NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

I. — DE TILSIT À ERFURT

 

CHAPITRE PREMIER. — TILSIT.

 

 

Le radeau du Niémen. — L'attente d'Alexandre. — Première entrevue. — Bonne grâce et manières charmantes de l'empereur de Russie. — Un mot de Napoléon. Armistice avec la Prusse. — Impression de Napoléon sur Alexandre ; il règle d'après le caractère de ce prince toute sa politique avec la Russie ; plan de séduction qu'il imagine. — Profession de foi d'Alexandre. — Est-il sincère ? Effet produit sur lui par Napoléon. — Raisons qui le déterminent à embrasser actuellement le système de la France. — Ses arrière-pensées. — 1807 et 1812. Caractère de l'accord intervenu à Tilsit. — Seconde entrevue. — Le roi Frédéric-Guillaume. — Napoléon exige le renvoi de Hardenberg. — Le Tsar à Tilsit. — La Prusse propose le démembrement de la Turquie. — Occupation des premières journées. — Visite aux troupes, revues. — Splendeurs militaires. Coup de théâtre. — Le partage de l'Orient. — Napoléon et Catherine II. Réserve posée par l'Empereur ; moyens qu'il emploie pour se soustraire à tout engagement positif. — Le Tsar promet sa visite à Paris. — Nature des espérances qu'il conçoit. — Son secret désir. — Désignation des plénipotentiaires ; les princes de Talleyrand et Kourakine. — Suite de la négociation directe entre les deux empereurs. — Emploi de leurs journées. — Le roi de Prusse en tiers dans leurs promenades. — Le dîner, la soirée. — Intimité des deux empereurs. Sujets de leurs entretiens. — Alexandre se met à l'école de Napoléon. Jugement sur le futur Louis XVIII. — La reine Hortense. — Correspondance échangée à Tilsit. — L'Europe occidentale. — L'Allemagne française. — La Silésie. — Le grand-duché de Varsovie. — Rôle que l'Empereur réserve à la Pologne dans ses combinaisons. — Le traité de Tilsit contient le principe de sa propre destruction. — La rive gauche de l'Elbe. — Le royaume de Westphalie. Désespoir de la Prusse. — Suprême tentative. — Arrivée de la reine Louise. Visite de Napoléon à la maison du meunier. — Le dîner chez l'Empereur. Joie de la reine, suivie d'une amère déception. — La seconde soirée. — La reine de Prusse et le prince Murat. — Départ. — Traité avec la Prusse. — La convention de Kœnigsberg. — Un chef-d'œuvre de destruction. — Droit pour la Russie d'intervenir. — Stipulations concernant l'Angleterre et la Turquie. — Double médiation. — La ligue continentale. — Partage éventuel de l'empire ottoman. Les îles Ioniennes. — L'air noté. — Signature des trois actes. — Fête militaire. — Napoléon décore le premier grenadier de Russie. — Séparation des empereurs. — L'œuvre de Tilsit.

 

I

Au milieu du Niémen, un radeau avait été établi à l'aide de barques juxtaposées : l'art industrieux de nos soldats y avait élevé une maisonnette très joliment meublée[1], comprenant deux pièces, dont l'une devait recevoir les empereurs et servir à leur conférence, dont l'autre était destinée à leur état-major. Des branchages, des guirlandes fleuries cachaient la nudité des murs ; au fronton, les chiffres de Napoléon et d'Alexandre figuraient entrelacés. Attirée par ces apprêts, par l'annonce de l'entrevue, notre armée au repos distinguait peu à peu sur l'autre rive, peu de jours avant hostile et déserte, où seuls quelques Cosaques voltigeaient le long de la grève sablonneuse, des groupes nombreux et brillants. L'empereur de Russie venait d'arriver, suivi de son frère, des généraux Bennigsen et Ouvarof, du prince Lobanof et de plusieurs aides de camp : il s'était arrêté et se reposait dans une auberge à demi ruinée. Un officier entra : Il vient, dit-il, et annonça qu'un grand mouvement se voyait sur la rive française, que les soldats faisaient la haie et acclamaient leur chef, qui passait au galop entre leurs rangs pour s'approcher du fleuve. Alexandre s'embarqua sur-le-champ ; dans le même instant, un canot se détachait de l'autre bord, et Napoléon s'y reconnaissait à son uniforme traditionnel, au petit chapeau légendaire[2]. Le canon tonnait ; au cri français de : Vive l'Empereur ! répondaient les acclamations plus graves et rythmées des soldats de Russie. On saluait les souverains, on saluait aussi la paix ; chez tous ces hommes acharnés depuis huit mois à se haïr et à se combattre, la nature reprenait ses droits ; un immense espoir de repos, d'apaisement, soulevait en même temps des milliers de cœurs et faisait souhaiter que la réconciliation des deux monarques vint enfin procurer la sécurité de l'univers.

Lorsque l'empereur Napoléon, arrivé le premier au radeau, reçut le tsar Alexandre, il se trouva en présence d'un monarque de trente ans, d'une figure avenante et remarquablement agréable, d'élégantes manières, chez lequel l'habitude de l'uniforme corrigeait ce que pouvait avoir d'excessif la souplesse et la flexibilité slaves. Alexandre était charmant dans la tenue sobre et un peu grave des gardes Préobrajenski, habit noir à parements rouges, agrémenté d'or, avec la culotte blanche, l'écharpe, le grand chapeau à trois cornes, surmonté de plumes blanches et noires[3]. Il vint gracieusement à Napoléon et, d'un élan spontané, les deux empereurs s'embrassèrent ; ils se mirent ensuite à causer familièrement.

Pour plaire à première vue, l'un des secrets d'Alexandre était de prendre dès le début un ton simple, amical, confiant ; il avait l'air d'admettre d'emblée son interlocuteur dans son intimité. La tête légèrement penchée, un joli sourire aux lèvres, il s'exprimait en termes d'une aisance parfaite, et dans sa bouche le français se modulait à la russe, avec des inflexions caressantes, avec une douceur presque féminine[4]. Napoléon fut charmé de ces manières auxquelles les souverains d'ancienne race ne l'avaient pas habitué. Il avait vu s'incliner devant lui les rois d'Allemagne, mais leur attitude était celle de vassaux craintifs ; au lendemain d'Austerlitz, il avait vu l'empereur d'Autriche s'approcher de son bivouac, mais le descendant des Habsbourg portait au front l'amertume de sa défaite : réduit à implorer la paix, il laissait voir, par sa tenue et son langage, ce que cette démarche coûtait à son orgueil. A Tilsit, Napoléon rencontrait pour la première fois un vaincu aimable, qui répondait à ses avances : il se sentit encouragé à les poursuivre, et la bonne grâce témoignée de part et d'autre créa une sympathie réciproque. Entre les deux monarques officiellement en guerre, le rétablissement de la paix fut sous-entendu et la possibilité d'un accord étroit aussitôt envisagée.

Toute alliance naît de haines partagées. A ce moment, Alexandre avait deux objets d'aversion : l'Angleterre, qui l'avait mal secondé, l'Autriche, qui s'était dérobée à ses instances. On assure que son premier mot à l'Empereur fut celui-ci : Sire, je hais les Anglais autant que vous. — En ce cas, aurait répondu Napoléon, la paix est faite. A cette profession d'animosité commune contre l'Angleterre, Napoléon donna un pendant à l'adresse de l'Autriche. Quand l'intimité fut plus complète, quand on en vint aux plus libres confidences, il témoigna le désir d'un accord à deux, exclusif, jaloux, sans alliance collatérale, suivant le mot d'un homme d'État russe[5], et formulant sa pensée avec une brutalité crue : J'ai souvent couché à deux, dit-il, jamais à trois. Le tiers incommode auquel il faisait allusion, c'était l'Autriche : Alexandre trouva le mot charmant[6].

Un seul scrupule retenait le Tsar et contrariait ses épanchements. Au sortir de l'entrevue, il allait retrouver, au pauvre village de Pictupœlmen, Frédéric-Guillaume et les Prussiens, qui demeuraient nominalement ses alliés. Avec eux, la signature de l'armistice restait en suspens : Napoléon y mettait des conditions rigoureuses ; il exigeait que les dernières places conservées par les troupes de Frédéric-Guillaume en Silésie et en Poméranie lui fussent remises avec leurs garnisons : il voulait que l'armistice fia encore une capitulation, succédant à tant d'autres. Si l'empereur Alexandre ne rapportait pas à la Prusse un adoucissement de son sort, quelle réponse ferait-il aux questions anxieuses de Frédéric-Guillaume ? Ne lirait-il pas au moins sur le visage du roi de muets et navrants reproches ? Il pria Napoléon d'épargner à la Prusse, réduite à merci, une humiliation inutile, et obtint que l'armistice serait signé sur-le-champ, sans remise des places[7].

Ce point réglé, rien ne s'opposait plus à ce que les négociations pour la paix et l'alliance fussent menées bon train et avec un égal empressement. Pour les faciliter, Napoléon offrit au Tsar de s'établir à Tilsit : il s'y trouverait chez lui, y viendrait avec une partie de sa garde : un quartier de la ville serait mis à sa disposition, Frédéric-Guillaume étant admis à jouir du même privilège. Alexandre accepta ces propositions, s'en montra reconnaissant, fut de plus en plus expansif, cordial, et l'entretien se prolongea près de deux heures. Toutes les questions y furent légèrement abordées, et l'on reconnut qu'aucune d'elles ne mettrait obstacle à l'entente. Alexandre les traita avec tact, avec une ouverture et une liberté d'esprit qui furent remarquées de son interlocuteur et achevèrent de lui plaire : Je viens de voir l'empereur Alexandre, écrivait le soir même Napoléon à Joséphine, j'ai été fort content de lui ! C'est un fort beau, bon et jeune empereur ; il a de l'esprit plus qu'on ne pense communément[8].

A travers ce peu de lignes, il est aisé de lire tout l'espoir que Napoléon fondait maintenant sur l'empereur Alexandre. D'un rapide coup d'œil, il avait embrassé ce caractère sous toutes ses faces. Et d'abord, Alexandre lui était apparu de nature affectueuse et tendre, très sensible aux égards, donnant et demandant beaucoup à l'amitié. Puis, c'était une imagination vive, qu'il serait facile d'enflammer : prompt à s'éprendre d'idées, pourvu qu'elles fussent belles et séduisantes, il s'attachait moins à les préciser, à les traduire sous forme de réalités qu'à s'enivrer de leur éclat ; esprit brillant, mais incomplet, il était propre surtout à recevoir des impressions, à s'assimiler les pensées qu'on lui suggérait, à les parer de poésie et de splendeur, à leur rendre un culte contemplatif, et semblait né pour rêver plutôt que pour agir. Par chacun de ces côtés, Napoléon reconnut que le jeune empereur lui offrait prise ; il le jugea accessible de toutes parts à l'ascendant de son impérieux génie. Dès lors, son parti est pris : d'une main délicate et sûre, il touchera tous les ressorts qui doivent faire vibrer l'âme d'Alexandre et s'emparera de ce prince, afin de tenir en lui la Russie. Ce qu'il veut, c'est à la fois dominer son esprit et prendre son cœur : aux rapports qui vont s'établir, il donnera moins le caractère d'une alliance au sens ordinaire du mot que celui d'une liaison personnelle et intime, fondée sur un attachement d'homme à homme, et ce lui sera un moyen de laisser à l'accord quelque chose d'indéterminé et de mystérieux ; on s'entend à demi-mot entre amis qui se goûtent mutuellement et bannissent toute défiance. En politique, les paroles, les actes de l'Empereur s'inspireront invariablement des tendances morales et des particularités d'âme remarquées chez Alexandre : jeter en avant des idées générales, les développer avec une incomparable magie de pensée et de langage, relever, ennoblir toutes les questions, montrer en elles des aspects humanitaires, sentimentaux, philosophiques, les transporter dans une région haute et nuageuse, éviter autant que possible d'en dégager dès à présent les côtés matériels et pratiques, traiter tout en grand, poser des principes et laisser à l'avenir le soin d'en tirer l'application, parler au futur plus qu'au présent, s'épargner ainsi des engagements prématurés et peut-être dangereux ; lorsqu'il deviendra indispensable de fournir à Alexandre de réelles satisfactions, les accorder à l'homme plus qu'au souverain, les ménager de manière à contenter son amour-propre, ses aspirations personnelles et momentanées plus que les intérêts permanents de son peuple, lui faire espérer d'autres avantages, plus vastes encore, lui laisser toujours à désirer, le tenir en un mot dans une expectative pleine de charme, dans une attente constamment renouvelée, dans un songe enchanteur qui lui ôtera la faculté de raisonner et de se reprendre : tel fut le plan auquel Napoléon devait s'attacher avec une suite, une constance, une habileté extraordinaires, et auquel il semble s'être fixé dès l'instant de sa rencontre avec l'empereur de Russie.

De son côté, Alexandre a raconté en ces termes sa première impression : Je n'ai jamais eu plus de préventions contre quelqu'un que je n'en ai eu contre lui, niais après trois quarts d'heure de conversation avec lui, elles ont toutes disparu comme un songe[9]. La première fois qu'il reçut après l'entrevue un diplomate français, il l'accueillit par ces paroles : Que ne l'ai-je vu plus tôt... le voile est déchiré et le temps de l'erreur est passé ![10] Convient-il d'ajouter une entière confiance à ces ferventes et soudaines professions de foi ? Dès le moment où il eut la révélation de Napoléon, Alexandre fut-il aussi complètement à lui qu'il s'en donna l'apparence ? se laissa-t-il vraiment subjuguer et séduire ? abjura-t-il toutes ses préventions contre l'homme redoutable qu'il avait combattu avec tant d'âpreté et dans les bras duquel une subite défaillance l'avait inopinément conduit ?

Alexandre avait l'enthousiasme prompt et variable ; son cœur généreux et son esprit inquiet le firent s'attacher à des objets divers, quoique toujours nobles et relevés ; s'acheminant tour à tour dans des voies différentes, il s'y engagea d'abord avec ardeur, puis s'arrêta lassé, non sans marquer son passage par des traces fécondes, car il rencontrait le bien en poursuivant l'idéal. Il eut successivement la religion du progrès, celle du passé, se prit d'un égal amour pour les idées libérales, pour l'autorité ensuite, envisagée sous une forme mystique et tutélaire. Napoléon fut-il l'une de ses passions, suivant et précédant tant d'autres ? Il fut à coup sûr l'une de ses curiosités, l'un de ses étonnements. Placé en présence de cet universel génie, qui se mettait en action devant lui et déployait pour lui plaire ses multiples ressources, il en fut frappé comme d'un phénomène unique, extraordinaire ; il l'admira d'abord comme une force de la nature, l'étudia avec un intérêt soutenu, absorbant, puis éprouva pour lui ce goût qui attache invinciblement à ce que l'on veut comprendre et pénétrer. Il faut ajouter que son éducation, ses impressions primitives ne le mettaient point spécialement en défense contre le prestige du héros révolutionnaire ; moins attaché que les autres souverains de son temps aux principes et aux passions d'autrefois, moins d'ancien régime, si l'on peut dire, il se dégageait plus facilement de leurs préventions, et les nouveautés grandioses, de quelque ordre qu'elles fussent, avaient le don de le capter. Qu'il ait subi l'ascendant d'une nature supérieure et cette prise que Napoléon exerçait si fortement sur les hommes, c'est ce que ses épanchements intimes, appuyant ses témoignages publics, laissent clairement apercevoir. Il n'échappa pas à la puissance de ces yeux qui dardaient sur lui un regard si pénétrant, au charme de cette bouche qui lui souriait avec tant de grâce et le caressait de paroles infiniment flatteuses ; il ne résista pas à l'action de ce langage qui savait tout embellir et transformer, qui peuplait le monde de merveilles, et nul doute que la grandeur de l'homme n'ait été pour beaucoup dans l'attrait qui le poussa vers le monarque.

