HISTOIRE DE CHARLES VII

TOME PREMIER

LIVRE II. — DEPUIS LA RETRAITE DU PRINCE CHARLES VERS LA LOIRE (JUIN 1418), JUSQU’À LA MORT DE CHARLES VI (21 OCTOBRE 1422).

CHAPITRE IX. — (Août-septembre 1421).

 

 

Henri V, pour s’avancer en maître de Calais à Paris, n’avait trouvé que trop de facilité. Cependant, malgré son mariage avec Catherine de France, malgré l’apparence de légitimité que lui avait conférée le traité de Troyes, cette nouvelle invasion armée du territoire, parle prince anglais, ne s’était point opérée sans quelque résistance. Peu à peu, le sentiment national s’éveillait, sous les atteintes et les provocations de l’étranger. L’idée de la patrie naissait, au sein de la lutte, même infructueuse. Cette idée grandissait et s’aguerrissait dans la défaite, pour triompher un jour.

Jacques II d’Harcourt était un des premiers barons de la Normandie. Chevalier en 1411, il avait suivi pendant toute sa vie la fortune de Jean sans Peur. Philippe le Bon comptait, en lui, un compagnon d’enfance et un allié pour ainsi dire héréditaire. Mais, lorsque l’antagonisme du duc de Bourgogne, contre le dauphin, s’étendit jusqu’à faire cause commune avec Henri V, lorsqu’il s’agit de livrer le royaume de France à un roi anglais, Jacques d’Harcourt rompit en visière avec Philippe le Bon[1].

Jacques II avait combattu, pour la cause nationale, à la journée d’Azincourt et devant Rouen. Il se déclara en faveur du dauphin et fit une guerre ouverte aux Anglo-Bourguignons de sa contrée. Le seigneur d’Harcourt, lieutenant dit régent sur les frontières de Normandie[2], habitait le plus souvent le château du Crotoy, dont il était capitaine pour le prince Charles. Cette place forte occupait un angle du littoral, à l’embouchure de la Somme. L’influence de ce grand baron, ses ramifications dans la province, étaient considérables. Il ne tarda pas à rassembler sous sa bannière de nombreux gentilshommes et des capitaines de marque. Au moment où Henri V débarquait à Calais, les châteaux et places de la Ferté lès Saint-Riquier, Drugy, Eaueourt, Airaines, Marueil, Rambures, Gamaches, la ville de Saint-Valery, obéissaient à Jacques d’Harcourt. En un mot, le Ponthieu était presque tout entier français, sauf Abbeville, Saint-Riquier et Pont-de-Remy[3].

Ce brave pays du Ponthieu, composé. de populations maritimes, commerçantes et guerrières, n’en était point à sa première épreuve de ce genre. Le sang de ses anciens comtés coulait, par les femmes et par des alliances matrimoniales,. dans les veines de Jacques d’Harcourt[4].

Depuis le douzième siècle, la Picardie avait été incorporée à la France, au point de n’avoir pas d’autre blason que les fleurs de lys. Vainement, après la bataille de Poitiers, le roi Jean avait livré ses sujets du Ponthieu à l’Angleterre. Les Picards ne subirent ce joug, en frémissant, que pour le briser peu de temps après. Charles Y, en 1369, avait reconnu cette énergique fidélité. Les armoiries d’Abbeville, jusque-là, étaient les anciennes armes de Ponthieu. Charles V, par lettres du 19 juin 1369, leur donna le chef de France, avec cette devise historique : fidelis ou fidelissima, qui devint plus tard la devise de toute la province de Picardie[5].

Au mois de juin 1421, les Abbevillois voulurent fermer leurs portes sur le passage d’Henri V. Ce prince et le duc de Bourgogne étaient encore à Airon-Saint-Vaast en Ponthieu. Dans cette conjoncture, Henri de Lancastre se servit avec adresse de Philippe le Bon. Pendant que le roi d’Angleterre se divertissait à chasser dans la forêt de Crécy, le jeune duc se rendit à Abbeville. Toute son influence et la pression de son autorité ne furent point superflues, pour triompher de la répugnance des habitants. Ces derniers, toutefois, consentirent à livrer accès au roi d’Angleterre, à condition, par celui-ci, de payer comptant les frais qu’entraînait le passage de ses troupes. Henri V, avant d’entrer à Abbeville, se logea dans Saint-Riquier.

