LOUIS XIV ET L'ÉGYPTE

 

PAR ALBERT VANDAL.

EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

PARIS - PICARD - 1889

 

 

Leibniz voulut persuader à Louis XIV de conquérir l'Égypte, et le Roi fit répondre que les guerres saintes étaient passées de mode depuis saint Louis. Cette parole dédaigneuse laisserait croire que Louis XIV, tout entier à d'autres projets, détourna volontairement ses regards d'une terre que jadis la France semblait avoir fait sienne en la marquant de son sang. Cette supposition serait injuste, car aucun prince de sa race ne s'occupa de l'Égypte avec plus d'attention que le grand roi : l'établissement dans cette contrée de notre prépondérance commerciale, qui devait durer jusqu'à la Révolution, date de son règne. Seulement, il n'employa à cette œuvre que des moyens pacifiques, et ce fut une série d'efforts lents, souvent mystérieux, dont nos archives seules ont conservé le secret, qui assurèrent peu à peu à nos nationaux une position privilégiée sur les bords du Nil. Tel ne fut point le seul but de cette politique. Dès cette époque, la France devina dans l'Égypte la route future des Indes, et Suez attira son attention à l'égal du Caire et d'Alexandrie. Notre gouvernement reconnut l'importance géographique de la bande de terre que baignent d'un côté les flots de la Méditerranée, de l'autre ceux de la mer Rouge ; il y vit la véritable porte de communication entre deux mondes différents, l'Europe et l'Extrême-Orient, et s'appliqua à la rouvrir au profit exclusif de la France. A plusieurs reprises, avec une constance qui ne se lassait point, il réclama de la Porte, souveraine de l'Égypte, l'autorisation d'établir un système de communications simples et rapides entre l'Océan indien et la Méditerranée par la mer Rouge, Suez et Alexandrie. Ces efforts étaient prématurés et ne devaient point aboutir ; ils eurent toutefois leur utilité : ils créèrent une tradition et préparèrent l'avenir. Les grandes pensées ne réussissent à s'imposer et à dominer les résistances que si elles plongent dans le passé de lointaines racines, et toute œuvre a besoin de précurseurs. L'honneur des projets tentés sous Louis XIV revient surtout à Colbert ; il les conçut et déploya sa persévérante énergie pour les mettre à exécution. Mais le Roi sut les comprendre, se les approprier, et les poursuivre même après la mort de son ministre. Il convient d'autant moins de lui en disputer le mérite que, pour demeurer fidèle à ces plans, il dut souvent faire violence à ses propres sentiments, ménager les préjugés des musulmans quand il eût préféré châtier leur insolente fierté, et, dans des négociations qui répugnaient à ses scrupules de chrétien, à son orgueil de roi, étonner l'Europe par sa patience.

 

I

Jusqu'au XVIe siècle, l'Égypte avait été le grand entrepôt du commerce des Indes. Toutes les marchandises sorties de ces riches régions, objets de nécessité et de luxe, épices, parfums, tissus éclatants, étoffes soyeuses, jusqu'à ces produits d'un art délicat dont les peuples de l'Extrême-Orient ont conservé le secret, arrivaient par la mer Rouge jusqu'aux états des Soudans d'Égypte. Transportées à dos de chameau des ports du golfe Arabique aux rivages du Nil, le grand fleuve les conduisait, par un système de multiples .canaux, jusqu'aux abords d'Alexandrie. Dans cette ville, des marchands chrétiens venaient les attendre et s'en emparaient pour les distribuer à l'Europe. Venise s'était assuré la plus grande partie de ce négoce ; elle tenait le premier rang parmi les nations étrangères établies en Égypte ; la France occupait le second, et Marseille partageait avec la grande république marchande l'avantage de pourvoir l'Europe des richesses apportées d'Asie. A cette époque, l'Égypte jouissait d'une prospérité qu'elle n'a plus retrouvée. Chaque année, la mer Rouge lui amenait des flottes chargées de trésors ; de Suez au Nil d'innombrables caravanes sillonnaient le désert ; le Caire, la cité féerique des conteurs arabes, n'était qu'un immense et populeux bazar, et Alexandrie méritait le surnom qui lui avait été donné de marché des deux mondes[1].

La découverte du cap de Bonne-Espérance, en ouvrant une voie plus longue, mais directe, vers les Indes, permit aux Européens d'en chercher eux-mêmes les produits, sans emprunter l'intermédiaire du monde musulman, et détourna de l'Égypte le courant commercial qui s'y portait depuis des siècles. Le Portugal eut la gloire d'accomplir cette révolution ; l'Angleterre et la Hollande en recueillirent le profit. Aux découvreurs du XVe siècle succédèrent les marchands de Londres et d'Amsterdam ; formés en puissantes compagnies, ils accaparèrent pour longtemps les relations maritimes entre l'Europe et les Indes. Le profond changement qui en résulta dans les habitudes commerciales des peuples eut des effets funestes pour l'Égypte en particulier et pour l'empire ottoman en général ; il porta à Venise un coup dont elle ne sut point se relever ; enfin il supprima l'une des branches les plus fructueuses du négoce que les Français faisaient au Levant. Un faible transit continua quelque temps de se poursuivre par la mer Rouge et par Suez, puis cessa complètement vers 1635, et l'Égypte devint une impasse. Sans doute, cette contrée, grâce à la fécondité de son sol et à la riche variété de ses produits, suffisait à alimenter par elle-même un important trafic, mais au même moment la tyrannie des pachas envoyés par la Porte, la férocité des milices turques et des beys mamelouks, en rendirent le séjour presque impossible aux Européens. Venise se retira de cette terre inhospitalière ; elle rappela son consul et ses nationaux. Les Anglais et les Hollandais, qui avaient récemment pris pied en Égypte, imitèrent bientôt cette retraite. Seuls, nos marchands demeurèrent au Caire et à Alexandrie, sans concurrents, mais troublés de toutes manières dans leurs opérations. Un fait peut donner une idée des entraves que leur imposait la rapacité des maîtres du pays ; le droit de douane, fixé dans les autres Échelles à cinq pour cent, s'élevait pour eux à .vingt pour cent. Soumis de plus à des prélèvements arbitraires désignés sous le nom d'avanies, inquiétés dans leur sécurité, traités en esclaves, en butte à de continuelles persécutions, ils menaient une existence misérable et précaire, mais pourtant ne renonçaient pas à la lutte et s'obstinaient à rester.

Quand Louis XIV, après avoir pris en mains la conduite de son état, en 1661, eut entrepris de restaurer le commerce de la France, et confié à Colbert l'exécution de ce vaste dessein, l'attention du ministre se porta presque aussitôt sur l'Égypte. Colbert comprit quel avantage résultait pour nous d'avoir conservé un poste dans cette région, à l'heure où les autres nations renonçaient à nous y disputer le terrain. Il se proposa de soutenir et de dégager notre établissement battu en brèche, puis de s'en servir pour réaliser un plus vaste projet qui commençait d'occuper sa pensée. Dès 1664, dans un mémoire d'ensemble lu au conseil de commerce et publié dans sa correspondance[2], il insistait sur la grande révolution qui s'était accomplie dans l'économie de l'ancien monde par suite des découvertes portugaises et du déplacement des routes de l'Inde, et il en retraçait longuement l'historique. Deux mémoires inédits, conservés, l'un aux archives du ministère des affaires étrangères, l'autre dans celles du département de la marine, indiquent les moyens que Colbert jugeait propres à ramener dans la Méditerranée le commerce de l'Extrême-Orient, en le faisant passer par l'Égypte, et à le mettre tout entier entre nos mains.

Louis XIV venait de fonder la compagnie des Indes ; il la comblait de privilèges, lui avait assuré un fonds considérable, des comptoirs, une flotte ; dans l'esprit de Colbert, à cette création devait répondre une entreprise corrélative à tenter du côté de l'Égypte et à préparer par les voies diplomatiques. Que le Sultan fût persuadé par nos ambassadeurs d'ouvrir à notre marine marchande la mer Rouge, interdite jusqu'alors aux chrétiens à cause de la proximité de La Mecque, qu'il délivrât les Français d'Égypte de l'humiliante servitude où ils étaient tenus, qu'il assurât la sécurité du passage des marchandises par Suez et par l'Égypte et qu'il accordât à la France le monopole de leur transport, les vaisseaux de la compagnie des Indes iraient chercher à Surate et à Bombay de riches cargaisons qu'ils apporteraient à Suez ; dans cette ville, les Français auraient des magasins pour les recevoir ; ils les conduiraient ensuite, partie par caravanes, partie par le Nil, jusqu'à Alexandrie. Là les vaisseaux d'une autre compagnie qui serait fondée par la France, celle du Levant, viendraient les prendre pour les porter à Marseille et aux autres ports de la Méditerranée. Accomplissant leur trajet sans sortir des mains de la France et en ne payant aux douanes turques qu'un droit de transit modéré, ces marchandises se débiteraient à meilleur compte que celles venues par de lointains détours et obtiendraient facilement la préférence. Cette contre-révolution commerciale annulerait en grande partie les effets de la découverte du cap de Bonne-Espérance ; elle ferait de la Franco la dispensatrice permanente des produits de l'Indoustan et obligerait les autres nations à devenir ses tributaires.

L'opération projetée ne pouvait, on le voit, s'accomplir que de concert et de compte à demi avec la Porte ; c'est dans l'état de nos relations avec cette puissance qu'elle allait rencontrer son principal obstacle. A cet instant, les vues particulières du gouvernement royal sur l'Égypte ne concordaient pas parfaitement avec l'ensemble de sa politique d'Orient, et nos rapports avec Constantinople traversaient une phase difficile. L'ancienne union, formée sous François I" et maintenue pendant la plus grande partie du XVIe siècle, semblait rompue. Entre les deux états, l'intimité avait fait place à une situation incertaine, équivoque, qui n'était ni l'alliance, ni même la paix, sans être encore la guerre ; la France et la Turquie ne se combattaient pas avec franchise, mais cherchaient mutuellement à se nuire et rivalisaient de torts réciproques.

A Constantinople, aux sultans éclairés du XVIe siècle avaient succédé des monarques ignorants, gouvernés par des vizirs fanatiques, dont la haine n'admettait pas de distinction entre les infidèles. Le nom de Français n'était plus une sauvegarde auprès d'eux. Dans toutes les parties de l'empire, nos nationaux étaient persécutés, nos marchands molestés, accablés d'avanies, et les Capitulations devenues lettre morte. Nos ambassadeurs eux-mêmes n'échappaient pas à la brutalité musulmane : humiliations, détentions arbitraires, voies de fait, rien ne leur était épargné, et ces violences justifiaient et amenaient de notre part des mesures de représailles. En même temps la voix publique conviait Louis XIV à inaugurer en Orient une politique entièrement nouvelle, conforme à son titre de fils aîné de l'Église et de roi Très Chrétien. L'esprit de croisade, qui n'avait jamais entièrement disparu, se réveillait avec force. A mesure que les poignants problèmes soulevés au siècle précédent trouvaient leur solution, et qu'elles-mêmes, les haines religieuses faisaient trêve, au lendemain des grands actes qui avaient organisé l'équilibre des états et la paix des communions rivales, la chrétienté réconciliée avec elle-même ressentait plus vivement l'insulte du contact avec l'Infidèle, campé à ses côtés en ennemi et en vainqueur. De toutes parts se formaient des projets, s'élevaient des appels pour la destruction de la Turquie ; en France, la nation semblait même donner à son gouvernement l'exemple de la guerre sainte : spontanément elle avait engagé la lutte contre l'Infidèle sur terre et sur mer. Une partie de notre noblesse aidait Venise à défendre Candie, d'autres Français accouraient dans les armées de l'Empereur et de la Pologne, d'autres enfin entreprenaient leur guerre privée contre la Turquie : ils se faisaient corsaires, écumaient les mers orientales, et leurs exploits formaient l'un des griefs les mieux justifiés des sultans contre nous. En faisant succéder à ces efforts individuels une action plus efficace de la puissance française, Louis XIV eût répondu à des sollicitations pressantes et diverses, qui ne cessaient de lui rappeler que sa qualité de chef reconnu de la chrétienté lui faisait un devoir d'honneur de diriger ou au moins d'appuyer la résistance commune contre l'Islam. Flatteur pour l'orgueil du Roi, ce rôle séduisait son imagination, et le jeune monarque montrait quelque penchant à se` laisser attribuer.

