HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE VII. — LA CHUTE DE LA MONARCHIE (1847-1848).

 

CHAPITRE II. — LA CAMPAGNE DES BANQUETS (Juillet-décembre 1847).

 

 

I. L'opposition veut provoquer dans le pays une agitation sur la question de la réforme. Alliance des dynastiques et des radicaux. On décide de lancer une pétition et d'organiser un banquet. — II. Le banquet du Château-Rouge. Les discours. Omission du toast au Roi. — III. Banquet de Mâcon offert à M. de Lamartine, pour célébrer le succès des Girondins. Le cri de la réforme paraît être sans écho dans le pays. — IV. Assassinat de la duchesse de Praslin. Effet produit sur l'opinion. Suicide du duc de Praslin. Rapport de M. Pasquier. Tristesse et inquiétude générales. Pressentiments de révolution. M. Guizot président du conseil. — V. Les banquets deviennent plus nombreux à partir de la fin de septembre. Caractère factice de cette agitation. Les radicaux prennent de plus en plus la tête du mouvement. Manifestations socialistes. Certains opposants se tiennent à l'écart. Attitude de M. Thiers. — VI. M. Ledru-Rollin au banquet de Lille. M. Barrot obligé de se retirer. Les opposants dynastiques continuent cependant leur campagne. Banquets d'extrême gauche. Les dynastiques, maltraités par les radicaux extrêmes, sont abandonnés par les radicaux parlementaires. Le banquet de Rouen. Impossibilité de continuer la campagne. Elle est interrompue par l'ouverture de la session. Conclusion.

 

I

L'intervalle entre les sessions était d'ordinaire, au moins pour la politique intérieure, une époque de calme, de silence, une sorte de morte-saison. Il n'en devait pas être ainsi dans la seconde moitié de 1847. Bien au contraire, l'opposition prétendait employer les loisirs que lui laissaient les vacances parlementaires, à provoquer, par toute la France, une grande agitation en faveur de la réforme. Pour trouver l'idée première de cette campagne, il faut remonter à près d'un an en arrière, au lendemain des élections générales d'août 1846. Un des adversaires du cabinet, rencontrant alors un ami de M. Guizot, dans les couloirs de la Chambre, lui avait dit : Vous êtes les plus forts, c'est évident ; votre compte est exact, je l'ai vérifié. Ici, plus rien à faire, plus rien à dire pour nous ; nos paroles seraient perdues. Nous allons ouvrir les fenêtres[1]. A cette époque même, le hasard d'un voyage amenait à Paris Richard Cobden, le grand agitateur anglais, le fondateur de la Ligue, qui venait, après une campagne de plusieurs années, d'imposer aux pouvoirs publics d'outre-Manche l'abolition des lois contre l'importation des céréales. Les députés de l'opposition l'entourèrent aussitôt, non pour prêter l'oreille à ses prédications libre-échangistes, mais pour se faire faire par lui une sorte de cours d'agitation. M. Cobden se prêta à leur enseigner comment on soulevait l'opinion au moyen de pétitions, de souscriptions, de réunions, de banquets[2]. Ces entretiens ne contribuèrent pas peu à confirmer les opposants français dans leur dessein d'agir hors de la Chambre : l'exemple de la ligue anglaise ne leur donnait pas seulement confiance dans le succès ; il les rassurait sur la correction constitutionnelle d'une telle conduite ; comment avoir scrupule d'imiter ce qui était d'usage normal et fréquent sur la terre classique du régime parlementaire ? On ne songeait pas à se demander si la France, avec son passé de révolutions et sa monarchie encore mal assise, pouvait supporter tout ce que supportait l'Angleterre. M. Cobden lui-même, en donnant les renseignements qui lui étaient demandés, avait été loin d'approuver l'entreprise en vue de laquelle on les lui demandait. Ayant appris, en effet, de ses interlocuteurs, qu'il s'agissait seulement de réclamer l'adjonction de deux cent mille électeurs, il se montra stupéfait qu'on recourût à des moyens si extraordinaires, qu'on mît en branle une si grosse machine, pour obtenir un si piètre résultat[3].

Au premier moment, probablement à cause de la diversion produite par les mariages espagnols, aucune suite ne fut donnée au projet d'agitation[4]. On ne s'occupa de le mettre à exécution qu'après le rejet, par la Chambre, en mars et avril 1847, des propositions de réforme électorale et parlementaire. La principale objection faite par les ministres dans la discussion, objection en effet assez fondée, avait été tirée de l'indifférence du pays. On estima que, pour y avoir réponse, il fallait provoquer à tout prix quelque émotion populaire. Par quel moyen ? C'était le cas de se rappeler les leçons de M. Cobden. La question fut l'objet de plusieurs conférences entre les chefs de l'opposition. On y proposa tout d'abord une pétition. Les députés ne pouvaient en prendre l'initiative, puisqu'il s'agissait de faire croire à un mouvement spontané de l'opinion. Ils se mirent alors en rapport avec un comité que nous avons déjà vu à l'œuvre aux élections de 1846, le Comité central électoral de Paris ; celui-ci se montra disposé à donner son concours. Une réunion eut lieu en mai, chez M. Odilon Barrot : les députés y étaient représentés par MM. Duvergier de Hauranne et de Malleville, du centre gauche ; par MM. O. Barrot et de Beaumont, de la gauche ; par MM. Carnot et Garnier-Pagès, de l'extrême gauche ; le Comité central, par MM. Pagnerre, Recurt, Labélonye et Biesta. Il fut décidé, séance tenante, que le Comité central prendrait l'initiative de l'agitation réformiste, et, pour commencer, M. Pagnerre reçut mission de rédiger le projet de pétition.

Comme on le voit par le nom de ses délégués, le Comité central était républicain. Cela n'avait pas empêché les représentants du centre gauche et de la gauche dynastique de réclamer son concours. Depuis longtemps, ils s'étaient habitués à l'idée d'une alliance avec le parti radical. M. Duvergier de Hauranne l'avait professée hautement dans sa brochure sur la Réforme électorale et parlementaire[5]. Quelques jours après, pour mettre sa théorie en pratique, il s'était chargé de négocier, au nom de ses amis, une sorte de traité de paix avec M. Marrast, rédacteur en chef du National ; l'entrevue avait eu lieu chez M. Edmond Adam ; le plénipotentiaire du centre gauche y avait obtenu du journaliste radical qu'il cessât ses attaques contre M. Thiers, et qu'il appuyât dans une certaine mesure la campagne de réforme. L'entente des députés avec le Comité central n'était que le développement logique de l'accord ébauché, quelques mois auparavant, entre M. Duvergier de Hauranne et M. Marrast.

La rédaction du projet de pétition n'était pas sans difficulté : entre les radicaux qui poursuivaient ouvertement le suffrage universel et les dynastiques qui s'en tenaient à une très légère augmentation du nombre des électeurs, il y avait un abîme. M. Pagnerre se tira d'affaire en ne sortant pas des thèses négatives sur lesquelles seules une apparence d'accord était possible ; il dénonça très violemment les vices de la loi électorale et en demanda la réforme, sans indiquer aucunement ce qu'elle devrait être. Comme le disait un commentateur, la pétition laissait ainsi place à toutes les adhésions et à toutes les espérances. Le projet fut approuvé sans difficulté, dans une réunion, tenue chez M. Odilon Barrot, vers la fin de mai. Ce ne fut pas la seule décision prise. Le sentiment général des meneurs était qu'une simple pétition ne suffirait pas à remuer un pays qui, visiblement, s'intéressait peu à la réforme : il fallait trouver un moyen d'agitation plus efficace. Après en avoir discuté plusieurs, on s'arrêta à l'idée d'un banquet offert aux députés par le Comité central et les électeurs de Paris. Qui avait eu le premier cette idée ? L'initiative en a été revendiquée tantôt pour les députés, tantôt pour le Comité central[6]. Peut-être y avait-on pensé simultanément des deux côtés. D'ailleurs, il n'y avait pas là d'invention vraiment nouvelle ; le procédé était connu. Sans remonter au banquet que l'association Aide-toi, le ciel t'aidera, avait offert, en avril 1830, aux 221, n'avait-on pas vu déjà, en 1840, les radicaux entreprendre une campagne de banquets réformistes[7] ? Quoi qu'il en soit, le principe du banquet fut admis par tous. La seule inquiétude exprimée fut que l'indifférence du public n'exposât les promoteurs à un insuccès un peu ridicule. Les questions d'exécution furent renvoyées à une réunion ultérieure, celle du 8 juin, où l'on appela les rédacteurs des journaux opposants. Il y fut décidé que le banquet offert à tous les députés réformistes aurait lieu dans les premiers jours de juillet, avant que la session fût close et que les députés eussent quitté Paris. Pour écarter les risques de désordre, il fut stipulé que les électeurs seraient seuls admis, que la cotisation serait fixée au chiffre relativement élevé de dix francs, et que les toasts seraient arrêtés à l'avance. Il était convenu qu'en cas de succès, on provoquerait d'autres banquets dans les départements, pendant les vacances parlementaires. Le Comité central, qui s'emparait de plus en plus de l'autorité exécutive, se chargea de propager la pétition et d'organiser le banquet. Ses membres ne laissaient pas que de s'étonner de l'aveuglement avec lequel les députés de l'opposition dynastique se livraient à eux. Un jour, sortant avec MM. Carnot, Biesta, Labélonye et Garnier-Pagès, d'une réunion chez M. Odilon Barrot, M. Pagnerre se demandait comment ses propositions relatives au banquet avaient été si facilement acceptées par les modérés : Ces messieurs, disait-il, voient-ils bien où cela peut les conduire ? Pour moi, je confesse que je ne le vois pas clairement ; mais ce n'est pas à nous, radicaux, de nous en effrayer[8].

