L'HOMME AU MASQUE DE FER

 

CHAPITRE XXII.

 

 

Les îles Sainte-Marguerite. — Leur aspect, leur passé. — Causes diverses de leur célébrité. — Comment j'ai été amené à supposer que Matthioly n'a pas été conduit par Saint-Mars à Exiles. — Documents qui établissent qu'il a été laissé à Pignerol. — Obscurité des deux prisonniers transférés par Saint-Mars à Exiles. — On ne saurait voir en aucun d'eux l'homme au masque de fer. — Envoi aux îles Sainte-Marguerite des prisonniers de Pignerol.

 

De chaque côté de Cannes, la côte de Provence décrit une légère courbe formant deux golfes, celui de la Napoule et celui de Jouan, séparés par la pointe de la Croisette[1]. Devant cette pointe, et à quinze cents mètres de la plage, s'élèvent deux îles placées l'une devant l'autre comme deux sentinelles avancées, et qui se protègent mutuellement. La nature les a entourées de rochers et de récifs qui en rendent l'approche assez dangereuse. Toutes deux d'une forme allongée, elles s'étendent de l'est à l'ouest, et la plus voisine de la côte est aussi de beaucoup la plus grande. Comme elles sont couvertes d'un grand nombre de pins, la vue y est bornée ; mais si l'on se place sur une des tours qui dominent la .plus grande, l'on aperçoit le plus admirable, le plus éblouissant des tableaux. De tous côtés une merveilleuse profusion de lumière ; devant soi, Cannes et ses élégantes villas baignées par la mer ; plus loin le splendide bassin de Grasse, avec ses collines d'oliviers, ses verts mamelons et sa végétation luxuriante ; à gauche la longue chaîne de l'Esterel, aux contours brusques et variés ; à droite les Alpes maritimes, élevant jusqu'au ciel leurs sommets neigeux que le soleil fait resplendir ; et tout au fond, un entassement de sauvages montagnes, de gigantesques rochers qui forment avec ce site privilégié un puissant contraste, et lui fournissent, en même temps qu'un abri sûr, le cadre le plus pittoresque.

Ces deux îles, si bien placées pour l'ornement de ces lieux incomparables, ne participent point à la vie, au mouvement de ce qui les entoure. Généralement incultes[2], habitées seulement par la garnison et par quelques familles de pêcheurs, coupées çà et là par d'anciens marais salants, à l'aspect triste et monotone, on dirait qu'elles appartiennent entièrement au passé. Tout est recueillement et poésie sur ces rivages tranquilles. La rêverie y est naturelle et facile, car rien ne vient troubler les grands souvenirs qu'on y évoque, et auxquels ont une égale part la légende et l'histoire. Tour à tour les Romains les ont occupées ; de pieux solitaires s'y sont fixés ; les Sarrasins les ont envahies, les Espagnols saccagées[3]. Là, dès le commencement du cinquième siècle, saint Honorat a fondé un monastère, longtemps le plus célèbre des Gaules, où se sont formés à la vertu et à la science des milliers d'apôtres dont quelques-uns furent de grands évêques et plusieurs des martyrs[4]. Partout, sur cette terre du passé, on découvre des vestiges d'anciens établissements[5] et des traces de dévastation sauvage. Partout les souvenirs incertains et poétiques conservés par la tradition viennent se mêler aux événements incontestés de notre histoire. Ici, dans la plus petite des deux îles, autrefois nommée l'Île des Saints, on montre encore le puits intarissable que, selon la légende, saint Honorat fit creuser, et d'où sortit miraculeusement l'eau douce sur une plage salée et aride qui jusqu'à lui en avait été privée. Il n'y a pas longtemps, on faisait voir la place où le saint, monté sur un arbre élevé, échappa à l'envahissement des eaux qu'il avait appelées par ses prières, et qui, en se retirant ensuite, entraînèrent avec elles les serpents dont les îles étaient infestées. Là encore s'arrêta François Ier, prisonnier des Espagnols après la funeste bataille de Pavie, et c'est la dernière terre française que l'infortuné monarque ait foulée aux pieds au moment de commencer sa rigoureuse détention. C'est là enfin, — souvenir à la fois triste et glorieux — que le prince Eugène et le duc de Savoie envahissant le midi de la France, et marchant sur Cannes, puis sur Toulon, par la route qui longe la mer, rencontrèrent la résistance la plus opiniâtre[6]. C'est de là que partirent les boulets qui, en retardant la marche de l'ennemi, laissèrent à Toulon le temps de préparer sa défense ; et, après l'insuccès du siège, au retour, c'est de là encore que l'on contraignit les Allemands et les Piémontais à quitter le bord de la mer, et, en se retirant dans les collines et les montagnes, à aller tomber sous les coups multipliés des énergiques paysans de la Provence !

