HISTOIRE DE CHARLES VII

TOME PREMIER

LIVRE II. — DEPUIS LA RETRAITE DU PRINCE CHARLES VERS LA LOIRE (JUIN 1418), JUSQU’À LA MORT DE CHARLES VI (21 OCTOBRE 1422).

CHAPITRE II. — 1419 janvier-août.

 

 

Les divers partis belligérants, qui se déchiraient par des hostilités incessantes, semblaient déployer, dans les négociations diplomatiques, le même zèle, le même acharnement et un semblable esprit de rivalité. D’une part, le duc de Bourgogne, de l’autre, le dauphin et ses alliés, assiégeaient Henri V de leurs ambassades respectives. Chacune de ces ambassades avait pour instruction spéciale et secrète d’écarter toute autre négociation que la sienne[1].

Le roi d’Angleterre, exploitant avec art une pareille situation, se prêta en effet à divers pourparlers. Plusieurs congrès, composés de plénipotentiaires anglais et bourguignons, du anglais et dauphinois, se tinrent successivement en Normandie. Vers les premiers jours de mai, une entrevue personnelle des deux princes fut sollicitée par les Dauphinois. Le prince Charles, à cette date, se réunit dans une conférence entre Mantes et Meulan, avec le comte de Warwick, cousin et représentant du roi anglais[2].

Ces diverses assemblées ne furent suivies d’aucune conclusion. Aussitôt, le duc de Bourgogne demanda, de son côté, une semblable entrevue. Dès le 9 mai, les commissaires assemblés des rois de France et d’Angleterre, avaient fait choix d’un lieu de réunion[3], très proche du premier. Henri V et Charles VI devaient s’y rencontrer, pour traiter des conditions de paix. Le 30 mai, jour désigné, le roi de France fut saisi d’un accès de sa maladie et demeura, en conséquence, à Pontoise[4].

Une tente, donnée au roi anglais par Isabeau de Bavière, avait été dressée au lieu convenu. Des pavillons, placés de part et d’autre, dans deux enceintes fortifiées, devaient servir d’asile aux membres de la réunion. Le 30 mai, Isabelle de Bavière, reine de France, arriva en litière, suivie de ses femmes. L’a reine avait avec elle sa fille, Catherine de France, âgée de dix-huit ans, et d’une grande beauté. Au moment où les princesses mirent pied à terre, Henri V les embrassa. Il prit la reine par la main et l’introduisit, ainsi que sa fille, sous la tente royale. Cette première séance fut consacrée aux préliminaires, et le soir les parties se retirèrent dans leurs pavillons respectifs[5].

L’entrevue se renouvela le lendemain et se continua pendant tout le mois de juin, entre les personnages politiques. Henri V était assisté de ses deux frères, les ducs de Clarence et de Glocester, du comte de Warwick et de l’archevêque de Cantorbéry. Le duc de Bourgogne prit également part au congrès. Soixante nobles et seize conseillers français, soixante nobles et seize conseillers anglais, furent en outré admis à pénétrer sous la tente médiane. Enfin quinze cents hommes d’armes, pour chacune des deux puissances, étaient préposés à la garde des lices ou barrières[6].

Une série de fêtes, de festins, de réjouissances et de démonstrations courtoises ou hospitalières, accompagna le cours des délibérations. Henri V demanda les conditions du traité de Brétigny[7], plus la Normandie, et la main de la princesse Catherine. Le duc de Bourgogne et la reine abandonnaient une part moins notable du domaine royal, et consentaient à l’union qui faisait d’Henri V le futur héritier du roi de France. Mais un obstacle capital s’opposait à la conclusion des arrangements discutés. En effet, plusieurs des places ou provinces qu’il s’agissait de céder au roi anglais, n’étaient point au pouvoir des contractants. Ces places ou provinces obéissaient au dauphin de France régent, c’est-à-dire au prince Charles. Le congrès fut, en conséquence, dissous, après un mois de réunions inutiles[8].