La Ferté, château voisin, avait soixante hommes d’armes de garnison, commandés, sous les ordres de Jacques d’Harcourt, par,le bâtard du Bellay. Ce château, durant la présence d’Henri V et de ses forces, fut remis par traité à un gentilhomme du pays, qu’avaient désigné de concert le roi anglais et le duc de Bourgogne. Il se nommait. Nicaise de Boufflers. Puis le roi anglais poursuivit sa route[6].

Mais les choses, une fois que Henri V et ses soldats se furent éloignés, changèrent immédiatement de face. Guy de Nelle, seigneur d’Offémont et le fameux Poton de Saintrailles, mandés par Jacques d’Harcourt, arrivèrent au Vimeu, suivis de 1.200 chevaux. Ils passèrent la Somme à la Blanque-Taque et se présentèrent devant la Ferté. Sous les auspices de Jacques d’Harcourt, le seigneur de Boufflers leur rendit volontairement la forteresse. L’abbé de Saint-Riquier prêta le même concours sympathique. Jacques d’Harcourt, en un mot, appuyé de nouveaux auxiliaires, reprit possession du Ponthieu. La guerre recommença contre le parti de Bourgogne. Henri V et le duc avaient placé dans Abbeville un capitaine choisi de leur main, Louis de Berghes, sire de Cohen. Certain soir que le capitaine était allé poser son guet et donner le mot d’ordre par la ville, soudain une main inconnue vint le frapper. Le lieutenant du roi anglais tomba de cheval, blessé presque mortellement. A la faveur de la nuit, les assaillants échappèrent aux poursuites et vinrent trouver, dans le château du Crotoy, un refuge, que Jacques d’Harcourt leur avait préparé[7].

Philippe le Bon avait amené récemment, vers Mantes, son contingent. Il se trouvait à Croissy[8], lorsqu’il fut instruit de ces faits. Aussitôt le duc manda de nouvelles troupes, et sur l’exhortation du roi anglais ; il prit en hâte le chemin de la Picardie. Philippe mit à réquisition les villes d’Amiens et d’Abbeville, qui lui fournirent les munitions nécessaires et commença par attaquer les Dauphinois établis à Pont-de-Remy. Après une semaine environ de résistance, les défenseurs évacuèrent ce village vers le 27 juillet, et se répandirent dans les places voisines. Lé duc de Bourgogne, assisté de ses lieutenants, vint mettre le siége devant Saint-Riquier[9].

Philippe le Bon occupait de sa personne le château de la Ferté, tombé en son pouvoir. A la porte Saint-Jean, du côté d’Auxy, était loué messire Jean de Luxembourg, et le seigneur de Croï à la porte Saint-Nicolas, vers Abbeville. Mais les Bourguignons ne réussirent pas à intercepter la communication des assiégés par la porte dirigée sur le Crotoy. La garnison profita de cette issue, non seulement pour braver un investissement incomplet, mais pour opérer de vigoureuses et menaçantes sorties. Le duc de Bourgogne comptait dans ses rangs, tant d’hommes d’armes que d’archers et arbalétriers fournis par ses bonnes villes[10] d’Artois, de Flandres, de Bourgogne et de Picardie, environ de cinq à six mille combattants. Saintrailles et Offémont n’avaient guère avec eux que quatre cents lances garnies, c’est-à-dire quatre cents gentilshommes, chevaliers ou écuyers, assistés chacun de leurs serviteurs d’armée. Le total de ces forces s’élevait à peu près de douze à quatorze cents assiégés[11].

