EXTRAITS DE L’HISTOIRE UNIVERSELLE DE VARTAN LE GRAND

 

FRAGMENTS TRADUITS SUR LES TEXTES ORIGINAUX PAR M. ÉD. DULAURIER.

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

NOTE PRÉLIMINAIRE.

(Introduction du Journal Asiatique, Juil.-Déc. 1860)

L’auteur qui m’a fourni le fragment suivant est l’un des plus savants qu’ait produits la littérature arménienne, l’un de ceux dont l’érudition s’est exercée sur le plus grand nombre de sujets. Tour à tour théologien et commentateur de l’Écriture sainte, fabuliste et poète sacré, il se recommande surtout à nous par la composition historique à laquelle il a attaché son nom. C’est un abrégé de l’histoire universelle, commençant à la création du monde, et finissant à l’année 718 de l’ère arménienne, ou 1269 de J. C. Les sources auxquelles Vartan a puisé n’y sont point indiquées nominativement ; mais, en examinant de près le caractère de sa narration, on peut conjecturer qu’il a dû mettre à contribution d’abord les historiens syriens, et quelquefois, mais plus rarement, les byzantins, parmi lesquels il en est plusieurs qui certainement ne nous sont pas parvenus, puisque les passages qu’il leur a empruntés ne se retrouvent dans aucun des auteurs que nous possédons ; en second lieu, les chroniques et les chartes géorgiennes et enfin cette innombrable quantité d’inscriptions retracées sur les édifices religieux de l’Arménie, véritables archives monumentales, dont le valeur historique ressort des débris qui nous en restent, et qui ont résisté aux outrages du temps, au révolutions de la nature ou aux dévastations encore plus funestes des barbares.[1] Pour la partie de son livre où il raconte les invasions des Mongols, j’ai déjà dit[2] qu’il a eu recours au grand ouvrage que son maître, le docteur Jean Vanagan (le cénobite), avait écrit sur le même sujet, et dont nous déplorons la perte.

Le style de Vartan, généralement assez correct, a cependant ses difficultés ; la brièveté des énonciations telles que les admet un abrégé aussi succinct que le sien, produit une obscurité où il n’est possible de porter la lumière que lorsque l’on connaît d’ailleurs et en détail les événements qu’il résume en quelques lignes. Mais cet inconvénient est moins sensible dans notre fragment, parce que les faits dont il contient la mention se rapportent à une période sur laquelle l’Orient, comme l’Occident, nous fournit un contingent suffisant d’informations ; le lecteur jugera si celles qu’y ajoute Vartan sont les moins précieuses.

Comme la plupart des écrivains de sa nation, il appartenait au clergé ; il avait fait profession de la vie religieuse dans le monastère de Kédig, et avait étudié avec Guiragos et Malachie le Moine, sous la direction de Jean Vanagan. Son surnom de Partzérpertsi indique qu’il était originaire de Partzérperi (Haut Château), l’une des places les plus fortes de la Cilicie, dans la chaîne du Taurus, au nord de la ville de Sis. Toute sa vie, Vartan resta simple même, et ne fut jamais élevé aux honneurs ecclésiastiques : mais le rôle qu’il joua parmi ses compatriotes n’en fut pas moins considérable, et son influence politique très grande. Guiragos nous le montre jouissant d’une h considération auprès du chef du clergé arménien, le catholicos Constantin Ier avec lequel il était lié d’amitié et remplissant une mission importante et de confiance auprès des prélats, des supérieurs de couvent et des princes de la grande Arménie. Le pape Innocent IV, qui, comme les souverains pontifes à cette époque, déployait tous ses efforts pour ramener l’Église arménienne à l’unité catholique et lui faire accepter la suprématie du Saint-Siège, envoya en Orient un légat appelé Dimanche, forme vulgaire sans doute du nom de Dominique avec une lettre adressée au roi Héthoum Ier. Ce prince et le catholicos confièrent à Vartan, comme au plus docte de leurs théologiens, le soin d’y répondre et de la réfuter.[3] Cette réponse renferme en quelques pages la discussion des points de dogme controversés alors entre l’Église arménienne et l’Église latine. Elle peut être considérée comme une page intéressante de l’histoire des Croisades, parce qu’elle nous aide à comprendre la nature des rapports qui existaient entre le princes Roupèniens de la Petite Arménie et les papes, lorsque ceux-ci faisaient de la soumission de ce royaume à leur autorité une condition préalable de leur assistance contre les invasions incessantes des infidèles. Tout en se plaçant un point de vue particulier, au point de vue de son Église nationale, Vartan se révèle à nous dans cet écrit comme parfaitement au courant des questions théologiques et philosophiques agitées de son temps dans les écoles de l’Occident. Mais la circonstance de sa vie qui met le plus en relief l’influence que ses talents et sa réputation lui avaient acquise est sa visite à la cour de Houlagou alors maître tout puissant de la Perse. La relation de l’entrevue de l’humble moine arménien avec le monarque mongol nous laisse entrevoir la ligne de conduite que celui-ci se proposait de suivre pour faire oublier aux vaincus les violences de la conquête. Elle nous le représente avec des instincts de bienveillance, de douceur et d’humanité, et sous un aspect tout différent de celui sous lequel nous le peignent d’autres écrivains, organes des nations opprimées. La conversation intime qu’eut notre historien avec Houlagou, la déférence que lui témoignait la principale femme de ce souverain, Dôkhouz-khatoun, et dont elle lui donna une preuve éclatante en le consultant sur une des questions les plus graves, les plus délicates, l’ordre de succession au trône, après la mort de son mari, attestent combien Vartan était apprécié à la cour de Tauriz. Sans croire qu’il décida à lui seul cette question, en se prononçant énergiquement pour Abaka et pour le maintien des dernières volontés de Houlagou manifestées en faveur de son fils aîné, il n’est pas douteux que sa voix n’ait eu quelque poids dans la balance. Celte relation nous est parvenue dans la forme, à ce qu’il paraît, où l’auteur l’avait primitivement rédigée en style vulgaire. Elle fut sans doute destinée à être répandue parmi le peuple et lue par tous, et forme ainsi un morceau à part dans la grande composition où elle a été insérée. J’ai cru devoir donner ici ce texte, curieux spécimen du dialecte, arménien vulgaire au xiiie siècle. Cette reproduction et ma traduction ont été faites sur le seul manuscrit de l’Histoire universelle de Vartan que je connaisse jusqu’à présent, celui de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg qui le conserve dans son Musée asiatique, sous le numéro i des manuscrits arméniens. C’est pour moi un devoir de remercier ici ce corps savant d’avoir bien voulu me communiquer cet ouvrage, l’un des plus précieux parmi ceux qu’il possède dans ses riches collections.

 

NOTE PRÉLIMINAIRE.

(Introduction du Recueil des Historiens des Croisades – Documents arméniens. 1869)

En publiant dans le Journal asiatique (cahier d’octobre-novembre 1860) un extrait de Vartan, relatif à la visite qu’il fit à Houlagou, khan mongol de la Perse, j’ai donné sur sa vie et ses ouvrages des détails que je crois devoir reproduire avec quelques remaniements.

Vartan est, sans contredit, l’un des écrivains les plus savants qu’ait produits la littérature arménienne, l’un de ceux dont l’érudition s’est exercée sur un plus grand nombre de sujets. Tour à tour théologien et commentateur de l’Écriture sainte ou poète sacré, il se recommande surtout à nous par la composition historique à laquelle il a attaché son nom ;[4] c’est un abrégé de l’Histoire universelle, commençant à la création du monde, et finissant à l’année 718 de l’ère arménienne, ou 1269 de Jésus-Christ. Les sources auxquelles Vartan a puisé n’y sont point indiquées nominativement ; mais en examinant de près le caractère de sa narration, on peut conjecturer qu’il a dû mettre à contribution d’abord les historiens syriens et quelquefois, mais plus rarement, les byzantins, parmi lesquels il en est plusieurs qui certainement ne nous sont pas parvenus, puisque les passages qu’il paraît leur avoir empruntés ne se retrouvent dans aucun de ceux que nous possédons ; en second lieu, les chroniques et les chartes géorgiennes, et enfin cette innombrable quantité d’inscriptions retracées sur les édifices religieux de l’Arménie, véritables archives monumentales dont la valeur historique ressort des débris qui nous en restent, et qui ont résisté aux outrages du temps, aux révolutions de la nature et aux dévastations encore plus funestes des Barbares.[5] Pour la partie de son livre où il raconte les invasions des Mongols, il a eu recours au grand ouvrage que son maître, le vartabed (docteur) Jean Vanagan, c’est-à-dire le cénobite, avait écrit sur le même, sujet et dont nous déplorons aujourd’hui la perte. En ce qui concerne les croisades, il a mis largement à profit la Chronique de Matthieu d’Édesse et celle de Grégoire le Prêtre, qu’il copie en les abrégeant très succinctement. C’est pour cette raison que nous nous sommes contenté d’extraire de son livre la partie qui fait suite au récit de ses deux devanciers, en nous bornant même aux événements qui se sont passés dans la partie de l’Asie occidentale théâtre de nos guerres saintes, et qui seuls nous intéressent ici au point de vue où nous sommes placé. D’ailleurs Vartan, si bien renseigné, si précieux pour l’histoire de la Grande Arménie, est en général mal informé des affaires des Latins en Orient. Néanmoins il nous offre, pour les relations de ces derniers avec ses compatriotes, des indications qui ne sont pas à dédaigner, et qui rectifient ou confirment celles que nous ont fournies les autres chroniqueurs de sa nation.

Son style, généralement assez correct et soutenu, a cependant ses difficultés ; la brièveté des énonciations, telles que les admet un abrégé aussi concis que le sien, produit une obscurité où il n’est possible de porter la lumière que lorsque l’on connaît par d’autres sources et en détail les faits qu’il résume en quelques lignes.

Comme la plupart des écrivains arméniens, Vartan était dans les rangs du clergé ; il avait fait profession de la vie religieuse dans le monastère de Kédig, où il étudia avec Guiragos et Malachie le moine,[6] sous la direction de Jean Vanagan. Le surnom de Partzerpertsi indique qu’il était originaire de Partzerpert « Haut Château », l’une des places les plus fortes de la Cilicie, dans la chaîne du Taurus, au nord de la ville de Sis, atteste l’estime que ses talents avaient fait naître pour lui. Néanmoins il ne fut jamais élevé aux honneurs ecclésiastiques et resta toute sa vie simple moine, quoiqu’il ait joué un rôle considérable et actif parmi ses contemporains et acquis une très grande influence politique. Guiragos nous le représente comme jouissant d’une haute considération auprès du chef du clergé arménien, le catholicos Constantin Ier, avec lequel il était lié d’amitié, et chargé par ce prélat d’une mission importante auprès des évêques, des supérieurs de couvent et des princes de la Grande Arménie. Le pape Innocent IV, qui, comme tous les souverains pontifes à cette époque, déploya tous ses efforts pour ramener l’Eglise arménienne à l’unité catholique et lui faire accepter la suprématie du Saint-Siège, envoya en Orient un légat nommé Dimanche, forme vulgaire ou travestie peut-être malicieusement par les Arméniens du nom de Dominique, avec une lettre adressée au roi Héthoum Ier : ce prince et le catholicos confièrent à Vartan, comme au plus docte de leurs théologiens, le soin d’y répondre et de la réfuter. Cette réponse, qui renferme en quelques pages la discussion des points de dogme controversés alors entre l’Eglise arménienne et l’Église latine, prouve que Vartan était au courant des questions théologiques et philosophiques agitées de son temps dans les écoles de l’Occident.[7]

Mais la circonstance de sa vie qui met le plus en relief l’influence que son savoir et sa réputation lui avaient valu est sa visite à la cour de Houlagou, alors dans tout l’éclat de sa puissance. La relation de l’entrevue de humble moine arménien avec le monarque mongol nous laisse apercevoir la ligne de conduite que Houlagou s’attachait à suivre pour faire oublier aux vaincus les violences de la conquête, et les rallier à son autorité ; elle nous le peint avec des instincts de bienveillance, de douceur et d’humanité, et sous un aspect tout différent de celui sous lequel nous le montrent d’autres écrivains, organes des nationalités opprimées. La conversation intime qu’eut notre historien avec Houlagou, la déférence que lui témoignait la principale femme de ce prince, Dôkhouz Khatoun, et dont elle lui donna une preuve éclatante, en le consultant sur une des questions les plus graves et les plus délicates, l’ordre de succession au trône, après la mort de son mari, attestent combien Vartan était apprécié à la cour de Tauriz. Sans croire qu’il décida à lui seul cette question, en se prononçant énergiquement pour Abaka, et pour le maintien des dernières volontés de Houlagou, manifestées en faveur de son fils aîné, il n’est pas douteux que sa voix n’ait eu quelque poids dans la balance, et n’ait conquis au nouveau souverain les sympathies et le concours d’un parti puissant et nombreux, celui des populations chrétiennes de l’Orient.

