L'EUROPE ET LES BOURBONS SOUS LOUIS XIV

AFFAIRES DE ROME. — UNE ÉLECTION EN POLOGNE. — CONFÉRENCES DE GERTRUTDENBERG. — PAIX D'UTRECHT

 

CHAPITRE XIV.

 

 

Heureuse influence de la décision de Philippe V sur les négociations. — Le gouvernement britannique déclare catégoriquement qu'il embrasse d'une manière définitive le parti de la paix. — Ses efforts pour faire suivre sa politique aux Provinces-Unies. — Inutilité de ces efforts. — Sentiments des plénipotentiaires hollandais. — Leur arrogance. — L'abbé de Polignac la réprime. — Bataille de Denain. — Sa véritable portée politique. — Effets de cet événement à Utrecht. — Rixe entre les valets de Ménager et ceux de Rechteren. — Juste réparation exigée par Louis XIV. — Outre la renonciation de Philippe V, Bolingbroke demande celles des ducs de Berry et d'Orléans. — Il désire voir ratifier ces renonciations par les États généraux de France. — Louis XIV s'y refuse. — Rédaction des actes de renonciations. — Voyage de Bolingbroke en France. — Ses entretiens avec le marquis de Torcy. — Les intérêts du duc de Savoie et ceux des électeurs de Cologne et de Bavière sont successivement débattus. — Entrevue de Bolingbroke avec Louis XIV. — Son succès à la cour.

 

La détermination de Philippe V levait le grave obstacle qui avait tout à coup arrêté la marche des négociations[1]. La nouvelle en arriva à Versailles le 8 juin, et, transmise aussitôt à Bolingbroke, elle fut officiellement annoncée par la reine dans le discours qu'elle prononça le 17, à l'ouverture du parlement[2]. Cette communication ayant été accueillie avec enthousiasme par la Chambre des communes, et l'opposition violente des whigs, qu'elle souleva dans la chambre des lords, n'ayant pas entraîné la majorité, la reine, encouragée d'ailleurs par deux adresses qui témoignaient d'une égale confiance et des sentiments les plus pacifiques[3], s'avança résolument dans la voie tracée par Bolingbroke. Le comte de Strafford fut mandé d'Utrecht et vint recevoir, de la bouche même de sa souveraine, des ordres précis et formels. En même temps, le duc d'Ormond, commandant les troupes anglaises en Hollande, faisait savoir aux alliés qu'il ne pourrait désormais consentir à aucune bataille, ni à aucun siège, le roi de France ayant offert à la reine de remettre entre ses mains la ville de Dunkerque pour sûreté de ses intentions pacifiques[4]. De son côté, l'évêque de Bristol annonçait, à Utrecht, une suspension d'armes consentie pour deux mois[5], et déclarait aux représentants des Provinces-Unies que la reine ne terminerait leurs différends avec la France, qu'à la condition qu'ils entreraient ouvertement et sincèrement dans les vues de cette princesse[6]. Aussitôt après cette déclaration, le comte de Strafford, se conformant aux instructions du cabinet de Londres, se rendait le 25 juin à la Haye, et, avec autant de force que de franchise, engageait les États généraux à consentir à cette suspension d'armes et leur représentait quelles pourraient être pour eux les suites funestes d'un refus prolongé plus longtemps[7].

Mais les pressants conseils, comme les mesures énergiques, devaient échouer devant l'inflexible opiniâtreté de ces ennemis roidis par la haine. Ainsi qu'il arrive presque toujours, leur animosité s'accroissait à mesure qu'ils découvraient plus clairement la difficulté de la satisfaire, et les mêmes motifs, qui auraient dû déterminer leur raison à abandonner une mauvaise politique, excitaient leur passion à s'y maintenir. Les Hollandais étaient d'ailleurs encouragés dans leur résistance par les espérances chimériques des whigs et par les flatteuses promesses de Zinzerdorff. Celui-ci, qui se rendait fréquemment d'Utrecht à la Haye, parvenait sans peine à dissiper les appréhensions produites par ce qu'il nommait la trahison du gouvernement britannique, et il affirmait à des gens, tout disposés du reste à le croire, que la France continuerait à être écrasée par les seules forces réunies de l'Empire et de la Hollande[8]. Quant aux whigs, ils n'hésitaient pas à promettre, pour une époque très-prochaine, un parlement anglais nouveau, un changement de ministère et même une révolution dynastique qui renverserait la reine Anne et ferait monter sur le trône l'Électeur de Hanovre[9]. Ces arguments spécieux en faveur de la guerre, que fournissaient les lettres de Londres et les discours de Zinzerdoff, le grand-pensionnaire les répandait. de la Haye dans toutes les Provinces-Unies. A l'évêque de Bristol, qui était deux fois venu se joindre à Strafford afin de l'aider à vaincre l'obstination des États généraux, Heinsius avait objecté la nécessité de consulter sur un fait aussi grave chacune des provinces[10]. Mais, en réalité, loin de s'enquérir de leur opinion, il la formait selon la sienne. Aux amis de la paix, il assurait que sa prudente lenteur ferait obtenir des conditions plus avantageuses. Aux partisans bien plus nombreux de la guerre, il insinuait qu'il possédait des ressources connues de lui seul et permettant d'être privé sans danger de l'assistance anglaise. A tous, il conseillait d'éviter un piège tendu par l'Angleterre, et, après avoir éveillé la vigilance de chacun, faisant appel à l'orgueil national, il terminait en s'écriant qu'il était cruel de voir la France, qui avait essuyé douze années de désastres, triompher par la négociation et recueillir l'honneur et le prix d'une guerre si glorieuse pour les Hollandais.

