NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

III. — LA RUPTURE

 

CHAPITRE XII. — DRESDE.

 

 

A travers l'Allemagne. — Arrivée à Dresde. — Installation de l'Empereur. — Tableau de la cour saxonne. — Affluence de souverains. — La reine de Westphalie. — Arrivée de l'empereur et de l'impératrice d'Autriche. Belle-mère et belle-fille. — Fête du 19 avril. — Aspect de Dresde pendant le congrès. — Vie de famille. — L'Empereur se remet au travail. — Lettre de Kourakine réclamant à nouveau ses passeports. — Manœuvre de la dernière heure. — Ordre expédié à Lauriston de se rendre à Wilna et d'y entretenir un fallacieux espoir de paix. — La journée des souverains à Dresde. — Le lever de l'Empereur. — La toilette de l'Impératrice. — L'après-midi. — Goûts et occupations de l'empereur François. — Le liner. — Cérémonial napoléonien. — Napoléon et Louis XVI. — La soirée. — Le jeu des souverains et le cercle de cour. — Jalousie des dames autrichiennes. — Mme de Senft. — Le duc de Bassano. — Caulaincourt. — Mots de l'Empereur. — Ses conversations avec l'empereur François. — Il se met en frais de galanterie auprès de l'impératrice d'Autriche et ne réussit pas à la gagner. — Intimité apparente. — Les cours au spectacle. — Parterre de rois. — Napoléon comparé au soleil. — Le roi de Prusse. — Le Kronprinz. — Hiérarchie établie entre les souverains. — Concours de bassesses. — Apogée de la puissance impériale. — Spectacle sans pareil dans l'histoire. — Napoléon se montre davantage en public ; promenade à cheval autour de Dresde. — Visite à l'église Notre-Dame. — L'empereur Alexandre dans une église catholique de Lithuanie. — La veillée des armes. — Retour de Narbonne ; il rend compte de sa mission. — Explosion printanière ; approche de la saison favorable aux hostilités. — Dernier appel à la Suède et à la Turquie. — Napoléon décide de soulever la Pologne. — Il songe à Talleyrand pour l'ambassade de Varsovie ; raisons qui le portent à ce choix, incidents qui l'y font renoncer. — Nouvelle disgrâce de Talleyrand. — L'abbé de Pradt. — Choix funeste. — Objets proposés au zèle de l'ambassadeur. — Napoléon cherche à gagner encore quelques jours. — Son départ de Dresde. — L'assemblée des souverains se disperse. — Propositions inattendues de Bernadotte : motif et caractère de ce revirement. — Mauvaise foi du prince royal. — Il s'efforce de ménager un accord entre la Russie et la Porte. — Congrès et traité de Bucarest. — La paix sans l'alliance. — L'amiral Tchitchagof. — Projet d'une grande diversion orientale. — Alexandre espère ébranler le monde slave et le précipiter sur l'Illyrie et l'Italie françaises. — L'idée des nationalités se retourne contre la France. — Deuil-trahison de l'Autriche. — Duplicité de la Prusse et des cours secondaires de l'Allemagne. — Universel mensonge. — Avertissements de Jérôme-Napoléon, do Davout et de Rapp. — Pronostic de Sémonville. — Parmi les Français, les grands se lassent et s'inquiètent : la confiance des humbles reste absolue et ardente. — Lettre d'un soldat. — L'armée croit aller aux Indes.

 

I

Pour aller à Dresde, l'Empereur et l'Impératrice prirent par Chalons et Metz, franchirent le Rhin à Mayence, puis, se détournant légèrement vers le sud, passèrent à proximité du Wurtemberg et de la Bavière. Sur tout leur parcours, l'Allemagne avait échelonné des princes, courbés dans une attitude d'adoration. On trouva à Mayence ceux d'Anhalt et de liesse-Darmstadt ; à Wurtzbourg, le roi de Wurtemberg et le grand-duc de Bade obtinrent quelques instants d'entretien ; à Bamberg, pendant qu'on relayait, les ducs Guillaume et Pie de Bavière présentèrent leurs hommages. Napoléon voyageait avec le faste et l'appareil d'un potentat d'Asie ; des populations entières avaient été réquisitionnées pour aplanir devant lui et réparer la route ; pendant la nuit, de grands bûchers, dressés de place en place, s'allumaient à mesure qu'avançaient les voitures impériales et répandaient sur leur passage une clarté d'incendie.

Comme la longueur des étapes se réglait d'après les convenances et la santé de l'Impératrice, le jour de l'arrivée à Dresde n'avait pu être rigoureusement fixé. Cette incertitude troublait fort le roi et la reine de Saxe, qui craignaient d'être surpris par leur visiteur et de ne pouvoir à temps se porter à sa rencontre. Le 15 mai, ils prirent le parti de s'établir dans la petite ville de Freyberg, située à huit lieues en avant de Dresde[1]. Le soir venu, le Roi ne voulait point se coucher ; pour le décider à prendre un peu de repos, il fallut que son ministre des affaires étrangères, le baron de Senti, passât la nuit sur une chaise à l'entrée de sou appartement, prêt à l'avertir au premier signal[2]. Pourtant, la nuit, puis la matinée du lendemain, s'écoulèrent sans alerte ; dans l'après-midi seulement, les équipages impériaux furent annoncés et presque aussitôt arrivèrent. Après de rapides effusions, les deux cours se confondirent ; Français et Saxons se répartirent côte à côte dans les mêmes voitures, la course fut reprise, et l'entrée à Dresde se fit le soir même, aux flambeaux, au son de toutes les cloches, au bruit des salves d'artillerie dont les montagnes d'alentour se renvoyaient les échos en interminables roulements.

L'Empereur fut conduit au château royal, à la Résidence, comme disent les Allemands : là, tous les princes de la famille de Saxe se trouvèrent réunis pour lui souhaiter la bienvenue. Sur l'escalier d'honneur, des gardes suisses faisaient la haie, armés de hallebardes, portant le tricorne à plume blanche et la perruque à trois marteaux, tout habillés de taffetas jaune et violet. Cette tenue plus galante que martiale fit sourire nos jeunes officiers, qui trouvèrent aux gardes de Sa Majesté Saxonne un air de scaramouches[3]. A travers ce décor, l'Empereur fut conduit aux appartements qui lui avaient été réservés, les plus beaux, les plus vastes du palais, ceux qu'avait naguère habités et embellis Auguste II, l'électeur-roi de fastueuse mémoire.

Le lendemain, on chanta un Te Deum solennel pour remercier le ciel de sa venue : il y eut présentation de la cour et du corps diplomatique. Le ministre de Russie, M. de Kanikof, parut avec ses collègues : comme l'Empereur l'accueillit bien et affecta même de le distinguer, quelques assistants y virent un symptôme de paix ; d'autres, plus avisés, dirent que le conquérant, tout en se préparant à l'attaque, rentrait encore ses griffes et faisait patte de velours3[4].

Dans la même journée, l'Empereur revit ses hôtes saxons et put les observer de plus près. Il retrouva le Roi tel qu'il l'avait connu à Dresde en 1807, à Paris en 1809, c'est-à-dire parfaitement docile, plein de prévenances, et leur intimité sembla tout de suite reprendre et se fortifier. A vrai dire, il eût été difficile de découvrir la moindre affinité de caractère entre le violent empereur et le monarque pacifique qui le recevait à Dresde. Paternel et digne, bienveillant sans familiarité, Frédéric-Auguste s'était concilié à la fois le respect et l'affection de ses peuples ; n'ambitionnant point d'autre gloire, il se fût contenté de régner en paix sur des sujets faciles à gouverner. Il se déchargeait volontiers du poids des affaires sur un favori doux et âgé comme lui, le comte Marcolini ; son bonheur eût été de se livrer sans contrainte aux exercices d'une dévotion minutieuse, entremêlés de quelques distractions idylliques et champêtres[5]. Mais il avait compris que la sécurité et l'avenir de son État étaient au prix d'un accord étroit avec le dominateur de l'Allemagne ; il l'avait donc choisi pour inspirateur et pour guide, et, sans l'interroger, sans chercher à pénétrer ses projets, suivait en tout ses impulsions avec une déférence discrète.

La Reine, d'un physique disgracieux et de réputation équivoque, aidait son mari à organiser les réceptions, les fêtes, et n'y apportait par elle-même aucun agrément. Les princes frères du Roi, tout entiers à leur famille, à leurs pratiques de piété, à leurs jardins, offraient le modèle des vertus privées, sans aucune des qualités qu'eût exigées leur rang ; Napoléon les jugea du premier coup indignes de l'occuper : il se borna à leur faire passer la parade, pour ainsi dire, et à leur adresser quelques questions sur le degré d'avancement de leur instruction militaire[6]. Quant aux autres membres de la cour, il les trouva pleins d'une admiration craintive, empressés à lui faire fête autant que le leur permettaient des ressources assez bornées. Foncièrement attachés au passé, dont ils gardaient l'esprit, les usages et la politesse, les Saxons cédaient néanmoins aux circonstances, se livraient au glorieux parvenu sans l'aimer et se laissaient entraîner par lui, avec quelque effarement, dans un tourbillon d'occupations et de plaisirs qui dérangeait leurs habitudes tranquilles. Dans ce monde d'un autre âge, aux tons effacés, aux nuances discrètes et fanées, Napoléon allait trancher plus que partout ailleurs par l'exubérance de son génie, l'éclat cru de son esprit et de son langage, son luxe flambant et neuf.

Il avait accepté l'hospitalité des souverains saxons, mais il voulait être chez lui dans leur palais, y tenir maison et table ouverte. C'était une cour entière qu'il avait emmenée, les principaux dignitaires de son état-major, sa maison militaire, un service complet de chambellans, d'écuyers et de pages, un préfet du palais, et de plus l'accompagnement ordinaire de l'Impératrice aux jours de solennité, grande maîtresse et grand chambellan, premier écuyer, chevalier d'honneur, trois chambellans, trois écuyers, trois dames du palais. Les noms les plus illustres de l'ancienne et de la nouvelle France figuraient ensemble dans ce cortège, un Turenne, un Noailles, un Montesquiou, à côté d'une Montebello. En même temps, se faisant suivre d'un personnel démesurément nombreux, de tout un service d'appartement et de bouche, l'Empereur avait ordonné de transporter à Dresde son argenterie, le splendide écrin de l'Impératrice, les joyaux de la couronne, tout ce qui pouvait rehausser matériellement et parer le rang suprême. Dans son nouveau séjour, il voulait devenir le centre rayonnant vers lequel se tourneraient tous les regards, toutes les curiosités, et faire lui-même les honneurs de Dresde aux princes étrangers qu'il y avait conviés en foule.

Les princes de la Confédération du Rhin commençaient à se présenter, à se succéder dans un interminable défilé. Dès le matin du 17, on avait vu arriver ceux de Weymar, de Cobourg, de Mecklembourg, et le grand-duc de Wurtzbourg, primat de la Confédération. Dans la soirée, la cour de Saxe eut à recevoir la reine Catherine de Westphalie, appelée par invitation spéciale de l'Empereur. Napoléon avait pris en affection cette princesse si charmante, si vivante, qui aimait si franchement sou mari et faisait une heureuse exception par ses allures primesautières, par la sincérité de ses sentiments, dans le milieu compassé des cours : l'attention qu'il avait eue de la mander frappait d'autant plus qu'il avait écarté de la réunion, avec un soin rigoureux, les autres membres de sa famille.

Eugène avait traversé Dresde peu de jours auparavant, mais n'avait fait qu'y paraître et y plaire : il avait reçu ordre de rejoindre ses troupes au plus vite. Jérôme n'avait pas eu permission de quitter son quartier général. Pour Murat, la prohibition avait été plus nette encore et plus sensible. Bien que le roi de Naples, arrivant d'Italie, semblât naturellement appelé à passer par la Saxe pour se rendre en Pologne, l'Empereur lui avait imposé un itinéraire dont le tracé aboutissait directement à Dantzick et s'éloignait de la capitale saxonne. A l'entendre, s'il avait agi de la sorte, c'était par égard pour son beau-père : l'empereur d'Autriche regrettait toujours ses possessions d'Italie : la vue d'un prince établi en ce pays par nos armes pourrait affliger ses yeux : pourquoi lui gâter la joie qu'il éprouverait à revoir sa fille ? Dans la réalité, le motif de l'exclusion était tout autre, et Napoléon ne se privait pas de l'indiquer à ses familiers, lorsqu'il voulait être franc. Tel qu'il connaissait Murat, il jugeait dangereux pour ce roi de promotion récente tout contact avec des souverains d'ancienne souche et particulièrement avec la maison d'Autriche : Sa tête va tourner, disait-il, si l'empereur François lui adresse quelques paroles aimables[7]. Ravi de ces avances, flatté dans sa vanité de se voir recherché par le descendant de quarante-deux empereurs, Murat se laisserait aller sans doute, avec l'intempérance habituelle de sa langue, à des confidences compromettantes, à des propos qui l'engageraient : ainsi se créerait entre l'Autriche, aspirant au fond il rentrer en Italie, et Murat, aspirant à s'y faire une position indépendante, une intelligence suspecte, que Napoléon tenait essentiellement à empêcher. Se défiant à l'égal des souverains qu'il avait placés sur le trône et de ceux qu'il y avait laissés, il n'admettait pas que trop d'intimité s'établit entre les uns et les autres.

L'empereur et l'impératrice d'Autriche arrivèrent dans l'après-midi du 19 et reçurent les mêmes honneurs que Napoléon lui-même, avec cette différence que le couple saxon ne se porta point au-devant d'eux. Établis au palais, ils se préparaient à visiter l'empereur des Français, quand celui-ci, les prévenant, se fit annoncer. Quelques instants après, il arrivait avec Marie-Louise, avec toute sa suite, et les deux cours se trouvèrent en présence.

Cette première entrevue fut cérémonieuse et guindée. Embarrassé et gauche, conscient de son infériorité, François restait sur la réserve et ne s'attendrit qu'en recevant dans ses bras celle qu'il nommait sa chère Louise. L'air de santé et de bonheur qui brillait sur les traits de Marie-Louise parut causer à l'impératrice autrichienne plus de surprise que de satisfaction. Cette princesse s'était préparée à s'apitoyer sur le sort de sa belle-fille, mariée au despote exécré, et éprouvait une déception à ne pouvoir la plaindre. Quant à Napoléon, il constata avec désappointement que les souverains autrichiens ne s'étaient fait accompagner d'aucun de leurs proches. Il eût aimé, durant son séjour en Saxe, à marcher environné d'un cortège d'archiducs ; il avait fait exprimer à Vienne le plaisir qu'aurait Marie-Louise à se retrouver avec ses frères et regretta qu'on eût négligé d'obtempérer à ce vœu. Il marqua surtout quelque étonnement de ne pas voir l'héritier présomptif de la couronne, l'archiduc Ferdinand, et comme sa belle-mère s'excusait de ne l'avoir point amené en alléguant les seize ans du jeune prince, sa timidité d'adolescent craintif et un peu sauvage, son éloignement pour le monde : Vous n'avez qu'à me le donner pendant un an, dit vivement l'Empereur, et vous verrez comme je vous le dégourdirai[8].

