L'HISTOIRE DU LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE CONSPIRATEUR

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

§ II.

 

 

Mais, malgré tout le ridicule qui s'attachait à son nom et à sa personne, Louis-Napoléon Bonaparte, qui était revenu d'Amérique en violation de sa promesse, ne se tint pas pour définitivement battu, il fit imprimer à Londres par l'intermédiaire de M. Fialin, dit de Persigny, une brochure justificative des événements de Strasbourg. Mais, comme cet écrit justificatif n'entrait pas en France, il résolut de le faire publier à Paris même. Ce fut M. Armand Laity qui se chargea de cette mission. Ce dernier quitta, à la fin de mai 1838, Arenenberg dans le canton de Thurgovie (Suisse), où il résidait depuis plus de six mois au près de Louis Napoléon, pour venir à Paris, où il publia, en la signant de son nom, une nouvelle édition de la brochure, le Prince Napoléon à Strasbourg, que M. Fialin avait déjà fait imprimer à Londres.

Le gouvernement de Louis-Philippe, à qui cette publication déplaisait, se montra encore peu habile dans cette circonstance en la déférant à la Cour des Pairs, il lui donna ainsi l'immense retentissement qu'attendaient ses auteurs. M. Laity qui l'avait signée fut arrêté et comparut devant la plus haute juridiction du royaume, ce qui lui fournit une excellente occasion de poser en public et de se faire le champion de l'Idée-napoléonienne ; ce qui, à cette époque, ne manquait ni de charme, ni surtout de profit, car pour le récompenser de son dévouement au neveu de Napoléon, et pour le dédommager de la condamnation à cinq ans de prison que la Cour des Pairs prononça contre lui, un vieux général de l'Empire, qui mourut sans enfants, lui légua toute sa fortune qui ne s'élevait pas à moins de vingt mille francs de rentes. On voit qu'il est profitable de servir la cause des princes prétendants, cela rapporte de beaux bénéfices ; ce n'est pas comme quand on se consacre tout entier à celle du peuple, de la justice, de la vérité et du droit, qui vous conduit tout droit à la misère et au martyre.

Nous ne donnerons pas ici l'analyse complète de la brochure de M. Laity, ni tout son procès, car cela est Hors de notre cadre, nous citerons seulement les passages et les détails les plus saillants, qui peuvent nous faire juger d'une manière certaine le caractère de Louis-Napoléon Bonaparte et de ses disciples, et nous permettre d'apprécier d'une façon exacte les doctrines politiques et sociales du premier, car ce sont là les objets principaux de cette étude. M. Laity, ainsi que nous l'avons vu, dans ses réponses devant la cour d'assises du Bas-Rhin se faisait passer pour démocrate et républicain, afin de donner à son fétichisme bonapartiste un cachet plus populaire.

Mais cela n'empêcha pas ce républicain fameux de parler sans cesse des droits du prince qui, selon lui, est le chef qui convient le mieux à la France[1] ; de dire : qu'en épargnant le prince Louis, le roi des Français a été obligé de reconnaître en lui la dynastie napoléonienne. A propos de dynastie, c'est de l'histoire, ajoute-t-il, il y a la dynastie de la branche aînée comme la dynastie napoléonienne ; ces dynasties ne se regardent pas comme finies. Et c'est pour restaurer la seconde de ces dynasties que cet excellent républicain a publié la brochure qui l'amène devant la Cour. Le parti bonapartiste est bien le plus curieux caméléon politique que l'on puisse imaginer, il revêt tour à tour toute les opinions et toutes les couleurs, comme le Protée de la fable il prend toutes les formes, non pas cependant pour se dérober devant ceux qui l'interrogent, mais au contraire pour se produire sous les aspects les plus divers afin de captiver et de tromper tout le monde. Il emploie, comme nous l'avons déjà vu dans l'échauffourée de Strasbourg, tous les hommes de tous les partis, sans condition d'honneur et de moralité. Il n'a pas plus d'opinions politiques que de principes moraux ou sociaux. Pour lui il n'y a rien de sacré, rien de respectable, pas même la foi jurée ; nous donnons ici l'opinion de M. Laity, un de ses plus célèbres disciples, de ses adeptes les plus enthousiastes, sur le serment, cet engagement solennel, cet acte de conscience, de foi, d'honneur et même de religion, par lequel on prend Dieu, les hommes et soi-même à témoin de la sincérité d'une promesse ou de la vérité d'un fait, en appelant sur sa tête, sur son nom et sur sa mémoire la vengeance divine, la malédiction de ses contemporains, le mépris et l'horreur de la postérité si on se parjure. M. le président de la Cour des Pairs lui cite le passage de la lettre de Louis-Napoléon Bonaparte à M. Odilon Barrot qui se trouve aussi dans la, brochure et clans lequel il est dit : Vous voyez donc, Monsieur, que c'est moi qui les ai séduits, entraînés en leur parlant de tout ce qui pouvait le plus émouvoir des cœurs français. Ils me parlaient de leurs serments. Je leur rappelai qu'en 1815 ils avaient juré fidélité à Napoléon II et à sa dynastie. L'invasion seule leur dis-je vous à déliés de vos serments ; eh bien ! La force peut rétablir ce que la force seule a détruit. Et pour rendre plus saisissant ce que ce passage a de contraire à la morale ce magistrat ajoute encore : Ne comprenez-vous pas tout ce que pouvait avoir de dangereux et par conséquent de coupable l'exposition d'une pareille doctrine, si complètement subversive de la foi due aux serments, et qui ne tendrait à rien moins qu'à faire croire que la fidélité due aux serments les plus sacrés et les plus solennels doit disparaître dès la première apparence de succès qui serait obtenue par une tentative formée contre le gouvernement existant ?