Telles sont les deux îles, désignées par le nom commun d'îles de Lérins, mais plus connues sous celui d'îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, où abondent les vestiges les plus divers, mais qu'a surtout rendues à jamais fameuses le séjour de l'Homme au masque de fer. Tels sont les lieux qu'on ne peut visiter, dont on ne peut prononcer le nom ni évoquer le souvenir sans qu'aussitôt viennent s'y mêler le nom, le souvenir du prisonnier mystérieux détenu dans la plus grande des deux îles, celle de Sainte-Marguerite. Soit qu'on adopte la tradition qui représente l'homme masqué amené à Saint-Mars dans cette île[7], soit qu'on pense qu'il y a été conduit par Saint-Mars lui-même, il est incontestable que c'est de là qu'en 1698 le geôlier et son captif sont partis, entreprenant ce voyage mystérieusement poursuivi à travers la France, accompli en excitant partout un curieux étonnement, ayant Villeneuve-le-Roi pour étape principale, et pour terme la Bastille. Il est non moins certain — et le journal irrécusable de Dujonca[8] en fait foi — que le personnage conduit à Paris par Saint-Mars dans sa litière, était un ancien prisonnier qu'il avait à Pignerol.

Quel était ce prisonnier ?

Il n'existe nulle part, on le pense bien, un dossier de l'Homme au masque de fer. Louis XIV avait un trop grand intérêt à entourer d'incertitude et d'obscurité ce personnage, pour qu'il se soit complu à réunir et à laisser des preuves certaines de son identité. Cet intérêt à dissimuler l'existence de ce captif était, nous le verrons, beaucoup plus grand au moment de son transport à la Bastille. Aussi son nom réel disparaît-il presque entièrement, et se contente-t-on de l'y appeler le prisonnier de Provence. C'est donc bien avant l'époque de cette translation qu'il faut remonter pour établir quel il est, et encore ne peut-on le faire que par la comparaison de très-nombreuses dépêches dont aucune ne fournit isolément une preuve irrécusable, mais dont le rapprochement, et les déductions logiques que l'on en tire, conduisent à une certitude absolue. Aussi demandons-nous, maintenant surtout, à nos lecteurs une attention soutenue et incessante.

Nous avons terminé le chapitre qui précède en constatant que M. Jules Loiseleur a prononcé le jugement définitif sur la question de l'Homme au masque de fer, et nous mettons au défi tout lecteur attentif d'étudier son travail sans être persuadé qu'on ne résoudra jamais le problème. Mais M. Loiseleur a fait sa judicieuse enquête, seulement sur les pièces publiées jusqu'à ce jour. Ses démonstrations, a dit un critique[9], si claires, si lumineuses, si péremptoires, ont épuisé la question, et, à moins de documents nouveaux, les esprits sérieux n'y reviendront plus. Ce sont ces documents nouveaux que je vais introduire dans le débat. Voici comment j'ai été amené à en supposer, puis à en constater le premier l'existence.

Une dépêche inédite, adressée par Louvois à Saint-Mars, le 5 janvier 1682, est ainsi conçue :

J'ai reçu votre lettre du 28 du mois passé. Vous ne sçavez ce qui vous est bon, quand vous demandez à changer le gouvernement d'Exiles, contre le commandement du château de Casal qui ne vaudra que deux mille livres d'appointements. Ainsi je ne vous conseille pas d'y songer 2[10].

Tout d'abord cette dépêche paraît assez insignifiante. Elle ne semble fournir qu'une preuve de plus du bienveillant intérêt de Louvois à l'égard de Saint-Mars, intérêt qui avait sa source dans la vive affection du ministre pour madame Dufresnoy, sa maîtresse, belle-sœur de Saint-Mars, et aussi, une cause plus légitime, dans le dévouement absolu, dans la fidélité éprouvée du geôlier de Fouquet et de Lauzun. Toutefois, en la relisant, je me suis demandé comment Saint-Mars pouvait songer, Matthioly étant un de ses prisonniers, à solliciter son envoi à Casal, dans une place toute italienne, toute mantouane encore, et où Matthioly aurait certainement réussi, sinon à fuir — nous savons que les prisonniers de Saint-Mars ne pouvaient guère nourrir cette espérance —, tout au moins à transmettre de ses nouvelles et à révéler sa situation. Or le seul motif du refus de Louvois est, on vient de le voir, la modicité des appointements accordés au commandant de Casal. Si Saint-Mars, par impossible, avait méconnu le danger de la présence de Matthioly à Casal, même comme prisonnier, il est indubitable que Louvois, circonspect par nature — et ici c'eût été un devoir —, l'aurait rappelé à plus de prudence et lui aurait écrit à peu près en ces termes : Je m'étonne que vous ayez formé le projet de vous transporter à Casal. Il faut y renoncer absolument. Tout au contraire, Louvois ne trouve à ce projet d'autre inconvénient que celui de l'infériorité du traitement attaché aux fonctions de Casal, et il termine par ces mots : Je ne vous conseille pas d'y songer. C'est l'ami plein de sollicitude qui parle, et non pas le ministre repoussant avec énergie une proposition si contraire aux intérêts qui lui sont confiés.

