HISTOIRE DE CHARLES VII

TOME PREMIER

LIVRE II. — DEPUIS LA RETRAITE DU PRINCE CHARLES VERS LA LOIRE (JUIN 1418), JUSQU’À LA MORT DE CHARLES VI (21 OCTOBRE 1422).

CHAPITRE XI. — (Du mois de septembre 1421 à la fin d’août 1422).

 

 

En ce qui concerne la période actuelle, nous manquons de témoignages, qui nous permettent de suivre clairement la politique et le gouvernement du dauphin. Aucun historiographe n’était alors attitré[1], pour raconter les faits et gestes du régent, ou de ses tuteurs. Quelques actes administratifs, d’un intérêt fort secondaire[2], quelques lignes ; mêlées au récit des chroniqueurs anglo-bourguignons, tels sont, à peu près, les seuls renseignements qui puissent nous guider à cet égard.

Aux mois d’août et de septembre 1421, Henri V marchait sur la Loire. Jacques d’Harcourt combattait dans le Vimeu. Cependant le dauphin s’était replié au sud de ce fleuve ; et, dans sa mobile demeure, il se tenait toujours à deux journées de marche de l’ennemi. L’héritier adolescent du trône habitait Chinon, Loches et Amboise. La famine et la guerre décimaient le pays. Mais les comptes de la chambre aux deniers du régent nous montrent qu’en ces deux mois il ne manqua point d’épices ou confitures de chambre[3].

En septembre, il est vrai, le dauphin achète une brigandine (vêtement militaire) de Milan, couverte de drap d’or et relevée de bossettes d’argent, au prix de 1000 livres tournois. Un bacinet (ou casque) de parement, orfévré de dauphins et de fleurs de lis, dut ombrager sa tête, moyennant 1120 écus d’or ; plus 200 livres tournois, en six plumes d’or, pour servir de cimier à cette coiffure guerrière. Le 28 octobre, Charles dauphin paye 1800 livres une épée de parement montée en argent ; sans compter la décoration d’un casque ou garnison d’une salade ornée d’or (1600 livres), et quatre houpes de bacinet (1600 livres). Au mois de novembre enfin, Jacquet de Lyon, orfèvre et valet de chambre de mon dit seigneur, reçoit 360 livres tournois, pour l’or par lui mis en œuvre sur une épée de Turquie appartenant au prince[4].

Durant ce temps, le canon tonnait, le sang coulait pour la cause de la France et du dauphin, à Meaux et ailleurs. Mais le jeune prince, on l’a vu, n’assistait pas même aux conseils de la guerre. Ce n’était point devant les Anglais qu’il faisait luire ses, belles armes de parement. Durant ces trois mois, le régent Charles ne quitta son logis d’Amboise (17 septembre), que pour aller, passer moins d’une semaine à Tours (du 18 au 22). De là, il vint hiverner à poste fixe, au milieu de divertissements très civils, en son palais ducal à Bourges[5].

Le 29 septembre 1421, Jacques Gelu, archevêque de Tours, partit de cette ville en ambassade, vers le pape Martin V, à home. Le prélat avait pour mission de ménager et d’entretenir à l’égard du dauphin les dispositions favorables du saint-siège. L’abbé de Saint-Antoine de Vienne, nommé Artaud de Granval, fut chargé, peu de temps après, d’une mission analogue. Avant d’aborder le souverain pontife, l’abbé de Saint-Antoine devait visiter, dans l’intérêt du prince Charles, le duc de Savoie Amédée VIII, partisan et allié du duc de Bourgogne. Le pape Martin V accueillit gracieusement les envoyés du dauphin. Le 2 avril 1422, il rendit une bulle par laquelle il assurait le régent de ses bonnes dispositions à son égard. Ces mêmes lettres, en congédiant l’ambassadeur, archevêque de Tours, accréditaient ce dernier, près du dauphin, comme mandataire du siége apostolique[6].

Vers le mois de novembre 1421, Bertrand de Saint-Avit et Philippe de Grimaud furent envoyés par le régent auprès de Philippe-Marie Visconti, duc de Milan, pour obtenir de ce prince un secours d’hommes armés[7].

