HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE VI. — L'APOGÉE DU MINISTÈRE CONSERVATEUR

DE LA FIN DE 1845 AU COMMENCEMENT DE 1847

 

CHAPITRE VI. — LES SUITES DES MARIAGES ESPAGNOLS (Octobre 1846-avril 1847).

 

 

I. M. Guizot est fier, mais un peu ému de son succès. Lord Palmerston cherche à se venger. Ses récriminations contre le gouvernement français. Ses menées en Espagne. Ses efforts pour attirer à lui les trois puissances continentales. Il échoue auprès de l'Autriche et de la Russie. Attitude plus incertaine de la Prusse. — II. Les trois cours de l'Est profitent de la division de la France et de l'Angleterre pour incorporer Cracovie à l'Autriche. Émotion très vive en France. Lord Palmerston repousse notre proposition d'une action commune. Protestations séparées des cabinets de Londres et de Paris. Les trois cours peuvent ne pas s'en inquiéter. En quoi l'Autriche n'avait pas compris son véritable intérêt. — III. M. Thiers se concerte avec lord Palmerston. Sa correspondance avec Panizzi et ses rapports avec lord Normanby. M. Gréville vient à Paris pour préparer un rapprochement entre l'Angleterre et la France. M. Thiers, dans ses conversations avec M. Gréville et ses lettres à Panizzi, excite le cabinet britannique à pousser la lutte à outrance. — IV. Ouverture de la session française. Discussion à la Chambre des pairs. Le duc de Broglie et M. Guizot. — V. Langage conciliant au parlement britannique. M. Thiers s'en plaint. La publication des documents diplomatiques anglais rallume la bataille. — VI. L'adresse à la Chambre des députés. Hésitation de M. Thiers à engager le combat. Son discours. Réponse de M. Guizot. Forte majorité pour le ministère. Impression produite par ce vote en France et en Angleterre. — VII. Querelle de lord Normanby et de M. Guizot. Lord Normanby est soutenu par lord Palmerston. Incident du bal. Lord Normanby, blâmé même en Angleterre, est obligé de faire des avances pour une réconciliation. Cette réconciliation a lieu par l'entremise du comte Apponyi. Dépit de l'ambassadeur anglais. — VIII. Nouveaux efforts de lord Palmerston pour obtenir quelque démarche des trois puissances continentales. Malgré les efforts de lord Ponsonby, M. de Metternich refuse de se laisser entraîner. La Prusse est plus incertaine, mais, intimidée par notre ferme langage et retenue par l'Autriche, elle ne se sépare pas de cette dernière. La Russie est en coquetterie avec la France. — IX. Conclusion : comment convient-il de juger aujourd'hui la politique des mariages espagnols ?

 

I

La célébration du mariage de la reine Isabelle avec le duc de Cadix et de celui de l'Infante avec le duc de Montpensier avait consommé la victoire de la politique française à Madrid. M. Guizot en était à la fois fier et un peu ému. Soyez sûre que j'ai fait une grande et belle chose, écrivait-il à une de ses amies. J'aurais autant aimé n'avoir pas à la faire, car elle ne sera point gratuite. Mais il n'y avait pas moyen ; il fallait choisir entre un grand succès ou un grand échec, entre la défaite et le prix de la victoire. Je n'ai pas hésité. L'événement s'est accompli admirablement, comme un programme de fête, sans que tout le bruit, toutes les attaques, toutes les menaces, toutes les menées du dehors aient réussi à le déranger dans un détail ou à le retarder d'un jour... Je reste avec un lourd fardeau sur les épaules, mais en bonne position pour le porter... Nous continuerons de grandir en Europe, de grandir sans nous remuer, et personne ne touchera à nous. Je n'ai jamais eu plus de confiance... Lord Palmerston a compté sur quatre choses : 1° que nous reculerions ; 2° qu'il y aurait une forte opposition dans les Cortès ; 3° qu'il y aurait des insurrections ; 4° qu'il aurait l'adhésion des cours du continent. Quatre mécomptes. Le dernier lui est très amer. En 1840, pour la misérable question d'Egypte, l'Angleterre a eu la victoire en Europe. En 1846, sur la grande question d'Espagne, elle est battue et elle est seule. Ce n'est pas seulement parce que nous avons bien joué cette partie-ci ; c'est le fruit de six ans de bonne politique : elle nous fait pardonner notre succès, même par les cours qui ne nous aiment pas[1].

La bataille gagnée, M. Guizot ne demandait qu'à déposer les armes. Il était prêt à faire tout le possible pour dissiper les ombrages de l'Angleterre et atténuer son dépit. Ce fut ainsi que, dès les premiers jours de novembre, le duc de Montpensier et sa jeune femme étaient de retour en France, où ils devaient avoir leur établissement ; on voulait montrer par là que, conformément aux assurances données par notre diplomatie, c'était la France qui gagnait une princesse, et non l'Espagne qui gagnait un prince[2]. Le gouvernement français se fût prêté avec empressement à toute autre démarche pouvant consoler l'amour-propre britannique sans compromettre notre dignité. Le Roi laissait même voir sous ce rapport des dispositions si conciliantes qu'on eût été plutôt obligé de le retenir[3]. Mais tant que lord Palmerston était le maître à Londres, il ne pouvait être question de rapprochement. Toute l'activité que cet homme d'État avait dépensée naguère, sans succès, pour empêcher le mariage, il l'employait désormais à chercher une vengeance.