D'ailleurs, dans ce que Napoléon lui avait dit ou laissé entendre, tout était pour lui plaire et le ravir. Il était venu en vaincu, encore meurtri de sa défaite, de ses illusions détruites, agité, il est vrai, de nouveaux et ambitieux désirs, mais osant à peine se les avouer, et voici que le vainqueur, le consolant et le relevant de ses disgrâces, dépassant du premier coup son attente, lui offrait part à une fortune et à une gloire sans exemple. S'il essayait d'échapper à cet éblouissement et repassait de sang-froid dans sa mémoire les paroles recueillies, il n'y trouvait rien qui pût blesser l'intérêt présent de la Russie ; il n'y découvrait que motifs d'espérer pour elle et de se réjouir, et la raison lui semblait justifier son entraînement. Pour s'unir à la Russie et l'associer à sa destinée, que demandait en somme Napoléon ? D'abord qu'on renonçât à contester sa suprématie sur le midi et le centre de l'Europe, qu'on reconnût les changements opérés tant en Allemagne qu'en Italie ; Alexandre était résigné d'avance à ce sacrifice. D'autre part, Napoléon ne lui proposait pas de participer à de plus profonds bouleversements. Questionné sur deux points, il avait déclaré ne point vouloir détruire la Prusse ni rétablir la Pologne. S'il écartait l'Autriche de ses combinaisons, répondant en cela aux désirs d'Alexandre, il n'annonçait aucun projet contre l'existence même de cet empire, indispensable à la sécurité de la Russie. Ce qu'il réclamait avec force, c'était qu'on l'aidât à assurer le repos du monde par la paix maritime, à menacer les Anglais, au besoin à les combattre, à soulever contre eux le continent. Certes, une rupture avec Londres porterait atteinte à la prospérité matérielle de l'empire, troublerait profondément et déconcerterait la nation ; mais Alexandre envisageait les rapports de la Russie avec l'Angleterre d'un point de vue plus élevé que son peuple : révolté par l'égoïsme des insulaires, il jugeait de plus que leur despotisme pesait aussi lourdement sur l'Océan que celui de Napoléon sur la terre ; il estimait que la Russie, puissance baltique, trouverait son compte à combattre leurs prétentions, à limiter leurs prérogatives ; en revenant à l'idée entrevue par Catherine II, saisie avec ardeur par Paul Ier, d'assurer les droits des neutres et l'égalité des pavillons, il reprendrait une tradition intermittente de la politique moscovite et se consolerait de n'avoir point affranchi le continent en poursuivant avec nous l'indépendance des mers . En échange de ce service, Napoléon semblait promettre à la Russie des profits sérieux, brillants surtout et flatteurs, et l'Orient était le terrain où elle aurait naturellement à les demander et à les recevoir. Sans doute, l'Empereur n'annonçait rien de positif, mais ses regards, le ton de ses discours, son air, en disaient plus que ses paroles, et, pour se manifester par de précieux témoignages, sa bonne volonté paraissait n'attendre qu'une occasion. Alexandre estimait donc de plus en plus qu'une saine politique lui recommandait de s'unir actuellement au vainqueur, de lui prêter contre l'Angleterre un concours non seulement apparent, mais sincère[11], afin d'obtenir de lui des avantages qui payeraient la Russie de ses pertes et compenseraient ses désastres.

Est-ce à dire qu'il se livrât sans réserve au génie qui avait juré sa conquête ? Il y avait chez lui, au milieu de ses enthousiasmes, au milieu de ses idéales et flottantes aspirations, une subtile finesse, même, suivant le mot d'un homme qui l'approcha de près et le jugea bien, un acquit de dissimulation souveraine[12] ; il était fils d'une race de Slaves, mais de Slaves élevés à l'école de Byzance. A Tilsit, subissant le charme, il ne s'y abandonna pas tout entier, garda une part de lui-même pour l'observation et la méfiance. Dans cette âme à la fois mobile et complexe, les sentiments les plus divers se superposaient alternativement, pour ainsi dire, plutôt qu'ils ne se substituaient tout à fait les uns aux autres : celui qui l'emportait un jour ne détruisait pas entièrement celui qui avait prévalu la veille, le refoulait seulement, et, sous l'engouement qui portait aujourd'hui Alexandre vers l'alliance napoléonienne, on eût retrouvé un reste de crainte et de suspicion. Si réelle qu'elle fût, sa confiance gardait quelque chose de fragile, d'instable, et s'abandonnant avec délices aux séductions de l'heure présente, il laissait certains doutes planer sur l'avenir.

Croyait-il, par exemple, que l'alliance, lorsqu'elle aurait produit les résultats dont elle était promptement susceptible, peut-être la paix maritime, au moins l'extension de la Russie en Orient, dût être indéfiniment prolongée ? Fallait-il, suivant lui, reconnaître la loi de l'avenir dans un accord de 'principe entre la Russie se désintéressant des affaires occidentales et la France débordant sur le monde ? A cet égard, il évitait de s'interroger. En descendant au fond de sa pensée, on y eût retrouvé la crainte que la sécurité permanente de la Russie ne pût se concilier avec l'excès de la puissance française. Il ne renonçait pas absolument à rétablir l'Europe dans ses droits, à rejeter la France dans de plus étroites limites, mais n'attendait plus la réalisation de ce vœu que d'un concours problématique de circonstances : Changent les circonstances, disait-il confidentiellement, la politique aussi pourra changer[13]. En attendant, il emploiera d'une part à rétablir ses forces, de l'autre à se ménager d'égoïstes satisfactions, le temps qu'il ne saurait plus consacrer à la défense commune, travaillera pour lui-même après s'être épuisé en efforts stériles au profit d'autrui, quitte ensuite, lorsqu'il aura pris ses avantages et ses sûretés, à voir s'il doit rester l'allié de Napoléon ou redevenir celui de l'Europe. Il se peut, à la vérité, que l'ambition du conquérant se découvre à bref délai insatiable et dévorante, qu'elle menace la puissance même qu'elle semble vouloir prendre pour auxiliaire : contre de tels périls, Alexandre se tiendra sur ses gardes ; sitôt qu'ils lui apparaîtront, l'alliance se rompra d'elle-même, au cours de son activité, mais la Russie y aura gagné tout au moins d'avoir suspendu quelques années la marche terrifiante des armées françaises, d'avoir détourné ce torrent, d'avoir obtenu le temps de fortifier ses frontières, de réparer ses pertes, de se remettre en posture de défense. Après ce répit, s'il lui faut engager une lutte suprême, elle se trouvera mieux préparée à la soutenir ; sans recourir alors à l'inutile moyen des coalitions, ne s'appuyant que sur elle-même, sur sa puissance restaurée, sur le sentiment de son droit, elle attendra l'envahisseur, lui opposera sa masse redoutable et vendra chèrement son indépendance[14]. En 1807, Alexandre ne souhaitait pas encore, mais prévoyait par instants 1812.

Toutefois, les nuages qui passaient sur son esprit n'assombrissaient point son visage. Auprès de Napoléon, il se montrait parfaitement calme, rayonnant de satisfaction, plein d'espoir, affectait une foi sans bornes dans la perpétuité de l'accord : il entrait dans les vues du grand homme, admettait tous ses plans, s'inclinait devant sa supériorité, se déclarait disposé à le seconder, prêt à l'aimer, et ce jeu caressant, qui répondait à son caractère, à son penchant actuel, au plaisir qu'il éprouvait de bonne foi à cultiver des relations attrayantes, faisait aussi partie de sa politique. Vraiment séduit, il se montrait plus conquis encore qu'il ne l'était en réalité, son but étant de procurer à l'Empereur des impressions et des satisfactions qui lui fussent nouvelles. Napoléon avait vaincu l'Europe, il ne l'avait point persuadée ; il avait soumis les rois à son joug, sans les plier à son ascendant moral, et, parmi tous ses triomphes, l'amitié d'un grand souverain était le seul succès qui lui manquât. En la lui offrant, Alexandre pensait contenter en lui un secret et orgueilleux désir, prendre dans ses sentiments une place à part et se ménager plus aisément sa confiance : Flattez sa vanité, disait-il aux Prussiens en leur recommandant son système ; c'est mon loyal intérêt pour votre roi qui me fait vous donner ce conseil[15]. On doit chercher en partie dans cette arrière-pensée et dans cette illusion le secret des hommages à la fois délicats et passionnés qu'Alexandre prodiguait à Napoléon. Sans doute, le désir de charmer était chez lui inné, continuel, et la conquête de Napoléon devait particulièrement tenter Alexandre le séduisant[16]. Il s'y vouait par goût, par une instinctive tendance, mais aussi parce qu'il y voyait un moyen de mieux servir et ménager l'intérêt de son État[17]. Il se trouvait de la sorte que les deux souverains avaient adopté le même système l'un vis-à-vis de l'autre Napoléon voulait s'attacher Alexandre, mais la volonté de plaire était égale chez le Tsar, et si l'on cherchait à préciser le véritable caractère des rapports inaugurés à Tilsit, en les dégageant de l'appareil émouvant et grandiose qui était venu les environner, on pourrait les définir : un essai sincère d'alliance momentanée, doublé d'une tentative de séduction réciproque.

 

II

On se revit le 26, sur le radeau du Niémen. Le roi de Prusse vint à cette seconde conférence et fut présenté par Alexandre à Napoléon ; son attitude forma avec celle du Tsar un contraste déplaisant. Frédéric-Guillaume était naturellement dépourvu de Grâce et d'aisance : le malheur le rendait plus gauche encore, et il ne sut faire à triste fortune bon visage. Son air morne, ses yeux fixés à terre, son langage hésitant, tout dénotait en lui une insupportable contrainte. Derrière ce visage fermé, Napoléon soupçonna une âme d'autant plus difficile à ramener qu'elle était honnête et convaincue : il jugea et condamna définitivement la Prusse dans la personne de son roi ; sans espoir de la rattacher à son système, obligé de la conserver, puisque l'alliance russe était à ce prix, il ne songea plus qu'aux moyens de la réduire à l'impuissance et, ne pouvant la frapper à mort, voulut l'empêcher de vivre.

Son langage au Roi fut dur et hautain : à peine une allusion aux conditions de la paix ; il appuya sur les défauts qu'il avait remarqués dans l'administration et l'armée prussiennes, donna à Frédéric-Guillaume quelques conseils, mit une insistance blessante à lui remontrer son métier de roi. Puis il renouvela une prétention cruelle. Avant la Guerre, le baron de Hardenberg, ministre dirigeant de Prusse, avait manqué à la France en refusant audience à son envoyé ; pour venger cette injure, Napoléon refusait maintenant de traiter avec lui, ce qui était imposer son renvoi, le frapper d'incapacité politique et l'exclure des conseils de son souverain. Frédéric-Guillaume discuta cette exigence ; il n'avait personne, disait-il, pour remplacer Hardenberg. Napoléon n'admit point cette excuse, cita des noms, et entre autres, par une erreur singulière, celui du baron de Stein, le futur régénérateur de la monarchie prussienne. Après un entretien pénible, on se sépara très froidement, et Frédéric-Guillaume, retournant sur la rive droite, entendit Napoléon et Alexandre se donner rendez-vous pour le soir même à Tilsit[18].

L'entrée du Tsar en ville se fit avec la pompe que permettaient le lieu et les circonstances, au milieu d'un bel appareil militaire. L'armée française avait effacé en elle les traces de la lutte, resplendissait d'un éclat martial. L'Empereur et sa maison montèrent à cheval pour recevoir le Tsar à son débarquement. Lorsque Alexandre approcha du rivage, où un beau cheval arabe, richement harnaché, lui avait été préparé, les troupes rendirent les honneurs, les drapeaux s'inclinèrent ; soixante coups de canon furent tirés. Sur le chemin que les deux empereurs devaient parcourir à travers la ville, des détachements de la garde, infanterie et cavalerie, étaient massés ; tous les régiments étaient représentés, dragons, chasseurs, grenadiers, et avant que Napoléon les lui nommât ; Alexandre reconnaissait ces uniformes que la victoire avait rendus populaires, ces soldats qui portaient dans leur tenue et leur regard l'orgueil de leurs triomphes. De leur côté, les Français admiraient la haute mine du monarque russe, la grâce inimitable avec laquelle il saluait de l'épée[19]. Chevauchant côte à côte et causant, les deux souverains arrivèrent à la' maison que le Tsar avait habitée pendant son précédent séjour à Tilsit, avant Friedland : Vous êtes chez vous, lui dit l'Empereur. Mais Alexandre ne mit pas encore pied à terre ; par une flatterie délicate, il continua d'avancer entre les troupes formant la haie, afin de mieux voir la garde impériale, rangée sur toute la longueur de la rue[20].

On dîna chez l'Empereur, et l'on ne se sépara qu'à neuf heures. A tout instant, Alexandre était informé de quelque gracieuseté nouvelle : c'était l'échange des prisonniers, commencé de suite et que l'on activait, c'était l'envoi de courriers aux commandants de nos troupes dans l'Allemagne du Nord, afin qu'ils eussent à respecter les domaines du duc de Mecklembourg, allié à la famille impériale de Russie, enfin, tous les honneurs et attentions imaginables[21]. De son côté, Alexandre traitait en allié, en ami, le souverain dont il n'avait pas encore officiellement reconnu le titre impérial et que les dépêches de ses ministres continuaient d'appeler, avec un formalisme imperturbable, le chef du gouvernement français[22].

Cependant, si bien établies que fussent les relations personnelles entre les deux souverains, ils n'avaient qu'effleuré l'objet destiné à sceller leur accord : dans leurs premières causeries, l'Orient était demeuré à peu près hors de cause. On prévoyait dans cette partie de l'Europe de profonds remaniements ; on connaissait la catastrophe de Constantinople, on en ignorait les détails, on hésitait à en préjuger les conséquences. Sur le partage de la Turquie, le premier mot ne fut dit à Tilsit ni par la France ni par la Russie : la Prusse osa le prononcer.