C'est cette dépêche qui, la première, m'a inspiré la pensée que, contrairement à l'opinion adoptée jusqu'à ce jour, Matthioly n'a pas été emmené par Saint-Mars de Pignerol à Exiles. Ce n'était encore, il est vrai, qu'une présomption bien faible et que détruisaient les preuves, en apparence irrécusables, qui ont été acceptées jusqu'ici. Nous avons vu en effet que Matthioly, peu de temps après son arrestation, a été placé avec le moine jacobin dans la tour d'en bas à Pignerol, et ce sont les prisonniers, dits de la tour d'en bas, que Saint-Mars a reçu l'ordre de conduire à Exiles. La dépêche de Louvois du 8 juin 1681[11] se termine par ces mots : A l'esgard des hardes que vous avez au sieur Matthioly, vous n'avez qu'à les faire porter à Exiles pour les luy pouvoir rendre si jamais Sa Majesté ordonnait qu'il fût mis en liberté. Cette phrase est catégorique, et a naturellement confirmé chacun dans l'opinion du transport de Matthioly à Exiles. Mais le doute, que m'avait fait concevoir la dépêche du 5 janvier 1682, s'est changé en certitude, lorsque j'ai lu la lettre suivante écrite par Saint-Mars le 25 juin 1681, et qui se trouve en minute parmi les manuscrits d'Estrades à la Bibliothèque impériale :

M. DE SAINT-MARS À L'ABBÉ D'ESTRADES.

25 juin 1681.

Monsieur, je ne mériterais pas votre pardon si j'avais été assuré d'avoir le gouvernement d'Exiles sans me donner l'honneur de vous en faire part, et outre le respect que j'ai pour vous, monsieur, c'est que je vous suis redevable à un point que je serais un ingrat et un malhonnête homme si, toute ma vie, je ne vous honorais avec la dernière passion et soumission. Comptez sur moi, monsieur, comme sur la personne du monde qui vous est le plus dévouée et acquise pour tout le reste de mes jours de cœur et d'amour à votre service. J'ai reçu hier seulement mes provisions de gouverneur d'Exiles avec deux mille livres d'appointements ; l'on m'y conserve ma compagnie franche et deux de mes lieutenants, et j'aurai en garde deux merles que j'ai ici, lesquels n'ont point d'autres noms que messieurs de la tour d'en bas ; Matthioli restera ici avec deux autres prisonniers. Un de mes lieutenants, nommé Villebois, les gardera, et il a un brevet pour commander en mon absence à la citadelle ou au donjon, jusqu'à ce que M. de Rissan revienne, ou que S. M. ait pourvu à cette lieutenance du Roi à quelque autre personne qu'elle nommera. L'on a donné au chevalier de Saint-Martin la majorité de Montlouis avec sept cents écus d'appointement, et à Blainvilliers, son camarade, celle de la citadelle de Metz, avec autant de revenus. Je ne crois pas partir d'ici que devers la fin du mois qui vient ; je pourrais bien y aller de temps à autre pour y faire quelques réparations nécessaires pour le bien du service, j'ai tous mes ordres pour m'en aller dans cet exil-là quand je jugerai à propos ; mais, comme rien ne presse, et qu'il me faudra établir en ce lieu-là pour y passer l'hiver avec toute ma famille et les ours, il faudra du temps pour m'y accomoder tout le mieux que je pourrai. Ce qui me console et me donne de la joie, c'est que j'aurai l'honneur d'être voisin des États de leurs Altesses Royales, auxquelles je suis autant redevable que très-respectueux et soumis serviteur.

 

Matthioly n'est donc pas le prisonnier qui, dans les premiers jours de janvier 1687, est mort à Exiles[12]. Matthioly a donc été laissé à Pignerol où nous le retrouverons tout à l'heure, confié à la garde du sieur de Villebois. Louis XIV a eu d'abord la pensée de le faire transporter à Exiles, ainsi que le prouve la dépêche de Louvois, du 9 juin 1681, dont nous venons de citer la dernière phrase. Mais il est non moins certain que ce premier projet a été abandonné et que Matthioly a été maintenu à Pignerol.

