L'AVÈNEMENT DE BONAPARTE

LA GENÈSE DU CONSULAT - BRUMAIRE - LA CONSTITUTION DE L'AN VIII

 

CHAPITRE XII. — LA CONSTITUTION DE L'AN VIII.

 

 

I

D'après la légalité provisoire instituée en Brumaire, les deux commissions législatives, celle des Anciens, celle des Cinq-Cents, avaient à faire la constitution. Chacune d'elles avait nommé une section chargée de préparer le travail et composée de quelques-uns de ses membres ; ce furent, pour les Cinq-Cents : Boulay de la Meurthe, Lucien Bonaparte, Chazal, Daunou, Marie-Joseph Chénier, Cabanis et Chabaud-Latour ; pour les Anciens, Garat, Laussat, Lemercier, Lenoir-Laroche et Régnier. Ces élaborateurs ne voulurent pas se mettre à l'œuvre avant d'avoir consulté l'oracle et interrogé Sieyès. La solution constitutionnelle que les assemblées avaient par trois fois depuis dix ans et vainement cherchée, quelqu'un passait pour la posséder par intuition spéciale et mystérieuse ; on l'attendait de lui avec une déférence qui ressemblait à une abdication, on se préparait à la recevoir de ses lèvres ; il allait sortir enfin, ce secret de bonheur public que Sieyès tenait impassiblement en réserve. Avant la fin de brumaire, Boulay de la Meurthe et d'autres le virent et l'incitèrent à parler ; ils passèrent avec lui de longues heures[1].

Sieyès avait conçu un certain nombre d'idées, fruit de méditations profondes et solitaires. Il vivait dans l'adoration de ces idées, se complaisait et se mirait en elles ; seulement, il éprouvait une difficulté presque insurmontable à passer de la rêverie au travail de bureau ; il ne s'était pas encore décidé à écrire. Appelé à présenter un plan de constitution, cet homme possédé de la manie constituante parut pris au dépourvu.

Il se mit pourtant à poser des principes ; il les formulait en dogmes. La confiance doit venir d'en bas, le pouvoir doit venir d'en haut ; le peuple est la base de l'édifice, mais il ne doit servir qu'à porter et à consolider les sommets ; nul système n'est plus haïssable que la démocratie brute, l'envahissement de l'État par la multitude ; il n'est qu'un mode de gouvernement applicable aux sociétés nombreuses et policées, rationnellement organisées ; c'est le système représentatif, le gouvernement par procuration, et l'art du législateur suprême consiste à dégager la partie de la nation ayant qualité pour représenter toutes les autres, l'élite représentative[2]. Quant aux moyens, Sieyès disait les posséder, mais il ne les communiqua que par émissions successives, avec des retouches, des modifications et des reprises. Il fallut dix à douze jours pour extraire de lui la totalité de ses idées.

Il arriva cependant ou l'on arriva pour lui à dresser un plan qui ne se formula jamais en une série d'articles. Boulay, devant lequel Sieyès pensait tout haut, prenait des notes, traçait sur le papier les grandes lignes. D'autres amis furent initiés ; ils parlèrent, et le secret de Sieyès devint bientôt le secret de tout le monde ; il se déformait toutefois en se propageant. Le 10 frimaire, le Moniteur, dont les attaches avec Sieyès ne faisaient mystère pour personne, publia un article évidemment dicté ou inspiré, un exposé destiné à rectifier les interprétations erronées, à orienter l'opinion, à établir la version authentique. De toutes les versions, voici celle qui, sauf quelques modifications et omissions, parait la plus accréditée. Cet article est important ; c'est le seul document immédiat et contemporain que nous possédions ; à le rapprocher des confidences rétrospectives de Boulay de la Meurthe, on arrive à distinguer l'ensemble du plan, à saisir la pensée de Sieyès et son arrière-pensée.

Son projet était le plus formidable instrument de conservation qui pût exister au profit d'un parti. Depuis cinq ans, le parti des anciens conventionnels et de leurs adhérents détenait la France, se prolongeait au pouvoir par usurpations périodiques sur la souveraineté nationale. En l'an III, ces hommes avaient faussé les élections, en imposant arbitrairement au choix des citoyens les deux tiers de la Convention ; en fructidor an V, ils les avaient brisées par le sabre d'Augereau ; en floréal an VI, ils les avaient invalidées au profit de leurs candidats mis une fois de plus en minorité. Sieyès aujourd'hui allait plus loin dans cette progression ; allait jusqu'au bout et supprimait les élections.

Au début de la Révolution, nul n'avait contribué plus que lui à opposer le droit national au droit monarchique, à ériger le principe de la souveraineté populaire. Maintenant, il ne voulait plus que la nation déléguât effectivement l'autorité par ses suffrages et fermait les comices ; les infortunes électorales de son parti et aussi des raisons plus élevées, l'expérience et l'horreur de la démagogie, le spectacle de scrutins toujours viciés par l'esprit de violence et de faction, l'absence de toute éducation politique en France, la disproportion entre les hommes et les lois, l'amenaient à ce suprême reniement. Donc, le peuple ne participerait plus que de façon tout indirecte au choix de ses représentants ; il ne ferait plus les élus, il ne ferait que les éligibles ; au lieu de nommer des députés, il dresserait des listes de candidats, et encore ce droit de présentation s'exercerait-il sur un tel nombre d'individus qu'il deviendrait en fait illusoire.

C'était le fameux système des listes de notabilités, listes communales et départementales, liste nationale. Dans chaque arrondissement communal, circonscription nouvelle que Sieyès proposait de créer, les citoyens actifs, c'est-à-dire les Français payant une contribution égale au produit de trois journées de travail, éliraient cent d'entre eux comme notables communaux. Ces notables au premier degré choisiraient, par prélèvement d'un dixième d'entre eux, les notables au second degré, les notables départementaux, et ces derniers établiraient à leur tour, par opération analogue, la liste nationale, composée de cinq mille citoyens. Sur cette liste, résultat d'un scrutin à trois degrés, passée par deux fois au laminoir, les autorités législatives et exécutives seraient choisies. Qui les choisirait ? C'est ici qu'apparaît la pièce maîtresse de la machine, le rouage prépondérant, l'organe véritablement usurpateur ; un corps souverain, formé d'abord par les auteurs du coup d'État, c'est-à-dire par les thermidoriens et fructidoriens devenus le parti de Brumaire, et puis se recrutant ensuite lui-même ; corps permanent, inamovible, puissamment établi, richement doté, tenant son origine uniquement du fait accompli et de la possession acquise : le jury constitutionnaire, destiné à devenir dans la rédaction définitive le sénat conservateur.

Il y aura un jury constitutionnaire, composé de quatre-vingts membres, disait le Moniteur ; ce serait le grand conseil des révolutionnaires nantis. Ce jury ou sénat, Sieyès le faisait d'abord interprète et gardien de la loi suprême ; il lui donnait droit d'annuler tous les actes inconstitutionnels, qu'il s'agit d'arrêtés gouvernementaux ou de lois. Réduite à ces termes, la conception eût été excellente. Il n'est pas de constitution véritablement républicaine là où n'existe point un corps de judicature supérieure, conservateur des règles fondamentales, chargé de réprimer les usurpations de l'Exécutif et aussi les entraînements des assemblées, car la tyrannie législative n'est pas moins à redouter que l'autre. Mais Sieyès ne réduisait pas le Sénat à ce rôle régulateur ; il faisait de lui le générateur effectif des premières autorités, la source des pouvoirs, le corps électeur. Sans légiférer ni gouverner, le Sénat créerait les légiférants, les gouvernants, par prélèvement définitif et sélection suprême.

Il choisirait sur la liste nationale les membres des assemblées. Il y aurait deux chambres : le Tribunat, chambre d'initiative, chargée de préparer la loi et de la discuter, et le Corps législatif, qui la voterait ou la rejetterait sans en délibérer. Sieyès croyait ainsi supprimer ou au moins localiser les abus de la tribune ; il le croyait d'autant plus que le Tribunat et le Corps législatif seraient une émanation du grave Sénat. D'autre part, le Sénat surmonterait tout l'édifice d'un magistrat unique, élu par ses membres et recevant le titre de Grand Électeur.

Ce magistrat culminant nommerait les gouvernants véritables, les chefs de l'Exécutif, deux Consuls, l'un pour l'extérieur, guerre, marine et diplomatie, l'autre pour toutes les parties de l'administration intérieure. Les deux Consuls se trouveraient ainsi enfermés chacun dans un ordre de fonctions impénétrable à l'autre, encore que les mouvements intérieurs et extérieurs de l'État soient étroitement connexes. Chaque Consul serait placé à la tête d'une hiérarchie. Il aurait ses ministres, ses conseillers d'État, une chambre de justice administrative. Il choisirait ses principaux agents sur la liste nationale, les agents locaux devant être pris sur les listes inférieures. Les deux hiérarchies s'élèveraient à la façon de deux cônes juxtaposés, partant d'une large base et s'amincissant en pointe ; au-dessus des deux pointes, c'est-à-dire des deux Consuls, le Grand Électeur se tiendrait en équilibre. Après avoir procréé les Consuls, il se reposerait dans une oisiveté dorée ; son rôle deviendrait surtout honorifique et décoratif. Il aurait une liste civile de six millions, trônerait à Versailles, entouré d'une garde nombreuse et d'un appareil quasi royal.

Il conserverait cependant un droit de surveillance générale et pourrait révoquer les Consuls, mais lui-même, nommé à vie ou à très long terme, dépendrait intimement du Sénat, et c'est ici qu'intervenait un mécanisme très ingénieux, discret, aménagé de manière à fonctionner sans secousse et délicatement ouaté : le droit d'absorption. Il suffirait que le Grand Électeur, que l'un des Consuls, qu'un haut fonctionnaire quelconque se rendit suspect par d'ambitieuses velléités ou de trop éclatants services, pour que le Sénat pût l'absorber, c'est-à-dire l'appeler dans son sein et l'y retraiter, prononcer son inaptitude à toute gestion active et le révoquer en douceur.

Cette organisation de l'ostracisme ne cachait-elle pas une arrière-pensée ? En 1791, Sieyès avait fortement déduit les raisons qui lui faisaient préférer à la république la monarchie strictement limitée. Il ne voyait d'ailleurs, disait-il, de différence sensible entre les deux régimes que dans le couronnement de l'édifice. Les personnages qui aiment à revêtir d'une image les notions abstraites pourront se figurer le gouvernement monarchique comme finissant en pointe et le gouvernement républicain en plate-forme[3]. Aujourd'hui, il reconstruisait l'édifice en pyramide et le terminait en pointe, c'est-à-dire qu'il lui donnait, d'après sa propre définition, un couronnement monarchique. Le Grand Électeur devait-il tenir lieu de souverain ou simplement préparer la place d'un roi véritable, d'un roi à trouver ? A un moment donné, ne l'eût-on pas vu disparaître brusquement, englouti dans le Sénat, pour laisser s'élever un roi que Sieyès eût introduit au moyen de sa constitution à soupape ? Quoi qu'il en soit, le Sénat pourrait toujours, par opération légale, dissoudre et reformer l'Exécutif, de même qu'il lui appartiendrait de renouveler tous les deux ans par tiers le Sénat et le Corps législatif.

Ces pouvoirs exorbitants semblaient tempérés par l'obligation imposée au Sénat de choisir ses élus sur la liste nationale. Diverses dispositions annulaient en fait cette dernière garantie. D'abord, le Sénat aurait le droit d'épurer la liste nationale, d'en retrancher jusqu'au centième des noms. En outre, à côté des inscrits par élection, il y aurait des inscrits de droit ; les hommes ayant eu part aux fonctions pendant les dernières années seraient placés d'office sur les listes, eu sorte que la Révolution pourrait toujours y retrouver et y distinguer les siens. Enfin, les listes ne seraient formées qu'en l'an X et ne serviraient qu'aux renouvellements partiels. Pour la formation première, formation intégrale, les auteurs de la constitution nommeraient librement à toutes les fonctions législatives, à tous les hauts emplois administratifs et judiciaires ; ils rempliraient les cadres qu'ils auraient eux-mêmes formés, et les noms désignés par eux souverainement seraient insérés dans l'acte organique, deviendraient partie intégrante de la constitution. La constitution, disait le Moniteur, paraîtra tout organisée et contiendra les noms de tous les fonctionnaires publics qu'elle mettra en activité.