Toujours relégué à Pictupœlmen, ignorant s'il resterait ministre, le baron de Hardenberg passait son temps à ébaucher des projets d'accommodement ; pour ménager à la fois la satisfaction du vainqueur et celle du vaincu, pour sauver la Prusse et contenter Napoléon, il faisait appel à toutes les ressources de son esprit, remontait aux précédents et consultait l'histoire. Au dix-huitième siècle, la Prusse avait inauguré en Europe et pratiqué avec un incontestable succès la politique des partages : elle avait trouvé dans les démembrements successifs de la Pologne une mine inépuisable de profits ; même, afin de s'assurer la main libre sur la Vistule, elle avait imaginé en 1788 de suggérer à l'Autriche et à la Russie un premier partage de la Turquie. Si les circonstances avaient totalement changé, le moyen n'en `restait pas moins bon, éprouvé : la Turquie ne s'offrait-elle pas toujours pour attirer et détourner les ambitions qui s'acharnaient sur l'Europe, pour assouvir les puissants, dédommager les vaincus, et ne saurait-elle payer pour tout le monde ? Hardenberg fonda sur l'anéantissement de cet empire une vaste combinaison : il s'agissait de remanier l'Europe orientale et centrale dans toutes ses parties, de déterminer un échange de possessions et un chassé-croisé de souverains. La Russie prendrait une partie des Principautés, la Bulgarie, la Roumélie et les Détroits ; l'Autriche, remise en possession de la Dalmatie, y joindrait la Bosnie et la Serbie ; la France aurait la péninsule hellénique et les îles. Russie, Autriche et Prusse renonceraient aux provinces qu'elles avaient arrachées en dernier lieu à la Pologne, et cet État, retrouvant ses membres épars, reprendrait vie sous le gouvernement du roi de Saxe : transporté à Varsovie, ce prince abandonnerait le domaine de ses pères à la Prusse, à laquelle serait rendu en outre tout ce qu'elle avait possédé en Allemagne, si bien qu'une campagne désastreuse se solderait en fin de compte pour la monarchie de Brandebourg par un agrandissement. Au milieu des plus accablants revers qui eussent frappé un État, la Prusse ne démentait pas ses traditions, ne renonçait point à ses procédés : accablée et agonisante, elle cherchait encore dans la destruction d'autrui le rétablissement de sa propre fortune[23].

Le projet de Hardenberg, rédigé sous forme de mémoire, approuvé par le Roi, transmis à titre d'instruction au maréchal de Kalckreuth, qui avait signé l'armistice et continuait de résider à Tilsit, fut communiqué à Alexandre et appuyé par le ministre Budberg. Le Tsar se borna à en prendre acte ; les élucubrations in extremis de la Prusse le touchaient peu, venant d'un ministre condamné et d'un roi sans États, et c'était de Napoléon seul qu'il attendait le mot qui devait donner carrière à son ambition. Cette parole vivement attendue, l'Empereur allait enfin la laisser échapper dans une circonstance frappante et solennelle : il rencontra ou sut se ménager l'occasion d'un coup de théâtre, éclatant au milieu de l'une de ces mises en scène imposantes qu'il excellait à déployer.

Depuis l'établissement du Tsar à Tilsit, il lui faisait les honneurs de notre armée, disséminée et installée autour de la ville. De bonne heure, les souverains sortaient de Tilsit, à cheval, brillamment escortés ; dans la campagne égayée par les sonneries matinales, ils rencontraient de toutes parts les campements de nos troupes ; en peu de jours, nos soldats avaient su s'improviser des abris : avec ce goût naturel, actif à s'ingénier, qui leur est propre, ils avaient même enjolivé de leur mieux ces demeures passagères, les avaient parées d'ornements rustiques enlevés aux villages environnants. Napoléon parcourait les quartiers avec son hôte ; il lui faisait voir les hommes de près, s'offrait à leur culte familier, témoignait pour leur bien-être une sollicitude qui frappait l'autre empereur. Puis, on galopait jusqu'à un espace découvert, propice aux manœuvres ; là, d'autres troupes étaient massées, rangées avec ordre ; leurs longues lignes immobiles, scintillantes d'acier, se dessinaient à l'horizon ; les maréchaux prenaient le commandement de leurs corps, un nombreux état-major se groupait autour des empereurs et la revue commençait.

Alexandre portait à ces spectacles une attention passionnée ; comme tous les princes de sa race, il aimait les beaux régiments, les manœuvres correctement exécutées, et rien ne lui plaisait autant que de voir évoluer devant lui les troupes de pied bien alignées, passer les masses tourbillonnantes de la cavalerie : c'était ce que le prince Adam Czartoryski appelait sa paradomanie[24]. L'armée française lui offrait alors inépuisable matière à satisfaire ses goûts ; elle n'était pas seulement la plus brave, la plus aguerrie, la mieux disciplinée de l'Europe, mais la plus riche en couleurs, en aspects variés, la plus pittoresque et la plus splendide. Alexandre ne se lassait point d'admirer ces troupes sans pareilles, leur tenue et leur entrain : avec une bonne grâce aisée, il leur rendait justice et ne ménageait point les éloges à ceux qui l'avaient vaincu. Il se faisait présenter les colonels des régiments qui l'avaient particulièrement frappé : Vous êtes bien jeune pour tant de gloire[25], disait-il à l'un d'eux. Les plus petits détails l'intéressaient et émerveillaient son frère. Le grand-duc Constantin, avec l'assentiment du Tsar, devait demander à l'Empereur de lui prêter l'un de ces tambours-majors au costume galonné d'or-sur toutes les coutures, au panache extravagant, qu'il avait vu parader en tête de nos régiments, afin que cet instructeur d'un nouveau genre apprit à ses confrères de Russie les exercices et singeries qu'il exécutait avec son bâton de commandement[26]. Ce trait n'évoque-t-il pas tout un tableau et ne fait-il pas, pour un instant, repasser à nos yeux nos régiments vainqueurs, tels qu'ils défilaient tour à tour devant le double état-major impérial, allègres et superbes, dans le chatoiement des uniformes et le fracas des instruments ?

Au milieu d'une de ces revues, on apporta à l'Empereur des dépêches diplomatiques. Il les ouvrit, les parcourut, puis se tournant vers Alexandre d'un air inspiré : C'est un décret de la Providence, s'écria-t-il, qui me dit que l'empire turc ne peut plus exister[27]. Les dépêches, qu'il fit lire au Tsar, étaient du général Sébastiani, son ambassadeur à Constantinople ; elles racontaient en détail l'événement du 27 mai, montraient les soldats mécontents et la populace s'unissant contre le sultan réformateur, Sélim assiégé dans son palais, se résignant promptement à l'arrêt du destin, déposant la couronne avec la docilité dont tant de ses prédécesseurs lui avaient donné l'exemple, et la Turquie, après s'être un instant ressaisie sous un chef éclairé, descendant d'elle-même dans l'abîme. Napoléon était l'allié du Sultan ; il n'était point celui de la Turquie, avec laquelle il n'avait signé aucun traité. Il déclara que la chute de Sélim le dégageait de tous liens avec cet empire, mettait sa conscience à l'aise, le laissait libre d'accomplir les grands projets auxquels sa propre inclination et son amitié pour Alexandre le conviaient également. Et la pensée des deux empereurs, dépassant l'appareil guerrier qui se déployait autour d'eux, les campagnes de Pologne, les pâles horizons du Nord, s'élança vers de plus lumineuses régions, vers l'Orient et Constantinople, terre promise de l'ambition des Tsars.

Dans les jours qui suivirent, avec cette éloquence familière, imagée, vibrante, qui lui était naturelle et qui n'était qu'à lui, Napoléon parla continuellement de l'Orient. Il évoqua ce monde captivant, qu'il avait vu et jugé en Égypte, ces contrées qui lui étaient apparues riches de tous les dons de la nature et que l'homme laissait inexploitées, ces Turcs dont il se servait à l'occasion, dont il appréciait parfois les vertus guerrières, mais dont le gouvernement impuissant et désordonné lui était odieux, parce qu'il répugnait à son esprit épris de la force et de la règle : L'Empereur n'aime pas les Turcs, écrivait plus tard un de ses ministres, il les trouve des barbares[28]. Faisant toucher du doigt à Alexandre cet empire en dissolution, il lui montrait la facilité d'en recueillir les débris : cette conquête serait en même temps, disait-il, œuvre d'humanité et de civilisation : la présence des Turcs déparait l'Europe régénérée, mettait une tache d'ombre sur le continent éclairé de lumières nouvelles. Et ces ardentes professions n'étaient pas seulement un jeu éblouissant, destiné à séduire Alexandre par de décevantes perspectives ; Napoléon portait réellement en lui les aspirations qu'il exprimait avec tant de force. Si sa conduite à l'égard de la Turquie variait suivant les nécessités de sa politique, s'il abandonnait ou soutenait cet État au gré de ses convenances, une idée persistante, quoique vague et lointaine, se retrouvait en lui depuis le début de sa carrière et demeurait à l'horizon de sa pensée : c'était celle d'une grande mission à remplir en Orient et d'une société entière à recomposer. A coup de victoires, il avait refait, façonné l'Europe à sa guise ; mais son œuvre était-elle complète tant que l'Orient restait à organiser, tant que cette noble partie de l'ancien monde demeurait à l'état d'informe chaos ? Ignorant, comme la plupart de ses contemporains, l'état réel et la distribution des races sur le sol de la Turquie, il discernait pourtant l'une d'elles, parce qu'elle lui apparaissait avec l'auréole d'un lumineux passé, et la pensée de ressusciter la Grèce, en la rattachant à son empire, avait plus d'une fois hanté son esprit profondément imbu des souvenirs et des passions classiques : La Grèce, disait-il plus tard, attend un libérateur, il y a là une belle couronne de gloire à cueillir[29]. Pressentant pour les peuples du Levant une destinée nouvelle, il voulait l'avancer, afin de la régler par lui-même, et là, comme partout, son génie impatient rêvait d'accélérer l'histoire.

Alexandre l'écoutait avec ravissement ; au contact de cette pensée exubérante et forte, son imagination s'exaltait ; la passion de l'Orient rentrait dans son âme, et il se sentait saisi par d'ambitieuses réminiscences. Dans la bouche de Napoléon, il reconnaissait l'écho des accents qui avaient bercé sa jeunesse ; le plan de partage redevenait pour lui ce projet grec qui avait enchanté son aïeule ; il l'appelait encore de ce nom[30], par habitude, par tradition, et les paroles du conquérant français, ranimant en lui tous les souvenirs du règne de Catherine, le replaçaient à cet âge héroïque de la Russie moderne.

Cependant, lorsque Napoléon avait montré l'instant venu de reprendre les traces de la grande impératrice, d'entamer la délivrance de l'Orient, il posait une réserve : c'était à l'avenir, disait-il, qu'il appartenait de mûrir et d'achever cette œuvre. On ne devait s'occuper aujourd'hui que de rétrécir le territoire ottoman, de refouler, de comprimer[31] vers l'Asie un peuple étranger à l'Europe, de lui enlever quelques-unes des provinces qu'il molestait encore et ne gouvernait plus.

Aller plus loin, procéder à un partage total, serait une opération grosse de difficultés et de périls ; elle risquerait de provoquer entre la France et la Russie un contact funeste à leur harmonie : il était des positions que l'on ne voulait point se disputer et que l'on ne pouvait s'abandonner. Il ne semble pas que le sort futur des provinces centrales de la Turquie et surtout de Constantinople ait été sérieusement discuté ; lorsque cette question se souleva plus tard entre les deux empereurs, elle leur apparut toute nouvelle, et ni l'un ni l'autre ne firent allusion à de précédents débats ; à Tilsit, ils s'attachaient à ce qui pouvait les réunir et non à ce qui les eût divisés. Or, dans l'Orient européen, en admettant l'hypothèse d'un partage restreint, il était des contrées dont l'attribution ne pouvait offrir matière à dispute : leur position décidait de leur sort. Napoléon les montrait du doigt sur la carte et taillait le domaine respectif des deux puissances dans les possessions diminuées de la Turquie. La Russie ambitionnait depuis un siècle les principautés moldo-valaques et les occupait militairement aujourd'hui ; elles constitueraient son lot. Au besoin, si l'on franchissait le Danube, une portion de la Bulgarie pourrait partager le sort des Principautés. Quant à la France, elle trouverait autour de ses possessions d'Illyrie matière à s'étendre, et Napoléon indiquait tantôt la Bosnie et l'Albanie, qui donneraient plus d'épaisseur et de consistance à la Dalmatie, cette mince province allongée sur la côte adriatique, tantôt l'Albanie, l'Épire, la Grèce, qui la prolongeaient au sud. Toutefois, si les deux souverains prévoyaient d'idéales conquêtes, ils n'en déterminaient pas rigoureusement la valeur et l'étendue ; ils ne traçaient point de frontières. Quand on s'était bercé d'hypothèses multiples, sans en préciser aucune, on revenait à des généralités vagues et fuyantes, et l'entretien se prolongeait sans conclure.

C'est qu'en effet, si Napoléon inclinait à morceler la Turquie, s'il étudiait dès à présent les moyens d'opérer cette spoliation[32], son parti n'était pas arrêté : Mon système sur la Turquie chancelle, écrivait-il à Talleyrand, et est au moment de tomber ; pourtant, je ne suis pas décidé[33]. Cette matière était celle où il jugeait le plus nécessaire à la fois de tenter les convoitises de la Russie et d'éviter avec elle tout engagement positif. Conservant ses défiances de principe contre cette puissance, il hésitait encore à la rapprocher du but éternel de ses ambitions. De plus, si l'on précipitait le partage, cette suprême commotion, ajoutant de nouvelles causes de dissentiment à toutes celles qui divisaient les puissances, reculerait indéfiniment la paix générale, dont Napoléon sentait le besoin et éprouvait l'ardent désir ; ce serait une querelle aiguë, interminable, venant se greffer sur celle que quinze ans de victoires françaises n'avaient point résolue. Sans doute, si l'Angleterre, malgré les efforts que la Russie tenterait auprès d'elle, demeurait intraitable, il conviendrait de recourir à des moyens extraordinaires pour faire face aux nécessités d'une lutte sans exemple ; afin de s'attacher plus complètement la Russie, de l'entraîner à des mesures actives contre l'ennemi commun, de frapper celui-ci sur un terrain nouveau, Napoléon ne reculerait pas devant l'entreprise orientale ; il la regarderait en face, s'y résoudrait franchement, l'entamerait à condition de la diriger et saurait en faire sortir le triomphe définitif de sa politique ; mais il était résolu à n'admettre ce parti extrême qu'en cas d'absolue nécessité, après avoir mieux assuré sa domination sur l'Europe, pénétré les intentions de l'Angleterre et éprouvé la bonne foi d'Alexandre. En attendant, il se flattait qu'une espérance, à défaut d'une promesse, suffirait à satisfaire ce monarque et à le retenir sous le charme.