En sortant de Tours (janvier 1419), le régent avait dirigé ses forces vers La Charité. A la même époque, Duchâtel, qui gardait les marches d’Ile de France, rencontra près de Chaumes en Brie, une troupe d’Anglais. Des gens du duc de Bourgogne servaient de guides à ce détachement, commandé par les comtes de Kent et de Warwick. Tous se rendaient à Provins, auprès du roi de France, pour y parlementer. Duchâtel et ses dauphinois fondirent sur cette troupe à l’improviste. Après avoir remporté quelque avantage, il fut toutefois obligé de plier et se retira dans la ville de Meaux[9].

D’autres lieutenants du prince guerroyaient aux environs de Chartres et s’emparèrent de Bonneval. La Hire et Saintrailles, cantonnés en Picardie, débutaient ensemble, sur le belliqueux théâtre, où leurs deux noms inséparables devaient acquérir une renommée si populaire. Du 1er au 7 février, Mantes fut reprise momentanément sur les Anglais. Ambroise de Loré s’empara de Fresnay-le-Vicomte dans le Maine[10]. Beaumont-sur-Oise (vers le 25), puis Soissons (8 mars), tombèrent également au pouvoir du régent. Le 13 du même mois, ses troupes, harcelant les Bourguignons, paraissaient sous les murs de Vincennes, séjour de la reine et de la cour[11].

Le sire de Parthenay en Poitou tenait toujours les champs pour le duc de Bourgogne. Quelques foyers de guerre civile subsistaient encore dans cette province. La répression armée de ces résistances fut décidée. Duchâtel délégua le 15 mai 1419, à Bourges, comme son lieutenant, le sire de Mornay, pour organiser cette expédition. Le siège de Parthenay fut confié pax le régent aux talents militaires du jeune comte de Vertus (frère puîné de Charles duc d’Orléans), avec le titre de lieutenant-général, pour le régent dauphin, dans les pays de Poitou et de Guyenne[12].

Le château de Parthenay, entouré de deux paires de fossés, était approvisionné de vivres pour dix ans. L’élite de la noblesse poitevine combattait parmi les défenseurs. Cette place résista pendant quatre mois aux efforts du comte Philippe, de Jean de Torsay, maître des arbalétriers, et de deux vaillants capitaines, nommés, l’un Jean d’Aragon et l’autre Jean Rouault, seigneur de Boisménard[13].

Cependant un accommodement final permit au prince Charles de terminer à son honneur cette querelle. Philippe, comte de Vertus, et Jean. Larchevêque signèrent ensemble sur les lieux (31 août 1419), le traité dit de Parthenay-le-Vieil. En vertu de ce traité, la garnison évacua cette place, qui reçut pour capitaine un chevalier de marque, Regnier Pot, institué de concert entré le régent et le duc de Bourgogne. Jean Larchevêque fit sa soumission au dauphin. Dès ce moment, la guerre des Armagnacs contre les Bourguignons fut éteinte dans les provinces d’Aunis, de Poitou et duché de Berry, qui reconnaissaient, ainsi que la Touraine, la pleine autorité dit régent[14].

Le prince Charles, malgré son ressentiment contre les Parisiens, n’avait point perdu de vue la capitale du royaume. Des messages fréquents le mirent en communication permanente avec le parlement et les bourgeois, parmi lesquels il se ménagea toujours des intelligences, Le principal agent de ces négociations politiques fut Guillaume de Montenay, chevalier normand et capitaine de Caen, qui, en 1417, s’était honorablement comporté devant l’agression anglaise[15].

Une autre négociation, suivie d’un succès immédiat, eut pour objet le mariage de René d’Anjou avec Isabelle de Lorraine et fut l’œuvre d’Yolande d’Aragon. Charles II, duc de Lorraine, avait marqué jusque-là parmi les auxiliaires actifs et redoutés de la cause bourguignonne. Déjà vieux, il laissait après lui, pour unique héritière de son duché, une princesse, alors âgée de huit ans. Au mois de janvier 1418, Isabelle de Bavière (lors de sa jonction avec Jean sans Peur) s’était entremise pour marier à son neveu l’héritière de Lorraine.

