L'AVÈNEMENT DE BONAPARTE

LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE - 1800

 

CHAPITRE XI. — LE DÉPART DU PREMIER CONSUL.

 

 

I

L'imminence d'une nouvelle campagne remit eu branle tous les ennemis de Bonaparte. Fouché au fond n'avait pas tort, car le péril se reformait surtout à droite. Les Jacobins de la rue pouvaient rêver d'assassinat, méditer des complots que la police connaissait par le moyen de faux frères ; sans chefs, sans argent, honnis de la population, ils étaient hors d'état de susciter des troubles sérieux. Les royalistes au contraire disposaient encore d'une partie de l'opinion ; ils avaient derrière eux les millions de l'Angleterre et les armées de la coalition. Lorsque la reprise des hostilités sur le Rhin et les Alpes aurait attiré de ce côté les principales forces de la République, ce serait le moment de renouveler les insurrections régionales et les complots dans Paris ; l'Ouest inépuisable fournissait matière à cette double entreprise.

Un fait digne de remarque, c'est l'introduction à Paris, durant cette période, du haut état-major et de toute une partie de la Chouannerie. Après la soumission, Bonaparte avait voulu voir les principaux révoltés, les généraux, les commandants de provinces, afin d'essayer sur eux son pouvoir de fascination et d'accaparer cette force. Successivement étaient arrivés Châtillon, à 'Andigné, Bourmont, Cadoudal, Bruslart, Salignac-Fénelon, Mercier, Hingaut-Sainte-Maure qui portait le bras en écharpe, le vieux La Prévalaye ; des Vendéens, des Bretons, des Normands, les hommes du Maine et ceux de l'Anjou, des représentants et des types de toutes les chouanneries. Le premier Consul ne leur ménageait pas les avances et leur offrait des grades, des emplois, tout en les faisant surveiller. A leur suite s'étaient infiltrés dans Paris une quantité d'officiers subalternes et même de simples soldats, couverts par l'amnistie, sortis de leur pays où ils se sentaient désœuvrés et suspects. Le gouvernement favorisait cet exode, voulant dépayser ces vaincus et les attirer sous sa main.

A Paris, parmi les hauts Chouans, quelques-uns tenaient un certain rang, recevaient beaucoup de monde ; ils fréquentaient les salons royalistes, où l'on considérait avec une curiosité un peu peureuse ces hommes encore poudreux de la guerre civile, déjà légendaires, renommés pour leur bravoure et leur violence. D'autres couraient les bals et les théâtres, jouaient follement dans les tripots, jouissaient de Paris en gens longtemps privés. Presque tous passaient dans le pauvre logis de Mme Danjou, royaliste originale qui faisait elle-même son ménage et que l'on savait confidente du Roi, avec qui elle correspondait par l'intermédiaire du comte d'Avaray. Les chefs venaient manger sa soupe et causer avec elle des affaires du parti ; elle les jugeait et les jaugeait ; dans sa correspondance avec Mitau, dans son vert langage, elle exaltait les uns et n'épargnait pas les autres ; elle s'acharnait spécialement sur les créatures du parti d'Artois[1]. Les Chouans de condition inférieure peuplaient les garnis, rôdaient par la ville, traînaient dans les endroits publics, vivaient d'expédients, grossissaient cette population flottante qui encombrait Paris. Pour obtenir des secours, des recommandations, un appui, ils s'adressaient à leurs chefs respectifs, se plaçaient sous leur patronage et restaient à leurs ordres. Il y avait ainsi à Paris une faction ou, pour mieux dire, plusieurs factions de l'Ouest ; il y en avait autant que de chefs notables.

Parmi ceux-ci, quelques-uns s'étaient franchement soumis et n'aspiraient qu'à vivre en paix, à récupérer les débris de leur fortune, sous un gouvernement qui ne persécutait plus les opinions. Ils avaient rompu toute attache suspecte et recommandaient à leurs gens de se tenir tranquilles. C'était le cas de Vendéens tels que Châtillon et d'Autichamp. Le premier se montrait souvent chez le Consul, qui lui témoignait estime et confiance ; on l'avait vu à la Malmaison : Châtillon a des cheveux gris et une jeune et jolie femme, écrivait Mme Danjou pour expliquer cette défection ; elle ne trouvait pas d'excuse à d'Autichamp et l'incriminait amèrement.

D'autres chefs au contraire s'opiniâtraient dans leur espoir de revanche et de vengeance. Malgré leur apparente soumission, malgré les démarches auxquelles les obligeait le soin de leur sûreté, on leur savait encore des relations occultes avec Londres. Ils retournaient fréquemment dans l'Ouest pour y maintenir leurs hommes[2], comme ils disaient, et se Garder des moyens de guerre civile. Ils ne demandaient qu'à reprendre le métier, et quel métier ! Plus dur pour les chefs que pour les soldats, exigeant un physique et un moral indomptables : Les soldats couchent quelquefois dans un lit, mais jamais les généraux, et toujours sur la paille et à la belle étoile. A peine dans vingt-quatre heures en ont-ils deux de repos ; au feu comme de simples soldats, il faut qu'ils tirent comme eux le coup de fusil. Le général est toujours à l'avant-garde, saute l'embuscade le premier. Le soldat passe quand il a vu son général et ses officiers passer, et il se repose de tout sur eux. Aussi, il n'est pas de métier de galérien pareil à celui des généraux en chef et des généraux de légion ; ils ne dorment que d'un œil, toujours le fusil entre les jambes et la plume à la main, car ils font tout et voient tout par eux-mêmes[3]. Pour se rejeter dans cette infernale existence, des partisans tels que d'Andigné, Bruslart et d'autres n'attendaient qu'une occasion et une direction.

Entre ces irréconciliables et les Chouans définitivement lassés et fourbus, se tenaient les habiles, ceux qui se ménageaient, ceux qui voyaient les gens du gouvernement sans rompre avec le parti des princes et évoluaient en ce double élément[4]. Le type de ces amphibies était Bourmont. Ce gentilhomme, qui devait se marquer plus tard d'une tache indélébile, manquait de sens moral et ne manquait pas de conviction. Par fidélité traditionnelle, par attaches de famille et de société, par esprit de caste, il restait foncièrement royaliste, mais il était plus ambitieux que royaliste et encore plus intrigant qu'ambitieux. Quoiqu'il se fût bravement battu, la guerre n'était pas véritablement sa partie ; ce petit homme de salon, a dit de lui Bonaparte, ce joli homme aux yeux de couleuvre se plaisait dans les détours de la diplomatie occulte et les sentiers équivoques. Il aimait d'ailleurs la vie large, venait de se marier et savait que le métier de guerroyeur n'est pas pour refaire les fortunes. Au fond, son désir était d'accepter de Bonaparte une fonction, une importante fonction, mais de l'accepter sans encourir la disgrâce des princes et de servir la République par commission du Roi. Ainsi introduit dans la place, avantageusement situé, il s'eut-ploierait pour la cause de la Restauration, soit auprès de Bonaparte, soit dans les milieux politiques et policiers. Si cette grande affaire ne réussissait point, au moins aurait-il tiré son épingle du jeu et pourvu aux commodités de son existence personnelle.

Bonaparte lui avait offert une place et avait ajouté : Je suis à la première et j'y resterai. J'ai eu quelques succès, peut-être ai-je quelques talents, mais sûrement ai-je du bonheur et je compte sur mon étoile[5]. Sans se laisser éblouir par cet optimisme, Bourmont n'avait ni accepté ni refusé ; il voyait souvent Fouché, Desmarest, Clarke, ce qui ne l'empêchait point d'aller causer pendant des heures avec Mme Danjou et de faire passer par elle au prétendant des notes, des mémoires, des projets, car il avait l'imagination fertile et l'esprit de ressource ; il attendait d'être couvert du côté de Mitau pour se prêter à Bonaparte.

Avec cela, nul n'avait su mieux que lui se garder une clientèle, un parti, presque une armée. A Paris, on lui connaissait un véritable état-major, composé de ses anciens officiers ; il tenait table pour eux, dépensait au delà de ses ressources ; son appartement de la rue d'Aguesseau ne désemplissait pas de visiteurs, et journellement stationnait à sa porte une file de cabriolets[6]. Dans le Maine, c'est-à-dire dans son ancien pays de commandement, il avait maintenu les cadres de son armée, conservé les états de situation et de contrôle ; il savait où retrouver au besoin les hommes, les fusils, les canons, et sous couleur d'acquitter d'anciennes dettes palpait de l'argent anglais.

Avec un homme du caractère de Bonaparte, ce jeu pouvait très mal finir, car un jour viendrait fatalement où Bourmont serait mis en demeure d'opter entre ses anciennes et ses nouvelles relations. Bonaparte l'en avait averti : Si vous voulez retourner en Angleterre, je vous en faciliterai les moyens, mais si, au contraire, votre intention est de rester ici, je vous invite très fort à vous tenir tranquille, car vous serez soumis à une surveillance très sévère et au moindre écart je vous ferai fusiller ; vous en feriez autant à ma place[7]. Mais Bonaparte, qui se sentait malgré tout en position précaire, s'en tenait encore à la menace, et Bourmont, pour l'instant, ne désespérait pas d'éloigner la fâcheuse alternative.

Georges Cadoudal, nommé communément Georges, était un autre homme. Tête forte, large poitrine, jambes courtes, l'aspect lourd et solide, l'air d'un paysan qui se sent mal à l'aise en vêtement bourgeois, tel il nous apparaît dans les portraits du temps. C'était plus qu'un Chouan intrépide, c'était la Chouannerie, même, la guerre de ruse et d'embuscade, la guerre de nuit ; avec cela véhément, irascible, autoritaire et par-dessus tout vaniteux. Enflé du rôle qu'il avait joué en Bretagne, il s'estimait très supérieur aux autres chefs. Ce royaliste plébéien n'aimait pas les nobles, haïssait les gentilshommes qui avaient partagé avec lui le commandement de l'insurrection ; son désir eût été de les humilier, de surpasser tous les chefs royalistes et de rendre au Roi des services si signalés que Georges, fils d'un meunier, dérobe à la première noblesse la gloire d'avoir rétabli le Roi[8]. N'ayant pas réussi lors du dernier soulèvement, il rejetait sur les autres la faute de l'insuccès et grondait contre tout le monde. En exploitant sa vanité, en affectant de le distinguer, Bonaparte fût parvenu peut-être, sinon à se le rallier, au moins à le neutraliser.