Chaque jour, Jacques d’Harcourt communiquait avec les défenseurs et ranimait leur courage. Lui-même, du dehors, s’employait incessamment à leur procurer de nouveaux secours. A cet effet, le lieutenant du dauphin dans la haute Normandie écrivit aux divers commandants de places en Picardie et Champagne. Guillaume de Gamaches, capitaine de Compiègne ; Eustache de Conflans, lieutenant pour le dauphin en Champagne ; Jean Raoulet, capitaine de trois cents lances, à Beaumont en Argonne et à Mouson (près Sedan) ; enfin, le célèbre La Hire, capitaine de Vitry-le-Français, se rendirent hâtivement à cet appel. Les uns se rassemblèrent à Soissons, les autres à Compiègne. Puis, tous réunis se dirigèrent vers Saint-Riquier[12].

La Hire, chemin faisant, vint se loger dans un village où il passa la nuit. Pendant qu’il dormait, le manteau de la cheminée, dans la chambre où il couchait, s’effondra et tomba sur sa jambe. La Hire, ainsi blessé grièvement, ne put prendre part à la rencontre et demeura boiteux toute sa vie. Le reste de la petite armée de secours poursuivit sa route. Le 30 août, de très bonne heure, entre le point du jour et le soleil levé, ces auxiliaires débouchaient en bonne ordonnance à la hauteur d’Oisemont. Ils marchaient vers le Crotoy, comptant passer la Somme au lieu dit la Blanque-Taque. Là, ils devaient rallier le seigneur d’Harcourt, parti de son château du Crotoy, et se porter tous ensemble à la défense de Saint-Riquier[13].

Cependant, le duc de Bourgogne avait été informé de ces mouvements. Le 29 août, à la chute du jour, il détacha de son siège, devant Saint-Riquier, les seigneurs de Saveuse et de Crèvecœur, avec cent vingt combattants. Ceux-ci eurent ordre de passer à Abbeville, puis d’entrer en Vimeu et d’y marcher à la rencontre des auxiliaires dauphinois. Ils devaient chercher à les reconnaître et transmettre incessamment au duc les résultats de leurs explorations. De son côté, peu de temps après le départ de ce détachement, le duc lui-même se résolût à lever le siége. Il fit plier ses tentés en toute hâte, brûla ses logis, et conduisit le gros de ses troupes à Abbeville. Là, sans perdre de temps, il rafraîchit son armée, prescrivit à ses hommes de boire et de manger, mais sans même leur permettre de descendre de cheval. Le lendemain 30, de grand matin, Philippe le Bon apprit par des coureurs, ramenant prisonniers quelques traînards dauphinois que l’ennemi était parvenu à Oisemont[14].

Aussitôt, le duc, laissant son infanterie pour l’heure dans Abbeville, s’élança, suivi de tous ses chevaux, à la poursuite de ses adversaires. Il vint s’embusquer, avec des forces, dans un bois où se trouve aujourd’hui le village nommé le Quesnoy. Le lieu dit la Blanque-Taque était une espèce d’île ou d’atterrissement qui affleurait, comme une tache blanche, l’embouchure de la Somme. Aux heures de marée basse, le lit du fleuve, tari, permettait de le franchir, en cet endroit, soit à pied, soit à cheval. Seul, avec un très petit nombre de compagnons choisis et déterminés, Poton de Saintrailles était parti la nuit de Saint-Riquier, puis avait passé la Somme à la nage. Il vint rallier en Vimeu les Dauphinois, et, prenant le commandement de l’avant-garde, il les conduisit vers la Blanque-Taque (ou Blanquetade, entre Saint-Valery et Abbeville). Mais la mer était trop haute et le passage se trouvait impraticable. Jacques d’Harcourt, placé sur la rive de Ponthieu, dut, par le même motif, renoncer à se joindre aux troupes du régent[15].