 

II

Le public accueillit d'abord froidement le projet de banquet. Vainement les journaux battaient-ils le rappel, vainement les députés et les membres du Comité central allaient-ils faire de la propagande sur place dans les divers quartiers, vainement mettait-on en branle les comités d'arrondissement, les adhésions ne venaient que fort lentement. Nous étions assez embarrassés, a confessé plus tard l'un des promoteurs, et, plus d'une fois, nous regrettâmes d'avoir entrepris une œuvre aussi difficile. Cependant, après s'être démené pendant plusieurs semaines, on finit par recruter, dans tout Paris, un nombre suffisant de convives et l'on s'occupa de chercher un local : le choix s'arrêta sur le Château-Rouge, jardin public où se donnaient des bals d'un caractère peu sévère. Le jour fut fixé au 7 juillet, puis, par suite de certaines difficultés, remis au 9. Les audiences du procès Teste-Cubières devaient commencer le 8 : les meneurs comptaient sur cette coïncidence pour échauffer les esprits. Ils firent faire par le propriétaire du Château-Rouge une déclaration à la préfecture de police : rien de plus ; le banquet étant donné dans un local privé, ils estimaient n'avoir pas besoin de demander à l'administration l'autorisation exigée pour les réunions publiques. Le gouvernement, bien que convaincu que la législation lui donnait le droit d'empêcher de semblables réunions, ne voulut pas user de rigueur. Nous résolûmes, dit à ce propos M. Guizot dans ses Mémoires, de laisser à la liberté de réunion son cours, et d'attendre, pour combattre le mal, qu'il fût devenu assez évident et assez pressant pour que le sentiment du public tranquille réclamât l'action du pouvoir en faveur de l'ordre menacé.

Le 9 juillet au soir, douze cents convives, appartenant en général aux opinions avancées, se trouvaient réunis au Château-Rouge. Sur les cent cinquante-quatre députés, classés par leurs votes comme réformistes, et auxquels des invitations avaient été adressées, quatre-vingt-six étaient présents. L'ordre matériel ne fut pas troublé. Le temps était beau. La musique jouait la Marseillaise et autres chants de la Révolution, dont la foule, massée aux abords du jardin, répétait les strophes. Des toasts nombreux, arrêtés à l'avance, furent portés soit par les députés, soit par les membres du Comité central. Il semblait malaisé de tenir un langage qui répondît à la fois aux sentiments des républicains et à ceux des dynastiques. Ce qu'il faut, avait dit un de ces derniers, c'est un discours radical très modéré et un discours centre gauche très vif. Ce programme fut à peu près rempli, surtout dans sa seconde partie. Les républicains se bornèrent généralement à' parler de la réforme : toutefois, un de leurs orateurs, M. Marie, tint à bien marquer que ses amis et lui n'abandonnaient rien de leurs convictions, et que leurs vœux allaient au delà d'une simple modification de la loi électorale. Mais, ajoutait-il, à chaque jour son œuvre, et, pour arriver sûrement au but, il ne faut pas trop se presser... Nous nous associons à l'œuvre qui commence, au parti qui la développera, bien assurés que, lorsqu'il s'agira d'achever la conquête, nous trouverons, à notre tour, pour alliés, tous ceux à qui nous nous allions nous-mêmes aujourd'hui. Un autre républicain, membre du Comité central, parla de 1792 et de 1793, cette époque si calomniée et qui, grâce au ciel, trouve tous les jours de nouveaux et illustres défenseurs. Les députés de la gauche et du centre gauche ne s'effarouchèrent pas de cette évocation jacobine ; leur seule préoccupation paraissait être de se montrer plus agressifs que personne contre le gouvernement. M. Barrot proclama que la révolution de Juillet était systématiquement faussée, trahie, depuis dix-sept ans. Y a-t-il aujourd'hui des incrédules ? s'écriait-il. Les scandales sont-il assez grands ? Le désordre moral qui menace cette société d'une dissolution entière ne se manifeste-t-il pas par des désordres assez éclatants ? Il n'y a que deux moyens de gouverner les hommes : ou par les sentiments généreux, ou par les sentiments égoïstes. Le gouvernement a fait son choix : il s'est adressé aux cordes basses du cœur humain. Après avoir longtemps continué sur ce ton, il finissait par émettre le vœu que la France refît, sous le glorieux drapeau de la révolution de Juillet, ce qu'elle avait manqué en 1830. A la véhémence déclamatoire de M. Odilon Barrot succéda l'âpreté incisive de M. Duvergier de Hauranne. Celui-ci rappelait les dernières heures de la Restauration, l'attentat réactionnaire accompli par la royauté d'alors, l'union victorieuse de tous les libéraux, dynastiques ou non, contre cette royauté, et il trouvait là de grandes ressemblances avec la situation de 1847. La Restauration, disait-il, pour arriver à son but, aimait à prendre les grandes routes et à faire beaucoup de tapage. Le pouvoir actuel, plus modeste, recherche les sentiers détournés et chemine à petit bruit. En d'autres termes, ce que la Restauration voulait faire par les menaces, par la force, le pouvoir actuel veut le faire par la ruse et par la corruption. On ne brise plus les institutions, on les fausse ; on ne violente plus les consciences, on les achète. Pensez-vous que cela vaille mieux ? Je suis d'un avis tout contraire. Pour la liberté, le danger est le même, si ce n'est plus grand, et la moralité court risque d'y périr avec la liberté. Aussi, regardez-vous comme de purs accidents tous ces désordres, tous ces scandales, qui viennent chaque jour porter la tristesse et l'effroi dans l'âme des honnêtes gens ? Non, messieurs, tous ces désordres, tous ces scandales ne sont pas des accidents, c'est la conséquence nécessaire, inévitable, de la politique perverse qui nous régit, de cette politique qui, trop faible pour asservir la France, s'efforce de la corrompre. L'orateur faisait amende honorable pour avoir soutenu, pendant plusieurs années, un tel gouvernement ; mais, ajoutait-il, soldat de la dernière heure, je ne serai pas le moins résolu ; je veux la réforme, parce que je ne veux, sous aucun titre et sous aucune forme, le gouvernement personnel. MM. de Beaumont et de Malleville ne furent pas plus modérés.

Il y avait dans ce banquet quelque chose de plus grave encore que ce qu'on y disait ; c'était ce qu'on n'y disait pas. Entre tant de toasts portés à la souveraineté nationale, à la révolution de 1830, à la réforme, aux députés, au Comité central, à la ville de Paris, à l'amélioration du sort des classes laborieuses, etc., etc., on cherchait vainement un toast au Roi. Ce toast n'eût pourtant pas été omis dans cette Angleterre, des exemples de laquelle on prétendait s'autoriser. Les dynastiques n'auraient-ils pas dû y tenir d'autant plus que le parti républicain prenait une part considérable à la manifestation ? Cependant, ils ne l'avaient pas proposé au moment de dresser la liste des toasts. Deux jours avant le banquet, un député de Paris, M. Malgaigne, avait écrit au Comité pour demander que cette omission fût réparée et en faire la condition de son concours. Sous prétexte que tout était arrêté, on ne lui avait même pas répondu.

 

III

La session parlementaire devait se prolonger encore pendant plusieurs semaines ; tant que les députés étaient ainsi retenus à Paris, il ne pouvait être question de provoquer en province des manifestations semblables à celle du Château-Rouge. Le banquet qui eut lieu à Mâcon, le 18 juillet, ne se rattachait nullement à l'agitation réformiste : offert à M. de Lamartine par ses compatriotes et électeurs, il avait pour objet de célébrer le succès de l'Histoire des Girondins. La cérémonie ne fut pas sans éclat. Au dire des comptes-rendus amis, les assistants étaient près de six mille, dont trois mille convives. Au moment des toasts, un orage éclata, déchirant en partie la toile de la tente et menaçant de faire écrouler la charpente. Ce fut au bruit du tonnerre et du vent, à la lueur des éclairs, que M. de Lamartine prit la parole. Un tel cadre plaisait à son imagination : il se figurait être le Moïse de la révélation démocratique, au milieu des foudres d'un nouveau Sinaï[9]. Il parla longtemps, en rhéteur magnifique, avec une étonnante richesse d'images, sans serrer de près aucune idée. Fort occupé de soi, il se comparait à Hérodote couronné aux jeux Olympiques, et présentait la publication des Girondins comme le principal événement du jour. Mon livre, ajoutait-il en s'adressant à ses auditeurs, avait besoin d'une conclusion ; c'est vous qui la faites. Que voulait-il dire par là ? En dépit de ses protestations contre toute pensée factieuse, ce qui ressortait de son discours, comme naguère de son histoire, c'était l'exaltation de la révolution. Il dressait un réquisitoire véhément contre toute la politique du règne, à laquelle il reprochait d'avoir été la négation des principes de cette révolution. Dans une autre partie de son discours, il faisait du malaise des esprits une peinture qui ne répondait que trop au sentiment d'une partie du public. J'ai dit, il y a quelques années, à la tribune, s'écriait-il, un mot qui a fait le tour du monde et qui m'a été mille fois rapporté depuis par tous les échos de la presse ; j'ai dit un jour : La France s'ennuie ! Je dis aujourd'hui : La France s'attriste !... Qui de nous ne porte sa part de la tristesse générale ? Un malaise sourd couve dans le fond des esprits les plus sereins ; on s'entretient à voix basse, depuis quelque temps ; chaque citoyen aborde l'autre avec inquiétude ; tout le monde a un nuage sur le front. Prenez-y garde, c'est de ces nuages que sortent les éclairs pour les hommes d'État, et quelquefois aussi les tempêtes. Oui, on se dit tout bas : Les temps sont-ils sûrs ? Cette paix est-elle la paix ? Cet ordre est-il l'ordre ? Il montrait ensuite le gouvernement devenu une grande industrie, l'esprit de mercantilisme. et de trafic remontant des membres dans la tête, la Régence de la bourgeoisie aussi pleine d'agiotage, de concussion, de scandales, que la Régence du Palais-Royal, la nation affligée et humiliée de l'improbité des pouvoirs publics, épouvantée par les tragédies de la corruption, et alors, d'un ton fatidique, à cette France qui avait connu les révolutions de la liberté et les contre-révolutions de la gloire, il faisait entrevoir ce qu'il appelait d'un mot vraiment meurtrier, la révolution du mépris.

