LOUIS XIII ET RICHELIEU

DEUXIÈME PARTIE

 

LETTRES INÉDITES DE LOUIS XIII À RICHELIEU (1622-1642)

 

 

1622. — Intrigues de cour après la mort de Luynes. — Nouvelle campagne contre les protestants. — Ils sont battus dans l'île de Rié. — Voyage de Louis XIII en Guyenne. — Maladie de Marie de Médicis.

 

A monsieur revenue de Lusson.

Aspremont, (16) avril (1622)[1]

Monsieur l'évesque de Lusson, j'estime que les soings que vous avez de me faire savoir la disposition de la reyne ma mère, ce sont nouvelles que je ne puis apprendre (sans) grand desplaisir, qui seroit plus grand, n'estoit que vous m'asseurez qu'ils ne peult arriver aucun accident fascheux, ce qui me sera à consolation, attendant que j'en scache la guérison entière. Je souhaite que ce soit au retour du marquis de T, que j'envoie pour la visiter de ma part, et luy dire des nouvelles qui la réjouiront, comme aussy tous ceux qui ayment la prospérité de mes affaires, dont vous tenant du nombre, je seray bien ayse que vous en sçachiez le subject, ainsy que j'ay dict audict marquis de T, auquel me remettant, je prie Dieu qu'il vous tienne en sa garde. (Bibliothèque Nationale. Fonds français, t. 3722, fol. 24, n° 49.)(Copie.)

 

Après la mort du connétable de Luynes, ses projets semblaient abandonnés. Marie de Médicis, qui voulait profiter de cet événement pour tenter de reprendre son autorité sur son fils, essayait de le détourner de recommencer la guerre contre les huguenots, espérant de le dominer plus facilement à. Paris que dans les camps. Mais Luynes avait entouré Louis de ses créatures ; Condé, Schomberg, le cardinal de Retz et surtout Bassompierre, désiraient, de leur côté, ramener le roi sur les champs de bataille, bien moins par zèle pour la religion que pour tenir Louis XIII éloigné de Paris et de sa mère, craignant que, s'il restait là, ils ne perdissent de leur autorité ; les catholiques du Midi suppliaient le roi de continuer les hostilités, et le clergé lui offrait un million pour qu'il entreprît le siège de la Rochelle. Cette question fut enfin résolue en faveur de la guerre, au printemps de 1622. Le roi quitta sa capitale, le 20 mars, pour se rendre en Languedoc par Orléans, le Berry et Lyon ; mais, arrivé à Orléans, il changea d'itinéraire, en apprenant l'entreprise de M. de Soubise dans le bas Poitou, et se dirigea sur Nantes, en passant par Blois, Tours et Ancenis. Arrivé à Nantes, il en partit le 12 avril pour aller attaquer les révoltés, qui s'étaient cantonnés dans l'île de Rié, flot entouré par l'Océan et deux petites rivières. La bataille eut lieu le 46. Louis, levé dès minuit, prit toutes ses dispositions pour le combat. Le prince de Condé, le comte de Soissons et le duc de Vendôme commandaient chacun un corps d'armée. Les protestants se défendirent à peine. Le roi qui traversa, à la pointe du jour, avec ses gardes, un gué fort large, qui sépare l'île de Rié de celle de Périé, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, ne trouva aucun ennemi sur l'autre bord pour lui disputer le passage. Dès qu'il fut en présence des révoltés, ils abandonnèrent le terrain et s'enfuirent en désordre. Cette facile victoire ne coûta aucun homme à l'armée royale et fort peu de blessés. Les protestants, au contraire, y perdirent, selon Héroard, plus de trois mille hommes, leurs canons, leurs drapeaux et tous leurs bagages. Cette affaire fut décisive, et Louis XIII put reprendre sans danger le cours de son voyage en Languedoc, en passant par la Guyenne.

A monsieur l'évesque de Lusson.

(Fin d'avril 1622.)