Bonaparte ne sut pas le prendre. Après l'avoir vu, il le jugea sommairement un gros Breton dont peut-être il sera possible de tirer parti pour les intérêts mêmes de la patrie[9]. C'était se méprendre étrangement sur la force conspiratrice et guerrière qui se cachait sous une rustique écorce. Cette erreur de jugement s'explique par l'un des côtés faibles du caractère de Bonaparte. Ce glorieux parvenu subissait le prestige des noms et de la naissance. C'était pour lui un orgueilleux plaisir que de se rattacher un fin gentilhomme ; il savourait délicieusement cette joie ; pour une conquête de ce genre, il se mettait en frais de séduction. Le fruste Georges ne lui parut pas valoir cette peine ; il semble bien l'avoir traité avec une sorte de désinvolture et ne lui avoir offert que des avantages vulgaires.

Georges se jugea méconnu, et sa vanité ulcérée exaspéra son royalisme[10]. Une haine violente s'alluma en lui contre le petit Corse qui n'avait pas su l'apprécier à sa valeur, contre ce noiraud, ce malingre, qu'il avait eu envie, pendant l'entretien, d'étreindre brusquement entre ses bras musculeux et d'étrangler sur place[11]. Il lui jura guerre à mort. Pour la lui faire, pour monter contre lui une grande entreprise, il disposait encore d'hommes sans peur et sans scrupules, fameux par leurs hauts faits et leurs méfaits. Il disposait de toute une partie de sa Bretagne, pays d'opiniâtre génie, rude et grise contrée, terre et race de granit. Sur ce roc, la poigne d'acier de Bonaparte ne se trouverait pas de prise. La résistance de quelques Bretons à ce victorieux, à son prestige consulaire, à ses légions, semble par moments nous reporter aux origines lointaines de notre histoire ; on dirait la lutte du Celte traditionnel, tenant au sol, cheminant par d'obscurs sillons et se rasant sur la glèbe, contre le conquérant équestre, contre l'Imperator latin.

A Paris, Georges fut mis en contact avec Hyde, qui se dissimulait en mystérieux réduit. Ils se virent, s'entendirent. Georges fut instruit du complot formé en nivôse pour se débarrasser du premier Consul par surprise et enlèvement. L'idée lui parut excellente, d'autant plus qu'elle rentrait dans ses procédés de guerre, et la démangeaison lui vint d'y mettre tout de suite la main ; parlait déjà d'aller avec quelques hommes se promener sur le chemin de la Malmaison[12]. Il réfléchit cependant que sa présence dans l'Ouest était encore plus nécessaire, pour revivifier l'insurrection, mais il n'admit plus qu'une reprise d'armes eût lieu sans que l'on tentât en même temps dans Paris le grand coup de Chouannerie, le coup droit au Consul, ce qu'il appellerait désormais le coup essentiel. Pour concerter en grand l'une et l'autre entreprise, il était nécessaire d'aller à Londres s'entendre avec, les princes et obtenir de l'Angleterre un indispensable concours. Hyde et Georges résolurent de Faire ensemble le voyage.

Ils réussirent à sortir ou plutôt à s'évader de Paris et prirent le chemin de Calais, l'une des principales lignes de communication entre les complots de l'intérieur et l'Angleterre ; sur lotit le parcours s'échelonnaient des maisons sûres, des postes de refuge et de secours. A Calais ou sur la côte voisine, on était certain de trouver des moyens de passer le détroit.

C'était alors un étrange pays que ce bout de littoral affronté à l'Angleterre, un pays interlope, fraudeur, à mystérieux sous-sol. Faute de commerce régulier, toute une partie de la population vivait de rapports illicites avec l'émigration et l'Angleterre ; elle favorisait les rentrées, les sorties et les passages. : Calais et à Boulogne, les hôtelleries nombreuses, discrètes, complaisantes, avaient des recoins très sûrs ; les aubergistes étaient une puissance, car leur industrie répandait beaucoup d'argent dans la ville ; les autorités municipales n'en scrutaient pas les mystères et passaient pour en partager les bénéfices. Dans la campagne, en arrière des grèves sablonneuses, au flanc des coteaux, parmi les habitations qui s'étageaient dans la maigre verdure, il y avait des maisons machinées, truquées, où les lames du parquet s'écartaient pour démasquer l'entrée d'un souterrain, où les murs s'ouvraient soudain devant un fugitif et se refermaient sur lui. Les émissaires et agents s'abritaient M en attendant les moyens de passer en Angleterre et se blottissaient dans ces terriers. Le soir, par les nuits obscures, des bâtiments fraudeurs s'approchaient en fantômes des ports et de la grève. Ils recueillaient des passagers furtifs et les transportaient sur cette côte de Douvres dont les feux pointillaient l'horizon. Ils en rapportaient d'autres et les jetaient sur la terre de France. Par l'une et l'autre côte, c'était un continuel suintement d'individus et de messages clandestins[13].

Calais, pour surveiller cette porte mal fermée, Fouché avait mis un de ses cerbères, un terroriste recueilli dans la police, le commissaire Mengaud. Un contemporain a tracé de lui ce noir crayon : Tracassier sans être surveillant, prenant ombrage de tout et par conséquent incapable de discerner le péril qu'il importe d'apercevoir... toujours l'injure et la pipe à la bouche, ivre la plus grande partie de la journée, vivant publiquement de la manière la plus ignoble et la plus crapuleuse[14]. Il dénonçait à tort et à travers, dénonçait le sous-préfet suspect de modérantisme, dénonçait les gens à comptoirs et à auberges, dénonçait les fonctionnaires, se faisait haïr et chiper par tout le monde. Aux environs de la ville, il organisait des expéditions brutales, se jetait dans les maisons suspectes, faisait tout explorer, déménager et saccager : Je défie qu'à moins de débâtir, écrivait-il, on puisse faire des bouleversements domiciliaires comme ceux que j'ai ordonnés[15]. En réalité, les véritables lieux d'abri lui échappaient souvent.

Hyde et Georges trouvèrent asile dans un château qui appartenait à l'ex-baron d'Ordre et qui depuis longtemps servait aux agents de refuge et d'entrepôt[16]. Ils y furent rejoints par un émissaire de Bourmont, qui décidément jouait toute sorte de rôles ; cet émissaire était un nommé Carlos Sourdat, très mêlé aux affaires de Chouannerie ; il apportait aux fugitifs l'avis de presser leur départ. Une barque de pêche les emporta nuitamment en Angleterre. Hyde n Mit un récit saisissant de cette traversée ; la mer était démontée, de gros nuages roulaient dans le ciel ; côte à côte, les deux passagers enveloppés de leur manteau sommeillaient péniblement : Georges était plus agité que moi ; tout à coup, il se soulève sur le coude et m'appelant de sa voix forte :Hyde de Neuville, me dit-il, savez-vous ce que nous devrions conseiller au Roi s'il remonte sur son trône ?... Nous lui dirons qu'il fera bien de nous faire fusiller tous les deux, car nous ne serons jamais que des conspirateurs ; le pli en est pris. Ces hommes ne concevaient plus la vie sans l'ivresse du péril et en dehors des émotions fortes.

A Londres, autour du comte d'Artois, ils trouvèrent un monde très différent d'eux et crurent sentir le froid d'une crypte. Ils virent des conseillers figés, des prélats qui conservaient le ton et les préjugés de Versailles, des seigneurs de haute mine, corrects et besogneux, et des gentilshommes d'une morne élégance. Parmi ces personnages se glissaient des intrigues, des rivalités, des avidités d'argent ; ces ombres de dignitaires se disputaient une ombre de pouvoir ; c'était une pâle représentation de la cour. Dans ce milieu, on aimait peu les guerroyeurs de l'Ouest, leur rudesse et leur franc-parler ; si on daignait les utiliser, ce n'était pas sans les considérer au fond comme un tas d'aventuriers, de maraudeurs, de brigands, dont on pouvait bien essayer de tirer parti, mais sans se risquer avec eux[17]. A leur ardeur, on opposait les formes, l'étiquette, l'infranchissable barrière que les Bourbons en exil emportaient partout à leur suite. Les conseillers officiels s'interposaient entre le comte d'Artois et les visiteurs, recevaient ceux-ci du haut de leur importance ; un accueil compassé et rebutant glaçait les dévouements. La confiance allait aux faiseurs, aux exploiteurs, alors que tant de braves gens ne sollicitaient que la permission de mourir pour la cause. Tel s'en allait vers les princes plein d'espérance et revenait déçu, ulcéré[18].

Georges cependant s'imposait par ses services. Monsieur et son conseil l'accueillirent bien ; le Roi lui envoya le brevet de lieutenant général et le cordon rouge. Les princes sentaient malgré tout la nécessité de faire quelque chose, durant cet été de 1800 où allaient se décider pour longtemps leur sort et les destinées françaises. De son côté, l'Angleterre comprenait qu'à laisser Bonaparte s'emparer définitivement de la France et briser la seconde coalition, elle se réduirait à l'isolement, en face d'un adversaire plus redoutable à lui seul que ne l'avaient été tous les révolutionnaires ensemble. Pour conjurer ce péril, elle s'était résolue à un grand effort. Georges fut écoulé, autorisé à développer ses plans ; les idées apportées par le fils du meunier firent l'objet de graves conseils entre le comte d'Artois et les ministres de la couronne d'Angleterre.

Le cabinet de Londres négociait un traité de subsides avec Vienne, et il était à présumer que l'Autriche, ayant poussé en 1799 ses armées jusqu'au Rhin et aux Alpes, allait entamer l'Alsace. la Franche-Comté, le Dauphiné et la Provence. Dans ces régions frontières, à l'apparition des Impériaux, le royalisme s'agiterait ; Willot se jetterait en Provence à la tête de ses bandes, et l'on déterminerait le Midi à s'arracher de la République. C'est alors que Georges proposait d'entamer dans l'Ouest et à Paris l'opération majeure, le double effort simultané.