Le soir, il y eut par extraordinaire grand couvert chez le roi de Saxe : pour cette fois, Napoléon avait voulu laisser à ses hôtes le plaisir de recevoir à leur table et de fêter les souverains. Après le repas, servi par les grands officiers de la couronne de Saxe, l'illustre assemblée se rendit dans les appartements de la Reine, et là, se groupant autour des fenêtres ouvertes, qui donnaient sur l'Elbe, put contempler le spectacle de Dresde illuminée. Formée de pylônes et d'arcs resplendissants, l'illumination couvrait l'esplanade située au devant du château et prolongeait sur le beau pont qui vient y aboutir une flamboyante allée. Un peu plus loin, un pont de radeaux, établi pour la circonstance, offrait une décoration non moins brillante, qui se reflétait sur le fleuve et semblait poser à la surface des eaux une autre ligne de feux, d'un éclat discret et pali. Sur les quais, sur les terrasses, la foule se pressait pour jouir du spectacle, et de la ville entière, où les rues illuminées traçaient de clairs sillons, montait un bruit de peuple en fête[9].

Depuis l'arrivée des souverains, la charmante capitale de la Saxe ne se reconnaissait plus. D'ordinaire, l'aspect en était calme et reposant ; dans les rues s'ouvrant sur de fraîches perspectives de verdure et de montagnes, peu de monde, point de voitures : des chaises à porteurs, doucement balancées, où se laissaient entrevoir les dames de la ville, poudrées et attifées à la mode d'autrefois : le dimanche, pour égayer ces solitudes, des chœurs d'écoliers en manteau court, chantant des cantiques[10]. En ce lieu privilégié de la nature, embelli par l'art, à peu près épargné par la guerre, la vie était oisive et molle, les mœurs retardaient sur le siècle. Dresde avait eu pourtant cette année même sa révolution : dans la toilette d'apparat des femmes, le manteau de cour avait remplacé les paniers[11] : à cela près, on se serait cru de cinquante ans en arrière, et le style ancien des monuments, leur grâce vieillie, les courbes onduleuses de leurs lignes, la profusion d'ornements en rocaille qui s'enroulaient sur leurs façades, complétaient l'illusion. Et voici que Napoléon avait choisi cette ville pour y donner l'une de ces pompeuses représentations qu'il excellait à monter, pour y jeter une invasion de magnificences, un monde d'étrangers de tout ordre, de tout rang et de tout pays.

Peu de troupes, à la vérité : nos colonnes côtoyaient Dresde sans y entrer : l'Empereur lui avait épargné le fardeau de trop nombreux passages : seuls, quelques détachements de la Garde promenaient par les rues leur air vainqueur et leur splendide tenue, fraternisant avec les beaux grenadiers de Saxe, en habit rouge à revers jaunes. Mais le fracas des entrées, les chaises de poste roulant sur le pavé et amenant d'insignes personnages, les carrosses dorés sortant pour les visites de cérémonie, l'affluence et le luxe des équipages, des costumes, des livrées, mettaient partout un tumulte et un éblouissement : c'étaient des arrivées à sensation se succédant à toute heure, le comte de Metternich prenant les devants sur ses maîtres, le prince de Hatzfeldt se présentant comme envoyé extraordinaire de Prusse et sollicitant pour le Roi la permission de venir, le duc de Bassano prenant possession de l'hôtel Salmour avec sa chancellerie, le prince de Neufchâtel établissant au palais Brühl les bureaux de la Grande Armée : sur les pas de ces puissants, une irruption de suivants, de commis, de solliciteurs, encombrant les antichambres, campant sur les escaliers : Dresde en proie à une cohue affairée et brillante : un grand gouvernement et trois ou quatre cours s'installant, s'entassant dans la calme cité.

Que de bruit, d'agitation, de mouvement ! Partout des apprêts de fête : dans les rues, sur les places, des décorations s'élevant à la hâte : six cents ouvriers appropriant la salle de l'Opéra italien à une représentation de gala ; et dominant le bruit de ces préparatifs, dominant le bourdonnement des foules, retentissant à toute heure, la voix du canon ; cent coups pour l'arrivée de Leurs Majestés Autrichiennes, cent coups au commencement du Te Deum et encore trois salves de douze coups pour marquer les différentes phases de la cérémonie, pendant que les gardes saxonnes, rangées autour de l'église, exécutaient des feux de mousqueterie. Enfiévré par ce fracas, par l'éclat et la diversité des spectacles, le peuple emplissait les rues, se déplaçait par brusques oscillations, suivant qu'un objet nouveau attirait on détournait son attention. Il s'amassait aux abords des palais, dès qu'un mouvement dans les cours, un signe quelconque semblait annoncer la sortie ou la rentrée d'un cortège et promettre la vue des grands de ce monde. Parfois cette attente n'était pas déçue : par les grilles ouvertes de la Résidence, une élégante calèche sortait, précédée de piqueurs, enveloppée de gardes ; elle menait à la promenade les deux impératrices, les deux Marie-Louise, la belle-fille et la belle-mère, affectant un touchant accord : lei première épanouie et radieuse, la seconde gracieuse et frêle, dissimulant sous un costume hongrois, à plis bouffants et épais brandebourgs, la maigreur de sa taille et son buste émacié. La foule regardait passer avec ravissement ces souriantes visions, sans que sa curiosité en fût pleinement satisfaite. On cherchait des yeux, on désirait voir l'être extraordinaire qui était Filme de tous ces mouvements. Mais l'Empereur jusqu'à présent ne se montrait guère en public ; comme s'il eût voulu laisser à la réunion un caractère d'intimité presque familiale, il vivait avec ses hôtes ou se tenait enfermé dans ses appartements : on le disait absorbé par un labeur incessant, en train de préparer avec ses ministres et ses alliés les destinées de l'Europe : Sa Majesté, écrivait une correspondance de Dresde[12], parait extrêmement occupée.

En effet, Napoléon s'était remis tout de suite à sa besogne de souverain et de généralissime. Affermissant la Grande Armée sur la Vistule, pressant l'arrivée des effectifs retardataires, il travaillait surtout à organiser l'armée de seconde ligne, celle qui devait garder l'Allemagne et fournir des renforts à l'invasion ; il déterminait le nombre, la composition, l'emplacement des corps. En même temps, il stimulait son ministre des relations extérieures à surveiller le fonctionnement de nos alliances, à conclure celles qui n'étaient pas encore formées, à regagner le temps perdu auprès de la Suède et de la Turquie. Dès que Berthier l'avait quitté, après lui avoir demandé des centaines de signatures, le duc de Bassano se présentait et lui apportait des lettres d'ambassadeurs, des rapports diplomatiques, des bulletins de renseignements arrivés de toutes les parties de l'Europe.

Une de ces pièces attira l'attention de l'Empereur et le contraria. Par lettre en date du 11 mai, Kourakine renouvelait en termes pressants sa demande de passeports et n'admettait point que le gouvernement français se fût soustrait, par un départ impromptu, au devoir de lui répondre[13]. Napoléon ne jugeait nullement le moment venu d'acquiescer à sa requête. Afin de tromper l'impatience du vieux prince, il se borne à lui faire expédier des passeports pour quelques membres de sa maison et cc pour ses enfants naturels, non pour lui-même. Puis, un peu ému de ces instances persécutrices, il se retourne vers Alexandre et essaye encore une fois de parlementer, dans sa préoccupation constante d'endormir et d'immobiliser la Russie. Tel avait été, on ne l'a pas oublié, l'objet de la mission confiée à Narbonne. A l'heure qu'il est, cet aide de camp doit être arrivé à Wilna, mais il n'a pas encore donné de ses nouvelles. On ignore s'il a été reçu par l'empereur Alexandre, s'il a réussi à faire renaître dans l'esprit de ce prince un fallacieux espoir de paix. Pour le cas où cette démarche ne suffirait point, Napoléon se décide à la doubler par une autre : c'est la quatrième qu'il tente dans le même but depuis le commencement de l'année. Après avoir employé d'abord Lauriston, c'est-à-dire son ambassadeur en titre, après avoir eu recours ensuite à Tchernitchef, en troisième lieu à Narbonne, il revient à Lauriston, à la voie ordinaire et officielle.

Le 20 mai, un courrier part de Dresde à destination de Pétersbourg, avec une longue dépêche pour l'ambassadeur. Au reçu de ce message, M. de Lauriston demandera à l'office russe des affaires étrangères les moyens de se rendre au quartier général du Tsar, pour lequel il se dira porteur de communications graves et urgentes. Si ce recours direct au souverain, qui est presque de droit pour un ambassadeur, ne lui est pas accordé, il prendra acte du refus et attendra de nouvelles directions. Si sa demande est accueillie, il partira sur-le-champ pour Wilna et y entamera un dernier semblant de négociation. Le terrain sur lequel il doit se placer lui est soigneusement indiqué. A cet instant, Napoléon ne peut plus feindre d'ignorer l'ultimatum blessant d'Alexandre, vu le temps écoulé depuis l'envoi de cette pièce. Il affecte seulement de croire que les prétentions de la Russie lui ont été inexactement transmises, que Kourakine a dénaturé la pensée de sa cour en lui donnant une forme comminatoire, qu'il a ét3 au delà de ses instructions en demandant ses passeports ; ce sont les bévues de cet ambassadeur honnête homme, mais trop borné[14], qui ont créé un dangereux malentendu. Lauriston devra demander des explications, sans insister pour qu'elles soient trop nettes : il dira surtout qu'un accommodement reste possible, que tout peut s'arranger encore, pourvu qu'on y mette un peu de bonne volonté ; en conséquence, la Russie doit s'abstenir de tout acte irrévocable et précipité. Par cette manœuvre de la dernière heure, Napoléon gagnerait plus sûrement quelques semaines, le temps d'atteindre l'époque où les progrès de la végétation dans le Nord lui donneraient licence d'entrer en campagne, le temps aussi d'organiser et de présider sa cour de souverains.

 

II

Il avait réglé sa vie à Dresde suivant un mode pompeux et strict. Le matin, à neuf heures, il tenait d'ordinaire un lever ; les princes allemands y faisaient assidûment acte de présence et venaient à l'ordre. L'Empereur passait ensuite chez l'Impératrice et assistait à la Toilette. On sait quelle place occupait dans les usages des cours cette représentation fastueuse, où la souveraine, entourée de ses femmes qui achevaient de la parer, admettait en sa présence quelques privilégiés. Après le lever de l'Empereur, la toilette de Marie-Louise offrait l'occasion d'une seconde assemblée. L'impératrice d'Autriche y venait souvent, et la vue des merveilleux atours préparés pour sa belle-fille, des écrins ouverts, des coffrets débordant de diamants et de perles, excitait sa jalousie. Admirant ces trésors, elle souffrait de n'en pas avoir de pareils, réduite qu'elle était par le malheur des temps à une pénible économie. Marie-Louise, dès qu'un objet paraissait plaire particulièrement à sa belle-mère, se hâtait de le lui offrir, et l'autre impératrice acceptait ces cadeaux avec un mélange de satisfaction et de dépit, ravie de les posséder, humiliée de les recevoir[15]. A deux pas de là, Napoléon causait avec la reine de Westphalie, avec les princes ; c'était l'un des moments de la journée où il parlait et laissait parler avec le plus d'abandon. Dans le fond de la salle, les courtisans commentaient à voix basse ses moindres propos et en tiraient de grandes conséquences : ils se livraient à de discrets pronostics sur les événements à venir et signalaient les fortunes naissantes.

Dans l'après-midi, Napoléon rendait visite tous les deux ou trois jours à son beau-père et lui consacrait quelques instants Lui parti, tandis que les impératrices visitaient ensemble les musées de Dresde et les sites ravissants du voisinage, l'empereur François, dépaysé et désœuvré, atteignait difficilement la fin de la journée. Les occupations d'État le tentaient peu : la politique lui avait semblé de tout temps une source de dégoûts ; c'était lui qui disait naguère à son ministre Cobenzl : Lorsque je vous vois entrer dans mon cabinet, la pensée des affaires dont vous allez m'entretenir me serre le cœur. D'autre part, il n'avait pas à Dresde ses familiers ordinaires, les favoris de bas étage dont les plaisanteries épaisses le réjouissaient et qui s'ingéniaient à lui trouver des distractions, des passe-temps, à flatter les caprices de son imagination puérile. Il ne pouvait, comme à Vienne, employer de longues heures à imprimer soigneusement des cachets sur une cire de choix ou à faire la cuisine[16]. Cherchant des objets de curiosité et d'intérêt à sa portée, il sortait à pied, flânait par les rues, paterne et bienveillant avec la foule qui le saluait dévotement : on le voyait tromper son ennui par de longues stations dans les boutiques, faire bourgeoisement des emplettes[17].

Le soir, les souverains se retrouvaient pour le dîner, qui avait lieu de fondation chez l'empereur des Français. On se réunissait à l'avance dans ses appartements. Là, s'il faut en croire une tradition, dans sa manière d'opérer son entrée et de se faire annoncer, Napoléon affectait une simplicité grandiose qui l'isolait de toutes les puissances accourues à sa voix et l'élevait au-dessus d'elles. Ses invités étaient annoncés par leurs titres et qualités : c'étaient d'abord des Excellences et des Altesses sans nombre, Altesses de tout parage et de toute provenance, anciennes ou récentes, Royales ou Sérénissimes, — puis les Majestés : Leurs Majestés le roi et la reine de Saxe, Leurs Majestés Impériales et Royales Apostoliques, Sa Majesté l'impératrice des Français, reine d'Italie. Lorsque toutes ces appellations sonores avaient retenti à travers les salons, l'auguste assemblée se trouvait au complet et le maître pouvait venir. Alors, après un léger intervalle de temps, la porte s'ouvrait de nouveau à cieux battants, et l'huissier disait simplement : L'Empereur.