J’ai établi mon texte et fait ma traduction d’après le manuscrit coté n° 12 dans le fonds arménien du Musée asiatique de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg. C’est pour moi un devoir de remercier ce corps savant d’avoir bien voulu me communiquer cet ouvrage, l’un des plus précieux qu’il possède dans ses riches collections. J’ai tiré aussi quelque parti de l’édition de Vartan, publiée à Moscou, par M. Emïn, in-8°, 1861, et où il a réuni les variantes d’un manuscrit lui appartenant et du manuscrit de l’académie précitée.

 

Années 612 - 668 — Historiens des Croisades – Documents arméniens (1869)

(Certaines années sont sciemment ignorées par Ed. Dulaurier, n’ayant pas de rapports avec les Croisades).

Vers cette époque (612 de l’ère arméniennes : 11 février 1163 - 12 février 1164), le siège patriarcal d’Arménie fut transféré dans une foule de lieux différents : à Garmir-vank’, à Schough’r, à Dzovk’ ; enfin il fut fixé à Hrom-Gla. Cette forteresse avait été ainsi nommée, dit-on, d’un moine romain (grec) qui résidait dans ce lieu. Les musulmans la lui enlevèrent, et le prince Kogh-Vasil la conquit sur ces derniers : ensuite elle fut prise par les Francs,

[Josselin le Jeune,] seigneur de Hrom-Gla, étant allé à la chasse, tomba dans une embuscade et fut fait prisonnier par les musulmans, qui le traînèrent à Alep, où il mourut.

Sa femme, qui résidait à Hrom-Gla, envoya à Dzovk’, et, ayant fait venir le patriarche arménien, lui remit la forteresse, en lui disant : « J’ai laissé un fils de l’autre côté de la mer (en Europe), chez mes parents ; je m’en retourne, et s’il est encore en vie, je te l’enverrai, et, comme un fidèle dépositaire, tu lui remettras la place ; s’il ne vient pas, il vaut mieux qu’elle soit à toi qu’à des étrangers. » Étant partie, elle envoya ce jeune prince ; celui-ci ayant reçu du patriarche quantité d’objets précieux, on le décida à quitter Hrom-Gla. D’ailleurs lui-même sentait bien qu il ne pourrait s’y maintenir, isolé au milieu des infidèles ; en effet les Turcs étaient maîtres de toutes les contrées environnantes. Les Arméniens devinrent ainsi possesseurs de ce château fort, que la pieuse épouse de Josselin, inspirée par l’Esprit Saint, donna aux deux frères, Grégoire [Bahlavouni] et Nersès Schnorhali.,

En l’année 617 (8 février 1168 - 6 février 1169), Nersès succéda à Grégoire, qui avait terminé sa carrière dans l’exercice de ses fonctions.

L’empereur Manuel ayant envoyé demander, aux deux frères leur profession de foi, ils rédigèrent une exposition de notre croyance, exposition appuyée de vigoureux arguments et qui fut agréée de tous ; ils voulurent opérer la réunion de notre nation [avec les Grecs], mais cette oeuvre resta inachevée, comme on le voit dans les histoires détaillées, où ce sujet est raconté.

En l’année 621 (8 février 1172 - 5 février 1173), le seigneur Nersès mourut après avoir siégé sept ans. Après lui, le voile patriarcal fut dévolu à Grégoire [Dgh’a], fils de son frère, auquel cet insigne sacré avait été remis par Nersès lui-même. Un autre neveu, Grégoire, surnommé Abirad, se retira à Lampron, et administra le diocèse de Tarse. »

En l’année 626 (5 février 1177 - 4 février 1178), le roi Giorgi [III] prit Ani pour la seconde fois,[8] poussé par les instigations d’Ivanê,[9] émir sbaçalar (généralissime), qui voulait s’y établir et y faire rentrer les chrétiens captifs. Le roi emmena avec lui l’émir Schahenschah[10] qui dès lors ne retourna plus à Ani. A la nouvelle de cette invasion des Géorgiens, toute la nation des Turcs se rassembla en masse, et, les infidèles s’étant adjoint le sultan Alp Arslan,[11] ils marchèrent contre Ani, et saccagèrent le district de Schirag. Ivanê avait résolu de leur livrer cette ville ; mais son projet, avorta, parce que les habitants, en ayant eu connaissance, se tinrent sur leurs gardes. Le sultan et son atabek [Ildiguiz] se retirèrent, la rage dans le coeur, et tous deux moururent dans l’année.

Celle même année, Thogrul remplaça le sultan Alp-Arslan, second du nom ; Ildiguiz eut pour successeurs ses deux fils, [Mohammed] Pehlevan, qui gouverna l’intérieur du royaume, et Kizil Arslan [Othman], qui eut en partage la partie supérieure de notre pays.[12]

En l’année 627 (5 février 1178 - 4 février 1179), [Baudouin IV] roi de Jérusalem, à la tête de trois cents cavaliers, défit Saladin aux portes de Jérusalem, par la protection toute puissante de la sainte Croix.[13] Saladin était venu avec 140.000 hommes attaquer la Cité sainte. Il avait fait charger de l’eau sur 60.000 chameaux ; et cette provision était sans cesse renouvelée aux rivières et aux fontaines. Ce prince, appelé d’abord Youçouf, était fils d’Eyoub, homme de rien, originaire de Tévïn. Lorsqu’il fut parvenu au pouvoir, Youçouf reçut le nom de Saladin, mot qui signifie la paix de la foi.

En l’année 629 (4 février 1179 - 3 février 1180) mourut l’empereur Manuel.[14] Comme sa femme était la fille du prince d’Antioche, elle voulut épouser un Franc et faire mourir son fils Alexis, auquel on avait donné la couronné ; l’enfant se réfugia dans l’église [de Sainte-Sophie].[15] Andronic, parent de Manuel, avant été averti, survint et tua le sébaste, qui aspirait a la main de l’impératrice, et massacra les Francs qui se trouvaient dans la ville ; une partie d’entre eux ayant réussi à s’enfuir sur des navires, il fit lancer contre eux le naphte, et périr ainsi trente mille hommes dans les flammes. Il immola aussi le jeune empereur, et s’arrogea le pouvoir suprême. Ayant mandé un prince du sang impérial nommé Physicus (Isaac l’Ange) dans l’intention de s’en débarrasser pareillement, celui-ci, résistant avec courage, tua le messager, et, poussant de grands cris, courut à Sainte-Sophie. Toute la ville se souleva ; Andronic fut massacré cruellement, et ses deux fils créatures encore innocentes, furent précipités dans la mer.

En l’année 633 (4 février 1184 - 3 février 1185) Giorgi, roi de Géorgie, termina sa carrière sans laisser aucun enfant mâle. Temna était le fils mutilé, et aveuglé du [roi] David [III].[16] Giorgi eut pour successeur sa fille Thamar, qui épousa le fils du roi des Russes, lequel s’empara de la ville de Tévïn, et ensuite Sôslan.[17]

En l’année 634 (3 février 1185 - 2 février 1186), Roupen fut fait prisonnier par le prince [d’Antioche]. Léon, son frère, fils de Sdéph’ané, fils de Léon, fils de Constantin, [fils] de Roupen, le délivra. Léon possédait soixante douze forteresses ; il triompha des Grecs et des Perses, et rendit tributaire Kilidj Arslan, sultan de l’Asie Mineure.

En l’année 635 (3 février 1186 - 2 février 1187), les Grecs eurent pour souverain Physicus, autrement dit Isaac [l’Ange], lequel suscita des persécutions et des tourments aux populations du rite arménien, afin de les convertir à l’hérésie des Grecs. Le patriarche Grégoire, neveu du seigneur Nersès et de Grégoire [Bahlavouni], catholicos, lui écrivit en termes suppliants pour le conjurer de laisser en paix le peuple de Dieu. Mais il n’eut aucun égard à ses instances ; il attira un grand nombre de gens à sa croyance et chassa les autres. Dans trois évêchés, 1.600 prêtres, réunis par lui, subirent ses violences ; quelques-uns seulement s’échappèrent en conservant la pureté de la foi.

Le seigneur Grégoire, dans l’amertume de son coeur, adressa aux fidèles de l’Orient le récit de ces malheurs ; mais ils ne purent y remédier en rien. Il envoya un évêque, nommé Grégoire, au pape de Rome, pour lui retracer le tableau des tribulations que les Arméniens avaient à. souffrir de la part des Grecs, et pour solliciter ses prières et sa bénédiction, comme le faisaient les anciens.[18] Le pape accueillit cet ambassadeur avec une haute distinction, lui fit célébrer la messe, et y reçut la communion ; il lui fit revêtir le costume de sa dignité pontificale.

En l’année 636 (3 février 1187 - 2 février 1188), des marchands [sujets] de Saladin traversaient la Palestine, conduisant 400 chameaux chargé de marchandises de prix ; [Raymond], comte de Tripoli, en ayant donné avis au roi de Jérusalem, reçut l’ordre de les piller. Saladin, instruit de cette violence, envoya à deux ou trois reprises demander qu’on lui rendît au moins ses sujets, et rappeler les traités existants entre lui et le roi. Mais ses réclamations n’ayant pas été accueillies, irrité, il prit les armes ; de son côté, le roi s’avança à sa rencontre à la tête de 36.000 hommes, dans la plaine de Hermon. Abusé par la perfidie de [Raymond], comte de Tripoli, il fit halte sur une colline aride, et, ayant été cerné par les Turcs, il tomba entre leurs mains, après avoir essuyé une rude défaite. Toutes les villes du littoral furent prises, et ensuite Jérusalem. Saladin épargna la vie des habitants ; mais il exigea qu’ils se rachetassent, fixant la rançon des hommes à une somme de dix tahégans, et celle des femmes à cinq tahégans par tête. Comme il leur permit d’emporter tout ce qu’ils possédaient, et de se retirer où bon leur semblerait, ils mirent cette tolérance à profit. Le comte déloyal, qui s’était concerté en secret avec Saladin, mourut frappé de la main du Seigneur.

Saladin, étant venu mettre le siège devant [Tibériade], forteresse du comte, réclama la femme de celui-ci et la remise de la place. La princesse, à son tour, demanda des otages, pris parmi les principaux officiers de Saladin, avant de se décider à se rendre auprès du sultan et à devenir sa femme. Ayant introduit ces otages dans l’intérieur, elle leur fit couper la tête et la fit jeter par-dessus les murailles ; à cette vue les infidèles, effrayes, se retirèrent ;[19] ils avaient d’ailleurs appris l’arrivée du grand empereur des Allemands [Frédéric Barberousse], avec 50.000 cavaliers envoyés par mer, accourant à la nouvelle du désastre du Saint-Sépulcre et de toute la chrétienté. A son arrivée, cette armée entreprit le siège d’Acre, taudis que l’empereur cheminait à la tête de troupes innombrables à travers le pays des Grecs ; il leur enleva les villes de Beroea,[20] Philippopolis, Adrianopolis (Andrinople) et quantité d’autres places loties et châteaux. Il avait fait partir son fils en avant pour attaquer Constantinople. Les nôtres, maltraités par l’empereur Kyr Isaac, se joignirent aux Francs, et, pour satisfaire leur ressentiment, causèrent beaucoup de mal aux Grecs. Cependant les habitants de Constantinople demandèrent grâce et payèrent cent quintaux d’or et deux cents quintaux d’argent, ils transportèrent gratuitement toute la multitude que les Francs avaient recrutée dans les contrées des Valaques et des Boulgares, avec une masse de trésors recueillis en traversant ces contrées.

Les fils de [Izz ed-din] Kilidj Arslan, rejetant les conseils de leur père, vinrent combattre les Francs, à la tête des Turcs Ouzzes ; ils tinrent les chrétiens serrés de près pendant trente-trois jours, jusqu’à ce que ceux-ci les eussent défaits et exterminés.

Les Francs éprouvèrent une famine si rigoureuse qu’ils restèrent pendant dix- huit jours sans goûter aux produits de la terre, et jusqu’à leur arrivée à Iconium ils mangèrent 60.000 chevaux. Ayant pris cette ville, ils en massacrèrent la population et y firent halte.

L’empereur [d’Allemagne] envoya trois ambassadeurs à Léon, et se prit d’inclination pour lui. Il quittait Iconium lorsqu’il reçut une lettre du patriarche Grégoire, ainsi conçue : « Nous voici arrivés à Mécis et nous t’y attendons. » L’empereur ayant réuni ses officiers, leur fit lire à haute voix cette lettre, et elle leur arracha des larmes de joie. Il répondit : « Je me propose, si lu le trouves bon, de cultiver pendant vingt-sept ans la terre des Arméniens, et ensuite je m’en retournerai dans mes Etats. J’ai apporté une couronne et un Costume [royal], afin que tu consacres « roi d’Arménie celui que tu auras choisi. » Il disait à tous publiquement : « Tant que je n’aurai pas vu Monseigneur saint Pierre et le patriarche Grégoire, je ne révélerai point ce que j’ai dans le coeur. »

Parvenue au gué de Séleucie, l’armée traversa le fleuve, pendant que l’empereur s’était arrêté sur la rive, disant qu’il voulait prendre quelques instants de sommeil. Lorsque ses officiers furent endormis, il entra dans l’eau, accompagné de deux hommes seulement. L’un d’eux ayant été saisi par le courant et entraîné, l’empereur, en allant à son secours, manqua de précaution et se noya, causant ainsi la perte des chrétiens. Son corps fut transporté à Sis. Une grande partie de ses troupes s’en revinrent par mer dans leur patrie ; car son fils cadet [Frédéric de Souabe] mourut aussi, lorsqu’il fut parvenu devant Acre.