Ce n'est point là la seule signification remarquable de la lettre de Saint-Mars. J'aurai en garde deux merles, écrit-il. Or déjà, et de nos jours, le mot merle ainsi employé ne saurait s'appliquer qu'à des personnes vulgaires, insignifiantes, et ayant aussi peu de notoriété que d'importance. C'est pourtant parmi ces deux merles que jusqu'ici on a vu l'Homme au masque de fer. Dira-t-on qu'une seule preuve ne suffit pas pour établir l'entière obscurité de ces deux prisonniers de Saint-Mars ? Mais elle résulte aussi, et jusqu'à l'évidence, de tout ce que nous avons dit du traitement dont étaient l'objet les prisonniers de Saint-Mars à Pignerol, à l'exception de Fouquet, de Lauzun et de Matthioly[13]. Veut-on de nouveaux témoignages ? Vous pouvez faire habiller vos prisonniers, écrit, le 14 décembre 1681, Louvois à Saint-Mars établi à Exiles. Mais il faut que les habits durent trois ou quatre ans à ces sortes de gens-là[14]. Comme toujours, les ordres du ministre furent ponctuellement exécutés par son représentant, car, lorsque Saint-Mars quitta Exiles pour se rendre aux îles Sainte-Marguerite, il écrivait à Versailles que le lit du prisonnier — encore vivant en 1687, nous avons vu précédemment que l'un des deux mourut dans les premiers jours de janvier 1687 — était si vieux et rompu, que tout ce dont il se servait, tant linge de table que meubles, ne valait pas la peine d'être emporté, et avait été vendu treize escus[15]. Assurément, si c'est l'Homme au masque de fer, et surtout s'il a eu pour le linge fin ce goût délicat dont on a tant parlé, il lui a été bien difficile de le satisfaire.

Saint-Mars arrive aux îles Sainte-Marguerite qui, jusqu'à ce moment, n'avaient pas reçu la destination, qu'elles ont encore, de prison d'État[16]. Il fait construire, selon les ordres de Louvois, de nouveaux bâtiments où il reçoit tour à tour divers prisonniers, surtout des ministres protestants[17]. L'attitude du geôlier change-t-elle à cette époque ? Est-ce alors que nous trouvons trace de ces égards constatés à satiété, et qui sont un des traits caractéristiques de l'histoire de l'homme masqué ? La dépêche suivante[18] va nous fournir une réponse :

BARBEZIEUX À SAINT-MARS.

Au camp devant Namur, ce 29 juin 1692.

J'ay receu vostre lettre du 4 de ce mois. Lors, qu'il y aura quelques-uns des prisonniers confiés à votre garde qui ne feront pas ce que vous leur ordonnerez ou qui feront les mutins, vous n'avez qu'à les — il y avait : fouailler malhonnestement et les — punir comme vous le jugerez à propos.

 

On a dit et répété sans cesse que Saint-Mars ne s'est jamais éloigné du fameux prisonnier depuis l'instant où il a été chargé de sa garde. C'est là encore•un des traits qui caractérisent le mystérieux détenu, et l'on s'est toujours représenté ces deux hommes en quelque sorte prisonniers l'un de l'autre. Trouvons-nous au moins, soit à Exiles, soit dans les premières années du séjour aux îles Sainte-Marguerite, celte significative particularité ? On va en juger :

LOUVOIS À SAINT-MARS.

14 décembre 1681.

Rien ne vous peut empescher d'aller à Casal de temps en temps pour voir monsieur Catinat.

 

LOUVOIS À SAINT-MARS.

22 décembre 1681.

S. M. ne trouvera point mauvais que vous descouchiez d'Exiles pour une nuit, quand vous voudrez vous aller promener dans le voysinage.

 

L'ABBÉ D'ESTRADES À POMPONNE[19].

Turin, 9 janvier 1682.

Monsieur de Saint-Mars est à Turin depuis hier. Il me fit l'honneur il y a quelque temps, lorsqu'il y passa, de loger chez moi[20]. Mais cette fois M. de Masin a eu la préférence.

 

LOUVOIS À SAINT-MARS.

18 avril 1682.

Le roy ne trouvera point mauvais que vous alliez faire la révérence à M. le duc de Savoye.

 

LOUVOIS À SAINT-MARS.

7 mars 1685.

Le roy veut que vous alliez prendre l'air dans le lieu que vous jugerez le plus convenable à votre santé.

 

LOUVOIS À SAINT-MARS.

20 mars 1685

Madame de Saint-Mars m'ayant dit que vous désiriez aller aux bains d'Aix-en-Savoie, j'en ay rendu compte au roy, et S. M. m'a commandé de vous faire scavoir qu'elle veut bien vous accorder la permission de vous absenter d'Exiles pour cet effet durant quinze jours ou trois semaines.

 

LOUVOIS À SAINT-MARS.

5 juillet 1688. (Il était déjà aux îles Sainte-Marguerite.)

Le roy trouve bon que vous vous absentiez de la place, où vous commandez, deux jours par mois, et que vous alliez faire une honnêteté au gouverneur de Nice pour la visite qu'il vous a rendue[21].