En racontant la journée de Mons et le siége de Meaux, nous avons fait connaître, dans leurs principaux traits, les vicissitudes survenues entre les deux parties belligérantes. Un petit nombre de faits, rapidement esquissés, suffiront pour compléter ce récit.

Vers la fin de l’année 1421, les Dauphinois, par un hardi coup de main, s’emparèrent d’Avranche en Normandie. Deux ou trois cents Anglais furent pris ou tués dans cette affaire. Mais Henri V, instruit d’un tel échec, détacha du siége de Meaux une partie de ses forces. Avranche fut reprise et placée de nouveau sous la domination anglaise. Jacques d’Harcourt perdit, à peu de temps de là, deux ou trois cents des siens, dans une rencontre malheureuse qu’il eut, vers le Crotoy, avec les Anglais[8].

Dans les premiers mois de 1422, La Hire remporta un avantage qui servit faiblement de compensation à ces revers. Il se mesura, aux environs de Vitry, contre Antoine de Lorraine, comte de Vaudémont, qui était venu lui tendre une embuscade. La Rire et ses gens, -de beaucoup inférieurs en nombre, fondirent tout à coup, avec son irrésistible impétuosité, sur ces Bourguignons. Il leur tua quatre-vingts hommes et leur fit une multitude de prisonniers. Le comte de Vaudémont et le surplus de sa compagnie ne durent leur salut qu’à une fuite rapide[9].

Le 5 avril, jour de Pâques fleuries, Louis Patiot ou Paviot, capitaine d’Étampes, et quelques autres Orléanais, réussirent à se rendre maîtres de Meulan-sur-la Seine. Cette ville obéissait précédemment aux Anglais. La capitale, en ce moment, ne s’avitaillait que par la navigation, ou les arrivages de la Seine inférieure. Pendant quelques jours, de ce point important, ils interceptèrent cette communication, et le prix des vivres, augmentant, causa une véritable alarme dans Paris anglais. Mais le 16 avril, les compagnons qui avaient pris Meulan s’y virent assiégés par des forces supérieures. Ils capitulèrent volontiers avec le comte de Salisbury, et moyennant apâtis[10] ou finance, ils restituèrent la place aux soldats d’Henri V[11].

Enfin dans les mois d’avril et de mai, Jean de Luxembourg, l’un des principaux lieutenants de Philippe le Bon, se dirigea vers l’embouchure de la. Somme. Il soumit successivement les places du Quesnoy, d’Airaines, etc. C’est ainsi que les défenseurs attachés au parti du dauphin furent refoulés ou expulsés, presque jusqu’au dernier, de la région septentrionale du pays, par rapport à la Seine[12]. Pour les conseillers du jeune prince, ministres et gardiens de la monarchie, il ne suffisait point de veiller à la conservation d’une précieuse existence. Le dernier rejeton de la dynastie était encore sans fruit, tandis que la naissance d’Henri VI promettait un héritier à l’usurpateur de la couronne. Charles de Valois, bien que marié, avait jusque-là vécu comme frère avec sa jeune épouse, ou fiancée, Marie d’Anjou. Une nouvelle cérémonie, celle des noces définitives, fut célébrée à Bourges entre les deux époux[13].

Déjà le régent, à cette époque, commençait à sentir, dans ses finances et jusque dans son luxe intérieur, les étreintes de l’adversité. Abandonné de ses fournisseurs, le prince avait dû recourir au chapitre de la cathédrale de Bourges, afin que ce collège lui fît, en nature, les avances nécessaires pour une partie de la nourriture de sa maison. Dès le 26 novembre 1421, les besoins dé la guerre avaient dicté au régent une ordonnance désastreuse. Par cet acte, il autorisait l’engagement de ses revenus en Dauphiné, jusqu’à concurrence de six mille écus d’or. Ainsi s’ouvrait la voie des aliénations du domaine royal. Dans cet état de gêne, le régent emprunta de son cousin Charles, duc d’Orléans, les tapisseries de Blois[14].