Il s'offrait à prendre les devants, à se jeter seul dans le Morbihan où il reprendrait contact avec ses hommes, se mettrait en communication avec les chefs occultes des régions voisines et disposerait tout pour un embrasement général. Il posait comme condition que les princes le suivraient de prés et que les escadres britanniques, chargées de troupes, viendraient border le littoral français depuis Calais jusqu'à la Loire[19]. Un corps de vingt-cinq mille hommes, sous le commandement du duc de Bourbon, serait déballé à Calais et pousserait vers la Somme. On essaierait, d'autre part, de surprendre Lorient, afin d'attirer de ce côté l'armée républicaine de l'Ouest et de dégager Nantes. A la faveur de cette diversion, une escadre portant à son bord le comte d'Artois et des troupes, forcerait l'embouchure de la Loire ; le prince prendrait terre à Nantes et s'avancerait jusqu'au Maine, où il attirerait à soi toutes les forces insurgées. Concurremment, le complot de Paris, repris sur nouveaux frais par Hyde et autres gens de sa trempe, éclaterait ; une poignée d'hommes déterminés s'attaquerait au Consul et frapperait à la tête. Bonaparte pris ou tué, le comte d'Artois se détacherait en avant à la tête de l'élite de son armée et tacherait de percer jusqu'à Paris pour s'y emparer du pouvoir.

Ce projet fut adopté en principe, mais modifié dans quelques-unes de ses lignes, car l'Angleterre voulait rallumer la guerre civile en France et faire diversion au profit de l'Autriche plutôt que de s'engager à fond pour la cause des Bourbons. L'idée d'une tentative sur Calais et d'une pointe dans la région picarde fut admise. L'escadre principale se porterait sur les côtes du Morbihan, s'insinuerait dans l'archipel breton, prendrait Pile d'Houat comme hase d'opérations ; elle déposerait sur la terre ferme un gros corps de troupes, si la chose pouvait se faire sans trop exposer les soldats de Sa Majesté Britannique. Dans tous les cas, elle exécuterait des démonstrations, fournirait aux insurgés des secours et faciliterait le débarquement d'un prince. Ces diverses opérations s'accompliraient dans le courant de juin, c'est-à-dire au moment où les troupes de la République seraient le plus chaudement engagées contre l'Autriche[20]. Il était entendu que le mouvement de Paris concorderait très exactement avec l'arrivée du prince sur la côte française. Georges, avant de partir pour le Morbihan, insistait fiévreusement auprès de Pitt et du comte d'Artois pour que les hommes chargés de préparer ce mouvement fussent incessamment envoyés à Paris[21].

Il semble que le nom du prince appelé au rôle décisif fut provisoirement laissé en blanc. Le comte d'Artois paraissait désigné, mais ce prince n'aimait pas le danger. Le duc d'Angoulême se tenait dans l'ombre de son père. Le duc de Bourbon ne paraissait nullement pressé de quitter l'Angleterre. Le duc d'Enghien, plein d'honneur, ardent et chevaleresque, vrai prince français, irait se battre où l'appellerait la volonté du Roi, mais il avait en horreur les louches combinaisons des agences et ces bêtises puantes. — Je ne sais pas servir mon roi en frac, écrirait-il bientôt, à moins que ce ne soit l'uniforme de la Vendée[22]. Louis XVIII paraissait s'associer au branle-bas général du parti. Il reconnaissait que la grande expédition concertée pourrait produire des résultats, si l'Angleterre l'appuyait franchement. Il croyait devoir s'exalter en paroles ; en termes choisis, il écrivait d'impétueux billets. Il mandait au comte d'Artois : Mon imagination s'échauffe... Je vois enfin l'aurore des beaux jours qui nous sont dus après tant de peines. Tout cela n'est point un rêve ; rien n'est plus possible ; tout cela sera, et fasse le ciel que ce soit bientôt... Je sèche, je meurs d'impatience[23]. Il demandait à se rapprocher de nos côtes et faisait passer aux gens de l'Ouest ce mot d'ordre : déclarer aux agents anglais qu'on voulait avoir avec soi le Roi, qu'on le voulait absolument, et exiger que les voies lui fussent ouvertes[24].

Ce prince de beaucoup d'esprit savait au besoin montrer quelque résolution, pourvu qu'il n'en coulât rien à la dignité de son attitude et qu'il n'en coulât pas trop à ses aises. Lorsqu'il parlait de se jeter aventureusement dans l'Ouest, ignorait-il que les Anglais ne le laisseraient jamais passer ?

Le parti se flattait toujours de posséder des intelligences parmi les chefs de l'armée républicaine et méditait d'organiser contre Bonaparte, à côté de l'entreprise royaliste, la conspiration des jaloux. Pichegru en serait l'instigateur ; il était appelé de Hambourg à Londres, afin de participer aux conseils et ensuite fi l'action : à Londres, on se berçait du fol espoir d'opposer à l'éclatant Bonaparte cette illustration démodée[25]. Il ne paraissait, pas impossible de renouer des relations entre Pichegru et Moreau, qui commandait la première armée de la République ; d'invisibles agents durent se glisser auprès de lui et entamer sa fidélité[26]. A Paris, un agent spécial, l'abbé Leclerc de Boisvallon, fut établi pour la partie des généraux. Il comptait sur quelques-uns de ceux qui avaient participé au 18 brumaire et qui paraissaient s'en repentir.

D'autres auxiliaires s'offraient. Pendant son séjour à Paris, Georges avait vu s'approcher de lui quelques membres du parti démagogue, des anarchistes, des exclusifs, qui lui avaient tenu ce langage : on avait désormais un adversaire commun, le Corse ; pourquoi ne pas se réunir pour l'abattre, sans préjuger trop tôt les suites de l'événement[27] ? Georges ne parait pas avoir accepté formellement ces offres ; néanmoins, il est certain que dès ce moment s'établit un vague contact entre les cieux partis d'opposition violente ; ils tendaient à mettre en commun leurs haines et leurs moyens souvent illusoires.

La véritable chance du royalisme, c'était l'insécurité générale que faisait renaitre l'approche des vicissitudes de la guerre. Si Bonaparte prenait le commandement des armées, que deviendrait Paris en son absence, Paris livré aux compétitions, aux intrigues, aux rivalités ? S'il restait au siège du gouvernement, les autres généraux seraient-ils plus heureux que ne l'avaient été en 1799 Moreau, Scherer, Macdonald, Jourdan, Joubert ? On reverrait peut-être les tristes jours de la Trebbia et de Novi ; Bonaparte arriverait-il à temps pour tout réparer, et lui-même ne trouverait-il pas la mort au milieu des combats ?

Irait-il même jusque-là ? Beaucoup de gens le disaient physiquement à bout. De fait, on ne lui avait jamais vu la mine aussi have et le teint si terreux ; il semblait encore amaigri et comme diminué ; on le disait éthique, phtisique ; les soucis le rongeaient ; il se tuait de travail : il n'a pas l'air d'avoir huit jours de vie[28]. Ses ennemis suivaient haineusement en lui les progrès de la consomption, tout en se méfiant des surprises que pouvait leur ménager ce petit diable de Bonaparte[29], cet être déconcertant et à part du commun des mortels, dont les yeux de braise luisaient dans un visage obscur. Mais des hommes graves, posés, raisonnables et raisonneurs, affirmaient que son pouvoir dépérissait autant que sa personne ; quelques prodiges qu'il eût opérés, il s'était fixé à un principe insoutenable ; son système d'amalgame et de fusion entre tous les partis était un défi aux possibilités humaines ; un régime ne pouvait longtemps se maintenir sur cette base paradoxale, et d'ailleurs il semblait de règle, depuis la Révolution, que tout gouvernement fût usé au bout de quelques mois et approchât de son ternie fatal. De là dans les milieux qui vivent ou simplement s'occupent et s'inquiètent de politique, un bourdonnement anxieux.

D'un bout à l'autre de la ville, si le peuple est calme, les sociétés particulières, les coteries, les réunions d'affaires, la Bourse, les spectacles, le Palais-Royal, le terre-plein du Pont-Neuf qui sert de parloir aux oisifs, la salle des Pas-Perdus au Palais de Justice, les allées des Tuileries, tous les endroits où se débitent et se colportent les nouvelles, s'emplissent de rumeurs. Les innombrables cafés pérorent. Les principaux d'entre eux ont une couleur politique, une clientèle de parti ; les royalistes au café Valois, les exclusifs au café Chrétien et en d'autres établissements clabaudent à mi-voix. Le départ de Bonn pu rte est vingt fois annoncé, démenti. Les nouvellistes répandent des bruits extravagants et les badauds y croient : Bonaparte veut se faire proclamer roi ; il va se rendre à Dijon pour proclamer roi le duc d'Angoulême ; il conspire contre la constitution établie par lui-même ; quelques royalistes obstinément naïfs se figurent encore qu'il travaille pour eux, et que, s'il a immolé Frotté, c'est pour mieux cacher son jeu. En dehors des purs blancs, personne ne veut de l'antique ordre de choses, mais beaucoup de gens s'accommoderaient d'un Bourbon sans l'ancien régime, et d'aucuns s'accordent à penser qu'on n'obtiendra jamais la paix sans un roi. Dans les bureaux, dans les administrations, les serviteurs du régime, les gens placés se jugent reluis en position précaire ; de nouveau, on fait tout provisoirement[30]. Ce que chacun sent distinctement ou confusément, c'est que le pouvoir consulaire touche à sa crise. Une victoire sur l'étranger le consolidera momentanément. Si la campagne se traille malheureuse ou seulement indécise, il succombera moins sous l'effort de machinations quelconques que par écroulement de sa raison d'être aux yeux de vingt millions de Français qui ont espéré goûter par lui un victorieux repos.