Cependant il ne se décidait pas à rompre ouvertement avec la Porte. Près d'abandonner la voie où tous ses prédécesseurs, avec plus ou moins d'empressement, avaient pris soin de se maintenir, un scrupule invincible le retenait. En politique extérieure, notre ancienne monarchie nous apparaît comme un pouvoir absolu, tempéré par la tradition. Si jaloux que fussent nos rois de l'indépendance de leurs décisions, ils se croyaient tenus d'obéir à certaines maximes, consacrées par le temps, qu'ils se transmettaient l'un à l'autre comme le secret même de la sûreté et de la grandeur de l'État. Or, c'était l'un de ces principes essentiels que do cultiver avec le Turc une intelligence qui nous avait permis, en des jours d'extrême péril, de détourner le choc de nos adversaires et de tenir la fortune en suspens. Si la situation présente de l'Europe ne démontrait plus l'utilité de ces relations, de nouvelles crises pouvaient survenir, le concours de la Porte pouvait redevenir indispensable, et il importait de se ménager pour l'avenir cette suprême ressource. De plus, la sollicitude même du Roi pour les intérêts du négoce le détournait de toute mesure directement hostile. Il savait — et Colbert était là pour le lui rappeler au besoin — qu'une guerre n'éloignerait pas seulement la réalisation de nos projets sur le commerce des Indes, mais achèverait de ruiner celui d'Orient proprement dit. Nos comptoirs seraient détruits, nos nationaux massacrés ou expulsés, notre navigation suspendue, et l'industrie française, que Colbert s'occupait à relever, verrait se fermer devant elle ce marché du Levant, où ses produits trouvaient chez des populations apathiques, qui consomment et ne travaillent pas, un débouché permanent et prédestiné. Au moment où Louis XIV rêvait d'ouvrir au trafic extérieur du royaume des destinées nouvelles, il hésitait à lui fermer l'une des sources les plus sûres de sa prospérité.

Ainsi deux tendances opposées se disputaient l'esprit du maître ; l'une le portait à secourir toutes les puissances attaquées par le Turc et pouvait nous entraîner à des expéditions plus retentissantes qu'utiles, à des guerres de magnificence ; l'autre le ramenait aux errements séculaires de nos rois, à ce système plus modeste par lequel la France, refusant de s'associer à des conquêtes collectives en Orient, s'était bornée à s'y créer des intelligences utiles, à y rechercher des avantages de commerce, et avait préféré, dans ces lointaines contrées, l'influence exclusive à la domination partagée. Entre ces deux politiques, Louis XIV évitait de se prononcer nettement : sensible aux séductions de l'une et aux résultats pratiques de l'autre, il les suivait tour à tour et pensait pouvoir les concilier, combiner leurs avantages respectifs, et recueillir l'honneur de la première avec les profits de la seconde. Cette disposition d'esprit imprimait à sa politique orientale un caractère oscillant, contradictoire, défavorable à tout effort suivi et à toute négociation de longue haleine.

En 1661, Louis XIV proposait au Pape, à l'Empereur, à-Venise, de former avec lui une ligue chrétienne contre le Turc. Tout en poursuivant cette négociation, qui ne devait pas aboutir il se gardait de déclarer la guerre au Sultan, malgré le double emprisonnement infligé à M. de la Haye, son représentant auprès de la Porte ; il se bornait à demander des explications, une réparation, et offrait d'envoyer le fils de l'ambassadeur insulté remplacer son père. La politique française n'était pas au bout de ses contradictions. Le nouvel ambassadeur, M. de la Haye-Vantelet, désigné en 1661, agréé en 1662, n'avait pas encore quitté la France en 1664, et, dans le cours de cette même année, six mille Français allaient rejoindre en Hongrie les troupes de l'Empereur, engagées contre l'armée du Grand Vizir, et prendre à la victoire de Saint-Gothard une part décisive. Seulement, tandis que se poursuivait cette rapide expédition, brillante ébauche de croisade, un émissaire partait furtivement pour Constantinople. Il devait justifier ou du moins excuser aux yeux des Turcs la conduite de la France, en alléguant l'impossibilité où s'était trouvé le Roi de refuser secours à ses confédérés d'Allemagne, et préparer les voies à l'ambassadeur en titre ; en 1665, M. de la Haye-Vantelet reçut l'ordre de rejoindre son poste.

Colbert crut l'instant venu de réaliser ses vastes desseins, d'opérer avec la cour ottomane un sérieux rapprochement et de lui communiquer nos vues sur le commerce de l'Inde. Ce fut alors que le premier des deux mémoires dont nous avons parlé fut rédigé et annexé aux instructions de l'ambassadeur. Dans cet écrit, Colbert ne se bornait pas à indiquer le but de la négociation, mais la manière de l'entamer et la conduire. Il prévoyait les objections possibles, suggérait les réponses, et certaines parties de son instruction seraient dignes d'être citées en tout temps comme un modèle de discussion d'affaires précise et serrée. Il recommandait à l'ambassadeur d'insister sur la diminution subie par les douanes turques, depuis que le commerce des Indes avait déserté l'Égypte, de produire des chiffres et d'en supposer au besoin, ce qui sera d'autant plus aisé, ajoutait-il, que bien souvent les ministres du Grand Seigneur ne sont pas informés de ce détail. Il fallait surtout que M. de la Haye présentât la communication dont il était chargé, non comme une grâce sollicitée par la France, mais comme un avantage dont le Roi consentait à faire jouir son cher et parfait ami l'empereur des musulmans, et qu'il s'en servit pour obtenir d'autres concessions. L'établissement projeté par nous en Égypte devant être pour la Turquie la source d'inépuisables profits, il ne saurait être que le prix d'un renouvellement des Capitulations, remettant en vigueur nos anciens privilèges et accordant à notre commerce des faveurs :nouvelles, telles que la réduction des droits de douane et l'exclusion de certains de nos concurrents[3].

 

II

M. de la Haye-Vantelet arriva à Constantinople le 1er décembre 1665, et, à ne considérer que la partie de ses négociations relative à la liberté de transit par Suez et la mer Rouge, il obtint un commencement de satisfaction. A ses ouvertures, il fut répondu que le Grand Seigneur s'était déjà préoccupé de renouer des relations commerciales entre l'Égypte et les Indes, et que les vues de Sa Hautesse correspondaient aux désirs de la France. Un émissaire fut même envoyé sur les lieux pour examiner les dispositions à prendre.

Malheureusement, l'incompatibilité d'humeur qui subsistait entre la France et la Turquie, continuait de s'opposer à tout accord durable. Lors même qu'ils consentaient à écouter notre ambassadeur, les Turcs ne renonçaient pas à le maltraiter. Le Grand Vizir alors en charge était Ahmed-Kupruly, le vaincu de Saint-Gothard. Dans cette journée, il avait vu les auxiliaires français, paraissant à l'improviste, lui arracher une victoire presque assurée ; il en avait gardé contre notre nation un âpre ressentiment et entendait prendre sa revanche sur notre ambassadeur de l'humiliation infligée à ses armes. Après avoir subi à ses premières audiences les procédés les plus outrageants, M. de la Haye-Vantelet se vit considéré par lui comme un otage de la chrétienté tout entière, placé entre les mains des Ottomans pour répondre des dommages qu'elle leur causait. Si les corsaires d'Italie se saisissaient de leurs bâtiments, notre représentant était forcé d'acquitter le montant des cargaisons. Des chevaliers de Malte enlevaient-ils un vaisseau apportant d'Alexandrie douze eunuques noirs, destinés au harem de Sa Hautesse, il fallait que M. de la Haye s'en procurât un pareil nombre et pourvût au remplacement de cette marchandise humaine.

Par compensation, la France fournissait de plus en plus aux Turcs de justes sujets de reproche ; elle poursuivait contre eux des hostilités indirectes et prêtait assistance à tous leurs ennemis. Le nombre des volontaires qui s'étaient rendus à Candie atteignait maintenant cinquante mille ; on pouvait prévoir l'instant où il n'y aurait plus que des Français dans l'armée de Venise. En 1669, le Roi lui-même parut céder de nouveau au mouvement qui entraînait son peuple vers la guerre sainte : il détacha de ses troupes un corps de six mille hommes qu'il envoya au secours de Candie, avec l'escadre du duc de Beaufort. Auparavant, il avait envoyé à M. de la Haye l'ordre de revenir, et ne lui avait point .nommé de successeur.

Il semblait que la rupture fût complète et que Louis XIV n'eût plus qu'un but, s'acquérir des droits à la reconnaissance de la chrétienté. Toutefois, certaines précautions attestaient de sa part un reste d'incertitude. Envoyant ses soldats à Candie, il ne voulait point qu'ils y parussent sous ses couleurs, leur faisait prendre l'étendard du Pape et ne leur permettait point encore de se mesurer à visage découvert contre l'armée du Sultan. Rappelant son ambassadeur, il lui enjoignait de désigner l'un des marchands pour veiller à la protection du commerce et de laisser ainsi un représentant de la France à Constantinople. Le maintien des relations diplomatiques avec la Porte ne tenait plus qu'à un fil, mais Louis XIV hésitait à le rompre et craignait d'ajouter ainsi aux difficultés d'un rapprochement. De leur côté, les Turcs retrouvaient par instants le sentiment ou plutôt l'instinct de leurs véritables intérêts ; leur fanatisme n'allait pas jusqu'à les aveugler sur le danger de jeter la première puissance chrétienne, en quelque sorte malgré elle, dans les rangs de leurs ennemis. Le secours donné à Candie ne les irrita pas tant qu'il ne les émut, et profitant de l'absence de Kupruly, qui avait été prendre le commandement de l'armée de siège, les autres ministres de la Porte firent preuve de dispositions conciliantes. Comme

M. de la Haye ne demandait qu'à conserver ses fonctions, ils l'aidèrent à éluder les ordres du Roi et lui fournirent un prétexte pour différer son départ. Le Sultan écrivit à Louis XIV, en termes amicaux, qu'il ne consentirait à renvoyer l'ambassadeur qu'après avoir été instruit des motifs de son rappel, puis chargea Fun des officiers de sa maison, Suleiman-Aga, de porter sa lettre à l'empereur de France. Le même messager reçut commission de laisser entrevoir la possibilité d'un renouvellement des Capitulations et d'ajouter que les articles que l'ambassadeur avait demandés pour les marchands seraient accordés[4].

Dans cette démarche conciliante, Colbert vit une occasion de reprendre ses projets. Dès qu'il eut appris l'arrivée de Suleiman-Aga à Paris, en octobre 1669, laissant la cour prendre plaisir aux aventures d'un Turc dépaysé parmi nous et suivre avec curiosité le roman de cette ambassade, il s'occupa des avantages pratiques à en retirer. Alors que le secrétaire d'État des affaires étrangères, Hugues de Lionne, recevait l'envoyé du Grand Seigneur à l'orientale et trônait sur le sofa, alors que Louis XIV, pour se venger des hauteurs de Suleiman, commandait à Molière de mettre des Turcs, à titre d'actualité, dans sa prochaine comédie-ballet et que la cérémonie du Bourgeois-Gentilhomme naissait de cette fantaisie, Colbert lisait des mémoires sur le commerce de la mer Rouge et rappelait, suivant sa propre expression, qu'assurément ce commerce pouvait produire de très grands avantages[5]. A ce moment, on connaissait l'insuccès de l'expédition de Candie, la disparition de Beaufort, le rembarquement des troupes. Cette tentative avortée avait achevé de dégoûter Louis XIV des croisades et le ramenait aux idées d'entente commerciale avec la Porte dont Colbert s'était fait le défenseur. A l'envoi de Suleiman, qui n'avait pouvoir pour rien conclure, on convint de répondre en faisant partir pour Constantinople un nouvel ambassadeur, chargé d'exposer avec plus d'autorité et d'insistance que son devancier les avantages auxquels la France prétendait et dont elle faisait le prix du renouvellement des relations amicales.