Le 28 mars, ces tentures furent remises an receveur des finances du dauphin, par le chancelier du duc d’Orléans. Menées aussitôt à Bourges, elles furent employées à décorer les salles du palais, où se célébrèrent les noces de Charles et de Marie. La fête, au rapport d’une dame témoin, fut magnifique du moins par le nombre et la qualité des hôtes ou convives. Jamais, de mémoire de grande dame, on ne vit noces de roi, à cette époque, réunir plus de princes et d’aristocratie des deux sexes. Au dîner, les dames seules, suivant l’ancienne coutume qui régnait encore, prirent place, à diverses tables, sous la présidence de la dauphine régente. Mais, durant ce festin, le jeune prince époux entra dans leur salle et déploya auprès de chacune d’elle une galante courtoisie[15].

La même chambre de drap d’or, de vieille façon, ou drap vert semé d’épis d’or, avec ciel dossier, courtines de baldaquin analogues, en un mot les mêmes tapisseries, servirent très probablement, à une seconde fête de ce genre. Peu de jours après, le mariage du dauphin, Jean, bâtard d’Orléans, frère du due Charles, et si célèbre depuis sous le nom de Dunois, se maria également dans la ville de Bourges. Il épousa Marie Louvet ou Louvette, fille de Jean Louvet, sire de Mirandol, président de Provence, l’un des ministres et des favoris tout-puissants du dauphin[16].

Henri y, après les fêtes de la Pentecôte, reprit le cours des hostilités. Le 12 juin, il quitta la capitale, accompagné du roi, ainsi que des deux reines, et vint s’établir à Senlis. Le roi d’Angleterre se dirigeait vers le Crotoy. Là se maintenait avec intrépidité Jacques d’Harcourt, et le roi d’Angleterre se proposait de marcher au besoin contre lui, en personne. De Senlis, Henri V envoya vers Jacques au Crotoy une ambassade[17].

Cette députation se composait de Hugues de Launoy, Bourguignon, grand maître des arbalétriers de France[18], de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, et d’un héraut. Les envoyés avaient pour mission de sommer Jacques d’Harcourt, et en même temps, de lui persuader, par la voie diplomatique, d’avoir à mettre son château du Crotoy entre les mains du roi de France et d’Angleterre. Mais le lieutenant du dauphin se montra également insensible à la sommation du héraut et à l’éloquence de l’évêque. Ces derniers revinrent à Senlis porteurs d’un refus, que dut accepter le roi d’Angleterre[19].

Pendant le cours de ces négociations, Henri de Lancastre alla visiter Compiègne. Le roi d’Angleterre explorait par ses yeux cette nouvelle conquête, lorsqu’un avis alarmant lui fut apporté. Ses agents venaient de découvrir à Paris les fils d’une conspiration orléaniste. D’après cet avis, l’armurier du roi, maître Jean, demeurant en la rue de la Heaumerie et un sien voisin, autre bourgeois, boulanger, auraient été les principaux acteurs du complot. Vers le 13 juin, la femme de maître Jean, de concert avec les conjurés, se rendit à Copeau[20] de grand matin. C’était un lieu situé hors de la capitale, proche le village ou faubourg de Saint-Marcel. La femme se mit en rapport avec des gens d’armes, armagnacs, qui pénétraient souvent jusqu’aux abords de la ville. Elle les entretint, dit-on, des moyens propres à livrer Paris au dauphin[21].

Par malheur, cette femme attira l’attention d’un prêtre anglo-bourguignon. Ce dernier était venu se divertir à sa maison de campagne, et la conversation des conjurés avait lieu dans un endroit presque contigu à son jardin. Aussitôt, il alla dénoncer l’armurier aux gardes de la porte voisine. Lorsque la femme rentra dans Paris, elle fut arrêtée, mise à la torture et révéla le secret auquel elle était initiée. Henri V, instruit de ces faits, accourut à Paris, suivi de ses forces militaires. Après une instruction sommaire et secrète, la femme fut noyée, ainsi que les principaux agents du complot, et le roi d’Angleterre retourna immédiatement à Senlis[22].

Dans le même temps, deux capitaines bourguignons, Jean et Antoine de Vergy, prirent la ville de Saint-Dizier en Partois. Les soldats du dauphin qui l’occupaient, se retirèrent dans le château, où leurs adversaires ne tardèrent point à les assiéger. La Hire, capitaine de Vitry, s’efforça vainement de les secourir. Un engagement eut lieu dans le voisinage entre ces auxiliaires et les Bourguignons. Ces derniers obtinrent l’avantage. La Hire fut obligé de battre en retraite, après avoir laissé environ quarante morts sur les champs. Le château se rendit alors aux vainqueurs et reçut une garnison bourguignonne[23].