Quelques bruits de paix circulaient toujours, entre mille propos vains ; ils circuleraient jusqu'au dernier moment, pour le désespoir des mécontents. Aussi bien, pour que la crise s'ouvrît, il était nécessaire que la guerre reprit effectivement, que le sang coulât, que l'ennemi parût sur les frontières et que la nation en éprouvât une grande commotion. Connue l'immense majorité des Français désire passionnément la paix, c'est une raison pour que les partis de désordre souhaitent de la voir frustrée de ce bien et déçue ; ils attendent, annoncent, escomptent la reprise et la continuation des hostilités ; ils y aspirent de toute la force de leur haine : La guerre, la guerre, la guerre ! écrit un correspondant de Condé par sauvage invocation[31].

 

II

La guerre restait inévitable, et les négociations engagées pendant l'hiver n'avaient été qu'un simulacre. De part et d'autre, le mensonge des offres formulées recouvrait l'antagonisme foncier des prétentions. Bonaparte voulait trancher définitivement les questions que le traité de Campo-Formio avait réglées provisoirement ou éludées, celles de la suzeraineté française sur l'Italie et surtout celle de la réunion à la France de la rive gauche du Rhin. L'Autriche n'entendait pas seulement garder ce qu'en 1799 elle avait reconquis, c'est-à-dire la haute Italie, mais s'obstinait à regagner tout ce qu'elle avait perdu, y compris les Pays-Bas. Et pas plus que l'Autriche et que l'intraitable Angleterre, la Prusse perfide, l'Allemagne hostile, la Russie mal détachée de la coalition, toutes les puissances et toutes les dynasties n'admettaient franchement que la France se réintégrât dans les limites de la Gaule. Les hommes vraiment initiés au secret du litige le sentaient ; Cambacérès a écrit positivement qu'on se battit en 1800 pour la Belgique[32]. Entre la France et l'Europe, le grand problème restait pose, tel qu'il était issu du cours meule de la Révolution et de ses victoires ; dix animées triomphales ne suffiraient pas à le résoudre.

La République avait une grande armée, une armée de 100.000 hommes. l'une des plus belles qu'elle eût possédées. Confiée à Moreau, cette armée se tenait en arrière du Rhin, depuis Strasbourg jusqu'à Schaffhouse et Constance ; elle avait en face de soi les cent mille Autrichiens du feld-maréchal Krav, établis derrière la Forêt-moire, à proximité de l'Alsace et de la Suisse septentrionale. En Italie, sur l'Apennin ligure, la France n'avait à opposer que 30.000 hommes sous Masséna aux 140.000 Autrichiens de Mélas, dont 100.000 effectivement disponibles. En arrière des Alpes et du Jura, Bonaparte avait décidé de former une armée de réserve, dont le quartier général serait à Dijon ; au moment voulu, il se saisirait de cette force et en ferait l'appoint décisif. La base et le pivot de toutes nos opérations serait la Suisse, ce grand bastion naturel qui séparait les masses ennemies et permettait de les tourner l'une et l'autre. L'année précédente, Masséna, Lecourbe, Molitor et leurs braves, en nous gardant la Suisse, nous avaient conservé prise sur l'Allemagne et l'Italie évacuées par nos troupes ; ce fut Zurich qui rendit possible Marengo.

Appelé pour la première fois à diriger des opérations de guerre sur une ligne immense, qui s'étendait de Gènes à Mayence, Bonaparte s'était élevé de suite aux conceptions très vastes[33]. Il méditait un ensemble de mouvements étroitement liés, combinés, successifs, dont le but serait de dégager d'abord et pleinement notre frontière de l'Est, frontière capitale, et ensuite de reconquérir l'Italie.

Il nous semble hors de cloute que sa pensée fut toujours de porter en Italie l'effort à fond et de trancher là le sort de la campagne. L'imposante armée du Rhin, malgré sa prééminence apparente, était moins destinée par lui à entamer profondément l'Allemagne qu'à rejeter l'ennemi du voisinage de nos frontières et à mettre hors d'atteinte la Suisse, base indispensable de toute grandie opération en Italie. Il jugeait que Moreau pouvait assurer d'emblée ce résultat par une manœuvre hardie : si Moreau reployait son centre et sa gauche sur sa droite, s'il massait ses forces près de Schaffhouse, s'il passait le Rhin en cet endroit, il tournerait la Foret-Noire, tomberait sur les flancs ou les derrières de l'armée de Kray disséminée en Souabe et aurait toutes chances de lui infliger un choc désorganisateur. Bonaparte lui-mètre se sentait une forte velléité de se porter d'abord et pour un instant sur le Rhin supérieur, de s'y subordonner Moreau, de diriger l'opération ou du moins de l'amorcer, de mettre grandement les choses en train. Ensuite, faisant en quelque sorte coup double, il se rabattrait par la Suisse sur l'Italie, à la tête de troupes empruntées à l'armée du Rhin et de troupes tirées de l'armée de réserve ; passant par le Saint-Gothard ou même par le val du fiant Adige, il foncerait en Lombardie, prendrait à revers l'armée de Mélas occupée par Masséna en Ligurie, et l'enserrant, l'étreignant, ramasserait d'un seul coup de filet la principale force ennemie et l'Italie entière[34].

Dominé par une idée maîtresse, ce plan n'avait nullement pris dans l'esprit de son auteur forme rigide et invariable. La façon de Bonaparte était de laisser toujours à ses conceptions quelque chose de souple et de plastique qui leur permettait de se mouler sur le relief changeant des événements. Pendant deux mois, son plan apparait à l'état d'évolution continue ; il se modifie d'après les mouvements de l'ennemi et les circonstances de la politique.

Et d'abord, pour que la grande opération en Souabe préparât efficacement l'opération majeure et finale eu Italie, il était nécessaire que Bonaparte pût disposer librement de toutes nos forces. Or, à cette époque, il n'était pas plus maitre absolu des armées qu'il ne l'était de la France. Il avait à négocier avec les généraux comme avec tout le monde, à négocier autant qu'à commander. Durant les débuts de la campagne, une diplomatie d'état-major, s'inspirant souvent de motifs d'ordre intérieur, va marcher continuellement de pair avec les opérations stratégiques et compliquer leur direction. C'est partie de notre sujet que d'observer cet enchevêtrement de la politique et de la guerre.

Parmi les militaires, celui avec lequel on avait spécialement à compter, à traiter, était. Moreau, puissance peu maniable. Moreau avait supérieurement réorganisé son armée. Par l'habile aménagement des ressources qui lui avaient été expédiées, par moyens trouvés sur place, il avait assuré à peu près la solde, l'habillement, l'armement, les vivres, et ravivé la confiance[35]. Avant ainsi préparé le succès, il entendait le remporter à sa façon. Parfaitement correct en politique, très ombrageux en ce qui concernait ses prérogatives de chef d'armée, il n'entendait pas qu'une intervention du Consul vint lui soustraire la gloire du résultat final.

Bonaparte se tâta très prudemment, par circonlocutions, et lui fit entrevoir sa venue possible sur le Rhin : Il n'est pas impossible, si les affaires continuent, à bien marcher ici, que je ne sois des vôtres pour quelques jours[36]. Au reçu de cet avis, Moreau ne récrimina aucunement, mais fit savoir qu'il se considérait comme dessaisi et s'apprêtait à passer le commandement[37]. Il aurait dit dans un dîner militaire qu'il ne voulait pas d'un petit Louis XIV à son armée[38]. Il n'admettait pas davantage qu'on lui suggérât un plan pour le passage du Rhin et la conduite des premières opérations. Au lieu de tenter par Schaffhouse le grand mouvement tournant, il voulait passer droit devant lui, sur plusieurs points, conformément à la méthode classique, et vaincre selon les règles ; il n'assumerait jamais la responsabilité d'une manœuvre qu'il jugeait. impraticable et dangereuse.

Son chef d'état-major Dessolles fut mandé à Paris. Par cet officier, Bonaparte tacha d'endoctriner Moreau, de l'inciter aux grandes choses, de faire passer sa propre conception de la guerre dans l'allie de ce stratège sans génie. Par lettres, il promettait en tout cas au chef de l'armée du Rhin le beau rôle, le premier rôle ; quant à lui, une ombre de grandeur l'attachait au rivage de la Seine : Je suis aujourd'hui une espèce de mannequin qui a perdu sa liberté et son bonheur. Les grandeurs sont belles, mais en souvenir et en imagination. J'envie votre heureux sort ; vous allez, avec des braves, faire de belles choses. Je troquerais volontiers nia pourpre consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous vos ordres. Je souhaite fort que les circonstances me permettent de venir vous donner un coup de main[39].

Moreau se renfrognait toujours. Après trois jours de débats consécutifs avec Dessolles, il fallut comprendre que Moreau ne se laisserait jamais imposer la présence de Bonaparte à l'armée, ni même un plan d'entrée en campagne[40]. Bonaparte fut alors tenté — c'est lui-même qui l'a dit[41] — d'accepter la démission offerte et de prendre personnellement en main l'armée du Rhin. Il s'en abstint par motif politique, en songeant qu'à se brouiller avec Moreau il désignerait un chef à tous les mécontents. Renonçant à se porter sur le Rhin d'une manière quelconque, il prit le parti de céder aux résistances de Moreau et de l'abandonner à ses routines, mais de réduire son rôle[42].

Le 1er germinal-22 mars, il modifia le plan général des opérations, mais le fit fixer dans ses grandes lignes par arrêté des Consuls, c'est-à-dire par acte formulé eu conseil de gouvernement et obligatoire pour tout le monde. On ne demande plus à Moreau qu'une chose : passer le Rhin comme il l'entendra ; non plus déconcerter l'armée de Kray par un coup d'audace ; mais la refouler méthodiquement, l'écarter vers l'intérieur du Wurtemberg et de la Bavière, l'éloigner, la repousser jusqu'à une certaine distance de la Suisse et des Alpes. Cc résultat obtenu, Bonaparte prendra au général Moreau toute nue partie de son urinée, le corps de Lecourbe, qui sera tenu jusque-là en seconde ligne auprès du Rhin ; aux 30.000 hommes de Lecourbe, il joindra l'élite de l'armée de réserve, poussée rapidement vers Genève et Lucerne, et à la tête de ces forces combinées s'engagera dans la vallée du Gothard. A supposer qu'alors l'armée de Kray reprenne l'avantage sur Moreau affaibli, elle ne regagnera jamais assez vite le terrain perdu pour menacer sérieusement notre ligne d'opérations en Suisse ou jeter par les Grisons et le Tyrol des renforts en Italie. Moreau sera toujours là pour la contenir au besoin par une retraite savante, ce qui.est son fort. De plus en plus, l'armée du Rhin devient ce qu'on appelle aujourd'hui une armée de couverture ; mobile couverture. avançant d'abord quitte à reculer ensuite, elle aura pour fonction d'abriter à distance une concentration de forces françaises en Helvétie, la percée à travers les Alpes et l'irruption de Bonaparte en Italie.