A cette question de l'ordre moral le plus élevé, voici dans tout son cynisme repoussant la réponse que fit M. Laity :

Monsieur le président, cette question est précisément celle que me fit à Strasbourg le président des assises ; je ne jugeais pas à propos alors de lui répondre ; aujourd'hui je vous dirai ce que tout le monde sait : Que ces serments sont des singeries, et que par conséquent on n'est pas un grand scélérat pour les violer.

Ainsi nous voilà bien fixé, bien édifié sur la théorie bonapartiste des serments, ce sont des singeries que l'on peut impunément violer et on n'est pas un grand scélérat pour cela. Telle est la moralité napoléonienne. Cela n'est pas une exception, une opinion individuelle, c'est celle du maître ; de tous les adeptes, des écrivains comme des soldats de la cause napoléonienne.

M. Fellens un auteur bonapartiste, dans son livre intitulé : Louis-Napoléon, sa vie politique et privée[2], cite avec enthousiasme ces doctrines coupables de M. Laity et il ajoute encore, dans son admiration naïve de cette immoralité : Cette réponse d'une franchise toute militaire, est parfaitement fondée en raison : oui le serment n'a jamais été qu'une comédie pour la plupart de ceux qui le prêtaient.

Ceci est utile à constater non seulement comme preuve de l'immoralité profonde du parti bonapartiste et des Idées Napoléoniennes, mais encore pour nous montrer ce que leurs écrivains entendent pas une franchise toute militaire. On cite les doctrines des jésuites comme des types d'immoralité mais celles de l'Idée-napoléonienne leur sont encore bien supérieures en perversité.

Faisons aussi observer ici, que quand Louis Bonaparte disait qu'il rappelait aux officiers de la garnison de Strasbourg, qui conspiraient avec lui et qu'il appelle ses braves compagnons d'infortune, qu'en 1815 ils avaient juré fidélité à Napoléon II et à sa dynastie. Et-que l'invasion seule les avait déliés de leurs serments. Et que la force peut rétablir ce que la force seule a détruit ; il avançait une chose fausse d'un bout à l'autre, comme presque toutes ses assertions, et qui ne peut soutenir la moindre discussion sérieuse, mais cela lui importe peu, il écrit des phrases à effets, pompeuses, sentencieuses en apparence et nulles au fond, afin d'éblouir le vulgaire, les gens superficiels ; il sait bien que les gens sérieux et honnêtes ne le croiront pas, aussi ce n'est pas à eux qu'il s'adresse, c'est aux fripons, aux gens corrompus et aux ignorants, et quelque triste et pénible qu'il soit de faire cet aveu,, il est sûr d'avoir ainsi pour lui les majorités, que nous ne croyons pas mauvaises, mais qui, dans les conditions actuelles de l'instruction publique et de la diffusion des lumières sont certainement ignorantes.

Ainsi, dans l'exemple que nous venons de citer ; il n'est pas difficile de prouver combien son auteur compte sur l'ignorance politique et historique de ses lecteurs.