Au moment où les Dauphinois tentaient le passage, Philippe le Bon, débusquant du Quesnoy, s’avança vers Saineville. Les troupes du régent, se voyant arrêtées par le fleuve et pris en queue par l’ennemi, firent volte-face et gagnèrent le large des champs, pour se déployer. Les deux partis prirent position à trois traits d’arc l’un de l’autre. Il était environ onze heures du matin. Philippe le Bon requit Jean de Luxembourg, un de ses capitaines, de lui conférer l’ordre de chevalerie[16]. Le duc ayant reçu l’épée et l’accolade militaire au nom de saint Georges, d’autres chevaliers furent immédiatement créés par le duc lui-même sur le champ de bataille. Les Dauphinois, à la hâte, en firent autant de leur côté. Puis l’action commença entre Mons-en-Vimeu et Abbeville[17].

Les Dauphinois, de beaucoup inférieurs en nombre, ne comptaient que quinze à seize cents lances. Philippe le Bon forma sa bataille en un corps, flanqué de deux ailes. L’aile droite attaqua les archers français postés près d’un moulin à vent, lés enfonça et leur tua deux cents hommes. Pendant ce temps, les chevaliers et écuyers, commandés par Saintrailles, fondaient impétueusement sur le centre des Bourguignons. Philippe le Bon, point de mire des principales atteintes, avait fait revêtir de ses cottes d’armes quatre de ses chevaliers. L’un d’eux, le sire de la Viéville, portait aussi ou conduisait la bannière ducale. Au moyen de ce stratagème, les coups destinés au duc de Bourgogne, allèrent s’égarer sur quatre de ses lieutenants.

Le choc principal fut soutenu, des deux côtés, avec une rare énergie. Plusieurs, parmi les Bourguignons, avaient entrecroisé leurs lances, assujetties à l’arçon de leur selle. Ainsi liés l’un à l’autre, ils formaient comme un mûr mobile, d’hommes et de chevaux, presque impénétrable à l’ennemi. Les Dauphinois, néanmoins, entamèrent cette masse formidable, et la mêlée s’engagea dans le sein de l’escadron. Il y avait entre autres, du côté des Bourguignons, un gigantesque homme d’armes, fait chevalier le jour même et nommé Jean Vilain. Ce gentilhomme flamand était monté sur un grand cheval à sa taille. Agitant de ses bras robustes une hache à deux mains, il dominait toutes les têtes et se faisait jour dans l’espace, abattant et espautrant sous le poids de sa force personnelle, hommes et chevaux, en dépit de leurs armures de fer. Ce chevalier eut l’honneur de faire reculer Poton de Saintrailles qui, le rencontrant à sa portée, esquiva ses coups par un écart, en se signant d’admiration[18].

Toutefois les soldats du dauphin remportèrent sur ce point l’avantage. La ruse de guerre que le duc de Bourgogne avait employée, faillit lui causer une défaite complète. Deux des chevaliers qui portaient ses insignes, les sires de la Viéville et de Brimeu, furent pris pour le duc et périrent dans l’action. La bannière ducale était passée aux mains d’un simple varlet, attaché à la suite du seigneur de la Viéville. Ce bachelier, dans sa fuite précipitée, jeta la bannière pour s’en débarrasser. L’étendard ducal fut ainsi abandonné dans la poussière. Le désordre se mit au sein des Bourguignons. Un- grand nombre de chevaliers et d’écuyers s’enfuirent à toute bride vers Abbeville, qui leur ferma ses portes ; puis à Picquigny ; puis enfin jusque dans leurs foyers respectifs[19].

L’erreur ou la maladresse d’un héraut bourguignon augmenta cette déroute. Dupe lui-même des apparences, il répandit officiellement ce bruit, que le duc était mort ou pris. Jean Raoulet et Pierre de Luppé, capitaines du parti français, accompagnés de cent vingt chevaux environ, poursuivirent les fuyards et firent un bon nombre de prisonniers[20].