Il entrait gravement, le front épanoui ou soucieux suivant les jours, saluait à la ronde, distribuait quelques paroles, et l'on se formait en cortège pour aller à table. Un officier de sa maison, dont l'appartement donnait sur la galerie où passaient les souverains, vit plusieurs fois le défilé et le décrit ainsi : Napoléon, son chapeau sur la tête, marchait le premier ; à quelques pas derrière lui s'avançait l'empereur d'Autriche, donnant le bras à sa fille, l'impératrice Marie-Louise, ce qui pourrait expliquer pourquoi ce monarque avait la tête nue ; les autres rois et princes qui faisaient partie de ce cortège, au milieu duquel se trouvaient aussi la reine et les princesses de Saxe, suivaient les deux empereurs chapeau bas[18]. Seule, l'impératrice d'Autriche manquait à cette figuration ; alléguant sa faible santé, elle se faisait d'ordinaire conduire directement à la salle du repas dans un fauteuil roulant, et cette manière d'échapper au cérémonial napoléonien semblait une protestation.

A table, les convives étaient peu nombreux : en dehors des souverains, quelques princes de la Confédération, quelques grands dignitaires français, invités à tour de rôle. Le service était magnifiquement réglé, correct et rapide, la chère exquise[19] ; sur la table, une efflorescence de cristaux, de hautes pièces d'orfèvrerie d'un travail rare, une architecture d'argent et, de vermeil, le merveilleux service dont la ville de Paris avait fait cadeau à Marie-Louise lors de ses noces. L'empereur Napoléon, servi par ses pages, présidait au repas avec aménité. A cette heure, ses traits se déridaient toujours : il devenait expansif et causeur, se trouvant bien avec ses hôtes et savourant le bonheur de vivre en famille avec la maison d'Autriche. Par ce contact, il pensait se rattacher plus étroitement aux dynasties légitimes et s'assimiler aux Bourbons, à la lignée de rois avec laquelle il se découvrait maintenant des liens inattendus. C'est à Dresde, dit-on, qu'évoquant un jour les souvenirs de la Révolution, il déclara que les choses eussent pris un autre cours si son pauvre oncle avait montré plus de fermeté. Le pauvre oncle, c'était Louis XVI : Napoléon était devenu son petit-neveu par alliance en épousant Marie-Louise et s'honorait volontiers de cette parenté rétrospective.

Après le Biner, il v avait d'ordinaire grande réception. Les portes de la Résidence s'ouvraient aux personnes présentées à la cour, à celles qui composaient le service des souverains ; elles arrivaient à la file, emplissaient les appartements d'honneur, et là, dans les hautes salles d'une ornementation massive, sous les plafonds aux peintures allégoriques, sous les ors brunis par le temps, sous les constellations de lustres, c'était un rassemblement de toutes les grandeurs actuelles, une étincelante diversité de costumes et d'uniformes, un luxe inouï de bijoux et de parures. Dans la galerie principale, des tables de jeu étaient dressées pour les souverains : ils s'y asseyaient tour à tour et jouaient avec gravité, procédant à cet amusement d'apparat comme à une fonction de leur rang. Autour d'eux, le cercle se formait : les assistants se tenaient en attitude respectueuse, droits sur leurs pieds, harassés bientôt par la longueur de ces solennelles parades[20].

On causait peu : on s'observait beaucoup. Les clames qui avaient accompagné l'impératrice d'Autriche contemplaient avec curiosité nos Françaises, examinaient leur maintien, notaient les détails de leur toilette, jalousaient l'élégance et la somptuosité de leur mise, car Napoléon voulait que les femmes de sa cour portassent sur elles en robes de brocart lamé d'or et d'argent, en corsages cuirassés de pierreries, en multiples rangs de perles, en diadèmes aux feux scintillants, les richesses dont il comblait leurs maris : auprès d'elles, les nobles Viennoises se jugeaient pauvrement vêtues et se comparaient à des Cendrillons[21]. Parfois, un mot murmuré à mi-voix, une réflexion aigre marquait leur dépit. Ce n'était pourtant pas que les Françaises fissent sentir leur avantage par aucune arrogance. Le personnel de cour amené par Napoléon se montrait d'une politesse grave, correct dans sa tenue, mesuré dans son langage ; on le sentait stylé et dressé de main de maitre. Ce n'était plus la grâce pimpante de l'ancien régime, cette légèreté aimable où se mêlait souvent un peu de fatuité et de suffisance. Napoléon n'admettait pas qu'aucune vivacité d'allures dérangeât l'uniformité majestueuse de ses entours et rompit l'alignement.

Les seigneurs allemands imitaient cette réserve : les princes eux-mêmes cherchaient à se confondre dans la foule, à n'être plus que courtisans. Quelques personnages pourtant attiraient l'attention. Le grand-duc de Wurtzbourg, honoré par l'Empereur d'une amitié particulière, se faisait remarquer par ses assiduités auprès de la duchesse de Montebello ; le bruit avait couru qu'il ne croirait pas déroger en épousant cette charmante Française. Le baron de Senft affichait bruyamment son zèle napoléonien, et sa femme forçait encore la note, avec un délirant enthousiasme. Cette clame s'était rendue célèbre par ses manques de tact. Ayant habité Paris, où son mari avait été longtemps ministre de Saxe, elle s'y était prise d'un goût exclusif pour nos mœurs, notre esprit, nos modes, et depuis son retour exaspérait les Allemands en établissant à tout propos des comparaisons à leur désavantage. En acceptant le portefeuille des affaires étrangères, le baron avait mis pour condition que le Roi pardonnerait à son épouse les propos souvent très peu mesurés qu'elle était en possession de se permettre[22]. Mme de Senft abusait largement de cette espèce d'absolution anticipée[23]. Aujourd'hui, d'ailleurs, mari et femme semblaient d'accord pour multiplier les formes de l'adulation et les varier à l'infini : ils eu inventaient de puériles. On racontait qu'ils avaient dressé leur petite fille, une enfant de huit ans, à embrasser avec rage le portrait de l'Empereur, en s'écriant : Je l'aime tant ![24] C'était ce que Napoléon, écœuré par tant de platitude, appelait depuis longtemps la nigauderie allemande.

Ses ministres, ses grands officiers étaient eux-mêmes accablés d'hommages, proportionnés au degré de faveur où on les supposait auprès du maître. Le duc de Bassano avait autour de lui une véritable cour : c'était à qui vanterait sa supériorité d'esprit, son inaltérable bonne grâce, et de fait ce ministre, naturellement aimable, s'attachait à plaire quand il n'eût eu qu'à paraître pour obtenir tous les suffrages. Caulaincourt, chic de Vicence, fixait les regards par sa haute taille, sa belle prestance, son extérieur sympathique et ouvert : on lui témoignait toutefois plus de considération que d'empressement. Son opposition à la guerre était connue, et cet homme intrépide, qui ne craignait pas de contredire le maître du monde, était considéré comme un phénomène rare, curieux, un peu inquiétant, à regarder de loin. Cependant, comme il causait un soir dans l'embrasure d'une fenêtre avec le duc d'Istrie, l'empereur d'Autriche s'approcha de lui et, sur un ton d'amicale remontrance, se prit à lui expliquer que l'empereur Alexandre voulait certainement la guerre, puisqu'il avait décliné la médiation autrichienne[25].

Mais soudain le murmure discret des conversations se taisait : Napoléon s'était levé et commençait sa tournée. A son approche, une attente anxieuse, un mélange indéfinissable de curiosité et de terreur faisait battre précipitamment les cœurs et s'emparait surtout des femmes. Leurs nerfs vibraient affolés : leur émotion se traduisait par des signes physiques. Les hommes placés derrière elles voyaient leurs épaules nues s'empourprer toutes à la fois et cette ligne de blancheurs subitement rougir.

Avec ce dandinement voulu qui lui servait à modérer l'impétuosité de sa démarche, Napoléon passait devant les groupes, s'arrêtant çà et là, distribuant le Name ou l'éloge, traitant chacun suivant ses mérites. Un soir, après une conversation qu'il eut avec Catherine de Westphalie, on vit la pauvre reine s'éloigner les yeux rougis de larmes : l'Empereur lui avait dit à l'adresse de Jérôme des paroles dures, reprochant à ce roi commandant de corps des négligences dans le service[26]. Aux personnages autrichiens dont les passions antifrançaises semblaient irréductibles, il ne ménagea point les traits acérés, les reparties cinglantes. Mais qu'il excellait à séduire et à enchanter ceux dont les tendances amies ou les hésitations lui avaient été signalées et dont il voulait achever la conquête ! Comme le feu de son regard s'éteignait soudain ! Comme sa voix caressait et prenait un charme enjôleur ! Avec quel art il savait trouver le mot juste, pénétrant, flatteur, qui lui attachait une aine par les liens de la vanité comblée ! Quand on lui présenta la comtesse Lazanska, qui avait dirigé l'éducation de Marie-Louise, il la remercia de lui avoir formé une épouse aussi accomplie. Avec les militaires autrichiens, il eut des façons de camaraderie, des gestes d'une brusquerie amicale qui les ravirent : Il m'a frappé sur l'épaule, disait le général Klenau, éperdu de joie et de reconnaissance[27].

Après avoir fait le tour du cercle, Napoléon s'emparait de son beau-père et l'emmenait au fond de la galerie. Là, taudis que l'assemblée se tenait à distance, tandis que la réception se prolongeait en sa splendeur morne, aux sous d'une musique grêle que dirigeait le maestro Paër, lui, parleur infatigable, arpentait en causant la largeur de la pièce, recommençait vingt ibis le même tour, entraînant dans sa marche, dominant et écrasant de sa supériorité celui qu'il avait appelé jadis, dans un jour de colère, le chétif François[28].

D'abord, sa verve, sa fougue, ses brusques et triviales saillies, avaient étourdi et glacé François. Peu à peu, à force de soins et d'apparente rondeur, Napoléon arrivait à dissiper ce malaise. Abordant dans la conversation tons les sujets, traitant de politique extérieure et intérieure, il affectait de conseiller tout à la fois et de consulter son beau-père, de l'initier à ses plus intimes desseins, de tomber d'accord avec lui sur des points importants, mystérieux, et de mettre entre eux un secret. Et le monarque autrichien savait quelque gré au grand homme de confidences qui le relevaient à ses propres yeux et l'amenaient à moins douter de lui-même : Nous sommes convenus, disait-il tout fier après ces causeries, de plusieurs choses dont Metternich lui-même n'a aucune connaissance[29]. Sans renoncer à ses doutes, à ses arrière-pensées, il répondait à son terrible gendre sur un ton moins gêné, avec une sorte d'expansion qui créait entre eux l'apparence d'une intimité vraie.

L'impératrice d'Autriche se roidirait-elle davantage contre la séduction ? Depuis son arrivée, elle n'avait pas démenti sa réputation de princesse intelligente et ambitieuse, de goûts plus relevés que son mari et d'esprit plus affiné. Passionnée d'art et de littérature, elle en parlait avec agrément, plaçait volontiers son mot sur les gros ouvrages de métaphysique qui se publiaient en Allemagne, sans négliger la politique. Petite, assez jolie, constamment malade, mais soutenue par ses nerfs, elle s'intéressait à tout, se mêlait à tout, avec une activité dont on ne l'eût pas crue capable. A la voir, il semblait que la moindre occupation dût l'épuiser : dès qu'un objet excitait sa passion ou seulement sa curiosité, elle devenait infatigable[30]. L'an passé, elle avait déjà visité Dresde, en se rendant aux eaux de Carlsbad, et s'y était attiré de nombreuses sympathies. Dans la brillante assemblée d'aujourd'hui, elle faisait renaitre les mêmes sentiments de respectueux intérêt. On admirait ses connaissances variées, son enjouement ; on lui savait gré de se montrer aimable malgré ses maux : on la plaignait de toujours souffrir, et lorsqu'au cours d'une conversation où elle discutait avec feu ou s'abandonnait à une fébrile gaieté, une toux sèche brisait subitement sa voix, chacun s'attendrissait sur son sort et craignait de la perdre[31]. L'empereur François l'aimait beaucoup et l'écoutait parfois, tout en la craignant un peu, car il trouvait que sa femme avait trop d'esprit pour lui[32]. En somme, c'était une puissance que cette mignonne impératrice, une puissance qu'il importait à Napoléon de se concilier ou au moins de désarmer. D'ailleurs, les résistances et les préventions qu'il sentait de ce côté le piquaient au jeu : il s'était juré de les vaincre : c'était pour lui affaire de politique et surtout d'amour-propre.

Il eut pour Marie-Louise d'Este des attentions en dehors de son caractère, des soins obstinés, une recherche de prévenances. Lorsqu'elle consentait à accepter sa main pour aller à table, il s'effaçait devant elle et donnait quelquefois en ces circonstances le pas à l'empereur François. Assis à ses côtés, on le voyait rapprocher son fauteuil pour l'entretenir de plus près. II semblait prendre plaisir à sa présence et à sa conversation, cherchait les occasions de la rencontrer, se plaçait sur son passage, et parfois le château de Dresde offrait ce curieux spectacle : la chaise à porteurs dans laquelle l'Impératrice se faisait voiturer à travers l'interminable palais, arrêtée au détour d'une galerie ; elle-même accoudée au rebord de la portière, et devant elle l'Empereur, s'appuyant sur une canne à la manière de l'autre siècle, arrondissant ses gestes et s'ingéniant à trouver des mots aimables, imitant les façons des hommes de Versailles qu'il avait appelés à sa cour, et faisant, selon sa propre expression, le petit Narbonne[33].

Il en fut pour ses frais d'amabilité auprès de l'Impératrice et manqua cette conquête. Trop d'amers souvenirs écartaient de lui Marie-Louise-Béatrice peur qu'elle renonçât de cœur aux hostilités et se rendit. Fille de la maison d'Este, pouvait-elle oublier sa parenté détrônée et son pays natal, cette douce Italie où il lui prenait envie parfois de retourner et de chercher la santé, passée aux mains de l'usurpateur ? En Autriche, elle avait connu pendant la campagne de 1809 toutes les misères et toutes les humiliations de la défaite, la fuite précipitée, l'exil dans une ville de province, et ces disgrâces avaient ajouté aux blessures de son aine vindicative et ardente. Puis, s'étant entourée a Vienne de nos ennemis notoires, elle tenait à honneur de ne point renier ses affections. A Dresde, se pliant aux nécessités et aux convenances de la situation, elle ne dépassa jamais cette limite. Aux avances de l'Empereur, elle répondit quelquefois par des mots d'une dignité un peu haute, par des mouvements d'impatience à peine perceptibles qui passèrent pour des traits d'héroïsme. Après l'entrevue, il fut impossible de lui surprendre une parole impliquant adhésion au système français : quand on lui parlait politique, elle répondait littérature[34].