Nous le demandons les serments prêtés, très volontairement et avec parfaite connaissance de cause, par MM. Vaudrey et Parquin, après 1830, au gouvernement de la monarchie de Juillet, leur avaient-ils été imposés par l'invasion étrangère en 1815 ? adresser une pareille demande c'est faire justice de la prétention et de l'assertion de Louis-Napoléon Bonaparte. S'il avait tenu son langage sous la Restauration on n'aurait pas même pu l'admettre, car les officiers bonapartistes, qui voulaient alors donner leur démission, étaient bien libres de le faire, et s'ils avaient eu de l'honneur ils n'eussent certainement pas prêté un second serment ; ceux qui avaient pris du service sous le gouvernement restauré par les baïonnettes étrangères n'avaient plus le droit d'invoquer un premier serment auquel ils n'avaient pas su rester fidèles. Quand à MM. Laity, Gros, Dupenhouat, et de Schaller, dont le plus âgé, M. Laity, n'avait que neuf ans en 1815, ils n'ont jamais pu prêter serment à l'Empire ni à la Restauration, ils n'ont donc aucun engagement précédent à invoquer pour chercher à excuser leur parjure, ils ont volontairement trahi le seul serment qu'ils aient fait, leur parjure n'a pas même l'ombre d'une excuse, si mauvaise qu'elle puisse être. La doctrine malhonnête de M. Laity, qui dit que les serments sont des singeries est la seule qui puisse leur être appliquée.

Ainsi quand une grande nation, après des siècles de servitude, de misère et d'ignorance, reconquiert sa liberté, quand elle fait et proclame une constitution démocratique, libérale et républicaine, qui était un pas immense fait vers l'avenir et vers le progrès ; quand elle confie le dépôt sacré de ses conquêtes et de ses libertés à un homme qu'elle croit honnête, auquel elle confère la première des magistratures de la république, et que, confiante dans sa loyauté et dans son honneur, elle lui demande en échange du précieux dépôt qu'elle lui a remis, comme gage de sa fidélité à remplir sa mission, un engagement solennel, un serment inviolable : de respecter les libertés, la Constitution et la République, et de remplir honnêtement les devoirs de sa charge ; quand ce magistrat revêtu de la plus haute mission populaire, investi de la confiance universelle, de la puissance exécutive, vient s'incliner devant la majesté nationale, représentée par l'assemblée omnipotente et inviolable des représentants qui lui confient la garde des lois et de la Constitution ; et quand ce dépositaire et ce gardien du pacte social, dont il est responsable s'avance vers la tribune, quand il franchit ses marches, pour prêter serment de fidélité au peuple souverain ; et quand debout à la tribune, élevant la main droite et plaçant l'autre sur le cœur, comme l'a fait, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République française le vingt décembre 1848, quand il jure : En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par l'assemblée nationale, de rester fidèle à la République démocratique une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que lui impose la Constitution.

Il n'a fait qu'une singerie d'après la doctrine napoléonienne, professée par celui qui a juré ce serment solennel et par ses disciples.

Voilà l'immoralité prise sur le fait du parti bonapartiste tout entier. Avions-nous donc tort de dire qu'elle était pire encore que celle des jésuites ?

A-t-on jamais vu afficher publiquement des doctrines aussi perverses, en tirer vanité et les mettre en pratique ? car cette dernière ne le cède en rien à la théorie. Celui qui a prêté le 20 décembre 1848, le serment de fidélité que nous avons cité, à la République, à la Constitution et à l'Assemblée se parjurait publiquement le Deux Décembre 1851, il déchirait la constitution, il dissolvait l'assemblée, le conseil d'Etat, la haute cour de justice, et proclamait l'Empire l'année suivante.

M. Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, a été déclaré traître et parjure, et déchu de ses fonctions par les représentants du peuple de la minorité, faisant partie de la Montagne ; par plus de trois cents représentants du peuple faisant partie de la majorité, réunis à la mairie du 10e arrondissement ; par les membres de la haute cour de justice, qui ont décrété d'arrestation Louis-Napoléon Bonaparte, prévenu du crime de haute trahison.

On voit, d'après cela, que la doctrine de M. Armand Laity, qui prétend, ainsi que tous les bonapartistes y compris leur chef, que' les traîtres et les parjures ne sont pas de grands scélérats, n'est pas encore admise par tout le monde.

Et si Louis-Napoléon Bonaparte, en se plaçant lui-même au-dessus des lois, qu'il a toutes violées, est parvenu jusqu'à ce jour, ainsi que plusieurs malfaiteurs l'avaient déjà fait avant lui, à éviter la punition corporelle de ses crimes, l'histoire impartiale les a enregistrés et il ne pourra pas, quoiqu'il fasse, se soustraire jamais à la juste flétrissure et au châtiment mérité qu'elle lui a infligés.