Le roi d’Angleterre [Richard coeur de Lion] et un autre prince avec lui[21] arrivèrent à cette époque en Orient, et s’emparèrent de Chypre. Ayant appris que les troupes qui assiégeaient Acre étaient sans direction, ils marchèrent à leur secours. Cette ville fut prise, et dix mille hommes d’élite des troupes de Saladin périrent ; le sultan lui-même, qui était venu inspecter son armée, fut pourchassé par les chrétiens, et ses soldats furent taillés en pièces jusqu’à Ascalon. Nombre d’émirs furent faits prisonniers et conduits de l’autre côté de la mer. Toutes les villes que les Turcs avaient occupées furent reprises, à l’exception de Jérusalem, qui, disait-on, [restera sous le joug des infidèles] jusqu’au jour où elle sera visitée « [d’en haut]. »

A cette époque, un des principaux émirs de Saladin vint mettre le siège devant Mandzguerd ; mais il échoua, car une bourrasque de neige assaillit ses soldats pendant l’été ; il s’en revint et fut tué en chemin. Bektimour[22] rendit grâces aux chrétiens [de ce qu’ils avaient si bien défendu Mandzguerd], et dès lors il commença à les honorer et à les aimer.

En l’année 646 (31 janvier 1197—30 janvier 1198), Léon, qui venait d’être reconnu en qualité de roi par les Francs et par les Grecs, reçut des uns et des autres une couronne. C’était un prince puissant, victorieux, qui avait imposé un tribut et un joug pesant à toutes les nations du voisinage.

Sous le règne de Thamar, les chrétiens virent leur puissance s’accroître ; elle avait répudié son mari russe et épousé Ôsn Aslan, qui remplit la Géorgie des captifs et du butin enlevés aux Turcs. Thamar eut de ce dernier un fils unique, qu’elle nomma Lascha ; elle mourut après un règne de vingt-trois ans, et son fils monta sur le trône. Il reçut de ses troupes le nom de Giorgi.

En l’année 668 (26 janvier 1219 — 25 janvier 1220), notre illustre Léon alla rejoindre le Christ. Sa couronne passa à sa fille unique, nommée Elisabeth, laquelle, dans la langue des Francs, est appelée Zabel (Isabelle) Khatoun. Cette princesse, ayant épousé Philippe, fils du prince d’Antioche, vécut avec lui deux ans.

Philippe détestait les Arméniens, et témoignait une grande partialité pour les Francs, ses compatriotes. Il viola son serment de maintenir la religion arménienne et d’être l’ami de notre nation. Il envoya dans le palais de son père la couronne et sur le trône glorieux qui lui avaient été donnés. Les grands, ne pouvant plus le supporter, le jetèrent en prison, et il y resta enfermé jusqu’à sa mort. Ils donnèrent la main de la reine à Héthoum, fils de Constantin, jeune homme plein de magnanimité et de sagesse, remarquable par sa haute taille, sa large carrure et sa belle prestance. Le patriarche Constantin posa la couronne nuptiale sur le front des deux époux. Ce prélat était monté sur le saint-siège, après la mort du seigneur Jean, en 669, de l’ère arménienne (20 janvier 1220 - 18 janvier 1221).

 

Années 669 - 716 — Journal Asiatique (Juil.-Déc. 1860)

En 669 de l’ère arménienne (26 janvier 1220 - 24 janvier 1221). Constantin[23] s’assit sur le siège patriarcal, en remplacement du seigneur Jean [VII]. Ce n’est point par l’effusion du sang, l’ambition, ou la simonie, qu’il parvint à ces hautes fonctions, mais par les grâces de l’Esprit Saint et le témoignage de milliers de langues.

Une année avant son sacre, un violent tremblement de terre se fit sentir, et la magnifique église de Mèschgavank[24] s’écroula le 11 janvier, à l’heure de l’office du repas.[25] Trois prêtres qui célébraient les saints mystères devinrent des victimes offertes avec celle qui s’immolait sur l’autel. Un astre, qui fut aperçu dans tous les pays, se montra dans le ciel pendant, la nuit entière, sous la forme d’une pique.[26] Ces deux phénomènes annonçaient les branlements que le monde, alors en paix, allait éprouver par la lance de l’ennemi ; prédiction qui se réalisa en effet, car, au commencement de l’année 669, des hordes à l’aspect étrange, au langage inconnu, sortirent de la contrée de Tchïn et Matchïn. Leur nom était Mongol (Mough’al) et Tartare (Thathar). Elles pénétrèrent par les vallées de la contrée de Koukark’, du côté des Agh’ouans, au nombre d’environ vingt mille hommes. Elles massacrèrent tout ce qu’elles rencontrèrent d’êtres vivants et s’en revinrent avec rapidité. Lascha,[27] s’étant mis sur leurs traces avec toutes ses troupes les atteignit près du fleuve Guèdsman ;[28] mais il eut le dessous et il dut chercher son salut dans la fuite avec Ivanè. Un chef ayant coupé les jarrets du cheval de ce dernier, il resta sans monture.

Vahram, seigneur de cette contrée[29] accouru pour repousser les Tartares, en fit un grand carnage en les poursuivant jusqu’à la forteresse de Kartman ; il ignorait ce qui était arrivé aux autres.

En l’année 671 (25 janvier 1222 – 24 janvier 1223) les Tartares tentèrent une nouvelle invasion ; mais comme leurs coureurs trouvèrent les Arméniens et les Géorgiens en état de défense et réunis, ils rapportèrent ce qu’ils avaient vu aux leurs, qui n’osèrent pas avancer et se retirèrent je ne sais où.

Cette même année un corps de Huns, que l’on nomme Kiptchaks,[30] étant arrivé à Kantzag, s’allia aux Tartares. Les nôtres, ayant marché contre eux avec confiance et sans précaution, furent battus et mis en déroute ; un grand nombre passèrent sous le tranchant du glaive ; quelques-uns des principaux officiers, ayant été pris, furent jetés en prison. Parmi eux était Grégoire, surnommé Ischkhan (Prince), fils de Khagh’pag,[31] ainsi que le fils de son frère [Vaçag] le brave et héroïque Babak. Nos troupes les vengèrent, au commencement de l’année suivante, en exterminant la plus grande partie des Kiptchaks,[32] tandis qu’ils retournaient chez eux de Vartanaschad.[33]

Au renouvellement de l’année 674 (24 janvier 1225 – 23 janvier 1226), deux fils du Khorazm-Schah, vaincus et repoussés par les Tartares[34] de l’armée du nord-est, envahirent avec deux cent mille hommes, à ce que l’on rapporte, la province d’Atèlbaragan (Adèrbadagan, l’Azerbéidjan) et s’y rendirent maîtres de la métropole de l’Arménie [Kantzag] ; ils couvrirent de leurs tentes la vaste plaine qui entoure cette ville. Les nôtres, étant venus les attaquer, furent repoussés, et il en périt un grand nombre près du bourg de Kar’ni ;[35] mais la majeure partie trouva la mort en courant comme à l’envi vers un précipice, dans les profondeurs duquel ils tombèrent. C’était un châtiment infligé par Dieu à Ivané, pour le punir d’un crime monstrueux dont il s’était rendu coupable ; car, un vertueux prêtre étant décédé, il fit exhumer et brûler son corps et immoler un chien sur sa tombe, en dérision du concours empressé de pèlerins qui accouraient prier sur ses reliques. Dieu rendit un témoignage manifeste au mérite de ce saint homme en faisant apparaître sur son tombeau une lumière éclatante, à la vue des habitants de la place forte de Pèdchni, où l’on jeta les fondements d’une église. Ivanê ne put souffrir les honneurs décernés à un prêtre qui professait la foi arménienne[36] et prêta l’oreille aux insinuations d’un calomniateur. Mais le Seigneur frappa celui-ci de la foudre dans la nuit même qui suivit le jour où [les fidèles] eurent à supporter ces tribulations.

Cependant le sultan [Djelàl eddin] victorieux et enflé d’orgueil saccagea une foule de contrées où auparavant régnait la tranquillité, et revint Thavrèdj (Tauriz) ; il en partit au bout d’un mois, en se dirigeant par la plaine de Kak vers Dèph’khis (Tiflis), et, après avoir causé une infinité de maux, il marcha sur Khêlath dont il s’empara. Enrichi des dépouilles qu’il avait enlevées, il s’avança contre ‘Ala-eddin, sultan de Roum, et Meli el-Aschraf [de Khèlath]. Mais, ayant été battu, il s’enfuit avec une poignée d’hommes dans la plaine de Mough’an, qui produit tout ce qui est nécessaire à la vie. Aussitôt fondirent sur lui les Tartares, qui précédemment l’avaient chassé de ses Etats, et ils le forcèrent de se sauver du côté d’Amid. Il périt dans sa fuite sans que l’on sache si c’est par le fer des Tartares ou, comme d’autres l’affirment, de la main d’un des siens, dont il avait fait mourir le parent depuis peu et qui lui gardait rancune de ce meurtre, et de ce qu’il les faisait marcher sans repos ni trêve. C’est ainsi que fut vengé le sang innocent qu’il avait versé.

Les Tartares n’étaient d’abord qu’en petit nombre en l’année 669 ; ils essayèrent de revenir en 670 (25 janvier 1221 – 26 janvier 1222) mais ils n’osèrent pas se risquer. Cependant leurs rangs s’étant grossis à l’infini et ayant reçu pour général un chef nommé Tcharmagh’an, ils marchèrent sur la cité royale de Kantzag en 682 (22 janvier 1233 – 12 janvier 1234), et la tinrent longtemps investie jusqu’à ce qu’elle tombât en leur pouvoir. Ils en massacrèrent impitoyablement la population, à l’exception des enfants en bas âge et des femmes qui leur plaisaient. Rendus plus forts par ce succès, les Tartares envahirent la Géorgie et répartirent entre eux les localités les plus considérables de chaque province, et les forteresses les plus importantes, devenues le lot de leurs grands officiers qu’ils appellent Nouïns (Nouïans). Ceux-ci, marchant contre les places échues à chacun d’eux, s’en rendirent maîtres aussitôt, en punition de nos crimes énormes.

Djagatai prit la ville de Lor’è et les districts d’alentour ; Tough’ata Nouïn[37] occupa le château très fort de Gaïan, d’où fut expulsé Avak, seigneur de la contrée ; le grand Tcharmagh’an s’empara d’Ani, de Gars, et des contrées voisines ; Gh’adagh’a’-Nouïn[38] des quatre cantons de Kedabag[39] et de Vartanaschad ; Molar-Nouïn eut en partage les forteresses des domaines du grand prince Vahram. Tandis qu’il s’emparait par surprise de Schamk’or, Vahram et son fils Ak-bouga s’enfuyaient d’un endroit dans un autre, jusqu’à ce qu’ils eussent appris que les Tartares épargnaient ceux qui faisaient leur soumission et acceptaient leur joug de bon gré ; ensuite ils abandonnèrent leurs possessions héréditaires, qui leur furent toutes enlevées, Davousch, Gadzarêth, Dêrounagan, Ërkévank’, Medzapert,[40] qui appartenait aux Askharthans[41] de la famille royale des Guriguians ; Norpert, qui était au roi Vaçag ; la forteresse inexpugnable de Kavazin,[42] et la célèbre forteresse de Kak, avec son territoire, bâtie par le roi Kakig.[43] Là existait le saint monastère de

Saint Sarkis (Serge), renommé dans tout le pays, avec une croix et une église élevées et bénies par le digne vartabed (docteur) Mesrob, l’un des traducteurs arméniens,[44] à l’extrémité de Kak, en face d’une large et longue plaine. Il y avait aussi d’autres places fortes et une caverne creusée dans le roc, des forêts, des vallées et des vallons, situés dans différents districts, des villages ou campagnes. Tout cela tomba en peu de temps au pouvoir des Tartares sans leur coûter aucune peine ni effort. C’était afin de nous apprendre que c’est la main du Seigneur qui a livré, sous nos yeux, notre pays en pâture à l’étranger. Mais ce qui était surtout malheureux, ce qui scandalisa les esprits faibles, c’est qu’avant les événements que nous venons de raconter [Dieu] déchaîna les ennemis contre les objets vénérés de son culte, et contre ses saints. Ils prirent par la famine et principalement par le manque d’eau, qui se faisait sentir d’autant plus vivement que c’était au coeur de l’été, la grotte du vartabed Vanagan, homme d’une grande réputation et plein de mérites.[45] Cet illustre docteur s’était retiré dans cet asile avec ses disciples et une foule de personnes qui, fuyant l’invasion, étaient venues y chercher une protection. Il se livra aux Tartares pour eux, à l’exemple du Christ, et s’en alla en captivité afin de les sauver. Après avoir erré quelque temps parmi ces hordes barbares, il fut vendu aux chrétiens de la forteresse de Kak, qui le rachetèrent, non point pour le livrer, à l’instar des juifs, à une mort ignominieuse, mais pour lui assurer, comme Notre Seigneur, une glorieuse délivrance. Sa rançon fut de 50 tahégans de plus que le prix auquel fut vendu Jésus-Christ ; tant était sordide l’âme de celui qui livra notre Sauveur, tant était minime ce que valait ce traître. Vanagan, après avoir vécu quinze ans pour la gloire de Dieu et le salut d’une multitude d’âmes, mourut en Jésus-Christ, épuisé par ses rudes austérités, [et alla, prendre place] dans les tabernacles des illuminateurs (apôtres) de ce monde. Il termina sa carrière le 18 mars, ou 10 du mois d’arek, d’après l’ancien style, un samedi du carême, le jour ou l’on célèbre la mémoire de saint Orens et de ses frères, et chez nous celle de saint Cyrille, patriarche de Jérusalem.[46] Il alla solenniser cette fête dans la Jérusalem céleste, celui qui ici-bas aimait fêter et à honorer les enfants de ce divin séjour. Il laissa dans ce monde à ses disciples la mémoire d’un héroïsme surhumain, perpétuée dans le livre des hymnes de l’Église. Ce fut en l’année 700 (18 janvier 1251 - 17 janvier 1252) qu’il s’envola vers le séjour où le temps est sans limites.