Cette sourde révolte n'apparaissait qu'aux yeux exercés à démêler, sous le masque impassible que la vie de cour impose aux visages, les moindres nuances du sentiment. Aux autres, l'intimité entre les deux familles souveraines paraissait parfaitement établie. Les ministres respectifs ne manquaient d'ailleurs aucune occasion de la proclamer. Le duc de Bassano et le comte de Metternich faisaient savoir simultanément à Vienne que leurs maitres avaient appris à se connaitre, par conséquent à s'estimer et à s'apprécier ; que leur confiance réciproque ne laissait rien à désirer[35]. Les journaux enregistraient cet accord et en relevaient avec attendrissement les symptômes. Lorsque les deux cours réunies se montrèrent enfin au public et parurent au théâtre, une feuille fort répandue célébra le spectacle auguste et touchant qu'offrait cg la réunion de tant de têtes couronnées ne formant qu'une seule famille[36].

En cette occasion, le parterre de rois se retrouva au complet, tel qu'il avait figuré à Erfurt, avec cette différence que le couple autrichien se partageait la place d'Alexandre. Derrière l'orchestre, une rangée de fauteuils avait été disposée pour les souverains. Les deux impératrices étaient placées au centre, l'empereur Napoléon à la droite de Marie-Louise d'Este, François Ier à la gauche de sa fille : sur les côtés, les rois et les princes, échelonnés d'après l'ordre des préséances : derrière eux, sur des banquettes, les dames du palais. Les autres dames de la cour et de la ville, accompagnées des dignitaires, chambellans et officiers, occupaient les premières loges, et leurs claires toilettes, se détachant sur un fond brillant d'uniformes, ajoutaient à l'élégance et à la splendeur du tableau. Le 20, il y eut représentation de gala, où six mille personnes avaient été conviées. On donna quelques scènes de l'opéra à la mode, le Sargines de Paër, dont la vogue survivrait à la fortune du conquérant. La représentation, qui devait s'achever par une cantate en l'honneur de Napoléon, débuta par une sorte d'apothéose : la pièce principale figurait le soleil, un soleil d'opéra, qui se mit à fulgurer et à tournoyer au fond du théâtre, accompagné de cette inscription : Moins grand et moins beau que lui. — Il faut que ces gens-là me croient bien bête, dit Napoléon en haussant les épaules, cependant que l'empereur d'Autriche, d'un hochement de tête bénin, approuvait l'allégorie et s'associait à l'intention[37].

 

III

Un dernier visiteur venait de s'annoncer : le roi de Prusse, informé que l'Empereur le verrait volontiers, approchait de Dresde. Il arrivait en médiocre appareil, suivi de gens tristes, graves, compassés, d'autant plus formalistes qu'ils sentaient l'infériorité de leur position, extrêmement ennuyeux, écrivait la reine de Westphalie[38], et fous d'étiquette. A la frontière, on avertit officieusement Frédéric-Guillaume de renoncer, pour son entrée, à un traitement d'égalité avec Leurs Majestés Françaises et Autrichiennes : une hiérarchie s'établissait entre les souverains, et Frédéric-Guillaume n'était que roi[39]. L'accueil qu'il reçut de la population lui adoucit cette amertume ; elle lui fit une ovation discrète[40]. Dans cette lamentable Prusse, tombée si bas, mais où couvait une flamme ardente de patriotisme et de haine, beaucoup d'Allemands commençaient à distinguer l'espoir et l'avenir de leur patrie.

Depuis longtemps, Napoléon n'avait pas d'expressions assez méprisantes pour caractériser la cour de Prusse. Il la citait comme un type de duplicité et d'ineptie. Quant au Roi, il le comparait à un sous-officier ponctuel et borné : le grand guerrier reprochait à Frédéric-Guillaume sa manie militaire, son goût pour les minuties du métier, cette passion du détail aux dépens de l'ensemble qui est un signe d'inintelligence : il l'appelait, lorsqu'il parlait de lui, un sergent instructeur, une bête[41]. Toutefois, ayant intérêt à consoler un peu la Prusse et à obtenir d'elle plus qu'un concours uniquement dicté par la peur, il se violenta pour bien recevoir le Roi, lui fit visite le premier, lui accorda une demi-heure, et l'entrevue se passa convenablement.

Le prince royal étant arrivé le lendemain, Napoléon sut gré à son père de le lui présenter et y vit une marque de déférence. Le jeune prince passait pour ennemi du Tugendbund et hostile à toute agitation révolutionnaire : c'était une note favorable à son actif. Napoléon l'accueillit avec affabilité, parut satisfait de lui, et le duc de Bassano, dans une dépêche officielle, décerna au Kronprinz, un brevet de bonne tenue : Ce prince, dit-il, qui pour la première fois est entré dans le monde, s'y conduit avec prudence et avec grâce[42].

La présence des Prussiens ne changea rien à la vie que l'on menait à Dresde : c'étaient toujours mêmes occupations, mêmes plaisirs à heure fixe. Le 24, comme distraction extraordinaire, il y avait eu concert au théâtre du palais, avec nouvelle cantate. A Erfurt, où Napoléon était chez lui et avait tout réglé suivant ses goûts, il avait donné le pas à la tragédie et l'avait imposée quinze soirs de suite à ses hôtes. A Dresde, conformément aux préférences et aux habitudes de la cour saxonne, la musique tenait le premier rang : la chapelle du Roi figurait aux réceptions et aux spectacles profanes comme à la Messe solennelle du dimanche[43] : une musique grave, presque religieuse, accompagnait en sourdine tous les mouvements des cours et le déroulement des cérémonies.

Sous ces apparences décentes et dignes, sons les politesses d'apparat qui s'échangeaient entre les souverains, sous les témoignages de courtoisie que se rendaient leurs ministres, un fait brutal et saisissant perçait de plus en plus : c'était un progrès continu dans la servilité, un concours de bassesses, un empressement plus marqué à s'incliner devant celui en qui les rois sentaient leur maitre. On cherche maintenant à lire dans ses yeux un désir, une volonté, pour s'y conformer aussitôt : chaque vœu qu'il exprime fait loi. Il n'a qu'à parler pour que la Prusse ouvre à nos troupes ses dernières places, Pillas et Spandau, pour que l'Autriche promette l'abandon plus complet de ses ressources. Les ministres auxquels ces exigences sont poliment signifiées négocient pour la forme, résolus d'avance à obéir : il semble que d'un tacite accord les souverains reconnaissent désormais au-dessus d'eux une autorité suprême, une dignité légalement reconstituée, et Napoléon est vraiment en ces jours empereur d'Europe. C'est lui l'héritier de Rome et de Charlemagne, l'empereur romain de nation française, pour faire suite aux Césars de race germanique ; mais la prééminence souvent honorifique de l'ancien empire s'est transformée dans ses mains en une écrasante réalité. Et plus l'entrevue se prolonge, plus cette réalité ressort, se dégage, apparaît et resplendit. Certes, nous savons que cette magique résurrection n'est qu'un miracle passager du génie, faisant violence aux lois de l'humanité et de l'histoire. Déjà, l'excès de la grandeur impériale en a préparé la chute. Les désastres sont proches ; ils pèsent sur l'avenir. Néanmoins, qu'il nous soit permis un instant de borner nos regards au présent. Avant d'aller plus loin, arrêtons-nous sur cette cime et jouissons du spectacle. Car c'est un âpre et merveilleux plaisir que de voir ces empereurs et ces rois élevés détester la France, ces représentants des dynasties qui l'ont à travers les siècles jalousée et haïe, ces monarques fils et petit-fils d'ennemis, ces descendants de Frédéric et ces successeurs des Ferdinand et des Léopold, s'abattant devant l'homme qui portait si haut la gloire et les destins de notre race, et lui les tenant sous son pied, humiliés, prosternés, anéantis, le front dans la poussière.

A terre, ils se disputaient encore les lambeaux d'un pouvoir qu'il leur laissait par grâce : ils prolongeaient leurs rivalités, leurs compétitions, se dénonçaient mutuellement, et chacun s'efforçait de tirer à soi quelque avantage aux dépens des autres. L'Autriche et la Saxe prirent Napoléon pour arbitre dans une querelle de frontières : il prononça sur le litige et se fit juge des rois. Puis, c'étaient d'humbles suppliques, des recours à sa munificence, des demandes d'argent. En cette matière, Napoléon eut la main facile ; il avança un million de plus à la Saxe, accorda à la Prusse quelques licences commerciales pour qu'elle se fit un peu d'argent, prit provisoirement à son compte la solde du contingent autrichien : aux rois qu'il avait ruinés, il ne refusa pas ces aumônes. A leurs ministres, à leur suite, il distribua des diamants, des portraits enrichis de pierreries, des boîtes d'or et d'émail que la plupart des destinataires se Litèrent de convertir en espèces sonnantes : trois semaines durant, sur la foule agenouillée des courtisans, sur la plèbe des princes, il laissa tomber ses largesses.

Dans les derniers temps de son séjour, il s'offrit plus complaisamment à la curiosité publique. Il traversa Dresde pour visiter l'un des musées qui font l'ornement de cette capitale. Le 25, une battue de sangliers ayant été organisée dans le domaine royal de Moritzbourg, les souverains s'y rendirent en voiture découverte, et Napoléon attira seul l'attention, bien qu'il fût en habit de chasse très simple[44] — il avait décidé que ses habits de chasse dureraient deux ans. — Un autre jour, il sortit du palais à cheval, avec une suite brillante, passa sur la rive droite de l'Elbe et, fit le tour de Dresde par le dehors, par les hauteurs qui ceignent et dominent la ville.

II allait au pas, précédant son état-major aux resplendissantes broderies, seul et bien en vue, sur son cheval blanc à housse écarlate chargée d'or, et sa silhouette caractéristique se détachait du groupe. Des cavaliers saxons, des cuirassiers blancs à cuirasse noire formaient son escorte : une foule immense l'accompagnait, composée d'Allemands qui sentaient l'avilissement de leur patrie, et tous cependant, quelque haine qu'ils eussent cent fois jurée à l'oppresseur, se laissaient prendre et courber par ce qu'il y avait de grand, de magnifique et de dominateur en cet homme. Lentement, il parcourut les crêtes, contemplant le spectacle qui s'offrait à ses regards, ces vallonnements gracieux et ces souriantes campagnes, ces coteaux striés de vignobles, ces maisons de plaisance parées de printanière verdure, ces domaines aux treilles opulentes et aux terrasses fleuries, plus loin les sommets boisés des Alpes saxonnes et leurs lignes dentelant l'horizon, tout ce cadre harmonieux et pittoresque où repose Dresde, enlacée de son fleuve, épandue sur les deux rives, environnée de jardins, de forêts et de montagnes. Il s'arrêtait aux points de vue célèbres, se laissant approcher et contempler, prolongeant à loisir sa triomphale promenade. A la fin, rencontrant un sanctuaire fort vénéré, l'église Notre-Daine, il y entra et y demeura quelques instants, ce qui émut fortement le pieux peuple de Saxe[45]. Était-ce là l'unique but de l'Empereur ? Une inspiration plus haute avait-elle guidé ses pas ? En ces heures qui étaient pour lui la veillée des armes, sentait-il un instinctif besoin de se recueillir et d'aller où l'on prie ? Qui sondera jamais les profondeurs de cette âme ?

A la même époque, dans l'église catholique d'un village de Lithuanie, un prêtre célébrait la Messe de grand matin. En descendant de l'autel, il vit au fond de l'église un officier portant l'uniforme russe, qui demeurait agenouillé, appuyait son visage sur ses mains et semblait s'absorber dans une méditation profonde. Le prêtre s'approcha ; l'officier, relevant alors la tête, montra les traits d'Alexandre[46]. Établi depuis quelques semaines à Vilna, le Tsar parcourait fréquemment les campagnes environnantes et entrait parfois dans les églises, seul et sans escorte. Que venait-il faire dans ces lieux de prière étrangers à son culte ? Flatter les Polonais de Lithuanie qu'il s'efforçait toujours de regagner à sa cause ? Témoigner pour leur foi et leurs traditions une déférence qui leur plairait ? Sans doute, mais pourquoi ne pas croire aussi qu'il venait affermir et réconforter son âme, à la veille des suprêmes épreuves ? Élevé a l'école des philosophes, attaché jusqu'alors à un idéal purement terrestre, il éprouvait depuis quelque temps des aspirations nouvelles, le besoin de porter plus haut ses regards, et pensait peut-être que les différences de culte sont des murailles élevées de main d'homme et qui ne montent pas jusqu'au ciel. Quoi qu'il en fût, avant de risquer leur destinée dans le jeu terrible des combats, et l'autre empereur cherchaient à mettre Dieu dans leur parti ou du moins à se fortifier aux yeux des peuples d'un concours surhumain.

 

IV

Le 26 mai, on vit arriver diligemment de Wilna à Dresde l'aide de camp Narbonne, accourant pour rendre compte de sa mission. Il reprit son service le soir même et parut au cercle de cour : son grand air, l'agrément de sa personne y firent sensation : son nom circula de bouche en bouche, et les détails de son voyage, dont il ne lui avait pas été recommandé de faire mystère, furent promptement connus.

Il n'était resté à Wilna que deux jours. Arrivé le 18 mai, il avait trouvé une ville regorgeant de troupes, entourée de camps ; chez les Russes, un ton réservé, mais parfaitement poli, de la dignité sans jactance[47]. L'empereur Alexandre l'avait reçu le jour même et patiemment écouté. Aux vagues assurances que l'aide de camp avait à lui donner, il avait répondu par des affirmations également générales, par ses éternelles protestations. Il avait dit textuellement : Je ne tirerai pas l'épée le premier, je ne veux pas avoir aux yeux de l'Europe la responsabilité du sang que fera verser cette guerre. Il avait ajouté que les plus justes sujets de plainte n'avaient pu le décider encore à rompre ses engagements et à écouter les Anglais : J'aurais dix agents anglais pour un chez moi, si je l'avais voulu, et je n'ai encore rien voulu entendre[48]. Quand je changerai de système, je le ferai ouvertement. Demandez à Caulaincourt. Trois cent mille Français sont sur ma frontière ; l'Empereur vient d'appeler l'Autriche, la Prusse, toute l'Europe aux armes contre la Russie, et je suis encore dans l'alliance, j'y reste obstinément, tant ma raison se refuse à croire qu'il veuille en sacrifier les avantages réels aux chances de cette guerre. Mais je ne ferai rien de contraire à l'honneur de la nation que je gouverne. La nation russe n'est pas de celles qui reculent devant le danger. Toutes les baïonnettes de l'Europe sur mes frontières ne me feront pas changer de langage. Si j'ai été patient et modéré, ce n'est point par faiblesse, c'est parce que le devoir d'un souverain est de n'écouter aucun ressentiment, de ne voir que le repos et l'intérêt de ses peuples. A la fin, déployant une carte de la Russie et indiquant du doigt l'extrémité la plus reculée de son empire, celle qui se confond avec la pointe orientale de l'Asie et confine au détroit de Behring, il avait ajouté : Si l'empereur Napoléon est décidé à la guerre et que la fortune ne favorise point la cause juste, il lui faudra aller jusque-là pour chercher la paix[49].

