HISTOIRE DE CHARLES VII

TOME PREMIER

LIVRE II. — DEPUIS LA RETRAITE DU PRINCE CHARLES VERS LA LOIRE (JUIN 1418), JUSQU’À LA MORT DE CHARLES VI (21 OCTOBRE 1422).

CHAPITRE I. — (1418 juin-1419 janvier).

 

 

L’invasion des Bourguignons à Paris causa, sur l’esprit du jeune dauphin, une impression profonde et des plus durables.

Charles VII en conserva le souvenir toute sa vie. Le dépit, la passion et l’intérêt froissé de ses conseillers ne laissèrent pas d’aigrir et de fortifier le ressentiment du dauphin. Charles, à partir de ce jour, prit la capitale en haine et en aversion. Pendant dix-huit ans, la fortune de la politique ou de la guerre l’exila de cette ville, qui depuis cinq siècles était le siège de la monarchie et le centre moral du royaume. Il n’y revint jamais, ultérieurement, que pour y faire de brèves apparitions et avec une répugnance visible.

En s’éloignant de Paris, le prince dut fixer tour à tour sa demeure en des lieux de moindre importance. Charles inaugura ainsi cette vie nomade, presque errante, qui lui fit passer le reste de sa carrière au sein de retraites obscures[1].

Le lieutenant-général du royaume, comme on l’a vu, se porta d’abord à Bourges. Il parcourut ensuite, en de fréquents déplacements, cette ligne géographique, formée par le cours de la Loire, qui délimitait vaguement entre eux les pays de Langue d’oil et de Langue d’or. Dauphin de Viennois, duc de Berry, de Touraine et comte de Poitou, ces titres, joints à sa délégation de lieutenant-général, semblaient corroborer son autorité sur ces provinces, à l’aide d’un caractère plus direct et plus spécial. Le jeune prince commença par assurer et confirmer sa puissance dans ces, régions méridionales. Par lettres du 9 juillet 1418, données à Montrichard, il exempta les Auvergnats, de l’aide ou contribution extraordinaire, imposée dans le royaume. Le lieutenant-général soulageait ainsi des populations pauvres, et un pays dont les secours, habilement ménagés, lui devaient être si nécessaires dans l’avenir[2].

Charles résidait à Chinon le 4 août. De là, il adressa aux diverses provinces un manifeste considérable. Sous le titre d’advis fait pour le bien et union du royaume, les conseillers du lieutenant-général y traçaient un programme d’action politique. Ce programme aurait dû rallier le duc de Bourgogne à l’héritier du trône, dans une rivalité patriotique, contre l’ennemi commun du royaume. Mais Jean sans Peur, pour répondre à une telle exhortation, se serait vu contraint de renoncer à l’usurpation de fait qu’il avait commise sur le pouvoir suprême. Aussi l’appel de Charles ne fut-il point entendu[3].

Le 7 août, Charles, dauphin, accueillit libéralement dans la même résidence, un héraut de Jean Ier de Grailly, comte de Foix, accompagné d’un ambassadeur de ce grand vassal. Le Languedoc, en majeure partie, était occupé par les Bourguignons. Jean de Foix comptait au nombre des potentats féodaux, qui exerçaient, sur les affaires de ce pays, une influence prépondérante. Le conseil du dauphin négociait avec le comte Jean. Peu de jours après, le 16 août, Regnauld de Chartres, archevêque de Reims, fut nommé lieutenant du dauphin en Languedoc[4].

La ville de Tours, depuis l’enlèvement de la reine, et Plusieurs points de la province, demeuraient au pouvoir des Bourguignons. Vers le 20 juillet 1418, Charles, duc de Touraine, se présenta devant la capitale de son duché, requérant l’obéissance des habitants. Mais ceux-ci, intimidés par le due de Bourgogne, refusèrent d’obtempérer aux injonctions du prince. Ils se pourvurent immédiatement auprès du roi (c’est-à-dire de Jean sans Peur), qui, par lettres du 27 de ce mois, leur commanda de persévérer dans leur résistance. Des secours leur furent en même temps promis, afin qu’ils pussent repousser, par la force des armes, les poursuites du dauphin[5].