A partir de l’année 685 (22 janvier 1236 – 20 janvier 1237), jusqu’en 714 (14 janvier 1265 – 13 janvier 1266) que nous comptons maintenant, tout ce que la nation des archers des Tartares) a fait éprouver aux princes et aux populations de ce côté-ci de la grande mer, chez les Perses, les Agh’ouans, les Arméniens, les Géorgiens, dans la contrée connue sous, le nom de pays des Romains, et habitée par des Arméniens, des Syriens, des Grecs, des Musulmans (Dadjigs) et des Turkomaris, tout cela a été retracé en détail par notre père, l’homme de Dieu, l’illustre vartabed Vanagan.

Ces détails, nous avons craint de les répéter ou de les exposer dans toute leur longueur. Nous avons relaté seulement d’une manière sommaire la date des années, en y ajoutant, comme complément, la mention des événements et des faits les plus remarquables. Nous avons commencé notre récit en montant une longue suite de siècles et en le laissant imparfait, tout en respectant les auteurs honorables que nous avons énumérés précédemment.

En l’année 691 (20 janvier 1242 – 19 janvier 1243) Batchou-Nouïn[47] remplaça Tcharmagh’an dans son commandement et prit la ville de Garïn ; il en retira un homme de distinction, très riche et craignant Dieu, nommé Oumeg ainsi que ses parents, les fils du baron Jean,[48] Etienne et ses cinq frères.[49]

En l’année 692 (20 janvier 1243 – 19 janvier 1244) il soumit tout le pays des Romains et d’abord la célèbre ville de Césarée et ensuite Sébaste, en faisant grâce aux habitants, parce qu’ils se rendirent sans délai ; puis Ezènga, dont la population fut impitoyablement massacrée ou traînée en captivité à cause de sa résistance. Il réduisit pareillement d’autres contrées ou provinces occupées par notre infortunée nation arménienne. En effet, les lettres numérales de notre ère étaient alors 692 et, pour justifier le sens de ce mot,[50] des malheurs capables d’arracher des plaintes et des pleurs tombèrent sur elle. Ils atteignirent non seulement les êtres doués de vie, mais aussi les objets inanimés ; les montagnes et les plaines furent arrosées de sang et de larmes.

Pareilles calamités se renouvelèrent en 698 (18 janvier 1249 – 17 janvier 1250). Batchou et les autres généraux tartares, soupçonnant le roi David et les chefs géorgiens de vouloir les braver et se révolter, prirent et chargèrent de chaînes ce monarque, consacré par l’onction sainte, et ses chefs. Ils traînèrent en captivité les habitants des villages et des campagnes de l’Arménie et surtout de la Géorgie.

En l’année 699 (18 janvier 1250 – 17 janvier 1251) mourut Avak, fils d’Ivanè ; il fut enterré [au couvent] de Bêgh’entzahank’ (mines de cuivre), à côté de son père.[51] C’était un prince généreux, plein de bravoure et de religion.

En l’année 701 (17 janvier 1252 – 16 janvier 1253), les sauterelles fondirent sur l’Arménie et ravagèrent quantité de provinces.

En l’année 703 (17 janvier 1254 – 16 janvier 1255) Mangou-Khan ordonna de faire un dénombrement dans tous les pays soumis à son autorité, et confia ce soin à un de ses principaux officiers, nommé Argh’oun. Il voulut qu’une capitation fût imposée aux hommes, et que les femmes, les vieillards avancés en âge et les plus jeunes enfants en fussent exempts.

En l’année 703, le pieux roi d’Arménie Héthoum se rendit auprès de Bathou, le grand dominateur du Nord, des descendants de Tchinguis-Khan, et de là auprès de Mangou Khan. Ces princes lui firent un accueil bienveillant et le traitèrent avec une haute distinction. Au bout d’un an, il rentra tranquillement dans sa capitale.

En l’année 704 (15 janvier 1255 - 16 janvier 1256) Houlagou, frère de Mangou Khan, à la tête d’une armée immense et avec des préparatifs formidables, marcha contre la Perse, l’Assyrie, l’Arménie, la Géorgie et le pays des Agh’ouans. Il donna l’ordre à celui de ses corps d’armée qui était arrivé le premier de se transporter avec tout son attirail de campagne dans le pays des Romains. Les populations épouvantées abandonnèrent la partie supérieure de notre contrée et se retirèrent, contraintes par une nécessité irrésistible. Les Tartares occupèrent toute l’Asie Mineure jusqu’à la mer, et se rendirent maîtres des possessions du sultan des Romains (d’Iconium). Cependant le grand Houlagou dans l’année même où il entreprit cette expédition, en 704, envahit le pays des Mélahideh et s’empara d’Alamout dont il chassa le chef ; antérieurement à son arrivée, ses troupes avaient commencé le siége de cette forteresse et l’avaient réduite à l’extrémité. Elles étaient sous les ordres d’Içavour-Nouin. En s’en retournant, Houlagou manda auprès de lui David, souverain de Géorgie, ainsi que les grands de ce royaume et les reçut avec bonté et honneur. La femme de Houlagou, nommée Dôkhouz-Khatoun, était en effet chrétienne, de la communion des Syriens Nestoriens, sans se douter toutefois qu’ils étaient hérétiques. Elle avait une affection sincère et une considération particulière pour les chrétiens, de quelque nation qu’ils fussent, et sollicitait leurs prières. Il en était de même de Houlagou, qui portait le titre d’ilkhan.[52] Les Tartares transportaient avec eux une tente en toile, avant la forme d’une église, le jamahar (crécelle) appelait les fidèles à la prière ; les offices et la messe étaient célébrés chaque jour par des prêtres et des diacres ; il y avait des écoles et des instructions pour les enfants, qui s’y rendaient en toute liberté. Là vivaient tranquillement des ecclésiastiques accourus de tous les pays, de chez les chrétiens de toute langue. Venus pour demander la paix, ils l’obtenaient, et puis s’en retournaient satisfaits et avec des présents.

En l’année 705 (17 janvier 1256 – 16 janvier 1257) mourut Bathou, le grand préfet du Nord. La même année, son fils Sarthakh fut empoisonné par ses frères, jaloux de ce que son père lui avait laissé ses États et de ce que Mangou Khan lui en avait confirmé la possession ; en y ajoutant d’autres contrées. Sa mort fût un deuil pour les chrétiens et une occasion de vifs regrets ; car lui-même était un chrétien parfait, et il avait été pour un grand nombre une cause de salut, en gagnant à notre religion des gens de sa nation et des étrangers.

En 707 (16 janvier 1258 – 15 janvier 1259) le vaillant Houlagou prit Bagdad, cinq cent dix-sept ans après que cette ville avait été bâtie par [Abou-] Djâfar et les Ismaélites, en 194 de l’ère arménienne (24 mai 745 – 23 mai 746), sur les bords du Tigre, à une distance, dit-on, de sept journées de marche de l’antique Babylone.[53] Houlagou mit à mort de ses propres mains le khalife, qui se nommait Mosta’cem. Les chrétiens qui se trouvaient dans cette ville furent sauvés par la volonté et l’intercession de la grande reine Dôkhouz. Le khalife est appelé héritier de la race de Mahomet, lequel se révéla en l’an 60 de l’ère arménienne (27 juin 611 - 27 juin 612)[54] et dont le dernier successeur finit en 707.

Tandis que l’ilkhan Houlagou revenait de détruire Bagdad, Meïafarékin, la ville des martyrs (Martyropolis), fut attaquée. Le siége dura deux ans, car le sultan [Mélik el Kamel] auquel cette cité appartenait, loin de se soumettre au fils de Houlagou,[55] lui ferma ses portes et le combattit. Ce sultan, qui était de la famille des Adéliens (Étèl),[56] devint l’objet de la colère divine ; car la famine obligea les assiégés à se nourrir de la chair de toutes sortes d’animaux purs ou impurs, ensuite à dévorer les pauvres gens, puis leurs propres enfants, et enfin eux-mêmes entre eux, lors qu’ils pouvaient se saisir l’un l’autre. Le doyen et chef des prêtres, tourmenté par les angoisses de la faim, mangea, dans un accès de rage, la chair des siens. Il écrivit sa confession sur un papier, espérant qu’elle me tomberait sous les yeux et qu’il obtiendrait son pardon de l’Être miséricordieux qui nous a créés. S’abandonnant aux lamentations et aux pleurs à des soupirs et à des gémissements sans fin, il éprouva des regrets si cuisants qu’il en mourut. Nous avons vu, comme il l’espérait, sa confession écrite, et nous avons la confiance qu’il obtiendra grâce de Celui qui est la bonté même. Vous tous entre les mains de qui passera ce livre, implorez Dieu de tout coeur, en disant amen pour lui et pour le vartabed Thomas, copiste.

En l’année 708 (16 janvier 1259 – 15 janvier 1260), Houlagou envahit la Mésopotamie, dont il prit les villes et les provinces, comme l’ont raconté les auteurs qui ont composé des histoires détaillées. Le catholicos d’Arménie vint le trouver et le bénit, et Houlagou lui témoigna beaucoup d’amitié. Pendant le cours de l’expédition de ce prince dans le pays de Scham (Syrie), il avait sous ses drapeaux notre souverain Héthoum, qui racheta de la mort, en tous lieux, les chrétiens, tant ecclésiastiques que séculiers. Que Dieu le lui rende au centuple en lui pardonnant ses péchés et en lui accordant une longue vie, d’après sa sainte volonté, à lui ainsi qu’à ses descendants !

Houlagou revint prendre ses campements d’hiver dans la plaine de Mough’an. Pendant l’été, il s’établissait dans le district de Tarin appelé par d’autres la plaine de Taran. Il y a là des grottes et des anfractuosités tout alentour, sur les montagnes. S’étant pris de goût pour ce lieu, il y éleva des constructions à sa guise, et résolut d’y fonder une ville. L’exécution de ce plan fut une source de vexations pour les habitants ; car les hommes et les animaux furent mis en réquisition pour aller au loin chercher de lourdes pièces de charpente.

En l’année 709 (16 janvier 1260 – 15 janvier 1261), Martyropolis fut prise après un siège terrible et désastreux non seulement pour ses défenseurs, mais aussi pour les assaillants, Tartares ou chrétiens, leurs alliés, par suite des combats qui furent livrés entre les deux armées, du dedans comme au dehors. Là périt un beau jeune homme, Sévata de Khatchên, fils du grand prince Grégoire. Après avoir fait des prodiges de valeur il gagna la couronne immortelle, toujours fidèle à Dieu et à l’ilkhan ; il sera associé au triomphe de ceux qui versèrent leur sang pour le Christ et qui conservèrent leur foi et la crainte de Notre Seigneur. Amen.

A la même époque furent massacrées les troupes que l’ilkhan Houlagou avait laissées en garnison dans le pays de Scham, au nombre de dix mille hommes environ, sous le commandement du grand général Kith-Bouga, qui professait la religion chrétienne. Le sultan d’Égypte vint l’attaquer au pied du mont Thabor avec une armée innombrable. Ceux de Kith Bouga, très faibles numériquement, furent taillés en pièces ou faits prisonniers ; quelques-uns se dispersèrent, et, s’étant cachés, parvinrent à se sauver auprès du roi d’Arménie. Ce prince les traita avec la plus grande humanité ; et leur donna des vêtements, des chevaux et des vivres ; ils s’en retournèrent, Tartares et chrétiens, vers leur maître, en comblant Héthoum de bénédictions. Ainsi fut glorifié solennellement le nom du Christ en la personne du roi, par les étrangers et par les nôtres.[57]

En l’année 710 (15 janvier 1261 - 14 janvier 1262), le prince des princes, rejeton du sang royal, Djelal, devint participant, par les cruels supplices qu’il endura, de la mort du Christ et de ses martyrs. Des calomniateurs musulmans le dénoncèrent et le livrèrent à Argh’oun ; il fut conduit en pays musulman (Dadjgasdan), à Kazwïn (Gh’azwin). Là, pendant la nuit, on le fit mourir en lui coupant les membres. Le seul motif de sa perte fut son amour pour le Christ, dont il se montrait le fervent serviteur par ses jeûnes, ses prières et sa charité ; il passait le dimanche à veiller debout et continua ainsi jusque dans sa vieillesse. Aussi le Christ l’honora par l’apparition d’une lumière descendue du haut des cieux sur son corps mutilé, couronnant et glorifiant la mort du martyr. Les meurtriers, témoins de ce prodige, tout tremblants, jetèrent ses restes dans une citerne sans eau ; [il y resta] jusqu’à ce que les siens arrivassent et l’emportassent au monastère de Kantzaçar, où ils l’ensevelirent à côté de ses pères, qui avaient là leur tombeau. Ceux qui le transportèrent aperçurent les mêmes rayons lumineux.