Ces sentiments d'hostilité ouverte et d'opposition systématique n'éclataient nulle part avec plus de force qu'à Utrecht. Buys et Vanderdussen étaient non-seulement agités par les passions qui s'étaient emparées de la Hollande presque tout entière, mais encore aigris à l'excès par le souvenir du rôle regretté qu'ils avaient joué à Gertruydenberg[11]. Leurs adversaires actuels étant derechef Huxelles et Polignac, la divergence dans les intérêts politiques se fortifiait de l'antipathie dans les personnes. Aussi les conférences, souvent interrompues, et pendant d'assez longs intervalles, tandis que se traitait ailleurs la question des renonciations, n'étaient-elles reprises que grâce à l'intervention de plus en plus conciliante des plénipotentiaires anglais, et ne tardaient-elles pas à être de nouveau péniblement remplies d'acrimonieuses remarques et d'acerbes récriminations. Un député des provinces s'écriait publiquement que la reine Anne répondrait devant Dieu de la servitude de l'Europe, et, sur la porte de Strafford, on dessinait une roue[12], injurieuse menace du supplice réservé aux plus grands criminels. Tous les embarras qu'il était en leur pouvoir de faire naître, les ministres de la Hollande les suscitaient. Ils ne se contentaient pas de suivre cette tactique qui devait être aussi impuissante dans ses résultats définitifs, qu'elle était incommode dans ses effets journaliers. Aux tracasseries mesquines, ils ajoutaient d'inconvenantes bravades qui irritaient et envenimaient les fréquentes discussions produites par le désaccord des intérêts. Ils se réjouissaient avec une ostentation insultante de la prise du Quesnoy par le prince Eugène[13], et ils s'entretenaient ouvertement de l'espoir de voir bientôt leurs armées pénétrer dans le cœur de la France[14]. Dans aucune circonstance de sa vie politique, Polignac n'a peut-être mieux mérité de son pays. Longtemps il lutte contre la tentation de réprimer une telle forfanterie ; longtemps il en triomphe. Un jour cependant que, dans une réunion agitée, il a combattu avec force les moyens artificieux employés par Buys, et qu'il a démasqué sa conduite, celui-ci courroucé ose déclarer avec véhémence aux ambassadeurs de Louis XIV que, puisqu'il en est ainsi, ils peuvent se préparer à sortir de la Hollande. Mais Polignac, aussi ferme qu'au milieu des turbulentes élections de Pologne, aussi calme et aussi digne qu'à Gertruydenberg, répond aux plénipotentiaires hollandais : Non, messieurs, nous ne sortirons pas d'ici. Les circonstances sont changées, il faut changer de ton. Nous traiterons chez vous, nous traiterons de vous, nous traiterons sans vous[15]. Quelques jours après, Villars justifiait ce fier langage.

Le prince Eugène avait entrepris le siège de Landrecies. La place, entièrement investie et entourée de retranchements formidables, ne pouvait être secourue que par une diversion. Une faute du prince Eugène[16] la rendit possible, et l'heureuse audace de Villars glorieusement efficace. Les lignes des Impériaux, qu'ils nommaient insolemment le chemin de Paris[17], étaient trop étendues, et leurs corps d'armée trop éloignés les uns des autres. Villars s'en convainquit[18], et il pensa que, malgré son infériorité de nombre, il pourrait, par une fausse attaque du côté de Landrecies, y attirer l'attention du prince Eugène, puis se diriger vers le poste de Denain, occupé par un corps considérable d'ennemis, chargés d'assurer la communication entre l'armée de siège et Marchiennes, où étaient établis les magasins de subsistances. Le succès de la journée dépendait en grande partie de la manière dont on tromperait le prince Eugène. Seuls, Montesquiou, Contades, Puységur, Beaujeu et Montevreil furent initiés au secret. Tous les autres officiers généraux croyaient à une attaque dirigée contre l'armée de siège. Quelques-uns même, les marquis d'Albergotti et de Bouzoles, vinrent, dans la soirée du 23 juillet, faire observer à Villars qu'on allait tenter une entreprise irréalisable. Allez vous reposer quelques instants, leur répondit-il ; demain, à trois heures, vous saurez si les retranchements des ennemis sont aussi bons que vous les croyez. Le 24, au matin, le prince Eugène, entièrement trompé, rapprochait ses principales forces de Landrecies, théâtre présumé du combat, et l'armée française partageait tellement cette conviction, que, lorsque l'ordre lui parvint de marcher à droite pour retourner en arrière, plusieurs officiers hésitèrent à obéir. Mais bientôt tout s'ébranle du côté de Denain ; l'Escaut est traversé sur des ponts construits à la hâte, et la double ligne, destinée aux convois de Marchiennes, et que défendent quelques redoutes, est facilement emportée. L'armée se déploie alors à son aise et se range en bataille en face du camp de Denain. Albergotti vient proposer à Villars de faire faire des fascines pour combler les fossés du camp : Croyez-vous, lui répond le maréchal en montrant l'armée ennemie qui se forme en plusieurs colonnes[19], croyez-vous que ces messieurs nous en donneront le temps ? Nos fascines seront les corps des premiers d'entre nous qui tomberont dans le fossé. Et aussitôt il donne le signal de l'attaque. L'infanterie française s'avance sur quatre lignes et dans le plus bel ordre, quoique mal soutenue par une artillerie qui tire en marchant. Parvenue à cinquante pas des canons ennemis qui la dominent, elle essuie un feu formidable. Mais, sans être ébranlée, elle poursuit sa marche héroïque. Arrivée à vingt pas, le feu redouble, et, aux épaisses volées de la mitraille, se joignent les décharges de la mousqueterie. Deux bataillons seulement perdent leur rang, et les autres, avec un élan admirable, descendent dans les fossés, les escaladent, emportent le retranchement et culbutent l'ennemi. Le général Albemarle, avec six lieutenants généraux de l'Empire, est fait prisonnier, et, les ponts de l'Escaut s'étant rompus sous le poids des fuyards qui s'y précipitent, les vingt-quatre bataillons hollandais et impériaux sont tués ou pris, tandis que les pertes des Français ne dépassent pas cinq cents hommes.

Cette belle victoire[20], à la suite de laquelle Landrecies fut délivré, et Marchiennes, le Quesnoy, Bouchain ainsi que Douai repris, n'a pas été, comme on l'a dit souvent, le salut de la France, assuré depuis 1710, par le changement ministériel qui s'était opéré à Londres ; mais, si elle n'a pas eu toute la portée politique qu'on lui attribue trop fréquemment[21], et si elle n'a point arraché le pays à un danger qui avait disparu avec la triple alliance, il est du moins incontestable que cette bataille a sauvé l'honneur militaire, et, en ramenant la fortune sous nos drapeaux, a fait tomber un dernier rayon de gloire sur la vieillesse assombrie de Louis XIV.