Pour cette mission, le choix du Roi se porta sur le marquis de Nointel, conseiller au Parlement de Paris. M. de Nointel était magistrat par carrière et voyageur par vocation. Sa jeunesse s'était employée à visiter une grande partie de l'Europe et de l'Orient : attiré par tout ce qui était beau, rare, ou simplement étrange, il se montrait avant tout et en toutes choses un amateur et un curieux. Aimant le luxe et les objets précieux, enthousiaste des arts, poussant jusqu'à la prodigalité l'amour et la science de la représentation, il se piquait aussi de littérature, versait dans le mauvais goût et allait écrire certaines de ses dépêches en style de précieux. Fort galant homme au reste, il avait mérité l'amitié des penseurs de Port-Royal aussi bien que celle des beaux esprits de la cour et de la ville. Peut-être ce magistrat lettré manquait-il quelque peu des qualités de fermeté et de dextérité tour à tour nécessaires pour déjouer les ruses des Orientaux et se mesurer avec leur diplomatie à armes égales.

Tandis que le marquis de Nointel se préparait à environner son voyage d'un éclat inusité, obtenait une escadre entière pour le conduire à Constantinople, groupait à ses côtés une véritable colonie de lettrés et d'artistes, enrôlait dans sa suite Antoine Galland, qui allait tenir le journal de l'ambassade, et le peintre Carrey, chargé d'illustrer les récits qui en seraient donnés, Colbert rédigeait la partie de ses instructions relative au commerce et particulièrement à l'Egypte. Il y avait répété, sous une forme plus pressante, les prescriptions données à M. de la Haye-Vantelet : c'est le second mémoire que nous avons signalé[6]. Il fut convenu de plus que l'emploi des moyens propres à rappeler en Égypte et à nous réserver le commerce des Indes, au lieu d'être simplement recommandé aux Turcs, leur serait désormais imposé comme une condition de notre amitié. L'ouverture de la mer Rouge, le libre passage par l'isthme, la réduction des droits excessifs qui écrasaient notre négoce dans ces parages, durent figurer, parmi d'autres privilèges et sous forme d'articles spéciaux, dans le projet de Capitulations nouvelles qui serait soumis par la France à la signature du Sultan. La négociation relative à l'Égypte, au lieu de se poursuivre séparément, allait désormais se confondre avec celle qui s'engagerait pour le renouvellement des Capitulations.

 

***

 

Si le marquis de Nointel avait compté, pour assurer le succès de ses démarches, sur l'appareil à la fois somptueux et menaçant dont il s'était entouré, sa confiance dut se dissiper promptement. L'apparition de la flotte devant Constantinople, dans une attitude superbe et presque provocante, ne fit qu'irriter les esprits et susciter de fâcheux différends. L'ambassadeur put se donner la satisfaction de faire dans la capitale de l'Orient une pompeuse entrée, mais à Andrinople, où se tenait la cour ottomane, d'amers déboires l'attendaient. Revenu vainqueur de Candie, Kupruly avait repris le gouvernement de l'empire ; à ses anciens griefs contre la France s'ajoutait le dépit que lui avait causé la conduite de notre escadre devant Constantinople, et, comme d'autre part la retraite de nos vaisseaux, renvoyés par Nointel, le délivrait de toute crainte immédiate, rien ne devait tempérer l'expression de son ressentiment. Voici en quels termes Nointel rend compte de la première audience qu'il obtint de ce ministre : Il me parut dans une gravité qu'il est difficile d'exprimer ; il avait les pieds droits et joints, une de ses mains cachant l'autre entièrement était posée sur ses genoux, et elles étaient si bien unies que je ne les ai point vues ni remuer, ni se séparer qu'une seule fois... Du reste, après m'avoir regardé attentivement, il tint ses yeux à demi-fermés. Enfin tout son maintien était si naturel ou composé qu'à grand peine on voyait remuer un poil de sa barbe quand il parlait[7]. Un turban enfoncé jusqu'aux yeux et une pelisse, dont le col relevé encadrait le visage du vizir d'une épaisse fourrure, complétaient cet aspect rébarbatif. Nointel fit à lui seul les frais de l'entretien ; ses compliments et ses avances n'obtinrent pour réponse que de courts monosyllabes. Vainement signala-t-il l'importance que son maître attachait à voir la mer Rouge ouverte au commerce français : Comment un aussi grand prince, interrompit Kupruly, s'intéresse-t-il autant à de vils marchands ?[8]

Malgré l'insolence de cet accueil, il faudrait se garder de croire que Kupruly se mit peu en peine d'une rupture ouverte avec la France. Sa hauteur était voulue ; sous l'orgueil et l'emportement propres à son caractère se cachait une finesse rusée, et, s'il employait la brusquerie à l'égard de notre envoyé, c'est qu'elle lui paraissait le meilleur moyen de négocier avec lui et de le réduire à ses vues. Souhaitant de renouer avec la France, dont il craignait les armes, mais partagé entre ce sentiment et ses rancunes obstinées, il entendait restreindre autant qu'il lui serait possible le nombre et l'importance de ses concessions. Il était si bien persuadé du désir qu'éprouvait la France de voir les Capitulations renouvelées, afin d'assurer la sécurité de son commerce, qu'il ne doutait point, en lui refusant d'emblée tout avantage nouveau, de l'amener à se contenter du rétablissement de ses anciens privilèges. Aussi fit-il dire à Nointel que sa cour dût consentir sur-le-champ à la remise en vigueur pure et simple des stipulations passées, ou renoncer à tout renouvellement ; il donnait six mois au Roi pour se prononcer sur cette alternative et, en attendant, conseillait à Nointel d'aller se reposer dans son palais de Constantinople.

Force fut à l'ambassadeur éconduit de transmettre à sa cour l'injonction hautaine du vizir. Le conseil du Roi mit en délibération la conduite à tenir et se demanda s'il convenait de répondre aux procédés de la Porte par une rupture retentissante. Colbert persistait à défendre les idées de prudence et de modération ; sur la question qui se posait, il provoqua une consultation en règle des autorités compétentes et des principaux intéressés, députés du commerce de Marseille, notables négociants de cette ville, compagnie du Levant, puis, dans un rapport, résuma les réponses et fit lui-même ses propositions. Son mémoire, dont les conclusions prévalurent, nous a été conservé[9] ; l'intérêt de cette pièce est de nous éclairer positivement sur les dispositions du gouvernement royal, à la veille du jour où Louis XIV allait recevoir une proposition à jamais célèbre. En rapporteur impartial, Colbert expose les raisons présentées à l'appui des diverses opinions émises : pour plus de clarté, avec une précision tout administrative, il classe les arguments dans des colonnes distinctes et juxtaposées, les mettant ainsi en parallèle et en opposition.

Trois systèmes se trouvaient en présence : parmi les personnes consultées, quelques-unes inclinaient à rappeler l'ambassadeur et tous nos nationaux, avec éclat, avec menaces, ce qui eût consommé la rupture et servi d'acheminement à la guerre, d'autres conseillaient de se borner à rappeler l'ambassadeur, en le remplaçant par un résident chargé de continuer les relations et de protéger le commerce, d'autres enfin eussent préféré laisser M. de Nointel à son poste. Colbert reconnaissait que le premier parti était le plus haut, mais lui reprochait de conduire à une rupture ouverte, qui entraînerait de grandes suites et de grandes difficultés pour renouer. Sans s'arrêter à discuter longuement cette mesure préparatoire de la guerre, il l'écartait, puis, entre le second et le troisième parti, suggérait un moyen terme qui fut adopté et parut concilier la dignité du Roi avec les ménagements que l'on entendait conserver. A la mise en demeure de Kupruly, la France en opposa une autre ; elle le somma de choisir entre la concession des nouveaux privilèges réclamés et la retraite de l'ambassadeur. Une lettre de rappel fut expédiée à Nointel, mais avec l'ordre de ne s'en servir qu'après avoir de nouveau tâté le terrain et si Kupruly ne manifestait aucune velléité conciliante ; elle fut accompagnée d'instructions dans lesquelles perçait l'extrême désir qu'éprouvaient le Roi et son ministère d'apprendre à la fois le renouvellement et l'extension des Capitulations.

Le chevalier d'Arvieux, désigné pour porter ce message, s'embarqua à Toulon le 6 octobre 1671. Le 20 janvier 1672, le baron de Boinebourg, conseiller intime de l'électeur de Mayence, écrivait à Louis XIV pour lui recommander un jeune homme qui hardiment demandait à entretenir Sa Majesté Très Chrétienne d'un projet intéressant la gloire de sa couronne. A la lettre du ministre allemand était jointe une double série de notes préparatoires émanées de Leibniz. Le plan conçu par le grand philosophe répondait bien à la hauteur de son caractère et à la hardiesse de son esprit. Voyant la France s'élever sans cesse, déborder sur les Flandres et menacer l'Allemagne, Leibniz avait entrepris de la détourner vers un autre objet et de lui faire reporter sur l'Orient tout l'effort de son activité ; il osait espérer que Louis XIV, convaincu par la puissance victorieuse de son raisonnement, renoncerait à compléter l'unité territoriale du royaume pour chercher au loin de magnifiques compensations, et se flattait de lui faire oublier le Rhin en lui montrant l'Égypte. La pensée dont il s'inspirait ne lui était pas exclusivement personnelle, et sa voix ne s'élevait point vers Louis XIV comme un appel isolé. Le mouvement d'opinion, qui croyait assurer le repos de l'Europe en poussant la France aux entreprises d'outre-mer, se concentrait alors en Allemagne. Avant de s'adresser indirectement au Roi, Leibniz s'était rencontré avec plusieurs princes allemands et semble s'être concerté avec eux. Seulement, il comptait traduire leurs aspirations sous la forme d'un projet précis, fortement motivé, susceptible d'éveiller nos convoitises autant que d'émouvoir nos instincts généreux, et il se proposait de nous démontrer que la conquête de l'Égypte serait la plus profitable des croisades.

Sa demande, transmise par le ministre d'un prince qui avait été longtemps l'allié, le client de la France, fut accueillie avec courtoisie. Le 12 février 1672, Arnauld de Pomponne, secrétaire d'État des affaires étrangères, accusa réception à Boinebourg de son envoi en termes obligeants, et fit savoir que l'on entendrait avec plaisir l'auteur du projet annoncé. A la suite de cette réponse, Leibniz partit pour la France, avec l'intention de faire connaître ses vues. On sait que l'expression de sa pensée prit sous sa plume des formes multiples et très diverses, depuis celle d'abrégés plus ou moins sommaires jusqu'à celle d'un ouvrage imposant et détaillé ! De délicats problèmes se sont soulevés autour de ces écrits, rendus successivement à notre curiosité ; on s'est demandé dans lequel d'entre eux il convenait de reconnaître le véritable consilium œgyptiacum ; on a pu douter, par de sérieux motifs, que le plus important des mémoires de Leibniz ou même qu'aucun d'entre eux ait été soumis à Louis XIV, et que le philosophe ait essayé seulement de convaincre le Roi, en présence des obstacles que les circonstances opposaient à la réalisation de ses désirs[10]. Nous n'avons pas à renouveler ces controverses, la solution des questions posées n'intéressant point directement l'objet de notre étude : aussi bien, en admettant qu'une proposition relative à l'attaque et à la conquête de l'Égypte ait été clairement formulée par Leibniz, il ne nous paraît point qu'elle ait été susceptible de fixer un seul instant la pensée du gouvernement royal et de suspendre ses résolutions.