Quel effet ne devaient pas avoir de telles paroles sur un public encore tout ému des scandales du procès Teste ! Quant à l'orateur, il sortait de là peut-être plus échauffé encore que l'auditoire. L'ivresse et le vertige qui l'avaient peu à peu gagné, tandis qu'il écrivait les Girondins, s'en trouvaient accrus. L'orage au milieu duquel il venait de parler et qu'il se flattait d'avoir dominé par son éloquence, lui apparaissait comme le symbole de la tempête révolutionnaire qui, dans sa pensée, devait servir de cadre à son exaltation politique. Plus que jamais, il était prêt à se jeter, les yeux fermés, dans l'inconnu. Nous commençons une grande bataille, la bataille de Dieu, lisons-nous dans une de ses lettres. On me l'écrit de toutes parts et dans toutes les langues. Je suis l'horreur dès uns et l'amour des autres... Quant à moi, je ne recule pas. Je me dévoue à Dieu et aux hommes pour Dieu. Il faut que quelques-uns se brûlent la main ; je serai ce Mucius Scævola de la raison humaine, s'il le faut[10].

Bien qu'étrangers à la réunion de Mâcon, les promoteurs de l'agitation réformiste ne pouvaient qu'être heureux de son retentissement et se sentaient ainsi confirmés dans leur projet d'organiser des banquets en province. Aussi bien, à la fin de juillet, avec la clôture des travaux de la Chambre des députés[11], le moment paraissait venu de réaliser ce projet. Mais autre chose était de rêver, à Paris, entre meneurs, d'une grande agitation ; autre chose, de trouver par toute la France des gens disposés à se mettre en mouvement. Vainement le Comité central envoyait-il, le 1er août, à tous ses correspondants, une circulaire où, après avoir vanté le banquet du Château-Rouge, il les engageait à en organiser de semblables dans leurs arrondissements, à peu près personne ne parut, sur le premier moment, disposé à répondre à cet appel ; le cri de la réforme ne trouvait pas d'écho. Les ministres, rassurés par cette indifférence, se flattaient que le pays était retombé dans le calme plat qui était l'état ordinaire des vacances parlementaires. M. Duchâtel écrivait à M. Dupin, le 15 août : Il n'y a rien de nouveau ; c'est le moment où tout dort[12]. Trois jours ne s'étaient pas écoulés que ce sommeil était tragiquement interrompu.

 

IV

Le 18 août, à quatre heures et demie du matin, dans un hôtel du faubourg Saint-Honoré, les domestiques du duc de Choiseul-Praslin sont réveillés par des secousses violentes imprimées aux sonnettes qui communiquent avec l'appartement de la duchesse. Accourus précipitamment, ils perçoivent à travers les portes fermées de cet appartement comme le bruit d'une lutte. Quand, après plusieurs tentatives infructueuses, ils parviennent à y pénétrer, ils trouvent, étendu sur le parquet, vêtu d'une seule chemise, le cadavre de leur maîtresse. Le désordre des meubles, les traces de sang partout imprimées témoignent que la victime s'est débattue. La justice est aussitôt avertie ; dès ses premières constatations, il lui apparaît avec évidence que le mari est l'auteur du meurtre.

Descendant d'une race illustre, âgé de quarante-deux ans, le duc de Choiseul-Praslin était chevalier d'honneur de la Reine et pair de France ; la duchesse, qui avait deux ans de moins, était la fille unique du maréchal Sébastiani ; elle avait apporté une fortune considérable à son mari. L'union, contractée alors que les deux époux étaient encore très jeunes, avait paru d'abord heureuse ; neuf enfants en étaient nés. La duchesse, très pieuse, intelligente, d'âme élevée, de cœur tendre, de nature ardente, portait à son mari un amour passionné, exigeant. Le duc, après y avoir répondu pendant quelque temps, finit par s'en fatiguer. D'un tempérament vulgairement libertin, il se mit à courtiser les caméristes et les gouvernantes. Les plaintes jalouses de sa femme ne firent que l'aliéner davantage. Jusqu'en 1841, cependant, rien qui différât beaucoup de ce qui se passait dans plus d'un ménage. A cette époque, entra dans la maison, comme gouvernante des enfants, une demoiselle Deluzy, habile, dominatrice, intrigante, qui ne fut pas longue à s'emparer complètement du cœur et de l'esprit du duc et de ses enfants. La duchesse, absolument supplantée, tenue à l'écart, condamnée à vivre en étrangère au milieu de sa propre famille, journellement outragée dans ses affections et dans sa dignité, en était réduite à exhaler sa douleur, soit dans des lettres qu'elle écrivait à son mari pour tâcher de le ramener, soit dans des notes intimes que la justice découvrit après sa mort. Le scandale devint tel, que le vieux maréchal Sébastiani crut devoir intervenir. Devant la menace d'une séparation, le duc, qui avait besoin de la fortune de sa femme, consentit, en juillet 1847, à éloigner Mlle Deluzy ; mais il ne rompit pas pour cela avec elle. Une correspondance s'établit entre eux ; il allait la voir et lui menait ses filles. Quant à sa femme, il la détestait d'autant plus qu'elle l'avait contraint à cette séparation. Jamais il ne me pardonnera, écrivait la duchesse sur son journal ; l'avenir m'effraye ; je tremble en y songeant. Se rendait-elle compte que, dès ce moment, le misérable avait décidé de la tuer ? Il tâtonna pendant quelques semaines, ébaucha divers projets, et enfin, pendant un voyage à Paris, consomma son crime, au sortir d'une visite faite à Mlle Deluzy.

La première mesure à prendre par les autorités judiciaires semblait être de faire conduire en prison l'homme que tout désignait comme l'assassin. Le procureur général, M. Delangle, se crut empêché de prendre cette mesure, par l'article 29 de la Charte[13]. A son avis, un pair ne pouvait être emprisonné qu'en vertu d'un mandat délivré par la Chambre haute. Or, cette Chambre n'était pas réunie : il fallait, pour la convoquer et la saisir, une ordonnance royale, et le Roi était à Eu ; si vite qu'on procédât, ces formalités exigeaient plusieurs jours. Devant de telles conséquences, le chancelier, M. Pasquier, exprima tout de suite l'avis très net que la magistrature devait, en attendant, décerner le mandat d'arrêt et prendre toutes les décisions nécessaires pour assurer la répression. Tant que le droit exceptionnel n'est pas encore en mesure d'agir, disait-il, le droit commun conserve son empire. Il alla jusqu'à offrir d'assumer seul toute la responsabilité et de signer le mandat en sa qualité de président. Ce fut vainement. Le procureur général s'obstina dans son scrupule constitutionnel, et, jugeant une arrestation régulière impossible, il se borna à faire garder à vue le meurtrier dans ses appartements.

Aussitôt répandue dans le public, la nouvelle du crime y produisit une émotion extraordinaire. En tout temps, elle eût fort troublé les esprits ; elle devait le faire plus encore au lendemain du procès Teste. C'était un réveil et une aggravation de tous les sentiments mauvais, dangereux, que ce procès avait fait naître dans le peuple. La foule, écrivait sur le moment même un témoin, ne cesse de stationner devant l'hôtel où le crime a été commis. Elle est très irritée, très disposée à craindre qu'on ne veuille sauver l'assassin, parce qu'il est noble et riche. Elle tient de détestables propos contre les classes élevées[14]. La décision prise par le parquet de laisser l'accusé chez lui n'était pas faite pour dissiper les soupçons. D'ailleurs, l'esprit de parti s'appliquait à aviver et à exploiter cette émotion. Si jamais crime fut le résultat d'une perversion tout individuelle où la politique n'avait pas de part, c'était bien celui-là. Les feuilles de M. Thiers, le Constitutionnel en tête, ne s'ingéniaient pas moins à trouver la un argument contre ce qu'ils appelaient la politique corruptrice du ministère. Quant aux journaux démocratiques, ils saisissaient cette occasion d'exciter la haine et la colère du peuple ; ils affectaient de voir dans MM. Teste et Cubières le type de nos hommes politiques, et dans le duc de Praslin celui de nos grands seigneurs. Quelques-uns d'entre eux se livraient à de tels excès de langage et dissimulaient si peu leurs conclusions factieuses, qu'ils étaient saisis et que le jury les condamnait.

Cependant le gouvernement hâtait, autant qu'il le pouvait, la constitution de la Chambre des pairs en cour de justice. L'ordonnance royale, signée à Eu le 19 août, parvenait le 20 au chancelier, qui aussitôt ordonnait d'amener l'accusé dans la prison du Luxembourg : telle était l'excitation de la foule, qu'on dut procéder de nuit à cette translation. Mais ce n'était plus qu'un moribond qui était ainsi remis à la garde de la cour des pairs. En effet, aussitôt qu'il avait vu son crime découvert, le duc avait profité de ce qu'on le laissait dans son appartement, pour avaler, à l'insu de ses gardiens, le contenu d'une fiole d'arsenic ; quand les premiers effets de l'empoisonnement s'étaient fait sentir, on avait consenti à appeler son propre médecin ; celui-ci, croyant ou feignant de croire à une attaque de choléra, avait usé d'une médication qui ne pouvait arrêter les ravages du poison. Dans ces circonstances, le chancelier ne voulut pas perdre une minute et procéda immédiatement à l'interrogatoire. L'accusé, pressé par lui de faire un aveu qui eût témoigné de quelque repentir, prit prétexte de sa faiblesse et de ses souffrances pour refuser toute réponse. Vainement lui fit-on observer qu'on ne lui demandait qu'un oui ou un non, et que le refus de prononcer le non était déjà un aveu, rien ne put vaincre son obstination taciturne. Trois jours de suite, M. Pasquier recommença sans succès sa tentative. Le 24 août, averti par les médecins, le chancelier fit venir un prêtre ; le mourant allégua encore ses souffrances pour refuser tout entretien. A cinq heures du soir, il succombait.