Il est vrai que la constitution de l'an VIII, par une réminiscence de celle de l'an III, n'accordait pas positivement au chef de l'Exécutif le droit de commander les armées et semblait même le lui dénier par prétérition. L'article 42 disait, en parlant du gouvernement : Il distribue les forces de terre et de mer et en règle la direction.

Malgré cette disposition plutôt restrictive, Bonaparte avait annoncé d'abord qu'il commanderait l'armée de réserve. Il se ravisa ensuite, rentra dans la vérité constitutionnelle ou plutôt résolut d'éluder par un subterfuge la règle implicitement posée. Il ne commanderait pas en nom, mais commanderait par le moyen de Berthier et ne ferait ostensiblement qu'accompagner l'armée. Par un arrêté des Consuls, le général Berthier fut désigné comme chef de l'armée de réserve et dut céder à Carnot le portefeuille de la guerre. Avec Berthier. Bonaparte pouvait être tranquille, certain d'avoir affaire à un homme qui se réduirait, malgré son titre officiel, au rôle d'exact chef d'état-major. En outre, il gagnait à cette combinaison l'avantage de pouvoir s'absenter de Paris moins longtemps, d'en sortir seulement quand Berthier aurait tout préparé, et d'y rentrer dès qu'il aurait lui-même assuré le dénouement. Berthier eut à partir aussitôt pour Dijon, où Bonaparte le rejoindrait à la dernière heure.

En se rendant à Dijon, Berthier dut faire un crochet par Baie, où était le quartier général de Moreau, et s'entendre très positivement avec ce dernier sur le détachement ultérieur du corps de Lecourbe. La mission était délicate, car Moreau se laisserait-il de bonne grâce et par persuasion amputer de près d'un tiers de son armée ? Avec un désintéressement patriotique, il consentit à ce sacrifice, mais posa comme condition que le détachement ne s'effectuerait pas avant que le gros de l'armée du Rhin eût atteint la ligne du Lech et poussé l'ennemi jusqu'aux approches d'Ulm. Il demandait à conserver jusque-là l'entière disponibilité du corps de Lecourbe. Il demandait en outre que les premières divisions de l'armée de réserve fussent employées d'abord à garder derrière lui la Suisse et à soutenir ainsi son mouvement, avant de se retourner vers l'Italie. Ces conditions furent admises, consignées par écrit, et l'on vit ce spectacle insolite d'un gouvernement admettant deux commandants d'armée, dont l'un n'était que le prête-nom du chef de l'État, à traiter Fun avec l'autre de puissance à puissance. Un acte en bonne forme, un véritable traité fut signé à Bâle entre les deux généraux ; il spécifiait les obligations respectives et la corrélation des mouvements[43].

Les dernières espérances de paix avec l'Autriche venaient de s'évanouir, et même l'ennemi avait poussé en Savoie une pointe promptement repoussée. Dans une proclamation ultime, le premier Consul avertit les départements frontières de ne pas s'inquiéter, il supposer que l'ennemi les entame : Qu'ils regardent à droite et à gauche, et ils verront de nombreuses armées, d'autant plus formidables qu'elles sont plus concentrées, non seulement menacer l'ennemi qui voudrait faire quelque pointe sur le territoire français, mais encore se mettre en mouvement pour réparer, par des victoires éclatantes, l'affront que nos armes ont essuyé dans la dernière campagne. Bonaparte promet un insigne retour de fortune, mais eu même temps il donne à la jeunesse française, à tous les dévouements auxquels il a fait appel, le dernier coup d'éperon : Jeunes Français, si vous êtes jaloux de participer à tant de gloire... si vous êtes jaloux d'être d'une armée destinée à finir la guerre de la Révolution en assurant l'indépendance, la liberté et la gloire de la grande nation : aux armes ! aux armes ! accourez à Dijon ![44]

 

III

Le premier Consul avait espéré que dès la fin de germinal, c'est-à-dire dans le milieu d'avril, Moreau pourrait passer le Rhin et prendre l'initiative des hostilités. Moreau ne se jugea pas suffisamment prêt et retarda son mouvement.

Arrivé à Dijon, Berthier ne trouvait autour de cette ville qu'une armée en formation. La division Vatrin, que Bonaparte ordonnait déjà de porter sur Genève, manquait de solde et d'armes ; les divisions Chabran, Chambarlhac, Boudet et Loison n'avaient point leurs effectifs au complet ; la division Monnier n'avait pas rejoint. A Dijon, c'était un afflux de recrues à verser dans les corps, un engorgement de troupes, un affairement d'officiers ; dans toute la région, le désordre d'une concentration hâtive.

Les rapports signalaient cependant chez les officiers une bonne volonté gaillarde, une ardeur régénérée ; chez le soldat, la renaissance du véritable esprit militaire, fait de fierté et d'abnégation : Il en a donné hier une preuve bien frappante ; la 22e, comprise dans celles qui doivent partir avec le général Vatrin, manquait d'armes ; il lui en fallait quatre cents pour se compléter ; la 76e s'est laissé enlever les quatre cents pour les donner à la 22e, non sans regrets, mais sans murmures. Cela ne se t'Ut pas passé ainsi dans tous les temps ![45] Cet exemple prouve à quel point les moyens matériels faisaient défaut ; point de cartouches, point de plomb ; les fournisseurs incapables d'assurer les services. A Auxerre, Marmont organisait très difficilement l'artillerie. Murat, promu au commandement de la cavalerie, trouvait à Pontarlier des éléments par trop inégaux ; le 21e chasseurs l'enthousiasmait par son martial aspect : Ce corps est superbe, sa tenue est des plus belles, ses chevaux sont excellents, il est très bien armé et équipé ; son habillement complet et confectionné se trouve malheureusement à Versailles, où il est resté faute de moyens de transport[46]. Le reste de la cavalerie était en général mal monté.

Malgré tous ces mécomptes, Bonaparte espérait que vers le milieu de floréal Berthier pourrait lui mettre en main à peu près quarante mille hommes d'infanterie ; en ajoutant la cavalerie, l'artillerie, la légion italique et les dépôts de l'armée d'Orient, environ soixante mille hommes. En attendant, restant au centre, dans la capitale, il embrassait du regard toutes les frontières et l'intérieur, observait l'Ouest mal apaisé, le Midi ensanglanté et Paris qui lui donnait toujours un peu d'inquiétude.

Le 12 floréal, Fouché lui apporta une bonne nouvelle ; la police avait saisi les papiers de l'agence anglo-royaliste et surpris le secret du complot. Avant de partir, Hyde avait loué à une femme Lemercier, demeurant au coin du faubourg Saint-Honoré el de la petite rue Verte[47], une chambre dans laquelle il avait entassé un fatras de papiers[48]. L'un des conjurés, l'abbé Godard, commit des imprudences qui le signalèrent. La police le suivit et par ce fil arriva au mystérieux dépôt. Des liasses volumineuses furent saisies ; on y trouva des correspondances en langage convenu dont il Fut possible de restituer le sens, des pseudonymes derrière lesquels on découvrit des noms, une comptabilité, l'état des sommes fournies à la bande de Joubert pour s'attaquer à la personne du Consul ; le projet de livrer Brest, la preuve d'une connivence permanente avec l'étranger et d'une complicité soldée. Le premier Consul, tenant à faire état de la découverte, nomma une commission de quatre conseillers d'État chargée de dépouiller et de publier ce dossier de trahison.

La saisie des pièces ne livrait pas les coupables ; on avait mis la main sur un nid de conspirateurs ; la nichée s'était envolée. Le signalement de Hyde fut expédié de tous côtés ; on crut l'apercevoir partout et on ne le trouva nulle part, par la bonne raison qu'il était en Angleterre et s'était mis hors d'atteinte. Le chevalier de Coigny ne fut pas immédiatement soupçonné. Ratel et Godard lui-même s'esquivèrent. Des mandats d'arrêt furent lancés contre les deux commissaires anglais que La Cornillière avait espionnés à Rouen et dont les manœuvres paraissaient se raccorder à l'agence ; on les manqua de très près[49]. Le beau-frère de Hyde, Delarue, fut arrêté par la gendarmerie dans un château près de la Charité-sur-Loire, où il vivait en famille. Au moment où on allait l'emmener, sa belle-mère, femme de tête, lui chercha un manteau et déplia entre lui et les gendarmes ce large vêtement, comme pour le lui faire endosser ; il disparut ainsi un instant aux yeux de ses gardiens. Au bout de quelques secondes, le manteau ne recouvrait plus rien ; une porte dérobée s'était subitement ouverte dans le mur et avait escamoté le prisonnier. Les gendarmes se lancèrent à sa poursuite et se perdirent dans un dédale de couloirs, sans rejoindre Delarue ; ils battirent vainement tout le pays[50]. Ces déconvenues attestaient l'état encore rudimentaire de la police, qui dut se contenter de saisir d'insignifiants comparses.

La découverte du comité anglo-royaliste n'en eut pas moins quelques résultats. En révélant l'odieux des desseins machinés, elle perdit plus complètement le parti d'Artois dans l'opinion et même auprès des royalistes sages. Les représentants de Louis XVIII, les membres du conseil royal témoignèrent dans leurs rapports à Mitau d'une indignation pudibonde[51]. A Londres, le malheur advenu fut attribué à la légèreté de Hyde ; on le jugea compromettant. Il fut à peu près disgracié et relégué aux besognes secondaires, sans que l'on renonçât à revivifier par d'autres que lui le complot qui faisait partie du plan général adopté. A Paris et en province, les royalistes d'action, craignant d'être recherchés, mirent une sourdine à leurs diatribes ; l'audace du parti tomba momentanément. Dans le Midi, la police découvrit une partie des trames ourdies par Willot et prescrivit un redoublement de vigilance[52].