Toute la France septentrionale, par rapport à la Loire, ou Langue d’oil, en général, appartenait à l’ennemi, soit bourguignon, soit anglais. C’était, dès lors, pour l’héritier de Charles VI, une portion du royaume à reconquérir. Aussitôt que le prince se fut retiré à Bourges, Tanguy Duchâtel, prévôt de Paris, reçut le titre de maréchal des guerres du dauphin. Il fut nommé en outre lieutenant et capitaine général, de par le dauphin, dans tous les pays de France (Ile de France), Champagne, Brie, et de outre la rivière de Seine. Tanguy prit immédiatement l’offensive et dirigea spécialement ses hostilités contre les villes et régions soumises à l’autorité du duc de Bourgogne[6].

Le duc de Bretagne, après s’être fait l’auxiliaire du dauphin, résolut, comme on l’a dit, de rétablir la paix et l’union entre ce prince et le duc de Bourgogne. Tel fut l’objet du congrès de Charenton et du traité de Saint-Maur-des-Fossés. Jean VI de Bretagne, indépendamment de son concours personnel, employa, dans ces négociations, son frère, Richard de Bretagne, et Jean de Malétroit, sein chancelier. Une trêve de trois semaines suivit le congrès de Charenton. Durant cet armistice, de nombreuses victimes des discordes civiles, cachées dans Paris, recouvrèrent leur liberté[7].

Parmi ces victimes, de l’un et de l’autre sexe, se trouvait Marie d’Anjou, la jeune épouse ou fiancée du prince Charles. Lors de l’invasion des Bourguignons à Saint-Paul, elle s’était enfuie et réfugiée à l’hôtel de Bourbon. Là, elle vécut pendant plusieurs mois, privée de ses biens, de son état, cachée et comme proscrite. Deux fois fouillé, lors du double massacre, par les Bourguignons, l’hôtel de Bourbon fut un des théâtres principaux de leurs violences. La jeune princesse, frappée de terreur, assista aux meurtres qui s’y commirent et vit ses propres jours en danger[8].

De concert avec le duc de Bourgogne et la reine, Jean VI de Bretagne fit décider que Madame Marie serait remise en liberté. Richard de Bretagne s’employa personnellement à la faire sortir de Paris, ainsi que sa suite. Ses biens meubles, qui avaient été saisis, lui furent en même temps restitués[9].

Le 22 septembre, une ambassade formée de conseillers du roi et du duc de Bourgogne, partit de Paris. Elle avait pour mission de se joindre au duc de Bretagne et d’escorter ou de reconduire la dauphine, jusqu’à la résidence, du prince son époux. Après avoir rempli, sur la route, d’autres instructions politiques et secrètes, les ambassadeurs, vers le 13 octobre suivant, arrivèrent à Saumur. Ils rejoignirent le fils du roi dans cette ville et remirent la princesse Marie entre ses mains[10].

En agissant ainsi, les auteurs du traité de Saint-Maur espéraient se concilier la faveur personnelle du dauphin, et obtenir de lui la ratification de ce traité. Mais déjà les conseillers du lieutenant-général, avaient pris les devants à cet égard.

Le 29 septembre 1418, Charles signa une lettre ou nouveau manifeste, daté de Maillezais, dont le texte nous a été conservé. Cette pièce est une protestation longuement motivée contre le traité de Saint-Maur et un désaveu complet de cette transaction[11].

Peu de jours après, le duc de Bretagne, accompagné de la dauphine, arrivait à Saumur. Il se proposait de renouveler auprès de Charles, ses instances personnelles, pour l’exhorter à se rendre à Paris et pour repousser les Anglais, de concert avec le duc de Bourgogne. Mais les conseillers du dauphin formaient autour de lui un rempart infranchissable. Le duc, tenu à distance, tenta vainement pendant plusieurs jours, d’obtenir l’accès de son cousin et beau-frère. De guerre lasse, Jean VI se disposait à se retirer ainsi que ses barons, et à regagner Nantes, sa capitale. Heureusement la reine de Sicile, favorable au traité de Saint-Maur, intervint, et le duc fut enfin admis à l’audience du prince[12].