Cette alliance, si elle se fût réalisée, devait avoir, nécessairement, pour résultat de perpétuer l’hostilité de la maison de Lorraine contre la cause politique dont le prince Charles, régent de France, était le représentant. Une nouvelle combinaison, toute différente, vint, heureusement, conjurer cette funeste éventualité. Le duché de Bar, voisin de la Lorraine et souvent en guerre avec cet état, reconnaissait alors l’autorité de Louis de Bar, cardinal, évêque de Châlons-sur-Marne, puis de Verdun. Ce prélat était devenu duc par la mort du dernier de ses frères, Édouard III de Bar, tué en 1415, à la bataille d’Azincourt. Le duché de Bar, cependant, fief féminin ainsi que la Lorraine, appartenait en droit, à l’une des sœurs du cardinal. Yolande d’Aragon, fille de Violante de Bar, représentait ces droits féminins. Le cardinal-duc, sous les inspirations d’Yolande, consentit, par manière de transaction ou d’accommodement, à adopter pour héritier du duché de Bar, son petit-neveu, René d’Anjou, deuxième fils d’Yolande et frère de Marie d’Anjou, mariée au prince-régent[16].

Louis de Bar proposa, de plus, à Charles II, dû donner sa fille, Isabelle de Lorraine, en mariage, à René d’Anjou, devenu l’héritier présomptif du duché de Bar. Par cette union, la Lorraine s’adjoignait un état voisin et rival, qu’elle conquérait, en quelque sorte, sans coup férir. Un avantage aussi grave, aussi évident, triompha dans l’esprit de Charles II, de ses répugnances et de ses animosités antérieures[17].

Le 20 mars 1419, le duc de Lorraine et le cardinal, réunis, au château de Foug, près de Toul, signèrent un traité, sur les bases qui viennent d’être énoncées. Char-les II, à partir de ce moment, se détacha de la ligue bourguignonne. Il était devenu l’allié du prince Charles régent. Yolande d’Aragon, par lettres données le 24 juin, tant en son nom qu’au nom de son fils aîné Louis III, roi de Sicile et duc d’Anjou, autorise, son deuxième fils René, âgé de dix ans, à accepter cette union. Elle lui permit, par le même acte, d’écarteler, dès lors, ses armes propres, des armoiries du duché de Bar[18]. La reine de Sicile, à cette date, habitait Mehun-sur-Yèvre, en Berry, auprès de son gendre le prince régent. Peu de jours après ce nouveau service, rendu à la cause du jeune Charles et à leur royale maison, Yolande d’Aragon s’éloigna de la cour de Bourges. Le 30 juin suivant, elle partit pour la Provence, où l’appelaient ses propres affaires. Elle partit, laissant ainsi le prince destitué de ses conseils, qui lui avaient toujours été salutaires, et dont l’absence allait, plus gravement que jamais, se faire sentir[19].

Henri V, en effet, avait vu avec déplaisir l’issue infructueuse des négociations engagées. Considérant le duc de Bourgogne comme le véritable arbitre de la situation, il lui imputait la stérilité d’un résultat, peu conforme à ses désirs. Au moment où le congrès de Meulan était sur le point de se dissoudre, le roi d’Angleterre fit entendre à Jean sans Peur ces amères paroles : Beau cousin, lui dit-il, nous voulons que vous sachiez que nous aurons la fille de votre roi et tout ce que nous avons demandé avec elle, ou nous le débouterons, et vous aussi, hors de son royaume !Sire (lui répondit le Bourguignon atteint, par ce propos, au plus vif de son égoïsme), vous dites votre plaisir. Mais avant que vous ayez débouté mon seigneur et nous hors de son royaume, vous serez bien lassé ; et de ce ne faisons nul doute[20].