Cet événement ne produisit pas à Utrecht l'effet qu'on pouvait en attendre. Tout d'abord il abattit, sans la détruire, la morgue hollandaise, et les manœuvres artificieuses de Zinzerdoff furent interrompues pendant quelques jours[22]. Mais la confusion causée par la défaite, et que rendait plus pénible le souvenir des bravades qui l'avaient précédée, ne tarda pas à faire place à un sentiment moins naturel. Les ambassadeurs français, témoins peu de temps auparavant de la joie inconvenante avec laquelle avait été accueillie la nouvelle de la prise du Quesnoy, s'abstinrent d'user de représailles, et ils transmirent à tous nos nationaux l'ordre formel de s'interdire d'une manière absolue tout signe de satisfaction[23]. Quant à eux, ils ne modifièrent ni leurs paroles, ni leurs actes, ni leur démarche, et leur visage impénétrable ne décela rien de la joie que renfermait leur cœur. Cette attitude calme et digne, par cela même qu'elle ne donnait aucune prise à des adversaires passionnés, les aigrit et les irrita. Ils la subirent, puis l'interprétèrent à leur guise, et ce qui était inspiré par une sage modération et par la plus haute convenance, leur parut être le résultat d'une dédaigneuse fierté. Au silence de la honte succédèrent bientôt les provocations du dépit, et les ministres de la Hollande, humiliés par l'échec, après s'être prématurément vantés du triomphe, vaincus en générosité par les plénipotentiaires français auxquels ils se sentaient inférieurs par le caractère autant que par la situation, concentraient leur colère et n'attendaient qu'une occasion pour laisser éclater leur ressentiment. Comme elle ne se présentait pas assez tôt au gré de leur impatient désir, ils la firent naître, et par de tels moyens que le congrès fut menacé d'une dissolution immédiate.

Le jour même où parvint à Utrecht la nouvelle de la victoire de Denain, un des ministres des Provinces-Unies, le comte de Rechteren[24], prétendit qu'au moment où il passait en carrosse devant la porte de Ménager, les laquais de cet ambassadeur avaient accueilli les siens par les gestes les plus indécents et avaient ainsi grossièrement insulté à la défaite de sa nation. Rumpf, secrétaire de Rechteren, porta ses plaintes à Ménager et lui demanda satisfaction de cette offense de la part de son maître, ajoutant qu'il se la ferait à lui-même, si on ne la lui accordait pas. A une invitation aussi péremptoire et présentée avec une vivacité extrême, Ménager répondit par une lettre pleine de modération. Il déclara qu'il était très-éloigné d'approuver que les siens eussent insulté d'autres domestiques, principalement ceux de Rechteren, et qu'il était disposé à lui remettre ceux de ses laquais que ce député avait vus faire des gestes indécents, ou même que les domestiques hollandais convaincraient de culpabilité[25]. Puis il interrogea ses domestiques, qui nièrent ce dont on les incriminait. Jugeant avec raison qu'il était indigne de lui de livrer sa demeure à une investigation de laquais, qu'une confrontation entre les accusés et les accusateurs serait aussi tumultueuse qu'inutile, parce que ceux-ci déploieraient la même énergie à soutenir leur véracité que ceux-là à protester de leur innocence, Ménager offrit à son collègue de lui envoyer le suisse de l'ambassade française, qui avait vu passer la voiture de Rechteren et qui affirmait cependant n'avoir été le témoin d'aucune scène inconvenante.

Ménager considérait comme terminé ce puéril incident, et, huit jours après, ayant aperçu, sur la promenade publique du Mail, Buys, Randwijk, Vanderdussen et Rechteren, il se disposait à les aborder, quand tout à coup celui-ci s'avance au-devant de l'ambassadeur français, et, après l'avoir salué très-froidement, insiste sur la perquisition qu'il prétend faire jusque dans la maison de son collègue. Ménager ayant répondu de nouveau que ses laquais nient ce qui leur est reproché et qu'il croit dangereux d'accorder une autorisation qui rendrait les accusateurs juges des accusés, Rechteren entre dans une violente colère. Je suis aussi bien que vous revêtu d'un caractère souverain, et je ne supporterai pas une insulte. Le maître et les valets vont se faire justice[26]. Puis, ayant appelé ses gens, il leur adresse quelques mots en hollandais. Presque aussitôt, dans une des allées voisines, s'élève un grand tumulte. Des cris, des plaintes se font entendre. Une foule énorme se rassemble et augmente la confusion. Tout à coup, se précipitent vers Ménager ses domestiques hués, poursuivis, meurtris, les habits en lambeaux, le visage couvert de sang. Assaillis à l'improviste par un nombre beaucoup plus considérable de laquais hollandais, frappés au visage et étourdis par la rapidité autant que par la violence des coups, ils n'ont pu se défendre et ont été victimes de la plus odieuse des attaques. C'est moi seul qui ai donné cet ordre, répond Rechteren aux réclamations de Ménager, oui, c'est moi. Toutes les fois que mes domestiques agiront ainsi, je les récompenserai, et, s'ils ne le faisaient pas, je les chasserais ![27] Plus maitre de lui-même que ne l'est en ce moment Rechteren[28], Ménager se contient, et, après avoir salué le ministre hollandais, il monte dans son carrosse et va rendre compte de cette offense à Huxelles et à Polignac. La nouvelle s'en répandit bientôt dans toute la ville, et les ambassadeurs d'Angleterre, redoutant le nouvel obstacle qui venait de surgir, accoururent pour essayer de le détruire, et d'étouffer à son origine cette regrettable affaire. Ils parvinrent à arrêter pendant quelques heures le courrier qui devait l'annoncer à Versailles et ils se rendirent tour à tour chez chacun de leurs collègues. Mais leurs efforts échouèrent, et il leur fut impossible de concilier les légitimes exigences de Ménager et les offres insuffisantes et hautaines des ambassadeurs de la Hollande.