Jean VI, dans un discours, où les gouverneurs du lieutenant-général ne furent point épargnés, s’éleva contre cet état de captivité. Il reprocha au dauphin la confiance excessive que ce prince accordait à ses favoris. Cette démarche ne laissa point le dauphin complètement insensible et réussit à l’ébranler. Quelques ordres furent donnés aux troupes pour modérer leurs dévastations. Niais, le duc parti, les familiers de Charles reprirent toute leur influence. Rien ne fut changé dans la politique du conseil. Jean VI s’éloigna, le cœur ulcéré d’un tel résultat. Depuis ce moment, le dépit et l’hostilité remplacèrent, chez ce grand baron, le dévouement affectueux qu’il avait jusque-là témoigné envers l’héritier de la couronne[13].

Après le conseil privé du prince, ou conseil exécutif, le Parlement composait, au quinzième siècle, le principal organe du gouvernement ou de la monarchie. La cour, séante à Paris, venait d’être reconstituée par le duc de Bourgogne. Le gouvernement du dauphin transféra, ou réorganisa (lettres datées de Niort le 21 septembre 1418), le siège du parlement royal à Poitiers. Ce nouveau parlement eut pour noyau un certain nombre de magistrats, déjà institués, qui étaient demeurés fidèles à la cause du dauphin. La chancellerie de France, ou du lieutenant-général, reçut en même temps et dans la même ville une organisation nouvelle. Cette haute cour de justice, ou parlement de Poitiers, commença de fonctionner le 1er décembre[14].

Vers la même époque, furent organisés à Poitiers, puis à Bourges, la cour des comptes[15] et les autres rouages de l’administration souveraine. Pour compléter cette œuvre de revendication de l’autorité suprême, le prince Charles prit désormais le titre de régent. En 1358, lors de la captivité du roi Jean le Bon, son fils le dauphin (qui fut, depuis, Charles V), s’était déclaré de même et spontanément régent du royaume. Cette qualification fut alors considérée sans conteste comme échue de droit à l’héritier du trône, par le fait même de l’état où se trouvait Jean, prisonnier des Anglais. Charles, fils de Charles VI, s’autorisa de ce précédent. Un acte authentique du roi d’Angleterre, en date du 26 octobre 1418, prouve que dès cette époque, le dauphin traitait avec Henri V, en qualité et sous la dénomination de régent[16].

Vingt-huit ans, environ, s’étaient écoulés depuis qu’un mal inexorable avait atteint Charles VI dans ses facultés intellectuelles. L’affection du roi, bien loin de s’acheminer vers la guérison, n’avait fait que s’aggraver. Elle était parvenue à un état extrême et désespéré. La vie du malheureux prince consistait dans une succession de crises affreuses, séparées entre elles par des phases moins aiguës. Même aux instants les plus favorables de ces intervalles éphémères, le mal était toujours là, chronique et latent. Au sein de cette organisation ruinée, ce qui subsistait d’immatériel, lueur, faible et décroissante, méritait à peine le titre d’intelligence ou de raison. Le jugement, la conscience, la volonté avaient péri. Charles VI, en un mot, n’offrait plus que le spectre d’un homme et l’ombre d’an roi. Cependant (telle était la puissance du culte et de la foi qui entouraient la monarchie) l’opinion publique et les populations conservaient à ce fantôme royal tous leurs hommages et tous leurs respects. La personne de l’infortuné monarque constituait une sorte de talisman, dont les partis se disputaient la possession, comme équivalant à la possession même du pouvoir souverain. En proclamant la régence du prince Charles, ses conseillers frappaient d’un coup habile et hardi cet abus ou cette imposture politique.

Les honneurs dus au rang suprême, le titre de roi demeuraient, avec la couronne, sur le front de Charles VI, qui avait reçu l’onction sainte. Mars le dépôt du pouvoir actif, enlevé pour le salut de tous, à des, mains visiblement impuissantes, était dévolu à l’héritier létal et naturel. Au moment où le droit suprême de la dynastie se trouvait mis eu péril par les attentats d’Henri V, cette dévolution s’accomplissait d’avance et régulièrement, suivant la coutume et conformément à la loi fondamentale de l’État[17]. Le jeune régent, enfin, déjà engagé dans les liens du mariage, promettait pour la transmission future du pouvoir royal, cette sécurité, ce long avenir, fun des principaux avantages ou attributs de l’hérédité.