D'après l'aspect des derniers événements, Leibniz et les princes allemands avaient pu croire que l'occasion était propice, unique, pour diriger vers l'Égypte toutes nos ambitions. L'accueil insultant fait à M. de Nointel avait été fort remarqué, et depuis lors l'Europe s'imaginait que Louis XIV, poussé à bout par l'arrogance des Infidèles, agitait contre eux des résolutions extrêmes. Le bruit s'était même répandu que la France équipait une flotte à Toulon, assemblait des troupes, préparait une expédition au Levant, et cherchait sur quel point des états ottomans elle ferait fondre l'orage. Un auteur du temps, Chardin, s'est fait l'écho de cette rumeur[11], et plusieurs de nos contemporains y ont vu l'expression de la vérité. Ils en ont conclu que la proposition allemande, venue à propos, aurait été tout d'abord prise en particulière considération. Contrairement à cette opinion, nous pensons avoir montré, par l'analyse du mémoire de Colbert, que la France écartait à ce moment même toute idée de rupture complète avec la Porte, de guerre en Orient, et que la seule mesure de représailles admise par elle à raison de ses derniers griefs, encore était-ce à titre éventuel, consistait en un simple rappel d'ambassadeur. Les correspondances d'État, durant cette période, ne laissent percer aucune velléité d'action militaire dans le Levant. Une escadre, il est vrai, faisait voile de ce côté, mais sa mission ne consistait qu'à courir sus aux pirates barbaresques et à relever dans des parages éloignés le prestige du pavillon : il s'agissait de l'une de ces excursions périodiques qui commençaient d'entrer dans les habitudes de la marine française. De plus, à suivre de près les dernières évolutions de la politique générale de Louis XIV, il est aisé de se convaincre que les projets de Leibniz ne présentèrent jamais que l'apparence de l'opportunité. Si le Roi, au début de son gouvernement, avait pu hésiter entre les expéditions lointaines et les conquêtes rapprochées, à l'instant qui nous occupe, son choix était fait, au moins pour de longues années, et sa décision irrévocable. Toujours attentif à poursuivre le rétablissement de notre influence en Orient, il n'entendait plus atteindre ce résultat que par des voies discrètes et pacifiques, et c'était une autre entreprise qui tentait son ardeur conquérante. L'attaque des Provinces-Unies était résolue ; dès la fin de 1671, nos alliés avaient reçu la confidence de ce dessein, et notre politique avait achevé l'investissement diplomatique de la Hollande. En même temps, des troupes se levaient de toutes parts, des corps se massaient sur la frontière, Louvois dressait son plan de campagne ; la puissance française s'ébranlait en entier dans la direction du Nord, et désormais rien n'eût été capable de l'amener à un brusque changement de front, à une volte-face inattendue, ni de lui faire compromettre au delà des mers une armée lentement préparée dans un but déterminé.

On s'est demandé, il est vrai, pourquoi Louis XIV avait commencé par encourager les tentatives de Leibniz, en autorisant et même en provoquant dans une certaine mesure son voyage ; on y a vu la preuve que le Roi n'aurait point rejeté à priori la proposition égyptienne. Cette objection ne résiste pas, selon nous, à l'examen attentif du texte même des communications échangées à ce propos entre Mayence et Saint-Germain. A relire les notes de Leibniz, transmises par Boinebourg avec sa lettre du 20 janvier 1672, c'est-à-dire les seules qui soient parvenues avec certitude à la connaissance du gouvernement français, on s'aperçoit que le nom de l'Égypte n'y est pas prononcé : elles indiquent en termes très généraux, dans un langage à la fois solennel et mystérieux, les conséquences qui pourraient résulter d'un projet à présenter, et Boinebourg, dans sa lettre, demande simplement la permission de nous découvrir plus tard, par la bouche de l'auteur, ce projet lui-même et ce qu'il appelle la véritable réalité de l'affaire. C'était en somme une énigme que l'on nous proposait, en offrant, si le Roi y consentait, de nous en fournir le mot. Dans ces conditions, la politesse d'usage entre deux cours vivant en bonne intelligence exigeait évidemment que la France ne se retranchât pas derrière une fin de non-recevoir préalable et ne rejetât point une proposition avant de la connaître. Elle devait nécessairement répondre qu'elle recevrait avec plaisir une communication explicative, et c'est en effet à une demande d'éclaircissements que se réduit la lettre de Pomponne en date du 12 février. J'ai eu l'honneur, écrit ce ministre à Boinebourg, de rendre compte au Roi, non-seulement de vos lettres, mais des mémoires que vous y avez joints et qui portent en général un avis très grand pour la gloire et l'avantage de S. M., sans qu'ils fassent voir par quels moyens il peut s'exécuter. Comme l'auteur s'est réservé, ainsi que vous le marquez, de s'en déclarer lui même, S. M. verra volontiers les ouvertures qu'il aurait à faire, soit qu'il veuille venir ici pour s'expliquer, soit qu'il veuille le faire par telle autre voie que vous jugerez à propos[12].

Ce fut sur cette invitation vague que Leibniz, le 18 mars 1672, partit pour Paris. Là s'expliqua-t-il réellement, suivant le terme employé à la fois par Boinebourg et par Pomponne, et que lui fut-il répondu ? Aucun document n'est venu jusqu'à présent nous le faire connaître, mais il est certain que son arrivée coïncida avec le début même de la guerre en Hollande. Le 6 avril, le manifeste contre les États-Généraux est lancé ; le 28, Louis XIV quitte Saint-Germain pour Charleroi ; les hostilités dans le Nord ne sont plus seulement décidées, mais entamées, et cette opération, en absorbant toutes les forces et toutes les pensées de la France, la détourne de plus en plus de toute autre préoccupation. Enfin, deux mois plus tard, le 21 juin, la France caractérise elle-même, dans un document officiel, sa politique présente à l'égard de l'Orient. Comme l'électeur de Mayence, sans faire d'allusion directe à l'Égypte, continue d'exprimer devant notre envoyé le désir de voir Louis XIV tourner un jour contre l'Infidèle ses armes invincibles, Pomponne écrit à l'ambassadeur : Vous savez que les projets d'une guerre sainte ont cessé  d'être à la mode depuis saint Louis, coupant court ainsi à toute proposition particulière par une fin de non-recevoir générale. Il nous sera donc permis de penser que, si le projet égyptien parvint, sous une ferme quelconque, jusqu'à Louis XIV, il ne fit jamais dans les conseils du Roi l'objet d'une discussion sérieuse, et que, s'il y fut remarqué, ce fut à titre de curiosité littéraire plutôt que d'œuvre politique.

D'ailleurs, ce qui devait surtout frapper la postérité dans l'ouvrage de Leibniz, et exciter une admiration sans réserve, c'est-à-dire la justesse prévoyante des aperçus sur la situation géographique de l'Égypte, sur le rôle que cette contrée était appelée à reprendre dans les relations entre les différentes parties du globe, ne pouvait offrir, pour le Roi et ses ministres, l'attrait d'une révélation ; nous avons vu que Louis XIV et Colbert avaient eu le même pressentiment de l'avenir, fondé sur l'observation du passé. Leibniz désignait dans l'isthme de Suez le lien de l'Occident avec l'Orient, le rendez-vous commercial, le point de contact, le marché commun de l'Inde d'une part, de l'Europe de l'autre. Ces paroles sont-elles autre chose que le commentaire éloquent, la paraphrase littéraire des instructions données à MM. de la Haye-Vantelet et de Nointel ! Il y a plus : au moment où le secrétaire d'État des affaires étrangères, du camp de Charleroi, écrivait au protecteur du jeune philosophe que le Roi ne songeait guère à s'aventurer sur les traces de son ancêtre, notre politique semblait sur le point de réaliser la seule partie véritablement pratique des plans de Leibniz. Nointel avisait la cour de la reprise des négociations à Andrinople ; il faisait espérer un renouvellement favorable des Capitulations, et l'ouverture à notre commerce du passage par Suez et la mer Rouge semblait devoir figurer au nombre des articles accordés.

 

III

Sous Louis XIV, nos diplomates possédaient sur tous autres un incontestable avantage : ils représentaient la première puissance militaire de l'Europe. Ils portaient la parole au nom d'un gouvernement fort, maître de ses décisions, habitué à vaincre, et qui avait su à sa puissance réelle joindre un incomparable prestige. Chaque mouvement de la France éveillait alors l'attention et l'inquiétude des autres peuples, et la terreur qu'inspiraient ses armes prêtait souvent un appui décisif aux raisons de ses envoyés. Vers la fin de 1672, apprenant nos armements, les Turcs se demandèrent, comme le reste de l'Europe, s'ils n'étaient point dirigés contre eux ; le souvenir de leurs injustes procédés entretenait leurs alarmes, et leur conscience troublée leur faisait voir partout les apprêts du châtiment. A cet instant, il suffit de l'apparition dans l'Archipel de l'escadre chargée d'y montrer le pavillon du Roi pour semer l'épouvante à Constantinople. L'imagination des Orientaux multipliait le nombre de nos bâtiments, les apercevait sur tous les points à la fois, voyait déjà les Dardanelles forcées et la capitale en flammes. La terreur se propagea jusqu'à Andrinople, la Porte s'émut, et le Grand Vizir, dès qu'il eut appris l'arrivée du chevalier d'Arvieux avec une réponse de la cour, manda M. de Nointel en termes fort radoucis.

Se rapprochant d'Andrinople, l'ambassadeur fit porter au vizir ses conditions, sans lui dissimuler qu'il avait reçu une lettre de rappel et se tenait prêt à la présenter. Kupruly prévint cette mesure en consentant à la discussion des nouveaux articles. Nointel s'expliqua sur chacun d'eux ; développant à l'égard de l'Égypte ses premières prétentions, il demanda que les Français fussent autorisés à venir des Indes-Orientales à Suez, en faisant escale à Moka et à Djeddah ; ils établiraient dans ces différents ports des consuls, des magasins et des colonies marchandes ; ils y jouiraient des mêmes exemptions que dans les Échelles du Levant. Sur d'autres points, peut-être l'ambassadeur eut-il le tort de se montrer trop exigeant et de dépasser ses instructions ; il s'exposa ainsi à des résistances motivées et put mesurer promptement l'étendue de la faute qu'il venait de commettre en fournissant à ses interlocuteurs l'occasion de rouvrir le débat. La diplomatie ottomane possède le génie de la défensive, et Kupruly n'avait point renoncé à se débarrasser des demandes importunes de la France. Seulement sa tactique avait changé : contraint de prendre une attitude moins haute, il cachait sous une apparente condescendance les pièges qu'il nous tendait. Son plan consistait à nous payer de demi-concessions et à les formuler en termes enveloppés ; c'était provoquer naturellement l'ambassadeur à demander des éclaircissements, à soulever des critiques et à prolonger de lui-même la discussion. Menée de la sorte, la négociation languirait. Or le printemps approchait, et le Grand Seigneur annonçait l'intention de conduire en personne, à cette époque de l'année, une expédition contre les Polonais ; l'instant du départ de la cour arriverait ainsi sans qu'un accord positif fût intervenu. Nointel se verrait réduit alors à accepter les Capitulations telles que les dicterait le vizir, ou à subir un second ajournement, et, dans ce dernier cas, la Porte pourrait rejeter sur les exigences persistantes et minutieuses de notre envoyé la responsabilité des retards éprouvés par la négociation et de sa nouvelle rupture.

L'instrument le plus actif de cette politique fut le grec Panaiotti, drogman de la Porte. Tour à tour il entretenait, décourageait, ranimait les espérances de Nointel ; tantôt il lui laissait entrevoir une solution favorable sur tous les points, promettant l'ouverture de la mer Rouge, promettant la réduction des douanes d'Égypte, tantôt il lui faisait le tableau des scrupules de la Porte ; il le tenait ainsi dans un état d'incertitude qui l'éloignait de tout parti précipité. Cependant certains préparatifs, indices d'une prochaine entrée en campagne, n'échappaient pas à l'ambassadeur ; une succession de scènes pittoresques, en lui montrant la Turquie sous un aspect nouveau, celui d'un camp qui se lève, éveillaient ses défiances, mais aussi sa curiosité. Attiré par tout ce qui surprend et récrée les yeux, Nointel se plaît à contempler ces tableaux grandioses ou bizarres, toujours animés et pleins de couleur. Il voit les différents corps de milices se grouper autour d'Andrinople, il voit se dresser au centre du camp les pavillons somptueux du Grand Seigneur, palais de soie et de brocard au milieu d'une ville de toile, il pénètre sous la tente des janissaires et examine leurs armes, il regarde passer le défilé burlesque des corps de métiers, qui vont fournir à l'armée leur contingent d'auxiliaires et font de ce départ une occasion de parade et de divertissement. Bientôt après, il assiste à la marche triomphale de Sa Hautesse, qui sort de la ville pour aller s'établir au milieu de ses troupes. L'éclatante diversité des armes et des costumes, le scintillement de l'or et de l'acier, le chatoiement des étoffes précieuses environnent la majesté souveraine d'une resplendissante auréole. Auprès de l'ambassadeur, Galland note tous les détails de cette pompe, et son récit nous laisse une impression d'éblouissement[13]. Nointel partage l'admiration du chroniqueur ; pourtant, au plaisir qu'il éprouve se mêle une amertume ; il voit le pouvoir avec lequel il traite lui échapper, en quelque sorte, et s'évanouir dans cette apothéose.