L'Ouest restait le point noir et menaçant. Malgré la détente opérée par l'apaisement religieux, les rapports signalaient tous des allées et venues suspectes, des passages d'émissaires, un effort pour ranimer l'insurrection. Dans cette étrange région où l'organisation royaliste subsistait presque ouvertement à côté de l'administration républicaine, où les deux forces restaient affrontées, il était évident qu'une reprise d'hostilités aurait lieu si les chefs de chouannerie la voulaient réellement. Le danger était d'autant plus sérieux que la République n'avait pu laisser que trente bataillons à la garde des régions occidentales. Bonaparte se mit alors à ruser avec le péril intérieur et, ne pouvant encore maîtriser l'Ouest, essaya de l'engourdir.

Bernadotte, appelé à remplacer Brune dans le commandement général du pays, reçoit des instructions toutes de douceur et même de condescendance. L'essentiel est de tenir en repos la masse catholique, en augmentant ses satisfactions : Les prêtres paraissent se bien conduire ; il faut les contenter le plus possible ; liberté entière du culte[53]. Que Bernadotte se garde de rendre la main aux Jacobins et révolutionnaires avancés ; qu'il se tienne à égale distance des partis extrêmes. Si les patriotes qui ont horriblement souffert sous la passagère domination des Chouans veulent user de représailles, il faut lés réprimer et au besoin protéger les vaincus contre les vainqueurs.

Le Consul consent même qu'on ménage les chefs royalistes, les situations acquises, les influences locales et territoriales, qu'il n'ose encore briser. Dans ce but, il renvoie à Nantes l'abbé Bernier dont il a fait le principal artisan de sa politique de temporisation. Sur quelques points, on en vint à d'extraordinaires compromis avec les chefs restés sur place, à un véritable partage d'attributions entre eux et les autorités officielles, à condition qu'ils concourraient à maintenir un semblant d'ordre. D'Andigné raconte dans ses Mémoires[54] qu'il fut autorisé à former autour de Segré une compagnie destinée à faire la police et à remplacer la gendarmerie qu'on ne supportait pas encore dans le pays. Afin d'immobiliser le Maine, Bonaparte use à Paris de particuliers bons traitements envers Bourmont ; il lui accorde ou lui laisse espérer des radiations, des mises en liberté, des complaisances pour sa clientèle provinciale ; il se donne l'air de promettre plus qu'il n'entend tenir ; plus tard, il avouera ce jeu à Bourmont : Je traite la politique comme la guerre, j'endors une aile pour battre l'autre[55]. L'aile à endormir, c'était l'Ouest royaliste ; l'aile à frapper, c'était l'Autriche rangée en armes sur le Rhin et les Alpes.

 

IV

Les Autrichiens de hélas nous prévinrent. A la fin de germinal, le gros de leurs forces se jeta sur l'armée de Masséna établie en avant de la côte ligure, et après de violents combats la rompit en son centre, par la prise de Savone.

Si impressionnante que soit la nouvelle, Bonaparte aperçoit tout de suite le parti à tirer de l'événement. L'armée autrichienne qui s'est enfournée sur Gênes et Savone[56], se trouve par cela même avoir dégagé le Piémont septentrional et la Lombardie ; elle s'est éloignée des Alpes helvétiques ; elle a dégagé les passages : en s'enfournant dans la rivière de Gênes — Bonaparte répète l'expression — elle nous ouvre la haute Italie ; c'est le moment de s'y jeter à plein collier[57]. La sottise de l'ennemi fait la partie belle à l'armée de réserve ; celle-ci, pour agir et foncer, n'a plus besoin d'attendre que Moreau lui ait fourni la totalité du renfort stipulé. Bonaparte décide d'accélérer et de raccourcir le mouvement ; au lieu de passer par le Gothard, on passera par le Simplon ou le Saint-Bernard, où les chemins ont été également reconnus. Il faut clone que Berthier, sans perdre un instant, enlève toute l'année de Dijon, en quelque état qu'elle se trouve, et la précipite vers Genève et le Valais.

Cependant Bonaparte, vu sa situation encore mal définie à l'égard des armées, par souci de ménager les formes et les personnes, n'expédie pas l'ordre directement ; au lieu de passer par-dessus la tête du nouveau ministre de la guerre, Carnot, il le prie de formuler l'ordre décisif. Par suite de ce procédé, peu s'en fallut qu'un défaut d'unité dans la direction supérieure ne vint tout retarder. Carnot, fort de ses hauts services et. de sa compétence reconnue, ne se considérait pas comme un simple agent de transmission. Fidèle à l'esprit de la convention de Bâle, qui avait admis les exigences de Moreau, il rédigea en ce sens l'ordre pour Berthier et lui prescrivit de se porter en Italie aussitôt qu'il aurait appuyé les premières opérations de Moreau, ce qui impliquait d'abord marche vers Lucerne. Heureusement, Berthier, instruit de la situation en Italie, se conforma d'instinct à la pensée du Consul et se jeta dans la direction de Genève[58].

Tandis qu'entre la Saône et le Jura les divisions se lèvent assez confusément et marchent, Bonaparte à Paris fait ses préparatifs de départ. Une chose cependant l'inquiète. Moreau, qui dispose de forces incontestablement suffisantes pour accomplir sa besogne limitée, n'a pas encore commencé l'opération préliminaire, l'opération de refoulement destinée à mettre l'armée de Kray hors d'état de troubler notre mouvement par la Suisse. Qu'attend donc Moreau ? Bonaparte le fait aiguillonner par Carnot : Faites-lui sentir que ses retards compromettent essentiellement la sûreté de la République... Tous les jours de retard seraient extrêmement funestes pour nous[59]. Haletant d'impatience, il prête l'oreille à tous les bruits qui viennent du Rhin. Le 5 floréal, on apprend que le passage s'effectue et que depuis ce matin la canonnade est très forte sur le Rhin[60]. Ainsi, Moreau se décide, et de ce côté les choses sont en train.

Les nouvelles de Ligurie devinrent plus mauvaises. Notre armée était décidément coupée en deux ; la grosse moitié se renfermait dans Gênes, où Masséna allait commencer la stoïque défense qui autant que Zurich immortaliserait son nom ; l'autre moitié, avec Suchet, rétrogradait vers la frontière française, vers le département des Alpes-Maritimes, talonnée par les troupes de Hélas. C'est une raison de plus pour hâter la grande diversion par la Suisse et le Saint-Bernard, décidément choisi comme point de passage. En débouchant par ce col, on pourra, selon les circonstances, se jeter à Milan sur les derrières de l'ennemi ou pousser par le Piémont vers la côte ligure, afin de dégager Masséna investi, la frontière en péril.

L'armée de réserve est en marche vers Genève et le Valais, mais elle est partie incomplètement formée, trial pourvue de fusils, de matériel et de munitions. Il va falloir qu'elle se complète, se monte et s'approvisionne en marchant. Bonaparte fait affluer vers elle tout ce qu'il peut ramasser en hommes, chevaux, mulets, fusils, canons, attelages, affûts-traîneaux, forges de campagne, moules à halles, équipages de pont, chargements de biscuit et d'eau-de-vie, cartouches : — un million en argent qui voyagera jour et nuit, toute sorte de moyens de guerre et les moyens d'en créer sur place. Il presse les envois, presse les marches : Ne faire aucun séjour, doubler les étapes, faire filer tout ce qui est possible, filer à marches forcées, marcher sans repos[61]. Une partie de la garde reçoit ordre de quitter Paris. Le 14 floréal-4 mai, Bonaparte décide de partir le surlendemain, en annonçant simplement l'intention d'inspecter l'armée, non de la conduire ni même de l'accompagner.

Ce jour-là la note suivante fut insérée au procès-verbal de la séance consulaire : L'armée d'Italie, coupée par son centre, est dans une position dangereuse et la sûreté des frontières du Midi compromise. Une flotte considérable est sortie des ports d'Angleterre avec huit mille hommes de débarquement que l'on présume destinés pour la Rivière de Gênes. Ces diverses circonstances font penser qu'il est essentiel que le premier Consul aille à Dijon et à Genève passer la revue de l'armée de réserve, activer ses mouvements et mettre de l'accord dans les opérations des différentes armées[62].

Les Consuls formulèrent le lendemain une autre décision[63]. Il s'agissait de modifier les conventions passées avec Moreau. Vu l'extrême péril de Masséna et en prévision du cas où les Autrichiens, ayant réduit Gênes, se reporteraient au nord pour nous disputer les passages, on se retrouve dans l'impérieuse nécessité de recourir à Moreau. Au lieu de lui demander fi l'échéance prévue le secours promis, on le lui demandera tout de suite. Il est urgent que Moreau reporte dès à présent en Suisse une portion de ses troupes, afin qu'elles s'associent sur la gauche aux opérations de l'armée de réserve. Comme avec Moreau il fallait traiter toujours par moyens diplomatiques et ambassades, on lui dépêcherait un nouvel envoyé, un haut envoyé, qui ne serait autre que Carnot, ministre de la guerre, dont il ne pourrait suspecter la partialité envers Bonaparte. Carnot partirait dans une demi-heure[64] et s'en irait obtenir de Moreau un immédiat détachement.

Vers le soir, le télégraphe aérien entre Bâle et Paris se mit à fonctionner. Il annonçait un important succès de Moreau, l'affaire de Stokach : sept mille prisonniers, neuf canons pris, avec beaucoup de magasins. Bonaparte tressaille de joie ; le billet qu'il dicte pour Moreau n'est qu'une exclamation superbe : Je partais pour Genève lorsque le télégraphe m'a instruit de la victoire que vous avez remportée sur l'armée autrichienne : gloire et trois fois gloire ! Et il ajoute la note familière et caressante pour les amis de là-bas : Je vous salue affectueusement... Leclerc se porte-t-il bien ? Mille choses à Dessoles[65].