Les conseillers du dauphin pour la guerre tentèrent, vers le printemps de cette même année, une diversion agressive contre les Mats du duc de Bourgogne. Dès l’automne de 1421, des troupes avaient été réunies par le maréchal de Séverac et devaient attaquer le Nivernais[24]. Mais l’hiver paraît avoir suspendu ce mouvement. Sur la fin de mai 1422, les Dauphinois prirent, dans ces parages, Châtillon-sur-Loing, Bleneau, Saint-Sauveur, Saint-Amand et Moutiers en Puisaie. Pendant ce temps, urne autre armée du régent inquiétait lés frontières bourguignonnes du Lyonnais et du Mâconnais. Du 2 au 20 juin, La Charité tomba au pouvoir du prince Charles, qui envoya mettre le siège devant Cône[25].

On évalue à vingt mille hommes environ l’ensemble des troupes qui obéissaient au régent. Parmi les capitaines qui les commandaient, nous nommerons les comtes de Boucan, de Douglas et de Wigton ; le sire de Torsay, grand maître des arbalétriers ; les maréchaux de la Fayette et de Séverac ; Tanguy Duchatel, maréchal des guerres du régent ; le vicomte de Narbonne, le sire de la Tour d’Auvergne, etc. Le seigneur de Reuillon, capitaine de Cône pour le duc de Bourgogne, lui écrivit aussitôt que la garnison se trouvait hors d’état de résister. Cône, en effet, ne tarda pas à capituler. D’après les conditions du traité, la ville et la garnison anglo-bourguignonne s’obligèrent à reconnaître l’autorité du dauphin, si, de ce jour (30 juin environ), au 16 août, elles n’étaient point secourues. Des otages suffisants furent livrés par les Cônois en garantie de leur promesse. Le régent et le duc ratifièrent cet arrangement. Tous deux, ‘par la bouche de leur envoyé ou héraut d’armes ; promirent de se retrouver au jour dit et en armes, pour décidera qui demeurerait la victoire[26].

Au mois de juillet, le vicomte de Narbonne poursuivit un moment ce plan d’agression. Il prit un détachement d’Écossais et se porta, suivi de 3.600 chevaux, à Aubigny-sur-Nerre, pour entrer en Bourgogne. Puis, changeant tout à coup de route et de tactique, il se dirigea vers le Maine et la Normandie[27].

Philippe le Bon sut mettre activement à profit le délai stipulé dans la capitulation de Cône. Il pressa le roi anglais, son allié, de lui envoyer des troupes. Henri V répondit qu’il ne lui en enverrait pas, mais qu’il irait en personne, avec toute sa puissance. Joignant, sans plus tarder, l’effet à la parole, Henri d’Angleterre partit de Senlis, vers le 1er juillet, dans la direction de la Bourgogne. Ce prince, toutefois, voyageait à petites journées. Une grave maladie, dont il ressentait de sérieuses atteintes, ne lui permettait pas l’équitation. Il se mit en route pour Melun, dans une litière de malade ou cacolet, porté par un cheval. Mais, arrivé à Corbeil, il se vit obligé de rebrousser chemin et se fit conduire, le 7 juillet, à Vincennes[28].

Dans cette nécessité, Henri V confia la conduite de ses troupes à ses lieutenants. L’armée de secours se dirigea vers la Bourgogne, sous le commandement des ducs d’Exeter, de Bedford, des comtes de Warwick, de Salisbury, etc. Philippe le Bon, de son côté, avait adressé des mandements militaires en ses pays d’Artois, de filandres, de Picardie et des deux Bourgognes. Ses recrues du Nord s’assemblèrent à Troyes. Lui-même opéra, le 27 juillet, à Vézelay, sa jonction avec le duc de Bedford, commandant supérieur des contingents anglais. L’ensemble des forces anglo-bourguignonnes n’est évalué, par un de ses chroniqueurs contemporains, qu’à la somme totale de douze mille combattants[29].