Ainsi, les essais de transaction tentés, jusque-là, par les voies diplomatiques, n’avaient pu donner satisfaction à aucune des parties. En traitant successivement avec le régent et le Bourguignon, en excitant la rivalité de ces compétiteurs, Henri V n’avait pu les amener au degré de complaisance ou de lâcheté que rêvait son ambition. D’un autre côté, les deux princes français, Charles et Jean, en dépit de leur antagonisme, avaient reconnu l’impuissance à laquelle ils se voyaient condamnés par leur isolement. La nécessité, la logique des intérêts, se faisant jour à travers les résistances de la haine et de la passion, les poussait à un rapprochement inévitable[21].

Après divers pourparlers, le prince Charles partit de Bourges ; passant par Montargis, il vint se fixer à Melun. Jean sans Peur quitta Pontoise le 7 juillet et prit sa demeure, le même jour, à Corbeil. A une lieue de Melun, sur le chemin de Paris, existait une longue chaussée, située près d’un étang, où se trouve aujourd’hui le village de Vert-Saint-Denis. Cette chaussée, très voisine de Pouilly-le-Fort, portait alors le nom du Ponceau-Saint-Denis[22]. Tel fut le lieu qui devait servir à l’entrevue des deux princes[23].

Trois tentes ou pavillons avaient été construits sur cette chaussée : l’un, au milieu, pour le colloque des princes, et les deux autres destinés à la suite de chacun d’eux. L’abri ou habitacle du milieu, était formé de branchages verts et de ramures feuillées. On avait recouvert le tout de tapis de laine et de soie, afin d’intercepter les rayons d’un soleil de juillet, aussi bien que la pluie. Le duc et le régent arrivèrent, chacun de son côté, suivi de forces considérables. Parvenus à deux traits d’arc l’un de l’autre, tous deux firent arrêter leur troupe. Puis, conservant, chacun, seulement une escorte de dix familiers ou gentilshommes, ils se réunirent au point de rencontre. Aussitôt que le dauphin fut descendu de cheval, le duc de Bourgogne s’agenouilla devant le prince, qui lui prit la main, le fit relever et l’embrassa[24].

Cette première conférence eut lieu le 8 juillet, après la grande chaleur du jour. L’entrevue se prolongea depuis six heures environ jusqu’à onze heures du soir. Malgré ses démonstrations de respect et de courtoisie, le due de Bourgogne soutint ses prétentions devant la personne du prince, avec une résistance opiniâtre. La conférence dut prendre un terme, sans que le régent eût obtenu la soumission, ou l’acquiescement du duc, aux conditions d’accommodement que le dauphin proposait. Les chevaliers et les écuyers du régent attendaient avec impatience la fin de cette séance. Charles, en sortant de la conférence, parut devant eux avec l’expression du mécontentement peinte sur son visage[25].

Cependant le lendemain dimanche, 9 juillet, le régent envoya de Melun, à Corbeil, T. Duchâtel et Louis d’Escorailles, chevaliers, auprès de Jean sans Peur, à l’effet de continuer les négociations. Une nouvelle entrevue fut fixée au surlendemain 11. Dans l’intervalle, une tempête vint à éclater, accompagnée de pluie torrentielle, d’éclairs effroyables et d’un grand fracas de tonnerre. Cette manifestation du ciel frappa tous les esprits. Les uns affirmaient que ce phénomène provenait de l’état de l’atmosphère et n’avait rien que de naturel. Mais d’amies, en plus grand nombre, répondaient que les génies inférieurs, ou esprits malins, n’étaient sans doute pas étrangers à ces signes visibles. Peut-être, ajoutaient-ils, ces puissances démoniaques voient-elles d’un mauvais œil notre assemblée des princes ? Quant à ceux qui partageaient cette dernière opinion, ils n’auguraient pas que rien de ferme ni de durable pût résulter de cette négociation[26].