Cette mort décevait la curiosité cruelle et la passion envieuse de ceux qui aspiraient à voir un grand seigneur monter sur l'échafaud ; ils en laissèrent échapper un cri de rage. Le National, avec cette ironie vraiment féroce qui caractérisait presque tous ses articles sur cette triste affaire, donna à entendre que ce qui venait de se passer était une comédie, concertée assez peu adroitement, pour dérober autant que possible aux flétrissures de la justice celui qu'il affectait toujours d'appeler le pair de France, le chevalier d'honneur. La Démocratie pacifique disait, de son côté : De malheureux affamés portent leur tête sur l'échafaud, à Buzançais, et le duc et pair, le chevalier d'honneur, qui a massacré, pendant un quart d'heure, la plus respectable femme qui était la sienne depuis dix-huit ans, dont il avait eu onze enfants, en est quitte pour avaler une petite fiole de poison. Ainsi excité, le public en vint même à douter de la réalité de la mort, et le bruit courut qu'on avait fait évader le coupable. Le 25 août, pendant que se faisait l'autopsie, une foule menaçante se pressait aux abords de la prison et demandait à voir le corps ; il fallut employer la force pour la disperser. Ce soupçon devait persister pendant longtemps.

Le trouble de l'opinion détermina le chancelier à un acte tout à fait extraordinaire. Dans notre droit moderne, il n'y a plus de procès à la mémoire ; la mort du coupable le soustrait à la justice humaine et met fin à toute accusation. Le chancelier crut nécessaire de se placer au-dessus de ce principe. Dans la séance du 30 août, il fit à la cour des pairs, réunie en chambre du conseil, un rapport où étaient exposés tous les faits constatés par l'instruction ; il y proclamait la culpabilité de l'homme qui s'était jugé et condamné lui-même, et exprimait le regret que la réparation n'eût pas été aussi éclatante que l'attentat. — L'égalité devant la loi, ajoutait-il, devait, dans une pareille affaire, être plus hautement proclamée que jamais. La cour ordonna la publication de ce rapport. Elle poursuivait ainsi le pair indigne jusque dans sa tombe, pour le flétrir, et, suivant l'expression de M. Pasquier lui-même, elle prononçait, après la mort de l'accusé, l'arrêt qui ne devait régulièrement l'atteindre que vivant[15]. C'était une mesure sans précédent, — le duc de Broglie la qualifiait même tout bas de monstrueuse, — et, si elle avait été prise par un tribunal ordinaire, la cour de cassation l'eût certainement annulée. La cour des pairs et son président n'avaient pas cependant hésité, tant il leur tenait à cœur de montrer au public que le privilège de la pairie, loin d'assurer l'impunité au criminel, le soumettait au contraire à une répression plus sévère.

Cet acte cependant ne suffit pas à calmer les esprits. On ne saurait se rendre compte, aujourd'hui, à quel point le crime du duc de Praslin avait assombri l'imagination populaire. Chez beaucoup, même en dehors de toute prévention de parti, il y avait comme le sentiment d'une société qui se détraque[16]. Cette impression gagnait jusqu'aux coins les plus reculés de la province. D'un petit village de Normandie, M. de Tocqueville écrivait, le 27 août : J'ai trouvé ce pays-ci dans un bien redoutable état moral. L'effet produit par le procès Cubières a été immense. L'horrible histoire aussi dont on s'occupe depuis huit jours est de nature à jeter une terreur vague et un malaise profond dans les âmes. Elle produit cet effet, je le confesse, sur la mienne. Je n'ai jamais entendu parler d'un crime qui m'ait fait faire un retour plus pénible sur l'homme en général et sur l'humanité de mon temps. Quelle perturbation dans les consciences un pareil acte annonce ! Comme il fait voir toutes les ruines que les révolutions successives ont produites ![17] Plus loin encore, au fond de l'Algérie, l'émotion n'était pas moins vive, et, de Miliana, le colonel de Saint-Arnaud écrivait à son frère, le 1er septembre : Quel siècle et quelle crise ! Quelle époque fatalement marquée ! Des ministres, des pairs, des généraux, des intendants, la tête, l'élite de la société en accusation, et, pour combler la mesure, l'aristocratie de France frappée au cœur par le poignard d'un Choiseul-Praslin ! Quel est le membre de cette société malade qui n'est pas atteint d'une fièvre de dégoût ?[18]

Ce n'est pas sur les marches du trône que l'angoisse était le moins vive. Elle apparaît particulièrement douloureuse chez la duchesse d'Orléans, qui n'était pas, il est vrai, sans prévention contre la direction alors donnée à. la politique. Il y a, écrivait-elle, des sujets amers, à l'ordre du jour, qui me font ouvrir les journaux en rougissant. Je suis triste au fond de l'âme de ce malaise général qui règne dans les esprits, de la désaffection, du discrédit qui rejaillit sur les classes élevées, de ce dégoût qui gagne tout le monde. Nous allions trop bien ; on s'est engourdi, on a lâché la bride... L'ébranlement moral se manifeste non par des secousses subites ou des bouleversements, mais par la faiblesse qui gagne les chefs et l'indifférence qui gagne le peuple. Il nous faut une réaction. Pour réprimer le mal, il faut une main habile ; pour le guérir, il faudrait un cœur sympathique. Hélas ! ma pensée ne rencontre qu'un prince qui ait compris cette époque, dont l'âme délicate éprouvait le contre-coup des souffrances morales du pays : non, il les devinait plutôt ! Il aurait su retremper son pays, lui imprimer un nouvel élan... La France a besoin de lui ; mais Dieu le lui a enlevé ! Quel sera notre avenir ? C'est une pensée qui agite mes nuits et trouble mes heures de solitude. Le mal est profond, parce qu'il atteint les populations dans leur moralité. Est-il passager, ou est-ce le symptôme de l'affaiblissement ? Je ne saurais prononcer, mais je demande à Dieu de répandre un souffle vivifiant sur notre vieille terre de France[19].

L'inquiétude qui se manifestait ainsi partout n'était que trop fondée. Dans les conditions où il est survenu, le crime du duc de Praslin a été l'un des événements les plus funestes non seulement à la monarchie, mais à la société[20]. S'en est-on rendu compte sur le moment ? Depuis la fin de la session, en dépit des railleurs qui plaisantaient les gens timides, ayant les oreilles assez fines pour entendre de sourdes rumeurs dans les bas-fonds de la société[21], l'appréhension plus ou moins vague d'une révolution possible et prochaine avait traversé certains esprits[22]. L'émoi causé par le crime du duc de Praslin n'était pas fait pour dissiper ces sombres pronostics. Quelques heures après l'assassinat, M. Mole écrivait à M. de Barante : Notre civilisation est bien malade, et rien ne m'étonnerait moins qu'un bon cataclysme qui mettrait fin à tout cela[23]. M. de Tocqueville, plus enclin qu'un autre à ces pressentiments, écrivait, le 25 août, à un Anglais de ses amis : Vous trouverez la France tranquille et assez prospère, mais cependant inquiète. Les esprits y éprouvent, depuis quelque temps, un malaise singulier ; et, au milieu d'un calme plus grand que celui dont nous avons joui depuis longtemps, l'idée de l'instabilité de l'état de choses actuel se présente à beaucoup d'esprits[24]. Il ajoutait, dans une autre lettre, le 27 août : Nous ne sommes pas près peut-être d'une révolution ; mais c'est assurément ainsi que les révolutions se préparent[25]. Et enfin, au mois de septembre : Pour la première fois, depuis la révolution de Juillet, je crains que nous n'ayons encore quelques épreuves révolutionnaires à traverser. J'avoue que je ne vois pas comment l'orage pourrait se former et nous emporter ; mais il se lèvera tôt ou tard, si quelque chose ne vient pas ranimer les esprits et relever le ton des âmes[26]. Toutefois, il ne conviendrait pas de prendre trop à la lettre ou de trop généraliser ces explosions de pessimisme, habituelles aux époques de malaise. Au fond, le public avait le sentiment qu'on traversait une crise grave, que la monarchie en souffrait, que la société était malade ; il était disposé à voir les choses très en noir ; mais il n'avait nullement la prévision réfléchie et précise d'une révolution prochaine. Les plus inquiets, y compris M. de Tocqueville, eussent été bien surpris si on leur eût annoncé ce qui devait se passer quelques mois plus tard.

Au premier rang de ceux qui ne voyaient pas le danger d'une catastrophe prochaine, il faut nommer les membres du cabinet ; ils ne semblaient même pas douter de leur avenir ministériel. Leur sécurité et leur confiance étonnaient les conservateurs les plus résolus. Le ministère, écrivait le maréchal Bugeaud à la date du 3 septembre, paraît vouloir braver une autre session : c'est du courage ! Car la situation est mauvaise ; l'esprit public se pervertit chaque jour par les déclamations de la presse, qui s'appuie sur des faits malheureux dont la portée est terriblement exagérée par l'esprit de parti[27]. Le duc de Broglie, étant venu passer quelques jours à Paris, au commencement de septembre, mandait à son fils qu'il n'avait découvert dans le gouvernement aucune trace de découragement. Je ne parle pas du Roi et de M. Guizot, disait-il, qui ne sont point sujets à cette faiblesse et qui m'ont paru tout aussi décidés, tout aussi confiants que jamais ; mais j'ai trouvé à peu près la même disposition dans Duchâtel, bien qu'il ait toujours quelques ressentiments de fièvre, et le reste du ministère ne demande qu'à bien faire[28]. Le cabinet choisit même ce moment pour effectuer, dans sa composition intérieure, un changement qui indiquait tout le contraire d'une disposition à capituler. On sait pour quelles raisons, lors de la formation du ministère du 29 octobre 1840, on avait attribué au maréchal Soult la présidence du conseil : un grand nom guerrier avait paru utile pour faire accepter au pays les sacrifices imposés par la politique de paix, et il avait été jugé nécessaire de tenir compte des préventions que les vaincus de la coalition gardaient encore si vives contre M. Guizot. Depuis lors, bien que le temps eût peu à peu effacé les circonstances passagères qui avaient justifié cette combinaison, M. Guizot n'avait pas demandé à devenir le chef nominal du ministère dont il portait la responsabilité. Il y avait là cependant, pour lui, autre chose que la privation d'un titre ; il en résultait, dans l'exercice même du gouvernement, une gêne que les caprices, l'humeur et la susceptibilité du maréchal n'étaient pas toujours faits pour diminuer. M. Guizot se résignait à cette gêne. Il ne voulait probablement pas qu'on l'accusât d'augmenter les difficultés du gouvernement, pour se donner une satisfaction de vanité personnelle. Peut-être aussi se rappelait-il ce qu'il lui en avait coûté, sous le ministère du 11 octobre, dans des circonstances, il est vrai, différentes, pour n'avoir pas supporté patiemment certains inconvénients de la présidence du maréchal. Il laissa ainsi passer près de sept années. Ce ne fut pas par sa volonté que cette situation changea ; ce fut par la volonté du maréchal, qui, accablé par l'âge, pressé par sa famille, annonça la résolution formelle de se retirer[29]. La place devenue ainsi vacante, M. Guizot n'avait plus aucune raison de ne pas l'occuper ; le désir du Roi et le vœu unanime de ses collègues l'y appelaient ; en face des périls de l'heure présente, au lendemain d'une session où le cabinet avait failli périr par défaut de cohésion, il paraissait utile d'y fortifier le commandement intérieur. Une ordonnance du 19 septembre 1847 nomma donc M. Guizot président du conseil. L'un de ses premiers actes fut de contresigner la décision conférant à son prédécesseur le titre extraordinaire de maréchal général, qui n'avait été possédé, avant lui, que par Turenne, Villars et Maurice de Saxe. M. Guizot, en s'élevant si tard et après un si long exercice du pouvoir au poste que M. Thiers avait déjà occupé deux fois, en 1836 et en 1840, ne pouvait pas être accusé d'une prétention outrecuidante et d'une ambition prématurée. L'opposition trouva cependant le moyen de crier contre cette nomination ; ce n'était pas sérieux ; on pouvait discuter s'il y avait lieu ou non de maintenir le ministère ; mais du moment qu'on le maintenait, il était naturel, logique, sincère de lui donner pour président M. Guizot.