Cependant la panique des Bourguignons n’avait point été générale. Un gentilhomme, nommé Jean de Rosimbos, releva la bannière de Philippe le Bon. Le prince, demeuré sain et sauf incognito, n’avait pas quitté le terrain de la bataille. Entouré de cinq cents combattants d’élite, il rallia ses forces. Tous reprirent la lutte contre les Dauphinois avec un nouveau courage. Il y eut alors une seconde action, dans laquelle les Bourguignons restèrent maîtres du terrain et de la victoire[21].

Jean Raoulet et les autres revinrent à Mons, croyant y trouver les Français définitivement victorieux. Mais leur illusion fut de courte durée. Ralliés eux-mêmes à grand peiné, au nombre de trois cents lances, ils se replièrent, vers le soir, sur la ville de Saint-Valery, emmenant leurs blessés et ceux de leurs prisonniers du matin qu’ils avaient pu conserver. Les Français laissèrent beaucoup de morts et de prisonniers entre les mains de leurs adversaires. Poton de Saintrailles, Gilles et Louis de Garnaches, Raoul de Gaucourt, le bâtard de La Hire ou de Vignoles, etc., tombèrent vivants au pouvoir des Bourguignons. La perte de ces derniers parait avoir été plus faible. Français et Bourguignons toutefois chantèrent victoire chacun de leur côté[22].

Si l’on fait abstraction de la cause morale, le jeune duc de Bourgogne conquit galamment, en ce jour, ses éperons dorés. Durant tout le temps de la rencontre, Philippe fit son devoir de prince, avec autant d’intelligence que de bravoure. Engagé personnellement dès le premier choc, il fut tout d’abord enferré de deux lances. L’une perça, d’outre en outre l’arçon de sa selle. L’autre faussa en flanc son harnois. Un puissant homme d’armes français le prit à bras le corps, menaçant ainsi de le désarçonner et de s’emparer de sa personne. Mais le duc montait un fort coursier qu’il brocha de l’éperon, et grâce à l’impulsion du cheval, il passa outre, échappant de la sorte à cette rude étreinte. Philippe le Bon fit de sa main prisonniers deux chevaliers français : Gilles de Gamaches et Poton de Saintrailles[23].

Vaillant pendant le combat, Philippe agit en sire de la fleur de lis après la victoire. Pour payer sa bienvenue comme nouveau chevalier, il mit en liberté, peu de temps après, ses deux prisonniers. Le prince pouvait exiger d’eux une rançon. Bien loin de là, il leur fit présent d’un cheval et d’une armure complète ou harnois. Le duc ordonna, de plus, qu’il fiât compté à chacun de ces gentilshommes cinq cents moutonceaux[24] d’or. Le soir même de la bataille et sans débrider, il se rendit à Notre-Dame d’Abbeville, où il entendit tout armé un office d’action de grâces[25].

Le lendemain, le sire de la Viéville fut inhumé en l’église des cordeliers d’Abbeville. Jacques d’Harcourt, ayant rallié les Français avec le sire d’Offémont et le capitaine Raoulet, offrit au duc de nouveau la bataille. Mais elle ne fut point acceptée. Après s’être rafraîchi quelques jours, Philippe le Bon passa devant Saint-Riquier sans coup férir. Il se rendit à Hesdin, puis à Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer[26] ; et, l’automne finissant, il rentra dans ses pays de Flandres. Les prisonniers de Mons-en-Vimeu, achetés par le duc à ses capitaines, furent détenus à Lille, pendant quelque temps. Au mois de novembre 1421, tous les prisonniers français recouvrèrent la liberté sans finances. De son côté, Jacques d’Harcourt ou le sire d’Offémont rendirent au duc de Bourgogne ses prisonniers pris par les Dauphinois. Ils évacuèrent en outre la place de Saint-Riquier, qui reçut un capitaine bourguignon[27].

Henri V, roi d’Angleterre, pour la dévotion, ne le cédait à aucun prince de son temps. Il lisait chaque jour la sainte Écriture. Le pape Martin V, par une ‘bulle spéciale, lui avait accordé le privilège de posséder un autel portatif. En Angleterre, aussi bien qu’en France, jamais il ne négligea de visiter une châsse de saint ou d’assister à un pèlerinage[28].