Peu de jours après, et par le même courrier qui lui avait apporté cette nouvelle, Louis XIV transmit sa réponse[29]. Il intimait à ses représentants l'ordre de s'interdire toute communication et tout rapport avec les ministres de la Hollande, et de charger ceux de l'Angleterre de mettre les états généraux en demeure de s'expliquer sur cette insulte. Si le comte de Rechteren déclarait s'être, dans sa conduite, conformé à ses instructions, les plénipotentiaires de France devaient en conclure qu'il n'y avait plus pour eux de sûreté à Utrecht, et en informer leur gouvernement, qui aviserait[30]. Si, au contraire, Rechteren n'avait obéi qu'à son emportement et à sa passion, les états généraux étaient tenus de le rappeler aussitôt[31], et de désavouer hautement et publiquement un mandataire qui avait abusé de leur confiance. Le désaveu devait être public, comme l'avait été l'offense, et tous les plénipotentiaires de la Hollande étaient tenus de se rendre chez un des ministres du roi de France et de lui exprimer les regrets et les respects des Provinces-Unies[32]. La lettre de Louis XIV se terminait par l'injonction faite à ses représentants de ne modifier en rien cette réparation et de bien se garder d'en accepter d'autre[33].

Tandis que, par ces scènes de violence, les ambassadeurs hollandais amoindrissaient leur caractère et arrêtaient à Utrecht la marche des négociations, le cabinet de Londres, dont les vues étaient plus hautes et les idées moins étroites, servait bien mieux la cause de l'indépendance de l'Europe. Préoccupé surtout de la question des renonciations, qui devait assurer cette indépendance en maintenant la situation présente sans créer de dangers pour l'avenir, il poursuivait l'accomplissement de son utile mission et faisait preuve du discernement le plus éclairé. La nécessité de renonciations immédiates à la couronne de France étant admise par Louis XIV, et Philippe V ayant mieux aimé s'y soumettre que de conserver ses droits éventuels en changeant de trône, il restait à fixer d'une manière définitive la forme de ces renonciations. Outre celle de Philippe V, le gouvernement anglais en exigeait deux autres. Il avait pensé avec raison que, les ducs de Berry et d'Orléans étant désormais très-rapprochés de la couronne de France, il était prudent de les faire dépouiller des droits qu'ils possédaient sur celle d'Espagne du chef, l'un, de Marie-Thérèse, et l'autre, d'Anne d'Autriche. En outre, ces deux renonciations avaient l'avantage d'offrir une nouvelle garantie pour l'efficacité de celle de Philippe V. Celui-ci renonçant à ses droits sur la monarchie française, en même temps que les princes français abandonnaient les leurs sur la monarchie espagnole, la séparation entre les deux couronnes était plus définitive encore, les deux actes se fortifiaient mutuellement en se complétant, et à un simple contrat unilatéral était avantageusement substitué le contrat synallagmatique, de beaucoup préférable par sa plus grande validité.

Afin de donner à ces trois actes une authenticité incontestable et de leur imprimer le plus de force possible, Bolingbroke avait proposé de les faire ratifier d'une manière solennelle par les états généraux de France[34]. Habitué aux parlements d'Angleterre, ces états généraux permanents, et sachant de quel inébranlable appui ils consolident les mesures qu'ils consentent à approuver, Bolingbroke avait eu la naturelle pensée[35] de demander pour les renonciations cette consécration extraordinaire, qui lui semblait être la plus élevée, la plus parfaite, la plus légale, en ce qu'elle associait la nation tout entière à des actes qui intéressaient ses destinées. Mais ce qui, dans cette grande et solennelle manifestation de l'opinion publique, séduisait Bolingbroke, heurtait violemment les plus invincibles répugnances de Louis XIV[36]. Extrêmement jaloux de sa puissance, dont le long usage n'avait jusque-là rencontré ni limites ni obstacles, ce prince, le plus impérieux comme le plus absolu de sa race, avait en quelque sorte la superstition de la royauté[37]. Paraître douter de l'étendue de son pouvoir, et lui montrer qu'on trouvait dans ses sujets une autorité capable de confirmer la sienne, était pour un tel monarque une offense tellement sensible, un attentat tellement irrespectueux, qu'on ne pouvait pas espérer de le voir se résoudre à le subir. Déjà il avait considéré comme une discussion de l'autorité royale, et par conséquent comme une atteinte à cette autorité, le projet de renonciation, et seule la persévérante opiniâtreté du cabinet de Londres avait pu triompher de ses hésitations. Combien davantage encore devait-il être blessé, dans son royal orgueil, de soumettre, dans ses propres États, sa volonté ou celle des princes du sang à une autre puissance que la sienne ! Il s'y refusa. Torcy fut chargé de répondre à Bolingbroke[38] : Que l'assemblée des états généraux n'était plus en usage en France, qu'elle ne servirait qu'à retarder la paix non-seulement par le temps à employer pour convoquer et tenir ces sortes d'assemblées, mais encore par les troubles qu'elles pouvaient produire, comme l'exemple des temps passés ne l'avait que trop appris. Il ajouta qu'il était prudent d'éviter les longueurs et les embarras, quand, par des voies plus abrégées, les mêmes choses pouvaient être faites avec encore plus de sûreté[39]. Ces voies plus abrégées étaient l'enregistrement par les parlements. Soit qu'il ait été convaincu par ces arguments apparents destinés à cacher le véritable mobile de Louis XIV, soit qu'il ait pénétré la cause réelle de son refus, et compris dès lors que l'amour-propre du souverain serait sur ce point intraitable, Bolingbroke ne persista pas dans sa demande, et on fit rédiger les actes de renonciation. Tandis que les ducs de Chevreuse, de Beauvilliers, d'Humières, de Noailles, de Charost et de Saint-Simon étaient chargés de ce soin, les jurisconsultes les plus éminents de l'Angleterre[40] recevaient l'ordre d'examiner et d'étudier la forme de ces actes. Saint-Simon, dans ses Mémoires, rend compte de cette mission[41] avec la complaisante prolixité et l'abondance de détails qui lui sont habituelles quand sa vanité est en jeu. Il est vrai que beaucoup de temps fut consacré par les ducs à l'accomplissement de leur tâche, et bien plus encore par les jurisconsultes anglais à sa vérification. Leur prudence fut souvent trop scrupuleuse, et Bolingbroke, qui les nomme, dans une de ses lettres[42] des avocats chicaneurs, eut parfois à regretter leurs formalités rigoristes à l'excès et leur désespérante lenteur. Mécontent des retards qui, de divers côtés, ralentissaient l'œuvre commune, désireux de trancher directement avec le cabinet de Versailles les dernières difficultés, et légitimement impatient de couronner sa grande entreprise, Bolingbroke détermina la reine[43] à l'envoyer en France.