Tout cela avait été exprimé gravement, posément, avec une douceur fière qui avait vivement impressionné Narbonne. Quant à indiquer un moyen quelconque d'éviter cette guerre dont il se proclamait innocent, quant à reprendre la négociation sur de nouveaux frais, Alexandre s'y était formellement refusé. D'après lui, la Russie avait parlé ; ses griefs étaient patents, publics, connus de toute l'Europe : C'était se moquer du monde que de prétendre qu'il y en avait de secrets : aujourd'hui, les conversations ne menaient plus à rien : si l'on voulait réellement négocier, il fallait le faire par écrit et dans les formes officielles. C'était une allusion à l'ultimatum, une façon discrète et détournée de maintenir cet acte impérieux. Le même jour, Narbonne se vit confier une lettre de Roumiantsof en réponse à celle du secrétaire d'État français : le chancelier se référait aux instructions données à Kourakine, sans s'expliquer sur leur teneur. Le soir, Narbonne diva à la table du Tsar, qui lui fit remettre ensuite son portrait, formalité en usage pour clôturer une mission. Le lendemain, sans qu'il eût le moins du monde témoigné l'intention de partir, un maitre d'hôtel lui apporta, de la part de l'Empereur, les provisions de voyage les plus recherchées : les comtes Kotschoubey et Nesselrode lui firent des visites d'adieu : enfin un courrier impérial vint obligeamment lui annoncer que ses chevaux de poste étaient commandés pour six heures du soir[50]. Il était impossible de lui signifier plus poliment et plus expressément son congé. En somme, on lui avait laissé tout juste le temps de remplir son message et de réciter sa leçon : après quoi, avec une exquise douceur de formes, on l'avait remis d'autorité en voiture et prestement éconduit.

Ainsi, Napoléon n'avait point réussi par l'intermédiaire de Narbonne à entamer une négociation uniquement destinée à retarder les hostilités ; il n'était guère à prévoir que Lauriston réussirait mieux dans sa tentative. Mais le résultat espéré par l'Empereur se produisait spontanément, malgré l'insuccès de ses stratagèmes, puisque les armées russes se tenaient immobiles sur la frontière et attendaient l'invasion. Pendant ce délai suprême, le printemps du Nord, tardif et brusque, faisait explosion : sur le sol encore détrempé par le dégel, la verdure croissait rapidement. Encore deux ou trois semaines, et les seigles commençant à monter en épis fourniront à la nourriture des chevaux[51], et la nature nous donnera le signal d'agir. Napoléon se sent tout près du but, et son impatience de le saisir augmente. Il a hâte maintenant de quitter Dresde, d'échapper à l'atmosphère artificielle des cours, de respirer au milieu de ses troupes un air plus pur, de donner l'essor à ses projets. Fixant son départ au 28, il se rapproche déjà en esprit de la Grande Armée par un ensemble de prescriptions minutieuses : il fait diriger sur Elbing, un peu au delà de la Vistule, l'équipage de pont qui lui servira à passer le Niémen : Tout mon plan de campagne, écrit-il le 26 mai à Davout[52], est fondé sur l'existence de cet équipage de pont aussi bien attelé et mobile qu'une pièce de canon. Il prend ses mesures pour que les forces déployées sur la Vistule puissent, au moment de son apparition, passer instantanément de l'ordre en bataille à l'ordre en colonne, se concentrer pour l'attaque et lui mettre dans la main quatre cent mille hommes, formés en un seul groupe où tous les corps se serreront coude à coude. En même temps, toujours mécontent et plus préoccupé de ce qui se passe à droite et à gauche de sa ligne d'opérations, en Turquie et en Suède, il mande à Latour-Maubourg d'empêcher à tout prix la paix d'Orient et permet, malgré ses répugnances, que Maret active les pourparlers auxquels Bernadotte à l'air de se prêter : à ses deux ailes qui restent en arrière, il fait encore une fois signe de rallier. En dernier lieu, il songe à organiser la tumultueuse levée qui doit former son avant-garde, à se servir de l'État varsovien pour insurger la Pologne russe. C'est l'opération qu'il a réservée pour la fin, sachant qu'elle ferait éclater ses desseins et ne lui permettrait plus de dissimuler. Après avoir jusqu'à présent retenu de toutes ses forces l'ardente Pologne, il va lui lâcher la bride.

Sur sa demande, le roi de Saxe avait signé un décret qui consacrait l'autonomie du duché en déléguant les pouvoirs souverains au conseil des ministres. Cette autorité dont le roi allemand se démettait, il importait qu'un représentant français, un ambassadeur extraordinaire, un légat de l'Empire s'en saisît, afin d'imprimer un grand mouvement à toutes les parties de la population. La tache était ardue, car Napoléon ne voulait pas encore prononcer les paroles fatidiques qui lui eussent rallié toutes les énergies : La Pologne est rétablie dans l'intégrité de ses droits et de ses limites. Se défiant un peu des Polonais et de leurs tendances anarchiques, désirant ménager les Autrichiens qui n'avaient pas formellement renoncé à la Galicie, tenant même à ne point rendre trop difficile sa paix future avec la Russie, il ne savait pas jusqu'où il pousserait l'œuvre d'émancipation et n'entendait à cet égard rien préjuger. II s'agissait donc d'exciter chez les Polonais de belliqueux transports au nom d'un idéal mal défini, d'introduire en même temps parmi eux un peu d'ordre, d'union et de discipline, de faire marcher pour la première fois d'ensemble et d'accord cette incohérente nation.

Où trouver l'homme propre à cette œuvre ? Un général ne conviendrait pas : il aurait la vigueur et l'entrain : l'adresse, le tour de main lui feraient défaut. Un simple diplomate de carrière ne posséderait pas l'envergure et l'ampleur nécessaires. Il fallait un personnage qui s'imposât par son rang, son caractère, son prestige, qui sùt dominer les factions de son autorité et aussi mettre le doigt avec dextérité sur les ressorts les plus délicats, jouer des femmes, flatter la vanité des hommes de guerre, modérer leurs jalousies, donner partout l'impulsion sans afficher son pouvoir : un homme possédant la pratique des grandes affaires et rompu en même temps à toutes les roueries du métier politique, un manipulateur habile de passions et de consciences, pour tout dire en un mot, un intrigant de haute allure. Napoléon avait pensé à Talleyrand. Confier au prince de Bénévent l'ambassade de Varsovie, ce serait à la fois employer utilement une grande intelligence et éloigner de Paris une remuante ambition. Depuis 1808 et 1809, où Talleyrand avait spéculé d'accord avec Fouché sur la mort possible du maitre au delà des Pyrénées, sur la balle espagnole, et préparé dans la coulisse un gouvernement de rechange, Napoléon n'aimait pas à laisser derrière lui, durant ses absences, ce personnage trop prévoyant. Mieux vaudrait cette fois le sauver autant que possible de lui-même : une haute charge à l'étranger, en satisfaisant le besoin d'activité et les appétits matériels de ce grand besogneux, le mettrait, peut-être à l'abri de dangereuses tentations. Il regrette de n'être plus ministre, disait de lui Napoléon, et intrigue pour avoir de l'argent. Ses entours, comme lui, en ont toujours besoin et sont capables de tout pour en avoir[53]. Il préférait en somme replacer Talleyrand dans le gouvernement et l'y emprisonner, plutôt que de le laisser en dehors, inoccupé, désœuvré, côtoyant et convoitant le pouvoir. Avant de quitter Paris, il avait annoncé au prince ses intentions sur lui, mais lui avait fait un devoir de la plus stricte discrétion.

Talleyrand ne parla point : seulement, escomptant aussitôt sa charge future et les maniements de fonds qu'elle occasionnerait, sachant qu'il n'y avait point de change direct entre Paris et Varsovie, il n'eut rien de plus pressé que de se faire ouvrir de larges crédits sur certaine banque de Vienne[54]. Le bruit s'en répandit dans cette ville, où il fit soupçonner le projet d'ambassade : il revint à Paris, arriva aux oreilles de Napoléon et le mit en fureur. Dans la précaution prise par le prince et exploitée par ses ennemis, Napoléon vit un manquement au secret ordonné, une désobéissance indirecte, une infraction coupable, peut-être pis encore ; il jugea que Talleyrand s'était rendu définitivement impossible. Renonçant à remmener dans le Nord et craignant de le laisser à Paris, il songea d'abord à trancher la difficulté en l'exilant : des influences s'entremirent et le firent renoncer ce dessein, mais ne rem-péchèrent point de frapper le prince d'une nouvelle et plus complète disgrâce.

A défaut de Talleyrand, il prit sa caricature. L'abbé de Pradt, archevêque de Malines, avait accompagné Leurs Majestés a Dresde, en qualité de grand aumônier : on l'y voyait chaque dimanche officier pontificalement dans l'église catholique, tandis que l'Empereur, ayant à ses côtés la reine de Westphalie, assistait à la cérémonie en correcte attitude, sans songer que la présence à l'autel de ce prélat indigne outrageait la sainteté du lieu. Il connaissait pourtant l'abbé de Pradt, en qui il n'avait jamais eu à récompenser qu'une obséquiosité turbulente, servie par un esprit brillant et un style à facettes. Il l'avait vu perpétuellement occupé à chercher le vent, tournant avec la fortune et se faisant gloire ensuite d'avoir prémédité ses traîtrises : plusieurs fois, il l'avait surpris la main dans de ténébreuses machinations et lui avait prédit un jour que sa manie d'intriguer le conduirait sur l'échafaud. Mais l'un de ses principes était que les défauts d'un homme, aussi bien que ses qualités, peuvent être utilement employés. A Varsovie, l'abbé trouverait occasion de déployer pour le bon motif ses talents d'agitateur et d'intriguer en grand. De plus, hanté à cette époque par le souvenir des Bourbons, l'Empereur se rappelait que naguère, sous la monarchie, des ambassadeurs d'Église avaient réussi à gouverner l'anarchie polonaise : en l'abbé de Pradt, il voulut avoir et crut trouver son abbé de Polignac. Fort recommandé par Duroc son parent, l'archevêque de Malines fut officiellement déclaré ambassadeur à Varsovie. Il eut à se composer précipitamment une suite, à s'entourer d'un personnel brillant, à se monter un train de maison fastueux et à partir d'urgence. En fait, nul n'était moins propre à remplir une mission de haute confiance que ce prêtre sans conscience, sachant observer, décrire et critiquer, mais totalement dépourvu de sens pratique et d'esprit de conduite ; agent infidèle, brouillon, maladroit et poltron, l'une des pires erreurs que Napoléon ait commises dans le choix et le discernement des hommes.

A titre d'instruction, on lui remit un long mémoire que l'Empereur avait inspiré et qu'il compléta par de vives explications[55]. Divers objets étaient assignés à l'activité de l'ambassadeur : il aurait à employer en partie les ressources du duché au ravitaillement de la Grande Armée, à créer un service et une agence de renseignements militaires, mais surtout à faire de Varsovie un point de ralliement pour les Polonais de tout pays, un centre d'action et de propagande, un foyer d'incandescentes passions dont la flamme porterait au loin et déterminerait l'embrasement.

D'abord, il conviendrait qu'une proclamation à effet, suggérée par l'ambassadeur aux ministres, convoquât la représentation nationale, la Diète, et donnât l'éveil. Dès sa réunion, la Diète mettra bruyamment à l'ordre du jour la grande question, se fera adresser un rapport tendant au rétablissement de l'ancien royaume. Sans s'approprier par un vote les conclusions de ce rapport, elle s'y conformera en fait et, tenant la réunion des frères séparés pour virtuellement accomplie, se constituera en confédération générale de la Pologne, c'est-à-dire en association pour le mouvement et la lutte, en grand conseil de la nation armée. A son image, des sous-comités d'action, des foyers d'agitation locale, se formeront de toutes parts : chaque palatinat aura le sien. On enverra une députation à l'Empereur : L'Empereur répondra aux députés en louant les sentiments qui animent les Polonais. Elle (Sa Majesté) leur dira que ce n'est qu'à leur zèle, à leurs efforts, à leur patriotisme, qu'ils peuvent devoir la renaissance de la patrie. Cette mesure, que l'Empereur se propose de garder, indique assez à son ambassadeur l'attitude qu'il doit avoir et la conduite qu'il doit tenir.

Mais l'ambassadeur, sans s'expliquer officiellement sur l'avenir, aura à inspirer toutes les paroles, tous les actes destinés à susciter une immense espérance, à enfiévrer l'opinion. C'est ici que l'instruction, suivant un mot de l'abbé, se transforme en cours de clubisme[56] ; avec détails, elle explique comment on s'y prend pour remuer un peuple jusqu'en ses profondeurs, pour créer, entretenir et renouveler sans cesse l'agitation, pour chauffer à blanc les esprits. Il faut des actes multipliés. Il faut tout à la fois des proclamations, des rapports à la Diète, des motions des députés, et, s'il est possible, autant de discours, de déclarations et manifestes particuliers qu'il y aura d'adhésions individuelles à la Confédération. Il faut enfin qu'on ait à publier chaque jour des pièces de tous les caractères, de tous les styles, tendant au même but, mais s'adressant aux divers sentiments et aux divers esprits. C'est ainsi qu'on parviendra à mettre la nation tout entière dans une sorte d'ivresse.

Ce patriotique délire aura pour effet de faire courir aux armes tous les habitants du duché, mais le but principal serait manqué si cette effervescence s'arrêtait aux frontières. Il importe essentiellement qu'elle les dépasse, que les pays voisins prennent feu à son contact, que la levée en masse se prolonge dans les provinces russes. Aussi l'ambassadeur est-il invité à faire répandre à profusion et colporter en Lithuanie, en Podolie, en Volhynie, dans toutes les parties de l'ancienne Pologne, la Galicie autrichienne exceptée, les écrits, les proclamations, les libelles, toutes les pièces incendiaires. Entraînée par ces appels, la noblesse polonaise de Russie se formera en bandes guerroyantes, en une vaillante et agile cavalerie, en une sorte de chouannerie à cheval, destinée à opérer sur les flancs et les derrières de l'ennemi, à le harceler sans cesse, à le placer dans une situation semblable à celle où s'est trouvée l'armée française en Espagne et l'armée républicaine dans le temps de la Vendée. Cette guerre de partisans partout provoquée, la tache de l'ambassadeur ne sera qu'à moitié remplie ; il lui faut à la fois faire œuvre de révolutionnaire et d'organisateur : après avoir déterminé l'universel soulèvement, régler ce tumulte, discipliner, coordonner, administrer l'insurrection, faire concorder ses rapides chevauchées avec les mouvements de la Grande Armée, assurer enfin l'unité d'impulsion et de manœuvres sans laquelle il n'est point d'effort fructueux et de coopération efficace.