Monsieur l'évesque de Lusson, m'aiant asseuré par vos lettres que la reyne ma mère estoit en bonne disposition, j'avois receu une très-grande joie du recouvrement de sa santé, qui m'a esté de peu de durée, aprenant par vos secondes le changement survenu. Je vous prie d'accompagner mon affection de vos soings près d'elle pour luy faire rendre tous le secours qu'il sera possible, vous asseurant que ne sçauriez me rendre service plus agréable. J'ay bien du regret de n'avoir à présent près de moi que mon premier médecin, ne me pouvant quitter. Je luy envoie celuy de X et me promets que vous ne manquerez point de rendre tous les devoirs que vous jugerez nécessaires ; partant je prie Dieu qu'il vous tienne en sa saincte garde. (Idem, fol. 22, n° 40.)(Copie.)

Nous datons cette lettre de la fin d'avril, car nous supposons que la mention que nous avons trouvée indiquée au bas de ce document a été exactement reproduite par le copiste. Richelieu, dans ses Mémoires, après avoir raconté la défaite de Soubise, ajoute[2] : La reine, après avoir fait rendre grâces à Dieu de ce bon succès, ne perdit pas de temps pour faire connaître ce qui en pouvait arriver, et, pour prévenir semblables inconvénients à l'avenir, elle voulut en diligence joindre le roi pour ne plus l'abandonner, mais elle tomba malade à Nantes. Son mal fut si long et si fâcheux qu'il lui fut impossible, à son grand regret, de penser à autre voyage qu'à celui de Pougues, que le genre de son indisposition requérait par l'avis des médecins. Nous avons vu dans la lettre précédente Louis XIII remercier Richelieu de l'avoir instruit de la maladie de sa mère, et donner en même temps à celle-ci des nouvelles du combat qu'il venait de livrer aux protestants. Il est donc évident que Marie de Médicis était malade avant ce combat, et que Richelieu, ayant probablement oublié cette première indisposition, n'a voulu parler dans ses Mémoires que d'une rechute plus grave qui retint la reine-mère à Pougues-les-Eaux jusqu'au mois d'août. Il est impossible que les choses se soient passées autrement, puisque Héroard nous apprend que Louis XIII ne resta pas à Aspremont. Si cela est, Richelieu n'aurait gardé aucun souvenir de la lettre qu'il écrivit le 14 avril à M. de Puysieux[3], et de celle qu'il dut écrire au roi pour lui apprendre la rechute de sa mère, et à laquelle Louis XIII répond ici, ou peut-être a-t-il voulu éviter de surcharger ses Mémoires d'un fait aussi insignifiant.

 

 

 



[1] Ce document, qui n'est pas daté dans la copie que nous avons trouvée à la Bibliothèque nationale, ne porte, comme nous l'avons indiqué, que la mention : Aspremont, ce avril. Une lettre de Richelieu à M. de Puysieux, conseiller d'État en 1622, datée du 14 avril (Papiers de Richelieu, t. I. p. 709), et une indication du journal d'Héroard nous font placer la lettre que nous donnons ici à la date du 16 avril 1822. En effet, Richelieu apprend à M. de Puysieux le 14 avril que l'indisposition de la reine-mère l'empêche d'accompagner le roi, comme elle le désirerait, et Héroard nous rapporte qu'après la bataille qu'il livra aux protestants, le 16 avril, Louis XIII alla le soir coucher à Aspremont. Cette petite ville du département de la Vendée formait A cette époque un marquisat possédé par une branche de la famille de Rochechouart C'est de là que Louis XIII, en même temps qu'il écrivait à Richelieu, envoyait à sa mère un gentilhomme chargé de lui apprendre les événements heureux de la journée.

[2] Mémoires de Richelieu, liv. XIII, collection Michaud, 2e série, t. VII, p. 264, col. I

[3] Papiers de Richelieu, t. I, p. 709.