 

V

Durant ce temps, que devenait la campagne réformiste ? L'émotion causée par l'affaire Praslin, si exploitée qu'elle fût par les agitateurs, ne parut pas tout d'abord donner plus d'activité aux banquets. Pendant les deux premiers mois, a écrit quelque temps après l'un des meneurs, nous eûmes peu de succès, et c'est à peine si, à grand renfort d'articles de journaux, nous parvînmes à organiser deux ou trois banquets. Où essaya de mettre en mouvement les conseils généraux. Huit ou neuf au plus émirent des vœux en faveur de la réforme ou demandèrent des mesures contre la corruption régnante[30]. Ce fut seulement vers la fin de septembre que toutes ces excitations commencèrent à avoir raison de l'indifférence du public. A force de secouer des torches sur ce bois vert, on était parvenu à l'enflammer. Une fois allumé, le feu se propagea assez rapidement. Dans les derniers jours de septembre et pendant le mois d'octobre, beaucoup de villes, grandes ou petites, eurent leurs banquets, imités de celui du Château-Rouge.

Ce n'était certes pas un mouvement spontané et profond. Le secrétaire du Comité central, chargé de la correspondance, M. Elias Regnault, a écrit après coup : On ne saurait croire combien l'agitation des banquets fut superficielle et factice ; il faudrait, pour cela, consulter les correspondances du Comité central ; on y verrait quelles difficultés présentait l'organisation des banquets de province[31]. Le public de ces réunions se composait de deux éléments fort différents : quelques hommes de parti, généralement d'opinions très avancées ; beaucoup de curieux qui voyaient là une distraction à la monotonie de leur vie de province. Les toasts, les discours ne se composaient que de banalités violentes. Pour être au ton, il fallait accuser le gouvernement de croupir dans la fainéante quiétude d'un égoïsme repu et de noyer le sentiment public dans une mare d'indignité et de corruption. Certains orateurs se transportaient d'une ville à l'autre. Ce qui attirait surtout aux banquets les électeurs des campagnes, rapporte encore M. Elias Regnault, c'était la présence annoncée d'un député de renom ; et M. Odilon Barrot remplissant alors les journaux de ses harangues, chaque ville le demandait, l'exigeait à son tour ; chaque correspondant écrivait au Comité qu'il n'y avait pas à songer au banquet, si l'on n'envoyait M. Odilon Barrot. Mais M. Barrot ne pouvait pas être partout à la fois. Le Comité central offrait alors d'autres noms, accueillis ou rejetés par le comité local, qui souvent les marchandait au poids et à la qualité. On ne pouvait, du reste, reprocher à M. Odilon Barrot de se ménager : il figura dans plus de vingt banquets, toujours convaincu de l'importance et de la solennité de son rôle, inconscient du mal qu'il faisait. Son habit bleu et son pantalon gris étaient bien connus du public de ces réunions ; l'heure du discours était-elle venue, il prenait des poses de tribun, croisait ses bras, agitait sa tête et lançait avec véhémence des phrases toutes faites sur la corruption du dedans et les humiliations du dehors, sur les empiétements du pouvoir royal et la Sainte-Alliance des peuples[32].

Au sein même de l'opposition, les esprits un peu délicats et sincères avaient peu de goût pour cette parade. Un jeune républicain, M. Lanfrey, écrivait alors à un de ses amis : Je ne te cèlerai pas que j'abhorre le genre banquet... De tous les charlatans et de tous les déclamateurs, les charlatans et les déclamateurs démocratiques sont, de beaucoup, les plus terribles. Je hais les factieux, ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas les grands révolutionnaires. J'appelle factieux ces êtres sans dignité qui, sans avoir seulement raisonné leurs convictions, font de l'opposition entre la poire et le fromage, au milieu des fumées du vin, et qui n'injurient que parce qu'ils peuvent injurier sans danger. Ils ont, en général, de grosses faces, réjouies qui jurent avec leurs sombres discours, et sont les ennemis personnels de M. le maire, de M. le préfet ou de M. le député qui ont refusé de pousser leurs fils. Voilà les gens qui peuplent les banquets. Aussi le peuple est-il très sceptique à leur endroit, et ce n'est pas sans ironie qu'il voit défiler la procession de ces messieurs 2[33]. Ce scepticisme n'eût-il pas été plus grand encore, si l'on avait pu alors deviner que, parmi les plus animés contre le pouvoir personnel, parmi les plus ardents à se plaindre de ne pas respirer assez librement sous le despotisme de Louis-Philippe, se trouvaient plusieurs futurs fonctionnaires ou même futurs ministres de Napoléon III ; tel, pour n'en citer qu'un, M. Abbatucci, député du Loiret et président de chambre à la cour d'Orléans, qui s'écriait, au banquet de cette ville : Eh quoi ! après soixante ans de luttes arrosées de tant de sang et de tant de larmes, après deux révolutions glorieuses et sans égales dans les fastes du monde, en serions-nous encore réduits à nous demander si la pratique réelle, sincère, du gouvernement représentatif est possible ? Ce même M. Abbatucci, quatre ans plus tard, au lendemain du 2 décembre, acceptait le ministère de la justice.

Plus les banquets se multipliaient, plus l'élément révolutionnaire y prenait d'importance. Les dynastiques n'avaient pas prévu cette conséquence, pourtant inévitable, de leur alliance avec les radicaux. Ils avaient été probablement induits en erreur par certains souvenirs. Quand il s'était agi de coalitions purement parlementaires, les députés de l'extrême gauche, qui, clans la Chambre, se savaient peu nombreux et sans crédit, avaient été le plus souvent réduits à se mettre derrière l'opposition constitutionnelle, et celle-ci avait pu croire qu'elle se servait d'eux plus qu'elle ne les servait. Mais tout autre était la situation, du moment où l'on sortait sur la place publique, où l'on provoquait une agitation populaire ; alors le premier rôle passait forcément aux vrais agitateurs, c'est-à-dire aux radicaux ; à leur tour de se sentir sur leur terrain et de prendre la tête du mouvement. Un fait entre plusieurs manifestait leur prépondérance : dans le plus grand nombre des banquets, comme naguère au Château-Rouge, aucun toast n'était porté au Roi ; omission d'autant plus significative qu'elle était soulignée par les polémiques de la presse. Lorsqu'on avait décidé d'organiser des banquets en province, les dynastiques s'étaient bornés à convenir plus ou moins explicitement avec les radicaux que cette question du toast resterait subordonnée aux circonstances locales, et que la santé du Roi serait ou ne serait pas portée, selon l'esprit particulier de chaque localité[34]. Au fond, d'ailleurs, l'exclusion de tout hommage à la couronne, si elle était contraire aux principes de ces députés, était en harmonie avec leurs passions du moment. N'étaient-ils pas alors en lutte directe avec le Roi lui-même ? Il nous paraissait, a avoué l'un d'eux, qui était pourtant nettement monarchiste, qu'il n'y avait ni sincérité ni dignité à placer sous l'invocation du nom du Roi une manifestation dirigée contre le gouvernement personnel.

Pendant que la monarchie était exclue des banquets, on laissait le socialisme y prendre place plus ou moins ouvertement. A entendre ceux qui développaient le toast presque partout porté à l'amélioration du sort des classes laborieuses, il semblait que le mot réforme impliquât la réforme de la propriété et de toute la société bourgeoise ; aussi bien, n'était-ce pas la conséquence logique de tant de déclamations sur la corruption de cette société ? Au banquet de Saint-Quentin, sous la présidence de M. Odilon Barrot, M. Considérant portait un toast à l'organisation progressive delà fraternité dans l'humanité, et l'on sait ce qu'entendait par là le principal apôtre du fouriérisme. Au banquet d'Orléans, un député républicain, d'ordinaire plus modéré, M. Marie, faisait, entre les vertus, les souffrances, l'infériorité politique des ouvriers, et les richesses, l'égoïsme, la corruption, les privilèges de l'aristocratie bourgeoise, des antithèses que M. Louis Blanc n'eût pas désavouées et qui ressemblaient fort à un cri de guerre sociale.