 

Ainsi, sauf les précautions prises pour empêcher une évasion, et nous avons vu qu'elles étaient prescrites à Saint-Mars de la même manière, sous la même forme et avec une égale abondance de recommandations minutieuses pour tous les détenus, quels qu'ils fussent, même pour cet Eustache d'Auger dont on fera un domestique de Fouquet, sauf, dis-je, ces précautions nécessaires, quoique exagérées par les scrupules de Saint-Mars, nous ne trouvons dans ces deux détenus aucun des caractères essentiels de l'Homme au masque de fer. Non pas certes que nous acceptions tout ce dont l'a orné la légende. Mais, si amoindri que l'histoire exacte le représente, peut-on, en vérité le reconnaître dans un de ces deux hommes[22] nommés merles par Saint-Mars, ces sortes de gens par Louvois, traités comme nous l'avons vu, dont les effets, le linge et les meubles ont une valeur totale de treize écus, et que leur gardien reçoit l'autorisation de quitter si fréquemment et pour des laps de temps assez longs ?

Mais voici un autre résultat de nos recherches, tout aussi inconnu jusqu'ici que celui qui vient d'être exposé.

Saint-Mars est aux îles Sainte-Marguerite, qu'il ne se fait aucun scrupule de quitter de loin en loin. Tout à coup, le 26 février 1694, le ministre lui annonce la prochaine arrivée aux îles de trois prisonniers d'État qui se trouvent dans le donjon de Pignerol. Il lui demande s'il a des lieux sûrs pour les enfermer et lui prescrit de faire les préparatifs, les -réparations, les dispositions nécessaires pour se mettre en état de les recevoir[23]. Dans une autre lettre, du 20 mars suivant, Barbezieux ajoute ces mots dont il est superflu de signaler l'importance capitale : Vous savez en effet qu'ils sont de plus de conséquence, au moins un, que ceux qui sont présentement aux îles, et vous devez ; préférablement à eux, les mettre dans les prisons les plus sûres2[24]. Puis il lui ordonne de faire préparer les meubles et vaisselles qui seront nécessaires à leur usage, et lui recommande que les ouvrages, qu'il faudra faire à leur occasion, ne manquent point à leur arrivée. Par le même courrier, il lui envoie quinze cents livres pour parer aux premières dépenses.

Quelques jours après, en effet, arrivaient aux lies Sainte-Marguerite, entourés d'une très-forte escorte, conduits par le commandant du donjon de Pignerol qui seul leur donnait à manger[25], guidés par deux hommes sûrs envoyés au-devant d'eux par le gouverneur, trois prisonniers parmi lesquels, nous allons le voir, se trouvait celui que Saint-Mars, quelques années après, emmènera à la Bastille.

 

NOTE

Cette lettre et plusieurs autres qui se trouvent dans le même fonds sont une preuve de l'amitié qui s'était formée entre Saint-Mars et l'abbé d'Estrades.

Monsieur de Catinat, lisons-nous dans une lettre de Saint-Mars à l'abbé d'Estrades du 27 septembre 1681, sera le 1er du mois prochain gouverneur de la citadelle que vous avez fait avoir au roi. Il s'agit de Casal, et ces mots suffiraient à prouver, ce qu'attestait déjà le rôle actif joué par Saint-Mars avec Catinat en 1679, que Saint-Mars avait été mis au courant de toutes les péripéties des deux' négociations. Donc, ainsi que nous l'avons déjà montré dans le chapitre qui précède, la fameuse phrase de la dépêche de Louvois à Saint-Mars, du 15 août 1681 : Le roy ayant ordonné à monsieur de Catinat de se rendre au premier jour à Pignerol pour la mesme affaire qui l'y avait mené au commencement de l'année 1679 n'a et ne peut avoir qu'un sens, à savoir la prise de possession de Casal et non l'arrestation d'un nouveau prisonnier.

Mais M. Loiseleur invoque un autre argument pour tenter de prouver qu'un espion obscur aurait été arrêté en 1681 par Catinat. C'est la lettre suivante de Louvois à Saint-Mars, du 20 septembre 1681 : Le roy ne trouve point mauvais que vous alliez voir de temps en temps le dernier prisonnier que vous avez entre les mains, lorsqu'il sera estably dans sa nouvelle prison et dès qu'il sera parti de celle où vous le tenez. Sa Majesté désire que vous exécutiez l'ordre qu'elle vous a envoyé, etc. Une dépêche de Saint-Mars à Louvois, du 11 mars 1682, parlant de nouveau de deux prisonniers, M. Loiseleur en conclut que, dans l'espace de temps compris entre le 20 septembre 1681 et le 11 mars 1682, un nouveau prisonnier a été remis à Saint-Mars.