Résolu de mettre à profit les quelques jours qui lui restent avant la levée du camp, Nointel se montre pressant, impérieux, et arrache enfin une promesse formelle sur tous les points. Cette fois, il crut avoir cause gagnée, et le soir, à sa table, on but au renouvellement des Capitulations. Seul, un interprète grec gardait le silence et ne partageait point cette allégresse ; il connaissait la politique fuyante des Turcs et savait qu'elle ne cède jamais le terrain sans se ménager la possibilité d'un retour offensif. Lorsque les articles des Capitulations eurent été rédigés, présentés à l'ambassadeur et traduits par ses drogmans, il se trouva que les ministres de la Porte avaient su, mettant à profit avec une habileté perfide les subtilités de leur langue, atténuer leurs engagements et réduire nos avantages. C'est ainsi que l'article concernant la mer Rouge figurait bien dans le texte nouveau, mais tronqué, ouvrant le passage par cette voie aux marchandises venues des Indes, sans faire mention de celles qui seraient apportées de France. Désespéré, Nointel veut parvenir jusqu'au vizir, mais celui-ci, sous prétexte de faire ses adieux à ses femmes, s'est enfermé au harem : retranché dans cet asile , il devient inabordable et, du fond de sa retraite, rend des oracles ambigus et contradictoires : le renouvellement des Capitulations, fait-il dire, est seulement ajourné ; le Grand Seigneur seul peut statuer sur les difficultés soulevées par la France ; seulement, en vertu des règles du cérémonial musulman, dès que le monarque a pris le commandement de ses armées, il doit être considéré comme se trouvant toujours à cheval : il faut donc que ses ministres attendent une occasion favorable pour s'approcher de l'Étrier impérial et recueillir les arrêts infaillibles qui tombent de ce trône de campagne. Bientôt la lourde masse de l'armée ottomane se met en mouvement et s'éloigne dans la direction du Danube. Poussé à bout, Nointel envoie l'un de ses drogmans à la poursuite du Grand Vizir ; il fait avertir ce ministre que sa mission est terminée et réclame l'autorisation de retourner en France. Kupruly consent à laisser l'ambassadeur reprendre le chemin de Péra, mais ne lui permet pas de s'embarquer : il ne désespère point de dompter sa résistance et, sans lui laisser la liberté de la retraite, veut le contraindre à capituler.

A Constantinople, le marquis relut ses instructions. Elles lui ordonnaient, au cas où les Turcs feraient mine de le retenir, après avoir rejeté ses propositions, de déclarer qu'il n'était plus ambassadeur et de ne laisser entre leurs mains qu'un simple sujet du Roi. Un reste d'espoir, peut-être aussi sa répugnance à se dépouiller lui-même d'un caractère dont il était glorieux, lui firent différer ce qu'il appelait la simagrée prescrite. Après avoir songé à s'enfuir déguisé à bord d'un de nos vaisseaux, mouillé dans le Bosphore, il se résigna à attendre, comme s'il eût compté, pour le tirer de su, détresse, sur quelque événement extraordinaire et providentiel.

Ce miracle, Louis XIV l'opéra : la réussite foudroyante de ses premières entreprises contre la Hollande retentit jusqu'en Orient, et vint assurer à la fois la délivrance et le succès de son envoyé. Fort ignorants en géographie et jugeant la Hollande d'après le nombre de ses vaisseaux, les musulmans se la figuraient comme un vaste empire ; apprenant que quelques semaines avaient suffi à Louis XIV pour en conquérir la plus grande partie, ils crurent notre puissance irrésistible, et leur soumission fut la conséquence indirecte de la défaite des Provinces-Unies.

Dès que Mohamed IV fut revenu de son expédition, la Porte renoua elle-même les négociations. Toutefois, la fierté doublée d'adresse de ses ministres ne perdait jamais entièrement ses droits ; déclarant souscrire à l'ensemble de nos conditions, ils avertirent M. de Nointel de ne plus insister sur l'ouverture de la mer Rouge. Réduits à composition, il leur semblait se conserver les apparences de la liberté en écartant péremptoirement l'une de nos demandes, et leur choix s'était porté sur celle qui leur permettait d'abriter leur résistance derrière les commandements de leur religion. Le mufti entra en scène. On sait que ce chef spirituel des musulmans était appelé à sanctionner chacun des actes de la Porte intéressant à un degré quelconque l'observation de la loi du Prophète. Nos rois connaissaient l'utilité de se ménager cet appui et jamais n'envoyaient un ambassadeur à Constantinople sans le munir d'une lettre, signée de leur main, qui l'accréditait auprès du pontife mahométan. Lorsque Nointel avait remis au mufti la lettre de Louis XIV, il s'était trouvé en présence d'un vieillard cassé, d'aspect maladif, pauvrement vêtu et grelottant sous une méchante couverture ; il affectait l'austérité et se proclamait incorruptible ; pourtant sa casuistique subtile admettait des distinctions, et, si sa conscience lui interdisait d'accepter les cadeaux des vrais croyants, elle ne lui défendait point de recevoirles horloges et autres objets venant de la chrétienté. Néanmoins, en dépit des efforts de la France pour le gagner, il refusa obstinément de donner son approbation aux articles des Capitulations qui nous accordaient la libre navigation dans une mer voisine du tombeau du Prophète, soit par complaisance pour le vizir, soit par fanatisme et parce que, sentant sa fin prochaine, il voulait emporter dans l'autre monde, suivant l'expression de Nointel, le prétendu mérite d'avoir protégé la péninsule arabique[14]. Les longs atermoiements qu'on avait fait subir à notre ambassadeur avaient épuisé son énergie. Il se contenta d'avoir obtenu de notables avantages, la réduction des droits de douane à trois pour cent dans toutes les Échelles, sauf celles du Caire et d'Alexandrie, la reconnaissance formelle de notre droit de protection sur les missions catholiques, le développement des franchises de nos nationaux, et, le 16 mai 1673 les, Capitulations furent renouvelées sans qu'il y fut fait mention de l'Égypte ni de la mer Rouge. Sur ce point particulier, mettant une adresse supérieure au service d'aveugles défiances, les Turcs avaient réussi à écarter une proposition utile aux deux États et sacrifié leur intérêt à leurs préjugés.

 

IV

Malgré le texte restrictif des Capitulations, Nointel ne renonçait pas à atteindre par des voies détournées le résultat qu'il n'avait pu emporter ouvertement. Il se demandait s'il serait impossible de s'aboucher directement avec les puissances à demi indépendantes de l'Égypte, de tenter leur cupidité par l'appât des profits que leur apporterait un commerce nouveau, de concerter avec elles les moyens propres à nous ouvrir le passage si ardemment désiré, et de placer ainsi la Sublime-Porte en présence d'un fait accompli, pour lequel il serait plus facile d'obtenir sa ratification. Notre envoyé agitait ces pensées dans l'automne de 1673, tandis qu'une galiote nolisée à ses frais le promenait sur les eaux de l'Archipel. Un voyage à Chio et à Smyrne lui avait paru une récompense méritée après deux années d'efforts et d’angoisses, et maintenant la tentation lui venait de visiter toutes les Échelles, de dépasser les îles, de côtoyer la Syrie et de pousser jusqu'en Égypte. Il s'y décida avec d'autant moins de scrupules qu'il vit dans cette course lointaine une occasion de continuer et de parfaire son œuvre diplomatique ; il transporterait au Caire la négociation qui avait échoué à Constantinople, et peut-être parviendrait-il à la faire réussir, en la déplaçant. Sans doute son humeur voyageuse, la passion de voir, l'invincible attrait qu'exerçaient sur lui les plus nobles contrées de l'univers, l'entraînèrent principalement à ce parti, que n'avaient point prévu ses instructions, mais le désir de soulager notre commerce d'Égypte et de le relier à celui des Indes fut au nombre des motifs qui plaidèrent dans son esprit en faveur d'une cause gagnée d'avance. Il s'annonça au Caire par une lettre dans laquelle il sommait le pacha de cesser ses vexations, puis, prenant un ton moins haut et usant de séduction, promettait de l'entretenir d'un projet qui ouvrirait pour l'Égypte une source de nouvelles et abondantes prospérités.

Le Grand Vizir ne lui avait point accordé l'autorisation de visiter cette région. En y passant, il risquait d'éveiller les défiances de la Porte et pouvait craindre qu'un rappel vint l'arrêter en chemin ; le plus sûr moyen d'en prévenir l'effet eût été de le gagner de vitesse ; pour remplir le but que l'ambassadeur assignait à la dernière partie de sa course, il fallait se hâter et agir par surprise. Mais nous savons que Nointel voyageait surtout pour satisfaire sa curiosité, et, dans l'Archipel, mille objets divers sollicitaient son attention et le retenaient au passage. Son goût pour les arts de l'antiquité lui en faisait rechercher les vestiges avec passions. Il s'attardait à déchiffrer une inscription, s'oubliait devant une belle statue récemment surgie du sol, ne savait refuser un coup d'œil à aucun de ces villages illustres dont le nom seul évoque un souvenir poétique ou glorieux. Deux dessinateurs l'accompagnaient, prenant des vues ; des ouvriers le suivaient, prêts à enlever les marbres qu'il désignerait ; lui-même jetait sur le papier des notes qu'il comptait transformer en savants mémoires. La beauté des îles, l'harmonieuse pureté de leurs formes, jusqu'aux mœurs aimables des habitants contribuaient à le captiver. Lui faut-il faire un crime de s'être laissé prendre au charme de ces douces régions et de les avoir parcourues en artiste plutôt qu'en politique ?

Il recevait de toutes parts un accueil enthousiaste. Les îles, où la population était demeurée chrétienne et en partie catholique, voulaient chacune posséder et fêter l'envoyé du monarque protecteur de la religion. Loin de se dérober aux hommages, Nointel s'y offrait complaisamment, et, pour y répondre, déployait un faste dominateur, savourant avec délices la joie de représenter un état victorieux et de tenir la place d'un prince dont le nom volait dans toutes les bouches. Il demeura trois semaines à Chio pour se donner le temps de célébrer la prise de Maëstricht par l'armée du Roi. Il avait pris ensuite son chemin vers Rhodes et Candie, lorsque les vents contraires le forcèrent à faire le tour des Cyclades ; il ne s'en plaignit point. Délos le garda trois jours ; à Naxos, il harangua, du haut d'une terrasse, une troupe de corsaires qui avaient eu l'audace de débarquer dans l'île pendant son séjour, leur fit rendre' gorge, reçut leurs excuses, et s'attribua la gloire d'avoir sauvé du pillage une population entière. Les plus humbles îlots recevaient sa visite, lorsqu'ils la méritaient par quelque produit intéressant de l'art ou de la nature. A Antiparos, les habitants lui signalent une grotte curieuse, tapissée de stalactites. Il se hasarde à y pénétrer, et là par son ordre, les offices de Noël sont célébrés avec magnificence au milieu d'une foule de spectateurs, tandis que des centaines de torches inondent de lumière la cathédrale improvisée et font ressortir les richesses d'une décoration ciselée par la nature.

L'hiver était venu, lorsque notre voyageur, avec une pompeuse escorte, prit terre en Asie. Les mesures à prendre pour le rétablissement du commerce le retinrent quelque temps dans les Échelles de Syrie. D'ailleurs, il ne désirait pas atteindre l'Égypte avant le milieu du printemps. Tout avait été combiné par lui pour ajouter à l'intérêt de son voyage : il verrait à Jérusalem les cérémonies de la semaine sainte, et comptait arriver au Caire pour le débordement du Nil ; à cette époque de l'année, l'Égypte entière était en fête, la population célébrait par mille réjouissances la crue bienfaisante des eaux, et c'était l'instant qu'il fallait saisir pour la surprendre dans toute son animation et passer la revue de ses types pittoresques.