Une seconde entrevue se passa donc le 11, mais elle ne servit qu’à faire renaître la discussion et la résistance. Le dauphin sortit de nouveau, le visage courroucé, annonçant que le lendemain il retournerait en Berry. Il faudra bien, dirent les chevaliers et écuyers, que nous aussi, nous conférions avec ces Bourguignons. Le jugement de Dieu décidera quelle est la bonne cause ? A ces nouvelles, intervint sur-le-champ une certaine dame de Giac, envoyée par la reine, et dont nous reparlerons bientôt. Cette dame, qui, depuis quelque temps, ne quittait pas la compagnie de Jean sans Peur, alla trouver tour à, tour les deux princes sous leurs tentes. Elle fit si bien que la conférence rompue fut reprise immédiatement. Après une heure d’entretien, les contractants s’étaient enfin mis d’accord. On vit alors l’escorte des deux princes agiter les mains vers le ciel, crier Noël, se confondre et s’embrasser, en fraternisant, avec allégresse. Avant de se séparer, le dauphin et le duc de Bourgogne étreignirent la main l’un de l’autre et s’embrassèrent, comme des adversaires réconciliés. Le duc prit enfin congé de l’héritier du roi, et voulut, lorsque le prince remonta en selle, lui tenir l’étrier[27].

Aussitôt, un traité en forme, daté du 11 juillet et du Ponceau-Saint-Denis, fut libellé, pour être revêtu du seing manuel des parties, scellé de leurs sceaux, puis échangé entre elles et reproduit à de nombreux exemplaires. Dans ce traité, composé seulement de deux articles, le duc et le dauphin déclaraient leur querelle terminée et se juraient amitié, fraternité, paix et alliance inviolables pour l’avenir. Divers personnages de marque, choisis de part et d’autre, s’associèrent à, la garantie du pacte signé[28].

Jean sans Peur, dans l’intervalle des négociations, avait eu soin dé se munir d’argent, pour s’assurer les bonnes grâces des principaux conseillers du dauphin. Une somme de dix mille livres environ fut consacrée à ces libéralités. Robert le Maçon, Jean Louvet, T. Duchâtel, Barbazan, Louis d’Escorailles, Pierre de Beauvau, Hugues dit Huguet de Noyers, Guillaume d’Avaugour et Jacques du Peschin, frère de la dame de Giac, reçurent chacun une gratification de 500 moutons ou écus d’or Les deux princes eux-mêmes échangèrent entre eux des présents. Le duc de Bourgogne offrit au régent un fermaillet d’or et reçut de ce prince un coursier[29].

Le jeudi suivant, 13 juillet, les princes contractants jurèrent ce traité à Corbeil, entre les mains d’Alain de la Rue, évêque de Saint-Paul-de-Léon en Bretagne, légat du Saint-Siège, accrédité pour rétablir la paix dans le royaume. Cette cérémonie eut lieu par le serment prêté sur l’eucharistie, et le contact des Évangiles. Elle fut renouvelée, le lendemain 14, de la part des seigneurs ou adhérents. Après ces formalités, des messagers du duc de Bourgogne portèrent à Rome un exemplaire de cet acte solennel. Une bulle de Martin V, rendue le 30 octobre suivant, ratifia cet acte et le revêtit de la sanction pontificale. Le dauphin, suivi de son conseil, ne quitta Corbeil que le 15 juillet, pour se retirer en Berry.

Le 17 juillet, deux ordonnances ou déclarations du roi furent rendues à Pontoise. La première reconnaissait l’existence légale du parlement de Poitiers. Elle ajournait aux prochaines assises royales, la décision des causes encore pendantes devant la cour du régent. La seconde traçait un programme de conduite politiqué à tenir désormais, par les deux princes, en vue de la paix qu’ils venaient réciproquement de se jurer. Le 20, ce traité de paix fut lu et enregistré, comme loi de l’État, au parlement de Paris. Une procession solennelle et des réjouissances publiques célébrèrent, le 13 et le 21, cet heureux événement. Enfin du 28 au 30 du même mois, le dauphin députa deux de ses secrétaires à Saint-Denis, vers le duc de Bourgogne, pour lui témoigner ses favorables dispositions, quant au maintien et à l’observation de ce traité[30].