Remarquons d'abord que l'espace de temps est bien plus limité encore. M. Loiseleur ne s'est servi que des pièces publiées jusqu'à ce jour. Mais, dès le 18 novembre 1681, Louvois, dans une dépêche jusqu'ici inédite, parle à Saint-Mars de ses prisonniers : Le roy approuve que vous choisissiez un médecin pour traiter vos prisonniers et que vous vous serviez du sieur Vignon pour les confesser une fois l'an. Ce serait donc entre le 20 septembre et le 18 novembre 1681 qu'un nouveau prisonnier aurait été confié à Saint-Mars. De ce prisonnier, nous l'avons déjà dit dans le chapitre qui précède, de ce prétendu espion, aucune trace nulle part. D'un autre côté, pour que la dépêche du 20 septembre 1681 ait le sens que lui attribue M. Loiseleur, il faut qu'un des deux prisonniers de la tour d'en bas soit mort quelques jours avant le 20 septembre, puisqu'à cette date on ne parle plus que d'un prisonnier. De cette mort, de cette disparition, aucune preuve, aucune trace encore. Ainsi, toute l'argumentation repose sur cette seule dépêche, dont M. Loiseleur non-seulement se sert pour établir qu'un nouveau prisonnier a été confié à Saint-Mars, mais encore d'où il induit qu'un des prisonniers détenus précédemment a disparu.

Cette seule dépêche ainsi isolée et que rien ne vient étayer, serait loin d'être suffisante. Néanmoins, il est essentiel d'en trouver le véritable sens, afin de ne laisser subsister aucun doute dans l'esprit du lecteur, et pour que tout soit clair et net dans notre démonstration. J'avoue avoir passé bien des heures à réfléchir sur cette dépêche que toutes les autres démentent, qui ne s'adapte à rien et qui cependant est authentique et très-exactement reproduite, car je suis allé la relire, et bien des Ibis, en minute aux archives du ministère de la guerre. Aurait-elle le sens que lui attribue M. Loiseleur, qu'elle ne détruirait nullement mes conclusions, puisque les preuves que j'ai fournies de l'obscurité des prisonniers  d'Exiles s'appliquent aussi à ce nouveau prétendu prisonnier amené entre septembre et novembre 1681, et que l'importance majeure des prisonniers conduits plus tard de Pignerol aux îles Sainte-Marguerite, n'en sera pas moins démontrée par les dépêches que nous allons citer. Mais il me répugnait de laisser un seul point obscur, et après de longues réflexions, après avoir longtemps adopté l'opinion de M. Loiseleur, bien que rien en dehors de cette dépêche ne vienne justifier son interprétation, je crois en avoir trouvé le sens véritable.

Le roy ne trouve pas mauvais, porte la dépêche que nous discutons, que vous alliez voir de temps en temps le dernier prisonnier que vous avez entre les mains, lorsqu'il sera estably dans sa nouvelle prison et qu'il sera parti de celle où vous le tenez. J'ai d'abord trouvé fort bizarre qu'un des prisonniers de Saint-Mars allât s'établir sans lui dans sa prison, et rapprochant ce fait des nombreuses dépêches qui prouvent que Saint-Mars avait encore à cette époque, ou tout au moins à une époque fort rapprochée, deux prisonniers, j'ai fini par admettre que le mot prisonnier n'est pas pris ici par Louvois dans son sens ordinaire, niais bien dans un sens figuré. Je me suis alors l'appelé qu'en 1681, comme en 1679, Catinat était à Pignerol traité, en apparence du moins, comme un prisonnier La dépêche suivante, du 6 septembre 1681, adressée par Catinat à Louvois, ne laisse aucun doute à cet égard : Je me fais appeler Guibert (en 1679 nous avons vu qu'il avait pris le nom de Richemont) et j'y suis comme ingénieur qui a été arrêté par ordre du roy, parce que je me retirais avec quantité de plans des places de la frontière de Flandre. M. de Saint-Mars me tient ici prisonnier dans toutes les formes, etc. D'un autre côté, pendant les deux séjours à deux années d'intervalle, de Catinat à Pignerol, il s'était formé entre lui et Saint-Mars une amitié profonde. La dépêche que nous discutons est du 20 septembre 1681. Or, le 28, Catinat devait quitter et quitta en effet Pignerol, et le 1er octobre fut installé à Casal en qualité de gouverneur. Une expression tout à fait révélatrice se trouve dans une lettre inédite de Saint-Mars à l'abbé d'Estrades, du 27 septembre 1681 : J'ay rendu vostre lettre à M. de Catinat, lequel aura l'honneur d'entrer en commerce avec vous dés qu'il sera estably. Il part demain dimanche avec l'infanterie, et personne n'est plus vostre serviteur que lui. Le 1er du mois prochain, il sera reçu gouverneur de la citadelle que vous avez fait avoir au roy (Casal). — (Bibliothèque impériale, Manuscrits, papiers d'Estrades.) Or, cette même expression dès qu'il sera estably se trouve dans la dépêche de Louvois du 20 septembre que Saint-Mars venait de recevoir au moment où il écrivait sa lettre à d'Estrades.