A Jérusalem, M. de Nointel se sent ému et transporté ; son enthousiasme déborde. Il rend compte de ses impressions au Roi en un style qu'il s'efforce d'élever à la hauteur du sujet ; visant à l'éloquence, il tombe dans l'emphase, s'évertue à produire un chef-d'œuvre de pathos, et c'est dans un langage emprunté aux victimes de Boileau qu'il décrit les lieux témoins de la Passion et ces monuments augustes qui parlent par leur silence[15].

Jérusalem devait être son avant-dernière étape avant le Caire, le Sinaï serait la dernière ; il aurait ainsi visité tous les sanctuaires du christianisme primitif, après avoir rendu hommage aux reliques de l'antiquité. Déjà il s'apprêtait à franchir le désert, il touchait à l'Égypte, lorsqu'un messager de Kupruly vint déjouer tous ses plans, en lui apportant l'injonction formelle de retourner à son poste. Une désobéissance eût courroucé le vizir ; d'ailleurs, les moyens matériels eussent fait défaut pour continuer le voyage malgré la Porte. Réduit à rebrousser chemin, Nointel se consola de sa mésaventure en se ménageant de magnifiques compensations. Avant de rentrer à Constantinople, où l'attendait, à quelques années de là une éclatante disgrâce, il acheva de visiter la Syrie et poussa jusqu'à l'Euphrate, revint par la Grèce, vit Athènes, le Parthénon encore debout, fit dessiner par Carrey les sculptures qui subsistaient au front du glorieux monument, et termina, par ce service rendu à l'histoire de l'art, un voyage dont la cause de la science et des nobles études recueillirent le principal profit. Pourtant son approche, à défaut de sa venue, n'avait pas été inutile à nos Français d'Égypte. En Syrie, il avait reçu de leur part des lettres désolées, signalant de nouvelles avanies, plus cruelles que les précédentes. Comme il comptait encore se rendre parmi eux, il avait écrit alors à leur Pharaon (c'est ainsi qu'il nommait le pacha), à son principal lieutenant et au chef des janissaires de la province, en les menaçant, s'ils persistaient dans leurs violences, de ne paraître en Égypte que pour en retirer nos nationaux et les emmener sans retour. Quelque chancelant qu'il fût, le commerce des Français profitait à ces tyrans, et la seule crainte de le voir s'interrompre les fit rentrer dans le devoir. Les avanies cessèrent ou au moins diminuèrent, et cet instant fut celui d'un soulagement momentané pour notre colonie d'Égypte ; suivant la remarque du consul, trois feuilles de papier, écrites au nom de la France, avaient suffi pour faire trembler toutes les puissances du pays. Il y avait loin cependant de ce succès partiel aux espérances qu'avait conçues à la fois le commerce de la Méditerranée et celui des Indes, déjà prêts à se rejoindre par Suez pour prendre en commun un rapide essor.

 

V

Après l'échec des tentatives opérées par M. de Nointel, Colbert ne retrouva plus une occasion d'agir en Égypte, mais sa pensée devait lui survivre. Dans l'ancienne France, lorsqu'un de nos hommes d'État avait conçu un projet vraiment pratique et fécond, sans réussir à l'exécuter, il était rare que ses successeurs ne le reprissent point pour leur compte ; ils se l'appropriaient, en conservaient au moins les traits essentiels et se bornaient à l'adapter aux circonstances. Le présent se reliait au passé par une chaîne continue et recueillait souvent le fruit de ses efforts. C'est ainsi que, depuis Colbert jusqu'à la Révolution, l'extension de notre commerce en Égypte, avec l'ouverture de la mer Rouge, va demeurer l'un des objets constamment poursuivis par la politique orientale de nos rois.

Le premier continuateur des desseins de Colbert fut son propre fils, le marquis de Seignelay. En 1683, à la mort de son père, il avait été chargé de la marine et du commerce. Quelques années plus tard, l'instant lui parut propice pour rétablir définitivement notre prééminence en Orient. C'était en 1685 ; une succession de désastres, la levée du siège de Vienne, la perte de Bude, les victoires de Sobieski, celles de l'Autriche avaient ébranlé jusque dans ses fondements l'empire des Osmanlis et singulièrement rabattu leur orgueil. Les jugeant plus traitables, Seignelay résolut de profiter de ces dispositions pour nous assurer dans leur empire des privilèges considérables et exclusifs, et songea aussitôt à l'Égypte. Notre ambassadeur d'alors, M. Girardin, reçut l'ordre de reprendre les pourparlers au sujet de la mer Rouge. A lire les pièces de cette négociation, il est facile de voir que l'idée primitive a mûri ; elle a pris à la fois plus de précision et de développement. Les conditions dans lesquelles pourra s'opérer le transfert des marchandises de Suez à la Méditerranée sont nettement indiquées ; le droit de passage auquel elles seront soumises ne devra pas dépasser un demi pour cent de leur valeur. Pour la première fois, la pensée de rompre la barrière naturelle qui sépare les deux mers apparaît dans un document officiel français ; au cours de l'une de ses dépêches, M. Girardin signale la possibilité d'établir un canal de jonction de la mer Rouge à la Méditerranée[16]. Enfin, le Roi stimule en personne le zèle de son envoyé : Vous voyez assez, lui écrit-il à propos du nouveau commerce à établir, que cette matière est importante et difficile... C'est pourquoi il faut que vous la suiviez continuellement et que vous fassiez en sorte de la faire réussir[17].

A Constantinople, où la négociation fut portée en premier lieu, M. Girardin sut faire passer sous les yeux du Grand Seigneur lui-même un mémoire convaincant et obtint du vizir une réponse favorable ; toutefois la Porte réservait son consentement définitif jusqu'à ce que les puissances de l'Égypte eussent été consultées. Au Caire, notre projet rencontra d'insurmontables résistances de la part des chefs des milices qui faisaient la loi au pays. La plupart de ces officiers s'étaient faits marchands ; ils avaient accaparé le reste de commerce qui se maintenait dans la mer Rouge, et leur étroite cupidité refusa de sacrifier un profit médiocre, mais assuré, aux séduisantes perspectives que la France faisait briller à leurs yeux. La Porte ne voulut ou ne sut passer outre à cette opposition ; incertaine d'être obéie, elle n'osa commander. L'ambassadeur renouvela inutilement ses sollicitations et dut ajourner ses espérances. Quelques années plus tard, notre consul du Caire, M. de Maillet, tentait spontanément de nous assurer une correspondance avec l'Inde par Suez et la mer Rouge ; grâce à cette initiative intelligente, la question fut étudiée à nouveau et demeura ouverte, sans que les circonstances permissent encore de la trancher en notre faveur[18].

La France fut plus heureuse dans ses tentatives pour fortifier sa position sur les bords du Nil, où les autres nations n'avaient point reparu. Dès 1683, la Porte avait consenti à la réduction des droits de douane de 20 à 3 %, en restreignant ce privilège aux seuls Français ; ce succès capital fut accompagné de beaucoup d'autres. Pendant les années 1686 et 1687, marquées pour les Turcs par de nouveaux désastres en Hongrie, le Divan se laisse arracher une série de concessions en faveur de nos marchands du Caire et d'Alexandrie : il rend en un jour jusqu'à onze firmans destinés à améliorer leur sort[19], et l'ensemble des actes émanés de la Porte durant cette période compose ce que l'on pourrait appeler la charte d'affranchissement de nos nationaux d'Égypte. Après cette émancipation, les mesures prises par Colbert et ses successeurs pour ranimer notre négoce du Levant commencèrent à produire leur effet en Égypte, et les vingt-cinq dernières années du règne de Louis XIV marquent pour nous l'époque d'un progrès décisif dans cette province. Les produits de nos manufactures du Languedoc et de la Provence y trouvent désormais un débit assuré, et nos draps excluent peu à peu ceux d'Angleterre et de Hollande. En échange, l'Égypte nous fournit, indépendamment des denrées qui lui sont propres, le café, apporté de Moka, et auquel de notre côté, dit un mémoire du temps, on s'est tellement accoutumé, que le négoce en est devenu un des principaux que notre nation fasse en Turquie[20]. En même temps que l'occasion d'utiles trafics, nos rapports avec l'Égypte deviennent une cause de progrès incessants pour notre marine marchande : Alexandrie et Rosette, qui en 1688 ne voyaient annuellement que vingt-quatre de nos navires, en attirent cent quinze en 1725, et, dès le commencement du XVIIIe siècle, un voyageur, pénétrant dans le premier de ces ports, constate que le pavillon blanc y règne en maître, porté par nos bâtiments et par ceux des étrangers naviguant sous nos couleurs[21].

Quelques nations européennes recommencent, en effet, à se glisser en Égypte, attirées par notre exemple, mais l'avance que nous avons prise sur elles est si considérable que tous leurs efforts ne la leur feront jamais regagner. En 1698, les Anglais sont parvenus à rétablir un consul au Caire ; seulement, cet officier n'y a été suivi que par un seul marchand, et la distinction, écrit notre représentant en parlant des maîtres du pays, qu'ils font de moi au consul anglais est différente comme du jour à la nuit[22]. Un peu plus tard, tandis que nous tenons au Caire onze maisons de commerce et cinquante négociants, la Grande-Bretagne et la Hollande n'y sont représentées chacune que par deux de leurs sujets. Si les Anglais ont obtenu, comme nous, une réduction de tarif, les autres peuples demeurent soumis à des droits écrasants ; privés de défenseur officiel, ils se voient obligés de rechercher notre protection et de se confondre dans nos rangs. Sans doute la fréquence des avanies, le fanatisme des peuples et l'arbitraire des gouvernants rendent encore le séjour de l'Égypte pénible, dangereux même à nos nationaux, mais l'absence de toute concurrence sérieuse permet à notre commerce de s'y développer continuellement, lui offre dans cette région un terrain privilégié et nous assure la possession presque exclusive de ce riche débouché, si difficilement accessible aux Européens[23].

Jusqu'au dernier jour de la monarchie, les résultats acquis sous Louis XIV subsistèrent, et la France conserva en Égypte une situation prépondérante. Même, à mesure que la décadence de la Turquie se précipitait, les regards de nos hommes d'État se portaient avec plus d'attention sur la vallée du Nil. Quelques-uns rêvèrent de nous assurer en toute propriété ce riche domaine. Croyant à la ruine imminente de l'empire ottoman, ils ne pensaient point que la France dût s'obstiner à prévenir l'inévitable, mais bien sauvegarder ses intérêts en se réservant une part des dépouilles de l'Infidèle. Dès que le mouvement de reflux de la puissance musulmane se fut prononcé, la question du lot à nous assigner dans le partage de l'Orient s'imposa et fut discutée. Les uns proposaient Candie, d'autres Tunis ; plus tard, tandis que les armées de Catherine Il semblaient se frayer par leurs victoires le chemin de Constantinople, Choiseul jetait les yeux sur le Caire. Admis dans l'intimité du duc après sa disgrâce, le jeune Talleyrand recueillit ses confidences à ce sujet, et c'est lui qui devait nous révéler par la suite, dans un mémoire lu à l'Institut, que vers 1769 Choiseul avait médité l'occupation de l'Égypte[24]. A partir du règne de Louis XVI, cette pensée se précise et prend corps. L'avant-dernier ambassadeur de la monarchie à Constantinople, Saint-Priest, s'en fait le défenseur convaincu ; elle séduit le ministre Sartine, qui met à l'étude un projet de descente en Egypte.