Des lettres du dauphin régent, promulguées à Chinon, le 30 octobre, défendirent aux sujets d’obéir aux mandements rendus sous le nom du roi pendant sa détention et maladie. Cette ordonnance fut considérée comme étant principalement l’œuvre de Robert le Maçon, chancelier du dauphin. Elle irrita particulièrement le duc de Bourgogne. Un autre édit parut le 13 novembre suivant, au nom de Charles VI. Cet édit stigmatisait de termes injurieux les favoris du prince Charles. Il révoquait les pouvoirs de lieutenant-général qui lui avaient été précédemment délégués. Il confirmait, en dernier lieu, le traité de Saint-Maur. Mais il exceptait nommément de ce traité de paix Robert le Maçon, chancelier, Jean Louvet., président de Provence, et Raymond Raguier, trésorier, conseillers intimes du dauphin[18].

Le prince Charles, pendant ce temps, n’en poursuivait pas moins le plan de conduite ci-dessus indiqué.

En qualité de duc de Touraine, il était chanoine-né de la collégiale de Loches. La revendication de ces titres ecclésiastiques, annexés au pouvoir civil, avait une importance considérable, même au point de vue purement politique. Charles, par la pente de sa nature, aussi bien que par habitude et par éducation, témoigna toujours un grand zèle pour ces prérogatives ; et ce zèle contribua puissamment à lui concilier les faveurs du clergé. Le 6 novembre, accompagné des grands, des familiers de sa cour, il descendit de son château de Loches et vint se présenter au portail de l’église, où l’attendait le collège des chanoines, ses confrères. Ayant pénétré dans lé chœur, Charles revêtit le surplis, la chape de soie, l’aumusse de fourrure grise et prit place dans sa stalle, à côté du maître-autel. Il entendit ensuite la grand’messe. Le prince enfin se retira, non sans avoir juré d’observer les statuts de la collégiale, et promis de fournir à la communauté une chape de soie ; redevance à laquelle il était tenu pour son joyeux avènement[19].

De là, le jeune prince se mit en campagne et se dirigea, par la Touraine, vers l’Orléanais.

En sortant de Loches, il passa près d’une Place nommée Azay-sur-Indre, située au confluent de cette rivière avec l’Indroie. Cette place était au pouvoir des Bourguignons. La garnison se composait de quelques gentilshommes, d’une population démoralisée par l’anarchie et jetée dans la guerre civile, puis, enfin, de véritables bandits. Ces Bourguignons accueillirent le prince au passage, ainsi que sa troupe, par des plaisanteries injurieuses. Ils refusèrent de reconnaître son autorité. Le siège fut aussitôt résolu, et cette bicoque, prise d’assaut. Après la victoire, le capitaine d’Azay eut la tête tranchée. La forteresse fut démolie. Deux ou trois cents individus, parmi lesquels on n’épargna ni les femmes ni les enfants, périrent par la corde ou par l’épée[20].

Le régent poursuivit sa route en traversant Romorantin et Gereau, jusqu’à Sully. Le seigneur de ce château fort était un des grands barons de. France, destiné à jouer son rôle, aux premiers rangs, dans les événements de cette histoire.

Georges de la Trimouille, baron de Sully, avait tenu jusque-là le parti de la reine, ou mieux le parti de Bourgogne. Une querelle d’intérêts, toute personnelle, existait entre lui et Gouge de Charpaignes, évêque de Clermont.

Georges de la Trimouille prétendait avoir à se plaindre de ce personnage, précédemment chancelier de Louis dauphin, duc de Guyenne, et, de plus, exécuteur testamentaire de Jean, duc de Berry. Lors de l’invasion bourguignonne, à Paris, l’évêque se vit poursuivi comme armagnac. Il s’enfuit de cette capitale (juin 1418), à grand’peine, sous un déguisement, et se dirigea vers Bourges, en vue d’y rallier le dauphin. Mais, arrivé sous les murs de Gergeau, il fut reconnu par les gens de la Trimouille, qui le fit arrêter de son autorité privée, et le détint dans les prisons de son château de Sully[21].