Il allait sans dire, à la vérité, que le statut nouveau, avec les noms privilégiés qu'on y souderait, serait soumis à un plébiscite ratificateur. Mais Sieyès et ses amis savaient ce que valent ces consultations après coup. Depuis six ans, la masse citoyenne avait eu à se prononcer sur deux constitutions très différentes et les avait également approuvées ; son indépendance à l'égard des gouvernants ne s'était jamais manifestée que dans les scrutins électoraux. Vraisemblablement, elle n'eût pas élu la plupart des individus qu'on lui proposerait en bloc ; elle ne repousserait pas à cause d'eux la constitution, parce qu'elle y verrait malgré tout une garantie de stabilité et de repos, un refuge, et d'ailleurs le grand nom de Bonaparte ferait passer tous les autres. On aurait ainsi moyen de faire plébisciter tout un personnel, celui qui depuis quatre ans opposait constamment le droit révolutionnaire au droit national. Le système de Sieyès aboutissait à légaliser, à consacrer, à éterniser le règne de l'oligarchie révolutionnaire[4].

Si l'on considère le projet sous d'autres points de vue, est-il besoin d'en faire ressortir les côtés d'utopie et de chimère, tant de fois signalés ? La pensée de Sieyès, toujours ingénieuse et parfois profonde, se nourrissait d'elle-même, vivait dans l'absolu, négligeait la vérité et la complexité des choses. Il excellait à convertir ses intérêts et ses passions en principes ; il avait même des principes indépendants de toute vue personnelle ; ces principes une fois formulés avec la rigueur d'expression qui lui appartenait en propre, il s'y attachait de toute sa conviction, mais ignorait l'art d'en procurer l'application pratique.

Dépouillant aujourd'hui le peuple de toute participation directe aux affaires, livrant l'État à une classe dominante, il n'organisait pas cette caste en gouvernement. Il la répartissait en corps politiques destinés à se tenir les uns par les autres en parfait équilibre ; ces rouages, à force de se balancer et de s'opposer, se fussent annulés ; le résultat eût été tout négatif, à moins qu'on n'eût vu au premier froissement la machine se disloquer et tomber en pièces. Dans l'organisme, où étaient la vie, l'action, la force motrice ? En dehors de la garantie des révolutionnaires, rien de positif et de concret ; des ombres, partout des ombres ; le Tribunat et le Corps législatif, une ombre de représentation nationale ; le Grand Électeur, une ombre de souveraineté ; les Consuls, deux ombres de gouvernants, accolées et rivales. Le Sénat même, plus fortement assis, régnait sans gouverner ; s'il créait toutes les autorités et. d'un geste les rejetait au néant, il n'avait pas pouvoir d'animer sa création et de faire passer en elle le souffle de vie. L'appareil entier n'était capable que de fonctionnement idéal et théorique. Sieyès s'était plu à décomposer les facultés de l'âme pour les loger chacune dans un corps politique, dans un compartiment de sa machine ; au Tribunat, l'imagination, la proposition ; au Corps législatif, la décision ; au Consulat, l'aboutissement à l'acte ; au Sénat, le jugement pondérateur et l'instinct de conservation. Mais cette analyse philosophique, appliquée au problème du gouvernement, aboutissait à une conception transcendante et vaine. Pour créer un gouvernement, c'est-à-dire un être vivant, agissant, pétri de matière humaine, il faut autre chose que de dégager et de superposer des abstractions. Et quel était le moment choisi pour offrir aux Français ce système extrahumain ? Celui où la France, avide de positif, appelait au pouvoir l'unité, la simplicité, la force, et où Bonaparte magnifiait à ses yeux toutes ces réalités. La nation abdiquait d'avance aux mains d'un homme ; elle n'eût pas abdiqué au profit d'entités métaphysiques.

 

II

Bonaparte connut les idées de Sieyès peu à peu et par transmissions successives. Les intermédiaires habituels, Talleyrand, Boulay, Rœderer, ne quittaient plus le Petit-Luxembourg ; on les voyait traverser la cour pour aller d'un pavillon à l'autre, circuler entre les appartements des deux Consuls, porter et reporter des objections, des réponses. Bonaparte ne combattit point le système de la notabilité graduée et le droit d'élection conféré au Sénat, sans se méprendre sur la portée de ces innovations : Le peuple serait privé de toute influence directe dans la nomination de la législature ; il n'y aurait qu'une participation fort illusoire et toute métaphysique[5]. En ce point, la métaphysique de Sieyès n'était pas pour lui déplaire. Il se sentait l'élu de l'espoir et de la confiance populaires, l'unique élu, et il ne désirait pas que l'on en fit d'autres. C'est à propos du Grand Électeur et de ses attributions qu'éclata le dissentiment.

Il n'est pas sûr que Sieyès ait d'abord réservé à Bonaparte cette souveraineté passive ; le poste de Consul pour l'extérieur, généralissime grand amiral et maître des relations diplomatiques, voilà qui semblait fait pour lui ; mais Bonaparte déclarait péremptoirement : Il me semble que Sieyès, Roger Ducos et, moi exerçant le pouvoir exécutif sous le nom de Consuls, il n'y a pas besoin d'autre autorité dans le gouvernement[6]. Sans insister, Sieyès essaya de le tenter par l'appât de la dignité suprême et chargea Rœderer de lui proposer la place de Grand Électeur.

Bonaparte écouta attentivement l'envoyé. Est-ce que je vous entends bien ? dit-il à la fin ; on me propose une place où je nommerai tous ceux qui auront quelque chose à faire et où je ne pourrai me mêler de rien...[7] Alors, il s'acharna contre le projet. S'armant de logique aiguë, il disséqua la fonction proposée et montra qu'on ne saurait trouver au fond que mensonge ou néant. Il posait un dilemme et n'admettait que deux hypothèses. Dans la première, le Grand Électeur nommerait pour Consuls des personnages à sa dévotion et inspirerait tous leurs actes en les tenant sous une menace permanente de révocation ; il arriverait ainsi à gouverner en fait, mais sourdement, fallacieusement, et alors pourquoi ne pas lui décerner franchement l'autorité qu'il pourrait toujours exercer par reprise indirecte et subterfuge ? Dans l'autre cas, le Grand Électeur prendrait au sérieux son rôle de monarque fainéant ; il s'abstiendrait d'agir, de vouloir, de bouger, et se retirerait des affaires publiques dans la suprême magistrature ; qu'on bouleversât l'État, que l'étranger vint à franchir nos frontières, il continuerait à se croiser les bras ; il toucherait six millions par an pour ne rien faire. Mais alors quel homme de cœur, quel homme de valeur se trouverait pour accepter ce rôle ignominieux et cette situation de cochon à l'engrais[8] ? Et c'était à lui Bonaparte qu'on proposait de trahir si indignement la confiance nationale : Cela est impossible ; la constitution le dirait cent fois que la nation ne le souffrirait pas. Je ne ferai pas un rôle si ridicule... Plutôt rien que d'être ridicule[9].

Au fond, il voulait être tout, d'abord dans l'ordre exécutif ; il voulait gouverner, mener, diriger, rassasier sa soif de domination, développer en liberté son génie de commandement. L'Exécutif très fort, concentré dans sa main, assuré de l'avenir, soustrait à la tutelle des assemblées, soustrait autant que possible à leur contrôle, il n'admettait pas autre chose ; il n'accepterait la fonction suprême qu'à condition d'en posséder toutes les prérogatives en même temps qu'il en assumerait tous les devoirs. Et sa dialectique étincelante prenait d'autant plus ses avantages qu'elle s'exerçait contre une conception fausse, vide, sonnant creux ; il pouvait appeler le bon sens au secours de ses cupidités.

Sieyès s'obstinait à ses idées, se renfrognait. Il voyait poindre le pouvoir unique et dénonçait le péril de la liberté. De plus, dans l'organisme qu'il avait façonné et réglé, il lui semblait que toutes les parties se liaient si intimement l'une à l'autre qu'à en ôter ou à y ajouter quelque chose, on dérangerait l'harmonie et on fausserait le jeu de la machine entière.

Bonaparte et Sieyès ne se voyaient guère qu'en séance consulaire. On imagina qu'à se voir en particulier, à causer, ils s'entendraient mieux. Talleyrand, qui avait su si adroitement les accorder à la veille de Brumaire, ne désespérait pas de les raccorder. Vers la fin de la première décade de frimaire, il ménagea entre eux une entrevue particulière et y assista ; elle faillit gâter tout à fait les choses. Contre les objections pressantes de Bonaparte, Sieyès se défendait au moyen d'aphorismes tranchants, dédaigneux, inspirés par une imperturbable confiance en soi-même, et se retranchait dans sa forteresse d'orgueil. Cette façon de se dérober à la discussion par l'affirmation exaspérait Bonaparte. Sieyès, dirait-il le lendemain[10], croit posséder seul la vérité ; quand on lui fait une objection, il répond comme un prétendu inspiré et tout est dit. Lui-même fut agressif, emporté, acerbe. Sieyès eut alors la riposte dure : Voulez-vous donc être roi ?[11] A ce mot, qui conservait quelque chose d'horrifiant, Bonaparte se plaignit amèrement d'avoir été mal compris et mal jugé. Il s'indignait qu'on mît en doute la sincérité de ses convictions républicaines. La discussion tourna tellement à l'aigre, finit en scène si pénible, que Talleyrand, malgré son impassibilité ordinaire, s'en montra fort affecté[12].

Rœderer et Boulay se torturaient l'esprit pour trouver un moyen d'accommodement. Le lendemain matin, l'un et l'autre arrivèrent au Luxembourg avec une solution transactionnelle ; Rœderer proposait un Grand Électeur qui aurait dans certains cas droit de décision ; Boulay proposait un Premier Consul qui assisterait toujours aux délibérations des deux autres et pourrait les départager. Bonaparte discuta ces deux projets, sans dissimuler que ni l'un ni l'autre ne lui convenaient[13]. Sieyès dit sèchement à Rœderer que son projet n'avait pas le sens commun ; dans celui de Boulay, il trouvait la royauté[14], — c'était toujours son grand mot. Pour augmenter l'embarras, Lucien se jetait à la traverse, s'agitait, lançait des idées qui n'étaient plus de mise, pérorait, détonnait. Avec une impertinence d'enfant terrible, il dénonçait le vice inhérent au système de Sieyès et déclarait que le résultat serait d'imposer à la nation des hommes dont elle ne voulait plus : Vous voulez des conservateurs à vie, et qui mettrez-vous dans ce corps ? des hommes qui auront été membres des assemblées nationales, mais tous ces hommes déplaisent à la nation. On dira que vous voulez ressusciter les ducs et pairs et qu'il vaudrait beaucoup mieux les avoir conservés[15]. Lucien faisait le démocrate, réclamait une république à l'américaine, une république vraiment représentative, où il espérait se créer une grande place. Boulay, Rœderer, Sieyès, Bonaparte lui-même s'irritaient contre ce gêneur. Bonaparte commençait néanmoins d'attaquer tout le système de Sieyès comme aristocratique et attentatoire à la liberté et à la souveraineté du peuple[16].

Dans la soirée, la mauvaise humeur de Sieyès s'accrut prodigieusement. Il parlait par moments de tout abandonner et de se retirer à la campagne, voire même à l'étranger. Bonaparte s'accommodait de cette éventualité et se préparait à y pourvoir ; sur le ton le plus décidé, en homme qui a pris son parti, il disait à Rœderer : Si Sieyès s'en va à la campagne, rédigez-moi vite un plan de constitution ; je convoquerai les assemblées primaires dans huit jours, et je le leur ferai approuver, après avoir renvoyé les commissions[17]. Les hommes imbus du pur esprit brumairien, ceux qui avaient rêvé une solution mixte, ceux qui désiraient à la fois un gouvernement et des libertés, ne savaient plus à quel parti recourir ; il semblait que l'œuvre de Brumaire, l'œuvre des deux journées, allait succomber au milieu des difficultés du lendemain.