Durant cet intervalle, Henri V avait obtenu quelque répit ou amélioration dans sa maladie. L’ensemble général des forces devait se réunir le 4 août à Vézelay. Henri V brûlait d’apporter à cette expédition le concours de sa présence. Vers les premiers jours de ce mois, il quitta le château de Vincennes. Henri V était le 3 à Corbeil et se trouvait encore le 6 dans cette ville. Le jeudi 13, vaincu par les progrès°du mal, il dut quitter Corbeil et renoncer à s’avancer davantage. Son état ne lui permettait même plus le cacolet. A Corbeil, il monta dans une barque et conduit, par des rameurs, il descendit le cours de la Seine.

Toutefois, arrivé au pont de Charenton, il voulut remonter à cheval. Le jeune roi tenait à dissimuler publiquement la gravité de sa situation ; il aspirait à rentrer du moins en cavalier, dans ce séjour de luxe et de plaisance. Henri V se remit donc en selle. Mais à peine eut-il fait quelques pas, que, dompté par la douleur, il fut contraint de reprendre sa litière. Parvenu de la sorte au château, il s’alita cette fois pour ne plus se relever[30].

Le 15 août, veille du terme fixé, Philippe, avec ses confédérés, se trouvait, devant Cône, au rendez-vous militaire. Charles, régent, n’y comparut point. Durant quelques jours, les deux camas restèrent en présence, sur l’un et l’autre bord de la Loire. Puis, le duc de Bourgogne, voyant que ses adversaires demeuraient inactifs, dirigea, sur La Charité, deux, mille Anglais et Bourguignons. Alors les troupes du dauphin, pour défendre cette ville, passèrent la Loire et se mirent en bataille. Philippe le Bon, ainsi que ses Anglais, reculèrent à leur tour, et les deux armées prirent des directions opposées[31].

Vers le même temps, les Français obtinrent en Auvergne un avantage assez notable. Antoine de la Rochebaron, seigneur de Berzé-le-Châtel en Mâconnais et de la Rochebaron, avait épousé Philippa, bâtarde de Jean sans Peur, et tenait le parti de Bourgogne. Il s’était associé un Savoisien, nommé le sire de Salenove, qui vint le trouver à la tête de huit cents hommes d’armes. Ces deux partisans occupaient diverses places dans les pays d’Auvergne, Limousin, Gévaudan, Forez, Velay et Vivarais. Bernard d’Armagnac, comte de Pardiac, fils du connétable, Imbert de Groslée, sénéchal de Lyon, les seigneurs de Beauchâtel et de la. Fayette attaquèrent le sire, de la Rochebaron dans une petite ville nommée, Serverette[32].

La place fut assiégée et incendiée ; Salenove et la Rochebaron s’enfuirent avec la garnison bourguignonne. Ils trouvèrent d’abord un refuge en un lieu que les historiens du temps nomment Bousos[33]. Puis par les montagnes, ils gagnèrent le château de la Rochebaron[34]. Battu, expulsé de toutes ses places, le gendre de Jean sans Peur fut ainsi complètement défait[35].

Pendant que le gros des forces anglo-bourguignonnes était occupé devant Cône, l’un des capitaines de l’expédition pour le régent frappait l’ennemi en Normandie, à l’autre extrémité de la ligne anglaise. Guillaume, vicomte de Narbonne, réunit dans le Maine, vers le 10 août, deux mille combattants. Parmi ces derniers, se trouvaient. Jean de la Haie, baron de Coulonces en basse Normandie ; Ambroise de Loré, chevalier, Manceau ; Jean du Bellay et autres Angevins. Guillaume de Narbonne s’unit au jeune comte d’Aumale, Jean d’Harcourt, cousin de Jacques et lieutenant général pour le dauphin dans le Maine. Sachant les garnisons anglaises affaiblies, ils firent une course armée sur Bernay, ville riche et peuplée, grâce principalement à l’industrie des drapiers. Ils tuèrent aux Anglais deux cents hommes, pillèrent à fond la ville et reprirent la route qui les avait conduits à ce point. Jean d’Harcourt fut fait chevalier, dans cette campagne, par le vicomte de Narbonne[36].