Si M. Odilon Barrot et ceux de ses amis qui s'étaient jetés avec lui, tête baissée, dans cette campagne, ne paraissaient pas s'inquiéter du tour de plus en plus révolutionnaire qu'elle prenait, il n'en était pas de même de tous les membres de l'opposition dynastique. M. Léon Faucher, qui avait participé d'abord à quelques banquets, se retira en voyant ce qu'ils devenaient[35]. D'autres, tels que MM. de Tocqueville, Billault, Dufaure, s'étaient abstenus dès le premier jour[36]. Ce qui était survenu depuis les avait confirmés dans leur abstention et leur défiance. M. Dufaure se crut même obligé de manifester hautement son blâme ; invité, en octobre, à présider le banquet de Saintes, il refusa par lettre publique. Lorsqu'au mois de juin dernier, disait-il, le premier banquet réformiste a été préparé à Paris, nous avons prévu, mes amis et moi, qu'il aurait un autre caractère politique que celui que nous voulions lui donner ; nous avons refusé d'y assister ; l'événement a justifié nos prévisions. La presse de gauche, fort irritée de cette lettre, riposta en reprochant amèrement à M. Dufaure ses susceptibilités, son orgueil, son esprit faux et étroit. Faut-il croire qu'à cette époque, M. Dufaure, dégoûté de la gauche, tendait à se rapprocher du cabinet ? Ce qui est certain, c'est que M. Guizot avait alors quelque velléité de créer ce ministère de l'Algérie que M. Dufaure avait demandé dans le rapport fait, en 1846, au nom de la commission des crédits, et qu'il songeait à le lui offrir[37].

Il ne faudrait pas croire cependant que tous les députés qui ne prenaient pas part aux banquets, les désapprouvassent. Quelques-uns ne s'abstenaient que pour ménager leur situation ou tenir compte de certaines convenances. M. de Rémusat, par exemple, jugeait qu'ayant été ministre du Roi, il ne pouvait prendre une part personnelle à cette campagne, mais il encourageait ceux qui, plus libres que lui, s'y étaient engagés[38]. C'était aussi un peu le cas de M. Thiers. Au fond, sans doute, il n'augurait pas grand'chose de bon de cette agitation, et il laissait volontiers à M. Odilon Barrot la gloire de parader sur les tréteaux des banquets[39]. Mais il veillait bien à ce que, du moins à gauche, son abstention ne fût pas interprétée comme un blâme ; causait-il avec les agitateurs, il déclarait être de cœur avec eux et leur donnait à entendre que, s'il se tenait à l'écart, c'était pour leur laisser plus de liberté. Ma présence, leur disait-il sur un ton de confidence, pourrait être une gêne pour les orateurs, sinon les discours de ces derniers pourraient être une gêne pour moi. On racontait ce propos de M. Odilon Barrot : M. Thiers ne figure pas comme convive dans nos banquets, mais il en est le cuisinier. Parmi ceux qui ne se mêlaient pas à l'agitation réformiste, il faut aussi nommer M. de Lamartine. Convié, à raison même du retentissement qu'avait eu la réunion de Mâcon, à présider plusieurs banquets, il s'y refusa. Le rôle de courrier national ne me convient pas, écrivait-il à un de ses amis ; je voudrais m'en tenir à Mâcon. Ce n'était, certes, de sa part, ni timidité ni scrupule conservateur ; c'était répugnance à prendre place dans une campagne qu'il ne commandait pas.

 

VI

Les radicaux extrêmes, ceux que représentaient à la Chambre M. Ledru-Rollin et dans la presse la Réforme[40], ne s'étaient pas jusqu'alors mêlés à la campagne des banquets ; l'objet leur en paraissait mesquin, les conditions suspectes. Ils n'avaient pas manqué, fidèles en cela à la tradition jacobine, d'accuser de trahison les républicains qui, sous prétexte de poursuivre une réforme illusoire, consentaient à donner la main à des monarchistes. Cependant, au bout de quelque temps, ils se prirent à regretter de n'avoir point de part à une agitation qui devenait si révolutionnaire, et ils cherchèrent une occasion de sortir de leur abstention. Un banquet était annoncé à Lille, sous la présidence de M. Odilon Barrot, pour le 7 novembre 1847. Parmi les membres du comité local était un journaliste de province, alors peu connu, mais qui devait acquérir une sinistre notoriété lors de la Commune de 1871 ; il s'appelait Charles Delescluze. Sur sa proposition, une invitation fut adressée à MM. Ledru-Rollin et Flocon. Ceux-ci l'acceptèrent ; seulement, pour n'avoir pas l'air d'adhérer à ce qu'ils avaient blâmé, ils firent annoncer avec fracas par la Réforme que, s'ils se rendaient au banquet de Lille, c'était pour y relever un drapeau que d'autres avaient abaissé.

Si habitué que fût M. Odilon Barrot à tout supporter, il s'effaroucha de l'adhésion de M. Ledru-Rollin et des commentaires de la Réforme. On eût dit que cet incident lui révélait tout d'un coup des périls auxquels jusqu'alors il n'avait pas songé. Comme le disait plaisamment la Revue des Deux Mondes, il se frotta les yeux et s'aperçut que, depuis trois ou quatre mois, on le faisait dîner avec la République. C'était un peu tard pour faire ses conditions : il l'essaya cependant. Il n'alla pas jusqu'à exiger un toast au Roi, mais il demanda qu'on ajoutât à celui qui devait être porté à la réforme électorale et parlementaire, ces mots : comme moyen d'assurer la pureté et la sincérité des institutions de Juillet. Par cette phrase, sans oser nommer la monarchie, on en reconnaissait implicitement l'existence. Le chef de la gauche était convaincu que personne n'hésiterait à payer d'une si petite concession le grand avantage de sa présence et de sa parole. Aussi fut-il fort surpris.et mortifié, quand les commissaires du banquet, toujours poussés par M. Delescluze, lui répondirent par un refus. Il déclara que ses amis et lui n'assisteraient pas au banquet. On se passa d'eux. M. Ledru-Rollin, resté maître du terrain et devenu l'orateur principal de la cérémonie, se livra, dans un toast aux travailleurs, à des déclamations aussi creuses que sonores sur les souffrances du peuple. Puis, s'élevant contre ceux qui, après avoir découvert dans la société actuelle des plaies honteuses, n'offraient pour y remédier que des demi-mesures, des petits moyens, il donna à entendre que seule une grande révolution pouvait tout purifier. Parfois aussi, s'écriait-il, les flaques d'eau du Nil desséché, les détritus en dissolution sur ses rives apportent la corruption et l'épidémie ; mais que l'inondation arrive, le fleuve, dans son cours impétueux, balayera puissamment toutes ces impuretés, et, sur ses bords, resteront déposés des germes de fécondité et de vie nouvelle.

La mésaventure de M. Barrot fut très remarquée. Tandis que les promoteurs originaires de la campagne des banquets en étaient assez penauds, les conservateurs se réjouissaient de voir ainsi justifiés tous les avertissements qu'ils avaient donnés aux dynastiques. Il vous restait une dernière humiliation à subir, disait le Journal des Débats à M. Odilon Barrot et à ses amis, celle d'être chassés de vos propres banquets. Celle-là même ne vous a pas manqué... Avoir fait tant de bruit des banquets réformistes, pour venir, un jour, soi-même, dans un moment de repentir ou de peur, faire éclater le secret de ces réunions dangereuses ! Cela n'a pas besoin de commentaires. M. Odilon Barrot est et sera toujours le même. La scène de Lille s'est déjà répétée vingt fois dans sa vie. Il avance jusqu'au bord de la sédition, et quand enfin il aperçoit l'abîme sous ses pieds, alors, nous en convenons, il a du courage pour reculer, incapable d'aller jusqu'au bout du mal qu'il voit, mais trop capable, hélas ! de ne voir le mal que lorsqu'il est fait... Cela n'empêche pas qu'à la première occasion, M. Odilon Barrot recommencera. Aucune expérience ne lui apprendra qu'il n'y a rien à faire, avec les partis violents, que de la violence.

Le Journal des Débats ne se trompait pas : dans ce qui venait de se passer, M. Odilon Barrot et ses amis ne virent aucune raison d'interrompre ou de ralentir leur campagne. La passion les poussait, et surtout leur amour-propre était engagé. Pour eux, même après l'échec que leur avait infligé M. Ledru-Rollin, l'ennemi à combattre était toujours le gouvernement. Un moment du moins, on put croire qu'ils se feraient désormais une loi d'exiger le toast au Roi : quelques jours plus tard, dans le banquet d'Avesnes, présidé par M. Barrot, la santé du roi constitutionnel était portée avec quelque solennité ; mais, peu après, on retrouvait le même M. Barrot aux banquets de Valenciennes et de Béthune, où les radicaux excluaient toute allusion à la monarchie ; les toasts au Roi ou seulement aux institutions de Juillet devinrent encore plus rares qu'ils ne l'avaient été avant l'incident de Lille. En même temps, les dynastiques laissaient tenir devant eux un langage ouvertement révolutionnaire. A Béthune, en présence de M. Odilon Barrot, un orateur, après avoir accusé le gouvernement d'avoir trahi ses serments, s'écriait : Le peuple n'a pas donné sa démission. Il peut revenir sur la place publique et dire : Je puis toujours porter la main sur la couronne que je donne, la briser et en jeter encore les débris aux flots de Cherbourg. A Castres, sous la présidence de M. de Malleville, député du centre gauche, vice-président de la Chambre, ancien sous-secrétaire d'État pendant le ministère du 1er mars, un toast absolument socialiste était porté à l'organisation du travail.

La faiblesse des dynastiques ne pouvait qu'enhardir les radicaux extrêmes à pousser plus avant dans la voie où, dès le premier pas, à Lille, ils avaient remporté un si complet succès. Dans la seconde moitié de novembre et au cours du mois de décembre, ils organisent, à Dijon, à Autun, à Châlon-sur-Saône, plusieurs banquets où ils sont absolument les maîtres. Les orateurs de ces réunions sont MM. Louis Blanc, Etienne Arago, Beaune et surtout M. Ledru-Rollin, qui s'applique de plus en plus à prendre les allures d'un tribun et qui se plaît à faire entrevoir, comme dans un nuage menaçant, la révolution prochaine. Une invisible volonté, dit-il, va semant dans les hautes régions d'humiliantes catastrophes !... Messieurs, quand les fruits sont pourris, ils n'attendent que le passage du vent pour se détacher de l'arbre. Dans ces banquets, le socialisme a sa place réservée à côté du jacobinisme ; la formule adoptée est : Révolution politique comme moyen, révolution sociale comme but. Tout est à la glorification de 1793 ; on porte des toasts à la Convention, à laquelle on ne reproche que d'avoir été trop bourgeoise ; on se proclame montagnard ; on copie le langage et les poses des hommes de la Terreur ; on invoque les Droits de l'homme et du citoyen tels que les a formulés Robespierre. En même temps, les attaques ne sont pas ménagées aux hommes de la gauche dynastique ; on rappelle que M. Odilon Barrot a été volontaire royal en 1815 ; il a beau faire, ajoute-t-on, il n'arrêtera pas le char de la révolution ; il en sera écrasé. M. Flocon, après avoir fait la critique des doctrines parlementaires, s'écrie : Est-ce là ce que vous voulez aussi ? Non, n'est-ce pas ? Eh bien, donc, à vos tentes, Israël ! Chacun sous son drapeau ! Chacun pour sa foi ! La démocratie, avec ses vingt-cinq millions de prolétaires qu'elle veut affranchir, qu'elle salue du nom de citoyens, frères, égaux et libres ! L'opposition bâtarde, avec ses monopoles et son aristocratie du capital ! Ils parlent de réformes ; ils parlent du vote au chef-lieu, du cens à cent francs ! Nous voulons, nous, les Droits de l'homme et du citoyen !