 

III

Le bruit du différend n'arrivait aux oreilles des Parisiens qu'en échos affaiblis. Les gazettes avaient d'abord publié le projet de constitution par bribes, par lambeaux ; ces indiscrétions avaient suscité plus de curiosité que d'intérêt. Quand le Moniteur eut parlé, les publicistes officieux, Rœderer et les autres, s'efforcèrent de justifier la partie fondamentale du système, la suppression du droit électoral. Le tempérament foncièrement antidémocratique de ces hommes, leur passion bourgeoise s'exprime à plein dans ces écrits. Par opposition au système jacobin, au gouvernement direct du peuple par lui-même ou plutôt du peuple par la populace, Rœderer vantait l'excellence du système représentatif, mais il prétendait que des élus de départements, nommés par des fractions de l'unité française, ne sauraient former une représentation vraiment nationale ; en bonne logique, ce raisonnement eût conduit au fameux système de l'unité de collège. En dehors de ce procédé inadmissible, où trouver, d'après Rœderer, une représentation véritable ? On pourrait la trouver dans un corps préexistant, supérieur aux choix régionaux, mais fonctionnant par le consentement du peuple[18], autrement dit dans une oligarchie plébiscitée, dans l'élite des occupants actuels, dans une aristocratie viagère, substituée à l'ancienne noblesse ; voilà quelle pourrait être la base d'un système exempt et des horreurs de la démagogie et des oppressions de l'aristocratie ; en un mot, conforme à l'intérêt de cette grande nation qui ne consiste pas plus en prolétaires ignorants et grossiers qu'en privilégiés héréditaires[19].

Le plus étonnant fut que ces sophismes ne rencontrèrent point de contradicteurs. Dans les journaux, dans le public, aucune controverse sérieuse ne s'éleva. On était loin des temps où l'on se passionnait pour la forme à donner aux pouvoirs publics, à l'exercice de la souveraineté populaire, et la nation exténuée pensait moins à.ses droits qu'à ses besoins ; elle désirait encore plus une administration qu'une constitution, un gouvernement que des lois, et combien de Français, dégoûtés de droits dont l'usage n'avait abouti qu'aux pires dissensions, s'estimeraient heureux au fond qu'on les libérât de leur part de souveraineté !

Il est vrai que, sous d'autres rapports, les projets élaborés par Sieyès et sortis de son alambic déplurent en général ; ils parurent compliqués et peu pratiques ; le mot d'absorption, ce vocable introduit dans notre langue politique et répondant à une idée trop subtile pour être facilement saisie, donna matière à quantité de plaisanteries, car le Parisien rit volontiers de ce qu'il ne comprend pas[20]. Puis, que serait ce Grand Électeur à hisser au sommet de la pyramide, dans une immobilité hiératique, au milieu d'une auréole de faste et de magnificence ? Une manière de souverain constitutionnel, un précurseur de royauté, appelé à ramener parmi nous les apparences et les attitudes monarchiques. Les républicains ardents, soucieux surtout des formes, prirent de l'ombrage.

Un incident de rue ou plutôt de boulevard accrut leurs appréhensions. Un jour, près du boulevard, voici que la foule des badauds s'amasse aux abords du ci-devant hôtel de Montmorency, occupé par un carrossier ; dans la cour, quelque chose d'insolite et de magnifique s'exhibe, une royale voiture, toute en glaces et dorures ; ce ne peut être que le véhicule destiné à ce Grand Électeur que Sieyès parle d'installer pompeusement à Versailles, le carrosse du roi, et toutes les têtes se mettent à travailler. Au bout de quelques jours, les Parisiens connurent leur méprise ; la superbe voiture avait été commandée pour le compte de la reine d'Espagne et devait passer les Pyrénées[21]. Mais certains journaux avançaient que Sieyès voulait instituer son Grand Électeur à vie et que Bonaparte repoussait cette innovation contraire à tous les principes d'un État démocratique. Pour ne pas aigrir le dissentiment entre les deux puissances, Rœderer démentit dans son journal la nouvelle, mais il en resta quelque chose, et ce fut Bonaparte qui passa pour le vrai républicain.

Au Luxembourg, bien que le 10 frimaire au soir la crise fût à l'état aigu, Boulay, Rœderer et Talleyrand ne désespéraient pas encore ; ils s'étaient juré de satisfaire Bonaparte sans trop froisser Sieyès. Le moyen imaginé finalement fut de faire intervenir les commissions et de les prendre en quelque sorte pour juges. Boulay disposait d'une sérieuse influence auprès de ses collègues et se faisait fort, en les travaillant, de créer une majorité en faveur des principales idées de Bonaparte. On laissa naturellement ignorer à Sieyès ce travail ; on lui fit croire que Boulay et les autres tenaient toujours la balance égale. Sieyès, qui comptait sur les commissions et comptait à tort, se trouverait en présence d'une espèce de vote parlementaire qu'il n'aurait point prévu et devant lequel il lui serait très difficile de ne pas s'incliner.

Les démarches continuaient en même temps auprès des deux Consuls, afin de provoquer une détente dans leurs rapports. La réflexion surtout l'amena, quand une nuit eut passé sur l'impatience courroucée de Bonaparte et la blême colère de Sieyès. Bonaparte avait beau affecter une désinvolture altière, la sécession de Sieyès, avec celles qu'elle aurait vraisemblablement entraînées, l'eût mis dans un sérieux embarras ; elle l'eût obligé à s'affranchir tout à fait des formes légales, à présenter une constitution aux Français à la pointe du sabre, ce qui répugnait encore à la prudence de ses ambitions ; elle aurait divisé ce parti brumairien avec lequel il avait conspiré d'abord, gouverné ensuite, et elle eût mis le désordre dans son bataillon central. D'autre part, il n'échappait plus à Sieyès que le mouvement des circonstances et l'entraînement des esprits portaient de plus en plus vers Bonaparte, qu'à vouloir s'élever contre ce torrent on se briserait. Autour de lui, il ne manquait pas de prétendus amis, tels que Fouché, pour lui démontrer que le général disposait de la force militaire et par conséquent de l'argument sans réplique, pour lui faire peur de l'homme armé[22] ; Sieyès n'était pas totalement à l'abri de pareilles impressions[23].

Sa résistance mollissait en somme ; il n'abandonnait rien de ses idées, ne renonçait pas à les soutenir, mais cessait d'opposer à celles de Bonaparte une fin de non-recevoir intangible. Ils se revirent en présence de Talleyrand, de Boulay et de Rœderer ; l'entretien fut cette fois parfaitement calme, courtois, et tourna en conférence académique, portant sur des généralités élevées et vagues. Sieyès et Talleyrand se montrèrent supérieurs chacun dans son genre, Bonaparte supérieur en tous genres, et Boulay, après bien des années, se rappellerait encore l'impression que lui avait laissée cette joute entre esprits aussi différents qu'extraordinaires[24]. Les plus hauts problèmes de la science politique furent abordés, sans que l'on touchât aux questions pratiques, aux questions brûlantes, qui ne devaient plus se traiter qu'avec la participation des deux commissions. Sieyès moitié trompé, moitié résigné, acquiesçait à ce moyen d'en finir[25]. Il avait eu quelque idée de convoquer chez lui les commissaires et de s'attirer ce renfort. Bonaparte le prévint et ne perdit pas un moment pour s'emparer des commissions.

Dès le 11 au soir, il réunit dans son salon du Luxembourg les membres des deux sections et les mit en présence de Sieyès et de Ducos[26]. On causa ; la conversation se transforma vite en conférence et se prolongea dans la nuit. Les soirs suivants, elle reprit. Au bout de quelques jours, Bonaparte élargit la réunion, appela chez lui les deux commissions de vingt-cinq membres chacune et les fusionna en conférence plénière. Dans le jour, les deux petites assemblées continuaient à tenir leurs séances ordinaires au Palais-Bourbon et aux Tuileries, dans les formes accoutumées, avec comptes rendus publics, et votaient des lois d'affaires. Pendant la soirée, tout ce qui concernait la constitution se préparait en comité général, mais en comité privé, secret, sous l'œil des Consuls, afin que les commissions, lorsqu'elles auraient à statuer officiellement sur le nouveau pacte social, n'eussent qu'à enregistrer un projet convenu d'avance.

Bonaparte précipita le débat, de façon qu'en dix ou douze séances, dix ou douze nuits, tout fut terminé. Son jeu était de se servir de Sieyès contre les commissions et des commissions contre Sieyès. Il disait en particulier à son collègue : Ces gens-là sont trop vils pour vous et pour moi[27], afin de le dégoûter de ce résidu parlementaire. Il fit décider que l'on entendrait d'abord Sieyès et qu'on le prierait de développer toutes ses idées. Sieyès les exposa en grand détail, toujours verbalement. On parut approuver et s'extasier, en n'émettant qu'une réserve : tout cela était fort beau, mais ne constituait pas un dispositif écrit et ne fournissait point à la discussion une base positive. Il fallait un rédacteur, une plume, quelqu'un qui se chargeât de bâtir un projet ; Daunou, fort expert en la matière, fut chargé de cette besogne ; Bonaparte lui recommanda de faire vite.

Le lendemain, après un violent effort de travail, Daunou apportait un projet qui résultait de ses méditations antérieures et qui différait essentiellement des conceptions de Sieyès. Ce projet péchait également par la surabondance et la complication des rouages, mais il était libéral et sincère.

Daunou, principal auteur de la constitution de l'an III, gardait pour elle une faiblesse de père. Au lieu de la détruire et de la remplacer, il avait entrepris seulement de la réviser, en l'accommodant aux nécessités présentes et au ton général des esprits, en corrigeant ses défauts, en comblant ses lacunes, en profitant de l'expérience acquise.

Il maintenait au peuple le droit d'élire ses représentants, à condition de les choisir parmi des hommes déjà éprouvés par les fonctions politiques, départementales ou municipales, et il conservait deux assemblées : celle des Cinq-Cents, celle des Deux-Cents, sorte de chambre haute. L'initiative des lois abandonnée jusqu'alors au parlement seul avait donné lieu à une foule d'abus ; Daunou la partageait entre le Gouvernement et l'une des Chambres, celle des Cinq-Cents ; là, il l'enfermait en une commission permanente d'initiative, le collège des tribuns ; dix tribuns choisis par leurs collègues des Cinq-Cents auraient à recueillir les vœux populaires, à les formuler en projets qui seraient ensuite discutés et votés par les deux assemblées. Daunou empruntait à Sieyès l'institution d'un haut jury, chargé d'annuler les actes inconstitutionnels. Au lieu de diviser l'Exécutif entre cinq Directeurs, il le partageait entre trois Consuls, mais il admettait, pour faire à Bonaparte une situation hors de pair, un consul prépondérant. Par une série de dispositions, les libertés publiques eussent été garanties, quoique assez strictement réglementées[28].

Toutes ses idées, Daunou les avait consignées séparément sur feuilles volantes, sur de petits carrés de papier. Il s'était muni de ce dossier pour aller à la conférence et espérait en faire accepter le contenu. Devant l'impérieuse volonté qui s'imposait peu à peu et emportait la balance, que pèseraient ces feuilles légères !

La coexistence de deux projets, celui de Sieyès, celui de Daunou, permettait à Bonaparte de les opposer l'un à l'autre ; il allait retenir dans chacun d'eux ce qui convenait à ses ambitions et bouleverser le reste. Il dit à Daunou : Citoyen Daunou, prenez la plume et mettez-vous là[29]. Daunou, la plume à la main, commença de lire ses articles. Bonaparte ouvrait la discussion sur chacun d'eux avant de le mettre aux voix. Ses amis, ses porte-paroles, Boulay et les autres, proposaient des amendements considérables, en s'inspirant tantôt des idées de Sieyès et tantôt d'idées toutes contraires. La majorité des commissaires acquiesçait aux changements. Bonaparte les tenait par l'espoir des places ; il les alléchait à la servilité par l'appât de l'inamovibilité sénatoriale ou du titre ressuscité de conseiller d'État ; il exploitait toutes les avidités qui s'agitent et s'affairent autour du succès cheminant.