Après avoir couché une nuit seulement à Bernay, les vainqueurs revenaient chargés de butin vers Mortagne. Ils se trouvaient, le 14 août, au village de Moulin-la-Marche, à peu de distance et sur la route de cette ville. En ce lien, le comte d’Aumale fut informé que Philippe Branch, capitaine anglais, le suivait avec deux mille hommes, pour le combattre. Aussitôt, le nouveau chevalier arrêta sa troupe et fit volte-face. Les deux partis se portèrent à la rencontre l’un de l’autre. Jean d’Harcourt pénétra au centre de l’ennemi et le divisa. La déroute des Anglais couronna ce mouvement. Les Français leur tuèrent un millier d’hommes et firent quelques centaines de prisonniers. Jean d’Harcourt, fier de cet avantage, rentra par Mortagne dans le Perche, puis regagna ses cantonnements du Maine[37].

Philippe, en sortant de Cône, ramena ses troupes à Troyes, où il se rafraîchit quelques jours. Jean, due de Bedford, conduisit également, par Sens, une colonne de l’armée en retraite. Les deux ducs se rejoignirent à Troyes. Le 25 août, Jean de Bedford apprit dans cette ville que l’état de son frère devenait de plus en plus alarmant. Il partit immédiatement pour Vincennes. Le due de Bourgogne rencontra, le 30, à Brie-Comte-Robert, des messagers de la cour, qui lui étaient envoyés. Ces estafettes informèrent Philippe que le roi d’Angleterre était à toute extrémité. Il eut à peine le temps de dépêcher, auprès du roi moribond, Hugues de Launoi, grand maître des arbalétriers, l’un des chambellans de la maison de Bourgogne[38].

 

 

 



[1] La chronique, très succincte, du héraut Bevry est évidemment rétrospective pour cette époque.

[2] Ordonnances des rois de France, t. XI, p. 137. — Ordonnance du régent, 6 novembre 1421 : Règlement intérieur pour le Parlement de Toulouse. (P. 139.) — 21 novembre, fortifications de la ville de Buis, en Limousin. (t. XV, p. 573.) — Janvier 1422 ; sauvegarde pour l’abbaye de Gramont. (XVI, 28.) — Même date ; permission aux consuls de Limoges d’acquérir fiefs, sans être nobles. Le 6 mars 1422 ; lettres du dauphin qui transfèrent de Tours à Bourges la chambre des comptes. (PP. 2298.) — 25 mai 1422 : confirmation du procureur général de Dauphiné. (Ordon. XI, 164.) Août : réunion des baronnies de Meuillon et de Montauban en Dauphiné. (Ibid. 169.) — 1422, septembre 5 ; acte de Juridiction en Poitou. (Redet, Fontenau, t. I, p. 263.)

[3] Itinéraire. — Aout et septembre 1421. Anis confit, manuchristi, sucre rosat et citron à 16 sous parisis la livre, 66 livres 8 sous. (Chartier, t. III, 320.)

[4] Ibidem, p. 306 à 310. (Ces sommes qui paraissent exorbitantes, sont supputées en faible monnaie.)

[5] Itinéraire. A Pierre Pictement, orphèvre demeurant à Bourges, pour avoir baillé 16 marcs d’argent doré et ouvré en manière de grandes pièces, pendans à deux chaînons, etc., sur une robe de drap noir, que Monseigneur eut, au mois de décembre 1421, pour les noces de Guillaume Roger, 20.000 livres tournois. — Au même, la somme de 4.860 livres tournois pour 18 marcs d’argent doré et ouvré, l’une partie en manière de lozenges et petits bacins blancs, l’autre partie en Brans feuilles branlans à deux chaînons etc., assis sur un heuque etc. (mars 1422, Chartier, t. III, p. 309, 310).

[6] Gallia christiana, t. XIV, col. 120. Fontanieu, Histoire de Charles VII, fol 106, 107. J. J. 188, n° 81, 82.

[7] Fontanieu, loc. cit. Le 14 mai 1422, Cacaran, capitaine lombard, faisait montre, à Aubigny-sur-terre en Berry, avec trente-deux écuyers et autres hommes dé sa compagnie, au service du dauphin régent. (D. Morice, Preuves, t. II, col. 1121.) Du 1er novembre 1422, au 31 décembre li23, la garde personnelle du roi se composait de lances lombardes, écossaises et autres. History of Stuarts, p. 121.

[8] Chronique de Normandie, f° 173, v°. Monstrelet, p. 76, 80 et suiv.