Durant plusieurs mois, le prélat, réduit à une dure captivité, fit entendre aux oreilles de la Trimouille de vaines réclamations. Vainement il se recommanda auprès du dauphin, lieutenant-général, des ministres les plus familiers de ce prince, avec lesquels il avait toujours entretenu les rapports d’une étroite et intime amitié. La Trimouille ne consentait à relâcher son prisonnier que contre une forte rançon[22].

Enfin les instances de Jean de Torsay, grand-maître des arbalétriers du régent, et de Tanguy Duchâtel, maréchal de ses guerres, déterminèrent ce prince à prendre en main la cause de l’évêque[23].

Le 15 novembre, Charles, régent de France, assisté de Philippe d’Orléans, comte de Vertus, vint mettre le siége devant le château de Sully. Georges de la Trimouille fut sommé de rendre le prisonnier et de reconnaître le parti ou l’autorité du dauphin. Le sire de Sully remit en liberté l’évêque de Clermont. Il promit également de se rallier à la bannière du prince Charles. Mais il n’en conserva pas moins, dès lors et toute sa vie, un pied solidement établi dans le camp du duc de Bourgogne[24].

Vainqueur de la Trimouille, le dauphin se dirigea vers Tours et posa le siége devant cette ville le 26 novembre[25]. Charles Labbé, capitaine du château, assisté de Jacques, sire de Monberon, défendait cette place pour le duc de Bourgogne. Le régent avait à ses côtés, pour le seconder dans son expédition, Louis III, duc d’Anjou ; le comte de Vertus ; Jacques de Bourbon, seigneur de Préaux ; Jean de Blois, seigneur de Laigle et comte de Penthièvre ; Louis de Chàlon, comte de Tonnerre ; le maréchal de Rieux, dit de Rochefort ; Jean de Torsay, maître des arbalétriers ; les sires de Barbazan, de Montenay, de Mortemar, et enfin Jean Louvet, président de Provence[26].

Après une résistance de cinq semaines, le capitaine bourguignon consentit à capituler, moyennant une somme de quatorze mille livres, qui lui fut remise par le trésorier du régent. Il obtint aussi la châtellenie de Montreuil-Bonnin en Poitou. À ces conditions, il céda la place aux assaillants par traité du 30 décembre et se rangea dès lors au parti du dauphin[27].

Le gouvernement du prince Charles, placé dans des circonstances très difficiles, déployait, comme on voit, une énergie remarquable. Tanguy Duchâtel, l’âme du mouvement et de la guerre, était partout. Écrasé par des circonstances majeures, il luttait avec intrépidité ; faisant face à la fois au Bourguignon et à l’Anglais. Durant le même temps, Jean sans Peur, acclamé par la faveur populaire et maître du gouvernement, jouait un autre rôle. Le roi et la reine Isabeau ne quittaient point ses cotés ; et, muni de ces deux gages, il continuait à faire régner souverainement sa volonté. Le 3 novembre 1418, il fit révoquer, par l’officialité de Paris, la sentence d’excommunication qui l’avait frappé l’année précédente. Les larges émoluments s’accroissaient toujours entre ses mains. Cependant lai détresse générale était extrême. L’épidémie décimait Paris et ses environs. En octobre 1418, le duc de Bourgogne frappa, au sein de la capitale, une nouvelle aide extraordinaire sur les vins, en dépit de ses fameuses et solennelles protestations touchant cette matière. Le 25 juillet 1419, Jean sans Peur, avec une impudence audacieuse, se fit adjuger par lettres du roi, c’est-à-dire par lui-même, la possession, litigieuse jusque-là[28], du comté de Tonnerre[29].