A mesure qu'une modification passait à la majorité des suffrages, force était à Daunou de la recueillir par écrit, en st, qualité de rédacteur. Mélancoliquement, il retournait un de ses feuillets et portait au dos la disposition adoptée, contre laquelle il avait souvent levé la main[30]. Ces feuillets nous ont été conservés et présentent un curieux document ; il n'est pas rare que les deux faces se contredisent ; au recto, la pensée primitive de Daunou apparaît ; au verso, celle qu'il mettait en forme pour le compte de la réunion. Quant à Sieyès, s'il obtenait gain de cause sur certains points, il s'apercevait qu'en parties essentielles on lui démolissait son ouvrage ; il ne le reconnaissait plus.

Le système des listes de notabilités, le droit d'élection transféré du peuple au Sénat, passèrent malgré Daunou. On s'accorda sur l'institution du Tribunat et celle du Corps législatif. Boulay parla contre le droit d'absorption et le fit écarter, malgré Sieyès.

L'organisation de l'Exécutif semblait la difficulté capitale. Mais le pouvoir venait invinciblement à Bonaparte par la force des choses, par l'affaissement des volontés contraires. Il lui venait peu à peu, pièce à pièce, par abandons successifs.

Dans la conception primitive, Bonaparte Grand Électeur planait au-dessus du gouvernement sans y participer, planait inactif au-dessus des deux Consuls. Boulay, dans son projet, le faisait descendre de ce nuage ; il l'instituait Consul lui-même et premier Consul ; il le faisait s'asseoir entre ses deux collègues, délibérer avec eux sur le choix des fonctionnaires, sur toutes les mesures d'administration et de gouvernement, afin qu'il assurât par son vote la décision collective et fit une majorité. Daunou allait plus loin ; par l'un de ses articles, if conférait au premier Consul le droit de nommer seul et de sa propre autorité tous les agents dont la désignation appartiendrait à l'Exécutif, mais l'article posait ensuite une réserve et continuait en ces termes : Dans tous les autres actes du pouvoir exécutif, le deuxième et le troisième Consul ont voix délibérative comme le premier. Celui-ci eût tout décidé d'accord avec l'un ou l'autre de ses collègues ; il n'eût rien décidé contre un double avis contraire. C'est ce que Bonaparte n'admettait à aucun prix ; il lui fallait que l'avis de ses conseillers nécessaires ne pût jamais l'obliger. Ce dernier pas fut franchi ; un remaniement fut proposé, adopté, et Daunou, bâtonnant son texte, inscrivit sur l'envers du feuillet ces lignes définitives : Dans les autres actes du gouvernement, le deuxième et le troisième Consul ont voix consultative. Ils signent le registre de ces actes pour constater leur présence, et s'ils veulent, ils y consignent leurs opinions ; après quoi, la décision du premier Consul suffit[31].

Par ces huit mots, le destin de la France s'accomplissait, l'unité de décision rentrait dans le gouvernement après dix ans d'éclipse. On sauvait pourtant les apparences, on masquait encore la réalité, on sacrifiait pour la forme à l'une des idées fausses sur lesquelles la Révolution vivait, celle qui Faisait consister la République dans la pluralité des chefs de l'État. Comme les arrêtés gouvernementaux seraient pris en séance consulaire et porteraient une triple signature, ils paraîtraient l'œuvre d'une collectivité, alors qu'en fait ils émaneraient d'un homme.

Sieyès, lui, ne s'y méprenait point ; il se sentait par trop déçu et joué. Sans s'insurger, il paraissait maintenant se désintéresser de tout. Bonaparte lui ayant demandé en particulier quelle compensation il désirait : Rien, répondit-il d'abord ; je ne demande qu'une retraite[32]. Mais il importait beaucoup que Sieyès ne boudât point et surtout ne parût pas bouder. Aux yeux de la classe des hauts révolutionnaires et des philosophes, Bonaparte ne serait vraiment le chef, le représentant, le dépositaire de la Révolution qu'autant que des hommes comme Sieyès resteraient là pour l'entourer et le couvrir. Il continuait donc à voir séparément le théoricien et parlementait avec lui de puissance à puissance. Sieyès n'était pas homme à bouder longtemps contre ses intérêts et ses aises, à lutter pour l'impossible. Maintenant, avec une sorte de fatalisme, il laissait passer l'inévitable, espérant qu'il ne ferait que passer et que l'avenir rendrait place à d'autres combinaisons. Gardant toute sa foi dans l'infaillibilité de ses conceptions, mais jugeant la France hors d'état d'en goûter actuellement la subtile beauté, il éprouvait comme une satisfaction amère à se sentir incompris, et son orgueil s'accommodait de cette solitude de sa pensée. Il n'en tenait pas moins à sauver, à défaut des principes, la situation matérielle de son parti autant que la sienne propre ; il n'y eut pas de sa part capitulation totale devant Bonaparte, il y eut transaction.

Voici quelles en furent les conditions, telles qu'on les verra s'exécuter tout à l'heure. Sieyès, au lieu de rester à côté de Bonaparte dans une position forcément inférieure, se placerait en face de lui, à la tête du Législatif. Il présiderait le Sénat ; surtout, il aurait pleine liberté pour influencer le choix des premiers conservateurs, lorsqu'il s'agirait de nommer les membres du Tribunat et du Corps législatif ; ce serait lui qui en fait élirait ces deux chambres. Par une permutation singulière, le Grand Électeur, placé d'abord dans l'ordre exécutif, passait dans celui du Législatif, et Sieyès lui-même en ferait fonction. Ce rôle de procréateur d'assemblées lui convenait, parce qu'il lui permettrait de se reposer ensuite dans une inactivité méditative et bien rentée, tout en restant l'âme invisible des corps qu'il aurait formés. A. son aise, il pourrait y caser les survivants de la bourgeoisie conventionnelle et de l'école philosophique, les membres des Anciens, les membres ralliés des Cinq-Cents, tous représentant plus ou moins l'intérêt, la tradition, l'esprit et l'exclusivisme révolutionnaires.

Au moyen de ce parti fortement retranché, Sieyès se rattachait à l'espoir de contenir et de limiter Bonaparte. De son côté, Bonaparte ne répugnait pas à laisser une oligarchie discréditée se cantonner en face de lui sur les positions législatives, s'en faire lieux de refuge et places de sûreté. Ce personnel dont le sort s'était lié au sien en Brumaire, c'était le seul qu'il connût encore ; il n'en avait pas d'autre à lui opposer. De plus, il ne lui déplaisait point que les assemblées avec lesquelles il aurait à compter fussent composées d'hommes odieux à la nation et naquissent impopulaires. Si elles essayaient de brider son ambition et de borner sa politique, l'opinion et la voix publiques lui donneraient raison contre elles. Dans ses démêlés futurs avec ses alliés d'hier, adversaires de demain, sa grande ressource serait d'en appeler d'eux au peuple..

 

IV

Au sortir des entretiens où il ménageait la satisfaction de Sieyès, il retournait au débat du soir, au débat en conférence, et de plus en plus l'activait. Après avoir réglé la forme des premières autorités, on s'occupait du reste. Ce grand Consul qu'on venait d'ériger, ce pouvoir porté si haut, allait-on l'entourer d'institutions libérales ? lui ferait-on trouver sa limite dans l'organisation des droits individuels et collectifs ? Quelques membres des commissions, Daunou et Chénier entre autres, avec un courage qu'il faut honorer, essayèrent d'élever des barrières et de stipuler des garanties. Bonaparte en prit de l'humeur contre Daunou et Chénier ; pour les punir, il les exclut du Sénat futur en faisant décider que nul n'y pourrait entrer s'il n'avait quarante ans ; Daunou ni Chénier n'avaient atteint cet âge[33].

En tout, Bonaparte s'efforçait d'écarter les discussions de principes et d'abréger. Dans les matières qu'il jugeait particulièrement de son ressort, il lui arrivait de proposer lui-même la rédaction ; il la proposait brève, impérieuse, marquée d'un accent militaire. Un soir, il prit la plume et griffonna ces deux lignes, pour servir de texte à un article : Lorsqu'un département se mettra en révolte ouverte, il sera déclaré en état de guerre, et dès lors le seul pouvoir militaire sera reçu. La formule manquait de correction et les mots pouvoir militaire n'étaient pas bons à prononcer. Lebrun proposa de dire la même chose, mais de la dire autrement et en prévoyant mieux tous les cas. On finit par adopter la rédaction suivante, qui était à peu près celle de Daunou : a Dans le cas de révolte à main armée ou de troubles qui menacent la sûreté de l'État, la loi peut suspendre, dans les lieux et pour le temps qu'elle détermine, l'empire de la constitution — Daunou avait proposé de dire : de certaines dispositions constitutionnelles spécialement désignées —. Cette suspension peut être provisoirement déclarée, dans les mêmes cas, par un arrêté du gouvernement, le Corps législatif étant en vacances, pourvu que ce corps soit convoqué au plus court terme par un article du même arrêté[34].

On voit que Bonaparte ne réussissait pas en toutes choses à dicter la loi. En face de l'obstacle, il avait parfois des mouvements rageurs, tapait du pied et se rongeait les ongles[35] ; presque aussitôt, par un effort sur lui-même, il se maitrisait, se refrénait, rentrait ses griffes, redevenait conciliant et calme ; la violence du caractère, la passion contenue, ne perçaient chez lui que par échappées. Un soir, comme le représentant Mathieu s'était exprimé avec une véhémence qui rappelait trop d'autres temps, il lui darda ces mots : Votre discours est un discours de club[36]. Cette apostrophe jeta un froid dans l'assistance. Au bout d'un instant, Bonaparte trouva occasion de revenir à Mathieu et s'excusa de sa vivacité[37].

Cette lutte avec des hommes qui parlaient mieux que lui et contre lesquels l'âpre verdeur de sa volonté n'arrivait pas toujours à prévaloir, l'impatientait, l'énervait. Il s'instruisait cependant au cours de la discussion, étudiait et jugeait ses contradicteurs ; il admirait leur talent et se prenait d'un grand dédain pour leurs idées. A Sainte-Hélène, il résumerait ainsi ses observations de frimaire an VIII ; il avait remarqué que des hommes qui écrivaient très bien et avaient de l'éloquence étaient cependant privés de toute solidité dans le jugement, n'avaient pas de logique et discutaient pitoyablement ; c'est qu'il est des personnes qui ont reçu de la nature le don d'écrire et de bien exprimer leurs pensées, comme d'autres ont le génie de la musique, de la peinture, de la sculpture, etc. Pour les affaires publiques, administratives et militaires, il faut une forte pensée, une analyse profonde et la faculté de pouvoir fixer longtemps les objets sans être fatigué[38].

Au bout de quelques nuits, les commissaires succombaient de lassitude ; lui restait invincible à la fatigue, gardait toute l'agilité de sa pensée dans un corps débile et parfois fiévreux. C'est seulement après le vote de la constitution qu'il s'accorderait pour deux jours le droit d'être malade[39]. Maintenant, dans l'intervalle des comités, un autre objet le préoccupait ; il y pensait le jour et la nuit. Tout le monde s'accordait à lui abandonner le choix du deuxième et du troisième Consul : quels hommes se donnerait-il pour collègues ? Trop grand pour avoir à se rehausser en s'entourant de nullités, il voulait des assistants réels, des collaborateurs efficaces, qui suppléeraient à son inexpérience en bien des choses ; il les choisit capables et dignes.