Sa piété, toutefois, s’étendait, inclusivement, jusqu’à la conquête.

En 1419, saint Vincent Ferrier, natif d’Espagne, était venu dans les parages de France. L’homme de Dieu, près de terminer sa carrière, gémissait de voir la guerre, soutenue par des mains fratricides, sévir entre des rois et des peuples chrétiens. Vers le mois de mars, saint Vincent Ferrier se rendit à Caen prés d’Henri V. En vain conjura-t-il le prétendant anglais d’entendre à des paroles de conciliation et de rendre la paix à la chrétienté. L’apôtre fut éconduit. Il revint, peu de jours après, mourir en Bretagne, sans avoir pu réaliser cette dernière œuvre, ce dernier vœu d’une âme évangélique[29].

Henri V, au mois de juin 1421, lorsqu’il passa la mer, avait résolu dé laisser en Angleterre la reine Catherine, qui était enceinte. Il l’avait confiée à la garde de l’un de ses frères. Néanmoins, peu de temps s’était écoulé, selon toute apparence, lorsque la reine, avec ou sans l’autorisation de son royal époux, traversa le détroit et vint rejoindre Henri sur le sol de la France[30]. Un fait indubitable, c’est que, dans les premiers jours de septembre, Catherine de Valois se trouvait à Paris ou à Vincennes, auprès de son père et de sa mère. Henri V résolut alors de la renvoyer, pour faire ses couches, en Angleterre[31].

Les bénédictins de l’abbaye de Coulombs, au diocèse de Chartres, possédaient une relique célèbre. Au onzième siècle, deux seigneurs de Villiers près Coulombs, qui revenaient de la croisade, l’avaient, dit-on, achetée des Grecs et l’avaient libéralement offerte à cette abbaye. L’un des noms que portait ce meuble précieux était celui de joyau d’argent et nous l’emploierons de préférence. Les religieux de Coulombs, moyennant finance, l’exhibaient aux fidèles. Ceux-ci venaient en foule le vénérer, en diverses maladies ou périls. De ce nombre étaient notamment les femmes grosses, qui, par l’invocation du joyau d’argent, espéraient obtenir une heureuse délivrance. Cette exhibition constituait pour le monastère une source importante de revenus[32].

Henri V, en vertu d’un second privilège apostolique, avait le droit de transporter d’un lieu dans un autre certaines reliques des saints, qui, d’ordinaire, recevaient exclusivement sur place les hommages des fidèles[33]. En passant à Chartres, Henri d’Angleterre, dans l’intérêt de la reine et de sa prochaine maternité, désira s’approprier momentanément la relique de Coulombs. Par l’intermédiaire de l’évêque de Chartres, tout dévoué à l’Anglais, ce prince obtint la communication du joyau d’argent[34].

Il s’empressa de l’envoyer à Londres, probablement en la compagnie même de la reine, afin que Catherine l’eût auprès d’elle à l’époque de l’enfantement. Vers le 3 septembre ; la reine d’Angleterre vint faire ses dévotions à Saint-Denis. Le lendemain, après avoir pris son gîte dans l’abbaye royale, elle se dirigea vers la Normandie, accompagnée d’une escadrille spéciale. A bord d’un navire magnifique, entourée de dames et de forces militaires, elle fit voile pour la Grande-Bretagne[35].

Peu de temps après ce départ, Henri V retournait lui-même à Paris. Vers le 30 septembre 1421, il s’établit à Lagny-sur-Marne. De là, il commença de diriger les opérations du siège de Meaux, l’un des événements militaires les plus notables de cette période[36].

 

 

 



[1] Chastelain, p. 79. Hist. de la maison d’Harcourt, t. I, liv. IX, chap. III.

[2] Ses lettres de provision sont du 6 novembre 1421. (Ms. Fontanieu, n° 112.) Jacques d’Harcourt exerçait déjà l’influence de cette position avant l’expédition de ces patentes.