Plein de sollicitude pour ses intérêts propres, Jean sans Peur n’avait pas encore croisé le fer contre l’Anglais. De vaines et pompeuses paroles, des démonstrations inefficaces et dérisoires, voilà tout ce que le royaume en péril obtint de son dévouement. Rouen venait de succomber. Une fois la métropole placée sous le joug, Henri V eut promptement raison de la province entière. Vernon, plantes, la Roche-Guyon, subirent, peu de temps après, le même sort que Rouen[30].

La Roche-Guyon, du moins, ne fut point livrée ; elle fut défendue par une femme. Perrette de la Rivière, dame de la Roche-Guyon, était une veuve d’Azincourt. Guyon de la Roche, son mari, avait péri en 1415 sur ce champ de bataille, en combattant les Anglais. Vers le mois de février 1419, Guy le Bouteillier, auxiliaire de Warwick, vint mettre le siége devant le château de la Roche-Guyon (près Mantes). La noble veuve s’enferma dans la place, pourvut ‘à la défense et refusa, de se rendre jusqu’à ce que Guy le Bouteillier, ayant miné la citadelle, se disposât à la faire sauter.

En cette extrémité, la dame de la Rivière, capitula[31].

Henri V fit don du château de la Roche à Guy le Bouteillier. Il proposa en même temps à la veuve d’épouser ce capitaine. Le roi d’Angleterre lui promit également ses bonnes grâces, si elle consentait à reconnaître son autorité. Perrette de la Rivière repoussa ce mariage et le serinent de fidélité à l’Anglais. La dame de la Roche-Guyon sortit de son château, pauvre et dénuée, accompagnée de ses trois jeunes enfants. Elle se rendit ainsi auprès du prince Charles, qui, pour elle, représentait le devoir, la patrie et l’honneur[32].

 

 

 



[1] Vers 1434, un de ses conseillers osait lui écrire : Vous vouiez toujours être caché en châteaux, méchantes places et manières de petites chambrettes, sans vous montrer et ouïr les plaintes de votre pauvre peuple. (Ms. S. G. fr., n° 352, f° 74.)

[2] Itinéraire manuscrit. Ordonnances, t. X, p. 455.

[3] Fénin Dupont, p. 274 à 280.

[4] Cabinet des titres : Foix. D. Vaissète, t. IV, p. 947.

[5] Dom Housseau, t. IX. n° 3825, 3826 et 3833.

[6] Godefroy Berry, p. 435, 796, etc., etc. — Du Châtel peut être considéré comme ayant été, dès lors, le véritable généralissime du dauphin Charles. Le dauphin prétendant et pendant longtemps le roi Charles VII, n’eut qu’un seul port militaire : la Rochelle ; une seule porte d’entrée et de sortie maritime pour le royaume ! Le 7 mars 1419, Du Châtel fut nommé capitaine de la Rochelle. (Arcère, Histoire de la Rochelle, 1756, in-4°, t. II, p. 563.)

[7] Actes de Bretagne, t. II, p. 983. Histoire de Bretagne, t. I, p. 466. Ursins Godefroy, p. 356.

[8] Monstrelet, t. III, p. 263. Journal de Paris (Panthéon), p. 633. L’hôtel de Bourbon était situé prés Saint-Germain l’Auxerrois.

[9] Vers août, septembre 1418, le roi donne à Madame Marie d’Anjou..... 200 écus d’or pour employer en l’achat d’un livre, à la dévotion de la dite dame. (Ms. s. fr., n° 292, t. II, p. 792.)

[10] Même Ms. p. 802 et 804. Monstrelet, ibid., p. 292. Ursins Godefroy, p. 356, Berry, p. 435 et 436. Cousinot, p. 174. Actes de Bretagne, col. 063, 1090. Histoire de Bretagne, t. I, p. 466 et 487. K. K. 243, f° 50.

[11] Ibid. Fénin Dupont, p. 211.

[12] Religieux, t. VI, p. 291. D. Morice, p. 466. K. 50, n° 20.

[13] Religieux. Cousinot, chap. 168.

[14] Ordonnances, t. X, p. 477 et 451. Premier registre du parlement de Poitiers : X. X. 10, 095, f° 1.