A cette même date de l’ère arménienne on mit à mort, à la porte de l’ilkhan Houlagou, le général des Géorgiens, Zak’arê, fils de Schahênschah, alors à la fleur de l’âge, lorsque cette fleur s’épanouissait dans toute sa beauté, lorsque le progrès marquait chacun de ses pas et qu’il commençait être connu et apprécié de tous. Il fut victime d’accusations mensongères ; on lui imputa, entre autres choses d’avoir empêché la rentrée du tribut dans le trésor royal à l’époque où il devait être payé. Sa mort fut déplorée amèrement par toute la nation géorgienne et par les Arméniens du voisinage. Combien elle fut plus pénible pour ceux qui lui avaient donné le jour, eux à qui elle arracha les plaintes les plus douloureuses, les plus déchirantes ! Presque aussitôt, et au milieu du deuil général, son père Schahènschah, frappé au coeur, mourut. Celui-ci portait le titre de Schahènschah, comme seigneur d’Ani, capitale et résidence du souverain qui était le chef des diverses dynasties bagratides, et comme maître d’autres provinces. Ce titre de Schahénschab était en effet attribué au seigneur d’Ani, comme roi des rois.

Le nombre mystérieux Tch, c’est-à-dire « repos parfait, » et J, « saint » signifie que, comme l’on donnera le repos aux saints au prochain sabbat de Dieu, l’application de ces paroles peut être faite aux deux hommes illustres dont il vient d’être question. C’est ce qui s’accomplit alors à la date susmentionnée, au milieu des prières de tous les fidèles.

En l’année 711 (15 janvier 1262 – 16 janvier 1263), le seigneur Nersès,[58] catholicos des Agh’ouans, succomba aux cruelles douleurs d’une hydropisie, contre laquelle l’art médical fut impuissant. Son seul soulagement fut Jésus, notre Dieu, remède de la vie d’immortalité ; il alla le rejoindre avec une ferme espérance, une foi parfaite, et pour ne plus le quitter à jamais. Sa vie exemplaire s’écoula dans la pratique de la mansuétude et de la charité.

En l’année 712 (15 janvier 1263 – 14 janvier 1264) mourut en Jésus-Christ le célèbre athlète de Dieu, vénérable par sa dignité et la vocation où l’appela la grâce comme prêtre, comme docteur, et comme archevêque du district de Kartman, et autres places et districts, l’homme illustre et partout célèbre, le seigneur Jean, surnommé Douetsi. Il passait les trois cinquantaines[59] sans prendre une miette de pain, sans boire une goutte d’eau, ainsi que tous les vendredis et mercredis,[60] il fit le pèlerinage de Jérusalem nu-pieds et resta pendant tout le carême, continuellement debout, sans goûter au pain, jusqu’au jour de la Résurrection. Il excita l’admiration des Francs qui se trouvaient dans la Cité sainte ; car il se tint non seulement debout et à jeun, mais dans un silence complet, suppliant Dieu de lui révéler par un signe éclatant la vérité du bruit qui courait que lorsque le feu [céleste] descendait [sur les lampes du Saint Sépulcre], c’était la lampe des Arméniens qui s’allumait. Voici le récit qu’il nous fit :

« Le gardien de la coupole, nous dit-il, avait de l’affection pour nous et nous embrassait. Nous le priâmes de nous donner la certitude du fait ; il me dit : « Achète des lampes et suspends-les toi-même. » C’est ce que je fis ; j’achetai trois lampes et je les suspendis au-dessus du Saint Sépulcre, une droite, au nom des Francs, l’autre gauche, au nom des Grecs, celle des Arméniens, au milieu. Ainsi qu’ils le pratiquaient, nous fermâmes la porte et nous y apposâmes le sceau du gardien, qui nous remit ce sceau et la clef. C’était le jour du vendredi saint. Le lendemain, samedi, tandis que toute la ville était en prières, ainsi que les pèlerins, accourus des contrées lointaines, le gardien de la coupole me dit « Le Seigneur l’ordonne, ouvre, « car la lumière est descendue.» Je m’avançai, et j’ouvris après avoir brisé le sceau ; et vraiment, sans que l’on pût en douter, la lampe du milieu était allumée, et brillait d’un indicible éclat. » Ce miracle couvrit d’honneur et rendit célèbre ce saint homme.

Le seigneur Jean a rapporté aussi ce qui suit « J’allai visiter la sainte cité de Bethlehem, où je vis les images des apôtres peintes sur le mur de l’église. Les musulmans, pour témoigner leur mépris, avaient creusé les yeux de ces figures. Cette profanation m’affligea ; j’adressai mes prières aux saints apôtres, les suppliant de me faire connaître s’il leur était agréable qu’on peignit ainsi en tous lieux leur image. Lorsque je fus de retour à Jérusalem, la nuit même qui suivit mon arrivée, j’aperçus, dans une vision, deux hommes d’un port majestueux qui s’avancèrent vers moi ; j’allai à leur rencontre, en leur disant : « Qui êtes-vous, ô serviteurs de Dieu » Ils me répondirent : « Nous sommes Pierre et Jean, que tu as priés de t’éclairer sur l’usage qu’ont les chrétiens de retracer nos traits ; cela ne nous plait nullement, nous en sommes fatigués ; nous manifestons partout notre volonté à cet égard, et l’on n’en tient aucun compte. »

Le moine qui avait accompagné le seigneur Jean à Jérusalem racontait ce qui suit : « Jean alla pieds nus jusqu’au terme de son pèlerinage. Un jour il m’appela et me dit : Examine mon pied, il est douloureux et me fait beaucoup de mal. » En sondant à l’aide d’une aiguille une tumeur qui s’y était formée, je découvris des éclats aigus et gros d’une épine qui pointait, et qui avait déterminé un écoulement purulent. L’admiration me saisit en songeant qu’il ne nous avait pas parlé de cet accident jusqu’à ce qu’il fût arrivé ; ne tenant aucun compte de la douleur, qu’il supportait pour l’amour de Dieu et des saints lieux qu’il était venu visiter. Il gravit ainsi cette pénible voie de macérations jusqu’à ce que, parvenu à une extrême vieillesse, il s’endormît en Jésus-Christ dans le célèbre monastère appelé le Couvent de Norpert ; il fut enseveli à la porte de l’église qu’il avait bâtie. Il avait élevé aussi beaucoup d’autres édifices et accompli bien d’autres oeuvres utiles, par la volonté, l’ordre et avec l’aide de Vaçag, prince du sang royal des Bagratides. Que la mémoire de ce saint homme se perpétue dans l’Église catholique, en présence de Dieu, par une odeur suave qui ne se dissipera jamais ! »

En l’année 713 (15 janvier 1264 – 13 janvier 1265), le grand Houlagou, l’ilkhan, nous fit appeler par un homme nommé Schnorhavor (le Gracieux), qui dans ce temps était entouré de la considération générale et qui s’était acquis à un haut degré celle des préfets de Houlagou, ainsi que de Bathou, gouverneur des contrées septentrionales, auprès duquel Schnorhavor s’était rendu précédemment et qui l’avait accueilli avec une haute distinction, et celle aussi de Houlagou lui-même. Schnorhavor nous transporta à ses frais, et sur ses montures, moi et ceux qui m’accompagnaient, nos frères, les vartabeds Sarkis et Grégoire (Krikor), et Avak, prêtre marié de Tiflis. Nous vîmes donc ce puissant monarque à l’époque solennelle du commencement du mois qui ouvre l’année tartare, c’est-à-dire juillet, suivant le calendrier romain, et arats, suivant le nôtre. Ces peuples passaient alors un mois environ en fêtes, et ils appelaient ce temps Kouriltaï, ce qui répond à l’idée d’assemblée solennelle.

En effet, auprès du chef suprême se réunissaient, pour délibérer sur les affaires à régler, les autres khans, descendants de Tchinguiz-Khan, escortés de tous leurs grands officiers. On les voyait chaque jour sous des costumes nouveaux, de couleurs différentes. Là se trouvaient tous les princes, rois et sultans que les Tartares avaient soumis, apportant chacun quantité de magnifiques présents. Dans le nombre j’aperçus Héthoum, roi d’Arménie, David, roi de Géorgie, le prince d’Antioche et une foule de sultans venus de la Perse. Lorsque nous fûmes admis [devant Houlagou] on nous dispensa de fléchir le genou et de nous incliner suivant l’étiquette tartare, les chrétiens (ark’aïoun) ne se prosternant que devant Dieu. Ils nous firent bénir le vin et le reçurent de nos mains. Les premières paroles que [Houlagou] m’adressa furent celles-ci :

« Je t’ai fait appeler pour que tu vinsses me voir, faire connaissance avec moi, et prier pour moi de tout ton coeur. » Il est inutile sans doute de rapporter toute sa conversation ; il nous parla longuement et nous répondîmes à toutes ses questions. Après nous avoir fait asseoir, on nous offrit du vin, et les frères qui m’accompagnaient chantèrent des hymnes ; les Géorgiens célébrèrent leur office, les Syriens et les Romains en firent autant. Comme les Tartares remarquaient que des ecclésiastiques étaient accourus de tous côtés, l’ilkhan se mit à dire : « Je n’ai mandé que toi. Que signifie ce phénomène que je n’ai jamais vu auparavant et qui ne se reverra plus que les moines soient venus de partout en même temps que toi pour me visiter et me bénir. » Et continuant : «Je crois, que c’est une preuve que Dieu est incliné en ma faveur. »

Nous lui répondîmes « Nous sommes nous-même étonnés de ce concours extraordinaire ; mais l’application que l’on peut en donner est bien celle que tu as énoncée.» Il reprit : « J’aurai un entretien particulier avec toi. » En effet, un jour il fit faire un large espace autour de lui et reculer à une distance considérable tous les gens de sa cour ; et, en compagnie de deux personnes seulement, il causa longuement avec moi des événements de sa vie, à partir de son enfance et depuis l’époque de sa mère, qui était chrétienne. « Quoique un enfant, me dit-il, ait été élevé par une nourrice, cependant en grandissant il aime sa mère. Nous ne sommes pas éloignés d’avoir de l’affection pour les chrétiens. Ce que tu as à me dire, dis-le. » En même temps il m’avait pris les mains. Nous lui parlâmes comme Dieu nous inspira. Autant tu es au-dessus des autres hommes, autant tu es rapproché de la Divinité. Le trône de Dieu repose sur son jugement, qui est souverainement juste ; il a donné à chaque nation l’empire du monde et l’a mise à l’épreuve. Jusqu’à toi ces nations ont ravagé la terre et ont été impitoyables pour les malheureux ; maintenant elles sont condamnées à subir une dure servitude, à gémir et à pleurer devant Dieu ; il leur a retiré la puissance et l’a conférée à d’autres. Si vous êtes les bienfaiteurs des populations et compatissants pour les faibles, il ne vous l’enlèvera pas, il vous laissera ce qu’il vous a donné ; car, quand il lui plaît, il ôte à l’un ses dons pour les accorder à l’autre. Place à ta Porte des hommes animés de la crainte de Dieu et qui te soient dévoués. L’infortuné venu à toi, les larmes aux yeux, et qui n’a pas de présents à offrir, renvoie-le chez lui satisfait, et il se souviendra de toi. Fais inspecter tes États par des hommes qui les visitent avec intégrité, sans se laisser gagner par des dons corrupteurs, et qui te révèlent la vérité. » Nous l’entretînmes longtemps sur cet ordre d’idées ; il me répondit : « J’ai mis dans mon coeur tout ce que tu m’as dit. Comment se fait-il que toutes ces idées soient déjà gravées dans mon âme et m’aient toujours convenu ? Dieu t’a-t-il parlé, t’est-il apparu ? — Non, lui répondis-je, je ne suis qu’un pauvre pécheur. Mais nous avons lu les livres d’hommes qui ont parlé de la part de Dieu ; le coeur des rois est entre ses mains, et il s’est révélé à toi sans le secours des livres. Nous ajoutâmes : « Nous avons quelque chose à dire en face de Dieu, qui d’abord l’entendra, et ensuite de toi-même, en qui il n’y a que sincérité. — Eh bien ! parle, reprit-il. — Tous les chrétiens, continuai-je, qui vivent sur terre ou sur mer, te sont dévoués de coeur, et ne cesseront de prier pour toi. — Je crois qu’il en est ainsi, me répondit-il ; mais les chrétiens ne sont pas dans la voie de Dieu, à quoi bon prieraient-ils pour moi ? et s’ils prient, quand est-ce que Dieu les exaucera ? Le prêtre chrétien[61] fait-il descendre Dieu sur la terre ? Dites plutôt que ceux qui suivent la voie de Dieu, ceux-là seuls prient. »

« Mes frères et moi nous ne pouvons manquer en guerre à ce sujet ; car nous, nous aimons les chrétiens, leur culte est en faveur dans notre palais, tandis qu’eux sont favorables aux musulmans, et l’islamisme est professé chez eux. Mais pourquoi portes-tu un vêtement en peaux de brebis, et non pas tissu d’or ? » Je lui répondis : « Je ne suis pas un personnage considérable et élevé en dignité, mais un simple moine, « Il dit : Je veux t’honorer d’un costume en étoffes tissues d’or, et te donner de l’or en quantité. L’or et la poussière, reprîmes-nous, ont même valeur à nos yeux ; nous désirons une chose bien plus précieuse et digne de Ta majesté : la miséricorde pour les populations. — Prêtre ajouta-t-il, je veux attacher après toi une enfilade [de monnaies] d’une infime valeur, toute petite et seulement suffisante pour acheter de l’encens pour ton église. Si tu t’en allais sans cela, on dirait : Se peut-il que le khan t’ait reçu ? Ce que tu m’as demandé, je le ferai, j’enverrai inspecter mes États.»