Après quelques jours, il suspendit la conversation, prétextant sa hâte de rentrer à Paris, où de grands devoirs le rappelaient ; d'autres affaires, à régler de suite, absorberaient le temps que l'on avait encore à passer ensemble ; il convenait de renvoyer l'accord définitif sur le partage à une seconde entrevue, dont il formerait l'objet exclusif. L'empereur Alexandre avait promis à son allié de le visiter à Paris : c'était là que les deux souverains, dégagés 'd'immédiates préoccupations, pourraient reprendre à loisir le grand dessein, fixer le sort d'un monde et s'en répartir le gouvernement[34].

Alexandre était trop ébloui et comme étourdi par les impressions que Napoléon lui faisait éprouver à toute heure, par les images inattendues et captivantes qui passaient en foule à ses yeux, pour qu'il songeât, retrouvant la pleine possession de lui-même, à réclamer dès à présent une solution et à exiger un contrat. Dans ce qui lui avait été dit, il ne retenait qu'une chose : loin d'opposer aux convoitises de la Russie une fin de non-recevoir, Napoléon les encourageait à se produire, à s'affirmer, leur annonçait sous peu une satisfaction quelconque. Alexandre s'attachait désormais à cette espérance avec ardeur, avec passion, sans la préciser encore et sans lui donner une extension démesurée. On doit même se demander si la perspective d'un véritable partage de la Turquie, d'une vaste répartition de territoires à opérer de concert avec Napoléon, le séduisait autant qu'on l'a cru généralement. Il semble bien que parfois une arrière-pensée se fit jour dans son esprit. Était-il prudent, se demandait le monarque russe, était-il d'une politique avisée d'engager le règlement définitif de la question orientale, alors qu'il fallait s'associer pour cette œuvre avec une ambition qui effrayait le monde ? si considérable qu'elle fût, la part de la Russie ne demeurerait-elle pas toujours inférieure à celle que s'arrogerait la France par le droit de la toute-puissance, et le plus sage n'était-il point, tout en tirant des dispositions de l'Empereur un profit immédiat et fort appréciable, de ne pas compromettre trop gravement l'avenir ?

Alexandre n'éprouvait point d'ailleurs ce besoin de prendre à l'infini, cet appétit d'annexions qui avait tourmenté certains princes de l'autre siècle. S'il rêvait de conquêtes, c'était surtout de conquêtes morales, et son ambition n'était pas à hauteur de son amour-propre. Après s'être flatté de charmer et de ravir l'Europe, en se montrant à elle sous les traits d'un arbitre bienfaisant, il se proposait maintenant de plaire à ses sujets, de frapper leur imagination et, par suite, de rallier leur esprit incertain. Ses projets de réforme, cette guerre aux abus qui devait faire son honneur, avaient suscité contre lui une opposition mondaine, irritante et parfois dangereuse : malgré ses nobles et gracieuses qualités, sa popularité restait incertaine ; pour la fixer, il brûlait de procurer à la Russie un avantage prochain, sensible, longtemps convoité, qui atténuerait l'amertume des désastres subis et consolerait l'orgueil de la nation. Mais, pour que ces vues fussent remplies, point n'était besoin de se lancer dans une carrière sans fin de conquêtes et d'aventures. La prise en Orient de quelques territoires bien choisis, de tout ou au moins d'une notable partie de ces principautés moldo-valaques que Catherine avait rêvé d'incorporer à son empire, suffirait à contenter la Russie, à clore dignement la crise actuelle, et Alexandre ne renonçait pas à obtenir cet agrandissement restreint, quoique considérable encore, sans qu'il y eût partage, c'est-à-dire accroissement parallèle de la France. Ce qu'il espérait vaguement, c'était que Napoléon, condamnant l'empire ottoman sans se reconnaître encore la faculté d'exécuter cet arrêt, laisserait la Russie prendre quelques provinces en avancement d'hoirie sur la succession future de la Turquie.

Affectant donc un grand zèle pour le partage, Alexandre ne pressait pas Napoléon de l'entamer, et lorsque celui-ci, témoignant d'un scrupule, émit le désir que la Russie essayât d'une négociation avec les Turcs, avant que l'on eût à concerter contre eux des mesures extrêmes, le Tsar ne repoussa pas cette idée : il jugeait facile d'arracher à la Porte une paix avantageuse et des cessions, puisque la France, qui avait soutenu jusqu'alors cette puissance, retirait son bras et se détournait d'elle ; même se flattait-il que Napoléon favoriserait ses prétentions et trouverait avantage à laisser affaiblir un empire qu'il se réservait d'attaquer et de dépecer par la suite. Je n'attends pas trop grande opposition à mes vues, écrivait Alexandre, puisqu'elles sont de l'intérêt de l'empereur des Français et répondent assez aux vues qu'il a sur l'empire ottoman[35]. Finalement, on convint en principe, dans les premiers jours de juillet, que la Russie ouvrirait une négociation de paix avec la Porte sous la médiation de la France ; on dresserait en même temps, pour le cas où la Turquie refuserait ou se trouverait hors d'état de traiter, un plan de partage qui constaterait l'ordre d'idées dans lequel on s'était placé et l'abandon par la France de son ancienne alliée ; mais ce projet, rigoureusement secret, ne recevrait aucune suite avant que l'on se fût revu et parfaitement entendu.

 

III

Lorsque le mirage de l'Orient, déployé magnifiquement à l'horizon, eut tout embelli aux yeux d'Alexandre, disposé davantage ce monarque à la bonne grâce et à la condescendance, Napoléon reprit et traita vivement les affaires dont le règlement était indispensable pour constituer dès à présent entre les deux empires l'état de paix et d'alliance : il entendait faire préciser ses avantages à défaut de ses obligations. Envisageant d'abord l'Europe en général, puis la Turquie en particulier, on avait posé quelques bases ; il restait à constater l'accord par des stipulations écrites.

Pour cette tâche, il semblait que les deux souverains dussent trouver en leurs ministres des auxiliaires désignés, et de fait, dès les premiers jours de leur réunion, ils avaient respectivement nommé leurs plénipotentiaires. Celui de France était tout indiqué : ce fut M. de Talleyrand, appelé en hâte de Kœnigsberg. Alexandre proposa M. de Budberg, qui tenait toujours le portefeuille. Napoléon fit à ce choix quelques objections ; il craignait que le baron de Budberg, après s'être fait l'instrument d'une politique hostile à la France, n'entrât pas de bonne foi dans la pensée nouvelle de son maître ; de toute façon, ce nom allemand lui inspirait quelque défiance. Alexandre fit remarquer que M. de Budberg, né dans les provinces baltiques, était Russe de la même manière qu'un Alsacien était Français[36] ; néanmoins, par un comble d'égards, il n'insista pas, exclut de la négociation son propre ministre, et choisit comme plénipotentiaire le prince Kourakine, son nouvel ambassadeur à Vienne, qui se trouvait au quartier général ; on lui adjoignit le prince Lobanof. Kourakine était un vieux courtisan, parfaitement docile, mais dépourvu d'initiative et d'activité : le 2 juillet, il n'avait encore tenu avec notre représentant qu'une seule conférence et, dans une lettre dolente, s'excusait sur ses infirmités de faire attendre Talleyrand[37]. En réalité, la discussion entre les plénipotentiaires ne porta que sur des points de détail ou de rédaction, et tout objet d'importance demeura du ressort exclusif des empereurs.

Cette négociation directe ne ressemblait à aucune autre : rien d'apprêté, point d'appareil solennel, point de conférences à jour fixe, point de témoins importuns chargés de tenir la plume : Je serai votre secrétaire, avait dit Napoléon à Alexandre, et vous serez le mien[38]. On se voyait et l'on conférait à toute heure : des digressions variées, attrayantes, des confidences à cœur ouvert rompaient la monotonie des conversations d'affaires et apprenaient aux deux empereurs à se mieux comprendre, en les faisant se connaître et s'apprécier davantage.

Ils avaient pris des habitudes réglées et communes. D'ordinaire, ils se retrouvaient dans le milieu de la journée, chez l'un ou chez l'autre. Si le rendez-vous était chez l'Empereur, on causait de longues heures dans son salon, debout, en parcourant la pièce à grands pas ; parfois, on passait dans un cabinet voisin où les cartes étaient étalées ; on étudiait la configuration de cette Europe qu'il s'agissait de remanier. Comme délassement à ces laborieuses séances, on avait la promenade, la visite aux troupes, les excursions à cheval aux environs de Tilsit. Le tête-à-tête se rompait alors, et le roi de Prusse reparaissait en tiers entre les deux empereurs. Frédéric-Guillaume s'était résigné enfin à habiter Tilsit, ou, du moins, à y passer une partie de ses journées ; il s'y était établi en modeste appareil, avait pris logis dans la maison d'un meunier[39]. S'ils l'écartaient de leurs conférences, Napoléon et Alexandre ne pouvaient l'exclure de leur société ; ils l'invitaient à les accompagner pendant leurs sorties quotidiennes, et les trois souverains partaient côte à côte, précédant leurs suites confondues.

A peine hors de la ville, Napoléon mettait son cheval au galop et prenait le train fougueux qui lui était habituel. Alexandre, adroit et gracieux à tous les exercices du corps, se maintenait à son allure ; le triste Frédéric-Guillaume, cavalier moins habile, embarrassé de sa personne, pouvait à peine suivre, ou bien heurtait et gênait sans cesse Napoléon[40]. Les Prussiens en souffraient visiblement, et leur attitude douloureuse faisait contraste avec la belle humeur qui régnait dans le reste de l'état-major. Entre Français et Russes, la cordialité s'était vite établie, et si, parmi nos ennemis de la veille, quelques généraux, Platof entre autres, refusaient tout contact avec nous, les officiers attachés à la personne du Tsar imitaient et exagéraient sa conduite. Quant à son frère Constantin, il s'était mis sur un pied d'intimité avec Murat, avec le maréchal Berthier et le général de Grouchy ; il leur parlait de Paris, promettait de les y aller voir, leur jurait amitié pour la vie : Je voudrais, disait-il plus tard, qu'ils fussent bien persuadés de mon estime et de mon attachement ; témoin de leur mérite et de leur valeur, j'ai été à même de les apprécier. Il est impossible de les aimer plus que moi, et je me rappellerai toute ma vie les moments agréables que j'ai passés avec eux[41].

Après la promenade, Napoléon et Alexandre ne se quittaient plus de la journée. On dînait chez l'Empereur ; à ce moment, la présence de Frédéric-Guillaume ramenait quelque contrainte et jetait une ombre sur la réunion. Aussi les deux amis rompaient-ils la société[42] d'assez bonne heure ; mais cette séparation n'était souvent qu'une feinte, destinée à les débarrasser d'un hôte importun. Ils se retrouvaient dans la soirée chez le Tsar, où ils prenaient le thé[43] ; ils prolongeaient leur conversation jusqu'à minuit et au delà, sortaient ensemble, et parfois les militaires de tout rang qui remplissaient le soir les rues de Tilsit, rencontrant deux promeneurs qui causaient en marchant et se tenaient familièrement par le bras, s'étonnaient de reconnaître les empereurs de France et de Russie[44].

Dans ce contact de tous les instants, c'était Napoléon qui dirigeait toujours et dominait l'entretien ; il le renouvelait avec une inépuisable fécondité de pensée et de paroles. Se livrant à son goût pour les monologues à effet, il trouvait en tout matière à développements, à aperçus originaux ou profonds. Alexandre le laissait parler, savait l'écouter, et cette attention était d'autant plus facile au jeune monarque que les sujets abordés étaient les plus dignes de le captiver : c'étaient la politique, l'administration, la guerre. Napoléon faisait le récit de ces premières victoires qui avaient émerveillé le monde, des campagnes d'Italie, d'Egypte, et, remarquant que cette dernière frappait au plus haut point l'imagination du Tsar, il lui en redisait le roman. Puis, sur un ton de bonhomie, il dévoilait les secrets et les procédés du métier : il montrait que l'art de vaincre n'est pas un inaccessible mystère, qu'à la guerre la présence d'esprit et le sang-froid déjouent parfois les calculs profonds de l'adversaire : le tout, disait-il, est d'avoir peur le dernier[45]. Alexandre l'écoutait dévotement, gravait dans sa mémoire ce qu'il entendait et ne l'oublierait plus, bien décidé, racontait-il plus tard, à en profiter dans l'occasion[46]. Il voulait aussi apprendre de Napoléon comment se mène un peuple et se dirige un État ; et l'Empereur répondait avec bonne grâce à cette curiosité, mettait à nu les ressorts de sa puissance, expliquait la structure de son gouvernement, découvrait le jeu intérieur de cette immense machine dont l'Europe n'était admise à contempler que l'imposant dehors. Il rappelait par quels moyens il avait recréé une administration, une société, une nation, refait une France à l'aide d'éléments épars et discordants. Descendant aux détails, il passait en revue les hommes qu'il employait, indiquait leurs origines, leurs passions, leurs aptitudes diverses, ce qu'il demandait à chacun d'eux et savait en extraire, quel prix il attachait à les laisser en place, à assurer la stabilité de leurs fonctions, comment il préférait passer sur leurs défauts plutôt que de renoncer à utiliser leurs qualités, aimant mieux les assouplir que de les briser[47].

Puis, l'entretien s'élevait à nouveau, s'égarait parfois sur le terrain des pures spéculations. On discutait des différentes formes de gouvernement et de leur valeur respective. Alexandre découvrait alors une forte dose d'idéologie[48]. Autocrate par état, il se montrait libéral par principe et allait jusqu'à se dire républicain ; le soldat couronné avait à défendre contre lui la vertu du droit héréditaire. Dans tout sujet abordé, si abstrait qu'il fût, Napoléon s'appliquait surtout à saisir le côté pratique, à toucher le point qui devait intéresser son interlocuteur et lui plaire. On parlait un jour de la presse. L'Empereur, qui se servait de cette arme d'une main habituée à ne point ménager l'adversaire, se rappela qu'Alexandre avait eu à souffrir d'attaques personnelles et en conservait un déplaisant souvenir : Il ne faut pas parler du passé, lui dit-il, mais je vous assure qu'à l'avenir il ne sera pas dit un mot qui puisse vous choquer en rien, car, quoique la presse soit assez libre, cependant la police a une influence raisonnable sur les journaux[49].