Mais pourquoi, dira-t-on, Louvois se sert-il des mots dans sa nouvelle prison pour qualifier Casal ? Parce que, sans doute, Catinat n'avait pas laissé ignorer à Louvois combien la perspective d'un séjour monotone à Casal lui était désagréable et qu'il préférait de beaucoup revenir dans l'armée de Flandre. Enfin, le 1er décembre 1681, Louvois écrit à Saint-Mars qui probablement, par excès de scrupule, avait renouvelé sa demande d'autorisation : Rien ne vous peut empescher d'aller à Casal de temps en temps pour voir M. Catinat.

C'est donc de Catinat qu'il s'agit dans la dépêche du 20 septembre 1681, de Catinat, le dernier des prisonniers que Saint-Mars avait encore entre les mains, puisque, depuis le mois de juin, Matthioly avait été confié à Villebois, et que les deux détenus laissés à Saint-Mars étaient deux merles, sans doute déjà conduits par lui à Exiles. C'est de Catinat qu'il s'agit, et cette dépêche ne saurait plus servir de prétexte au système d'après lequel un nouveau prisonnier aurait été arrêté par Catinat en 1681.

 

 

 



[1] Ainsi nommée à cause d'une croix où l'on se rendait autrefois en pèlerinage. (Promenades de Nice, d'Émile Negrin, p. 273.)

[2] L'abbé Alliez, Visite aux îles de Lérins, 1840.

[3] Voyez une très-intéressante Notice sur Cannes et les îles de Lérins, par M. Sardou, Cannes, Robaudy, 1867. Cette notice est pleine d'érudition et reproduit avec exactitude les principaux événements dont cette partie de la Provence a été le théâtre. L'auteur n'a pas fait une compilation, mais une œuvre originale dans laquelle il rectifie, en bien des points essentiels, le P. Papon et autres historiens de la Provence.

[4] Entre autres, outre saint Honorat, saint Aigulfe, saint Hilaire, saint Patrice, saint Capraise, saint Vincent, saint Venance, etc., etc. Voyez la très-remarquable thèse présentée à la Faculté des lettres de Paris par M. l'abbé Goux, professeur au petit séminaire de Toulouse, et ayant pour titre : Lérins au cinquième siècle, Paris, Eug. Belin, 1856. Lire aussi le charmant volume de MM. Girard et Bareste, Cannes et ses environs, Paris, Garnier, 1859.

[5] M. Mérimée, Note d'un voyage dans le midi de la France, p. 256 et suivantes.

[6] Un parlementaire du duc de Savoie vint intimer à M. la Mothe-Guérin, gouverneur des îles, l'ordre de cesser le feu. Le premier, répondit la Mothe-Guérin, qui aura l'audace de venir encore à moi porteur d'une semblable commission, je le ferai pendre à l'instant même. (M. Sardou, ouvrage déjà cité, p. 111.) — C'est sous le feu des îles Sainte-Marguerite, disait plus tard le duc de Savoie, que j'ai mieux connu qu'en aucun antre lieu que j'étais en pays ennemi.

[7] Il est à remarquer que, selon le premier ouvrage qui ait fait mention de l'homme au masque de fer, le prisonnier a été conduit aux îles Sainte-Marguerite et là confié à Saint-Mars. Ce sont les Mémoires secrets pour servir à l'histoire de Perse, dont nous avons reproduit le passage tout entier dans le chapitre VI consacré à l'examen du système Vermandois.

[8] Archives de l'Arsenal. Nous avons reproduit intégralement les pages relatives au prisonnier, dans le chapitre XIII de cette étude.

[9] M. Baudry, Revue de l'instruction publique du 25 juin 1868.

[10] Archives du ministère de la guerre, janvier 1682.

[11] Donnée par Delort, p. 269.

[12] C'est hors de doute maintenant et nous retrouverons d'ailleurs plus tard le nom de Matthioly dans les dépêches de Louvois au commandant du donjon de Pignerol. Quant au témoignage du sieur Souchon que, d'après M. Loiseleur, nous avons indiqué dans le chapitre qui précède, il est assez confus dans les Mémoires d'un voyageur qui se repose (t. II, p. 204-210 de l'édition Bossange) et très-net dans l'ouvrage du P. Papon, mais dans le sens de la mort du domestique et non de Matthioly lui-même. Voici le passage du Voyage littéraire de Provence (p. 148-149 de l'édition de 1780 ; intégralement reproduit : La personne qui servait le prisonnier mourut â Bile Sainte-Marguerite. Le frère de l'officier dont je viens de parler (Souchon, âgé de 79 ans) qui était, pour certaines choses, l'homme de confiance de M. de Saint-Mars, a toujours dit à son fils qu'il avait été prendre le mort â l'heure de minuit dans la prison et qu'il l'avait porté sur ses épaules dans le lieu de la sépulture.

