoléonienne, mais qui, encore, avait proposé à Louis Bonaparte de s'emparer du Roi et de toute sa famille. Voici ce que raconte à cet égard L'Echo-du-Nord de Lille du 12 août.

Les papiers saisis sur le Château d'Edimbourg, ont amené de curieuses découvertes. Louis Bonaparte avait le projet de s'emparer du Roi et de toute sa famille pendant le séjour qu'ils font chaque année à Eu. Le plan de ce projet avait été tracé par M. Crouy-Chanel, qui se rendit à Londres pour le proposer à L. Bonaparte. Il passionna l'imagination du jeune homme qui offrit de suite à M. Crouy-Chanel les moyens de le mettre à exécution. Ce dernier demanda pour cela une somme de 250.000 frs., qui lui fut comptée. Cette somme ne paraîtra pas encore trop considérable quand on saura que, pour mener le projet à bonne fin, il ne fallait pas moins de 500 hommes.

Quand il eut reçu son argent, M. Crouy-Chanel revint à Paris et sa première visite fut pour M. le préfet de police, auquel il livra, moyennant 100.000 francs toutes les indications qu'il possédait. Le coup de M. Bonaparte manqua. M. le maréchal Gérard fut chargé de lui écrire pour lui dire que tout était découvert et l'engager à ne pas donner suite à ses projets qui ne pouvaient que le conduire jusqu'au ridicule. Cependant, comme déjà quelques personnes avaient été compromises dans cette affaire, il y eut quelques arrestations, qui donnèrent lieu à une instruction et par suite à un arrêt de non lieu.

Aujourd'hui, dit-on, le gouvernement a la preuve qu'il a payé 100.000 francs ce qui avait déjà été payé 250.000 francs par Louis Bonaparte.

Ce n'est pas tout, et l'on a fait dit-on des découvertes bien autrement graves, en ce quelles compromettent des personnes haut placées dans le monde politique. Il y a quelque temps on a annoncé que le Commerce avait été vendu à M. Louis Bonaparte par l'intermédiaire d'un prête-nom, pour une somme de 440.000 frs. Le fait était parfaitement exact. Depuis quinze jours le Commerce, est passé en de nouvelles mains, parce que M. Louis Bonaparte, qui trouvait d'ailleurs que ce journal était de peu d'utilité, avait besoin d'argent, et pour en obtenir il a consenti à perdre sur le Commerce une somme de près de 300.000 francs ; ce journal a été en effet racheté par M. Lesseps, au prix de 150.000 francs. Maintenant, pourquoi le Commerce avait-il été acheté à un prix aussi élevé ? — Parce qu'il appartenait, dit-on, à un député et que ce députe se serait fait fort de mettre dans les intérêts du prétendant MM. Clausel, Bachelu et Larabit, qui devaient composer un gouvernement provisoire.

Mais toutes ces découvertes faites dans les papiers de Louis-Napoléon Bonaparte le gouvernement de Louis-Philippe a jugé prudent de les ensevelir dans le silence, et depuis le héros de Boulogne devenu président de la République en a fait disparaître les preuves en anéantissant toutes les pièces compromettantes qui étaient au dossier du procès de la conspiration de Boulogne, qu'il a fait voler aux archives.

[5] Ce même général Magnan, qui est aujourd'hui maréchal d'Empire ; a été, selon ses propres expressions, assez lâche et assez misérable, pour vendre, trahir et égorger la République, et accomplir de sang froid, avec préméditation et guet-apens l'horrible massacre des boulevards du 4 décembre 1851 ; mais disons-le, cette fois il n'a pas volé son argent, il l'a bien gagné en accomplissant son crime, en versant le sang innocent. Tel est l'homme qui disait avoir pris pour devise : Fais ce que dois, advienne que pourra.

[6] Tous ces ordres de service sont faits, comme on voit, avec une grande minutie et les plus grands détails ; ils sont une preuve évidente que leur auteur avait tout prévu, qu'il est un habile metteur eu scène, un organisateur patient et méticuleux de conjurations, mais malheureusement il lui manque une qualité essentielle, qui seule pouvait lui donner le succès, il n'est pas homme d'action, il n'a pas de courage. De sorte que son échafaudage ou son plan, si bien construit qu'il soit, s'écroule bientôt comme un château de cartes, dès qu'il veut le mettre en pratique, c'est ce qui lui est arrivé à Boulogne comme à Strasbourg.

[7] Nous verrons plus loin que cet argent, dont Louis Bonaparte prétendait avoir hérité de sa mère, avait une source moins pure, et qu'il provenait d'une grande quantité de bons de l'Echiquier volés à Londres, et dont le héros de Boulogne avait encaissé le montant pour faire son expédition.

[8] Malheureusement l'avenir a prouvé, au deux décembre 1851, que la violence, la révolte et la trahison pouvaient être imposées à la France, justement par l'accusé contre lequel M. Persil, avait fait son rapport et que la Cour des Pairs condamna à la prison perpétuelle.

[9] Voir le Globe anglais, d'août 1840.

[10] L'oncle de Louis Bonaparte dont il est parlé ici est le comte de Survilliers, l'ancien roi de Naples et d'Espagne, Joseph Bonaparte, qui, d'après le sénatus-consulte de l'un XII, était l'héritier du trône de Napoléon Ier et dont les droits, selon ce décret, primaient ceux des Louis Bonaparte, père et fils.

[11] Cour des Pairs, audience des 15 et 28 septembre 1840 ; rapport de M. Persil et déposition du général Montholon.

[12] Voir à cet égard l'excellent ouvrage de Louis Blanc les Révélations historiques, 2e volume, pages 149 et 180, Bruxelles, Méline et Cans 1859.

[13] Lisez sa maîtresse.

[14] Biographie des hommes du jour, tome IV, paye 171.

[15] L'ex-roi de Hollande, père légal de Louis-Napoléon Bonaparte.

[16] Rapport de M. Persil, lu à l'audience de la Cour des Pairs, du 15 septembre 1840.

[17] Correspondance du Times, du 6 août 1840.

[18] Capitole, du 12 août 1840.

[19] Journal du Débats, du 14 août 1840.

[20] Observer, du 31 octobre 1831.

[21] Observer, du 7 novembre 1841.

[22] Observer, du 5 décembre 1841.