[9] Raoulet, p. 115. Religieux, p. 458. Ursins, p. 391.

[10] On nommait apâtis, la rançon des villes ou places fortes, prises en guerre.

[11] X. X. 1480, f° 250. Journal de Paris, p. 655. Cousinot, chap. CLXXXIX. P. Cochon, p. 442.

[12] Monstrelet, p. 83 et suiv. ; 88 à 91. Chastelain. S. Rémy. Fenin. Etc., etc.

[13] Anselme, article Charles VII.

[14] J. Chartier, t. III, Comptes, p. 316, 321. Le 24 juin 1422, Charles reconnaît devoir au chapitre de Bourges, en poisson d’étangs, fourni pour sa nourriture, la somme de 2.423 livres 16 sous parisis. Cette dette ne fut soldée par le roi qu’en 1441. (Ibid., p. 325.) - Premier édit portant aliénation : Ordonnances, t. XI, p. 141. Autre, du 16 mars 1422 : Ms. 6763, n° 24. Autre, du 31 du même mois : Ordonnances, ibid., p. 158. — Pour les tapisseries : Archives Joursanvault ; dans la bibliothèque de l’École des Chartes, 2e série, t. III, p. 136.

[15] Sources citées. Éléonore de Souza, les Honneurs de la cour, dans Sainte-Palaye, 1759, t. II, p. 195.

[16] Anselme. A. Champollion-Figeac, Louis et Charles d’Orléans, etc., p. 316.

[17] Elmham, p. 228. Journal de Paris, p. 658. P. Cochon, p. 445. Monstrelet, p. 103-4. Vers la fin de mai, la cour mande à ceux de Senlis qu’elle se dispose à se transporter dans cette ville. Les bourgeois, instruits de cet événement, lèvent une contribution de trois cents livres pour offrir aux rois et reines les présents de la ville. (Mallet et Bernier, Chronique de Senlis, p. 10.)

[18] Commandant général de l’infanterie.

[19] Monstrelet, ibid. Chastelain, p. 108. S. Remi, p. 461. — Le 18 juin, par lettres royaux datées de Senlis, Charles VI donne au duc de Bedford les biens de l’un de ses meilleurs serviteurs : Bureau de la Rivière. (Ms. Fontanieu, n° 112.)

[20] Couppaux-lès-St-Marcel, dit le Journal. La rue Copeau, qui subsiste, désigne l’emplacement de cette localité.

[21] Monstrelet, p. 104-5. Journal de Paris, p. 653.

[22] Les mêmes. Chastelain, p. 105. S. Remi, p. 461. — Déjà le gouvernement anglais ne se sentait sûr nulle part. 1422 (après Pâques). On fait à Troyes la recherche individuelle de l’opinion des habitants (Armagnacs ou Bourguignons). Ceux qui ne sont pas connus, doivent fournir des répondants, (Archives municipales de Troyes. Communiqué par l’archiviste M. Boutiot.)

[23] Monstrelet, p. 105. Chastelain, p. 108, 109.

[24] La comtesse de Nevers était alors Bonne d’Artois, veuve de Philippe II, de Bourgogne, (troisième fils de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et de Marguerite de Flandres), mort à la journée d’Azincourt. Bonne avait pour fils Charles de Bourgogne, comte mineur de Nevers, âgé de six ans.

[25] D. Plancher, t. IV, p. 39, 54. Ms. Doat, n° 214, p. 294. D. Morice, Preuves de Bretagne, t. II, col. 1121.

[26] Monstrelet, p. 106 et suiv. Berry, p. 443. Cousinot, p. 185.

[27] D. Plancher, t. IV, p. 48. Cagny, chap. LXXV. Par lettres du 26 mars 1423, le dauphin octroya la seigneurie d’Aubigny-sur-Nerre à Jean Stuart de Darneley, connétable des Écossais. (History of Stuarts, p. 303 et suiv.)

[28] Monstrelet, p. 106 et suiv. Elmham, p. 330. Ce jour, 8 juillet, l’Université de Paris fist processions pour le salut du roy et prospérité du royaume et spécialement pour le salut et reconvalescence du roy d’Angleterre, qui estoit, le jour précédent, venu au giste ou Chastel du bois de Vincennes. (X. X. 1480, f° 254, v°.) Le 12, procession générale de l’église de Paris à Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers, pour prier Dieu pour la santé du roy nostre sire, pour la prospérité du rov d’Angleterre régent et pour la paix du royaume. Le 22, nouvelle procession à Saint-Martin des Champs, et le 20, à Notre-Dame, pour le salut et prospérité du roy et de ce royaume. (Ibid., f° 225.)