[15] Par lettres du 6 mars 1422, la cour des comptes, qui fonctionnait antérieurement à Tours, fut transportée de cette ville à Bourges. (P. P. 2298. Mémorial H. Bourges, f° 5.)

Note complémentaire. — Par mandement donné à Issoudun en 1418, la cour des monnaies fut transférée à Bourges. (Ms. Brienne, 148, f° 123.) Le 23 mars 1426 (n. s.), lettres données à Montluçon. Le roi ordonnance une somme de 100 francs, pour mettre à point, en notre palais de Poitiers, une chambre pour y tenir la court et juridiction du fait des aides et pour banc, buffet, fourmes et autres abillements à ce necessaires. (Ms. Gaiggières, 649, 5, f° 23).

[16] H. Martin, Histoire de France, t. V, p. 189. Du Tillet, Recueil, etc., p. 204. Rymer, Fœdera, t. IV, partie III, p. 67.

[17] Dès les premiers temps de la monarchie, on avait vu les fils de roi institués rois du vivant de leur père.

[18] Anselme, Histoire généalogique, 1730, t. VI, p. 305. Ordonnances, t. X, p. 489.

[19] D. Housseau, n° 3828 et 3829.

[20] Ceux qui étoient dedans commencèrent à crier : C’est le demeurant des petits pastez de Paris, (J. des Ursins, 354.) Ce qui signifiait : Nous vous réservons ici le complément de l’accueil que les Bourguignons vous ont fait à Paris en juin. Cousinot, p. 172, chapitre 165.

[21] Bollandistes, juillet, t. I, p. 617. Biographie Didot aux mots Gouge et La Trimouille.

[22] Le seigneur de Sully était appuyé, sous main, par son allié le duc de Bourgogne. Au mois de septembre 1418, les ambassadeurs qui reconduisaient la dauphine vers le prince Charles, avaient en même temps pour instructions de s’aboucher pendant le voyage, avec Messeigneurs de la Trimouille et de Parthenay, pour affaires secrètes au service du roi. (Ms. s. fr. 292, t. II, p. 802.) Ces deux seigneurs étaient en guerre avec le dauphin.

[23] Berry, dans Godefroy, p. 436. Ursins, p. 355.

[24] Rymer, t. IV, partie III, p. 76. Cousinot, chap. 164 et 169.

[25] Un politique du temps composa le quatrain qui suit, au sujet de la paix et du siége de Tours :

Je soutiendrai devant tous

Que la pès vaut mieux que Tours :

Je veil soutenir qui qu’en grogne

Que pès vault mieux que Bourgogne. (Ms. 9656, f° 61).

[26] Cagny, chap. 69. Dom Housseau, n° 3826. Godefroy, Charles VI, p. 355, 408 et 436. Monstrelet, t. III, p. 292. V. Luzarche, Lettres de Tours, 1861, p. 8, 23 etc.

[27] Ibid. Raoulet, p. 164. Actes de Bretagne, t. II, colonnes 989, 991.

[28] Les comtés de Tonnerre et d’Auxerre appartenaient à Louis de Chàlon, qui avait combattu devant Tours et suivait le parti du dauphin. Les lettres royales, rendues pour adjuger au duc le comté de Tonnerre, contiennent cette clause : Lequel fief de Tonnerre est mouvant de nous (le roi de France) à cause de notre comté d’Auxerre ; mensonge grossier (ajoutent les savants auteurs de l’Art de vérifier les dates), mensonge grossier dicté par le duc Jean. (Édition in-8°, t. II, p. 271.)

[29] X. X. 1480, f° 149à 153. Religieux, t. VI, p. 301. Monstrelet, t. III, p. 287. Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 793, et t. IV (preuves), p. 573 b. Ordonnances, X, 482, 485 ; XI, 16.

[30] Religieux, t. VI, p. 311. Monstrelet, t. III, p. 337. P. Cochon, p. 437. Fénin-Dupont, p. 104.

[31] Le 6 avril 1419. Chronique de Normandie, f° 174. La place fut, rendue le 1er mai. Elmbam, Vita Henrici V, p. 212.

[32] Biographie Didot, article La Rivière (Perrette de). Voy. aussi Rymer, t. IV, au 20 janvier 1419.