Parti de Londres le 13 août, et de Calais le 15, Bolingbroke arriva à Paris le mercredi 17, accompagné de Prior et de l'abbé Gautier[44]. Il descendit et il demeura pendant tout son séjour en France chez la marquise de Croissy[45], mère de Torcy. C'est là que les deux ministres aplanirent ensemble les derniers obstacles. Ils s'occupèrent d'abord des intérêts du duc de Savoie. La Sicile lui fut cédée, et il fut convenu que les droits de ce prince et de sa famille à la couronne d'Espagne, après Philippe V et ses descendants, seraient établis dans les mêmes actes que les renonciations, et aussi bien dans celles des ducs de Berry et d'Orléans que dans la renonciation de Philippe V[46]. La question de la barrière à établir entre la France et la Savoie était plus difficile à résoudre. Le comte de Maffei, ambassadeur de Victor-Amédée II à Utrecht, ne faisait pas seulement dépendre la sûreté du Piémont de la possession d'Exilles, de Fenestrelles et de la vallée de Pragelas, que Louis XIV était disposé à lui abandonner. Il exigeait un territoire plus étendu, et, avec la vallée de Barcelonnette, la place de Briançon. Torcy objectait à ces prétentions exagérées que, sous le prétexte de sa sûreté, Son Altesse Royale cherchait réellement à s'agrandir aux dépens de Louis XIV ; que, quoique un roi de France soit bien plus puissant qu'un duc de Savoie, celui-ci, soutenu par des alliances — et c'est le seul cas où il puisse attaquer son voisin —, devient un adversaire redoutable ; enfin qu'on devait, dans un avenir peu éloigné, s'attendre à une minorité, et par conséquent redoubler de vigilance et ne pas laisser exposées d'aussi importantes frontières. Les instructions données à Bolingbroke[47] portant qu'il ne devait ni insister sur cette barrière ni non plus reconnaître au cabinet de Versailles le droit définitif de ne pas l'accorder, en un mot qu'il avait à laisser au duc de Savoie la liberté entière de traiter lui-même cette question à Utrecht, elle fut renvoyée aux dernières conférences du congrès.

L'accord fut complet[48] en ce qui concernait les renonciations, leur forme, leur nombre et leur ratification dont furent chargés les parlements en France et les cortès en Espagne. Elles devaient être accompagnées, comme d'une conséquence naturelle et inévitable, de l'annulation des lettres patentes de 1700, par lesquelles Louis XIV avait maintenu à Philippe V ses droits de successibilité au trône de France. Toutefois, Torcy ayant proposé qu'on n'attendit point, pour signer le traiter de paix, l'accomplissement de formalités aussi longues, et que seul l'échange des ratifications de ce traité fût subordonné à cet accomplissement, Bolingbroke, qui continuait à attacher à ce point une importance capitale, se refusa à souscrire à la demande de Torcy[49]. Mais ce n'était là qu'un désaccord secondaire, et la sage persistance de Bolingbroke devait avoir l'avantage de faire hâter les lents rédacteurs et les vérificateurs trop rigoureux des actes de renonciation.

La divergence fut plus grave en ce qui touchait à l'électeur de Cologne, et surtout à celui de Bavière[50]. Ce dernier, allié fidèle et dévoué de Louis XIV, était venu à Paris pour veiller lui-même à ses intérêts et pour les défendre dans ce moment suprême. Mais ses demandes, soutenues par Louis XIV, étaient, dans les circonstances actuelles, excessives. Restituer à ce prince tous ses États, alors au pouvoir de ses ennemis, était un engagement que l'Angleterre ne pouvait pas prendre, car t'eût été justifier par avance le refus certain de l'empereur d'y accéder. Plus tard, ces conditions furent acceptées à Rastadt, et l'électeur de Bavière, ainsi que l'électeur de Cologne, son frère, furent rétablis dans la possession de tous leurs États. Mais, dans la situation où il se trouvait alors, c'était suffisamment accorder à l'allié malheureux et vaincu de Louis XIV, que de ne pas s'opposer à ce qu'on lui donnât la Sardaigne, dans le cas où le sort définitif des négociations engagées le priverait à jamais de son électorat et de ses dignités. Le débat, assez vif entre les deux négociateurs, fut empreint, chez Bolingbroke, de la loyale franchise qui était le trait principal de son caractère, mais souvent détourné par Torcy de la droite voie où son antagoniste cherchait à le maintenir. Le ministre français appela parfois à son secours certaines ressources du diplomate, les paroles étudiées, les sous-entendus perfides et les réserves calculées. Il essaya d'engager le représentant de l'Angleterre au-delà de ses instructions et de le lier plus qu'il ne lui convenait, mais sans y réussir[51]. On ne pouvait rien décider sur cette question presque étrangère à la nation anglaise et qui intéressait si directement l'empire. On en remit la solution à Utrecht, d'où elle fut renvoyée à Rastadt.

Rien d'officiel non plus ne fut arrêté relativement aux conditions futures de la paix avec l'Empire. Néanmoins, elles furent le sujet de plusieurs conversations entre les deux ministres, et la conduite tortueuse, irritante et pleine de provocations des ambassadeurs impériaux à Utrecht détermina le gouvernement anglais à promettre de laisser à la France la très-importante place de Strasbourg[52]. Le renvoi du prétendant, la reconnaissance de la succession protestante, le choix des premiers ambassadeurs, que les deux gouvernements chargeraient de les représenter, n'amenèrent aucune contestation[53]. On fut également d'accord sur la durée de quatre mois à donner à une nouvelle suspension d'armes[54], et, chacune des difficultés ayant été soumise à un examen approfondi et tranchée d'une manière définitive, Bolingbroke se rendit à la cour, qui se trouvait alors à Fontainebleau.