A ces tentatives, qui semblaient procéder des théories de Leibniz plutôt que de celles de Colbert, l'ancienne tradition française résistait. Elle nous conseillait de retarder la destruction de la Turquie au lieu de chercher à en profiter, et cette doctrine avait si profondément pénétré l'esprit de nos rois que Louis XVI ne se résigna jamais à abandonner complètement nos plus vieux alliés. Il croyait au contraire rester fidèle aux leçons de son ancêtre en fortifiant notre établissement en Égypte à l'aide des maîtres musulmans de la contrée ; il traitait à la fois avec la Porte, puissance suzeraine, et avec les beys, vassaux indisciplinés. En 1776, un officier français, M. de Montigny, chargé d'une mission dans les Indes, recevait l'ordre de s'y rendre par l'Égypte et d'examiner sur les lieux la possibilité de rétablir un canal de communication entre la mer Rouge et la Méditerranée. En 1785, une convention conclue avec les beys ouvrait enfin à nos marchands le passage par l'isthme. Les troubles de l'Égypte ne permirent point l'exécution de ce pacte, et la Révolution vint bientôt suspendre notre expansion pacifique au dehors. Cependant, avant d'avoir retrouvé la paix intérieure, la France se laisse ramener vers l'Égypte, et Bonaparte l'y conduit, réalisant d'un impétueux élan le projet de conquête que Louis XIV avait écarté, que Louis XVI avait étudié et ajourné. On sait que l'expédition d'Égypte eut des causes multiples, les unes de circonstance, les autres d'un ordre général et permanent, et quo le désir de ranimer notre commerce extérieur, en lui frayant des voies nouvelles, l'espoir de nous assurer une base d'opérations pour étendre notre action dans la mer des Indes et la porter jusqu'aux rivages de la grande péninsule asiatique, figurèrent parmi les motifs déterminants de l'entreprise. En faisant succéder une brusque prise de possession à l'accroissement lent, paisible et continu de notre influence en Egypte, Bonaparte modifiait les procédés plutôt que le but de notre politique, et il reprenait à sa manière, c'est-à-dire en conquérant, avec l'audace et l'impatience du génie, les traditions séculaires de la royauté.

 

 

PIÈCE N° 1.

ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Constantinople, vol. 7, f° 202

22 aoust 1665

Second Mémoire du Roy pour servir d'instruction au sieur de la Haye-Vantelet s'en allant à Constantinople, en qualité d'ambassadeur de Sa Majesté vers le Grand Seigneur

 

Il est certain que les Anglois et Hollandois ont un grand commerce estably dans les Indes Orientalles, d'où ils tirent une si grande quantité de marchandises de toutes sortes qui leur coustent si peu qu'elles leur donnent un proffit de 12 ou 15 millions de livres tous les ans, ce qui est d'une notoriété publique incontestable.

Il est certain de plus qu'ils remplissent toute l'Europe depuis le nord jusques au sud, de toutes marchandises venant des Indes, mesme la France, l'Italie et l'Espagne ;

Qu'on peut encore advancer avec la inesme certitude. que les mêmes marchandises venant à présent des Indes par le cap de Bonne-Espérance, avant que les Anglois et les Hollandois eussent doublé ce cap et porté leur commerce par mer jusques dans les Indes, venoient par les caravannes au travers les Estats du G-rand Seigneur dans les eschelles du Levant où elles estaient acheptées par les François et ensuite distribuées tant en France que dans toute l'Italie, Allemagne et autres pays de l'Europe ;

Que ces mesmes marchandises venant par les caravannes sont beaucoup plus chères que celles qui viennent directement des Indes par mer, que les Anglois et Hollandois n'ont aucune place dans toute la mer Méditerrannée et qu'ainsi ils sont obligés de porter esgallement en Angleterre et en Hollande les marchandises qui leur viennent des eschelles de Levant et des Indes, et celles-cy venant avec une prodigieuse abondance et à un prix fort modique, celles-là sont beaucoup plus chères, et par conséquent ou ils y perdent ou ils y gagnent beaucoup moins, et sur la difficulté qui pourroit naistre de ce discours que s'ils perdent ou gagnent moins sur celles venant des eschelles que sur celles des Indes, ils ne devroient point prendre celles-là il est facile d'y répondre, yen que le commerce ne consiste pas seulement à avoir avec abondance les marchandises nécessaires, mais mesme d'empescher que les autres n'en puissent avoir, parce qu'alors ceux qui se sont pu rendre maîtres du commerce jusques à ce point mettent tel prix qu'ils veulent aux marchandises, et c'est ce qui fait le prodigieux gain que les Hollandois et Anglois font sur le commerce, lequel a augmenté considérablement depuis qu'ils l'ont estably dans les Estats du Grand Seigneur, parce qu'auparavant les mesmes marchandises qu'ils tiroient des Indes estoient aussy tirées par les François des eschelles, et estoient par eux distribuées en France, Allemagne et Italie, à un prix esgal mesme plus advantageux que celles qui pouvoient venir dans les mesmes pays par la Hollande et Angleterre à cause du peu de trajet des eschelles dans les ports de France, et de la facilité des rivières, au lieu que ces deux nations sont obligées de passer toute la Méditerrannée, faire le trajet de l'Océan et ensuitte porter ces mesmes marchandises et par terre et par rivières dans tous lesd. pays. Mais dès lors qu'ils ont pu parvenir à l'establissement de leur commerce dans les esclielles du Levant, et ensuitte à ruiner presque entièrement celuy des Français tant par les mauvais traitements qu'ils ont reçus des Bachas, et autres officiers du Grand Seigneur, que par les grandes guerres que nos roys ont soustenues qui ne leur a pas permis de s'appliquer à ce qui pouvoit regarder le commerce, ils se sont rendus maistres de toutes les marchandises, y ont mis tel prix que bon leur a semblé, et ne se sont point souciez, et au contraire ont esté bien aise de n'en tirer des Estats du Grand Seigneur qu'autant qu'il en falloit pour empescher les Français d'en prendre et tenir tousjours le commerce de ceux-cy dans le mauvais estat auquel il est réduit.

En sorte que toutte cette conduitte a attiré en mesme temps la ruine du commerce des François et la diminution des douannes du Grand Seigneur. Et au cas que led. Ambr ayt la preuve de la diminution de ces douannes ainsy qu'il est dit cy-dessus, on ne doute pas qu'il ne persuade facilement au Grand Vizir cette vérité, et quand mesme il n'auroit pas la preuve entière de cette diminution, il faut tousjours que par le raisonnement cy-dessus il tache de luy persuader lad. diminution, ce qui luy sera d'autant plus aysé que bien souvent les ministres du Grand Seigneur ne sont pas informez de ce destail.

Il est bien nécessaire que led. sieur Ambr. s'applique à posséder si parfaitement cette matière, qu'il puisse en bien persuader le Grand Vizir, et en mesme temps qu'il lui fasse naistre l'envie de trouver les moyens d'y remédier ; pour peu qu'il le trouve dans cette disposition, il pourra luy dire que si le Grand Seigneur veut faciliter le commerce des François ce qui attirera indubitablement l'augmentation desd. douannes, Sa Majesté peut faire des choses qui seront d'un très considérable advantage pour ses Estats.

La première est qu'elle formera une grande compagnie des principaux marchands de son royaume pour faire le commerce entier du Levant et cette compagnie aura le nombre de vaisseaux nécessaires pour enlever toutes marchandises qui viendront dans les eschelles.

Et la seconde, qui est encore infiniment plus considérable, consiste en ce que Sa Majesté ayant estably dans son Royaume une puissante compagnie pour faire le commerce des Indes Orientalles, laquelle a desjà occupé l'isle de Madagascar, si le Grand Seigneur veut donner la liberté nécessaire pour establir des magasins à Suez en Égypte, au fond de la mer Rouge, et la seureté pour le transport de toutes les marchandises, soit par voitures, soit sur le Nil, depuis lad. ville de Suez jusques sur la mer Méditerrannée où on pourroit establir d'autres magasins à condition d'accorder la descharge de toutes impositions à la réserve d'un demy pour cent suivant un tariffe qui seroit fait de la valleur de toutes lesd. marchandises.

Non seulement .par ces deux moyens le Grand Seigneur restabliroit les revenus de ses douannes, d'autant que les marchandises seroient attirées en abondance par les caravanes, par le moyen de la grande compagnie française qui seroit formée pour cet effet, mais mesme il attireroit encore par succession de temps au dedans de ses Estats toutes les marchandises qui passent à présent par mer à droiture des Indes dans l'Europe, en tournant à l'entour de l'Afrique, ce qui luy produiroit un revenu fort considérable par la prodigieuse quantité de ces marchandises qui sont nécessaires à la consommation de l'Europe.

Mais pour parvenir à une fin si grande et si advantageuse il seroit nécessaire que le Grand Seigneur de sa part exécutant ce qui s'ensuit :

Qu'il donne aux François des grâces pour leur commerce plus grandes qu'à toutes les autres nations comme par exemple de ne payer que deux pour cent au lieu de trois qu'elles payent.

Le Roy demandant au Grand Seigneur l'exécution de la capitulation de 1604 en conséquence de laquelle les Hollandois, comme les autres nations doivent naviguer sous la bannière de France, la liberté qui leur a esté accordée depuis led. temps estant directement contraire à lad. capitulation, le Grand Seigneur pourroit leur oster cette liberté.

A l'esgard des Anglois quoyque la liberté qui leur a esté donnée de naviguer sous leur bannière soit directement contraire à la capitulation de 1580, celle de 1604 les ayant exceptés, il suffirait que le Grand Seigneur mortifiast l'ambassadeur en le faisant trouver dans toutes les cérémonies publiques pour le faire tousjours précéder par l'ambassadeur de France, joint que Sa Hautesse pourroit donner ordre à ses officiers de troubler par toutes les voyes le commerce de cette nation et faciliter celuy des François.

Il faudroit de plus que le Grand Seigneur envoyast un de ses officiers intelligents dans toutes les eschelles avec ordre de travailler avec un François nommé par l'ambassadeur pour liquider toutes les debtes, punir tous ceux qui auroient fait des avanies aux François, annuller toutes les promesses faites aux Maures et aux Juifs pour des intérest ou usures, et commencer cette recherche et cette liquidation par l'échelle d'Alexandrie afin qu'elle pût servir de magazin général pour toutes les marchandises qui viendroient des Indes par la mer Rouge.

En exécutant toutes ces choses, le Grand Seigneur auroit l'advantage de voir en peu de temps ses douannes restablies et en même temps le passage de toutes les marchandises des Indes dans ses Estats.

Pour réduire ce discours en peu de parolles.

Avant que les Anglois et les Hollandois eussent passé le cap de Bonne-Espérance.

Toutes les marchandises des Indes nécessaires pour la consommation de l'Europe estoient apportées par les carav annes, passoient par les Estats du Grand Seigneur, et estoient enlevées par les François.

Depuis que ces deux nations ont passé le cap elles ont diverty le cours ordinaire de toutes ces marchandises, et les ont enlevées directement par mer des Indes dans leurs Estats, et les ont ensuite distribuées dans toute l'Europe.

Après ce passage, les François s'estant maintenus dans le commerce de Levant, ils ont continué de tirer une grande quantité de marchandises et s'estant contentez de peu de gain n'ont pas laissé de les distribuer aux pays qui estoient plus proches d'eux, et plus esbignés des deux nations, en sorte que le commerce de Levant s'est maintenu en quelque façon ; depuis que les deux nations ont eu la liberté commune avec les François d'establir leur commerce dans les Estats du Grand Seigneur, elles ont travaillé avec grande application à ruiner 'le commerce des François en Levant, afin de se rendre maistresses de toutes les marchandises venant du Levant tant par la grande mer océanne que par les Estats du Grand Seigneur ; et à mesure qu'ils ont advancé dans la ruine du commerce des François ils ont diminué la traite des marchandises par lesd. Estats parce que ayant du côté de la mer, à beaucoup meilleur prix, toute la quantité qui leur estoit nécessaire, ils n'avoient aucune nécessité d'en tirer, et ainsy les douannes du Grand Seigneur ont diminué considérablement en sorte qu'il est certain qu'ils ont travaillé en mesme temps à diminuer le commerce des François et les douannes du Grand Seigneur, et c'est ce qui a obligé Sa Majesté de chercher les expédients nécessaires non seulement pour restablir l'un et l'autre mais mesme pour les augmenter considérablement, en attirant au dedans desdits Estats le mesme commerce qui y estoit autrefois, ensemble une bonne partie qui se fait par mer directement des Indes en Europe. Et d'autant que Sa Majesté est persuadée que le Grand Vizir connoistra parfaitement la vérité de tout ce qui est dit cy-dessus, elle ne doute pas qu'il n'exécute les moyens proposez et ne donne promptement les ordres nécessaires pour cet effet dont il doit revenir de si grands avantages au Grand Seigneur.

Fait à Paris, le 22e jour d'aoust 1665.