Cambacérès lui parut très propre à faire le deuxième Consul. C'était l'un des personnages importants de la République. Il n'avait nullement le goût des institutions libérales ; on retrouvait en lui par excellence le conventionnel de gouvernement, un de ceux qui avaient toujours su, au milieu des pires bouleversements, conserver ou retrouver la notion de l'État, garder la tradition de l'État royal en l'accommodant au mode révolutionnaire. Appelant aujourd'hui de tous ses vœux un vrai gouvernement, un grand gouvernement, il désirait cependant que ce pouvoir fort s'exerçât avec modération. La sagesse naturelle de son esprit lui faisait blâmer ou au moins déplorer les excès en tout genre ; quand il se sentait impuissant à empêcher le mal, il s'effaçait et le laissait passer, puis revenait pour obvier aux suites et réparer le dommage ; c'était l'homme des lendemains de crise. Ami de ses aises, appréciant et savourant les avantages matériels du pouvoir, très sensible aux privilèges honorifiques, vénérant le cérémonial, il ne pouvait passer pour un type d'austérité républicaine, mais il ajouterait au lustre du Consulat, car ses goûts, ses faiblesses même et ses jouissances avaient quelque chose d'imposant. Jamais il ne se départ d'un calme solennel, dit une observatrice[40] qui ajoute ces lignes quasi prophétiques : Je suis persuadée que Cambacérès pourrait vivre pendant un siècle à côté de Bonaparte sans lui adresser un mot vif ou peu courtois. En même temps, la solidité de ses connaissances, son jugement très sûr, la gravité douce de sa parole, feraient de lui un conseiller toujours utile et jamais indiscret.

Pour le choix du troisième Consul, Bonaparte balança plus longuement, hésita entre Le Couteulx, Cretet et Lebrun, avant de s'arrêter à Lebrun. C'était un homme d'un certain âge, qui s'était fait connaitre avant la Révolution comme écrivain ; depuis, il avait siégé à la Constituante, au Conseil des Anciens, et s'était assuré dans le monde politique une situation de second rang, mais honorable et posée.

Il parut à Bonaparte que Cambacérès et Lebrun, par le contraste même de leur passé et de leurs tendances, se compléteraient l'un l'autre. Cambacérès avait marqué dans le vif de la Révolution et donné des gages ; Lebrun passait pour avoir conservé des préférences et surtout des attaches royalistes. Dans le gouvernement consulaire, il serait bon de placer, à côté d'un ancien conventionnel, un ex-constituant ; à côté d'un républicain assagi, un royaliste rallié. Par Lebrun, qui formerait son aile droite, et Cambacérès, qui formerait son aile gauche, Bonaparte se donnerait prise sur les deux moitiés de l'opinion ; il lui serait plus facile de les attirer à soi dans un grand mouvement d'absorption. Cambacérès était de plus un juriste éminent ; Lebrun s'était surtout occupé de questions financières ; ils représenteraient chacun une compétence et une spécialité. Avec beaucoup de tact, Bonaparte ne choisit définitivement Lebrun qu'après l'avoir en quelque sorte fait agréer à Cambacérès. Concertons-nous, lui dit-il, sur le troisième Consul. Il nous faut quelqu'un qui, sans être tout à fait étranger à la Révolution, ait conservé des rapports avec les débris de l'ancienne société et qui les rassure sur l'avenir[41]. Au préalable, il s'était enquis minutieusement auprès de Rœderer, qui connaissait bien le personnel politique, et il lui avait fait passer sur Lebrun un véritable examen.

BONAPARTE. — Qu'était Lebrun ?

RŒDERER. — Il a d'abord été secrétaire du chancelier Maupeou, ensuite homme de lettres distingué, constituant, président de l'administration de Versailles et législatif.

BONAPARTE. — Qu'a-t-il fait comme homme de lettres ?

RŒDERER. — Il a traduit Homère et le Tasse.

BONAPARTE. — Quelle réputation a-t-il ?

RŒDERER. — Il a passé pour royaliste, mais il a toujours eu et toujours justifié la confiance des patriotes. Quand une fois il s'est engagé à un parti, il y est fidèle, et il n'existe pas un homme plus sûr.

BONAPARTE. — N'est-il pas orléaniste ?

RŒDERER. — A cent lieues de là !

BONAPARTE. — Fayettiste ?

RŒDERER. — Encore moins !

BONAPARTE. — Est-il bon coucheur ?

RŒDERER. — Excellent. C'est un homme modeste, paisible, doux, conciliant par nature.

BONAPARTE. — Il n'a pas la réputation de patriote ?

RŒDERER. — Sachez franchir ces scrupules ; je me moquerais, à votre place, de ces réputations.

BONAPARTE. — Je ne demande que des hommes d'esprit ; je me charge du reste... Lebrun est-il marié ?

RŒDERER. — Je l'ignore, mais je le crois.

BONAPARTE. — ... Envoyez-moi ses œuvres ; je veux voir son style.

RŒDERER. — Quoi ? Ses discours à l'assemblée constituante et législative ?

BONAPARTE. — Non ; ses œuvres littéraires.

RŒDERER. — Et que verrez-vous là de décisif pour une place de Consul ?

BONAPARTE. — Je verrai ses épitres dédicatoires.

RŒDERER. — Pour le coup, voilà une curiosité à laquelle je ne m'attendais pas. J'ai souvent comparé vos questions sur les hommes et sur les choses à l'étude d'une poignée de sable que vous passez grain à grain à la loupe ; les épîtres dédicatoires de Lebrun sont le dernier grain de sable du tas.

BONAPARTE, en riant. — Il est deux heures ; je devrais être au Consulat. Venez dîner avec moi[42].

Après le dîner, lorsqu'en ce soir du 19 frimaire le travail constituant reprit en comité, il se trouva que Daunou avait fort avancé la mise au net des articles convenus. Il s'en fallait pourtant que la constitution fût achevée et présentable en séance officielle. Plusieurs questions restaient à régler, et quelles questions ! Ferait-on une déclaration des droits, pour se conformer aux précédents de 1789, de 1793 et de l'an III ? Allait-on réorganiser constitutionnellement l'administration départementale, réorganiser la justice, statuer sur la liberté de la presse ? Tous ces points prêtaient à discussion, mais Bonaparte avait tellement hâte d'en finir avec la constitution et d'y spécifier le moins de choses possibles que dès le 21, dans la séance diurne de la commission des Cinq-Cents, dans la séance régulière, Boulay commença de lire l'exposé des motifs de la loi fondamentale encore inachevée. Après avoir posé quelques prémices, il s'interrompit ; la fin de l'exposé, qui devait précéder la lecture des articles, fut renvoyée au lendemain[43].

Cette suite ne verrait jamais le jour. Dans la soirée, la conférence plénière se réunit de nouveau chez Bonaparte, à l'effet de façonner les chapitres restés en suspens. Sur l'organisation définitive des pouvoirs, sur la question de la magistrature, les commissions se divisèrent profondément ; il fut impossible de s'accorder en quelques points, d'établir des articles, et un désarroi s'ensuivit[44]. Si le lendemain un texte quelconque affrontait le grand jour d'un débat en séance, il était à craindre qu'on ne vît surgir des objections, s'élever une opposition qui peut-être remettrait tout en cause et que la publicité des comptes rendus ferait éclater au dehors ; c'est à quoi Bonaparte résolut de couper court, par moyens expéditifs.

Le lendemain, les séances de jour s'ouvrirent comme à l'ordinaire, mais au Palais-Bourbon, aux Tuileries, dans ces lieux où résidait en somme le pouvoir constituant, il ne fut plus dit un seul mot de constitution ; Boulay se garda de reprendre son exposé, qui eût ouvert le débat. La nuit tombée, tous les membres furent une dernière fois et privément convoqués au Luxembourg, dans le salon de Bonaparte, où se trouvaient Sieyès et Ducos. Là, on leur lut la constitution arrêtée au point qu'elle n'avait pu dépasser, et ils furent invités à l'approuver telle quelle, à la signer individuellement et sans plus de façons. Ainsi chambrés, pris au piège, épuisés par les longues veilles et les nuits blanches, ils n'osèrent regimber contre l'insolence despotique du procédé. Bonaparte d'ailleurs était là ; son ton, son regard commandaient, et comment résister à ce terrible homme ! Les cinquante parlementaires se soumirent, et la constitution écourtée, résultat d'improvisations haletantes, fut adoptée, subie, sans avoir fait l'objet d'un débat et d'un vote réguliers.

Cette espèce de coup d'État en chambre eut un épilogue caractéristique. Par un semblant de déférence envers les commissions, il avait été entendu qu'elles éliraient pour la forme les trois Consuls, désignés d'avance. On vota chez Bonaparte et sans désemparer. Un étalon de litre ou de décalitre, posé sur une table, servit d'urne. Pendant le scrutin, Bonaparte se tenait adossé à la cheminée et se chauffait au feu. On allait commencer le dépouillement, quand il s'approcha brusquement de la table, fit rafle des bulletins et empêcha de les déplier. Se tournant alors vers Sieyès, il dit très gracieusement : Au lieu de dépouiller, donnons un nouveau témoignage de reconnaissance au citoyen Sieyès en lui décernant le droit de désigner les trois premiers magistrats de la République, et convenons que ceux qu'il aura désignés seront censés être ceux à la nomination desquels nous venons de procéder[45].

Pourquoi ce surcroît d'irrégularité ? Bonaparte craignait-ii les surprises d'un scrutin secret ? Il est bien certain que les commissions ne lui eussent pas subrepticement refusé leur vote, mais il parait que divers membres, par manière de protestation indirecte, comptaient porter leurs suffrages sur Daunou comme troisième Consul, et Bonaparte voulait l'unanimité pour ses collègues comme pour lui-même. De plus. son geste autoritaire n'était-il pas une confirmation du pacte renouvelé avec Sieyès, une façon de lui reconnaître la qualité d'électeur suprême, en l'appelant à désigner fictivement les Consuls, avant de nommer réellement les députés et tribuns ? Sieyès fit mine de se défendre, puis prononça les noms de Bonaparte, de Cambacérès et de Lebrun. Des applaudissements s'élevèrent, et les journaux pourraient écrire que le vote avait eu lieu par acclamation, sans scrutin et à l'unanimité[46]. Il était onze heures du soir ; les bulletins non dépliés se consumaient dans la flamme du foyer.

En présence des commissaires toujours tassés dans l'étroite pièce, les noms des Consuls furent placés dans la constitution. Concurremment, Sieyès d'abord et Ducos ensuite furent inscrits comme premiers sénateurs. Il fut également mentionné que Sieyès, assisté pour la forme de Ducos, de Cambacérès et de Lebrun, choisirait vingt-neuf sénateurs qui auraient sous sa direction à en désigner vingt-neuf autres, le Sénat ainsi composé devant élire les députés et tribuns. On avait renoncé à faire les nominations tout de suite et à insérer dans la constitution des listes d'élus. Comme le nombre des candidats passait prodigieusement celui des places, on avait pensé qu'il ne fallait décourager personne et que plus d'hommes marquants adhéreraient à la constitution, lors du plébiscite, si elle leur laissait l'espoir d'être casés et lotis[47]. Toutes ces dispositions prises, le partage d'attributions entre Bonaparte et Sieyès définitivement opéré, les cinquante commissaires, après les trois Consuls provisoires, signèrent l'acte constitutionnel.

Le texte portant la date du 22 frimaire fut envoyé à l'impression dans la nuit même. Bonaparte toujours expéditif voulait que la publication solennelle dans Paris, par les municipalités formées militairement en colonnes et menant la chose tambours battants, eût lieu dès le lendemain 23 au soir. Dans la matinée, les troupes d'escorte furent commandées ; Réal, commissaire du gouvernement près l'administration de la Seine, invita par circulaire les municipalités d'arrondissement à prendre toutes leurs mesures pour publier l'acte dès qu'il serait sorti des presses, à ne pas perdre un instant : Vous recevrez dans peu de moments les imprimés des lois que vous devez proclamer. Je vous observe qu'il est indispensable que cette proclamation ait lieu dans la soirée[48]. Mais le texte avait été si précipitamment rédigé qu'on dut prier Daunou de le remanier sur épreuves pour mettre un peu d'ordre dans la disposition matérielle des articles[49]. Il en résulta un retard qui fit reporter la cérémonie au lendemain matin à onze heures ; le 25, la constitution parut dans les journaux.