Il y arriva le 20 août au soir, et il occupa un splendide logement qui lui avait été préparé dans la partie du château qu'on nomme la Conciergerie. Le lendemain, dimanche, à neuf heures du matin, Louis XIV lui donna audience[55]. Bolingbroke se présenta avec autant de grâce que de noblesse, et il transmit au roi les compliments de sa souveraine dans les termes les plus justes et les mieux choisis de notre langue. Louis XIV lui répondit[56], en l'assurant de son estime et de son affection pour la reine de la Grande-Bretagne, et aussi de sa joie de voir approcher le moment où la paix pourrait être signée. Il déclara que cette conclusion prochaine était due aux soins de cette princesse, comme aussi à ses propres efforts, et il ajouta que, malgré tant d'oppositions qui avaient surgi de tous côtés, Dieu ne permettrait pas le triomphe des ennemis du repos public. Il finit en donnant l'assurance qu'il tiendrait exactement tout ce qu'il avait promis, et que le succès de ses armes ne lui ferait apporter aucun changement aux conditions qui avaient été arrêtées. L'entretien se prolongea longtemps entre le grand roi et le grand ministre, si bien faits pour s'apprécier et se comprendre, qui possédaient également le don de charmer, et dans lesquels se trouvait à un si haut degré le sentiment de la grandeur, tempéré, chez l'un, par le désir de plaire, et, chez l'autre, par les séductions de la jeunesse. Le vieux monarque prodigua au jeune ministre[57] les attentions les plus flatteuses et les plus délicates[58]. Il lui offrit un magnifique diamant d'un très-grand prix, qu'il conservait comme un précieux souvenir du dauphin son fils[59], et il le présenta lui-même à la cour. Le brillant Bolingbroke n'y parut pas être étranger, et il sembla l'avoir déjà habitée[60]. Tous s'empressèrent autour de lui, moins encore pour suivre l'exemple du roi, qui alors était un ordre, que parce que tant de séduisantes qualités avaient entraîné les suffrages, et, lorsqu'il quitta Fontainebleau[61], il avait conquis l'affection et l'estime de tous ceux qui l'avaient approché. L'accueil de la ville ne fut pas moins empressé. Quand il entra à l'Opéra, où la représentation du Cid lui fut offerte[62], tous les spectateurs se levèrent, marquant ainsi du respect pour le caractère dont il était revêtu, et un reconnaissant intérêt pour l'utile mission qu'il accomplissait. Partout sur sa route, à Paris comme à Calais et dans toutes les villes qu'il parcourut, il prit d'inutiles précautions pour se dérober aux témoignages de la gratitude publique[63], et les habitants acclamaient en lui le messager d'une paix depuis longtemps nécessaire, et un bienfaiteur de l'humanité. Grand et touchant spectacle qui montre toutes les classes de la nation s'associant dans la manifestation d'un noble sentiment, et qui dut, en rendant Bolingbroke le témoin ému des effets de sa patriotique entreprise, de son énergique opiniâtreté et de ses courageux efforts, être pour lui sa plus douce récompense !

 

 

 



[1] La paix était demeurée accrochée, dit Saint-Simon, Mémoires, t. VI, p. 320.

[2] La harangue se trouve tout entière dans le tome I, page 522 et suivantes des Actes, mémoires et autres pièces authentiques concernant la paix d'Utrecht. C'est la prérogative incontestable de la couronne, disait-elle en commençant, de faire la paix et la guerre. Néanmoins j'ai une si grande confiance en vous que je viens vous faire savoir sous quelles conditions ou peut faire une paix générale...... Le principal motif pour lequel on a commencé cette guerre a été l'appréhension que l'Espagne et les Indes occidentales ne fussent unies à la France, et le but que je me suis proposé dès le commencement de ce traité a été de prévenir effectivement cette union. Les exemples du passé et les dernières négociations ont suffisamment fait voir combien il était difficile de trouver les moyens d'accomplir cet ouvrage. Je n'ai pas voulu me contenter de ceux qui sont spéculatifs ou qui dépendent seulement des traités ; j'ai insisté sur le solide et d'avoir en main le pouvoir d'exécuter ce dont on serait convenu. Je puis donc vous dire dès à présent que la France en est enfin venue à offrir que le duc d'Anjou renoncera à jamais tant pour lui que pour ses descendants à toutes sortes de prétentions sur la couronne de France, et, afin que cet article important ne coure aucun risque, l'exécution doit accompagner la promesse, etc., etc.

[3] Il y eut, en cette occasion comme dans les précédentes, diversité de sentiments sur ce qu'il y aurait à faire. Mais, dans l'une et l'autre Chambre, la pluralité des suffrages l'emporta, et on remercia la reine avec reconnaissance. Van Poolsum, p. 338. Les deux adresses se trouvent citées page 531 et suivantes du tome I des Actes, Mémoires, etc. Celle de la Chambre des communes est du 20 juin. Elle se termine par ces mots : Ces assurances sont le moindre retour de vos fidèles communes pour tant de condescendance et de bonté, et elles supplient très-humblement Votre Majesté qu'il lui plaise de procéder dans la première négociation, pour obtenir une prompte paix. L'adresse de la Chambre des lords (du 21 juin), moins significative, est aussi respectueuse. Il y eût bien quelques contestations, dit l'auteur anonyme des Entretiens politiques, etc. ; mais la honte de se voir prévenus par la Chambre des communes les fit tous réunir pour remercier la reine. Entretiens politiques et historiques, etc., p. 227.

[4] Actes et mémoires concernant la paix d'Utrecht, t. V, p. 11. Van Poolsum, p. 312. Voici la lettre par laquelle Louis XIV annonça à la reine Anne la remise de Dunkerque. Elle a été écrite tout entière de la main même du roi, et c'est la première qu'il ait adressée à cette souveraine depuis le jour où elle était montée sur le trône. Marly, 22 juin 1712. Madame ma sœur, je fais pour vous ce que je n'aurais accordé aux instances de personne ; mais je suis bien aise de vous donner de nouveaux moyens d'avancer l'ouvrage de la paix, et je veux en même temps marquer à tout le monde la confiance entière que je prends en vous. Je ne puis en donner des preuves plus certaines qu'en vous remettant, pendant la suspension d'armes, la garde de ma ville, citadelle et fort de Dunkerque. Je souhaite que cette marque de mon estime et de mon amitié pour vous, jointe à la renonciation que le roi d'Espagne fait, pour lui et pour ses descendants, de ses droits à ma couronne, achèvent de rétablir l'union parfaite que je veux toujours entretenir avec vous, étant très-véritablement, madame ma sœur, votre bon frère Louis. Correspondance de Bolingbroke, t. II, p. 6.