Il se rendit ensuite à l'Opéra ; on y lut sur la scène le bulletin de Stokach ; la salle retentit des cris d'enthousiasme. Laissant Paris sous cette impression, Bonaparte pouvait partir. A deux heures de la nuit, il se jetait dans une chaise de poste qui en quelques heures l'emporterait à Dijon. Il ferait la campagne en habit bleu de Consul, assez semblable à celui de général en chef, moins l'écharpe. Il s'était commandé un sabre richement orné ; au dernier moment, son armurier lui manqua de parole[66] ; il partit avec sa mince épée de général, celle peut-être qui avait jeté dans les combats d'Italie et d'Égypte son victorieux éclair.

Il ne fit que toucher barre à Dijon, d'où il partit après vingt-quatre heures pour courir la poste sur la route de Genève. En avant de lui, autour de lui, sur toutes les routes, l'armée s'élançait. Étonnante armée d'aventure ! Toute sorte d'éléments hétérogènes s'y mêlaient. Les cadres étaient solides, composés d'officiers à la fois expérimentés et jeunes, aguerris, tenant bien leurs hommes. Dans les rangs, beaucoup de soldats et de gradés avaient fait la première campagne d'Italie ; c'étaient des braves, durcis au feu de cent combats, fiers d'un passé de gloire. Ceux-là étaient les chefs de file, les entraîneurs. Les conscrits leur emboîtaient le pas, prenaient le feu sacré à leur contact, mais combien de ces jeunes gens ne résistaient pas aux fatigues de la marche ! La plupart ignoraient le premier mot du maniement d'armes. Bonaparte arrivé en Suisse devra ordonner que, dans toutes les demi-brigades, on fasse tirer, dès demain, quelques coups de fusil à tous les conscrits ; qu'on leur fasse connaître de quel œil on mire pour ajuster, enfin de quelle manière on charge son fusil[67]. A côté de ces conscrits mal dégrossis, on apercevait dans les rangs des déchets humains, des malades et des estropiés. Une bande de femmes en chapeaux incroyables, ceinturées de tricolore, vagabondait autour des colonnes ; à Martigny, Bonaparte devra les renvoyer toutes[68]. A travers cette cohue, à travers d'informes équipages, les petits fantassins mal vêtus, mal nourris, le long fusil sur l'épaule, marchaient en rang, marchaient sous la pluie qui déformait les chapeaux, trempait les habits, disjoignait et délayait les chaussures ; une nuit de pluie mettait la moitié de l'armée pieds nus[69]. La cavalerie et l'artillerie retardaient sur l'infanterie ; à grand'peine, dans la boue des sentiers, des chevaux efflanqués tiraient sous le fouet et les jurons des conducteurs les pièces mal attelées.

Malgré tant de misères, le moral est excellent. Chez ces troupes ramassées de part et d'autre, il y a cohésion morale, flamme commune, entrain patriotique et républicain : une ardeur à voir l'ennemi, à l'aborder et à prouver la supériorité du peuple libre sur les races esclaves ; par-dessus tout, la certitude qu'on marche à la victoire en suivant Bonaparte, en obéissant à l'infaillible chef. Quand il passait dans sa chaise de poste avec ses cavaliers d'escorte, les trainards aux pieds meurtris, les conscrits éclopés qui gisaient sur le talus des routes, se relevaient pour l'acclamer, empoignés par la force magnétique qui émanait de cet homme[70]. Les populations accouraient sur les lieux où il devait passer et faisaient encombrement. Pour éviter d'en être retardé, il dut plusieurs fois changer sa route.

Il passa trois jours à Genève, où il eut avec M. Necker une conversation dont le sujet fut peut-être Mme de Staël. Non loin de Lausanne, il passa une revue où les Suisses pacifiques, arrivés de plusieurs lieues à la ronde, purent apercevoir cet homme qui traversait le pays en bourrasque et cependant inspectait minutieusement les compagnies, les escadrons, et parlait aux Cisalpins dans leur langue. A Lausanne, encombrée de troupes et de convois, Carnot le rejoignit pour lui rendre compte de sa mission auprès de Moreau, avant de retourner à Paris. Avant trouvé Moreau sur le champ de bataille, au lendemain de l'affaire de Biberach, il avait obtenu de lui la promesse de se dessaisir d'une colonne qui, sous Moncey, viendrait appuyer et prolonger par le Saint-Gothard notre mouvement à travers les Alpes. Les premières colonnes de l'armée de réserve, sous Lannes, s'insinuaient dans le Valais, voyaient les Alpes, les grandes Alpes[71], touchaient au Saint-Bernard et se glissaient à pied d'œuvre. Derrière elles, le gros de l'infanterie, avec Berthier, précédait le premier Consul, et lui-même, contournant le Léman, ralentissant un peu le mouvement pour donner à l'artillerie le temps de rejoindre, prenant ses précautions dernières, après avoir jusqu'au bout dissimulé ses intentions et masqué son approche, s'en allait vers l'Italie tenter son grand coup de main militaire.

 

V

Cambacérès, gouvernant intérimaire, annonça au conseil d'État le départ du premier Consul et ajouta que son absence serait de courte durée. En partant, Bonaparte avait laissé pour instruction à ses collègues restés en arrière de continuer sa politique à la Fois large et très ferme. Il a ouvert une voie assez spacieuse pour que tous les Français de bonne volonté puissent s'y réunir et y marcher ensemble : paix à tous ceux qui voudront la suivre ; malheur à qui ne marchera pas droit ! De Genève, son premier billet à ses collègues est pour leur renouveler le mot d'ordre : Je vois avec plaisir que Paris est tranquille. Au reste, je vous le recommande encore, frappez vigoureusement le premier, quel qu'il soit, qui s'écarterait de la ligne. C'est la volonté de la France entière[72].

La machine gouvernementale continua de fonctionner. Les arrêtés étaient signés de Cambacérès avec cette mention : en l'absence du premier Consul. Cambacérès et Lebrun tenaient séance, travaillaient avec les ministres et le conseil d'État, achevaient de composer le personnel administratif et judiciaire ; pour les objets d'importance, ils recouraient à Bonaparte auquel ils écrivaient régulièrement.

Fouché et Dubois, spécialement préposés avec l'autorité militaire à la tranquillité de Paris, continuaient, selon l'exemple de Bonaparte, à ménager les opinions paisibles, à ne pas contrarier trop brusquement les habitudes des Parisiens et le train toujours passablement déréglé de leur vie. Par mesure d'apparence, le ministre de la police avait ordonné aux émigrés indument rentrés de s'éloigner, mais il admettait des tempéraments, fermait les yeux sur les contraventions, dès qu'il s'agissait de personnes qu'il pouvait avoir un intérêt personnel à ménager. Les réfugiés italiens, qui formaient un élément de trouble, avaient été invités à sortir de Paris, à se concentrer dans le département de l'Ain ; exception fut faite pour les femmes, les enfants et les vieillards.

Jusque dans les moindres choses, cette légèreté de main se faisait sentir. Le 1er prairial cependant, ce fut comme un coup d'État contre le désordre et l'encombrement des rues, mais un coup d'État en douceur, par persuasion et raisonnement. Il s'agissait de faire disparaître ces milliers d'étalages mobiles qui gênaient la circulation et de débarrasser la chaussée de cette végétation parasite : C'est aujourd'hui que l'arrêté du préfet de police sur les étalages mobiles a reçu son exécution sur tous les ponts et quais. Il n'y a pas eu le plus léger trouble, tout s'est passé dans le plus grand calme. On sentait depuis longtemps la nécessité de cette mesure. Les étalagistes ont obéi sans qu'on fût obligé d'employer la force armée ; ils ont cédé aux raisons que les commissaires de police leur ont expliquées... 2 prairial : Les ponts ont été débarrassés hier de tous les étalages mobiles sans la moindre humeur, sans la moindre résistance de qui que ce soit, on pourrait dire sans la moindre plainte des étalagistes... Mais, conformément aux ordres des Consuls, les commissaires de police ont reçu celui de ne continuer l'exécution de l'arrêté du préfet que lentement et même imperceptiblement[73]. Ainsi traité avec de moelleuses précautions, Paris se pliait graduellement à l'autorité.

L'absence du Consul avait occasionné d'abord quelque inquiétude. On cherchait la main musclée et prenante qui depuis six mois retenait tout le monde sur le bord du gouffre ; à la sentir moins proche, on éprouvait parfois une angoisse. Les premières nouvelles de la guerre, tantôt bonnes, tantôt douteuses, étaient accueillies avec une curiosité un peu nerveuse. Mais ce souci des Parisiens ne tient pas devant l'arrivée définitive du printemps, devant la joie de vivre qu'il apporte avec lui, devant l'épanouissement de floréal.