Pour répondre à ces attentions, Alexandre affectait un complet détachement des hommes et des choses d'ancien régime. Très franchement, il avouait sa visite à Mittau pendant la dernière campagne, sa démarche auprès du chef de la maison de Bourbon, mais ajoutait qu'il avait reconnu ce prince pour l'homme le plus nul et le plus insignifiant qui frit en Europe[50]. Napoléon abondait dans ce sens, et l'on convenait que le futur Louis XVIII manquait de toutes les qualités propres à faire un souverain. Par contre, Alexandre se montrait plein d'une sympathique curiosité pour la nouvelle dynastie qui régnait sur la France : il voulait que Napoléon lui parlât de sa famille, de son intérieur, de ses émotions intimes. L'Empereur rappelait alors la perte qu'il venait de faire, la mort du fils aîné de Louis, de l'enfant qu'il laissait nommer le petit Napoléon ; il insistait sur le chagrin de la mère, montrait que la reine Hortense occupait une grande place dans ses affections, et l'empereur Alexandre, quelques mois plus tard, se permettait une délicate allusion à ces entretiens : Faites mon compliment à l'Empereur, disait-il à notre envoyé, sur les couches de la reine Hortense. Je suis fort aise que ce soit un garçon[51]. L'Empereur m'a souvent parlé d'elle à Tilsit, et de l'enfant qu'elle a perdu : c'est une perte cruelle. Je sais que c'est une femme de beaucoup de mérite et dont il fait grand cas[52].

Après s'être donné ces témoignages mutuels d'attachement et de confiance, les deux souverains se trouvaient mieux préparés à reprendre leur travail, à concilier leurs intérêts ; insensiblement, ils revenaient à la politique, aux affaires, et la causerie redevenait conférence. A ce moment même, Napoléon évitait que les opinions parfois divergentes se choquassent trop vivement. Quelle que fût la question en jeu, il ne la serrait pas de près, se bornait à jeter des idées en avant, à suggérer des modes divers de solution. Puis, le soir ou le lendemain, il faisait passer à Alexandre une note concise, fortement rédigée, dans laquelle il précisait le point en litige, formulait nettement sa prétention, résumait ses arguments et les mettait en saillie. La discussion, en reprenant de vive voix, se plaçait ainsi d'emblée sur un terrain mieux défini et circonscrit à l'avance. Néanmoins, l'entente ne s'opérait pas toujours. Alors, réfléchissant à nouveau sur la question, Napoléon cherchait un moyen de transaction, un mezzo termine, disait-il, et en faisait l'objet d'une note nouvelle et définitive[53]. Lorsque les souverains se revoyaient, ils trouvaient le désaccord atténué et achevaient de l'aplanir. Grâce à ce procédé de correspondance, appuyant la négociation verbale, les affaires marchaient, les solutions intervenaient, les articles de traité s'ajoutaient les uns aux autres, et l'œuvre d'alliance prenait forme concrète.

Un premier ordre de questions avait été promptement réglé : par quelques stipulations générales, Alexandre reconnaissait explicitement ou tacitement, garantissait même toutes les conquêtes et toutes les créations de son allié antérieures à la guerre de 1806. Il consentait que la France, établie par la République dans ses limites naturelles, les dépassât de toutes parts et trônât au milieu d'États feudataires : que Louis-Napoléon régnât en Hollande, Murat dans le duché de Berg, que la Suisse restât vassale, que l'empereur des Français fût protecteur et chef de la confédération du Rhin. Non content d'admettre l'existence de cette ligue, il lui reconnaissait le droit d'extension indéfinie : Sa Majesté l'empereur de Russie, disait l'article 15 du traité de paix, promet de reconnaître, sur les notifications qui lui seront faites de la part de Sa Majesté l'empereur Napoléon, les souverains qui deviendront ultérieurement membres de la Confédération, en la qualité qui leur sera donnée par les actes qui les y feront entrer[54]. Dans le Midi, Alexandre consentait que notre alliance pesât sur l'Espagne, que la France, débordant au delà des Alpes, s'étendit sur le Piémont, s'allongeât sur la rive ligure ; que le grand empire eût pour prolongement le royaume cisalpin, qu'il eût pour fiefs les autres États d'Italie ; que Joseph-Napoléon, roi de Naples, nous gardât l'extrémité de la Péninsule ; que la Dalmatie établit la France aux confins du Levant. L'Autriche, passée sous silence dans le traité, demeurait exclue de l'Allemagne, resserrée dans les limites que la paix de Presbourg lui avait imposées. En un mot, tous les pays situés au sud des frontières septentrionales de l'Autriche, au sud de la Saxe et de la Thuringe, à l'ouest du Rhin et même de la frontière hollandaise, étaient maintenus dans l'état où nos victoires les avaient placés ; c'était abandonner à Napoléon l'empire de l'Occident.

Cette démarcation opérée, la tâche des deux empereurs devenait moins lourde : trois questions seulement, touchant aux intérêts propres et essentiels de la Russie, restaient à débattre et à trancher : le sort de la Prusse, les mesures à concerter contre l'Angleterre, les articles à rédiger au sujet de la Turquie.

La question de la Prusse renfermait celle de l'Allemagne du Nord tout entière et celle de la Pologne. Du Rhin au Niémen, l'invasion française, roulant son flot, avait tout abattu ou soulevé sur son passage ; elle avait effacé les frontières, brisé les trônes, courbé plusieurs peuples ; elle en avait ranimé d'autres et les avait entraînés à sa suite, sans leur rendre une existence assurée et stable. Sur le sol qu'elle avait bouleversé, où rien ne subsistait que des éléments informes, des débris et des germes, quel ordre nouveau allait surgir ? Napoléon avait promis à Alexandre de rétablir une Prusse, mais s'était réservé de la refaire et de la façonner à sa guise ; comment concilierait-il le maintien de cet État avec les créations qu'il jugeait indispensables à sa propre sûreté ?

Il conçut tout d'abord un système d'ensemble, et sa première pensée fut de projeter sur l'Allemagne, à travers toute la longueur de cette région, du Rhin à la Vistule, une zone d'États qui dépendraient de la France. Ce seraient d'abord le grand-duché de Berg, accru des possessions westphaliennes de la Prusse, puis les domaines de liesse, de Brunswick et de Nassau, groupés sous un autre régime ; ensuite la Saxe, ralliée à notre politique et érigée en royaume ; plus loin la Silésie, arrachée à Frédéric-Guillaume et donnée à un prince français[55] ; enfin, à l'extrémité de cette ligne continue, une principauté à créer : le grand-duché de Varsovie, que l'on composerait avec les provinces polonaises de la Prusse. Grâce à cette juxtaposition d'États divers, mais rattachés l'un à l'autre par des rapports étroits et par le lien d'une sujétion commune, l'influence ou, pour mieux dire, l'autorité de l'Empereur se prolongerait sans interruption à partir de nos frontières jusqu'à celles de la Russie. La zone française couperait en deux l'Allemagne et même l'Europe centrale : intercalée entre des masses hostiles ou douteuses, Prusse et Autriche, elle les tiendrait séparées, les empêcherait de se réunir et disloquerait la coalition en divisant ses membres.

Dans cette hypothèse, la 'Prusse perdait moins en longueur qu'en épaisseur ; on lui rendrait quelques possessions en deçà de l'Elbe[56] ; par contre, elle ne récupérerait au delà de ce fleuve que le Brandebourg, la Poméranie, la vieille Prusse, les provinces stériles et sablonneuses du Nord ; elle serait réduite à une mince bande de territoire, resserrée et appliquée contre la mer. Encore Napoléon se réservait-il de garder sur le littoral, au moins provisoirement, tous les points de quelque utilité pour la lutte contre l'Angleterre. Détenant le Hanovre, attirant le Danemark dans son alliance, continuant d'occuper les villes hanséatiques, Stettin, les côtes du Mecklembourg, la Poméranie suédoise, il érigerait Dantzig en ville libre et y installerait son influence. Le rétablissement tant à Dantzig qu'à Varsovie de souverainetés autonomes, mais protégées virtuellement par la France, reliées l'une à l'autre par la Vistule, où la navigation serait déclarée libre, mettrait le cours de ce fleuve sous nos lois et compléterait l'investissement de la Prusse.

En rendant l'existence à quelques parties de la Pologne, Napoléon voulait-il préparer pour l'avenir, malgré ses assurances, la résurrection de ce royaume ? Pendant la guerre, on a vu avec quel soin il avait évité de prendre parti sur la question et de se compromettre avec les Polonais par aucun engagement ; d'ailleurs, ce qu'il avait vu d'eux lui semblait peu propre à inspirer confiance dans l'esprit politique de ce peuple, dans son aptitude à revivre ; il était donc de bonne foi quand il écartait devant Alexandre toute idée de restauration véritable. Seulement, son génie pratique n'entendait point rendre au néant, se priver d'approprier à son usage les éléments belliqueux qu'il avait évoqués sur la Vistule. En les combinant avec d'autres, empruntés à l'Allemagne, ne pourrait-il composer un corps politique et militaire assez fort pour faire l'un des boulevards de l'Empire ? Sans doute, cet État hybride, mi-parti slave, mi-parti germanique, manquerait de la cohésion que lui eût donnée une nationalité homogène, un ensemble de traditions et d'aspirations communes ; cette création factice serait peut-être éphémère, mais Napoléon entendait moins construire pour l'avenir que satisfaire aux besoins d'une époque de crise où l'Empire avait à se défendre et à se garder sur toutes ses faces. Son projet d'accoler le grand-duché à des éléments hétérogènes, tels que la Saxe et la Silésie, donne le véritable caractère et la mesure de ses desseins sur la Pologne. Sans prétendre reconstituer la victime du triple partage à l'état de puissance permanente et stable, il veut en Europe, je ne dis pas une nation, mais une armée polonaise, parce qu'il y voit l'une des grand'gardes de la France ; il veut l'installer dans un poste assez vaste et assez fortement appuyé pour qu'elle puisse briser ou au moins ralentir l'élan de nos ennemis ; il veut faire du grand-duché un établissement analogue à ces provinces frontières, organisées militairement, à ces marches que créait Charlemagne pour couvrir ses immenses possessions et en garder les approches. Soutenu en seconde ligne par les forteresses de l'Oder, en troisième ligne par celles de l'Elbe supérieur, l'État de Varsovie se reliera étroitement à notre système défensif, tiendra la Prusse en respect, menacera au besoin l'Autriche ; et la Russie elle-même, si elle doit un jour se détacher de notre alliance et rentrer dans la coalition, ne pourra faire un pas vers l'Allemagne sans se heurter à la pointe de l'épée française, prolongée à travers la Saxe, la Silésie et la Pologne jusqu'aux confins de son empire.

Cependant, Napoléon sentit bientôt l'impossibilité de faire prévaloir ce système dans toute sa rigueur ; il laissa se rompre par le milieu la chaîne d'États qu'il comptait tendre entre le Min et la Vistule. Après avoir admis Frédéric-Guillaume à Tilsit, après avoir reconnu à Alexandre le droit d'intercéder en faveur de ce prince, pouvait-il lui imposer, avec tant d'autres sacrifices, la perte accablante de la Silésie ? Rendue au roi de Prusse, la Silésie ne reprendrait pas dans ses mains toute sa valeur : resserrée et étranglée à son extrémité supérieure entre le royaume de Saxe et la province de Posen appartenant au grand-duché, traversée par une route militaire qui mettrait en communication ces deux États, elle ne tiendrait plus à la monarchie de Brandebourg que par un lambeau de territoire, et s'en détacherait au premier choc. D'ailleurs, Napoléon se réservait d'imposer à la Prusse des charges pécuniaires qui lui permettraient de la tenir longtemps sous le joug, de lui arracher au besoin de nouvelles cessions. Par ces motifs, il renonça à exiger la Silésie ; seulement, en retour de cette condescendance, il retira sa proposition de rendre quelques territoires en deçà de l'Elbe ; les pays situés entre ce fleuve et le Rhin lui seraient entièrement livrés, les uns devant servir à accroître le grand-duché de Berg, apanage de Murat, les autres à constituer un royaume véritable, celui de Westphalie, pour le prince Jérôme-Napoléon[57].

Comme l'Empereur n'avait parlé que légèrement de la Silésie et formulé d'une manière assez nette ses offres de restitution sur la rive gauche de l'Elbe, Alexandre avait pu, dans ce langage inégalement précis, retenir ce qui répondait à ses vœux, écarter le reste. Le 4 juillet, par une note accompagnée d'une lettre fort tendre, il rappelait à Napoléon sa promesse, affectant de la considérer comme ferme et non conditionnelle. Il sentait néanmoins la difficulté de faire passer cette interprétation ; pour qu'on l'admit plus facilement, il l'appuyait de propositions séduisantes : puisqu'il fallait trouver un trône au prince Jérôme, ne pourrait-on lui donner celui de Varsovie et lui ouvrir des droits à celui de Saxe, par le moyen d'un mariage[58] ? Napoléon repoussa vivement ce parti ; il y découvrait plus d'inconvénients que d'avantages. Organisant au cœur de l'Europe un système défensif dirigé en partie contre la Russie, il ne voulait point que cette pensée se dévoilât ; il entendait bien toucher indirectement l'empire du Nord, non lui faire sentir le contact. Or, placer sur la Vistule un de ses frères, c'était y mettre officiellement la France, l'établir par conséquent sur les frontières de la Russie, créer une source de conflits entre deux puissances qui ne pouvaient rester amies qu'à la condition de demeurer matériellement séparées : Appeler le prince Jérôme au trône de Saxe et de Varsovie, répondit Napoléon à Alexandre dans une note fortement motivée, c'est presque, dans un seul instant, bouleverser tous nos rapports... La politique de l'empereur Napoléon est que son influence immédiate ne dépasse pas l'Elbe, et cette politique, il l'a adoptée parce que c'est la seule qui puisse se concilier avec le système d'amitié sincère et constant qu'il veut contracter avec le grand empire du Nord[59]. Que la Saxe conserve donc son antique dynastie et que celle-ci soit appelée également à régner sur le grand-duché de Varsovie, mais que la Prusse se retire définitivement au delà de l'Elbe et reconnaisse dans ce fleuve une infranchissable limite.

Alexandre n'osa plus insister directement, mais fit reprendre la question par ses plénipotentiaires. Pour la première fois, un débat assez sérieux s'éleva entre les représentants respectifs, ceux de Russie réclamant pour la Prusse au moins deux cent mille âmes sur la rive gauche de l'Elbe, demandant aussi que l'on rendit à ce royaume quelques parcelles de ses anciennes possessions en Pologne, afin d'établir une continuité d'États depuis Kœnigsberg jusqu'à Berlin[60]. Sur le premier point, Napoléon demeura inflexible et n'admit à ses exigences qu'un tempérament hypothétique ; il consentit à un article secret où il serait dit que si le Hanovre, à la paix avec l'Angleterre, venait à être réuni au royaume de Westphalie, alors des États sur la rive gauche de l'Elbe, jusqu'à concurrence de quatre cent mille âmes, seraient restitués à la Prusse[61]. Dans le Nord, il ne se refusa pas dès à présent à élargir légèrement les frontières nouvelles de la Prusse, de manière que cet État eût depuis Kœnigsberg jusqu'à Berlin, partout une étendue de plus de cinquante lieues[62]. Cette double et minime concession fut son dernier mot, irrévocablement prononcé dans une note à l'empereur de Russie.