Mais qu’importent les écrits, les parchemins, les cérémonies, lorsque l’envie subsiste, et que la haine vit au fond des cœurs ? Du 21 au 31 juillet, Henri V, ayant repris l’offensive, s’empara de Gisors et de Saint-Martin-le-Gaillard. Désormais, le conquérant anglais tenait en sa possession les derniers points qu’il lui restait à subjuguer, sur le territoire continental[31] de la Normandie. Dès le 22 du même mois, le duc de Bourgogne se rapprochait seul d’Henri V. Il obtenait à cette date, et à l’insu du prince régent, un sauf-conduit pour des plénipotentiaires exclusivement bourguignons. Le 6 août suivant, ces plénipotentiaires négociaient avec Henri V, à Pontoise[32]. Peu de jours auparavant, le 31 juillet, cette ville, située aux portes de Paris et pour ainsi dire l’une des clefs de la capitale, Pontoise s’ouvrait au roi d’Angleterre. Or le capitaine de Pontoise était le maréchal de l’Ile-Adam, bourguignon, et la rumeur publique taxait de trahison la reddition qu’il avait faite, presque sans coup férir, de cette ville. Le 9 août enfin les coureurs anglais paraissaient devant Paris[33].

Ces désastres extrêmes, ces griefs, vrais ou faux, mais acerbes, empoisonnés par la haine des partis, suffirent pour ranimer toute leur animosité. Chacun d’eux se renvoyait ces imputations. Du côté du dauphin, ainsi que du côté bourguignon, les gens d’armes, abandonnés à leur brutale indiscipline, violaient, à qui mieux mieux, le traité du Ponceau. Ils se livraient à des attentats incessants, d’un parti contre l’autre, et négligeaient plutôt de courir sus à l’Anglais, que d’attaquer le Français du plat pays[34].

Le vent de la colère allait emporter de nouveau ce traité de Corbeil, comme il avait soufflé déjà sur les tentatives antérieures de pacification. Une tempête, plus redoutable que l’ouragan des airs, devait incessamment surgir. Cet orage allait se terminer par un coup tragique et par une sinistre catastrophe.

 

 

 



[1] Ms. Bréquigny, n° 80, f° 94. Rymer, t. IV, partie III, p. 81 à 116.

[2] Religieux de Saint-Denis, t. VI, p. 327. — Voy. aussi Bréquigny, ibid., f° 91, et la Chronique de Normandie, in-8°, f° 174.

[3] Ce lieu est désigné dans les textes anglo-latins : Campus qui dicitur la Chat (entre Meulan et Mésy). (Rymer, loco citat., p. 116.)

[4] Ursins, dans Godefroy, p. 364. Monstrelet d’Arcq, t. III, p. 318 à 323. Cousinot, chap. 175.

[5] Ibid. P. Cochon, p. 437. Gachard, Archives de Dijon, p. 241. Ms. 6239, f° lxxviij et suiv.

[6] Ursins, etc. Abrégé français des grandes chroniques, p. 217. Il existe en Angleterre un tableau du temps, peint sur bois, qui, dit-on, représente l’entrevue de Meulan, avec les portraits d’Henri V et de Catherine de France. (Miss Strickland, Lives of the queens of England, London, in-8°, 1844, t. III, p. 134, note 1.)

[7] Ce traité, signé le 8 mai 1360, lors de la captivité du roi Jean, attribuait à l’Angleterre la Guyenne, la Gascogne, le Poitou, la Saintonge, le port et gouvernement de la Rochelle, l’Angoumois, le Limousin, le Ponthieu et diverses places de la Picardie maritime. Une portion de ce territoire, par suite do guerres ou de nouveaux traités, avait, depuis 1360, fait retour à la couronne.

[8] Raoulet, p. 164. Delpit, Documents anglais, p. 226-227. Fénin-Dupont, p. 107-108.

[9] D. Plancher, t. III, p. 505. Monstrelet, t. III, p. 313.