Devant la commission des Cinq-Cents, Cabanis en fit l'éloge au nom de la philosophie et de l'Institut. Les métaphysiciens, voyant leur place assurée au Sénat, au Corps législatif et au Tribunat, soustraits désormais au caprice des scrutins populaires et aux atteintes de la défaveur publique, jugeaient qu'après tout la constitution consacrait l'inamovibilité de leur privilège. Et pourquoi Bonaparte, guerrier philosophe, s'honorant d'appartenir à l'Institut, ne les laisserait-il pas formuler en lois leurs doctrines, sans qu'ils soient troublés dans leurs délibérations par l'ingérence brutale du nombre et le tumulte des démocrates ? Cabanis disait : La classe ignorante n'exercera plus son influence ni sur la législation ni sur le gouvernement ; tout se fait pour le peuple et au nom du peuple, rien ne se fait par lui et sous sa dictée irréfléchie[50]. Quelques-uns en étaient encore à penser que le gouvernement issu de Brumaire serait celui d'une élite intellectuelle, régnant au profit de l'intérêt et de l'idéal révolutionnaires.

Le peuple de Paris voyait plus clair ; pour lui, le gouvernement, c'était Bonaparte. Que lui importaient tribuns, députés, sénateurs, toute cette hiérarchie à laquelle il ne comprenait rien et, ces pouvoirs divers dont l'énumération le laissait insensible[51] ? Un homme lui paraissait assumer seul la tâche de guérir la France ; on l'attendait à l'œuvre, on le jugerait à ses actes ; c'est à lui seul qu'on ferait remonter la responsabilité d'un échec ou la Gloire d'une réussite. Quand la constitution fut proclamée par les rues au milieu des roulements de caisse et des fanfares, un officier municipal la lisait, a et chacun s'agitait si bien pour en entendre la lecture que personne n'en attrapait une phrase de suite. Une femme dit à sa voisine : Moi, je n'ai rien entendu. — Moi, je n'ai pas perdu un mot. — Eh bien, qu'y a-t-il dans la constitution ?Il y a Buonaparte[52].

 

V

Bonaparte disait plus tard à Rœderer : Il faut qu'une constitution soit courte et... — Claire, allait dire Rœderer en achevant la phrase. — Oui, reprit Bonaparte sans lui laisser le temps de parler, courte et obscure[53]. A ce point de vue, la constitution de l'an VIII devait lui plaire ; c'était en beaucoup de ses parties un chef-d'œuvre d'équivoque. En dehors d'un grand sommet et de quelques lignes fermement accusées, tout s'y recouvrait d'ombre et demeurait vague, incertain, amorphe.

Le titre premier conférait la qualité de citoyen à tout Français majeur qui se serait fait inscrire sur le registre civique. Tout citoyen était admis à exercer les droits politiques dans la commune où il aurait depuis un an fixé sa résidence. C'était rétablir à peu près le suffrage universel, qui n'avait jamais figuré que dans la constitution inappliquée de 1793. Ce n'était toutefois que lui rendre un platonique hommage, car sa part d'intervention régulière se réduirait à former les listes de notabilité communale, qui s'établiraient pour la première fois en l'an IX et auxquelles se superposeraient alors les listes départementales et nationale. D'après l'article 14, les citoyens qui seront nommés pour la première formation des autorités (la formation à laquelle il allait être immédiatement procédé) feront partie nécessaire des premières listes. D'après quel mode de scrutin les autres notables à placer sur les listes futures seraient-ils désignés ? L'inscription sur les listes serait-elle soumise à une condition de cens ou de capacité ? La constitution se taisait sur ces points. Pour assurer le fonctionnement du mécanisme dont elle se bornait à tracer le dessin, il faudrait qu'un ensemble de dispositions organiques vînt suppléer à son insuffisance.

A partir de la formation des listes, la qualité de notable au premier ou au second degré créerait l'aptitude aux fonctions locales. Les grandes autorités de l'État seraient choisies par le Sénat sur la liste nationale. Le Sénat était de par la constitution très confortablement établi. Le Sénat conservateur se compose de quatre-vingts membres, inamovibles et à vie... Des revenus de domaines nationaux déterminés sont affectés aux dépenses du Sénat. Le traitement annuel de chacun de ses membres se prend sur ces revenus, et il est égal au vingtième des fonds affectés au Consulat (soit 25.000 francs par an, les Consuls en recevant à eux trois 500.000.) Le Sénat, formé d'abord de soixante membres, se complétera lui-même graduellement et en dix ans au chiffre réglementaire ; il pourvoira aux vacances qui se produiront clans son sein. Il élira les Consuls, à l'expiration des pouvoirs de Bonaparte, de Cambacérès et de Lebrun, déjà investis ; les Consuls seront toujours rééligibles ; il n'est pas dit clans quelle forme se fera l'élection ou la réélection. A partir de l'an IX, le Sénat procédera aux renouvellements partiels du Tribunat et du Corps législatif ; il n'est pas dit si les membres à remplacer seront éliminés par le sort ou par désignation des sénateurs.

Au milieu de toutes ces ambiguïtés surgit le titre IV : Du Gouvernement. A l'exception de quelques points laissés volontairement dans le vague, tout y est net ; c'est la partie qui se détache en saillie, qui se place en haut relief et domine l'ensemble. Le besoin universellement ressenti de rendre une tête à l'État et de satisfaire aux exigences de Bonaparte avait conditionné l'œuvre entière. Le pouvoir central, démantelé en 1791 de ses attributs essentiels, réduit à l'état de simulacre et de cible, recomposé par la Convention en monstrueuse autocratie, exercé par le Directoire sous forme de tyrannie incohérente, reparaît aujourd'hui muni d'organes réguliers et sains ; l'autorité renaît.

Bonaparte est premier Consul pour dix ans. Il promulgue les lois, nomme et révoque à volonté les conseillers d'État, les ministres, les ambassadeurs et autres agents extérieurs, les officiers des armées de terre et de mer, les membres des administrations départementales. Son pouvoir sur la magistrature est limité par la règle de l'inamovibilité. Il nomme, sans qu'il puisse les révoquer, tous les juges criminels et civils, à l'exception des membres du tribunal de Cassation, désignés par le Sénat, et des juges de paix. En 1791, dans le premier élan des passions et des candeurs révolutionnaires, le principe électif avait tout envahi ; on avait voulu que le peuple élût les législateurs, les administrateurs et conseils locaux à tous les degrés, les juges de toute catégorie, les officiers de la garde nationale, jusqu'aux évêques et aux curés ; en l'an VIII, on lui laissait le droit d'élire ses juges de paix.

Pour tout acte de gouvernement autre que la nomination des fonctionnaires, officiers et juges, Bonaparte consulte ses deux collègues et puis décide. Le gouvernement, c'est-à-dire Bonaparte, pourvoit à la sûreté intérieure et extérieure de l'État. Il dirige la diplomatie, conduit les négociations, signe les traités, avec cette restriction que les déclarations de guerre, les traités de paix, d'alliance et de commerce, doivent être proposés, discutés et adoptés en forme de lois. Il distribue les forces de terre et de mer et en règle l'emploi.

La constitution faisait ainsi Bonaparte très fort, très puissant, beaucoup plus puissant qu'un roi d'Angleterre, plus puissant qu'un président des États-Unis ; il y aurait toutefois grande erreur à dire qu'elle créât la dictature. Le dictateur réunit en soi tous les pouvoirs ; il décrète et exécute ; il est la loi vivante et agissante. Bonaparte obtenait toute la fonction exécutive ; il proposait aussi la loi, mais ne la faisait point, puisqu'il appartenait au Tribunat de la discuter et au Corps législatif, selon l'expression conservée, de la décréter.

Le mécanisme législatif est disposé en principe de la façon suivante, sauf à en préciser le détail par des lois ultérieures. Sur l'initiative des Consuls, le Conseil d'État, grand comité de techniciens, élabore les projets ; le Tribunat les discute et émet un vœu en faveur de l'adoption ou du rejet ; après quoi, trois orateurs du Tribunat s'en vont concurremment ou d'accord avec les délégués du Conseil d'État discuter le projet devant le Corps législatif ; ce corps, après avoir écouté les plaidoiries respectives, entendu le pour et le contre, statue au scrutin secret et sans délibération, à la manière d'un juge impartial et muet. Sous l'empire de la grande réaction antiparlementaire qui entraînait la France, il avait paru indispensable de scinder la fonction législative, de séparer la discussion du vote et de ne laisser la parole qu'à une assemblée sur deux. Cette conception bizarre ne risquait-elle point d'aller contre son but ? A conférer au Tribunat le seul pouvoir de discuter, à créer un corps uniquement orateur, un corps avocat, on l'incitait à outrer sa fonction, à rechercher en tout le point discutable et l'objection, à s'animer d'un esprit processif et chicanier, à s'ériger en opposant, en contradicteur perpétuel. D'autre part, le Corps législatif, privé du droit de s'éclairer plus intimement par une délibération avec lui-même, ne se réduirait-il pas à un rôle d'acquiescement continu ou d'obstruction muette, d'autant plus qu'il aurait à voter ou à rejeter chaque loi en bloc, sans qu'il soit loisible aux tribuns de lui soumettre des amendements.

Le Conseil d'État aurait à faire les règlements pour l'exécution des lois, mais la constitution ne marquait pas la limite entre les domaines législatif et réglementaire. Il était articulé cependant que la fixation des recettes et dépenses publiques ferait toujours matière d'une loi annuelle. La session du Corps législatif ne durerait plus que quatre mois ; le gouvernement pourrait toujours le convoquer en sessions extraordinaires. Le Tribunat aurait droit de siéger toute l'année, avec faculté d'interrompre cette permanence et de se faire remplacer par une commission de dix à quinze membres. Le gouvernement ne disposait d'aucun moyen légal pour opprimer les décisions des deux Chambres, et leur indépendance, dans la mesure de leurs attributions, demeurait assez bien établie. Cela est si vrai que ces assemblées, moins effacées qu'on ne l'a cru, se mettraient à l'état d'opposition constitutionnelle contre quelques-uns des projets de loi intéressant le plus l'avenir national et tiendraient très sérieusement en échec la volonté consulaire.

Le Tribunat obtenait même un certain pouvoir général de contrôle. Il lui appartenait de déférer au Sénat, pour cause d'inconstitutionnalité, les actes du gouvernement autant que les décrets législatifs. C'était à lui que les citoyens devaient adresser spécialement leurs pétitions. De sa propre initiative, le Tribunat exprime son vœu sur les lois faites ou à faire, sur les abus à corriger, sur les améliorations à entreprendre dans toutes les parties de l'administration publique, mais jamais sur les affaires civiles ou criminelles portées devant les tribunaux. Ce droit de remontrance, il est vrai, ne comportait aucune sanction positive, et la constitution le disait expressément ; mais la sanction pourrait se trouver dans la responsabilité des ministres. Fait remarquable, la constitution de l'an VIII, considérée depuis cent ans comme le type autoritaire, est la seule de nos trop nombreuses chartes organiques qui ait pratiquement défini et réglementé la responsabilité des ministres.

Sur ce point, il est nécessaire de s'entendre. Il ne s'agissait nullement, il ne pouvait s'agir d'organiser le gouvernement ministériel, le système des cabinets parlementaires issus des Chambres et gouvernant selon leur esprit, vivant de leur confiance et ne survivant jamais à un vote improbatif, affectés devant elles d'une responsabilité solidaire et surtout morale. Ce genre de responsabilité est surtout le correctif de l'hérédité monarchique et ne trouve point nécessairement sa place dans le régime républicain même le plus libre. C'est un expédient inventé par le sens à la fois libéral et traditionnel des Anglais pour concilier le self government, le gouvernement du pays par ses délégués, avec le maintien et le bienfait de l'institution royale ; le roi dure sans s'immiscer de façon directe dans la conduite des affaires, les ministères gouvernent et passent. Transporté hors de son terrain natal, cet expédient a produit, chez tous les peuples qui n'ont point su s'organiser en partis fortement hiérarchisés, l'instabilité et la vacillation perpétuelles ; il place le ministère dans l'alternative de succomber devant le moindre caprice des majorités ou de gouverner leurs votes en s'asservissant à leurs passions. A aucune époque, les législateurs de la Révolution n'eurent l'idée de l'importer chez nous. La constitution de l'an VIII n'en spécifiait pas moins nettement, en vue de certains cas prévus, la responsabilité individuelle et pénale des ministres. Les Consuls étaient irresponsables, mais tout acte émané d'eux devait être contresigné par un ministre, et aux termes de l'article 70 les ministres sont responsables : 1° de tout acte de gouvernement signé par eux et déclaré inconstitutionnel par le Sénat ; 2° de l'inexécution des lois et des règlements d'administration publique ; 3° des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois et aux règlements. Dans les cas prévus par cet article, le ministre est dénoncé par le Tribunat au Corps législatif, qui peut le renvoyer devant une haute cour composée de juges désignés par le tribunal de cassation et de jurés choisis sur la liste nationale.