Dans cette multiple besogne, tout devait s'entamer à la fois et se poursuivre sans interruption, mais il importait que l'explosion n'eût pas lieu prématurément et que la Pologne ne partit pas trop tôt. Tant qu'il resterait un espoir d'inspirer aux Russes un doute sur l'imminence des hostilités, Napoléon n'entendait point le négliger. En conséquence, l'ambassadeur se bornerait d'abord à établir fortement son crédit et son influence, à s'attirer les hommes importants, à faire de sa maison un centre où toutes les cuisses, tous les intérêts viendraient aboutir ; il se mettrait ainsi en main tous les ressorts de la grande entreprise, mais attendrait pour presser la détente un signal ultérieur. Par surcroît de précaution, il fut convenu que le décret royal, qui instituait le conseil des ministres eu comité exécutif et annonçait par là de grandes nouveautés, ne serait point publié avant le 15 juin. A cette date, l'Empereur serait sur la Vistule : alors, tandis qu'il prendrait le commandement de ses troupes et les pousserait en avant, les événements préparés à Varsovie s'accompliraient et suivraient leur cours : la mise en branle de la Pologne coïnciderait exactement avec les premiers pas de la Grande Armée, sans les devancer d'un jour.

Dans l'après-midi du 28 mai, Napoléon fit solennellement ses adieux aux cours réunies à Dresde. Pendant la nuit suivante, un grand bruit retentit dans le palais ; les membres de la maison militaire, aides de camp, officiers d'ordonnance, écuyers, aides de camp des aides de camp, débouchaient de toutes parts dans le vestibule d'honneur et descendaient les escaliers en bide. Napoléon sortit de ses appartements, s'arrêta un instant dans la salle des gardes pour recevoir une dernière fois les souhaits et les hommages de Frédéric-Auguste, puis, après avoir embrassé tendrement Marie-Louise, brusqua sa mise en route. Avant cinq heures du matin, sa berline de poste roulait sur le pavé et une escorte toute militaire s'élançait à sa suite, avec un fracas de chevaux et d'armes[57].

Le roi de Prusse partit le 30 pour retourner à Potsdam, infiniment satisfait — fit-il dire à toute l'Europe par circulaire diplomatique — des journées précieuses[58] qu'il avait passées à Dresde. Marie-Louise resta jusqu'au 4 juillet, puis se rendit à Prague, où l'Empereur lui avait permis de séjourner quelques semaines auprès de ses parents. Là, pour la consoler et la distraire, on donnerait en son honneur des bals, des fêtes, des réceptions brillantes : on la mènerait en excursion à Carlsbad, on lui ferait visiter les mines de Frankenthal, les galeries illuminées pour la circonstance, les grottes endiamantées de scintillements métalliques[59]. L'Empereur son père allait la combler de bénédictions, l'Impératrice lui prodiguerait des caresses un peu forcées, et finalement, après beaucoup d'effusions, on se séparerait, entre belle-mère et belle-fille, plus fraîchement que l'on ne s'était retrouvé. La reine de Westphalie avait quitté Dresde une heure après l'Impératrice, pour retourner à Cassel : le grand-duc de Wurtzbourg prit la route de Tœplitz, et la compagnie des souverains se dispersa en peu de jours. A Dresde, le silence et l'apaisement se firent, mais les deux gardaient encore l'éblouissement de ce qu'ils avaient vu. Il semblait qu'un météore eût subitement traversé l'espace, laissant, derrière lui une ardente traînée de pourpre et de lumière. Cependant, cet éclat palissait peu à peu, s'éteignait : la réflexion succédait à l'extase, et quelques-uns en venaient à se demander si le prodige entrevu était autre chose qu'un fulgurant mirage : un beau rêve, soupirait le bon roi de Saxe, qui tremblait parfois pour la fortune surhumaine à laquelle il avait attaché la sienne, un beau rêve, mais trop court[60].

 

V

Le duc de Bassano resta à Dresde jusqu'au 30 mai. A la veille de rejoindre l'Empereur sur la route du Nord, il reçut une visite qui ne laissa pas de lui être agréable. C'était celle du consul Signeul, choisi pour intermédiaire des négociations traînantes qui se poursuivaient avec Bernadotte. Depuis près de deux mois, Signeul faisait la navette entre la Suède et le siège du gouvernement français ; reparaissant aujourd'hui après une dernière course, il se disait en état de nous satisfaire pleinement. Comme si la fortune, avant d'abandonner Napoléon, eût tenu à le combler de ses plus décevantes faveurs, la seule résistance qui se fût levée contre lui, en dehors de la Russie, semblait plier et s'anéantir : Bernadotte venait à résipiscence et demandait à rentrer dans le rang. Signeul, s'autorisant d'une note autographe du prince, indiquait des bases positives de réconciliation et d'entente. Fidèle à sa pensée persistante, Bernadotte ne parlait pas de la Finlande et désirait seulement qu'on lui octroyait la Norvège, offrant de céder en compensation aux Danois la Poméranie suédoise et de leur paver douze millions. Si l'on accédait à ses vœux, il se déclarerait pour nous, faisant bon marché de tout engagement antérieur ; il signerait un traité d'alliance, pousserait coutre la Russie cinquante mille hommes, se mettrait aux ordres de Napoléon et prendrait en tout ses directions : il s'obligerait au besoin à ne jamais marier son fils sans la permission de l'Empereur[61].

Chez tout autre que Bernadotte, cette évolution inattendue aurait eu de quoi surprendre. Elle a d'ailleurs intrigué les historiens : son véritable caractère et ses motifs ont donné lieu à des appréciations diverses. Était-elle sincère ? Bernadotte revenait-il à nous de bonne foi ? Doit-on supposer, au contraire, qu'en rouvrant une négociation avec la France au lieu de tenir ses engagements avec la Russie, il voulait simplement gagner du temps et se mettre en mesure d'attendre, pour prendre effectivement parti, l'issue de la guerre ou au moins des premières rencontres ? Bien que cette explication soit beaucoup plus vraisemblable que la première, la vérité, telle qu'elle se dégage des documents suédois, est un peu différente. Si Bernadotte se ménageait de notre tété une porte de rentrée, ce n'était pas uniquement par suite des appréhensions que lui inspiraient nos forces. Ces raisons ne l'avaient pas empêché, deux mois plus tôt, de braver l'Empereur et de conclure avec ses ennemis. Ce qu'il redoutait aujourd'hui, c'était que la Russie n'osât affronter la lutte et ne lui faussât compagnie, et cette terreur venait de lui être communiquée par son envoyé à Pétersbourg, le comte de Lœwenhielm, d'après certaines présomptions que l'événement devait démentir, mais qui avaient jeté dans l'esprit de cet envoyé un trouble subit : une dépêche affolée de Lœwenhielm, en date du 17 avril, donne la clef du mystère.

On a déjà signalé l'émoi qu'avait causé au Tsar l'avis de l'alliance franco-autrichienne. L'épreuve lui avait été sensible, et Lœwenhielm, qui s'en aperçut aussitôt, crut devoir avertir son gouvernement ; il écrivit d'urgence à son roi : L'Empereur est excessivement affecté de la nouvelle de l'alliance de l'Autriche. On s'attendait bien à lui voir jouer un rôle, mais on ne croyait point à une alliance offensive et défensive. L'Empereur paraît plus résigné que jamais et plus décidé à suivre le parti que lui dictent à la fois l'honneur et la sûreté ; mais il est intérieurement abattu de la ligue générale qu'il voit s'établir autour de lui et dont il commence à craindre les effets. Sous le coup de ces inquiétudes, la constance actuelle d'Alexandre ne finirait-elle point par céder à l'influence dissolvante de Roumiantsof et à ses conseils pusillanimes ? Cette défaillance, qui ne devait point se produire, Lœwenhielm avait l'air de l'admettre et semblait presque la prédire : Il est hors de doute, continuait-il, que le chancelier va reprendre le dessus en se voyant soutenu dans ses idées favorites de négociation avec la France, et il ne manquera pas de prévaloir sur la marche infiniment plus noble et male de l'Empereur[62].

D'ailleurs, dans certains cercles de Pétersbourg, la perturbation était grande : on se demandait si l'Empereur, en persistant dans une politique guerrière, ne conduisait pas la Russie aux abîmes, et si la noblesse ne devait pas sauver l'État par un recours aux moyens extrêmes : Dans ce moment encore, — reprenait Lœwenhielm, — Votre Majesté ne saurait qu'avec peine s'imaginer jusqu'à quel point va la liberté du langage dans un pays aussi despotique que celui-ci. Plus l'orage devient menaçant, plus on doute de l'habileté de celui qui tient le gouvernail... L'Empereur, instruit de tout, ne peut manquer de savoir combien il a cessé d'avoir la confiance de sa nation. Il doit même exister un parti en faveur de la grande-duchesse Catherine, épouse du prince d'Oldenbourg, à la tête duquel se trouve, dit-on, le comte Rostopschine. Voilà, Sire, ce qu'on croit être le motif du chagrin de l'Empereur, d'autant plus que Sa Majesté aime cette princesse de préférence. Avec la facilité qu'a eue cette nation à se prêter aux révolutions, son penchant à être gouvernée par des femmes, il ne serait pas étonnant qu'on profitât de la crise actuelle de l'empire pour se porter à un changement.

Les bruits dont Lœwenhielm se faisait l'écho arrivèrent même à Stockholm par d'autres voies[63] : pendant quelques jours, dans la capitale suédoise, on craignit à tout instant d'apprendre que l'empereur Alexandre avait fait sa soumission ou qu'une crise intérieure avait plongé la Russie dans le chaos et la jetait sans défense aux pieds de son adversaire.

Ces perspectives firent frémir Bernadotte et son conseil. Si la Russie s'effondrait subitement et se rendait avant le combat, la Suède restait en l'air, exposée au pire destin : nul doute que Napoléon ne se retournât furieusement contre elle et ne lui fit paver cher sa défection, obligeant peut-être les Russes à l'écraser de leurs forces. Ajoutons que l'Angleterre n'avait pas encore accédé au traité russo-suédois et élevait des difficultés2. Dans cette passe critique, où il en venait à douter de tous ses alliés, Bernadotte sentit le besoin de se ménager un recours en grâce auprès de Napoléon, un préservatif contre sa colère, et c'est ainsi que Signent eut ordre de courir à Dresde avec des propositions en apparence formelles.

Dans la réalité, cet empressement était fictif ; Bernadotte ne voulait en aucune façon se rattacher à nous par des engagements immédiats et irrévocables : son seul but était de réserver l'avenir et de parer à toutes les éventualités, jusqu'à ce que l'horizon se fût éclairci à Pétersbourg. Ce qui le prouve, c'est que Signeul — il dut en faire l'aveu au duc de Bassano — ne possédait pas de pouvoirs en règle. Cet agent aventureux et peu considéré, interlope comme la négociation dont il était chargé, s'offrait bien à signer tout de suite un papier quelconque, se disant sûr d'obtenir la ratification du prince ; mais celui-ci avait évité de le munir d'une procuration formelle. Bernadotte se ménageait ainsi la faculté, suivant les cas, de désavouer l'acte conclu par Signeul ou de le faire valoir auprès de Napoléon comme preuve de son repentir. Il ne se détachait pas effectivement de la Russie, mais se donnait l'air devant nous de la renier et de la trahir, en prévision du cas où cette puissance s'abandonnerait elle-même.

Ce qui achève de montrer sa duplicité, c'est que le cours de ses intrigues hostiles n'était nullement suspendu ; protestant de ses bonnes intentions, il continuait à nous faire tout le mal possible. En Allemagne, ses agents secondaient toujours les tentatives de la Russie pour paralyser l'effet de nos alliances. Ayant promis an Tsar un plus grand service et s'étant fait fort de disposer les Turcs à la paix, il s'y employait avec un surcroît d'activité. L'un de ses aides de camp, le général baron de Tavast, traversait la Baltique pour se rendre d'abord à Wilna ; après s'y être concerté avec l'empereur Alexandre, il devait se diriger en toute hâte vers l'Orient, courir à Bucarest, lieu des négociations, et leur donner l'impulsion décisive qui aboutirait à un accord[64].

Tavast arriva trop tard pour se faire honneur de ce résultat ; en Orient, le dénouement était proche. Pour annuler autant que possible les conséquences du traité franco-autrichien, Alexandre avait senti la nécessité de s'accommoder coûte que coûte avec la Turquie et de désarmer cet ennemi, au moment où Napoléon lui en suscitait un antre. Par courrier précipitamment expédié, Kutusof avait été invité à ne rien négliger pour conclure ; il était autorisé à réduire encore ses prétentions, à ne plus réclamer que la ligne du Pruth, c'est-ii-dire la Bessarabie, sans aucune parcelle de la Moldavie. Alexandre, il est vrai, ne faisait pas gratuitement cette dernière concession ; conformément au vœu exprimé par Bernadotte, par Armfeldt, par tous nos ennemis, il désirait que la paix fût doublée et fortifiée d'une alliance, que la Turquie s'unit à lui politiquement et militairement. Cet auxiliaire que Napoléon s'appropriait toujours en espérance, on espérait le retourner contre lui et le rabattre sur le flanc droit de l'Empire[65].

Le grand vizir suivait de près les négociations, établi sur le Danube à proximité de Bucarest et investi de pleins pouvoirs. Il n'avait plus avec lui qu'un débris d'armée ; suivant quelques témoignages, la misère, les maladies, les désertions avaient réduit ses troupes à quinze mille hommes : la Turquie était réellement à bout de forces. A ces justes raisons de traiter s'en ajoutaient d'inavouables : la Russie et l'Angleterre semaient l'or à pleines mains ; le drogman de la Porte, Moruzzi, s'était mis à leur solde et exploitait habilement contre nous les défiances de la Turquie. Pour nous discréditer tout à fait auprès d'elle, la chancellerie russe usa, dit-on, d'un dernier moyen : on assure qu'elle tira de ses archives et fit produire au congrès, comme argument final, la lettre du 2 février 1808 par laquelle Napoléon avait appelé le Tsar au partage de l'Orient[66]. La mission de Narbonne à Wilna achevait d'ailleurs de déconcerter les ministres de la Porte. Vainement notre diplomatie les avertissait-elle que cette démarche était de pure forme ; Napoléon fut pris en cette occasion à son propre piège. Les Turcs s'imaginèrent qu'il n'était pas décidé à rompre avec la Russie, puisqu'il négociait encore avec elle : craignant une brusque réconciliation entre les deux empereurs, un second Tilsit dont ils payeraient les frais, ils ne songèrent plus qu'à se mettre à couvert de cette terrifiante éventualité en terminant leur querelle avec la Russie[67].