Dans sa fameuse brochure justificative de l'attentat de Strasbourg, à côté des immoralités que nous venons de citer, nous trouvons des inepties, tout aussi extraordinaires. Ainsi, dans un discours que Louis Bonaparte adresse au colonel Vaudrey, le premier dit : La France est démocratique, mais elle n'est pas républicaine ; or, j'entends par démocratie le gouvernement d'un seul par la volonté de tous.

Il n'est pourtant pas besoin d'être un bien grand érudit, ni un élu de la Providence, ainsi que se croit Louis-Napoléon, pour savoir que démocratie, qui a pour étymologie démos, qui signifie peuple, et kratéô, qui veut dire gouvernement, se traduit textuellement par gouvernement du peuple, ainsi la démocratie, c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ; de tous, par tous et pour tous, et l'absurde définition napoléonienne, qu'en donne Louis Bonaparte, ne prévaudra pas contre la science, la langue et le dictionnaire ; et quelque subtile qu'il puisse la croire, elle ne sera jamais qu'une niaiserie ridicule et une preuve d'ignorance.

Il est néanmoins bon de constater que les bonapartistes, et surtout les chefs de l'école napoléonienne ont tout falsifié, jusqu'au langage, jusqu'au dictionnaire, afin de tromper et d'abuser l'opinion publique ; on démontrera ainsi que leurs prétendues théories politiques et sociales ne sont que d'affreuses mystifications, un épouvantable chaos, et une véritable tour de Babel.

Il est bien entendu pour M. Laity, qu'un siège au Sénat a récompensé depuis de ses loyaux services, que Louis-Napoléon Bonaparte, qui, dès 1831, avait refusé d'aller combattre pour l'indépendance de la Pologne, est un défenseur ardent des nationalités opprimées : Partout, dit-il, où la liberté des peuples a besoin de secours, partout où la liberté pousse un cri de détresse, Louis-Napoléon accourt pour leur (sic) donner sa vie, pour leur (sic) prêter l'appui de son grand nom, qui à lui seul vaut toute une armée, car il donne l'enthousiasme et la confiance, sans lesquels les peuples ne font jamais de grandes choses.

Aujourd'hui le prince dont parlait M. Laity, avec de si grandes louanges en 1838, est empereur depuis plus de douze ans : Quel est le peuple auquel il a donné la liberté ? Est-ce au peuple français ? Non, il était libre et souverain depuis 1848, lorsqu'en 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, qu'il avait nommé président de la République, se parjura cyniquement, égorgea la liberté, détruisit la République, et rétablit le despotisme le plus absolu, dont M. Laity, l'ex-républicain démocrate, est aujourd'hui un des plus fermes soutiens.

Est-ce au peuple italien qu'il a donné la liberté ? — Non, en 1849, la République et la liberté existaient à Rome, Louis-Napoléon Bonaparte envoya une armée faire le siège, de la ville éternelle, qu'il fit bombarder, il détruisit la République et la liberté romaines, et il rétablit le plus abominable de tous les despotismes, celui de la théocratie cléricale. Depuis il a envoyé les armées françaises au secours de Victor-Emmanuel, à qui l'Autriche faisait la guerre, mais après avoir chassé cette puissance de la Lombardie, grâce à la valeur de l'armée française, à l'appui de l'armée piémontaise et au concours énergique des patriotes italiens il s'est arrêté court à Villa-Franca, il a laissé toute la Vénitie au pouvoir de l'Autriche et l'armée française est restée à Rome, où depuis seize ans elle soutient le pouvoir détesté des prêtres. Sans Garibaldi et les patriotes italiens, les duchés de Parme, de Modène, de Florence, les Etats de Naples et la Sicile seraient encore soumis à leurs despotes, dont Louis-Napoléon Bonaparte a reconnu les droits par le traité de Zurich qui, s'il avait pu s'appliquer, aurait fait de l'Italie une confédération despotique, soumise au joug de l'Autriche, du Piémont, du Roi de Naples, Bomba II, de ducs de Parme, de Modène, et de Florence, le tout placé sous la suzeraineté du Pape. Voilà l'idéal de liberté et d'indépendance que Napoléon III voulait réaliser pour l'Italie. Quand à M. Laity, cet admirateur enthousiaste et passionné du bonapartisme démocratique et libéral, il est allé en Savoie pour préparer l'annexion de ce malheureux pays à la France ; il a concouru de tout son pouvoir à lui faire enlever les libertés constitutionnelles dont il jouissait sous le gouvernement de Victor-Emmanuel, pour le doter du despotisme abrutissant et honteux de l'Empire ; il lui a empêché de faire partie de la Confédération Helvétique à titre de canton indépendant, souverain et libre.