Lorsque nous sollicitâmes notre congé, il nous fit appeler et nous entretint de nouveau ; il tenait à la main un balisch[62] et il avait fait coudre deux habits. Nous lui rappelâmes ce qui s’était passé dans notre précédente entrevue. « Ilkhan, lui dîmes-nous, cela se dépense à ta Porte et les vêtements s’usent. Nous t’avons demandé ce que rien ne peut altérer. — Hier, reprit-il, j’ai fait ce que tu désirais ; par mes ordres, un iarlikh[63] a été rédigé, fais-le toi lire, et ce qui te paraîtra nécessaire, fais l’y ajouter, j’ai confié le soin de ton pays et de ta personne à Sakhalthou et à Schampandïn ; ils exécuteront tout ce que tu leur prescriras. » Nous le remerciâmes. Peut-être ces détails sont-ils superflus ; mais nous les avons consignés ici en mémoire du grand Houlagou, ce prince excellent et affable ; nous les avons rapportés comme une chose utile, comme un exemple pour ceux qui viendront après nous. Qui sait ?

Au commencement de l’année 714 (14 janvier 1265 – 13 janvier 1266), ce puissant monarque vit arriver un messager plus puissant que lui ; dont la verge irrésistible frappa ce brave et victorieux guerrier. Il subit la sentence infligée à notre premier père ; car lui aussi était enfant d’Adam, et il trempa ses lèvres à la coupe où ont bu et boiront toutes les générations, et, quoique la saveur en fût amère pour lui, il goûta le fiel de la mort. Ce ne fut pas avec joie comme Notre Seigneur et ceux qui espèrent en lui.

Il fut en effet séduit par les astrologues et les faux prêtres de certaines idoles qu’ils appellent Sakya Mouni (Schagmnonia) ; c’est un dieu, prétendent-ils qui a trois mille quarante ans et qui doit subsister encore pendant trente-sept touman ; or le touman vaut dix mille. Un autre dieu, nommé Maïdari (Mantrin), chassera ensuite celui-ci. Ces prêtres étaient nommés Touïn par les Tartares. Ils avaient la confiance de Houlagou et leurs oracles décidaient s’il devait ou non marcher au combat ; ils lui répétaient « Tu vivras longtemps dans le corps que tu animes ; et, lorsque tu seras parvenu à une extrême vieillesse, tu revêtiras un corps nouveau, ils lui persuadèrent d’élever un temple à ces idoles, où il allait prier ; ils lui pronostiquaient ce qu’ils voulaient. Tandis que nous espérions qu’une autre fois, dans une seconde visite, en faisant plus ample connaissance avec lui, nous lui adresserions quelques paroles convenables, car nous comptions sur son caractère bienveillant et sur l’attachement qu’il portait aux chrétiens pour lui montrer un signe qui fait leur force et l’entretenir en toute confiance, et de plus nous savions qu’il était instruit de leurs doctrines, il tomba malade.

Ces prêtres faisaient parler des idoles de feutre et des chevaux ; ils étaient féconds en stratagèmes que leur fournissait l’art de la divination.

Ces peuples se montrèrent à nous tempérants dans leur nourriture, modestes dans leurs vêtements, partisans de la chasteté, réglés dans le mariage et le commerce avec les femmes ; ils disent que l’on doit se manier vingt ans, pratiquer, jusqu’à trente le devoir conjugal trois fois la semaine ; de trente à quarante, trois fois le mois ; de quarante à cinquante, trois fois par an, et passé cet âge, plus du tout. C’est de ce régime principalement que vient la vigueur de leurs coups dans les combats.

Sur ces entrefaites le jour fatal arriva et la mort, de ses larges pieds, foula cette montagne élevée et abattit ce superbe dominateur au niveau de ses ancêtres ; car une montagne qui doit tomber s’écroule nécessairement, dit l’Écriture, et cette parole du Prophète se vérifia : « La gloire humaine est comme la fleur des champs.» Mais Dieu, qui est infaillible et juste, récompensera ce prince pour ce qu’il y eut de bon en lui, suivant la loi naturelle, pour ce qu’il fit de bien en se conformant à la loi de ses pères, car l’iaçak,[64] dénomination par laquelle les Tartares désignent les institutions de Tchinguiz Khan, défend le mensonge, le vol, l’adultère, commande d’aimer son prochain comme soi-même, de ne pas faire d’injures, et de les oublier entièrement, d’épargner les contrées et les villes qui se soumettent volontairement, d’affranchir de tout impôt et de respecter les temples consacrés à Dieu, ainsi que ses ministres. Houlagou voulait que ces préceptes fussent observés et il les pratiquait lui-même. Nous nous rappelons ici une de ses paroles : « Nous qui vous recommandons de prier pour nous, ce n’est pas pour obtenir d’être sauvés de la mort, car nous savons qu’elle est inévitable ; mais demandez à Dieu que nous ne périssions pas par la trahison de nos ennemis ? » Dieu seul sait si ce voeu fut exaucé, car le bruit courut d’abord que ce prince était mort empoisonné par une main perfide, mais ensuite on cacha cette nouvelle.

Cependant la grande reine Dôkhouz-Khathoun, avant que le bruit de la mort de Houlagou se fut répandu, nous envoya un message secret, en nous faisant dire ceci : « Dieu, qui aimait l’ilkhan, l’a retiré de ce monde ; il lui avait accordé ce qu’il ambitionnait ici-bas, l’empire, et maintenant il lui a donné un autre royaume ; dira-t-on pour lui la messe, ou non » Nous répondîmes : « On ne doit pas célébrer de messe ; mais répandez des charités et allégez les impôts. » Les Syriens, au contraire, avaient affirmé qu’il était licite de faire cette cérémonie.

La reine me fit aussi consulter au sujet d’Abaka, fils aîné de Houlagou, pour savoir s’il fallait le placer sur le trône, puisque son père avait fait un testament en sa faveur. Nous conseillâmes, comme l’Écriture le prescrit, de donner la couronne à l’aîné et nous dîmes qu’un testament (irrévocable) est appelé ainsi, parce que c’est un acte sur lequel on ne peut revenir. C’est ce qui eut lieu effectivement. Un prince du sang, nommé ilkhan Takoudar (Dagouthar), vint placer Abaka sur le trône de son père Houlagou, et toute l’armée ratifia ce choix et rendit hommage. Mais comme nos péchés étaient sans nombre, notre deuil fut aussi immense ; trois mois après, cette même année, la pieuse reine Dôkhouz-Khathoun alla rejoindre le Christ, et les nations chrétiennes tombèrent dans le désespoir et le découragement ; elles furent plongées dans la douleur et la tristesse ; car pendant la vie de cette princesse, la blessure de l’ilkhan commença immédiatement à guérir. Elle espérait voir le christianisme prendre de plus en plus d’éclat ; tous les progrès qu’il fit, c’est à elle qu’il faut les attribuer, suivant notre opinion. Mais comme Dieu est la source de tout bien, il ne faut jamais perdre confiance. En effet, il remplaça Dôkhouz-Khathoun par une de ses fidèles parentes, femme pieuse, nommée Doukhthan.

L’épouse d’Abaka vint de chez les Grecs ; elle se nommait Tespina et était la fille du roi Vatatze ;[65] elle voulut qu’avant la célébration de son union Abaka reçut le baptême. Le bruit courut en effet que le mariage n’eut lieu qu’après que ce prince eut été baptisé pour la gloire du Christ.

A cette époque, et en punition de nos péchés, il arriva que notre livre tomba avec nos jeunes gens entre les mains de brigands ;[66] mais par la miséricorde de J. C. ces enfants furent aussitôt délivrés. Au bout d’un an et demi, ce livre ayant été porté à Tiflis pour être vendu, il fut acheté par quelqu’un de la mai son de l’un de mes frères, nommé Méler. Gloire soit rendue à la bonté de Dieu, par ses saints et par toutes ses créatures ! que celui qui racheta ce livre soit inscrit par le Christ [dans le livre de vie] !

Au commencement de l’année 715 (14 janvier 1266 – 13 janvier 1267), le préfet des contrées du nord Béréké, qui avait remplacé Bathou et Sarthakh, et qui s’était fait musulman, ayant appris la mort de Houlagou, marcha à la tête d’une armée formidable vers le Kour (Cyrus), et se fit voir aux troupes d’Abaka et de son frère Yschmouth, qui étaient campées sur la rive méridionale, comme pour témoigner qu’il avait survécu à son père. Il les battit complètement, et puis, traversant le fleuve, il vint en toute sécurité faire ses prières dans un lieu de pèlerinage[67] au grand contentement des musulmans. Les troupes stationnées dans ces lieux, épouvantées, élevèrent un solide retranchement sur toute la longueur du fleuve, qu’ils appelaient Schipar, et employèrent l’hiver à fait toutes sortes de préparatifs de défense. Alors Béréké, ayant perdu tout espoir, rentra dans ses États, et mourut l’été suivant. On prétend qu’il avait un caractère pacifique et qu’il répugnait à verser le sang. A la même date de notre ère, aux approches de l’automne, la coupe de vinaigre s’épancha sur nous, et la lie de la colère divine fut bue par notre nation. En effet, le sultan d’Egypte [Beïbars] Bondokdari réclama les forteresses dont le roi d’Arménie [Héthoum] s’était mis en possession avec le secours des Tartares. Comme il refusait de les rendre, parce qu’il comptait sur l’appui de ces derniers, le sultan, furieux, rassembla une armée considérable, et l’envoya sous les ordres de son général Simm-el-Maut (Sèmlémôth) dans la Cilicie.[68] Ayant envahi cette contrée à l’improviste, le général égyptien se rendit maître de Sis, la capitale et la résidence du roi, et la brûla avec ses églises. Il découvrit le trésor royal renfermé dans une chambre souterraine, et en enleva une masse de richesses. On affirme que dans un seul vase il y avait six millions de tahégans d’or. Il étendit ses ravages jusqu’à Adana. Ayant ensuite reçu des nouvelles d’Égypte, il s’en revint chargé de butin et traînant après lui quarante mille captifs, sans compter ceux qui périrent dans cette invasion. Mais la perte la plus grande, la plus douloureuse pour nous au milieu de ces scènes de carnage, perte irréparable fut celle de Thoros, fils du roi, beau jeune homme, encore dans cet âge tendre où un léger duvet couvre à peine le menton, l’objet des éloges universels, accompli dans la pratique du bien et se conservant par la virginité dans le giron des grâces divines. Il courut avec empressement au-devant de la couronne du martyre. Comme on lui demandait qui il était, il ne voulut pas déclarer le nom de son père, afin d’éviter qu’on lui épargnât la vie, et que, fait prisonnier, il ne devînt un fardeau pour l’auteur de ses jours et pour son pays, avec son frère aîné Léon, déjà couronné et destiné au trône du vivant de leur père. C’est Léon qui est le premier de nos captifs, et dont le souvenir est un feu qui dévore nos entrailles, qui déchire notre foie et brise notre coeur ; tourment cruel pour la patrie et pour nous, qui restons ici sans souffle et dans les angoisses. La main de Dieu nous a frappés avec colère ; mais cette même main nous guérira avec bonté, en pansant nos blessures béantes, en nous rendant le jeune prince que les infidèles ont emmené avec les autres captifs, après avoir demeuré dans notre pays quinze jours, pendant lesquels ils ont accablé ces malheureux de mauvais traitements, nous désolant par les tristes nouvelles que nous apprenions sur leur sort.[69]