Kutusof profita de ces dispositions : pour aller plus vite, il n'insista point sur l'alliance, disjoignit les cieux questions et se borna à conclure hi paix ; elle fut signée à Bucarest le 28 mai, sous réserve de la ratification des souverains. Le traité rendait à la Turquie les deux principautés, après en avoir détaché la Bessarabie, qu'il incorporait à l'empire russe, auquel il accordait de plus quelques avantages territoriaux en Asie ; il consacrait vaguement l'autonomie des Serbes sous la suzeraineté du Sultan, renouvelait implicitement le protectorat mal défini du Tsar sur les principautés roumaines et même sur l'ensemble de la chrétienté orthodoxe du Levant. En général, les articles portaient la trace de la précipitation avec laquelle ils avaient été dressés : ambigus et mal rédigés, ils ouvraient une source de contestations pour l'avenir ; les plénipotentiaires russes s'étaient moins préoccupés d'établir avec précision les droits de leur maitre que d'assurer l'entière disponibilité de ses forces.

Cette paix bâclée était pour Napoléon un échec grave, contrebalançant ses triomphes diplomatiques. Toutefois, la paix sans l'alliance ne satisfaisait qu'à demi Alexandre et Bernadotte : Kutusof, écrivait le premier, a négligé un objet bien important[68]. Mais serait-il impossible de reprendre en sous-œuvre et par une autre main la tâche inachevée ? Avant même la signature du traité, Alexandre avait désigné l'amiral Tchitchagof pour remplacer Kutusof à la tête de l'armée du Danube. Tchitchagof était un homme d'imagination et d'entreprise ; admirant Napoléon, ayant étudié ses procédés, allant jusqu'à singer sa tenue et ses gestes, il croyait à la nécessité de le combattre avec ses propres armes, à coups de bouleversements. Avant de rejoindre le quartier général de Jassy, il fit agréer au Tsar et au chancelier un projet colossal et singulier, qui tendait organiser contre nous, par le moyen de l'Orient turc et surtout chrétien, une grande diversion.

Les pourparlers avec la Porte continuaient, à l'effet d'obtenir la ratification du traité : ils s'étaient transportés de Bucarest à Constantinople. Pourquoi n'en pas profiter et remettre sur le tapis la question de l'alliance, en faisant luire aux veux du Sultan l'espoir d'acquérir la Dalmatie et les îles Ioniennes ? A défaut d'une coopération active, ne pourrait-on tout au moins obtenir des Turcs un concours passif, une connivence inerte, un droit de passage sur leur territoire, et se faire prêter leurs sujets chrétiens pour les lancer sur nos provinces d'Illyrie ? Les chrétiens du Danube et des Balkans, Moldaves, Valaques, Serbes, Bosniaques, Monténégrins, surexcités par la lutte de huit ans à laquelle ils venaient d'assister, restaient debout, en proie à une fermentation belliqueuse. Tchitchagof demanderait au Sultan la permission de recruter parmi eux des bandes d'auxiliaires, d'appeler à lui ces tumultueuses levées, de les enrégimenter, de s'en faire une armée de peuples à la tête de laquelle il franchirait le Danube comme allié de la Porte, traverserait obliquement la Péninsule, tomberait du haut des Alpes illyriennes sur la Dalmatie française et percerait jusqu'à l'Adriatique. Après avoir occupé le littoral et surpris Trieste, il contournerait par le nord le golfe de Venise, s'engagerait dans le massif des Alpes, tendrait la main aux Tyroliens révoltés, aux Suisses opprimés, pendant qu'une flotte anglo-russe attaquerait l'Italie par le sud et soulèverait le royaume de Naples. En un mot, il s'agissait de rejeter dans les Etats du conquérant la guerre qu'il transportait à huit cents lieues de ses frontières, et tandis que cet autre Annibal s'élançait à de lointaines entreprises, d'exécuter contre lui une manœuvre à la Scipion. L'amiral reçut ordre positif d'agir d'après ces données, de faire sentir et goûter aux Turcs lés beautés de son plan[69]. Ce qu'il éviterait de leur dire, c'était qu'il était autorisé, pour mieux animer les races chrétiennes et surtout les peuplades slaves, à leur parler d'émancipation, à exalter les aspirations qui commençaient à sourdre confusément en elles, à leur faire entrevoir la création d'un empire slave, sous la protection et l'égide de la Russie. L'idée des grandes agglomérations nationales, née des événements déchaînés sur le monde par la Révolution française et issue d'une transformation de ses propres principes, devenait ainsi, en Orient comme en Allemagne, une arme aux mains de nos adversaires ; lorsque le panslavisme apparaît pour la première fois dans les conceptions de la politique russe, c'est comme moyen de contrebattre la puissance de Napoléon et de détourner le choc de ses armées.

Il est douteux qu'Alexandre et Roumiantsof se soient fait totalement illusion sur le côté chimérique et romanesque de l'entreprise, sur ses chances de succès, sur la possibilité notamment d'organiser chez les Turcs, avec leur adhésion et sous leurs yeux, une insurrection de leurs sujets chrétiens. Mais la menace seule d'un tel soulèvement ne saurait-elle conduire à un résultat pratique et fort désirable, signalé plusieurs fois par Bernadotte ? Les rayas de la région danubienne avaient en Autriche des frères par le sang ; aux diverses races chrétiennes de la Turquie septentrionale répondaient, de l'autre côté de la frontière, des groupes congénères ; l'impulsion donnée aux premières se communiquerait aux seconds. Par les Moldo-Valaques, il serait facile d'émouvoir les Roumains de Transylvanie ; par les Slaves de Turquie, les Slaves d'Autriche. En créant sur les flancs de l'Autriche de multiples foyers d'agitation, en faisant courir sur le pourtour extérieur de ses possessions orientales une traînée de poudre, on se mettrait en mesure de porter l'incendie dans l'intérieur de ses États et de la faire trembler pour son existence : on l'empêcherait de prêter à Napoléon un secours effectif.

Pendant la fin de mai et le courant de juin ; les négociations pour une alliance russo-turque se poursuivirent à Constantinople, vivement secondées par les agents suédois et anglais. Tchitchagof affermissait sa position sur le Danube, base de ses opérations futures : tenant en haleine les Serbes et les Monténégrins, se ménageant des intelligences avec les mécontents de Dalmatie en vue de la grande attaque contre les possessions françaises, il armait en même temps les Valaques, se disposait à les jeter sur la Transylvanie avec une partie de ses Russes, préparait contre l'Autriche un mouvement tournant[70].

Mais déjà le besoin de cette diversion se faisait moins sentir. Dès la fin d'avril, une communication de bon augure était arrivée à Wilna. Metternich, avant même de conduire ses souverains au rendez-vous de Napoléon, avant les serments et les effusions de Dresde, avait pris soin d'attester clandestinement le mensonge de ces scènes. S'étant décidé à notifier au cabinet russe l'alliance franco-autrichienne, il avait accompagné cet avis des commentaires les plus propres à en atténuer la portée. Il laissait entendre que sa cour ne prendrait pas trop au sérieux les engagements contractés avec la France, que le corps auxiliaire agirait le moins possible et ne dépasserait pas sensiblement la frontière ; si la Russie voulait comprendre la position de l'Autriche et ne pas lui tenir rigueur, les deux puissances pourraient rester secrètement amies, tout en ayant l'air de se combattre[71].

La chancellerie russe prit acte de ses paroles, mais demanda que l'Autriche fournît un gage de ses intentions, une garantie, et s'engageât expressément à limiter son action. Des pourparlers s'entamèrent très mystérieusement dans ce but. Pendant leur durée, pour peser sur les déterminations de l'Autriche, Alexandre laissa Tchitchagof continuer dans le Sud sa campagne d'agitation et de propagande ; il fit savoir à Vienne qu'il possédait les moyens d'insurger les Magyars et n'hésiterait pas à s'en servir, si on lui en faisait une nécessité. Ces menaces, exploitées par les salons et les coteries russes de Vienne, agirent sur la société et par elle sur le gouvernement ; ce fut la raison majeure qui décida l'Autriche à entrer plus avant dans la voie des compromissions occultes.

Par plusieurs communications successives, Metternich donna l'assurance formelle que le corps auxiliaire ne serait renforcé en aucun cas et ne serait pas même complété, qu'on trouverait moyen de ne fournir à Napoléon que vingt-six mille hommes au lieu de trente mille, que l'Autriche ne s'engagerait jamais à fond dans la querelle et tiendrait au repos le gros de ses forces, se réservant de l'employer à de meilleurs usages. Pour prix de cette demi-trahison, l'Autriche exigeait que la guerre fût strictement localisée et qu'en dehors du point où les troupes autrichiennes auraient malheureusement à entamer le territoire russe, à la droite de la Grande Armée, il ne fût commis aucun acte d'hostilité sur toute l'étendue des frontières respectives : c'était demander aux Russes de s'interdire toute contre-attaque du côté de la Hongrie et de la Transylvanie. Alexandre admit ce second terme de l'entente et renonça à la diversion orientale, que d'ailleurs l'impétuosité de l'attaque française eût rendue impraticable. Entre Vienne et Pétersbourg, un accord purement verbal, mais formel, fut conclu sur ces bases ; il y eut échange de promesses, parole donnée de part et d'autre. Par un pacte semblable à celui qu'elles avaient passé à demi-mot en 1809, les deux cours s'obligèrent à se ménager mutuellement, à mesurer leurs coups et à se tenir, au cours d'une guerre illusoire, en secrète connivence[72].

Cette défaillance de l'Autriche n'était pas un fait isolé : chez la plupart de nos alliés, la défection couvait, attendant son heure. Le roi de Prusse, après avoir signé l'alliance, avait écrit au Tsar une lettre d'excuses. Malgré la guerre, les rapports vont continuer, par l'intermédiaire de représentants occultes, régulièrement accrédités : C'est ainsi, dit la Prusse, que l'on doit procéder entre États longtemps amis et destinés à le redevenir[73]. Dans les royaumes de la Confédération, créés et agrandis par Napoléon, la duplicité est égale. En Bavière, l'envoyé russe Bariatinski constate que depuis le Roi jusqu'au bourgeois, excepté quelques jeunes officiers qui croient être ou devenir des héros, toutes les classes répugnent également à une guerre probable avec la Russie[74]. Le Roi se dit dans une position atroce ; le prince royal se fait honneur d'avoir décliné le commandement des troupes ; cette guerre, ajoute-t-il, est contre mes principes ; voilà pourquoi je ne veux pas la faire, quoique j'aime avec passion mon métier[75]. Quand le Tsar rappellera ses agents de toutes les cours en apparence francisées4[76], le ministre bavarois Montgelas refusera à Bariatinski des passeports pour la Russie ; si Bariatinski en veut pour aller aux eaux et faire une cure, on va les lui donner ; mais qu'il reste à proximité, à Carlsbad par exemple, car on ne se sépare que transitoirement, avec l'espoir de se retrouver. De tous les points de l'Allemagne, à de rares exceptions près, Alexandre reçoit les mêmes assurances de secrète sympathie ; on le blâme pourtant, on juge qu'il s'expose témérairement et sans motifs, mais on ne peut s'empêcher de faire des vœux pour son succès.

Ainsi, dans le vaste circuit que nous venons d'opérer, en partant de Stockholm, en suivant les intrigues suédoises à Constantinople, en revenant par Vienne et Munich jusqu'au cœur de l'Europe, nous avons vu se former autour de la Grande Armée un réseau d'hostilités latentes, prêtes fi se manifester dès qu'éclateront les traîtrises du sort et les rébellions de la fortune. C'est la contre-partie des adulations prodiguées au triomphateur de Dresde ; c'est l'envers de ce rayonnant tableau. Les rois ne prêtent à Napoléon qu'un concours forcé : ils renient tout bas des engagements arrachés par la violence ; l'amour et le dévouement s'affichent dans leur bouche, la trahison est dans leur cœur ; ils jurent d'être amis et ne sont qu'esclaves ; vienne l'occasion de briser leurs chaînes, ils la saisiront sans scrupules, certains de se trouver avec leurs peuples en communauté de passions et de haines.

Les lieutenants de l'Empereur, les maréchaux et chefs de corps, les administrateurs et fonctionnaires qui suivaient Farinée, sentaient vaguement le péril : en traversant ils s'étaient aperçus qu'ils marchaient sur un sol miné, où la moindre secousse déterminerait l'explosion. Les commandants de place, les gouverneurs, jusqu'aux rois français que Napoléon avait préposés à la garde de l'Allemagne, ne cessaient depuis un an de l'avertir. Jérôme lui avait écrit pendant l'automne de 1811 une lettre admirable de clairvoyance[77]. La correspondance de Rapp, gouverneur de Dantzick, est pleine d'aveux significatifs. Rapp s'inquiète des haines qu'il sent s'amasser autour de lui, bien qu'il ne fasse aux habitants que le mal nécessaire. Au bout de quelque temps, il n'y tient plus et, dépassant ses attributions militaires, envoie un rapport politique dont voici les conclusions : Partout les esprits paraissent montés, et l'exaspération est générale : c'est au point que si nous faisions une campagne malheureuse — ce qui ne sera jamais à présumer —, depuis le Rhin jusqu'en Sibérie tout s'urinerait contre nous. Je ne suis pas alarmiste et je n'aime pas à passer pour voir en noir, mais ce que j'avance est positif[78]. Davout lui-même, le stoïque Davout, ne peut se défendre de certaines appréhensions : il se souvient qu'en 1809 tout chancelé et voudrait que l'on méditât cette leçon.