Au Mexique, Louis-Napoléon a fait combattre les armées françaises contre la liberté d'un peuple, il a détruit une république nationale, libérale et populaire, pour établir l'empire despotique étranger de l'autrichien Maximilien, que soutiennent contre les Mexicains, les baïonnettes françaises, belges et autrichiennes. Et pour couronner cette œuvre le prétendu défenseur des nationalités qui, selon M. Laity, accourt partout où la liberté des peuples a besoin de secours, partout où elle pousse un cri de détresse, après avoir poussé la malheureuse Pologne à la révolte l'a odieusement trahie, abandonnée et laissée égorger, il a été mendier inutilement l'alliance de la Russie, il a tendu la. main au Czar, il l'a prié et supplié de bien vouloir l'honorer d'une visite, mais l'Empereur de toutes les Russies a dédaigneusement refusé l'invitation du parvenu de décembre. Au discours d'ouverture de la cession législative -de 1865, la fameux défenseur des peuples opprimés n'a pas prononcé un seul mot en faveur de l'infortunée Pologne, et M. Laity, aujourd'hui sénateur, dans la discussion de l'adresse a été aussi muet que son maître. Telle est la pratique gouvernementale des apôtres de l'Idée-napoléonienne qui, quand ils étaient proscrits, réclamaient la liberté à corps et à cris et qui, depuis qu'ils sont au pouvoir, ont établi le despotisme le plus absolu et se sont faits, les séides de tous les tyrans.

Le procès de M. Laity devant la Cour des Pairs avait, eu nécessairement un grand retentissement et avait encore préoccupe l'opinion publique du gouvernement impérial et. des doctrines napoléoniennes du prétendant, c'était tout ce que désirait ce dernier.

Mais, par une fatalité étrange ou plutôt par une maladresse inexplicable, le gouvernement de Louis-Philippe en envoyant chercher les cendres de Napoléon à Sainte-Hélène devait encore servir puissamment et sans le vouloir sans doute, les projets ambitieux et raviver les espérances de Louis Napoléon Bonaparte.

C'est à M. Thiers, alors président du conseil, que le gouvernement de Juillet doit cette idée malheureuse.

Cet homme d'état, qui se croit habile, et qui n'est pourtant qu'intrigant, est beaucoup plus enclin au chauvinisme qu'au libéralisme ; bonapartiste sans s'en douter ou sans se l'avouer, esprit brillant, mais étroit et inquiet ; il est remuant comme un écureuil, mais comme cet animal il tourne continuellement dans le même cercle rétrécit ; son passage aux affaires a été très funeste et très nuisible au gouvernement de Louis-Philippe qu'il avait cependant la prétention et la volonté de servir ; sa conduite, sous la République de 1848, a considérablement contribuée à sa chute, la loi du 31 mai du suffrage restreint, qu'il a défendue, a aidé beaucoup Louis Bonaparte dans l'accomplissement de son coup d'Etat, et son Histoire de la Révolution, du Consulat et de l'Empire a contribué puissamment à populariser ce dernier, et à préparer la venue du second Et cependant, chose étrange, M. Thiers qui, malgré ses opinions bonapartistes inconscientes, se croit libéral, combat aujourd'hui l'Empire, le seul gouvernement qui lui convienne avec son esprit sceptique et batailleur ; car il croit beaucoup plus à la force qu'au droit, au succès qu'à la, justice. Eh bien, malgré cela M. Thiers fait partie de l'opposition au Corps-législatif, au lieu de siéger au Sénat, dont un fauteuil lui revient de droit pour le remercier et le récompenser des services involontaires qu'il a rendus à l'Empire.

Louis-Napoléon Bonaparte, qui, depuis sa chute misérable à Strasbourg, attendait avec impatience une circonstance favorable pour la venger et se réhabiliter aux yeux de ses partisans, résolut de ne pas laisser échapper celle que la fortune semblait lui offrir, lors de la translation des cendres de Napoléon aux Invalides.

Il se prépara dès lors pour une nouvelle tentative. II fonda une nouvelle publication mensuelle qui avait pour titre l'Idée-napoléonienne, dont le premier et le seul numéro, parut en juillet 1840, ayant pour épigraphe : Ce ne sont pas les cendres mais les idées de l'Empereur qu'il faut ramener. Ce nouveau journal devait être le précurseur de la seconde expédition de notre héros.

 

 

 



[1] Les passages en italiques ou guillemétés sont extraits textuellement des réponses et du procès de M. Laity.

[2] Marescq et Cie, éditeurs, rue du Pont-de-Lodi, 5, à Paris.