[5] Entretiens politiques et historiques, etc., p. 227. Mémoires de Torcy, p. 719. L'armée anglaise était composée de troupes anglaises et de troupes étrangères soldées. Une grande partie de celles-ci se refusa d'obéir au duc d'Ormond. Elle fut excitée à cet acte d'insubordination par le prince Eugène et par les électeurs de Hanovre et de Brandebourg. On l'intéressa à la continuation de la guerre par la promesse que l'Empereur et les Provinces-Unies payeraient exactement sa solde, dépense dont l'Angleterre fut dés lors soulagée. C'était moins, dit Villard dans ses Mémoires, page 209, l'obéissance qui les retenait sous les armes que l'intérêt, car elles voyaient la fin de leurs subsistances dans la fin de la guerre.

[6] Actes et Mémoires, etc., t. V, p. 12.

[7] Mémoires de Torcy, p. 721. Van Poolsum, p. 330.

[8] Mémoires de Torcy, p. 121.

[9] Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 311. Mémoires de Torcy, p. 721. Swift, Histoire de la reine Anne, p. 408 et 409.

[10] Cette objection n'était pas sérieuse, puisque Heinsius s'était vanté, en 1709, que le traité de la grande alliance avait été conclu et signé en vingt-quatre heures. Mémoires de Torcy, p. 722.

[11] On ne pouvait pas encore, lit-on dans l'histoire écrite par Van Poolsum, et écrite cependant à un point de vue hollandais, on ne pouvait pas encore se dépouiller de l'espérance de ramener les choses a au point où elles avaient été. Van Poolsum, p. 330.

[12] Cerisier, Tableau de l'histoire générale des Provinces-Unies, t. IX, p. 271.

[13] Le 4 juillet 1712. Mémoires du maréchal de Villars. Collection Michaud et Poujoulat, t. IX, p. 200.

[14] Mémoires de Torcy, p. 719.

[15] Mémoires de Duclos, t. I, p. 49. Art de vérifier les dates, t. XIV, p. 486.

[16] Malgré la disgrâce de Marlborough, le prince Eugène continuait à être en correspondance avec lui. Peu de jours avant l'action de Denain, il lui manda la position des deux armées. Marlborough montra la lettre à un de ses amis et ajouta : Si les Français attaquent à propos les alliés, ceux-ci essuieront un échec, et si le maréchal de Villars n'entreprend rien contre eux, il mériterait que le roi de France le fit mettre à la Bastille. Lettres de Bolingbroke. Introduction, t. I, p. 91.

[17] Mémoires du maréchal de Villars, p. 211.

[18] Mémoires du maréchal de Villars, p. 210. Fidèle à ses habitudes de dénigrement systématique, Saint-Simon n'a pas épargné Villars dans ses mémoires. Son injustice à l'endroit de ce grand général est peut-être la plus révoltante. D'après son récit (Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 310, 311), c'est Montesquiou qui aurait gagné la bataille de Denain et Villars y aurait joué un rôle des plus ridicules. M. Chéruel, dans son ouvrage cité déjà, Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, p. 564, a fait justice de cet inique acharnement. Les critiques de Saint-Simon, dit-il avec la plus grande raison, sont tellement exagérées, et, il faut le dire, tellement ridicules, que l'on ne pourrait y ajouter foi, lors même que l'on serait réduit au témoignage de l'écrivain. Mais nous avons à lui opposer non-seulement les mémoires et les dépêches de Villars, qu'on pourrait soupçonner de partialité, mais l'autorité de Saint-Hilaire, qui est d'autant plus grave qu'en d'autres circonstances il n'épargne pas Villars. Or on voit, par les mémoires de ce général, que ce fut Villars qui fit toutes les dispositions pour la bataille. Mémoires de Saint-Hilaire, t. IV, p. 320 et suivantes.

[19] Mémoires du maréchal de Villars, p. 211.

[20] Ce fut à Fontainebleau un débordement de joie dont le roi fut si flatté qu'il en remercia les courtisans pour la première fois de sa vie. Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 311.

[21] Napoléon Ier a dit : Le maréchal de Villars sauva la France à Denain, et la plupart des dictionnaires et des ouvrages d'histoire ont répété au mot Denain : Lieu où, le 24 juillet 1712, Villars sauva la France. C'est exagérer singulièrement les conséquences de cette victoire. Je crois avoir montré dans ce récit à quelle époque la France courut un véritable danger, et que, du moment où l'autorité exclusive de Marlborough et des torys fut renversée à Londres, tout danger véritable cessa. Le lecteur, qui a bien voulu me suivre avec soin, ne doit plus, ce me semble, avoir de doutes à cet égard. Je sais bien que j'ose ainsi combattre une erreur profondément enracinée ; mais c'est sur les faits que je me base, et il n'y a rien d'inexorable comme une date. La paix avec l'Angleterre entraînait nécessairement, dans un délai prochain, la paix avec la Hollande et l'Empire, car c'eût été ruiner le commerce dés Provinces-Unies que de les charger seules du transport des munitions et des troupes dans le Portugal et la Catalogne, et de les obliger à y employer leur marine, tandis que l'Angleterre, désormais libre avec la France, les aurait prévenus partout dans leur commerce. Dans tous les cas, la paix avec l'Angleterre rendait possible, et au moins égale, la lutte entre la France et l'Espagne d'un côté, et l'Empire et la Hollande de l'autre. Or cette paix avec l'Angleterre était faite depuis 1710. Un moment suspendue par l'affaire des renonciations, elle était définitivement arrêtée le jour où Philippe V se déterminait à opter, c'est-à-dire le 2 juin 1712, et la victoire de Denain est du 24 juillet. Au surplus, cette opinion repose sur une étude approfondie de toutes les pièces diplomatiques de cette époque, et elle sera corroborée par la suite de ce travail, aussi bien qu'elle est justifiée par ce qui précède.

[22] Lettre de l'abbé de Polignac à Villars. Mémoires du maréchal de Villars, p. 216.

[23] Entretiens politiques et historiques, etc., p. 245.

[24] Adolphe-Henri, comte de Rechteren, député de la province d'Over-Issel aux États généraux et l'un des plénipotentiaires de la république au congrès.

[25] Mémoires de Torcy, p. 729. Entretiens politiques et historiques, etc., p. 246. Van Poolsum, p. 357. Cerisier, Tableau de l'histoire générale des Provinces-Unies, t. IX, p. 418. Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 136, 137.