[3] Fenin-Dupont, p. 152. Monstrelet-d’Arcq, IV, 41. Louandre, Hist. d’Abbeville, t. I, p. 330. Bonfils, Hist. du Crotoy, 1860, in-12, p. 94.

[4] Au quatorzième et au quinzième siècle, la maison d’Harcourt portait pour blason les armes de Ponthieu. Voy. l’armorial publié par M. d’Arcq, dans le Cabinet historique, 1860, p. 225, n° 1002 et 1003.

[5] La Roque. Louandre. Lettre à M. Charles Dufour sur les armoiries de Picardie, dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie, t. XVII, p. 211 à 229.

[6] Monstrelet, p. 48. Chastelain, etc.

[7] Mêmes autorités.

[8] Près Clermont (Oise).

[9] Monstrelet. Chastelain, p. 82. Fenin-Dupont, p. 158. Grafton’s Chronicle, p. 544. Louandre, t. I, p. 333. Laborde, Ducs de Bourgogne, Preuves, t. I, p. 182, n° 10. La Picardie, revue in-8°, 1357, p. 145 et suiv.

[10] Villes notables. En 1789, on appelait bonnes villes celles qui envoyaient des députés au sacre des rois de France, aux assemblées de notables, etc. Amiens fournit l’artillerie de siége. Elle fut dirigée, devant la place assiégée, par Guillaume Houredin, maître canonnier de la comtesse de Namur. (La Picardie, 1857, p. 150.) Philippe le Bon venait d’acquérir à prix d’argent le comté de Namur. (D. Plancher, t. IV, p. 27.)

[11] Monstrelet, p. 54 et suiv. Raoulet, p. 177.

[12] Raoulet, p. 178.

[13] Monstrelet, ibid. Berry dans Godefroy, p. 443.

[14] Monstrelet, même chapitre.

[15] Berry, p. 443. S. Remi, p. 456. Raoulet, p. 179. Chastelain, p. 87.

[16] Qu’il n’avait pas encore au siége de Melun.

[17] Berry, p. 443. Chron. de Normandie, f° 176. Basin, t. I, p. 39. Monstrelet, p. 59, etc.

[18] Raoulet. Chastelain, p. 91.

[19] Berry, p. 443. Raoulet. J. Chartier, p. 20, etc. Darsy, Picquigny et ses seigneurs, 1860, in-8°, p. 35. On appela proverbialement ces fugitifs les chevaliers de Picquigny.

[20] Les mêmes.

[21] Les mêmes. J. Chartier, p. 21. Cousinot de Montreuil, p. 212.

[22] Raoulet, p. 181. La Picardie, p. 151. Voir à la fin du présent chapitre.

[23] Monstrelet, édit. d’Arcq, t. IV, p. 59. Jean Chartier, p. 21. Olivier de la Marche lui donne trois prisonniers (Panthéon, p. 318).

[24] Petits moutons (empreints sur la monnaie).

[25] Saint-Remi, p. 456. J. Chartier, 21. Fenin, 169. La vraie date de cette bataille de Mons-en-Vimeu a été méconnue de la plupart des historiens (y compris Monstrelet). Elle doit être placée au samedi 30 août 1421.

[26] Saint-Valery se rendit le 4 septembre. Bonfils, Hist. du Crotoy, p. 98. Le 20, Philippe entre à Saint-Omer. Les ménestrels de la ville vont au-devant de lui. Il était le 16 à Arras. Gachard, Dijon, p. 55.

[27] Berry, p. 444. Raoulet, p. 181. Monstrelet, Fenin, etc.

[28] Tyler, Memoirs on Henri V, t. II, p. 307 et passim. Rymer, t. IV, part. III, p. 63. Les historiens anglais ont surnommé Henri V the prince of priests. Voy. Strickland, Lives of the queens, etc., t. III, p. 148.

[29] D. Morice, t. I, p. 469, 470. Actes de Bretagne, t. II, col. 966.