[10] Le 21 avril 1419, Yolande d’Aragon, reine de Sicile et duchesse d’Anjou, décharge l’abbesse de Nyoiseau de la somme de 10 livres tournois, à laquelle l’abbaye avait été taxée, pour contribuer à repousser les ravages et hostilités des Anglais, qui désolaient, en ce temps, tout le pays d’Anjou et du Maine. (Archives de Nyoiseau, Revue d’Anjou, 1853, t. II, p. 37.)

[11] Monstrelet, p. 310 et 315. Lépinois, Histoire de Chartres, t. II, p. 73, note 2. Journal de Paris (Panthéon), p. 636 et 637. Religieux, t. VI, p. 317. Ursins-Godefroy, p. 357 et 355. Abrégé français, p. 215. X. X., 1480, f° 177.

[12] Actes de Bretagne, t. II, colonne 994. Cousinot, p. 176, ch. 114. Revue anglo-française, 1535, in-8°, t. III, p. 405 et suiv. Le comte de Vertus avait dans ses attributions la défense des états de son frère.

[13] B. Ledain, Histoire de Parthenay, p. 214 et suiv. Ursins-Godefroy, p. 356, 360 et suiv.

[14] Ibid. Monstrelet, p. 330. Ordonnances, t. XII, p. 263, etc. Thibaudeau, Histoire de Poitou, 1840, in-8°, t. II, p. M. Catalogue Joursanvault, n° 2549, etc.

[15] X. X. 1480, f° 174 et 150. Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 797 ; t. IV, Preuves, p. 577 b, 578 b. Cabinet des titres, dossier Montenay, au 25 avril 1419.

[16] Calmet, Histoire de Lorraine, 1747, in-f°, t. III, colonne 533. Aux mois d’août et septembre 1419, Yolande plaidait au parlement contre la cardinal. (X. X. 1480, p. 191.)

[17] D. Calmet, ibid. Digot, Histoire de Lorraine, 1856, in-8°, t. II, p. 330.

[18] Le mariage entre René d’Anjou et Isabelle de Lorraine fut célébré à Nancy le 14 octobre 1420.

[19] Histoire de Lorraine, 1757, in-f°, t. VI. Preuves, p. 111 et 115. Yolande, partie pour la Provence le 30 juin 1419, ne reparut à la cour de France qu’au mois de juin 1423. (K. K. 243, f° 62.)

[20] Monstrelet, p. 322 et 323.

[21] Ms. Colbert, 9681, t. V, f° 108.

[22] Berry désigne le même lieu en indiquant la fontaine du Pinot. Sur la carte du Dépôt de la guerre, on voit marquée en ce point, de nos jours, la fontaine ronde.

[23] ) Besse, p. 306. Religieux, t. VI, p. 328. Berry, dans Godefroy, p. 438.

[24] Ibid. Abrégé dans Jean Chartier, t. III, p. 218. Monstrelet, t. III, p. 322.

[25] Religieux. Abrégé.

[26] Religieux.

[27] Religieux. Monstrelet. Raoulet, p. 165.

[28] Besse. Religieux. Monstrelet. Félibien, Preuves, t. II, p. 579 a.

[29] Ms. 9681, 5, Colbert, f° 109. D. Plancher, t. III, p. 513. (Labarre, t. I, p. 272.)

[30] Ordonnances, t. XI, p. 15, t. XII, p. 2613. Monstrelet, t. III, p. 330 et 331. X. X. 1480, f° 187. Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 797. D. Plancher, t. III, p. 511 et 518.

[31] Excepté le mont Saint-Michel.

[32] Religieux, p. 349. Monstrelet, p. 335. Rymer, Fœdera, t. IV, partie 3, p. 128 et 129. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. IV, p. 203.

[33] Ms. 6239, f° 81. Journal de Paris (Panthéon), p. 638 et 639. Chronique de Normandie, f° 174. Cousinot, p. 176, chap. 174. Félibien, Preuves, t. II, p. 576 b. Etc., etc.

[34] X. X. 1480, f° 191. Religieux, t. VI, p. 357. Ursins, dans Godefroy, p. 369. Abrégé, dans Jean Chartier, t. III, p. 221.