La cour prussienne était tenue au courant par le Tsar de toutes les phases de la négociation. Promptement remise de l'alarme que lui avait causée la demande de la Silésie, elle avait repris un peu de confiance et s'était rattachée obstinément à l'idée de recouvrer quelques possessions sur la rive gauche de l'Elbe, Magdebourg surtout, cette place qui valait une province. Quand la désolante vérité lui fut connue, sa douleur fut extrême et s'accrut d'une déception. Pour comble de disgrâce, elle n'était admise à plaider sa cause que par procuration ; il lui fallait produire ses raisons et ses plaintes par l'intermédiaire d'Alexandre, dont l'obligeance commençait à se lasser. Avec Frédéric-Guillaume, Napoléon évitait toujours de parler affaires, et la tristesse taciturne du Roi semblait de moins en moins propre à faciliter une explication. Vainement le suppliait-on de se surmonter, de témoigner quelque empressement ; il restait sombre et digne, comme s'il eût mieux aimé subir son sort que de solliciter un pardon. Le maréchal de Kalckreuth, il est vrai, continuait à faire officiellement figure de représentant prussien, mais n'avait jamais su soutenir ni même apprécier la situation. Ce vieux soldat d'ancien régime, brave et léger, croyait que la guerre se faisait encore comme au siècle passé, sans haine, avec une modération courtoise, que la défaite était une mésaventure sans trop graves conséquences, que la Prusse, après des revers inouïs, se tirerait de peine en cédant quelques églises catholiques [63]. Napoléon et Talleyrand le laissaient à ses illusions, le payaient de compliments et de politesses ; on causait avec lui, on ne négociait point. Pour suppléer à son insuffisance, le Roi lui avait tardivement adjoint le comte Goltz, avec mission de voir Napoléon et, s'il était possible, de le fléchir ; mais le nouveau plénipotentiaire avait vainement prié Talleyrand et Duroc de lui obtenir une audience ; le ministre et le grand maréchal s'étaient mutuellement renvoyé l'infortuné solliciteur : le 7 juillet, après avoir écrit deux fois à Talleyrand, Goltz attendait encore une réponse, l'Empereur demeurait invisible, et la Prusse se sentait condamnée sans avoir été entendue[64].

Pour sortir à tout prix de cette situation désespérante, l'idée d'une tentative suprême traversa l'esprit des ministres prussiens. Quelque difficile qu'il parut d'approcher Napoléon, l'impérieux vainqueur refuserait-il d'écouter une personne auguste, qui viendrait l'implorer en s'armant d'un charme universellement reconnu ? Depuis quelque temps, la beauté, la grâce célèbre de la reine de Prusse entraient en compte dans les calculs de la diplomatie européenne. Son ascendant sur Alexandre avait contribué, disait-on, à attirer et à retenir ce monarque dans l'alliance prussienne. Avant Iéna, le parti de la guerre s'était abrité derrière le prestige de la reine pour entraîner la nation dans une désastreuse aventure, et c'était alors que Napoléon, déclarant une guerre personnelle à cette princesse, la lui avait faite dans le Moniteur, sans ménagements ni pitié. Aujourd'hui, après d'accablantes douleurs, retirée à Memel, Louise de Prusse suivait de ce morne séjour, avec une tristesse anxieuse, les débats qui devaient décider du sort de son peuple. Quand on lui demanda d'intercéder pour lui, de traiter avec le vainqueur qui avait frappé en elle la souveraine et la femme, elle eut d'abord un mouvement de révolte, puis comprit, se résigna, se déclara prête à l'épreuve qu'on exigeait d'elle. Sa visite à Tilsit fut officiellement annoncée : La belle reine de Prusse, écrivait Napoléon à Joséphine le 6 juillet, doit venir dîner avec moi aujourd'hui[65].

Elle fit son entrée à Tilsit en carrosse de cour et reçut les honneurs militaires. Deux dames l'accompagnaient, les comtesses Voss et Tauenzien. La première, grande maîtresse à la cour pendant cinquante ans, personnifiait l'étiquette : elle offrait de plus le type complet des manières et du goût germaniques ; ses toilettes faisaient mal aux yeux[66]. Malgré l'émotion qui étreignait son cœur, la Reine était divinement belle, avec la grâce un peu languissante de son maintien et l'élégance vaporeuse de sa toilette, en crêpe blanc brodé d'argent, au front un diadème de perles. Elle descendit à l'humble logis du roi Frédéric-Guillaume. Là, ministres, officiers, de s'empresser autour d'elle, chacun de lui prodiguer des avis, des encouragements, chacun de lui faire la leçon : Ah ! de grâce, disait la pauvre femme, laissez-moi un peu de calme, que je rassemble mes idées[67]. — L'Empereur vient, cria-t-on tout à coup. Il arrivait en effet, en grand et bruyant appareil, à cheval, une courte cravache à la main, escorté de ses maréchaux et de tout son état-major ; le roi et les princes s'avançaient pour le recevoir.

La reine est là-haut, dit-il après avoir salué, comme s'il eût voulu marquer par ces paroles que sa visite était uniquement pour elle, et il s'engagea dans l'étroit et incommode escalier menant à l'appartement de la souveraine. Que ne ferait-on pour atteindre un tel but, dit-il galamment quand la reine s'excusa de l'avoir obligé à cette ascension. Elle lui demanda comment il supportait le climat du Nord, puis, de suite, avec une hardiesse émue, aborda l'objet de son voyage, pleura les malheurs de la Prusse, cruellement punie d'avoir provoqué le dieu de la guerre, de s'être laissé aveugler par les souvenirs Glorieux de Frédéric ; elle s'efforçait de donner à la scène un caractère touchant, élevé, pathétique même : on eût dit mademoiselle Duchesnois dans la tragédie[68], a dit irrévérencieusement l'Empereur. Lui, par contre, faisait de son mieux pour ramener l'entretien au ton du badinage ; à cette lutte, il ne fut pas le plus fort, — c'est lui-même qui l'a reconnu. Il complimentait la reine sur sa toilette : Est-ce du crêpe, de la gaze d'Italie ?Parlerons-nous de chiffons, répondit-elle, dans un moment aussi solennel ? Elle resta maîtresse de la conversation, exprima tout ce qu'elle voulait dire, demanda des restitutions en Westphalie, dans le Nord, surtout Magdebourg : Vous demandez beaucoup, finit par dire l'Empereur, mais je vous promets d'y songer. Et il la quitta sur cette parole d'espérance.

La journée ne fut qu'une suite d'attentions à l'adresse de la reine. A tout instant,. de grands personnages, des maréchaux, des princes, arrivaient en messagers à la maison du meunier : c'était Bessières apportant la grâce d'un prisonnier ; c'était Berthier qui venait à l'heure du dîner chercher la reine et la conduire chez son maitre. A table, elle fut placée entre les deux empereurs, à la droite de Napoléon, qui avait lui-même le roi de Prusse à sa gauche. Se tournant parfois vers ce monarque, le vainqueur lui adressait d'assez mauvaise grâce quelques consolations, repoussées avec dignité, puis, revenant à la reine, entamait avec elle d'amicales disputes : Savez-vous que mes hussards ont été sur le point de vous prendre ?J'ai peine à le croire, Sire, puisque je n'ai pas vu de Français. — Mais pourquoi vous exposer ainsi ? Que ne m'attendiez-vous à Weimar !Vraiment, Sire, je n'en avais aucune envie.

Au reste, Napoléon demeurait d'une politesse raffinée et continuait de suivre son système ; à défaut de concessions, il ne ménageait pas à la reine les prévenances, la payait de menus soins ; il lui offrit une rose au lieu de Magdebourg. Après le dîner, il poursuivit longuement la conversation et jugea tout à fait la reine femme d'esprit, de tête, d'une grande séduction. Parfaitement sûr de lui, certain qu'il ne se laisserait jamais gagner par cette impression, il ne résista pas à s'y abandonner. S'il mit un soin extrême à éviter toute parole qui pût lui être opposée comme un engagement, s'il ne promit rien, ses amabilités, qui permettaient de tout espérer, encouragèrent la reine à continuer, à redoubler ses frais, et de la sorte il se mit mieux à même de goûter les agréments de cette rencontre avec une femme belle, distinguée par l'esprit, attentive à lui plaire. En un mot, il se montra sous le charme et laissa la reine, qui avait déployé toute la puissance de ses attraits sans rien abdiquer de sa dignité, partir en croyant qu'elle avait cause gagnée. Puis, quand elle se fut retirée, l'impitoyable politique se retrouva tout entier : il manda tranquillement Talleyrand, exprima la volonté d'en finir, ordonna que le traité fût signé au plus vite, sans aucun adoucissement, ce qui ne l'empêchait point de se montrer enchanté de la reine et de rendre sur son compte le meilleur témoignage : La reine de Prusse est réellement charmante, écrivait-il à Joséphine ; elle est pleine de coquetterie pour moi, mais n'en sois point jalouse : je suis une toile cirée sur laquelle tout cela ne fait que glisser. Il m'en coûterait trop cher pour faire le galant[69].

La pauvre reine était rentrée tout heureuse : Venez, venez, disait-elle à ses dames, que je vous raconte. Elle croyait si bien au bon effet de sa présence, qu'elle se déclarait prête à la prolonger. Si on le juge nécessaire, disait-elle, je m'établirai tout à fait à Tilsit. Elle revint pendant la nuit à Pictupœhnen, où ses récits jetèrent la joie, mais il avait été convenu qu'elle retournerait le lendemain à la ville, Napoléon ayant réitéré son invitation. Le lendemain, on allait partir, les équipages étaient avancés, on n'attendait plus que la reine, qui achevait de se parer, lorsqu'elle parut enfin, en costume splendide et théâtral, rouge et or, un turban de mousseline posé sur ses cheveux, mais les yeux rougis de larmes, le visage décomposé : un billet du roi, qui était demeuré à Tilsit, venait d'anéantir toutes ses espérances : Les dispositions, disait l'infortuné monarque, sont bien changées, et les conditions effrayantes. Le comte Goltz arrivait au même instant ; l'Empereur l'avait enfin reçu dans la matinée, mais s'était montré inexorable, avait laissé entendre que son langage à la reine n'avait été que phrases de politesse, que la maison de Prusse devait s'estimer heureuse de recouvrer une couronne, alors qu'elle avait failli tout perdre et ne devait son salut qu'à l'intercession d'Alexandre ; après quoi il avait renvoyé Goltz à Talleyrand, et celui-ci, tirant de son portefeuille un projet de traité tout préparé, laissant à peine au ministre prussien le temps d'en prendre connaissance, le lui avait présenté comme un acte qu'il s'agissait de signer et non plus de discuter. L'Empereur, avait ajouté le prince de Bénévent, voulait reprendre prochainement le chemin de ses États, et son intention était qu'en deux jours tout fût terminé.

Révoltée de cet arrêt, la reine dut cependant revenir à Tilsit ; il fallut qu'elle subit à nouveau les compliments de Berthier, les politesses de Talleyrand, qu'elle reprit sa place à table aux côtés de l'homme qu'elle haïssait. Lui se remit à causer chiffons : — Comment donc, la reine de Prusse porte un turban ? Ce n'est pas pour faire la cour à l'empereur de Russie, qui est en guerre avec les Turcs ?C'est plutôt, je crois, répondit Louise, pour faire ma cour à Roustam. Et elle regardait le mamelouk de l'Empereur, droit derrière le siège de son maitre[70]. La soirée fut pour elle un supplice, avec la contrainte et les derniers efforts de séduction qu'elle dut s'imposer, quand son cœur débordait d'amertume. Par moments, elle ne fut pas maîtresse de ses sentiments. Le prince Murat s'empressait fort autour d'elle : A quoi, disait-il, se distrait Votre Majesté à Memel ?A lire. — Que lit Votre Majesté ?L'histoire du passé. — Mais l'époque présente offre aussi des actions dignes de mémoire. — C'est déjà trop pour moi que d'y vivre[71]. Napoléon a raconté qu'au moment du départ, lorsqu'il descendait pour reconduire la reine, elle lui avait dit d'un ton sentimental et pénétré : Est-il possible qu'ayant eu le bonheur de voir d'aussi près l'homme du siècle et de l'histoire, il ne me laisse pas la liberté et la satisfaction de pouvoir l'assurer qu'il m'a attachée pour la vie... — Madame, je suis à plaindre, répondit-il gravement, c'est un effet de ma mauvaise étoile[72]. Un récit prussien affirme que la reine se serait exprimée plus vivement : Sire, eût-elle dit, vous m'avez cruellement trompée, et un sourire satanique eût été la seule réponse à ce reproche. Il est certain que devant Duroc, qui la mit en voiture et la visita le lendemain, elle ne ménagea pas les expressions de son ressentiment. Elle se plaignit aussi à Alexandre d'avoir été victime d'un manque de foi, mais fut dans l'impossibilité de rappeler aucune parole positive de l'Empereur. Son erreur, commune à plusieurs de ses émules en grâce et en beauté, avait été de croire que de passagers hommages rendus à ses charmes répondaient à une impression irrésistible et profonde, emportaient soumission à son empire. Brusquement détrompée, elle se crut trahie, partit ulcérée, mesurant enfin toute l'étendue de son infortune, emportant l'inguérissable blessure dont elle devait mourir : Si l'on ouvrait mon cœur, disait-elle en s'appropriant un mot de Marie Tudor, on y lirait le nom de Magdebourg.

Le traité avec la Prusse fut signé le 9 juillet et ratifié le 12, après quelques discussions de détail, sans qu'aucune des clauses principales eût été modifiée. Frédéric-Guillaume perdait un tiers de ses États, tout ce qu'il avait possédé dans l'Allemagne occidentale et en Pologne ; il s'engageait à fermer ses ports nu commerce de l'Angleterre ; de plus, par un article séparé, il promettait, au 1er décembre 1807, de déclarer la guerre à cette puissance, si elle n'avait pas consenti antérieurement à signer avec nous une paix conforme aux vrais principes du droit maritime[73] ; la Prusse vaincue abdiquait toute liberté d'action et s'enchaînait au vainqueur.

Au prix de cette soumission, Frédéric-Guillaume rentrerait-il au moins à bref délai en jouissance de ses États amoindris ? A cet égard, les articles du traité semblaient formels ; mais Napoléon n'en avait point fini avec la Prusse, et lui ménageait un surcroît d'infortune. Le 12 juillet, une convention fut signée à Kœnigsberg entre le prince de Neufchâtel et le maréchal de Kalckreuth pour l'évacuation des États prussiens. Nos troupes devaient se retirer graduellement, par échelons, à des époques convenues ; seulement, l'article 4 stipulait que cette clause ne recevrait son exécution que dans le cas où les contributions frappées sur le pays auraient été acquittées[74] ; c'était subordonner la libération de la Prusse au payement d'une dette dont le montant non spécifié pourrait dépasser ses ressources, dont la liquidation exigerait de longs délais et risquait de soulever d'interminables difficultés. Par ce moyen, Napoléon se réservait de différer indéfiniment l'évacuation, de prolonger le supplice de la Prusse, de lui arracher peut-être de nouveaux sacrifices, de poursuivre ses conquêtes en pleine paix. Combiné avec la convention du 12 juillet, le traité du 9 devenait un chef-d'œuvre de destruction[75], et le corollaire donné à l'acte principal en rendait les stipulations purement éventuelles dans ce qu'elles avaient de favorable à la Prusse.