Ainsi maltraités par les radicaux extrêmes, les dynastiques continuaient-ils du moins à être secondés par les radicaux parlementaires avec lesquels ils avaient organisé et commencé la campagne ? Compter sur ces derniers eût été mal connaître ce que, de tout temps, les girondins ont été en face des montagnards. Les radicaux parlementaires furent beaucoup plus intimidés par les violences de M. Ledru-Rollin et de ses amis, qu'ils ne s'en montrèrent indignés. Ils se justifièrent humblement de leur alliance momentanée avec les opposants constitutionnels, en donnant à entendre qu'ils n'avaient eu d'autre but que de les entraîner et de les compromettre ; c'était la cause républicaine qu'ils se faisaient honneur d'avoir servie par cette alliance. En même temps, comme s'ils avaient été gênés de se montrer de nouveau dans cette compagnie suspecte, ils organisaient, en plusieurs endroits, des banquets tout à eux, où nulle part n'était faite à la monarchie ni aux monarchistes, et ils y redoublaient de violence révolutionnaire.

Être abandonnés par les radicaux parlementaires après avoir été repoussés par les radicaux révolutionnaires, c'était pour les meneurs de l'opposition dynastique un gros mécompte. Si cette rupture se confirmait, tout leur plan de campagne était ruiné, et ils se trouvaient faire, bien piteuse figure devant ce public auquel ils s'étaient présentés à l'origine comme les chefs d'une redoutable coalition. Ils résolurent donc de tenter un suprême effort pour conjurer ce péril.. Un dernier banquet était annoncé à Rouen, pour le 25 décembre. Il fallait à tout prix que radicaux et dynastiques s'y montrassent dans le même accord qu'au Château-Rouge, et que l'opposition s'y replaçât sur un terrain à peu près constitutionnel. Sous l'empire de cette préoccupation, MM. Odilon Barrot et Duvergier de Hauranne se mirent en rapport avec le comité rouennais, présidé par M. Senard et composé en majorité de républicains modérés. Ils purent croire d'abord être arrivés à leurs fins. Après pourparlers, il fut convenu : 1° qu'il n'y aurait pas de toast spécial au Roi ; 2° qu'on unirait dans le même toast la souveraineté nationale et les institutions fondées en juillet 1830. Les dynastiques, suivant leur habitude, s'étaient montrés peu exigeants. Quelques-uns de leurs amis trouvèrent qu'ils ne l'avaient pas été assez ; n'admettant pas, après tout ce qui s'était passé, qu'on n'osât pas nommer expressément le Roi, ils se retirèrent. D'un autre côté, les radicaux extrêmes, mécontents qu'on mentionnât les institutions de Juillet, déclarèrent qu'ils ne prendraient pas part au banquet. MM. Barrot et Duvergier de Hauranne s'inquiétaient peu de cette double retraite, surtout de la seconde, s'ils demeuraient d'accord avec leurs premiers alliés du Château-Rouge, les radicaux parlementaires. Or, cet accord n'était-il pas assuré, puisque le comité avec lequel ils avaient négocié et traité était précisément de nuance républicaine ? Aussi, grand fut leur désappointement quand, à la dernière heure, M. Garnier-Pagès fit demander la suppression du toast constitutionnel. Sur la réponse faite par M. Senard, que tous les arrangements pris étaient déjà connus du public et qu'il n'était plus temps de les modifier, les radicaux parlementaires signifièrent qu'ils s'abstiendraient. Vainement MM. Barrot et Duvergier de Hauranne, très troublés de cette résolution, s'efforcèrent-ils de la faire abandonner ; vainement exposèrent-ils aux défectionnaires que leur conduite rendait impossible la continuation de la campagne des banquets, ils échouèrent complètement ; MM. Garnier-Pagès et Pagnerre, avec lesquels ils eurent une longue conférence, ne contestèrent pas la justesse des arguments qu'on leur opposait ; mais, ajoutèrent-ils, la Réforme, par ses attaques, nous a nui dans l'esprit de nos amis, et nous craindrions, si nous allions à Rouen avec vous, que M. Ledru-Rollin n'en profitât pour nous dérober une partie de notre armée ; il vaut mieux nous abstenir, afin de conserver notre influence. Pour être privé de la présence des députés radicaux, le banquet de Rouen n'en fut pas plus modéré. Les députés du centre gauche et de la gauche dynastique y prononcèrent des discours particulièrement âpres et violents. Ils semblaient s'être fait un point d'honneur de montrer que leurs déboires du côté du parti radical n'avaient en rien atténué ni découragé leur opposition contre le gouvernement.

On s'était flatté que le banquet de Rouen rétablirait l'union entre les agitateurs : il avait au contraire manifesté avec éclat l'impossibilité de cette union ; loin d'avoir diminué les désaccords, il les avait multipliés. La démonstration était décisive. La coalition, sur l'existence de laquelle était fondé tout le plan de l'opposition, se trouvait définitivement dissoute, et cette dislocation mettait nécessairement fin à la campagne, telle que l'avaient conçue ses promoteurs. Ceux-ci étaient les premiers à en convenir, au moins tout bas. M. Odilon Barrot et ses amis se voyaient réduits à l'alternative, ou de se laisser mettre hors du mouvement qu'ils avaient suscité dans l'espérance de le conduire, ou de demeurer, devant le public, les témoins, les assistants, les cautions d'une entreprise de renversement qui allait à l'encontre de toutes leurs convictions. Avouer, en se retirant, qu'ils avaient été dupes, ou, en continuant, accepter d'être complices, ils ne pouvaient échapper à ce dilemme. Aussi furent-ils bien aises qu'à ce moment même l'ouverture de la session, fixée au 28 décembre, leur fournît, pour interrompre leurs manifestations extraparlementaires, une explication qui ne fût pas l'aveu de leur impuissance.

Du commencement de juillet à la fin de décembre 1847, la campagne des banquets avait duré six mois ; très languissante au début, elle n'était devenue un peu active que depuis la fin de septembre. Le nombre total des banquets avait été d'environ soixante-dix, celui des convives d'à peu près dix-sept mille. Tout ce mouvement n'avait pas été sans effet : à la longue, on était ainsi parvenu à donner quelque retentissement à ce mot de réforme qui, au début, laissait l'opinion si froide. Pour n'être pas le résultat naturel et spontané des vœux et des besoins du peuple, l'agitation n'en était pas moins réelle. Les conservateurs ne pouvaient plus en nier l'existence. Le Journal des Débats, qui, lors des premiers banquets de province, avait affecté de les ignorer, tant il les jugeait insignifiants, qui, un peu plus tard, n'y avait trouvé matière qu'à raillerie, avait été obligé, vers la fin de l'année, de les prendre plus au sérieux, et il les dénonçait avec une émotion qui trahissait quelque alarme. Quant aux ministres, ils en étaient venus à se demander s'il n'aurait pas mieux valu user de leur droit d'interdiction ; plusieurs de leurs amis leur reprochaient de ne l'avoir pas fait.

A un certain point de vue, les promoteurs des banquets semblaient donc être arrivés à leurs fins. Mais à quel prix ? Pour remuer l'opinion, nous les avons vus employer des procédés, nouer des alliances, mettre en mouvement des idées d'une portée redoutable et étrangement disproportionnée avec la réforme très limitée qu'ils disaient poursuivre. Ils étaient allés répétant que la liberté, la fortune, l'honneur, la probité de la nation étaient compromis, que tout était corruption dans le gouvernement et la société régnante ; ils avaient dirigé leurs attaques contre le Roi lui-même, l'accusant d'avoir menti aux promesses de son avènement et de chercher à établir son pouvoir personnel par une sorte de coup d'État sournois ; tout cela, ils ne l'avaient pas dit dans l'enceinte plus ou moins fermée d'un parlement, devant un auditoire relativement capable de discuter et de juger ; ils l'avaient crié en quelque sorte sur toutes les places publiques de France, devant une foule prête, par sottise ou passion, à prendre à la lettre les déclamations oratoires. S'étaient-ils imaginé que cette foule, une fois convaincue de la vérité de telles accusations, en conclurait uniquement à la convenance de faire quelques modestes additions à la liste électorale ? La logique populaire a de bien autres exigences. Surtout en France, avec notre passé de révolutions successives, en face d'un régime issu lui-même des journées de Juillet, il ne pouvait y avoir à toutes ces accusations qu'une conclusion : c'était de jeter bas un gouvernement si malfaisant et si malhonnête. Dans la mesure où les agitateurs avaient action sur l'opinion, ils l'avaient poussée, ou tout au moins préparée à une révolution. Aussi bien, dans les banquets eux-mêmes, cette idée d'une révolution possible, désirable, nécessaire, était-elle apparue de jour en jour plus menaçante, plus audacieuse, et les radicaux avaient-ils fini par prendre manifestement la tête du mouvement. Des monarchistes avaient ainsi fourni à, la république ce qui, dans l'état des institutions et des mœurs, lui avait manqué jusqu'alors : une tribune et un auditoire.

 

 

 



[1] Notice de M. Vitet sur M. Duchâtel.