Au commencement de l’année 716 (16 janvier 1267 – 13 janvier 1268), sur la fin de la sixième semaine du carême, le jour de la résurrection de Lazare, le 26 de sahmi,[70] passa de ce monde corporel dans le monde immatériel, le seigneur Constantin, catholicos d’Arménie. Il était parvenu à une extrême vieillesse et sa vie avait été complète et pour le corps et surtout pour l’âme, et conforme aux volontés de Dieu. Marqué du sceau de la vocation divine dès le sein de sa mère, il s’était avancé en passant par tous les grades ; en tout agréable à chacun, et d’un mérite proclamé par tous les peuples et dans toutes les langues. Il avait conservé une inviolable chasteté, dans l’homme spirituel comme dans l’homme corporel, dans son âme et dans se sens, ainsi que dans toutes les parties de son être ; partageant avec compassion et charité les peines de notre nation dans ce siècle de péché et de terribles châtiments, dans ce temps d’épreuves et de souffrances ; prenant toutes ces peines pour lui et les allégeant de tout son pouvoir, en y consacrant son coeur, sa parole et sa bourse avec une générosité qui allait jusqu’à la profusion. Aussi c’est de lui qu’il convient de dire au Seigneur, « nous avons passé par le feu et l’eau, éprouvés en diverses manières, » car il avait connu le piège qui brûle ou qui étrangle. Sa langue épaissie et comme déjà embaumée de myrrhe par la mort, au moment où il allait rendre le dernier soupir, à l’imitation du Christ, murmurait des regrets sur l’ébranlement de notre monarchie, sur les massacres et la captivité des populations de sa patrie bien-aimée, et tombée dans les flammes de la fournaise où brûle un feu infernal, et sur la perte des fils du roi, ses élèves. Ces pénibles idées contribuèrent à accélérer sa fin, et hâtèrent en lui l’épuisement du souffle vital, en enflammant le désir ardent qu’il avait de voir s’éteindre sa douloureuse existence. Son Jésus, son Dieu, l’ayant reçu dans son sein, le plaça avec Lazare hors de l’atteinte de ces cruelles et indicibles souffrances qu’il avait endurées.

 

 

 



[1] Une partie des inscriptions qui subsistent aujourd’hui a été recueillie par le P. Minas, religieux de l’ordre des Mékhitharistes de Venise, dans son Voyage en Pologne et en Crimée, Venise, in 8° 1830, par feu l’évêque Schahkhatbouni, dans sa Description d’Edchmiadzin et des cinq districts de l’Ararat, imprimée à la typographie du couvent patriarcal d’Edchmiadzin, 2 vol. in 8°, 1842 et par Mgr Sarkis Dchalaliants, actuellement archevêque arménien de Tiflis, dans son Voyage dans la grande Arménie, 2 vol. in 4°. Tiflis, 1842 et 1851.

[2] Voir mon Extrait de l’Histoire d’Arménie de Guiragos note préliminaire.

[3] Cet écrit de Vartan se trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds arménien.

[4] La renommée de Vartan a fait inscrire sous son nom différentes productions qui, tout porte à le croire lui sont étrangères, entre autres une Géographie de l’Arménie, publiée à Constantinople, en 1728, et de nouveau à Paris en. 1819, par Saint- Martin (Mém. histor. et géograph. sur l’Arménie, t. II). Ce savant critique pense avec raison que cet ouvrage n’est point de notre historien, mais de l’un de ses disciples ; il en est de même d’on recueil de fables qui sont d’un homonyme, d’ailleurs inconnu.

[5] Une partie des inscriptions qui subsistent aujourd’hui a été recueillie par le P. Minas, religieux de l’ordre des Mékhitharistes de Venise, dans son Voyage en Pologne (Lebasdan) et en Crimée, Venise, in-8°, 183o ; par feu l’évêque Schakhathouni, dans sa Description d’Edchmiadzïn et des cinq districts de l’Ararad, imprimée à la typographie du couvent patriarcal d’Edchmiadzïn. 2 vol. in 8°, 1842 ; et par Mgr Sarkis Djalaliants, actuellement archevêque arménien de Tiflis, dans son Voyage dans la Grande Arménie, 2 vol. in 4°, Tiflis, 1842 et 1851.

[6] Malachie est auteur d’une histoire abrogée des invasions des Mongols dans l’Arménie et la Géorgie, écrite en style vulgaire et extraite de l’ouvrage de Jean Vanagan.

[7] Cet écrit de Vartan se trouve dans le manuscrit de la bibliothèque impériale de Paris, ancien fonds arménien, n° 12. fol. 139 v°-149 r°. Ce manuscrit tracé en polorkir ou caractères ronds, sur papier de coton, a une grande valeur comme ayant appartenu à la reine Gueran ou Kyra Anna, de la famille des Héthoumien, et épouse du roi Léon III.

[8] C’était la troisième fois qu’Ani tombait au pouvoir des Géorgiens ; cette ville avait été prise d’abord en 1124 par David le Réparateur (cf. Matthieu d’Edesse. ch. xciii. ci-dessus, p. 140), et en 1161 (cf. Grégoire le Prêtre, ch. cxxx, p. 196-197), par le même Giorgî dont il est ici question.

[9] Il ne faut pas confondre cet Ivanê avec Ivanê, fils d’Abèleth ou Aboulèth, mentionné ci-dessus. Il s’agit ici d’Ivanê, quatrième du nom, premier ministre du roi Giorgi III, et chef de ses armées, lequel mourut très avancé en âge. (Cf. le tableau généalogique des Orbélians, dans l’Histoire de la Géorgie de M. Brosset, 1re partie, additions et éclaircissements, p. 351, et l’Histoire d’Etienne Orbélian, apud Saint-Martin, Mémoires historiques et géographiques sur l’Arménie, t. II.)

[10] Autrement appelé Amir Schah, de la famille des Beni Scheddad (cf. ci-dessus, p. 140, note 4), à laquelle appartenait la ville d’Ani, qui lui fut cédée par le sultan Alp Arslan Ier, après que ce prince s’en fut emparé en 1064.

[11] Dans Deguignes, Arslan Schah, sultan seldjoukide de Perse. Son fils, Thogrul Schah, tué en 1195, fut le dernier de ces souverains qui comptèrent parmi les adversaires les plus puissants et les plus terribles des croisés.

[12] Des deux fils d’Ildiguiz, l’un, Mohammed Pehlevan, mourut dans l’année même de son avènement (1186, dans Deguigne), et le second, Kizil Arslan, fut tué en 1191. La dynastie des atabeks de l’Azerbaïdjan, fondée par Ildiguiz, vers 1136, fut détruite par les Kharizmiens en 1225.

[13] Ce combat où Saladin fut mis en déroute, et que les chroniqueurs arabes mentionnent sous nom de défaite de Ramla, est raconté par Guillaume de Tyr (XXI, xxii et xxiii), qui le place à la troisième (lisez la quatrième) année de Baudouin IV (1176 pour 1177), le 7 des calendes de décembre (25 novembre), jour de la fête des saints martyrs Pierre d’Alexandrie et Catherine. Ibn Alathir (t. XI, éd. Tornberg) indique la fin de djoumada premier 573 (fin de novembre 1177), et Aboulfaradj (Chron. Syr.) la même année de l’hégire et 1489 des Grecs (1er octobre 1177-1178). L’auteur arménien est donc en retard d’un an sur la vraie date. L’action fut livrée, non point aux portes de Jérusalem, comme le prétend notre auteur, mais dans le voisinage d’Ascalon. La déroute des infidèles fut complète ; les chrétiens les poursuivirent jusqu’à la nuit, depuis le lieu appelé Mons Gisardi « Mongisard » jusqu’au marais des Etourneaux (cannetum esturnellorum, Lintanors des estorniaus). Baudouin les était rendu à Ascalon, conduisant avec lui une partie des habitants de Manda, qui avaient quitté leurs foyers à l’approche d’un renégat arménien, nommé Ivelin, vir in bello strenuus et ad omniam tentanda pronus, lequel avait pris du service chez Saladin. Effectivement, Ivelin, trouvant Ramla abandonnée, y mit le feu. (Guill. de Tyr, XXI, xii-xxiii.).

[14] Vartan retarde d’un an la date de la mort de Manuel, arrivée en septembre, indiction xiv (1180), suivant le témoignage de Nicétas Choniatès (Manuel Comnène, VII, vii), de Codinus ou de l’auteur du catalogue des empereurs qui porte son nom, de Roger de Hoveden et autres chroniqueurs cités par Du Cange (Famille byzantine, p. 154), qui disent que la mort de Manuel eut lieu quatre jours après celle de Louis VII, roi de France, par conséquent le 22 septembre.

[15] La seconde femme de Manuel, la belle Marie d’Antioche, fille de Raymond de Poitiers et de Constance, aussitôt après qu’elle eut perdu son mari, se fit religieuse ; mais elle ne tarda pas à quitter le monastère où elle s’était retirée, et prit en main la tutelle d’Alexis, fils et successeur de Manuel, enfant âgé de onze ans, avec la direction des affaires. Ses liaisons avec le protosébaste, Alexis Comnène, neveu de Manuel, l’ayant fait accuser d’un commerce criminel avec lui, et ayant excité la jalousie des grands, qui complotèrent contre son favori, et des désordres dans Constantinople, Andronic en profita pour usurper la couronne, et fit étrangler Marie et le jeune empereur en 1183.

[16] Temna ayant conspiré contre son oncle, Giorgi III, de concert avec son père, Ivanê, et les autres princes de la famille des Orbélians, et étant assiégé avec Ivanê dans la ville de Lor’é, céda à un sentiment de crainte, et, escaladant les murs pendant, la nuit, alla se jeter aux pieds du roi, qui lui fit grâce de la vie, en le privant de la virilité et de la vue. Cet épisode des annales de Géorgie est raconté par l’historien retienne Orbélian. (Cf. Saint Martin, Mém. histor. et géog. sur l’Arménie., t. II, p. 81-99, et l’ouvrage complet d’Et. Orbélian, éd. de M. l’archimandrite Garabed Schahna’zarian, Paris, in-12, 1859, p. ta5-137.)

[17] J’ai corrigé le texte, évidemment corrompu ici, d’après un passage qu’on fit plus loin, où Variai) relate les mêmes faits. Le premier mari de Thamar se nommait Georgi (Georges, dans Et Orbélian, t. II, p. 187) et était fils du grand-duc de Russie, Andreï Bogolioubsfcoî ; elle se sépara de lui et le renvoya au bout de cinq ou six ans, vers 1192, pour épouser David Sôslan, fils du roi des Osses (Lases ou Ases), nom sous lequel les Géorgiens désignaient les Alains. Ce prince avait été adopté par la tante de Thamar, la reine Rouçoudan, qui n’avait pas d’enfants. M. Brosset (Hist. de Géorgie, Addit. et éclairc, p. 28-198) a donné une intéressante notice sur les deux maris de Thamar, où il a rectifié le récit de Karamzin, et complété par les renseignements géorgiens les recherches du Rév. Eugénius, métropolite de Kief, dans son ouvrage intitulé Tableau historique de la Géorgie, Saint-Pétersbourg, 1802, de M. l’académicien Boudkof, auteur d’un Mémoire qui a pour titre : Sur les mariages des princes russes avec des princesses Géorgiennes et lases, dans les Archives du Nord, 1826, note 1). Le nom du second mari de Thamar est écrit tantôt Soslan, ou Sôslan (Et. Orbélian, loc. laud.), et tantôt Ôsn Aslan.

[18] Notre auteur fait allusion aux bonnes relations qui existèrent, dans les premiers temps de l’Eglise d’Arménie, entre elle et l’Église occidentale. J’ai déjà parlé (voir Extrait de l’Histoire d’Arménie de Guiragos de Kantzag, p. 418, note 1) du voyage de saint Grégoire l’Illuminateur et du roi Tiridate II à Rome, et de leur alliance avec l’empereur Constantin et le pape saint Sylvestre.

[19] Vartan est encore ici fort mal renseigné, et a singulièrement écourté le récit des événements qui suivirent la bataille désastreuse de Tibériade. Saladin s’étant rendu maître de la citadelle de cette ville, où était renfermée la femme de Raymond, renvoya cette princesse à Tripoli ; après quoi il se dirigea contre Ptolémaïs, qu’il prit en deux jours, et continua la campagne qui le rendit maître de presque toutes les villes du littoral, depuis Ptolémaïs, et qui se termina cette année (i 187) par la prise de Jérusalem et l’échec des infidèles devant Tyr. Saladin poursuivit ses conquêtes sans obstacle pendant les deux années suivantes.

[20] Ville nommée aussi Irénopolis, dans l’éparchie de la Thrace, et située au pied du mont Bennius ; la moderne Veria, ou Kara-Veria, en arménien Vér’ô. Philippopolis était une ville de la même éparchie, au sud ouest de Beroea.