[13] Nous parlerons plus tard du traitement dont Matthioly a été l'objet.

[14] Archives de la guerre, décembre 1681.

[15] Lettre donnée par Delort, p. 284.

[16] En 1633, Richelieu fit construire le fort royal sur la côte septentrionale de l'île Sainte-Marguerite. C'est à l'arrivée de Saint-Mars que furent élevés les bâtiments qui devaient servir à des prisonniers de très-diverses catégories. La lettre inédite qui suit, écrite par N. de Grignan, lieutenant général de Provence, le 29 septembre 1691, prouve que dés avant cette époque l'île Sainte-Marguerite était une prison d'État :

La garde que je fais faire à Canne y a arresté un matelot qu'on croit estre d'Oneglia, qui venait du costé de Gênes par terre et alloit à Toulon, et qui par ses réponses, dans lesquelles il a beaucoup varié, a donné lieu de croire qu'il pouvait avoir esté mis à terre par les galères d'Espagne et estre un espion qui, sous prétexte de porter à Toulon une lettre à un patron de Gênes, pourrait y aller aux nouvelles. On l'a fait passer dans les isles de Sainte-Marguerite.

L. DE GRIGNAN, l. g. de Provence.

Du 29 septembre 1691, à M. de Pontchartrain.

(Archives du ministère dé la marine, Correspondance.)

Cette autre, du 21 juillet 1681, atteste que l'île commençait à être armée pour la défense de la côte :

M. de Saint-Mars, gouverneur des isles de Sainte-Marguerite et de Saint-Honorat de Lérins, me parle de ses vivres qu'il faut qu'il envoye quérir à terre, et des affusts qui manquent à vingt-cinq pièces de canon...

(Lettre du comte de Grignan, lieutenant général de la Provence, du 21 juillet 1691, à M. de Pontchartrain. Archives de la marine, Correspondance.)

[17] La plupart des dépêches relatives aux protestants enfermés aux îles ont été données par Depping dans sa Correspondance administrative sous Louis XIV. La dépêche inédite suivante prouve qu'un seul envoi de ces infortunés en a compris soixante-huit :

Voisin, ministre de la guerre, à la Mothe-Guérin.

Du 21 septembre 1704.

Monsieur, j'ay reçu la lettre que vous m'avez escrite le 10 de ce mois sur la despense que vous avez faicte pour la subsistance de 68 prisonniers de Languedoc qui ont esté envoyés aux isles de Sainte-Marguerite. Adressez-moi un estat de ce qui vous en a cousté par jour pour ces gens-là afin que je puisse vous en faire rembourser et marquez-moi en mesme temps ce que vous voyez qu'il soit raisonnable de vous donner pour chacun par jour. (Archives de la guerre.)

[18] Dépêche inédite de Barbezieux à Saint-Mars, du 29 juin 1692. (Archives du ministère de la guerre.)

[19] Manuscrits de la Bibliothèque impériale, Papiers d'Estrades.

[20] Voir la note en fin de chapitre.

[21] Six dépêches inédites de Louvois à Saint-Mars. (Archives du ministère de la guerre.)

[22] Celui des deux merles qui a été amené aux îles par Saint-Mars est sans doute le moine jacobin, ainsi que le prouve la dépêche suivante : Barbezieux à Saint-Mars. Versailles, le 15 août 1691. — Vostre lettre du 26 de ce mois passé m'a esté rendue. Lorsque vous aurez quelque chose à me mander du prisonnier qui est sous vostre garde depuis vingt ans, je vous prie d'user des mesmes précautions que vous faisiez quand vous les donniez à M. de Louvois. Vingt ans est sans contredit un chiffre rond, et le moine jacobin, étant détenu depuis 1674, avait alors dix-sept ans de captivité. On a donné beaucoup d'importance à cette dépêche, parce que c'était une des très-rares dépêches de cette époque que l'on connût. Mais nous venons de voir que sa valeur diminue beaucoup par la comparaison avec les autres lettres transcrites par nous. La recommandation que Barbezieux y donne est purement de forme, et des prescriptions analogues ont été transmises à Villebois, puis à Laprade, chargés de la garde de Matthioly.

[23] Dépêche inédite de Barbezieux à Saint-Mars, du 26 février 1691. (Archives du ministère de la guerre.)

[24] Dépêche inédite de Barbezieux à Saint-Mars, du 20 mars 1694. (Archives du ministère de la guerre.)

[25] Le roy vous recommande qu'il n'y ait que vous qui leur donniez â manger, comme vous avez fait depuis qu'ils ont été confiés à vos soins. (Dépêche inédite de Barbezieux à M. de la Prade qui, à la mort de Villebois, l'avait remplacé dans le commandement du donjon de Pignerol.)