Pour cet État, l'unique espoir de recouvrer promptement et intégralement les provinces non cédées résidait dans la garantie de la Russie. L'article 4 du traité de paix convenu entre les deux empereurs mentionnait les restitutions promises à la Prusse et ajoutait que Napoléon renonçait à garder cette part de ses conquêtes par égard pour Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies[76]. S'armant de cette clause, Alexandre pourrait réclamer l'affranchissement de la Prusse comme l'exécution d'un engagement contracté envers la Russie. Napoléon, il est vrai, n'avait épargné aucun effort pour séparer définitivement et brouiller les deux puissances. Il avait offert à Alexandre une part des dépouilles de la Prusse. Non content de lui faire accepter le district de Bialystock, en Pologne, qui devait changer de maitre dans tous les cas, il avait été, alléguant le principe des frontières naturelles, jusqu'à le presser de prendre Memel avec la bande de territoire que la maison de Brandebourg possédait au delà du Niémen, et le Tsar avait dit repousser plusieurs fois ce cadeau presque offensant, tant il ménageait peu sa délicatesse. Malgré ce refus, comme Alexandre, après avoir appuyé de son mieux les doléances de la Prusse, affectait maintenant de se montrer dégagé vis-à-vis d'elle, Napoléon espérait qu'on ne le rappellerait pas trop tôt à l'exécution du traité : néanmoins l'article 4 autorisait une intervention de la Russie, qui risquait de créer entre les alliés de Tilsit, si elle venait à se produire, un premier dissentiment.

Là n'était pourtant que le moindre danger des stipulations qui avaient paru régler du Rhin à la Vistule la forme des États et la répartition des territoires. Il se pouvait qu'Alexandre soutint encore la Prusse par point d'honneur, par remords, par intérêt aussi, mais c'était sur le duché de Varsovie que se concentrerait plutôt sa défiante attention. Vainement Napoléon avait-il imposé à cet État des limites étroites et un nom qui ne renfermait ni souvenirs ni promesses ; vainement avait-il évité de le placer sous sa dépendance directe ; vainement en avait-il détaché certaines parcelles pour rectifier avantageusement les frontières de la Russie ; il était difficile que cette puissance ne reconnut point à bref délai dans le duché l'embryon d'une Pologne renaissante, destinée à se reformer contre elle, à se redresser vengeresse, à redemander ses provinces. A Tilsit, il semble qu'Alexandre ait écarté cette crainte : il avait attesté sa foi dans la loyauté de son allié en proposant de confier à un prince français le sort du grand-duché ; néanmoins, pour dissiper cette confiance, affectée ou réelle, il suffirait d'un incident, d'une imprudence, d'un avantage conféré ou promis aux Polonais en dehors de ceux que le traité leur avait parcimonieusement mesurés. Or, était-il au pouvoir de Napoléon lui-même d'arrêter et de circonscrire l'expansion d'une force qu'il aurait probablement à utiliser ? Sans doute, si la paix générale, succédant de près au pacte entre les deux empereurs, venait immobiliser les États dans leur forme et leurs limites présentes, rendre la fixité à l'Europe agitée depuis quinze ans d'un mouvement furieux, solidifier, pour ainsi dire, cette masse en fusion, la Russie continuerait peut-être à envisager avec quelque sécurité sa frontière de l'Ouest, où elle n'apercevrait qu'une Pologne incomplète, défigurée, entravée dans son développement. Mais la paix maritime pouvait tarder : en ce cas, tout resterait instable et mouvant ; l'Angleterre continuerait à troubler l'Europe, chercherait et réussirait à y provoquer de nouvelles prises d'armes ; pour les prévenir ou les punir, Napoléon serait entraîné à opérer de plus profonds bouleversements : les frontières continueraient à se modifier, à se déplacer sans cesse, et, dans ce perpétuel remaniement du monde, la principauté de Varsovie trouverait motif et matière à s'accroître. On la verrait exercer un pouvoir d'attraction sur les éléments de même race qui l'entouraient ; elle rendrait à Napoléon des services qu'il faudrait payer ; l'Empereur ne saurait décourager totalement les espérances d'un peuple dont la bravoure resterait un instrument à son service, et, sans vouloir le rétablissement de la Pologne, il se donnerait les airs de le préparer. A partir de cet instant, c'en serait fait de la confiance affirmée à Tilsit, et le Tsar ne reconnaîtrait plus un ami dans le protecteur de ces Polonais qui se montreraient à lui comme l'avant-garde de l'invasion. Inutile donc de chercher ailleurs qu'à Varsovie la cause principale de mésintelligence qui risquait de remettre aux prises la France et la Russie, malgré l'intimité actuelle de leurs rapports. Dès 1807, la Pologne nous la montre, latente encore, mais destinée tôt ou tard à se manifester : en créant le grand-duché, conception défensive dans l'esprit de l'Empereur, mais appelée presque inévitablement à prendre un aspect offensif, le traité de Tilsit avait introduit dans l'alliance franco-russe un germe de mort et posé le principe de sa propre destruction.

 

IV

Les articles concernant l'Angleterre et la Turquie furent établis de manière à présenter une visible corrélation. L'action de l'un et l'autre empereur, pacifique ou guerrière suivant les cas, s'exercerait parallèlement sur des terrains différents, chacun d'eux agissant au profit de son allié, et les services que la Russie nous rendrait contre l'Angleterre auraient pour pendant les secours que nous aurions à lui prêter en Orient, à cette différence près qu'Alexandre contractait de positifs engagements et que Napoléon n'en prenait que d'éventuels.

Tout d'abord, Alexandre s'oblige à offrir au cabinet de Londres sa médiation pour le rétablissement de la paix entre la France et l'Angleterre : il emploiera tous ses soins à procurer cette œuvre désirable. Si l'Angleterre consent à conclure la paix, en reconnaissant que les pavillons de toutes les puissances doivent jouir d'une égale et parfaite indépendance sur les mers[77], en rendant toutes les conquêtes faites sur la France ou ses alliés depuis 1805, — il s'agit des colonies françaises, espagnoles et hollandaises, — Napoléon lui restituera le Hanovre. Au Ier novembre 1807, si l'Angleterre n'a point accepté la médiation de la Russie ou si, l'ayant acceptée, elle n'a point consenti à traiter sur les bases précitées, le cabinet de Pétersbourg lui adressera une dernière sommation ; au 1er décembre, si cette mise en demeure n'a point produit d'effet, l'ambassadeur russe prendra ses passeports et la guerre commencera.

A ce moment, l'alliance franco-russe déploiera l'irrésistible puissance de ses moyens. Non contents d'employer toutes leurs forces contre l'ennemi commun, les deux empereurs obligeront l'Europe entière de s'associer à leur cause ; ils n'admettront plus de neutres sur le continent, puisque la Grande-Bretagne n'en reconnaît point sur les mers. Jusqu'à présent, une grande puissance, l'Autriche, et trois États de second ordre, mais avantageusement situés pour la lutte maritime, la Suède, le Danemark et le Portugal, sont demeurés neutres ou fidèles à l'Anglais. Les cours de Stockholm, de Copenhague et de Lisbonne seront sommées d'avoir à fermer leurs ports au commerce insulaire, à rappeler de Londres leur ambassadeur, à déclarer la guerre : sur leur refus, on procédera immédiatement contre elles par voie de mesures coercitives. La Suède, dont le roi affiche envers Napoléon une hostilité poussée jusqu'à la manie et dont les possessions de Finlande offrent à l'ambition d'Alexandre une proie tentante, sera traitée avec une particulière rigueur : non seulement la Russie et la France feront marcher contre elle, mais le Danemark sera contraint de l'attaquer. Quant à l'Autriche, pour l'entraîner dans la querelle commune, on n'ira pas jusqu'à lui faire la guerre, on se contentera d'insister avec force. Usant tour à tour de pression matérielle et morale, Napoléon et Alexandre n'épargneront rien pour organiser contre l'Angleterre la ligue européenne, et feront en sorte que leur alliance se transforme en coalition[78].

Durant la période antérieure à ces mesures extrêmes, tandis que le cabinet de Pétersbourg s'efforcera d'amener l'Angleterre à une transaction, Napoléon s'emploiera pareillement à procurer la paix entre la Russie et la Porte. Il offre sa médiation au Tsar, qui l'accepte, et la proposera aux Ottomans. Par ses soins, un armistice sera conclu sur le Danube, et la condition principale en est dès à présent spécifiée, la Russie devant évacuer les Principautés sans que les troupes du Sultan soient admises à y rentrer. Toutefois, si l'Empereur avait tenu à ce que cette clause figurât dans le traité patent, afin de ménager l'amour-propre des Turcs et de garder leur confiance, il avait laissé entendre de vive voix à Alexandre qu'il n'attachait pas un très grand prix à son exécution et n'insisterait pas avec force sur le retrait des troupes moscovites[79].

Après suspension des hostilités, les négociations pour la paix se poursuivront dans un lieu à désigner, et la France, présidant au débat, aura pour tâche de concilier les prétentions respectives. Cependant, si, par une suite des changements qui viennent de se faire à Constantinople, la Porte n'acceptait point la médiation de la France, ou si, après qu'elle l'aura acceptée, il arrivait que dans le délai de trois mois après l'ouverture des négociations, elles n'eussent pas conduit à un résultat satisfaisant, la France fera cause commune avec la Russie contre la Porte Ottomane, et les deux hautes parties contractantes s'entendront pour soustraire toutes les provinces de l'empire ottoman en Europe, la ville de Constantinople et la province de Roumélie exceptées, au joug et aux vexations des Turcs[80].

On le voit, le partage de l'empire ottoman demeurait subordonné à l'issue d'une négociation que la France, par sa qualité de médiatrice, appuyée de son redoutable prestige, serait à même de diriger, d'accélérer ou de prolonger, de rompre ou de faire aboutir. Par cette réserve, Napoléon se gardait la faculté de discuter, de graduer, de doser ses concessions à la Russie suivant les services qu'il aurait à réclamer d'elle, suivant les nécessités de la lutte avec l'Angleterre. Au lieu de faire opérer à sa politique orientale une brusque évolution il se mettait simplement en mesure de la modifier, si les circonstances l'y obligeaient, et se donnait plusieurs mois pour prendre un parti. Par suite, il est vrai, l'empereur Alexandre a affirmé que Napoléon, dans les entretiens de Tilsit, était allé plus loin et avait fait à la Russie la promesse ferme d'un agrandissement sur le Danube. Mais il est à remarquer que cette interprétation ne fut donnée aux paroles impériales pie près de quatre mois après l'entrevue, lorsque Alexandre eut vu plus clair dans ses propres ambitions, senti grandir et se fixer ses convoitises. A supposer cependant que Napoléon ait laissé se créer un malentendu favorable à sa politique, il s'était muni, pour le dissiper au besoin, d'un argument difficile à réfuter et qui n'était autre que le texte même du traité, l'instrument écrit, appelé seul à faire foi entre les deux empereurs. Aux revendications intempestives ou prématurées d'Alexandre, il pourrait toujours répondre, comme il devait le faire un jour : On me répète que je ne suis plus sur l'air de Tilsit ; je ne connais que l'air noté, c'est-à-dire la lettre du traité[81].

Remarquons enfin que les conditions du partage, pour le cas où il aurait lieu, étaient mal déterminées. Le point seul de Constantinople était formellement mis hors de cause ; le terme de Roumélie, employé pour désigner les contrées qui seraient laissées à la Porte avec sa capitale, était singulièrement élastique ; on pouvait le restreindre aux territoires groupés immédiatement autour de Constantinople, l'étendre à toutes les provinces centrales de la Turquie européenne, désignées dans le vocabulaire ottoman sous le nom de Roumélie. D'autre part, le traité ne défendait point que le partage comprit certaines positions insulaires : un article spécifiait que les Bourbons de Naples, si la paix générale leur enlevait la Sicile, recevraient une indemnité telle que les îles Baléares ou l'ile de Candie ou toute autre de même valeur[82]. Dès à présent, Napoléon s'adjugeait une précieuse parcelle de l'Orient maritime, la rade de Cattaro et les Sept Iles[83] : il pourrait en faire un acheminement à de plus vastes acquisitions, s'il lui fallait lutter et conquérir encore, y trouver un objet d'échange et de compensation dans ses débats avec l'Angleterre, si cette puissance ne refusait plus de procurer à l'humanité le bienfait de la paix[84].

Toutes les dispositions concertées entre les deux empereurs furent réparties dans trois actes : le traité de paix, destiné à être immédiatement publié, des articles séparés et réservés, enfin un traité d'alliance secret. Ces actes se complétaient et s'éclairaient mutuellement : de leur ensemble ressortait le système adopté par les deux empereurs pour régler en commun les affaires du monde. Indépendamment de la double action prévue tant à l'égard de l'Angleterre que de la Turquie, le traité secret stipulait une alliance générale, offensive et défensive : Sa Majesté l'empereur des Français, roi d'Italie, et Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies s'engagent à faire cause commune, soit par terre, soit par mer, soit enfin par terre et par mer, dans toute guerre que la France et la Russie seraient dans la nécessité d'entreprendre ou de soutenir contre toute puissance européenne. Le cas de l'alliance survenant et chaque fois qu'il surviendra, les hautes parties contractantes régleront par une convention spéciale les forces que chacune d'elles devra employer contre l'ennemi commun et les points où ces forces devront agir ; mais, dès à présent, elles s'engagent à employer, si les circonstances l'exigent, la totalité de leurs forces de terre et de mer[85].

Les traités furent signés le 7 juillet et ratifiés le 9. Malgré le vague de certains articles, Alexandre se montrait parfaitement heureux, tout entier à la joie des avantages entrevus ; à mesure que la réunion approchait de son ternie, l'amitié des deux empereurs devenait plus démonstrative encore, et ils voulaient que leur satisfaction se communiquât autour d'eux. Il y eut distribution et échange de décorations, convenus à l'avance entre les souverains : Alexandre avait dressé de sa main la liste des nouveaux grands aigles de la Légion d'honneur, ce furent le grand-duc Constantin, les princes Kourakine et Lobanof, le baron de Budberg. Le nouveau roi de Westphalie, le grand-duc de Berg, les princes de Neufchâtel et de Bénévent reçurent le cordon de Saint-André. De part et d'autre, les principaux chefs, les officiers renommés furent complimentés en termes flatteurs ; les troupes mêmes ne furent pas oubliées, et l'on voulut que la réconciliation des armées servit de symbole â celle des peuples. Entre la garde impériale française et le bataillon des Préobajenski, établis côte à côte dans Tilsit, les meilleurs rapports existaient. Quand les deux troupes durent fraterniser solennellement et par ordre, leur réunion se fit d'un élan naturel. Un jour, des tables se dressèrent sur les promenades de Tilsit, sous des berceaux de verdure : un festin plantureux fut servi aux soldats des deux gardes : Napoléon avait fait venir de Varsovie, de Dantzig, de plus loin encore, des vivres et du vin. Le soir, la gaieté pétulante de nos Français triompha de l'ivresse morne des soldats du Nord ; échangeant leurs coiffures, leurs signes distinctifs, travestis et confondus, ils défilèrent joyeusement devant une fenêtre où se tenaient les empereurs, et la nuit se prolongea en jeux bruyants, avec accompagnement d'une canonnade effrénée[86].