[29] Elmham, p. 330. Cousinot, p. 185. Monstrelet, p. 107 et suiv. Bibliothèque de l’École des Chartes, t. VIII, p. 136, n° 3. Fenin, p. 185. D. Plancher, p. 57.

[30] Elmham, p. 331. D. Plancher, t. IV, p. 58. Fontanieu, Ms. 112, à la date du 3 août. Rymer, t. IV, partie IV, p. 73, à la date du 6. Ce jour (le 3), la cour se leva à 8 heures, (du matin) pour aler aux processions générales, de l’église de Paris à l’église de Sainte-Geneviève, pour prier Dieu pour la santé du roy, pour la paix et prospérité de ce royaume et du roy régent. (X. X. 1480, f° 255, v°.) Mardy 11 et mécredy 12, y ot processions générales pour le salut et prospérité du roy et pour la paix de ce royaume et le jeudi ensuivant (le 13), retourna le roy d’Angleterre de Corbeil au giste au bois de Vincennes (Ibid., f° 256, v°). On observera que, dans ces avis, le roi d’Angleterre allègue officiellement la maladie de Charles VI, mais non la sienne.

[31] Auteurs cités. Berry. Cousinot. Journal de Paris, 658. La maison militaire du dauphin se porta jusqu’à Sancerre. Mais le jeune prince n’y fut jamais présent.

Note complémentaire sur la bataille de Cône. — Tous les écrivains bourguignons, d’accord sur ce point avec Raoulet (p. 171), assurent que le dauphin participa de fait à cette expédition et qu’il se transporta de Bourges à Sancerre ou devant Cône. Ces divers chroniqueurs, selon toute apparence, ont été inexactement informés. L’ost ou maison militaire du dauphin se porta effectivement à Sancerre ; mais le jeune prince n’y fut jamais présent. Nous avons pour garant, à cet égard, un document qui surpasse les chroniques en certitude et en précision. C’est le compte de l’écurie, dressé par un comptable qui trouvait, en général, son profit dans les dépenses inhérentes à chaque déplacement. Du mois de mars au 26 septembre 1422, le prince Charles séjourna continuellement à Bourges. Monseigneur, dit le grand écuyer, ne chevauça pas en icellui temps. (K. K. 53, f° 150.) — Itinéraire de Philippe le Bon : août 1422, 1 à 15 : d’Auxerre à Vézelay ou environs. 15, 16, 17 : Cône. 18, Cône, Sully-la-Tour, Vézelay. 19, Montréal, Montbar. 20 à 23, Châtillon-sur-Seine. 24, 25, Troyes. 26 à 30, Marigny, Bray-sur-Seine, Nangis, Brie-Comte-Robert : 31, Paris. (D. Plancher, t. IV, p. 57, 59.)

[32] Près Marvejols, (Lozère). Anselme, t. I, p. 242. C. (grande édition). Berry, Charles VI, p. 442. Montreuil, p. 210. Guichenon, t. I, p. 460.

[33] Probablement Besas, canton de Saint-Félicien, arrondissement de Tournon (Ardèche).

[34] Berry. Cousinot de Montreuil.

[35] Les ruines de ce château subsistent encore, majestueusement situées sur le mont Malourou, qui domine la Loire près du bourg de Bas-en-Basset (Haute-Loire). Voy. Magasin pittoresque, 1860, p. 204.

[36] Religieux, t. VI, p. 478. Ursins, p. 334. Jean Chartier, t. I, p. 15. Cagny, chap. LXXV. Cousinot, p. 187. Journal de Paris, p. 658.

[37] Religieux. Cagny. J. Chartier. Cousinot. Cf. Raoulet, p. 171, 172.

[38] D. Plancher, t. IV, p. 59. Août 28 et 30, actes datés de Vincennes teste rege : Rymer, t. IV, partie IV, p. 809. Monstrelet, p. 109 et suiv. Fenin, p. 185.