[30] Ce retour de Catherine parait avoir été comme furtif et spontané de sa part. Les historiens des deux pays, notamment l’auteur des Lives of the queens, etc., n’en ont eu évidemment aucune connaissance.

[31] X. X. 1480, f° 236. Elmham, p. 308. Religieux, t. VI, p. 470. Ursins dans Godefroy, p. 393.

[32] Sur le joyau d’argent, voy. L. Merlet, Hist. de l’abbaye de Coulombs, dans le bulletin de la Société archéologique d’Eure-et-Loir 1860-1, p. tri et 235. Didron, Manuel des œuvres de bronze, etc., 1859, in-4°, p. 42. Collin de Plancy, Dictionnaire des reliques, au mot Jésus-Christ, t. II, p. 46.

[33] Henri V devait cette bulle, comme la précédente, à la complaisance, en sa faveur, du pape Martin V. Elle s’appliquait spécialement aux reliques de France et de Normandie, situées dans les pays qui sont ou seront soumis à sa conquête. L’acte pontifical est du 18 août 1418. (Rymer, loc. cit.)

[34] Ordonnances, t. XVI, p. 325.

[35] Gallia christiana, t. VII, col. 323 ; t. VIII, col. 1250 ; Instrumenta, p. 389. Religieux, Ursins, loc. cit. Voy. encore sur le joyau d’argent le Journal de Paris, édit. du Panthéon, p. 725, b.

[36] Monstrelet, ibidem, p. 72. — 27 septembre 1421. — Ce jour, la ville de Villeneufve-sur-Yonne ou diocèse de Sens, fu, par les gens de la garnison d’icelle ville, rendue et mise en l’obéissance du roy d’Angleterre, qui tenoit le siége devant ycelle ville. Et dist on qu’il n’y tint siége que deux ou trois jours. Et dès lors ordonna, si comme on disoit, de faire approucher ses gens d’armes de la ville et cité de Meaulx, pour y mectre et tenir siége contre les gens de l’adveu du dauphin, estans ès dictes ville et cité ; les quelz avoient, par longtemps, grandement grevé et dommagié les habitants de Paris et du païs environ et autres plusieurs. (X. X. 1480, f° 241.)

Sur la bataille de Mons-en-Vimeu. — Monstrelet évalue le nombre des morts de quatre à cinq cents pour les cieux partis, dont vingt à trente morts seulement pour les Bourguignons. Il porte de cent à cent vingt le total des prisonniers français. Saint Remi estime les morts de six à sept cents pour les deux partis, dont trente Bourguignons. Chastelain : Morts, en tout de quatre à cinq cents, dont quarante à cinquante Bourguignons. Fenin : Français morts, de cent vingt à cent soixante ; prisonniers, de quatre-vingts à cent. Aucun auteur ne donne le nombre des prisonniers bourguignons. D’après le rédacteur du Journal de Paris (clerc bourguignon très partial), Philippe le Bon, pendant qu’il tenait le siége à Saint-Riquier, voulait aller (à la Mitourie eu notre-Dame d’août), en pèlerinage, à Boulogne-sur-Mer. Les Armignacs le sçurent, ajoute-t-il, et le cuidèrent surprendre (à Mons-en-Vimeu), mais la vierge Marie y fit miracle,... et en demeura bien onze cens sur la place, sang les capitaines, qui furent prins. (Panthéon, p. 652.) Peu de jours après l’événement, Philippe le Bon se rendit effectivement à Boulogne-sur-Mer. On lit sous cette rubrique, l’article qui suit, dans un compte du receveur général de ce duc, à la date du 9 septembre 1421 : J’ai payé 18 sous parisis à un chanteur en place qui chanta devant mondit seigneur atout sa vièle (sur sa vielle) une chançon nouvelle de la belle journée par mondit seigneur obtenue à l’encontre de ses ennemis à Mons en Vimeux. (La Picardie, p. 154.) Comparez Raoulet, p. 181.