[21] Vartan veut sans doute parler de Philippe dit Auguste ; mais il est dans l’erreur en prétendant que ce prince arriva dans la Palestine en compagnie de Richard, et qu’il s’empara, de concert avec lui, de l’île de Chypre. Le monarque français, parvenu devant Ptolémaïs avant le roi d’Angleterre, l’y attendit pendant que Richard séjournait à Chypre. Celui-ci, après avoir vaincu Isaac Comnène, qui s’en était fait le souverain avec le titre d’empereur, prit possession de l’île qu’il vendit plus tard à Guy de Lusignan.

[22] Seïf ed-din Bektimour, mamlouk de Dhahir ed-din Ibrahim, souverain de Khélath. Après la mort du fils de Dhahir ed-din, Soukman, qui ne laissait pas d’enfant pour lui succéder, il s’empara de la principauté de Khélath. Maudzguerd lui appartenait aussi.

[23] Le catholicos Constantin Ier dit Partzèrpertzi, c’est-à-dire natif de Partzerpert, siégea de 1220 à 1267.

[24] Le monastère de Mèschgavank ou Mèschagavank était situé, suivant Tchamitch (Hist. d’Arménie, t. III, index), dans le district de Sevortik’, province d’Oudi ; Indjidji (Armén. ancienne, p. 528) le place parmi les localités dont la position est inconnue aujourd’hui.

[25] C’est la quatrième heure canoniale du bréviaire arménien ; elle se termine par la bénédiction de la table, et précède immédiatement le repas de midi dans les communautés religieuses : elle répond à l’office de sexte des églises latines.

[26] C’était une de ces comètes nommée par les Grecs parce que l’imagination effrayée des peuples croyait y reconnaître la figure d’une épée ou d’une lance. C’est sous cette forme que les anciens chroniqueurs décrivent habituellement les comètes dont ils font mention. Ils se servent de l’expression en manière de lance, dont on retrouve de fréquents exemples dans la collection de ces chroniqueurs publiée, par la Commission archéographique, en 8 volumes in 4°, Saint-Pétersbourg 1846-1859.

[27] Giorgi IV, dit Lascha, fils de la reine Thamar, lui succéda en 1212 sur le trône de Géorgie. Il régna jusqu’en 1223.

[28] La position de ce fleuve est incertaine. M. Brosset (Hist. de la Géorgie, p. 493, note 1) a lu dans le texte de Vartan Godmân. Suivant Guiragos la bataille eut lieu dans la plaine de Khounan (cf. notre Extrait, cahier de février - mars 1858 p. 199), ville que Wakhoucht (Géographie, trad. de M. Brosset, p. 169) place dans le Karthli ou Géorgie propre, sur le fleuve Metkouar ou Kour (Cyrus).

[29] Voir, au sujet d’Ivanê et de Vahram, prince du district de Khatchên, Guiragos, ibid. ch. vii.

[30] Guiragos (chap. iii) écrit ce nom Hagh’pag. (Voir ce qu’il dit, ibid. de la défaite des Géorgiens par les Khiptchakhs.)

[31] Voir note ci-dessus

[32] Le nom de ce peuple est écrit ici Khutchakh.

[33] Vartanaschad, ancienne ville de l’Arménie orientale, dont parle déjà Elisée, auteur du ve siècle ; Indjidji (Arm. anc. p, 538) la mentionne parmi les localités dont la position est inconnue maintenant ; Tchamitch (t. III, index) la place au sud de Khatchên.

[34] Vartan est dans l’erreur ; il n’y eut que Djelal ed-din, l’aîné des trois fils du Khorazm Schah Mohammed, qui parvint à se sauver et passa dans l’Arménie orientale. Les deux autres, Ozlag-Schah et Ak Schah, avaient été tués par le Mongols dans une bataille livrée près du village de Vescht, non loin de Nessa, dans le Khoraçan.

[35] L’une des plus anciennes provinces de l’Arménie, du district de Kégh’arkounik’, dans la province de Siounik’. Elle est qualifiée par les historiens tantôt simplement de village. Elle fut appelée d’abord Kégh’ami, du nom de l’un des princes de la première dynastie arménienne Kégh’am, arrière-petit-fils d’Arménag, fils de Haïg qui en fut le fondateur. (Moïse de Khoren, I, xi. Cf. Indjidji, Armén. anc. p. 265-268. Voir, sur cette défaite des Géorgiens par Djélal ed-din, mon Extrait de Guiragos, ch. iii.).

[36] Les Arméniens rejettent l’autorité du concile de Chalcédoine qui, en 451 condamna Eutychès, archimandrite de Constantinople, lequel soutenait que la nature divine avait absorbé en J. C. la nature humaine. Mais, par une étrange inconséquence, ils prononcent anathème contre cet hérésiarque. C’est alors que, se séparant de l’Église grecque, ils rompirent aussi avec l’Eglise géorgienne, qui resta unie au siège de Constantinople, et à laquelle s’était rallié Ivanê.

[37] Idough’ ada’ Nouïn dans Guiragos, ch. xi.

[38] Ghadagh’an-Nouïn ibid. ch. viii.

[39] Kédapags., ibid.

[40] Madznapert, ibid.

[41] Agh’sarthan, ibid.

[42] Ou K’avazin ou bien K’avarzin était une forteresse située au pied de la montagne du même nom, non loin de Kak, dans le district de Tzoro’-Ked.

[43] Il y a, dans le texte de Vartan, par le roi Kak. J’ai remplacé cette leçon par celle qu’a adoptée Indjidji (Arm. anc. p. 514), et qui parait meilleure, seulement il est impossible de savoir exactement quel est ce Kakig. Mathieu d’Edesse cite parmi les rois bagratides de Lor’ê, dite Guriguians, un souverain de ce nom qu’il donne comme père de David Anhogh’ïn, et qui régnait dans la seconde moitié du xe siècle. Il y a deux autres Kakig de la même famille des Bagratides qui possédaient la ville d’Ani, et qui occupèrent le trône, le premier de 989 à 1020 et le second, de 1042 à 1045.

[44] L’Eglise arménienne vénère, sous le nom des saints traducteurs, aussi les auteurs de la version de la Bible faite sur le texte des Septante, au ve siècle, et parmi lesquels saint Mesrob et le patriarche saint Sahag tiennent le premier rang. Cette pléiade d’écrivains comprend aussi Moise de Khoren, David le Philosophe et autres, qui s’attachèrent à faire passer dans leur langue les chefs-d’œuvre de la littérature grecque.

[45] Ces paroles de Vartan rappellent le récit détaillé que nous a donné Guiragos (chapitre ix) de la manière dont Jean Vanagan et ses disciples furent forcés de sortir de la grotte où ils étaient renfermés, et où les Tartares les assiégèrent, et de se livrer entre leurs mains.

[46] Cette date est calculée d’après le calendrier fixe de Jean Diacre, dans lequel le 18 mars correspond en effet au 10 d’arek. En 1253 (700 de l’ère arm.), date indiquée un peu plus loin par notre historien, la lettre dominicale fut 4, et le 18 mars tomba un samedi, comme il le dit expressément. La fête de saint Orens et de ses frères est marquée dans le ménologe arménien au 20 mars, mais dans la recension de cet ouvrage par Dêr Israïèl, qui est la plus ancienne, elle est au 18. (Cf. J. B. Aucher, Vies des Saints, xii, p. 393.) J’ai montré dans mes Recherches sur la Chronologie arménienne, 2è partie, Anthologie chronologique, n° XC, note 2, que l’expression ancien style est ou une distraction de l’auteur ou une faute de copiste, et qu’il faut lire au contraire nouveau style.

[47] Le même que Guiragos (ch. xviii) appelle Patchou-Gh’ourtchi.

[48] Le titre de baron, introduit par les croisés cher les Arméniens, et réservé d’abord aux princes et aux chefs les plus considérables, fut appliqué dans la suite à des personnages d’un rang secondaire ; il est devenu aujourd’hui parmi eux d’un usage général comme expression de politesse équivalent à notre mot monsieur.

[49] Guiragos, p. 101, écrit le nom de cet homme à peu près de la même manière, Ouméy, et dit qu’il fut sauvé par ses fils Jean et Étienne, dans le sac de la ville de Garin.

[50] Le mot signifie lamentation, gémissement.

[51] Tchamitch (t. III, index) place Bêgh’entzahank’ dans le district de Daschir, et Indjidji, (Arm. anc. p. 536), parmi les localités dont la position est aujourd’hui ignorée. Guiragos (ch. vii) nous apprend aussi qu’il fut enterré dans ce monastère.

[52] Vartan écrit ailleurs élgh’an et ailgh’an. Le second élément de ce mot gh’an ou khan est suffisamment connu par ce qu’en a dit Et. Quatremère, Histoire des Mongols de la Perse, t. I. p. 10, note 10), où il montre la distinction à faire entre les titres Kâan, khakhan ou khagan et khan. Quant au premier élément ici il, él ou aïl, le même savant conclut, d’après le Tarikhi-Wassaf, qu’il doit avoir le sens de grand, et que par conséquent ilkhan signifie le grand khan.

[53] Guiragos, ch. xix n’assigne à Bagdad que cinq cent dix ans d’existence à l’époque de sa prise par Houlagou ; cette variante s’explique par la confusion à laquelle donnent lieu très facilement dans les manuscrits les lettres numérales 5, et 7. La date 194 de l’ère arménienne, qu’on lit également dans cet auteur, est inexacte, Bagdad ayant été fondée en 762. (Cf. mes Recherches sur la Chronologie arménienne, t. 1. 2è partie, Anthol. chronologique, n° XXIII).

[54] Cf. mes Recherches sur la Chronologie arménienne, t. 1. 2e partie, Anthol. chronologique, n° VIII, sur l’ère des Arabes.

[55] Yschmouth ou Dschiasmouth.

[56] C’est-à-dire de la famille des Ayyoubides. (Voir sur cette expression, Guiragos chap. xxxv.)

[57] Voir sur cette expédition Guiragos, chap. xxxvi.

[58] Nersès III, 61e catholicos des Agh’ouans dans la liste de Schah khathouni (Description des cinq districts de l’Ararad, t. II, p. 341) siégea vingt-sept ans, de 1235 à 1262.

[59] Le mercredi et le vendredi, pendant toute l’année, sont jours d’abstinence et de jeûne chez les Arméniens.

[60] Je suppose que l’auteur indique ici les trois principaux carêmes de l’Eglise arménienne, le grand carême de Pâques les semaines de jeûne qui sont entre la Transfiguration et l’Assomption, et le carême de l’Avent. Aujourd’hui il n’y a que deux carêmes appelés (cinquantaines), celui de l’Avent, qui se réduit à deux semaines et deux ou trois jours, suivant l’occurrence de la férie, et celui qui précède l’Epiphanie et qui est de six jours. (Cf. mes Recherches sur la Chronologie arménienne IIIe partie, tableau D.)

[61] J’ai rendu par ce mot l’expression qui appartient sans doute à la langue mongole, mais que je n’ai pu retrouver dans aucun dictionnaire. Ce n’est par conséquent que par conjecture que je l’ai traduite. Elle semble avoir aussi l’acception de moine. On pourrait lire peut-être des lettres donnant lieu quelquefois à une confusion possible dans le genre d’écriture cursive employée pas les Arméniens de Russie, qui est celle de la copie Vartan que j’ai eue sous les yeux.

[62] Le balisch était une monnaie de compte d’or ou d’argent. (Voir ce que disent à ce sujet d’Ohsson, Hist. des Mongols, t. II, p. 641. note v), et E. Quatremère, Hist. des Mongols de la Perse, p. 320-321).

[63] En mongol iarlikh, ordre, parole d’une personne haut placée.

[64] En mongol que M : Schmidt, dans son Dictionnaire, traduit par : « ordonnance légale et administration. »

[65] La princesse Marie, fille naturelle de Michel Paléologue. Elle avait pour mère une dame de la famille Diplovatatze. Les Mongols la nommaient par son titre. Aboulfaradj dit, comme Vartan, qu’elle fut accompagnée par le patriarche grec d’Antioche, Euthymius. Marie, qui était destinée à Houlagou, ayant trouvé, à son arrivée, ce souverain mort, épousa son fils Abaka. (Cf. Pachymère, Historia rerum a Michaele Paeleologo gestarum, III, III, p. 99.)

[66] Impie, scélérat, voleur, assassin.

[67] Il y a dans le texte le mot arabe pèlerin. Béréké se rendit sans doute auprès d’une tombe ou tombeau de quelque saint musulman, qui était dans le voisinage.

[68] On peut lire le récit de cette expédition et des suites qu’elle eut dans l’Histoire des Mongols, de d’Ohsson, t. III, p. 420-425, et dans l’Histoire des sultans Mamelouks, de Makrizi, traduite par Et. Quatremère, t. I, partie, p. 33-36 et 55-56.

[69] Effectivement, le jeune prince Léon fut délivré trois ans après, et revint auprès de son père, Héthoum Ier auquel il succéda l’année suivante.

[70] En 716 de l’ère, le 26 de sahmi correspondit au 9 avril Pâques étant tombé le 17 avril, la résurrection de Lazare, dont la mémoire est célébrée dans l’Église arménienne, le samedi, veille du dimanche des Rameaux, se rencontra effectivement le 9. (Cf. mes Recherches sur la Chronologie arménienne, t. 1, 2e partie, Anthol. chronol. n° XCIV.)