 

PIÈCE N° 2.

ARCHIVES DE LA MARINE

Volume B, 7, 51

Instruction pour le sieur de Nointel envoyé par le roi en qualité de son ambassadeur vers le Grand Seigneur, concernant les affaires du commerce.

 

Ledit sieur de Nointel doit encore être informé que tout le commerce des Indes orientales se faisait autrefois par deux voies différentes au travers des États du Grand Seigneur ; la première par les caravanes qui viennent par terre des Indes et de Perse, la seconde, beaucoup plus abondante, se faisait par les vaisseaux qui venaient de toutes les parties des Indes, entraient dans la mer Rouge, venaient débarquer à Suez. Ensuite les marchandises étaient portées à dos de mulets sur le Nil d'où elles descendaient au Caire et à Alexandrie et de là apportées et distribuées dans toute l'Europe. Ces deux voies faisaient la richesse de l'Égypte, apportaient de prodigieux droits de douane au Grand Seigneur et causaient le commerce que les Marseillais, les Vénitiens et les Génois faisaient alors. La première voie des caravanes subsiste encore faiblement et produit le commerce qui se fait dans les échelles, la seconde voie a été entièrement abolie, en voici la raison.

Lorsque les Portugais eurent trouvé le passage du cap de Bonne-Espérance, en 1420, et qu'ils se furent établis puissamment dans les Indes par leurs conquêtes, ils s'appliquèrent à se rendre maîtres de toutes les marchandises qui venaient de ces grandes et riches provinces. Et, pour cet effet, ils se rendirent maîtres du détroit de Babel-Mandel à l'embouchure de la mer Rouge, y tinrent toujours des vaisseaux, et, dans le cours de vingt années de temps, ils détruisirent et ruinèrent toutes les forces maritimes que les grands seigneurs tenaient dans la mer Rouge, et enfin interdirent entièrement l'entrée de cette mer à tous les vaisseaux des Indes, et par ce moyen se rendirent maîtres de toutes les marchandises qui entraient par cette mer et passaient ensuite par la Méditerranée dans toutes les parties de l'Europe, et s'appropriaient par ce moyen à eux seuls ce grand commerce qui a été la cause de toute leur puissance et de toutes les grandes conquêtes qu'ils ont faites dans toutes les parties du monde.

Sadite Majesté veut que ledit sieur de Nointel, après avoir bien examiné ce point sur les cartes et dans les conférences qu'il aura avec le Grand Vizir sur le renouvellement des capitulations, il lui fasse connaître l'avantage qui reviendrait à l'Égypte et aux autres États du Grand Seigneur de rappeler ce commerce par la mer Rouge et la facilité que Sa Majesté aurait de le faire si le Grand Seigneur voulait donner quelque préférence dans le commerce aux Français et les décharger de tout droit pour toutes les marchandises qu'ils transporteraient par cette voie, leur donnant la facilité de faire ce commerce à l'exclusion de tous autres. Et pour lui faire connaître la facilité de cet établissement il pourra lui donner part de la grande et puissante Compagnie que Sa Majesté a formée pour porter le commerce de ses sujets dans les Indes, des établissements qui y sont déjà faits, des forces maritimes au nombre de quinze grands vaisseaux de guerre qui y sont à présent et que Sa Majesté y entretiendra toujours pour protéger ce commerce, et de la facilité qui se trouve par l'avantageuse situation de son royaume pour transporter toutes les marchandises qui seront apportées à Alexandrie d'Égypte dans son royaume et de là dans toutes les provinces' et États de l'Europe. Et cette proposition est fondée sur des raisons si claires et si convaincantes, qu'elle ne peut pas douter que ledit sieur de Nointel ne réussisse à les faire accepter par ledit Grand Vizir.

Et en cas qu'il la goûte et qu'il dise seulement que l'exclusion de toutes les autres nations et la franchise de tous droits ôteraient tous les avantages que le Grand Seigneur en pourrait tirer, ledit sieur de Nointel lui pourra faire connaître que l'abondance qui viendra de ce commerce et les grands passages dans toute l'Égypte y attireront une infinité de commodités et de richesses qui viendront indirectement au profit du Grand Seigneur, d'autant que les peuples sont plus en état de payer leurs impositions. Et en cas qu'il insiste et que ledit sieur de Nointel ne puisse lui faire goûter la grandeur de cette proposition sans y faire trouver quelque avantage au Grand Seigneur, après qu'il aura employé toutes les raisons qu'il pourra facilement tirer de cette matière, Sa Majesté lui permet d'accorder un pour cent de toutes les marchandises qui passeront par cette voie, à condition que le Grand Seigneur donne l'exclusion à toutes les autres nations et qu'il pourvoie aussi à la sûreté des chemins depuis Suez jusqu'à Alexandrie.

 

PIÈCE N° 3.

ARCHIVES DE LA MARINE.

Volume B, 7, 54

(Août, 1671).

Rapport extrait de la correspondance de Colbert

 

Monsieur de Nointel s'en allant ambassadeur de France vers le Grand Seigneur a reçu ordre du Roi par ses instructions de travailler au renouvellement des capitulations, et en ce faisant de demander l'exclusion de toutes les nations qui ont obtenu depuis leur date la permission de trafiquer dans les États du Grand Seigneur, avec pouvoir de s'en relâcher, mais de se tenir ferme pour obtenir la réduction de cinq pour cent des droits de douane à trois, dont toutes les autres nations jouissent.

A son arrivée il a été maltraité, ses plaintes sur l'affaire de Saint-Jacques[25] n'ont eu aucun effet. Il a été condamné et exécuté contre les capitulations en sa présence, ses audiences se sont passées avec mépris sans avoir égard à la dignité du Roi.

Le Grand Vizir lui a bien offert le renouvellement des capitulations sans y rien changer, ce qu'il n'a voulu accepter. Il attribue l'arrogance et la fierté du Grand Vizir aux secours de Hongrie et de Candie, et au succès favorable qu'il a eu en ce dernier siège.

Il est d'avis que le Roi envoie une escadre de vaisseaux avec ordre de revenir s'il ne renouvelle les capitulations, et qu'en témoignant de la fermeté en le rappelant, il est persuadé que le Grand Vizir renouvellera les capitulations.

Monsieur d'Oppède[26] est de même avis.

Le sieur Arnoul[27], idem.

La Compagnie du Levant, idem.

Le commerce de Marseille a été d'abord de même avis et ensuite il a balancé et les marchands n'ont point voulu signer leur délibération.

POUR LE RETENIR[28]

CONTRE

La fermeté obligera les Turcs à mieux traiter les Français et à renouveler les capitulations.
L'ennui qu'ils ont de faire la guerre ne leur permettra pas de laisser aller l'ambassadeur, et, lorsque les capitulations seront renouvelées par cette voie, elles seront bien mieux exécutées.
Le mauvais traitement du commerce et de l'ambassadeur ne permet plus de délibérer.

Le seul commerce considérable qui se fasse en France est celui du Levant.
C'est le seul de Marseille et de toute la Méditerranée. Les Anglais et les Hollandais qui sont établis en Levant empêcheront formellement le retour des Français et agiront à la Porte par toutes voies pour empêcher leur retour. En sorte que les Français se priveront d'eux-mêmes d'un commerce qui leur est très avantageux, qui passera tout entier entre les mains des étrangers.
La fierté des Turcs ne permettra pas de pouvoir renouer la négociation si une fois on retire l'ambassadeur.

En cas qu'il soit estimé nécessaire de retenir l'ambassadeur, savoir si cela se fera hautement avec menaces, et en retirant pareillement toute la nation et interdisant le commerce, ou bien en retirant l'ambassadeur seul comme inutile.

La première est plus haute, mais engage à une rupture entière qui a de grandes suites et de grandes difficultés pour renouer.

La seconde est plus conforme aux sentiments de tous ceux qui ont été consultés.

En ce cas, il faut une lettre du Roi à M. de Nointel pour lui dire qu'ayant vu par ses lettres le peu de dispositions qu'il a trouvées à la Porte pour le renouvellement des capitulations, avec les autres avantages dont jouissent les autres nations, Sa Majesté veut qu'il laisse le soin des affaires des marchands entre les mains du sieur Roboli ou de quelqu'autre qu'il estimera capable de s'en bien acquitter et qu'il s'en revienne sur les vaisseaux que Sa Majesté lui envoie, après avoir pris son audience de congé du Grand Seigneur et du Grand Vizir.

Lui ordonner qu'en cas que le Grand Vizir, sur son congé, veuille renouveler les capitulations, qu'il le fasse et demeure, étant important au commerce de ses sujets de point rompre qu'en cas d'extrême nécessité.

Un ordre du Roi à d'Almeras d'envoyer deux vaisseaux.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 

 



[1] Voir Heyd, Commerce du Levant, t. I et II.

[2] Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert, publiés par P. Clément, t. II, p. 263 et suivantes.

[3] Archives des affaires étrangères, Constantinople, vol. 7, 22 août 1665. La présence de ce document dans nos archives diplomatiques s'explique par ce fait que jusqu'en 1665, bien que Colbert eut dans ses attributions depuis 1662 la marine et le commerce, c'était M. de Lionne, secrétaire d'État des affaires étrangères, qui contresignait les dépêches. Nous publions la plus grande partie du mémoire aux Pièces annexées, n° 1.

[4] Archives des affaires étrangères, Constantinople, vol. 9.

[5] Correspondance. — T. III, p. 207.

[6] Archives de la marine, dépêches concernant le commerce, vol. B 7, 51. Voir au n° 2 des pièces annexées.

[7] Archives des affaires étrangères, Constantinople, vol. 10.

[8] Mémoires sur l'ambassade de France en Turquie par le comte de Saint-Priest, publication de l'École des langues orientales, p. 300.

[9] Archives de la marine, B. 7, 54. Voir au n° 3 des Pièces annexées.

[10] Voyez les publications et travaux dus à Guhrauer, Michaud, Vallet de Viriville, de Hoffmans, le rapport de Mignet à l'Académie des Sciences morales et politiques (1838), le tome V de l'édition des Œuvres de Leibniz, par M. le comte Foucher de Careil, et le résultat des savantes recherches de M. Onno Klopp, consigné successivement dans une brochure spéciale et dans le tome II des Œuvres de Leibniz, édition de Hanovre, 1864.

[11] Voyages, t. I, p. 51.

[12] Cette lettre a été publiée pour la première fois par Guhrauer.

[13] Voyez le Journal d'Antoine Galland, publié par M. Schefer, membre de l'Institut, t. I, p. 122 et suivantes.

[14] Lettre du 18 avril 1673. Archives des affaires étrangères, Constantinople, n° 10.

[15] Archives des affaires étrangères, Constantinople, vol. 12, 15 avril 1674.

[16] 5 octobre 1686. Bibliothèque nationale, Mémoires manuscrits de l'ambassade de M. Girardin, fonds français, n° 7162 et suivants.

[17] 31 août 1686. Archives de la Marine.

[18] Voir l'analyse et différents extraits d'un mémoire de Maillet, daté de 1698, dans le curieux ouvrage de M. le vicomte de Caix de Saint-Aymour sur les Relations de la France avec l'Abyssinie chrétienne, p. 72 à 82.

[19] Mémoires de l'ambassade de M. Girardin.

[20] Bibliothèque nationale, fonds français, n° 7194.

[21] Relation de Fonseca, Lisbonne, 1702.

[22] Lettre du consul Lemaire, en date du 13 juin 1712. Archives des affaires étrangères.

[23] Tous les renseignements qui précèdent sont tirés de la correspondance de nos consuls au Caire (1712-1741), des rapports des agents chargés de la visite des Échelles en 1685-87, 1706, 1719-20, 1731, et des dépêches de la Chambre du commerce de Marseille au ministre de la marine, vol. III à XIV. Archives des affaires étrangères.

[24] Mémoire lu par Talleyrand à l'Institut, le 15 messidor an V, Sur les avantages à retirer de colonies nouvelles dans les circonstances présentes.

[25] Français qui avait été molesté en Turquie.

[26] Premier président au Parlement d'Aix, chargé de convoquer et présider la Chambre du commerce de Marseille.

[27] Intendant des galères.

[28] Retenir est pris ici dans le sens de rappeler, faire revenir.