Dans les jours qui suivent le départ de Bonaparte, le temps à Paris est merveilleux : journées illuminées de soleil, tièdes soirées. Toute la population vit dehors et goûte l'ivresse du printemps. L'argent reste rare, les fonds sont bas, les bourses plates. Paris ruiné dépense quand même, s'attable aux portes des glaciers et devant les spectacles d'été, court aux promenades, aux Tuileries, aux Champs-Élysées, au bois de Boulogne, aux frondaisons neuves, aux concerts sous la feuillée et aux bals en plein vent. Dans le fourmillement des piétons, les équipages de luxe, les calèches passent, avec des scintillements d'acier. C'est la floraison des modes de l'année : longs fourreaux de gaze à traîne plus ample, chapeaux de paille rejetés en arrière avec haut retroussis sur le devant, en forme de coquille ovale ; chapeaux fleuris, enrubannés, empanachés ; les petites ouvrières se sont emparées des fichus jonquille[74], et dans la fraîcheur des toilettes, dans le sourire des visages, brille l'allégresse pimpante du renouveau. Le soir, deux cents bals, vingt illuminations, les guinguettes, la beauté du temps font de chaque jour un jour de fête. Un journaliste s'arrête pour considérer ce spectacle et, sous ce titre : Voilà Paris, s'amuse à le décrire[75] :

Traversez les Tuileries à sept heures du soir, la foule s'y presse, la beauté du temps, la richesse du plus majestueux jardin de l'Europe sont bien faites pour nous engager à se promener... Portez-vous aux Champs-Élysées ; même foule, même élégance et plus de variété. Les équipages brillants qui vont au Bois ou qui reviennent occupent agréablement les veux et prêtent à la conversation par les mille et mille anecdotes répétées sur ceux qui les possèdent. La nuit vient, vous détournez la tête et vous apercevez l'Élysée-Bourbon dont l'illumination se place entre le dernier éclat du jour et la pâle clarté de la lune. Vous approchez : une symphonie se fait entendre et fixe un instant votre imagination. Êtes-vous curieux d'entrer ? Il n'en coûte que quinze sols ou soixante-quinze centimes. Un plaisir aussi bon marché ne peut être un véritable plaisir ; vous continuez votre route. Dans le lointain, sur votre gauche, une nouvelle illumination brille à travers les arbres ; c'est Idalie. Il y a trop loin, vous irez un autre jour. Revenons, mais qui vous arrête ? La foule, à chaque arbre des Champs-Élysées. Qu'est-ce ? Ici un piano, là une harpe, à côté une guitare, plus loin un concert tout entier... Vous arrêterez-vous à la place qu'on appelait Louis XV et qui a perdu son nom sans avoir pu encore en trouver un qui contente tout le monde ? Encore une illumination et un écriteau ; lisez : Corazza, glacier. Il faudrait monter, vous êtes las, prenez les boulevards. Que de monde ! Allez, allez toujours, bientôt vous en trouverez davantage... Voyez quelle richesse, quelle clarté, quelle fraîcheur, combien de jolies femmes qui ne se ressemblent pas, de jeunes gens qui se ressemblent tous... le luxe, la nature, le jour, la nuit, les femmes, les filles, le vice, la décence, tout est confondu... Voilà Paris.

 

 

 



[1] Je vous dis que le conseil de Monsieur perdra tout. Il y a deux ans, ils nommèrent général de Bretagne M. de X..., brave officier, mais qui ne savait marcher ni monter à cheval par vieillesse et infirmité. Ils croyaient apparemment que nous faisions la guerre en voiture. 2 novembre. Sur La Prévalaye, désigné également par le conseil de Londres, elle rapportait ce propos : S'il en eût existé un plus bête, le conseil de Monsieur l'eût envoyé nous commander ; on peut sans inconvénient le laisser manger son beurre. 8 juin.

[2] Mme Danjou à d'Avaray, 1er mai 1880.

[3] Mme Danjou à d'Avaray, 1er mai 1880.

[4] Mémoire manuscrit de Desmarest.

[5] Conversation transmise à Wickham et relatée dans une dépêche de cet agent, 26 mars 1800. LEBON, l'Angleterre et l'émigration française, p. 284-285.

[6] Rapport d'agents secrets, 10 floréal, F7, 3701. Voyez aussi l'État des surveillances exercées sur les principaux chefs et amnistiés, CHASSIN, III, p. 619-621.

[7] LEBON, p. 285.

[8] Lettre de Mme Danjou, 19 juin 1800.

[9] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4639.

[10] Voyez les Souvenirs publiés par RÉAL sous le nom de MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, p. 72.

[11] Mémoires de Hyde de Neuville, II, p. 305.

[12] CHASSIN, III, p. 622.

[13] Voyez spécialement les pièces de police conservées aux Archives nationales, F7, 6247 et 6250.

[14] Mémoires inédits de Villiers du Terrage.

[15] Lettre du 2 messidor an VIII. Archives nationales, F7, 6248.

[16] Note de police du 30 messidor an XII. Archives nationales, F7, 6363. Cette note rétrospective confirme les Mémoires de Hyde en ce qui concerne l'itinéraire des deux conspirateurs. Voyez I, p. 306-308.

[17] Lettre de Mme Danjou, 2 juin.

[18] Mme Danjou écrivait : Si on savait combien un regard, une parole de bonté de la part des princes enflamme le courage de nos braves et les en fait aimer et les encourage à supporter le malheur, on userait de cc puissant ressort et on ne souffrirait pas que des traitements malhonnêtes fussent le pris du dévouement. Vous ne savez pas à quel point cela refroidit et dégoûte. On se dit bien : ce n'est pas le prince qui nous traite ainsi, mais mut en lui rendant justice on se refroidit sans s'en apercevoir. 22 mai.

[19] CAUDRILLIER, le Complot chouan, Revue historique de novembre-décembre 1900, d'après les papiers du Record office. — MARTEL, p. 229-239.

[20] Notes et lettres analysées par CAUDRILLIER, article cité. Cf. la lettre du duc de Bourbon, en date du 9 mai, publié par WELSCHINGER, le Duc d'Enghien, p. 170.

[21] Voyez notamment la lettre du 19 mai, citée par MARTEL, p. 233.

[22] Lettre du 24 novembre 1801, citée par WELSCHINGER, le Duc d'Enghien, p. 181.

[23] Lettres citées par DAUDET, Histoire de l'Émigration, III, p. 94-95.

[24] Correspondance inédite du comte d'Avaray avec madame Danjou.

[25] A Milan, on estimait plus judicieusement que pour Pichegru le moment du prestige est passé. Si contre toute apparence il devait agir réellement, peut-il être mis en parallèle avec Bonaparte ? Lettre inédite du comte d'Avaray, 17 juillet 1800.

[26] CAUDRILLIER, le Complot de l’an XII, Revue historique mars-avril 1901. — Cf. Mémoires de Fauche-Borel, p. 18 et 372.

[27] Cette démarche est positivement mentionnée par Bourmont dans un long mémoire manuscrit dont nous possédons copie. Le fait est confirmé par Mme Danjou dans sa correspondance.

[28] Lettre de Mme Danjou, 8 juin. Mme Danjou écrivait à Mitau de tout préparer pour saisir la dépouille de Bonaparte quand il lui plaira crever ou qu'on pourra le tuer.

[29] Rapport de police du 30 prairial. AULARD, I, p. 433.

[30] Mme Danjou à d'Avaray, 1er mai 1800.

[31] Archives de Chantilly, Z, 27 février 1800.

[32] Éclaircissements inédits.

[33] Lettre à Brune du 11 ventôse-2 mars, Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4631.

[34] D'après Mathieu DUMAS et JOMINI, le premier Consul aurait eu d'abord l'idée de pousser une campagne à fond en Allemagne. D'après THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire, I, il n'aurait jamais voulu qu'aller en Italie. D'après le duc DE VALMY, Histoire de la campagne de 1800, il aurait envisagé tour à tour les deux projets. La vérité est qu'il voulut d'abord les combiner ou du moins exécuter une opération préliminaire en Allemagne et ensuite se reporter sur l'Italie.

[35] Voyez l'ouvrage de M. le commandant PICARD, Bonaparte et Moreau, p. 102-121.

[36] Correspondance de Napoléon Ier, 10 ventôse-1er mars, VI, 4627.

[37] Voyez la lettre péremptoire du 17 ventôse, citée par PICARD, p. 156.

[38] PICARD, p. 156, d'après divers témoignages.

[39] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4674.

[40] Voyez notamment la lettre rétrospective de Dessoles à Carrion-Nisas, 10 mars 1825. Mémoires de Carrion-Nisas, p. 158.

[41] Commentaires, IV, p. 250.

[42] PICARD, p. 181-185, et surtout DUMOLIN, Précis d'histoire militaire, Révolution et Empire, fascicules VII et VIII.

[43] Voyez le texte de la convention de Bâle dans l'ouvrage du capitaine DE CUGNAC, Campagne de l'armée de réserve en 1800, I, p. 117-118. Publications de la section historique du Dépôt de la guerre.

[44] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4722.

[45] L'aide de camp Lauriston à Bonaparte, 3 floréal. CUGNAC, I, p.162-163.

[46] CUGNAC, I, p. 171-172.

[47] Aujourd'hui rue Matignon.

[48] Interrogatoire de la femme Lemercier. Archives nationales, F7, 6251.

[49] La Cornillière essaya de les joindre à Rouen, un matin où ils se promenaient avec un troisième compagnon, mais l'espion était brillé : Ils ont tous trois continué leur chemin en doublant le pas et ont tourné par la porte (dite Guillaume Lion) la plus près d'eux dans ce moment. J'ai couru après eux pour ne point les perdre de vue, mais la distance qui nous séparait m'a empêché d'arriver à eux, et parvenu à la porte par laquelle ils se sont hâtés de rentrer dans la ville, je n'ai pu réussir à les retrouver. Lettre du 17 floréal. Archives nationales, F7, 6248.

[50] Archives nationales, F7, 6249.

[51] De son côté, Mme Danjou écrivait à Mitau : Oh ! ne craignez pas que je me fourre dans un pareil tripot. 22 mai.

[52] Voyez les lettres de Fouché aux autorités du Midi. F7, 6247.

[53] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4744.

[54] II, p.19-20.

[55] Conversation rédigée par Bourmont et faisant partie des archives de M. le duc de La Trémoille, texte inséré dans le Carnet historique, mai 1901.

[56] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4728.

[57] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4728.

[58] Voyez la lettre de Bonaparte à Carnot, Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4728, et l'ordre de Carnot à Berthier, CUGNAC, I, p. 179-180.

[59] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4728, 4730.

[60] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4731.

[61] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4728 à 4756.

[62] Procès-verbal de la séance du 14 floréal an VIII. Archives nationales, AF, IV, 4.

[63] Arrêtés consulaires, AF, IV, 12.

[64] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4758.

[65] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4759.

[66] CUGNAC, I, p. 282.

[67] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4783.

[68] GACHOT, la Deuxième campagne d'Italie, p. 150-151.

[69] CUGNAC, La campagne de Marengo, p. 63.

[70] GACHOT, la Deuxième campagne d'Italie, p. 31.

[71] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4781.

[72] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4764.

[73] Rapports de police, 1er et 2 prairial. AULARD, I, p. 347 et suivantes.

[74] Journal des Débats.

[75] Gazette de France, 10 floréal. AULARD, I, p. 314-310.