Le 8 juillet, Napoléon fit à Alexandre sa visite d'adieu. Après avoir causé longtemps, les deux empereurs descendirent ensemble. Devant la maison, le bataillon des Préobajenski était sous les armes et rendait les honneurs ; c'est alors que Napoléon demanda au Tsar la permission de décorer le premier grenadier de Russie. On fit sortir des rangs un vieux brave du nom de Lazaref. L'Empereur portait sur son uniforme la croix de la Légion d'honneur, mais le matin, prévoyant et ménageant un effet, il avait recommandé qu'on ne la fixât pas trop solidement[87]. Il la détacha, la mit sur la poitrine de Lazaref, et le vieux soldat, à la russe, lui baisa la main, puis le pan de son habit, tandis que partait des rangs une grande acclamation.

Le lendemain, les empereurs se séparèrent et Alexandre repassa Je Niémen. Tandis que l'embarcation s'éloignait, Napoléon, resté sur la rive, faisait de la main à son allié des signes d'amitié et d'au revoir. A dix heures du soir, il partit lui-même pour Kœnigsberg, après avoir expédié les ordres qui devaient accélérer la remise des fies Ioniennes entre nos mains et l'armistice avec la Turquie.

Les scènes de Tilsit, grand spectacle de réconciliation et d'apaisement, produisirent sur tous ceux qui en furent témoins une impression ineffaçable, d'autant plus forte qu'elle fut presque unique dans ce temps de luttes et d'orages. En France, la joie de la paix fut plus vive encore que l'orgueil du triomphe. Subitement, le ciel parut s'être rasséréné ; après avoir cru à l'éternelle durée des guerres, on entrevit un avenir plus doux, et l'on jugea que l'Empereur, scellant l'œuvre de ses victoires par une entente avec le puissant monarque du Nord, marquait enfin la volonté et le pouvoir de s'arrêter. Illusion que ne saurait partager l'histoire ! Tant que durait la guerre maritime, source lointaine et parfois invisible d'où découlaient toutes les autres, il était dans la destinée de l'Empereur de ne s'allier que pour combattre et de pousser sans relâche dans la carrière des conquêtes. Si nos ennemis du continent étaient une fois de plus vaincus et dispersés, l'Angleterre restait là pour leur offrir un point de refuge et de ralliement, pour solder la révolte, encourager la défection, et aussi longtemps que cette tête de la coalition resterait intacte, les membres dispersés tendraient toujours à se rapprocher et à se rejoindre. La Prusse morcelée, l'Autriche humiliée, tant d'États frappés, soumis, contraints, ne se résigneraient pas à leur sort ; nos vassaux sentiraient la tentation d'échapper à une lourde tutelle, nos amis resteraient incertains, et l'on a vu que l'alliance russe elle-même ne pourrait que difficilement résister à la prolongation de la crise générale. Tilsit n'avait point fixé le sort du monde, il n'avait même pas fixé l'alliance avec la Russie. Si les deux monarques s'étaient juré amitié, concours réciproque, inaltérable confiance, s'ils avaient abordé dans un esprit d'union les graves problèmes qui les avaient divisés jusqu'à ce jour, ils n'en avaient, à vrai dire, résolu aucun : la question de la Prusse n'était fermée qu'en apparence, celle de Pologne subsistait grosse de périls ; pour l'Orient, le traité avait fait naître l'espoir plutôt que la certitude d'une solution ; dès qu'il s'agirait de mieux préciser les intérêts respectifs, tels que les avaient engagés les rivalités du passé et surtout les nécessités de la dernière lutte, on risquait de les retrouver hostiles et dissidents. Ce nuage sur l'avenir n'échappait point à Napoléon : il sentait que l'Angleterre disposait encore de mille moyens pour ruiner l'édifice fragile de ses alliances ; qu'il suffirait à cette ennemie de prolonger une résistance passive, de ne point céder, pour retrouver des auxiliaires, des complices ; qu'il fallait la poursuivre sans trêve, l'abattre sans retard, sous peine de lui voir remettre en question les résultats glorieusement acquis ; que la France ne pouvait attendre la paix, mais devait la conquérir. Aussi, profitant de la ferveur première d'Alexandre, avait-il organisé à Tilsit le plus formidable système de guerre qu'il eût encore imaginé pour avoir raison de la ténacité britannique. Mais ce système portait en lui d'immenses périls : entraînant l'Empereur à un redoublement de rigueurs, à exaspérer les vaincus, à violenter les neutres, il rendrait de nouvelles armes à l'Angleterre et, poussant l'oppression jusqu'à ses dernières limites, devait justifier et préparer contre nous l'insurrection générale. Néanmoins, Napoléon quittait Alexandre avec espoir et satisfait de son œuvre ; pour la première fois, il avait contracté une grande alliance, trouvé un second dans la lutte qu'il menait contre l'insolente nation ; avec cette aide, dût-elle n'être que passagère, il comptait tout entreprendre et se flattait de tout accomplir. Pourvu qu'Alexandre lui restât momentanément fidèle, que le charme ne se rompît pas trop tôt, que le Tsar continuât de suivre à Pétersbourg l'impulsion donnée à Tilsit, Napoléon se promettait de courber promptement l'Angleterre ou de la briser : La paix générale est à Pétersbourg, disait-il après l'entrevue, les affaires du monde sont là[88]. La réconciliation avec lai Russie n'assurait point l'universel repos, mais l'alliance pouvait le procurer : si Tilsit ne finissait rien, Napoléon y voyait le moyen de tout terminer.

 

 

 



[1] Budberg à Soltykof, 16-28 juin 1807. Archives de Saint-Pétersbourg.

[2] TATISTCHEFF, Nouvelle Revue du 1er juin 1890.

[3] TATISTCHEFF, Nouvelle Revue du 1er juin 1890.

[4] LAMARTINE, Histoire de Russie, II, 143.

[5] Le comte Roumiantsof. Archives de Saint-Pétersbourg.

[6] Rapport de Savary du 6 août 1807.

[7] Mémoires de Hardenberg, III, 475.

[8] Correspondance, 12825.

[9] Rapports de Savary du 9 octobre 1807.

[10] Le chargé d'affaires Lesseps au ministre des relations extérieures, 19 août 1807.

[11] Conversation d'Alexandre avec le major de Schœler, émissaire du roi de Prusse, publiée par HASSEL, Geschichte der Preussischen Politik, 1807 bis 1815, I, 400.

[12] Le général de Caulaincourt.

[13] Conversation avec Schœler, HASSEL, 390.

[14] Conversation avec Schœler, HASSEL, 386.

[15] Conversation avec Schœler, HASSEL, 385.

[16] Réminiscences sur Napoléon Ier et Alexandre Ier, par la comtesse de CHOISEUL-GOUFFIER, p. 11.

[17] Dans une note autographe sur les instructions à donner au nouvel ambassadeur de Russie à Paris, le comte Pierre Tolstoï, Alexandre écrivait : Il faut dire entre autres choses que, la paix de Tilsit ayant délivré la Russie du danger dont la menaçait son ennemi le plus dangereux, la politique exige que nous cherchions à tirer le meilleur parti possible de ce nouvel état de choses, et que c'est en cherchant à resserrer les liens qui unissent les deux empires qu'on peut se flatter de tourner à notre avantage les rapports nouvellement établis entre la Russie et la France. Archives de Saint-Pétersbourg.

[18] HARDENBERG, III, 465-466, 480.

[19] LAMARTINE, Histoire de Russie, II, 143.

[20] Mémoires de Roustam, Revue rétrospective, n° 8-9.

[21] Budberg à Soltykof, lettre citée p. 57.

[22] Budberg à Soltykof, lettre citée p. 57.

[23] HARDENBERG, III, 461-463.

[24] Mémoires du prince Adam Czartoryski, I, 109.

[25] Mémoires du duc de Padoue, I, 118.

[26] Archives des affaires étrangères, Russie, 1810.

[27] Rapport de Savary du 4 novembre 1807.

[28] Champapny à Caulaincourt, 9 mars 1808.

[29] Mémorial, 10-12 mars 1816.

[30] HARDENBERG, III, 404.

[31] Lettre du comte Roumiantsof rappelant les paroles de Napoléon à Tilsit, 26 novembre 1807. Archives de Saint-Pétersbourg.

[32] Il faisait écrire le 8 juillet à Marmont, commandant l'armée de Dalmatie, d'examiner quelles ressources offriraient les provinces occidentales de la Turquie pour une puissance européenne qui posséderait ces pays, et de rédiger un mémoire sur les moyens de s'en emparer. Voyages du duc de Raguse, II, 389.

[33] Correspondance, 12886.

[34] Voyez à l'Appendice, sous le chiffre I, les instructions de Caulaincourt.

[35] Instructions au comte Tolstoï. Dans sa note pour la rédaction de cette pièce, Alexandre exprime l'idée qu'au lieu d'offrir à Napoléon la Bosnie et l'Albanie, ce qui eût été provoquer le partage, il convient de lui rappeler seulement qu'au cas où il voudrait exécuter cette opération, il serait de son intérêt que la Russie restât dès à présent en possession des Principautés. Archives de Saint-Pétersbourg.

[36] HARDENBERG, III, 488.

[37] Archives des affaires étrangères, Prusse, 240.

[38] HARDENBERG, III, 490.

[39] HARDENBERG, III, 480.

[40] Mémorial, 16 juin 1816.

[41] Le chargé d'affaires Lesseps au ministre des relations extérieures, 22 août 1807.

[42] Mémorial, 16 juin 1816.

[43] Mémorial, 16 juin 1816.

[44] Mémoires de Roustam, loc. cit.

[45] Mémoires de la comtesse Edling, 85.

[46] Mémoires de la comtesse Edling, 86.

[47] Paroles rappelées par Alexandre dans ses conversations avec Caulaincourt : correspondance de cet ambassadeur, 1807-1808, passim.

[48] Mémorial, 10-12 mars 1816.

[49] Rapport de Caulaincourt du 30 avril 1808.

[50] Paroles rappelées au chargé d'affaires Lesseps ; lettre de ce dernier en date du 23 août 1807.

[51] Cet enfant devait devenir l'empereur Napoléon III.

[52] Rapport de Caulaincourt du 21 mai 1808.

[53] Les notes de Napoléon figurent, les unes dans la Correspondance, les autres dans le recueil de pièces joint aux Mémoires de Hardenberg ; les réponses d'Alexandre ont été publiées pour la plupart par M. DE TATISTCHEFF, Nouvelle Revue, 1er juin 1890.

[54] DE CLERCQ, Recueil des traités de la France, II, 211.

[55] HARDENBERG, III, 492.

[56] HARDENBERG, III, 494.

[57] Correspondance, 12846, 12849. HARDENBERG, III, 498.

[58] Quel eût été ce mariage dont il fut question entre les deux empereurs ? La note d'Alexandre ne nous est p6int parvenue, et Napoléon, dans sa réponse, ne s'exprime pas clairement. Il s'agissait, nous semble-t-il, d'unir le prince Jérôme à la fille ainée du roi de Saxe : toutefois, l'insuffisance des documents ne nous permet point de rien affirmer. Voyez le n° 12849 de la Correspondance.

[59] Correspondance, 12849.

[60] Correspondance, 12863.

[61] Correspondance, 12863.

[62] Correspondance, 12863.

[63] HARDENBERG, III, 453.

[64] Les lettres de Goltz figurent aux archives des affaires étrangères, Prusse, 240.

[65] Correspondance, 12861. La plupart des citations qui suivent sont empruntées à l'ouvrage allemand de M. ADAMI, Louise de Prusse. Cet auteur s'est servi de deux relations émanées de personnes attachées à la cour, 243-257. Voyez aussi les Souvenirs de la comtesse Voss, 305-309. Nous indiquons au fur et à mesure les sources françaises.

[66] Archives nationales, AF, IV, 1691. Lettres interceptées.

[67] ADAMI, 253.

[68] Mémorial, 16 juin 1816.

[69] Correspondance, 12875.

[70] Roustam s'est bien gardé d'omettre cette anecdote dans ses Mémoires. Cf. ADAMI, 256.

[71] Archives nationales, AF, IV, 1691.

[72] Mémorial, loc. cit.

[73] DE CLERCQ, II, 223.

[74] DE CLERCQ, II, 224.

[75] C'est l'expression que Pozzo di Borgo applique au traité que la Prusse, acharnée à sa vengeance, voulut nous infliger en 1815 et dont nous préserva en partie l'empereur Alexandre. Correspondance diplomatique du comte Pozzo di Borgo, 207.

[76] DE CLERCQ, II, 208.

[77] DE CLERCQ, II, 214.

[78] Articles 4 à 6 du traité secret.

[79] Cette sorte d'engagement verbal est rappelé dans les instructions d'Alexandre Ier à son ambassadeur Tolstoï. Archives de Saint-Pétersbourg.

[80] DE CLERCQ, II, 214.

[81] Champagny à Caulaincourt, 2 avril 1808.

[82] DE CLERCQ, II, 213.

[83] La note par laquelle Napoléon réclamait Cattaro et les îles Ioniennes a été publiée dans les Mémoires de Hardenberg, V, 528-30.

[84] Expression de l'art. 4, du traité secret.

[85] Le traité patent a été publié par M. DE CLERCQ, II, 207-212 ; le même auteur n'a pu qu'analyser partiellement les articles séparés et le traité secret. Ce dernier acte a été publié, d'après la minute parafée par les plénipotentiaires et conservée dans nos archives diplomatiques, par M. Fournier : Napoléon Ier, Leipsick et Prague, 1888, II, 250-52. Il a été réédité, d'après l'instrument officiel conservé aux archives de Saint-Pétersbourg, par M. de TATISTCHEFF, Nouvelle Revue, 1er juin 1890. Nous croyons devoir reproduire en appendice, sous le chiffre I, les trois actes, afin de présenter pour la première fois dans leur ensemble les stipulations intervenues à Tilsit entre la France et la Russie.

[86] Mémoires de Roustam, Revue rétrospective, 8-9.

[87] Mémoires de Roustam, Revue rétrospective, 8-9.

[88] Documents inédits.