C'était Daunou qui avait proposé et formulé ces dispositions, afin de remédier à un inconvénient signalé par l'expérience. Sous le régime de l'an III, l'absence de ministres à responsabilité bien définie, qui eussent amorti les chocs entre les Conseils et le Directoire, avait contribué à multiplier ce que nous appelons les crises gouvernementales, par opposition aux crises ministérielles. Daunou s'était ingénié à combler cette lacune. Il n'y en avait pas moins étrange anomalie à rendre responsables des ministres dépourvus d'initiative, simples agents de la volonté consulaire, et à déclarer l'irresponsabilité du chef de l'État tout en lui livrant l'action.

Les dispositions précitées, si elles avaient été appliquées, n'en eussent pas moins donné aux assemblées une prise réelle sur l'Exécutif. Toutefois, en cas de simples conflits d'opinion entre le Consulat et les Chambres, la constitution n'établissait aucun mode de solution légale. Elle n'admettait point le droit de dissolution, cette soupape de sûreté des gouvernements libres. D'ailleurs, comment eût-on renvoyé les assemblées à se pourvoir et à comparaitre devant leur juge naturel, le corps électoral, puisqu'elles n'émanaient pas de lui ? Et ici reparaissait le vice fondamental qui plaçait tout l'édifice législatif en porte-à-faux.

Les auteurs civils et les adhérents du dernier coup d'État, plutôt que de se retremper dans le suffrage populaire, préféraient s'ériger d'office en sénateurs, législateurs et tribuns ; par ce renouvellement d'usurpation, ils ne donnaient que trop de facilités à qui voudrait procéder contre eux par moyens extra-légaux, de complicité avec la nation. C'était vraiment faire la partie trop belle au Consul que de lui opposer, au lieu d'une représentation véritable, quatre cents législateurs et tribuns tenant leur mandat de trente et un sénateurs nommés eux-mêmes par Sieyès, Roger Ducos, Cambacérès et Lebrun. Comme l'hostilité de ces assemblées, si elle se prononçait, n'en serait pas moins légalement irréductible, Bonaparte céderait très vite à la tentation des entreprises extraconstitutionnelles ; il en viendrait à faire autant de coups d'État que le Directoire ; seulement, ces coups d'État en sourdine passeraient presque inaperçus des contemporains et de la postérité, dans l'éblouissement des insignes bienfaits ; ils s'opéreraient d'ailleurs dans le sens de l'opinion, au lieu de se perpétrer contre elle. Bonaparte, appelé certainement au pouvoir par l'aspiration nationale, possédant au plus haut degré le sens de l'instinct populaire, gouvernant selon le vœu de l'immense majorité des Français, représentait à lui seul, dans le système hybride de l'an VIII, le principe démocratique ; par ses coups d'État plébiscitaires, il ferait rentrer la démocratie dans le gouvernement, mais il l'y ferait rentrer disciplinée, fascinée, subjuguée ; ainsi verrait-on la constitution de Frimaire, qui avait procédé par juxtaposition d'une oligarchie à un grand pouvoir personnel, tourner au pur despotisme démocratique, c'est-à-dire au despotisme accepté, soutenu, porté et acclamé par la masse nationale.

En dehors des prérogatives sénatoriales, tribunitiennes et législatives, la constitution ne mettait guère d'obstacle au débordement et à l'entreprise du pouvoir. La liberté individuelle semblait seule garantie ; le domicile du citoyen français était proclamé asile inviolable, toute arrestation en dehors des cas prévus par la loi constituait le crime de détention arbitraire ; mais l'article 75 défendait aux citoyens de traduire en jugement aucun fonctionnaire sans l'autorisation du corps auquel il appartenait. Cette disposition, qui s'est perpétuée dans notre droit public jusqu'en 1870 et qui a traversé six révolutions, créait un moyen de légaliser le déni de justice.

Il dépendait également des pouvoirs exécutif ou législatif de se montrer en d'autres matières libéraux ou restrictifs. Liberté des cultes, liberté de la presse, liberté d'association et de réunion, autant de points que la constitution se gardait de toucher. On maintenait cependant quelques-unes des garanties proclamées par la Révolution et qui resteront son honneur ; par exemple, l'institution du jury et même du double jury d'accusation et de jugement. Parmi les créations de l'époque conventionnelle et directoriale, il en était une que l'article 38 perpétuait expressément : Un Institut national est chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les sciences et les arts. Les bénéficiaires matériels de la Révolution se sentiraient rassurés en lisant ces lignes presque textuellement recopiées de la constitution de l'an III : La nation française déclare qu'en aucun cas elle ne souffrira le retour des Français qui, ayant abandonné leur patrie depuis le 14 juillet 1789, ne sont pas compris dans les exceptions portées aux lois rendues contre les émigrés ; elle interdit toute exception nouvelle sur ce point. Contre les émigrés, le statut de l'an VIII restait une loi de combat ; sans faire de distinction entre les expatriés volontaires et ceux qui avaient fui la plus abominable des oppressions, il décrétait qu'il y aurait toujours hors de nos frontières une France étrangère à l'autre, réprouvée et maudite. Il faudra que Bonaparte sorte de la constitution pour achever, par le rappel des émigrés, le rapprochement des deux France.

L'organisation intérieure du pays dans ses subdivisions locales restait à l'état d'ébauche. La constitution créait, au-dessous du département, une circonscription nouvelle, l'arrondissement communal, groupement de communes qui semblait appelé à prendre la place du canton, dont l'autonomie avait caractérisé le régime administratif précédent. On ne disait pas si la commune, étouffée en l'an III par le canton, reprendrait vie et redeviendrait la molécule primaire de toute l'agrégation française. On ne disait pas quelles seraient les autorités de département, d'arrondissement et de commune, mais le droit rendu à l'Exécutif de nommer les premières préparait la centralisation des pouvoirs. Il n'était point spécifié quels seraient le nombre, le ressort, la compétence et la hiérarchie des tribunaux. La constitution se bornait à poser le principe d'un contentieux distinct des matières proprement indiciaires, en chargeant le Conseil d'État de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative. C'étaient là tout au plus des assises, sur lesquelles Bonaparte se réservait de construire.

La constitution, en somme, n'était nullement un code politique et administratif ; ce n'était que le règlement organique des premiers pouvoirs[54]. Elle contenait d'excellentes choses et en plusieurs de ses parties s'adaptait parfaitement aux besoins et au tempérament de la France, mais elle laissait les citoyens sans garanties et par elle-même n'assurait point l'avenir. Le jeu des organes qu'elle créait inégaux et qu'elle opposait pourtant les uns aux autres eût vraisemblablement abouti à de nouveaux conflits, à de nouvelles secousses, si le chef de l'État eût été autre que Bonaparte, si le germe de despotisme déposé par lui dans la constitution ne s'était formidablement développé et n'eût étouffé tout le reste. La constitution ne pouvait durer qu'à la condition d'évoluer et de se déformer dans le sens de son inclinaison. Par elle-même, c'était une constitution d'attente, un provisoire ajouté à tant d'autres. Telle qu'elle était, avec ses parties fortement et heureusement conçues, avec ses incohérences, ses obscurités, ses lacunes énormes et ses dangers, avec ses emprunts à l'ancien régime français et à nos divers essais de république, avec son décor antique, elle était digne de figurer à côté de toutes les constitutions mort-nées issues de la Révolution et ne déparait pas cette collection de monstres divers.

 

VI

Il restait entendu que la constitution serait soumise à l'acceptation des citoyens, à la sanction plébiscitaire[55]. La constitution créant Bonaparte premier Consul, créant Consuls Cambacérès et Lebrun, désignant Sieyès et Ducos comme premiers sénateurs, le plébiscite porterait à la fois sur des institutions et sur des personnes, chose qui ne s'était encore jamais vue. Comme l'écrasante renommée de Bonaparte n'en laissait subsister aucune autre, c'était pour ou contre lui que l'on voterait en fait. Sieyès et ses théoriciens, dans leur incurable défiance du peuple, avaient voulu soustraire à la discussion de ses mandataires l'établissement des premiers magistrats et lui proposer des choix tout formés ; en faisant Bonaparte article de la constitution, ils introduisaient dans nos mœurs politiques le plébiscite ratificateur d'un nom, sans saisir l'importance de cette innovation qui devait porter si profondément dans l'avenir.

L'acceptation ne faisait pas de doute, mais les amis de Bonaparte craignaient un peu la torpeur et l'inertie des masses. Lors des plébiscites précédents, si le peuple n'avait jamais répondu négativement à la question posée, le nombre des abstentions avait toujours énormément dépassé celui des votants. Dans un article officieux, Rœderer croyait devoir préparer les esprits à l'éventualité d'un demi-succès de ce genre[56]. L'événement allait démentir ces prévisions timides et passer tout espoir, mais les délais de vote proportionnés aux distances qui séparaient de Paris les différentes localités, l'état des communications, les rigueurs de la saison, les troubles qui désolaient encore des régions entières, ne permettraient pas de recueillir et de recenser promptement les suffrages. Tous les Français ne voteraient pas simultanément et le même jour ; il faudrait attendre deux mois les résultats de ce plébiscite en longueur.

A Paris, le scrutin s'ouvrit tout de suite, dans le plus grand calme. Plus d'assemblées primaires, plus de tumultueux comices ; en certains endroits désignés, ouverture d'un double registre où les citoyens étaient appelés à signer leur approbation ou leur refus. Beaucoup d'entre eux hésitaient à venir, à s'inscrire, dans la crainte qu'en cas de nouvelle secousse, une liste de noms ne devînt une liste de proscription ; leurs appréhensions ne témoignaient pas d'une confiance bien ferme dans la stabilité ou l'impartialité du gouvernement. Pour les rassurer, pour les attirer au vote, il fallut promettre que les registres seraient brûlés.

Les troupes votèrent à part. Le général Lefebvre les réunit au Champ de Mars et expédia militairement les choses. L'acte fut lu devant les rangs, afin que chacun pût se prononcer librement ; après quoi, selon les journaux, le brave général débita une allocution fougueuse et, dans un mouvement d'éloquence par trop naïve, s'écria : Nous voilà revenus aux beaux jours de la Révolution... L'acceptation de la constitution mettra fin à nos divisions. Il n'y a plus que des factieux qui puissent la rejeter. Jurons, par nos baïonnettes, de les exterminer. Et les soldats votèrent au commandement[57]. La harangue de Lefebvre fut remaniée pour la publicité officielle.

Parmi la population civile, il apparut très vite qu'à côté de quelques oppositions notables, à côté de quelques refus vivement motivés et parfois injurieux, la presque unanimité des votants acquiesçait. Bonaparte, voulant à tout prix sortir du provisoire, s'appuya aussitôt sur l'adhésion de Paris pour préjuger celle de la France. Le 2 nivôse-23 décembre, il fit décréter par les commissions législatives que le 4 la constitution entrerait en vigueur, que le provisoire céderait la place au définitif et que les nouveaux gouvernants se mettraient en fonctions. Lui-même s'instituerait premier Consul par anticipation hardie sur l'assentiment national.

Les commissions, qui faisaient partie du régime provisoire, n'avaient plus que quelques heures à vivre ; jusqu'au dernier moment, Bonaparte les fit travailler et les employa. Pour le lendemain de son accès définitif au pouvoir, il préparait aux Français une série de surprises. Toutes les idées grandes, fécondes, libératrices, qui prenaient force en lui, il voulait les faire alors se produire et s'épanouir en actes ; ce serait comme un jaillissement subit, une explosion de justice et de clémence[58]. A certains égards, les lois existantes, lois d'exception et de rigueur, le gênaient ; comme il ne pouvait les abroger de son propre mouvement, il était nécessaire que les commissions, héritières du pouvoir législatif, lui permissent de décréter l'apaisement.