[2] J'ai déjà eu l'occasion de noter que, dès avant cette époque, M. de Montalembert, mieux au courant que la plupart de ses compatriotes de ce qui se passait en Angleterre, s'était inspiré des exemples de M. Cobden et de sa ligue pour organiser le parti catholique. (Voir plus haut, t. V, ch. VIII, § V.)

[3] John MOULEY, The Life of Richard. Cobden, t. I, p. 417.

[4] Les meneurs ne perdaient pas cependant de vue ce projet. M. Duvergier de Hauranne y faisait allusion dans la brochure qu'il publia, en janvier 1847, sous ce titre : De la réforme parlementaire et de la réforme électorale. Au point où les choses en sont venues, disait-il, il serait insensé de rien attendre de la majorité parlementaire. C'est au pays qu'il convient de parler. Et il expliquait la légitimité de cet appel à l'opinion du dehors contre l'opinion du dedans. Gourmandant la mollesse de ses amis, il leur rappelait comment ; en Angleterre, l'agitation extérieure avait imposé la réforme électorale en 1831, la réforme commerciale en 1846 ; il leur proposait l'exemple des hommes politiques d'outre-Manche, sachant quitter leur vie de château si splendide, si séduisante, pour parcourir les comtés, pour présider les réunions publiques, pour assister aux banquets politiques, pour éclairer, pour ranimer toujours et partout l'opinion. — Si O'Connell, ajoutait-il, pendant le cours de sa longue vie, fût resté muet et oisif, croit-on qu'il eût arraché aux préjugés, à l'orgueil, anglais, l'émancipation catholique d'abord, et bientôt sans doute l'égalité des deux peuples ? Si Villiers, Cobden, Bright se fussent bornés à quelques discours en plein parlement, croit-on qu'ils eussent fait capituler le ministère et soumis, réduit l'aristocratie territoriale ?... Ce sont là les vraies mœurs, les vraies habitudes du gouvernement représentatif. Ces mœurs, ces habitudes sont-elles les nôtres, à nous qui n'avons pas même su opposer nos banquets d'opposition aux banquets ministériels de MM. Guizot, Duchâtel et Lacave-Laplagne ?

[5] Dans cette brochure, M. Duvergier de Hauranne précisait ainsi sur quel terrain pouvait se faire l'alliance : Les radicaux pensent que, dans une société démocratique comme la société française, le pouvoir royal et le pouvoir parlementaire ne peuvent exister à la fois, et que l'un doit nécessairement tuer l'autre ; ils pensent, dès lors, que la monarchie constitutionnelle doit périr, non par les tentatives violentes de ses ennemis, mais par ses propres fautes, par ses propres imperfections, par ses propres impossibilités. Les constitutionnels nient qu'il, en soit ainsi, et soutiennent que, sans dépouiller le pouvoir royal de ses justes prérogatives, le pouvoir parlementaire, une fois établi, peut très bien prendre sa place et se faire respecter. Il y a là, entre les constitutionnels et les radicaux, une question dont l'avenir seul est juge. Mais, pour qu'elle puisse se juger, il est une condition préliminaire : c'est que le pouvoir royal n'absorbe pas le pouvoir parlementaire, que celui-ci se ranime au sein d'une majorité indépendante et libérale. Constitutionnels et radicaux ont donc provisoirement le même intérêt et doivent avoir le même but.

[6] A entendre M. Garnier-Pagès, présent à toutes ces réunions, c'est M. Pagnerre qui aurait, le premier, songé à un banquet. (Histoire de la révolution de 1848, 26 édit., t. I, p. 98.) M. Duvergier de Hauranne, qui avait pris à ces préliminaires une part peut-être plus active encore, affirme, au contraire, que le banquet fut proposé par les députés. (Notes inédites.) M. Elias Regnault, qui fut secrétaire du Comité central, affirme que l'idée du banquet fut mise en avant par M. Duvergier dé Hauranne. (Histoire du gouvernement provisoire, p. 19.)

[7] Voir plus haut, t. IV, ch. II, § IX.

[8] GARNIER-PAGÈS, Histoire de la révolution de 1848, t. I, p. 100.

[9] M. Doudan écrivait plaisamment à ce sujet, le 27 juillet 1847 : Dans l'ordre de la déclamation, cet homme est le père des fleuves. Il a fait feu supérieur contre un orage épouvantable et une pluie diluvienne. Le tonnerre a dû se retirer tout mouillé et bien attrapé d'avoir trouvé son maître.

[10] Lettre du 17 août 1847.

[11] La Chambre des députés finit ses travaux le 26 juillet. La clôture officielle de la session ne fut, il est vrai, prononcée que le 9 août, pour laisser le temps à la Chambre des pairs de voter le budget.

[12] Mémoires de M. Dupin, t. IV, p. 384.

[13] Cet article portait : Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre et jugé que par elle en matière criminelle.

[14] Journal inédit du baron de Viel-Castel.

[15] Le misérable duc, écrivait M. Pasquier à M. de Barante, le 14 septembre 1847, en tranchant son existence, nous a, pour quelques moments, mis dans une difficile situation ; mais au fond le dénouement a peut-être encore été le moins malheureux auquel on fût exposé, car le jugement et surtout l'exécution auraient pu causer une bien grande émotion populaire. Mais il a eu, pour moi, l'inconvénient de m'imposer la nécessité de me faire l'organe de la vindicte publique et de prononcer, après sa mort, l'arrêt qui ne devait régulièrement l'atteindre que vivant. Cette irrégularité a été, heureusement, fort bien accueillie par les principaux organes de l'opinion. (Documents inédits.)

[16] Décidément l'année est néfaste, écrivait M. Léon Faucher, le 3 septembre 1847 ; la société, comme une machine usée, se détraque. (Léon FAUCHER, Biographie et correspondance, t. I, p. 202.)

[17] Correspondance inédite d'Alexis de Tocqueville, t. II, p, 132.

[18] Lettres du maréchal de Saint-Arnaud.

[19] Madame la duchesse d'Orléans, p. 114.

[20] En mars 1848, M. Sainte-Beuve écrivait : La révolution à laquelle nous assistons est sociale plus encore que politique ; l'acte de M. de Praslin y a contribué peut-être autant que les actes de M. Guizot. (Notes ajoutées à la nouvelle édition des Portraits contemporains, t. I, p. 377.)

[21] M. Doudan écrivait, le 27 juillet 1847, au prince Albert de Broglie : Les gens timides qui ont les oreilles fines disent qu'on entend de sourdes rumeurs dans les bas-fonds de la société, que le mécontentement est grand, et qu'un malin nous nous réveillerons en révolution. On fait remarquer que ces grandes secousses arrivent communément au moment qu'on s'y attend le moins, et, à ces signes, je reconnais qu'en effet l'heure est venue. (X. DOUDAN, Mélanges et lettres, t. II, p. 120.)

[22] Mme de Girardin écrivait, dans sa Lettre parisienne du 11 juillet 1847 : Oh ! que c'est ennuyeux ! encore des révolutions ! Depuis quinze jours, on n'entend que des gémissements politiques, des prédictions sinistres ; déjà des voix lugubres prononcent les mots fatals, les phrases d'usage, formules consacrées, présages des jours orageux : L'horizon s'obscurcit ! — Une crise est inévitable ! —Une fête sur un volcan ! — Nous sommes à la veille de grands événements ! — Tout cela ne peut finir que par une révolution ! — Les uns, précisant leur pensée, disent : Nous sommes en 1830 ! Les autres, renchérissant sur la prédiction, s'écrient : Que dites-vous ? bien plus ! nous sommes en 1790. Et la chronique continuait sur ce ton. (Lettres parisiennes du vicomte de Launay, t. IV, p. 259.)

[23] Lettre du 18 août 1847. (Documents inédits.)

[24] Œuvres d'Alexis de Tocqueville, t. VII, p. 231.

[25] Correspondance inédite d'A. de Tocqueville, t. II, p. 132.

[26] Cité dans un article de M. A. GIGOT, Correspondant du 10 décembre 1860.

[27] Le maréchal Bugeaud, par D'IDEVILLE, t. III, p. 201.

[28] Lettre du 15 septembre 1847. (Documents inédits.)

[29] Déjà, en 1845, par la même raison, le maréchal avait déposé le portefeuille de la guerre ; mais il avait conservé alors la présidence du conseil.

[30] Citons, par exemple, dans ce dernier ordre d'idées, cette délibération du conseil général du Nord : Le conseil général, douloureusement affligé des scandales qui, depuis temps, se sont révélés dans diverses parties du service public, émet le vœu que le gouvernement se montre animé, dans le choix de ses agents, de ces sentiments de probité et de haute moralité qui seuls peuvent donner à l'administration cette influence légitime qu'elle doit exercer dans l'intérêt de tous.

[31] Histoire du gouvernement provisoire.

[32] Ainsi apparut-il à M. Maxime du Camp. (Souvenirs de l'année 1848, p. 42.)

[33] Lettre citée par le feu comte d'Haussonville dans un article sur M. Lanfrey. (Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1880, p. 26.)

[34] M. Odilon Barrot dit, dans ses Mémoires (t. I, p. 463) : Le toast au Roi ne fut ni exclu ni imposé.

[35] Léon FAUCHER, Biographie et correspondance, t. I, p. 208.

[36] On se rappelle qu'au banquet du Château-d'Eau, sur 154 députés invités, 86 seulement avaient accepté.

[37] M. Guizot en avait parlé à M. le duc d'Aumale, au moment de sa nomination au gouvernement de l'Algérie, et lui avait demandé s'il y aurait quelque objection.

[38] C'est ce que dit expressément M. Duvergier de Hauranne, dans l'article qu'il a publié sur M. de Rémusat. (Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1875, p. 347.)

[39] M. Thiers disait à M. Nisard, le 24 février 1848 : J'ai laissé la conduite des banquets à Barrot. C'est l'homme de ces choses-là, parce qu'il est... M. Nisard, tout en taisant le mot dont s'était servi M. Thiers, dit que le terme qui s'en rapprochait le plus était celui de simple d'esprit. (Ægri somnia, ouvrage posthume de M. Nisard.)

[40] Sur la fondation de la Réforme, voir plus haut, t. VI, chapitre Ier, § I.