[26] On trouve cette réponse, même dans le livre de Van Poolsum, écrit à un point de vue hollandais. C'est donc en vain que Rechteren l'a niée dans les Mémoires qu'il a rédigés sur cette affaire et qui sont déposés aux archives de la Haye.

[27] Van Poolsum, p. 362. Mémoires de Torcy, p. 730. Entretiens politiques et historiques, p. 247. Rechteren reconnut d'ailleurs avoir tenu ce propos.

[28] Rechteren se trouvait souvent en état d'ivresse. Bolingbroke parle dans une de ses lettres de la satisfaction qui doit être donnée par cet ivrogne de Rechteren. Lettre à Torcy du 30 septembre 1712. Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 136.

[29] Elle était renfermée en sept articles. Ils sont cités dans Van Poolsum, p. 303 et 364.

[30] Art. 2 du Mémoire.

[31] Art. 6 du Mémoire.

[32] Art. 4 et 5 du Mémoire.

[33] Art. 7 du Mémoire.

[34] Correspondance de Bolingbroke, t. I, p. 360. Lettre du 17 juin 1712.

[35] Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 320.

[36] Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 321.

[37] Mémoires de Louis XIV, p. 19, 21, 43 et 44.

[38] Lettre du 22 juin 1712. Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 3 et, 4. Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 321.

[39] Lettre du marquis de Torcy. Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 4.

[40] Entre autres, le docteur Heuchman. Lettre de Bolingbroke à Prior, t. II, p. 110.

[41] Mémoires de Saint-Simon, p. 318 à 340 du t. VI.

[42] Lettre de Bolingbroke à Torcy, t. II, p. 118.

[43] Lettre de Bolingbroke à Torcy, du 10 août 1712, t. II, p. 53. Mémoires de Torcy, p. 725.

[44] Lettre de Bolingbroke au comte de Dartmouth, son collègue au ministère, du 21 août 1712, t. II, p. 54. Mémoires de Torcy, p. 728.

[45] Françoise Bernard, veuve, le 28 juillet 1696, de Charles Colbert, marquis de Croissy, ministre des affaires étrangères.

[46] Lettre de Bolingbroke, précitée, p. 55, 56 et 57. Mémoires de Torcy, p. 728.

[47] Mémoires de Torcy, p. 726.

[48] Lettre de Bolingbroke au comte de Dartmouth, p. 60 et 61. Mémoires de Torcy, p. 728.

[49] Lettre de Bolingbroke à Dartmouth, p. 60 et 61. Mémoires de Torcy, p. 728.

[50] Lettre de Bolingbroke à Dartmouth, p. 61 et 62. Mémoires de Torcy, p. 728 et 729.

[51] Lettre de Bolingbroke à Dartmouth, p. 61 et 62. Mémoires de Torcy, p. 729.

[52] Lamberty, Mémoires pour servir à l'histoire du dix-huitième siècle, t. VII, p. 521.

[53] Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 65, 66 et 67. Mémoires de Torcy, p. 729.

[54] Toutefois quelques expressions de l'armistice furent débattues. Torcy y avait parlé des mers qui entourent les îles-Britanniques, et il avait cité, à l'appui de cette forme de langage, le traité de Bréda (conclu le 26 janvier 1667 entre l'Angleterre, les Provinces-Unies, la France, le Danemark et l'évoque de Munster). Mais Bolingbroke répliqua avec raison qu'avant ce traité on s'était toujours servi de l'expression maribus Britannicis, particulièrement dans celui conclu avec Cromwell, et que l'erreur, commise dans le traité de Bréda, avait été rectifiée dans celui de Ryswick. Les mots qui entourent les îles furent biffés. Lettre de Bolingbroke à Dartmouth, p. 66.

[55] Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 63, 64. Mémoires de Torcy, p. 120.

[56] Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 63, 64. Bolingbroke dit, dans cette lettre, que Louis XIV lui parla avec une certaine volubilité. Ce témoignage mérite d'être signalé à cause de sa singularité. Bolingbroke est le seul contemporain de Louis XIV qui ne le représente pas s'exprimant avec la majestueuse gravité, trait principal de son caractère.

[57] Bolingbroke avait alors trente-huit-ans, et le roi, soixante-quatorze.

[58] Mémoires de Saint-Simon, t. VII, p. 311.

[59] Extraits de Dangeau publiés par Lemontey, p. 231.

[60] Mémoires de Torcy, p. 729.

[61] Il y était arrivé le 20. Le 21, fut signée la prolongation de la suspension d'armes, et, le 24, il revint à Paris d'où il partit le 26 pour retourner en Angleterre. Sur la demande de Louis XIV, Prior fut laissé à la cour comme ministre plénipotentiaire, en attendant l'arrivée de l'ambassadeur. Voici la lettre que Louis XIV chargea Bolingbroke de remettre à la reine : Fontainebleau, ce 26 août 1712. Madame ma sœur, je n'ai jamais douté de la sincérité de vos intentions pour avancer la paix, mais vous avez confirmé la juste opinion que j'en avois, en envoyant auprès de moi le vicomte de Bolingbroke, votre secrétaire d'État. Vous ne pouviez choisir un ministre plus capable d'abréger et d'aplanir les difficultés de la négociation. Je suis persuadé que vous serez aussi contente de ce qu'il a fait, que j'ai été satisfait moi-même de sa conduite et principalement des assurances qu'il m'a données de vos sentiments pour moi. Quoique je ne doute pas qu'il ne vous rende un compte exact de ceux que je lui ai témoignés pour vous, je veux encore ajouter que je n'oublierai rien pour entretenir avec vous une amitié parfaite et pour vous montrer en toute occasion que je suis, madame ma sœur, votre bon frère Louis.

[62] Bolingbroke donna dans son voyage des preuves nombreuses de générosité. Le duc de Trémes, premier gentilhomme de la chambre du roi, et par conséquent chargé de la direction générale des théâtres, ayant fait payer la loge de Bolingbroke, celui-ci fit un magnifique présent aux comédiens, et Prior, chargé de ce soin, lui écrivait, le 9 septembre : Il n'y a pas jusqu'à vos générosités envers les comédiens qui n'aient éprouvé des obstacles. Mais ils ont été surmontés. Le Cid et Chimère vous remercient de vos dons. Il laissa également un gros sac d'argent pour les domestiques de madame de Croissy.

[63] Lettres de Bolingbroke, t. II, p. 54.