Chaque phase, chaque crise de la Révolution avait abouti à faire des proscrits, à en multiplier le nombre. Il y en avait de toute sorte, proscrits de droite et proscrits de gauche L'intention très ferme de Bonaparte était de les rappeler graduellement et par couches successives, avec ce mélange de hardiesse et de prudence qu'il apportait dans tous ses actes, L'opinion réclamait d'abord le retour des fructidorisés, victimes récentes, victimes illustres, dont le nom et le malheur restaient présents aux esprits. Ces infortunés ayant été condamnés sans jugement, mais en vertu d'une loi, une loi seule pouvait autoriser leur retour. Mais les commissions brumairiennes se composaient presque exclusivement de fructidoriens, et ces proscripteurs ne consentiraient pas à se déjuger ouvertement ; pouvait-on d'ailleurs rouvrir la France à tous les proscrits de Fructidor, quelques-uns d'entre eux ayant notoirement pactisé avec l'étranger ! Ajoutons que Bonaparte entendait accaparer autant que possible le bénéfice de la clémence et désirait seulement que les comités législatifs lui déliassent les mains.

Fouché proposa et fit adopter comme loi cette rédaction merveilleusement hypocrite : Tout individu nominativement condamné à la déportation sans jugement préalable par un acte du Corps législatif ne pourra rentrer sur le territoire de la République, sous peine d'être considéré comme émigré, à moins qu'il n'y soit autorisé par une permission expresse du gouvernement... Tout le bienfait de la loi réside dans cette incidente glissée enfin de phrase ; au premier abord, le texte voté semble confirmer et renouveler la proscription ; à le considérer dans ses replis, il permet à l'Exécutif de rappeler individuellement tous les fructidorisés ou d'opérer par triage entre eux. Dans les commissions, aucune voix ne s'éleva pour demander que l'on transformât en large mesure de réparation cette clémence peureuse, cette justice facultative ; c'était trop servir Bonaparte que de reconnaître à lui seul le droit d'être juste.

Dans une même pensée de concorde, il fit supprimer par acte législatif les fêtes commémoratives de sanglants souvenirs, celles qui semblaient avoir pour but de perpétuer et de solenniser la haine. L'affreuse fête du 21 janvier était en horreur à l'immense majorité des Français ; c'était la fête de l'échafaud. La fête du 18 fructidor était celle de la déportation ; elles disparaîtraient toutes deux, ainsi que celle du 10 août, mais les fidèles du culte de Robespierre n'auraient pas à se plaindre, puisqu'on cesserait en même temps de commémorer le 9 thermidor. Modérés, thermidoriens, fructidoriens, Jacobins, royalistes, tous n'étaient-ils pas enfants d'une même patrie, d'une patrie à refaire ? Ils devaient oublier leurs égarements, leurs douleurs, se détourner du passé pour ne considérer que l'avenir, et ce passé que Bonaparte voulait arracher de l'histoire, pourquoi en représenter périodiquement l'image ? Sur l'initiative du gouvernement, les commissions votèrent une loi réduisant à deux le nombre des fêtes nationales ; on ne célébrerait plus que le 14 juillet, qui rappelait cette prise de la Bastille transfigurée par la légende et aussi le grand élan fraternel de la Fédération, et le 22 vendémiaire, jour anniversaire de la République.

A ces mesures d'ordre général se joignit une mesure individuelle, une loi rendue au profit d'un homme, un acte d'adroite munificence. Un message signé de Bonaparte et de Ducos fit aux commissions la proposition de décerner au citoyen Sieyès, à titre de récompense nationale, la propriété de l'un des domaines qui sont à la disposition de l'État. Les commissions votèrent d'emblée le cadeau ; Sieyès eut la faiblesse d'accepter et reçut le domaine de Crosnes, estimé à la valeur de 480.000 francs[59]. Cet homme très probe, sans rechercher les jouissances du grand luxe, aimait l'argent et la terre ; parmi tous les révolutionnaires nantis, il accepta d'être pourvu deux fois, pourvu de la première place au Sénat, pourvu d'une autre prébende, et n'ayant pas réussi à réaliser son idéal politique, il se rabattit itérativement sur le solide. C'était donner beau jeu à ceux qui l'accusaient d'avoir trafiqué de ses principes. Bonaparte avait trouvé moyen de le compromettre davantage dans l'ordre nouveau, de l'afficher et de le discréditer. En le faisant riche, il le fit moins puissant ; il le paya et l'amoindrit.

Avant de se dissoudre, les commissions s'occupèrent de dispositions d'ordre ayant pour but de régler la transmission des pouvoirs et l'installation des autorités constitutionnelles. Le 3 nivôse-24 décembre 1799, les Consuls provisoires tinrent leur dernière séance. A huit heures du soir, Bonaparte ayant réuni au Luxembourg ses deux nouveaux collègues, les ministres, les conseillers d'État, se fit reconnaître premier Consul et prit possession. A cet instant, l'officier de fortune monté si haut fit-il un retour sur le chemin parcouru, sur les étapes vertigineuses qui l'avaient conduit en sept ans au sommet où il égalait les rois ? Quand l'officier de service vint lui demander le mot d'ordre, le premier mot d'ordre qu'il avait à donner comme chef de l'État, il répondit : Frédéric II et Dugommier : Frédéric, le conquérant philosophe qui avait fasciné le siècle ; Dugommier, l'ancien chef du commandant d'artillerie Buonaparte au siège de Toulon.

 

 

 



[1] Théorie constitutionnelle de Sieyès, BOULAY DE LA MEURTHE, p. 44.

[2] BOULAY DE LA MEURTHE, p. 44.

[3] Cité par M. Albéric NÉTON, Sieyès, 155.

[4] Mignet, dans son Histoire de la Révolution française, II, p. 237 à 240 et tableau annexé in fine, donne l'analyse très complète d'un projet assez différent, d'après les confidences de Sieyès à un conventionnel. (Cf. LA FAYETTE, V, 158.) Ce projet comportait un Tribunat formé des cent premiers inscrits sur la liste nationale, un Corps législatif élu, un jury constitutionnaire, un Conseil d'État, un conseil des ministres constituant le gouvernement, et au-dessus de tous ces rouages un grand proclamateur-électeur, chargé de choisir sur les listes de notabilités tous les agents exécutifs. Il nous parait évident que ce projet, dont il n'est plus question nulle part dans les documents de l'an VIII, était celui que Sieyès avait imaginé en l'an III et qu'il n'avait osé produire en totalité devant la Convention. Depuis lors, ses idées avaient évolué ; il ne voulait plus maintenant d'aucun corps élu et d'autre part instituait le système des deux Consuls pour faire une place à Bonaparte ; il espérait le satisfaire en lui livrant la moitié de l'Exécutif.

[5] Commentaires, IV, 67.

[6] RŒDERER, III, 304. Cf. les Lettres de madame Reinhard, 112.

[7] RŒDERER, III, 303.

[8] Mémoires de Fouché, I, 162.

[9] RŒDERER, III, 304.

[10] BOULAY DE LA MEURTHE, 50.

[11] Notes manuscrites de Grouvelle.

[12] BOULAY DE LA MEURTHE, 47.

[13] BOULAY DE LA MEURTHE, 49.

[14] BOULAY DE LA MEURTHE, 49.

[15] BOULAY DE LA MEURTHE, 52.

[16] BOULAY DE LA MEURTHE, 49.

[17] BOULAY DE LA MEURTHE, 50.

[18] Journal de Paris, 17 frimaire.

[19] Journal de Paris, 17 frimaire.

[20] On demande aujourd'hui chez les restaurateurs des omelettes absorbées pour dire réduites, des potages absorbés et différents mets absorbés. Quand un plaisant veut menacer son camarade, il lui dit : Si tu raisonnes, je t'absorbe. Journal des hommes libres, 22 frimaire.

[21] Journaux du 10 au 16 frimaire. Cf. TAILLANDIER, Documents historiques sur Daunou, 172. On fit sur l'incident un vaudeville : le Carrosse espagnol.

[22] BOULAY DE LA MEURTHE, 59.

[23] CAMBACÉRÈS, Eclaircissements inédits.

[24] BOULAY DE LA MEURTHE, 57.

[25] Les notes manuscrites de Grouvelle disent positivement : travail des commissions, on trompe Sieyès.

[26] Le Publiciste, numéro du 12 frimaire.

[27] Notes manuscrites de Grouvelle.

[28] TAILLANDIER, Notice sur Daunou, 174-188. Papiers inédits de Daunou, dont nous devons la communication à l'obligeance de M. Gilbert Boucher.

[29] TAILLANDIER, 171.

[30] THIBAUDEAU, le Consulat et l'Empire, I, 103.

[31] Le feuillet portant les deux textes figure dans les papiers de Daunou.

[32] Notes manuscrites de Grouvelle.

[33] Notes manuscrites de Grouvelle.

[34] Les trois rédactions manuscrites figurent dans les papiers de Daunou. Un fac-simile en a été donné par TAILLANDIER, p. 188-189.

[35] Mémoires de Fouché, I, 165.

[36] THIBAUDEAU, le Consulat et l'Empire, I, 98.

[37] THIBAUDEAU, le Consulat et l'Empire, I, 98.

[38] Commentaires, I, IV, 73.

[39] Publiciste du 29 frimaire : Bonaparte a été légèrement indisposé ces jours derniers... Sa porte a été pendant deux jours fermée de meilleure heure que de coutume. Cf. les Commentaires de Napoléon Ier, IV, 72-73. On attribua son indisposition à l'abus du café.

[40] Lettres de madame Reinhard, 113.

[41] CAMBACÉRÈS, Eclaircissements inédits.

[42] RŒDERER, III, 305-306.

[43] Moniteur, compte rendu de la séance du 21 frimaire.

[44] CAMBACÉRÈS, Eclaircissements inédits.

[45] CAMBACÉRÈS, Éclaircissements inédits qui confirment en ce point l'assertion de Daunou rapportée par TAILLANDIER, 191-192, et par LARÉVELLIÈRE-LÉPEAUX, Mémoires, II, 420-426.

[46] Publiciste, numéro du 23.

[47] Lettres de madame Reinhard, 103.

[48] Bibliothèque de la ville de Paris, série 21, manuscrits.

[49] Paris, le 23 frimaire an VIII de la République française, une et indivisible.

Le Secrétaire général des Consuls de la République au citoyen Daunou, représentant du peuple.

J'ai l'honneur de vous adresser, citoyen, une épreuve corrigée de la constitution. J'y joins quelques observations sur la distribution des divers articles qui composent le titre VII : Dispositions générales. Je vous prie de me faire parvenir le plus promptement possible les changements qui auront été jugés nécessaires, afin que, conformément au désir des Consuls, l'impression s'accélère.

Agréez l'hommage de ma haute estime.

Hugues-B. MARET.

Le porteur attendra vos corrections.

(Papiers de Daunou.)

[50] Ami des lois, 4 nivôse.

[51] En général, la publication de cette constitution a été écoutée et accueillie par le peuple de Paris avec plus d'indifférence que d'intérêt. Le peuple est blasé sur toutes choses, hormis sur la paix. BAILLEU, II, 356.

[52] Gazette de France du 26 frimaire.

[53] RŒDERER, III, 428.

[54] La même observation peut s'appliquer exactement à la constitution qui nous régit aujourd'hui.

[55] Aucun acte ne spécifiait si le vote se ferait au suffrage universel, tel qu'il était établi par la nouvelle constitution, ou au suffrage restreint d'après la constitution de l'an III. Il semble bien qu'en principe tout le monde fut admis au vote, sans que l'on puisse dire si une règle identique fut universellement suivie. Voyez le rapport de Rœderer sur les résultats du plébiscite, Œuvres, VI, 402.

[56] RŒDERER, VI, 396.

[57] Voyez notamment le Diplomate, 27 frimaire.

[58] Archives de Chantilly, Bulletin des agents de Condé, 16 novembre.

[59] Pamphlet :

Sieyès à Bonaparte a fait présent du trône,

Sous un pompeux débris croyant l'ensevelir ;

Bonaparte à Sieyès a fait présent de Crosne

Pour le payer et l'avilir.