Napoléon s'impatiente et s'irrite de ces avis : il adresse à Rapp une mercuriale sévère et le renvoie à son rôle de soldat. Il voit lui-même le danger, mais n'admet pas que les autres l'aperçoivent et le signalent, car il se juge certain de le surmonter, grâce à son invincible fortune, grâce surtout aux mesures qu'il a si soigneusement accumulées pour assurer le succès de la campagne. Cependant, si dans ses préparations tout a été merveilleusement combiné et conçu, l'exécution laisse à désirer. Vu le nombre et l'extrême complication des moyens qu'il met en œuvre, il ne peut plus tenir la main en personne à l'accomplissement de ses ordres : tant d'objets à embrasser dépassent son étreinte, toute prodigieuse qu'elle soit. Les intermédiaires qu'il emploie ne possèdent ni son autorité ni sa vigilance : l'inattention des subalternes, l'insouciance des soldats, le désordre et parfois l'infidélité d'une administration qui échappe à la surveillance par son immensité même, occasionnent des mécomptes ; sur certains points, c'est déjà l'encombrement, la cohue : la discipline se relâche, les moyens de transport et de ravitaillement se font attendre : l'armée dédaigne d'entretenir en bon état ceux qu'elle possède, les hommes négligent leur équipement et laissent dépérir leur monture, et beaucoup de corps arriveront devant l'ennemi avec des chevaux hors d'usage, des approvisionnements incomplets, des services mal organisés, des effectifs insuffisamment exercés[79].

Dans le commandement, de fâcheux tiraillements se produisent. Davout et Berthier sont en querelle ouverte ; Davout est aigri, Murat mécontent, Junot exténué de corps et d'esprit. Combien d'autres, parmi les chefs, marchent désormais d'un pas alourdi et traînant, sans l'entrain et la vigueur d'autrefois ! Devenus trop riches et trop grands, ils ne ressentent plus l'attrait des dévouements aveugles : ils réfléchissent et jugent. L'écho des sourdes oppositions de l'intérieur leur arrive, altérant leur confiance. Ils savent que des hommes tels que Cambacérès, Mollien, Decrès, Lavalette, blâment l'entreprise : ils ont entendu dire que non seulement Caulaincourt, mais d'autres officiers connaissant bien la Russie, ont fait part à l'Empereur de leurs craintes, et que l'un d'eux, le colonel de Ponthon, l'a supplié à Genoux de s'arrêter : ces récits courent les quartiers généraux, confirment des doutes que le simple bon sens suffit à faire naître. Jusque dans l'état-major impérial, des propos inquiétants circulent : on se répète bien bas un mot de Sémonville, de cet ex-conventionnel devenu sénateur et si connu pour son flair de l'avenir qu'un gouvernement paraît condamné dès que Sémonville s'en détache. Se trouvant à Genève, chez le préfet Capelle, il avait dit, en voyant passer les soldats qui s'en allaient à l'armée : Pas un n'en reviendra : ils vont à la boucherie[80]. Et calculant qu'un seul désastre serait l'écroulement de tout et mettrait fin à la grande aventure, il avait osé ajouter que l'expédition de Russie rendait des chances aux Bourbons.

Ces pressentiments et ces arrière-pensées ne pénètrent pas encore dans la masse de nos troupes. A mesure qu'on descend des sommets, la confiance, l'ardeur, l'inlassable dévouement reparaissent. D'un bout à l'autre de l'innombrable armée que les ordres de l'Empereur retiennent encore sur la Vistule, court dans les rangs inférieurs un frémissement continu, une impatience d'agir. Officiers de fortune qui ont leur chemin à faire, jeunes nobles qui ont leur réputation à établir, tons souhaitent également que la campagne s'ouvre. Ils ont l'ambition des grades, des distinctions, des exploits fructueux : ils ont soif d'honneurs et de profits.

Puis, la prise de Napoléon sur ces âmes neuves est si forte qu'elle ne laisse place à aucune réflexion, et c'est lui malgré tout, c'est son prestige qui tient ensemble toutes les parties de cet assemblage disparate, qui fait taire les dissidences et imprime par moments aux cœurs un élan unanime. Même les contingents les plus hostiles, ces Prussiens, ces Espagnols, ces Slaves de l'Adriatique violemment incorporés, subissent maintenant son ascendant ; ils le haïssent et pourtant le suivent, car ils éprouvent comme une fierté de combattre sous un tel chef et savent qu'un mot approbatif de lui les marquera pour jamais d'un signe d'honneur. Quant aux soldats de France, troupiers chevronnés ou conscrits d'hier, sortis du peuple, ils restent comme lui inébranlablement fidèles à l'homme qui a ensorcelé leur imagination : en échange de leur sang, ils attendent tout de lui, récompenses inouïes, avenir de triomphes et de félicités. C'est une croyance répandue parmi eux que la Russie n'est qu'un passage vers d'autres régions, qu'on ira plus loin, que Napoléon va les mener jusqu'au fond de la fabuleuse Asie, dans un monde féerique où ils n'auront qu'à se baisser pour faire provision de trésors et ramasser des couronnes. Et leur foi en ces lendemains reste absolue, indestructible ; elle s'exprime par de naïfs témoignages. Après les réticences perfides des rois alliés, après les observations des ministres et des généraux, après les rapports sombres de certains chefs, après les pronostics des mécontents de haute marque, voici la lettre d'un soldat : c'est un fusilier au 6e régiment de la Garde, premier bataillon, quatrième compagnie : il écrit à ses parents :

Nous entrerons d'abord en Russie où nous devons nous taper un peu pour avoir le passage pour aller plus avant. L'Empereur doit y être arrivé en Russie pour lui déclarer la guerre, à ce petit empereur : oh ! nous l'aurons bientôt arrangé à la blanche sauce ! Quand il n'y aurait que nous, c'est assez. Ah ! mon père, il y a une fameuse préparation de guerre : nos anciens soldats disent qu'ils n'en ont jamais vu une pareille : c'est bien la vérité, car on y conduit des vives et grandes forces, mais nous ne savons pas si c'est pour la Russie. L'un dit que c'est pour aller aux Grandes Indes, l'autre dit que c'est pour aller en Égippe, on ne sait pas lequel croire. Pour moi, cela m'est bien égal : je voudrais que nous irions à la fin du monde. Le même soldat écrivait dans une autre lettre : Nous allons aux Grandes Indes : il y a treize cents lieues de Paris[81].

L'Inde, cet aimant magique qui jadis entraînait à la conquête des mers les grands chercheurs d'aventures, brille vaguement aujourd'hui aux yeux de nos soldats et leur fait entrevoir, par delà l'obscure et mystérieuse Russie, un pays de lumière et d'or, des perspectives ensoleillées et de lointains Édens. Telles sont les visions qui les bercent dans leurs campements de la Vistule, quand ils reposent sur la terre humide, sous la bise d'un printemps triste comme nos hivers. Et le matin, quand le réveil en musique éclate sur le front de bandière des régiments, avec son fracas d'instruments et de sonneries, tous ces grands enfants gaulois se relèvent joyeux, avec une gaieté d'alouette. Vivement, ils se mettent à la besogne du jour, aux occupations qui préparent et précèdent le grand départ annoncé : ils vont à l'avenir pleins d'espérance, insouciants du péril, persuadés qu'un guide infaillible les mène à la victoire et qu'un dieu les conduit.

 

 

 



[1] Serra, ministre de France à Dresde, à Maret, 15 mai 1812.

[2] Mémoires du comte de Senft-Pilsach, ministre des affaires étrangères de Saxe, p. 106.

[3] Journal du maréchal de Castellane, I, 92.

[4] Sur le détail des journées à Dresde, nous avons pu consulter le Journal inédit du grand maitre de la cour de Saxe, que M. Frédéric Masson a bien voulu nous communiquer.

[5] Il écrivait à Marcolini, au cours d'un voyage : J'ai été régalé du matin au soir par le chant des rossignols. Ils abondent, même dans les plus misérables villages. Ils seraient bien mieux placés dans mon jardin de Pillnitz, où vous savez que nous n'avons jamais pu en établir. Bourgoing, ministre de France en Saxe, à Maret, 8 mai 1811.

[6] Mémoires de Senft, 172.

[7] Documents inédits.

[8] Bulletin transmis de Vienne le 3 juillet par le secrétaire d'ambassade La Blanche. Tous les échos de l'entrevue retentissaient à Vienne.

[9] Gazette universelle d'Augsbourg, 29 mai. Journal de l'Empire, 2 juin.

[10] Journal de Castellane, I, 93.

[11] Journal de Castellane, I, 93.

[12] Passage cité par le Journal de l'Empire, n° du 31 mai.

[13] Archives des affaires étrangères, Russie, 154.

[14] Paroles de Napoléon dans ses entretiens ultérieurs avec Balachof, citées par Tatistchef, 595.

[15] Mémoires de Mme Durand, 140. Cf. la lettre du duc de Bassano à Otto en date du 27 mai 1812.

[16] Feuille de renseignements transmise par Otto le 22 décembre 1811 : On raconte qu'à Schlosshof (résidence impériale en Hongrie) l'Empereur costumé en cuisinier était occupé avec Stift (son médecin) à faire du sucre d'érable, quand la députation officielle de la Diète vint engager Sa Majesté à se rendre à Presbourg.

[17] Mémoires de Mme Durand, 140.

[18] Lieutenant-colonel BAUDUS, Études sur Napoléon, 338.

[19] Bulletin de Vienne transmis le 3 juillet par La Blanche.

[20] Mémoires de Senft, 160. Cf. BAUSSET, II, 60.

[21] Bulletin transmis le 6 juillet, de Vienne.

[22] Bourgoing à Champagny, 11 août 1810.

[23] Bourgoing à Champagny, 11 août 1810.

[24] Journal de Castellane, I, 94.

[25] Documents inédits.

[26] Voyez la conversation dans le Journal de la reine Catherine, publié par DU CASSE, Revue historique, XXXV, 330-332.

[27] Bulletin transmis le 3 juillet, de Vienne.

[28] Correspondance, 15500.

[29] Bulletin transmis le 18 juillet, de Vienne.

[30] Notre représentant à Dresde citait d'elle le trait suivant, à propos d'une visite qu'elle avait faite au musée dans son fauteuil roulant : Au bout de quelque temps, elle s'est levée avec une sorte de vivacité et a parcouru à pied pris des deux tétés de la galerie, examinant avec soin les principaux chefs-d'œuvre qu'elle renferme, sans paraitre fatiguée ni d'être debout, ni d'entendre les longues explications que lui donnait le verbeux vieillard qui préside à la galerie. Bourgoing à Maret, 12 juillet 1811.

[31] Voyez la correspondance d'Otto et de Bourgoing, 1810 et 1811.

[32] Otto à Maret, 20 octobre 1811.

[33] Abbé DE PRADT, Histoire de l'ambassade dans le grand-duché de Varsovie, p. 57.

[34] Otto à Maret, 5 juin 1812.

[35] Maret à Otto, 27 mai ; Metternich au même, 23 mai. Archives des affaires étrangères.

[36] Journal de l'Empire, n° du 7 juin.

[37] Documents inédits. Cf. le Journal de Castellane, I, 94-95.

[38] Journal de la Reine, Revue historique, XXXV, 334.

[39] Mémoires de Senft, 110.

[40] Serra, ministre de France en Saxe, à Maret, 8 juin 1812. Serra avait remplacé Bourgoing, mort en 1811.

[41] Documents inédits.

[42] Otto à Maret, 27 mai.

[43] Journal de Castellane, fragments inédits.

[44] Journal de l'Empire, 7 juin.

[45] Extrait d'un rapport communique à Serra par le général chef de la police militaire à Dresde. Archives  des affaires étrangères, Saxe, 82. Cf. le Journal de l'Empire, n° du 8 juin.

[46] Comtesse DE CHOISEUL-GOUFFIER, Réminiscences, 27-28.

[47] Documents inédits.

[48] Trente-six jours avant, le 12 avril, il avait fait faire à l'Angleterre, par l'intermédiaire de Suchtelen, de formelles propositions de paix et d'alliance. Voyez le t. XI de MARTENS, récemment paru, n° 412.

[49] Documents inédits. Tous les ouvrages et Mémoires contemporains rapportent les paroles d'Alexandre en termes approchants.

[50] ERNOUF, 362, d'après les Mémoires de la comtesse de Choiseul-Gouffier.

[51] Maret à Latour-Maubourg, 25 mai 1812.

[52] Correspondance, 18725.

[53] Documents inédits.

[54] Documents inédits. Cf. ERNOUF, 378.

[55] Cette pièce figure sous le n° 18734 de la Correspondance.

[56] Ambassade dans le grand-duché de Varsovie, p. 69.

[57] Journal du grand maitre de la cour.

[58] Archives des affaires étrangères, Prusse, 250.

[59] Voyez sur ces fêtes BAUSSET, II, 60 et suivantes.

[60] Serra à Maret, 5 juin 1812.

[61] Lettre du duc de Bassano à l'Empereur, 30 mai 1812. Archives des affaires étrangères, Suède, 297.

[62] Archives du royaume de Suède.

[63] Voyez ERNOUF, 335.

[64] Sabatier de Cabre à Maret, 21 avril. Suchtelen à l'empereur Alexandre, 30 mars et 10 avril.

[65] SOLOVIEF, Alexandre Ier, 222, d'après la correspondance entre l'Empereur et Kutusof.

[66] ERNOUF, 323, d'après une note de Maret.

[67] Correspondance de Latour-Maubourg, mai 1812, passim.

[68] SOLOVIEF, 223.

[69] Mémoires de Tchitchagof, publiés dans la Revue contemporaine du 15 mars 1853. SOLOVIEF, 223. Dans une lettre autographe du 12 avril, destinée à l'agent anglais Thornton, qui se trouvait en Suède, Alexandre développait tout le plan de diversion, en réclamant le concours des escadres et de l'argent britanniques. MARTENS, XI, n° 412.

[70] Correspondance d'Otto, d'Andreossy et de Latour-Maubourg, juin et juillet 1812, passim.

[71] MARTENS, Traités de la Russie avec l'Autriche, III, 87.

[72] MARTENS, III, 87, 89. SOLOVIEF, 223-224.

[73] SOLOVIEF, 215.

[74] MARTENS, VII, 112.

[75] Joseph DE MAISTRE, Correspondance.

[76] En Wurtemberg, le ministre Zeppelin déclare à M. d'Alopéus que Sa Majesté ne se regarderait jamais comme étant en guerre avec la Russie. MARTENS, VII, 124.

[77] Correspondance du roi Jérôme, V, 247-249.

[78] 18 novembre 1811. Archives nationale, AF, IV, 1656.

[79] Les Mémoires inédits de M. de Saint-Chamans, qui doivent prochainement paraître, contiennent à ce sujet des détails caractéristiques.

[80] Documents inédits.

[81] Ces lettres nous ont été communiquées par M. Maurice Levert, qui les a publiées en partie dans la Revue de la France moderne.