C'est à cet esprit de vengeance qu'il obéissait en poursuivant sur un ton de plus en plus âpre, dans les dépêches destinées à être communiquées à M. Guizot, ses récriminations rétrospectives sur la conduite du gouvernement français. Plus l'argument était blessant, plus il semblait lui plaire. Vainement, à Paris, désirait-on mettre fin à cette dispute[4], Palmerston revenait sans cesse à la charge, forçant ainsi le ministre français à lui répondre[5]. Il ne se contentait pas de prendre M. Guizot à partie ; il mettait personnellement en cause Louis-Philippe[6]. Celui-ci en était fort blessé. Peu importait à lord Palmerston. Je n'ai pas l'ambition, écrivait-il à lord Normanby, d'être le bien-aimé d'aucun souverain français, et je ne crains pas une désaffection fondée sur la conviction que je suis un bon Anglais, que je pénètre et ferai mon possible pour traverser tous les projets des pouvoirs hostiles aux intérêts de mon pays[7]. Une révolution ne lui paraissait pas un châtiment trop sévère pour l'échec fait à sa politique. Louis-Philippe, disait-il[8], devrait bien voir que le mariage espagnol peut lui coûter son trône. Ces violences et ces menaces n'étaient pas seulement l'effet d'un ressentiment qui ne pouvait se contenir : elles avaient aussi leur part de calcul. Par ce moyen, Palmerston se flattait d'effrayer le Roi et de l'amener à sacrifier son ministère. Il savait d'ailleurs pouvoir compter sur le concours de notre presse opposante qui, toujours fidèle à le servir, affectait de s'alarmer grandement de l'irritation de l'Angleterre et répétait chaque jour que tout apaisement serait impossible tant que M. Guizot resterait au pouvoir.

C'était encore le désir de se venger de la France qui dictait la conduite de lord Palmerston en Espagne. Tandis que notre gouvernement, préoccupé de ne fournir aucun prétexte aux accusations de prépotence et d'ingérence, évitait toute immixtion dans les affaires intérieures de la Péninsule et, pour mieux marquer sa réserve, faisait prendre un congé à son ambassadeur, lord Palmerston travaillait plus ardemment et plus ouvertement que jamais à rétablir à Madrid l'influence anglaise et à évincer l'influence française ; seulement il avait quelque peu modifié sa tactique ; convaincu par ses premiers échecs de l'impossibilité d'enlever la place d'assaut, il s'était décidé à entreprendre pour ainsi dire un siège régulier. Je suis, comme vous, écrivait-il à Bulwer le 15 octobre, tout à fait d'avis que notre politique doit maintenant tendre à former un parti anglais en Espagne. Cela aurait dû être toujours notre politique, et si le dernier cabinet avait seulement maintenu le parti anglais que nous lui avions légué, toutes ces intrigues françaises n'auraient jamais réussi. C'est maintenant à nous de réparer cette faute ; et si Isabelle a des enfants, nous pouvons encore venir à bout d'arracher l'Espagne à l'étreinte du constrictor français. On verra plus tard à quel triste et honteux état ces menées devaient conduire la Péninsule. Pour le moment, Palmerston en était à tâtonner, prêt à mettre la main dans les intrigues de tous les partis[9], se remuant pour faire rentrer à Madrid Espartero et Olozaga, témoignant le désir de mettre dans son jeu le mari de la Reine, ce François d'Assise que naguère il traitait avec tant de mépris, et essayant de lier partie avec le fils de don Carlos, le comte de Montemolin, auquel il découvrait toutes sortes de qualités et qu'il voulait marier à une sœur du Roi. Ce dernier projet se rattachait à tout un plan conçu en vue de rétablir la loi salique en Espagne. La première conséquence de ce rétablissement aurait dû être de déposséder Isabelle au profit de don Carlos : mais Palmerston croyait pouvoir prendre du principe ce qui servait ses rancunes, et laisser le reste de côté. D'après son système, la succession à la couronne devait être réglée dans l'ordre suivant : d'abord les enfants mâles d'Isabelle ; à leur défaut, ceux que François d'Assise aurait d'un autre mariage ; puis ceux d'Enrique son frère ; enfin ceux de Montemolin[10]. Cette façon de créer un ordre d'hérédité absolument arbitraire, sans autre raison d'être que d'exclure les descendants de l'Infante, ne pouvait pas supporter un moment la discussion, et, outre-Manche, les esprits sensés se refusaient à le prendre au sérieux[11] ; mais, sous l'empire de sa passion, le secrétaire d'État avait perdu le sens de ce qui était possible et de ce qui ne l'était pas.

En même temps qu'il continuait ses disputes avec le cabinet de Paris et ses intrigues en Espagne, lord Palmerston s'efforçait toujours de renouer en Europe une sorte de coalition contre la France. Ce qu'il demandait maintenant aux puissances, ce n'était plus de protester contre le mariage du duc de Montpensier et de l'Infante, puisque le fait était accompli ; c'était de déclarer, toujours par application du traité d'Utrecht, les enfants à naître de ce mariage inhabiles à succéder au trône d'Espagne. Pourquoi une telle déclaration coûterait-elle beaucoup à des cours qui, n'ayant jamais admis l'hérédité féminine, ne reconnaissaient aucun droit à l'Infante ? Ne jugeraient-elles pas de leur intérêt de faire ainsi une première brèche à l'ordre de succession établi par le testament de Ferdinand VII, et ne verraient-elles pas là un acheminement vers le rétablissement de l'hérédité masculine ? Lord Palmerston se remit donc en campagne, avec plus d'ardeur que jamais, à Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg.

A Vienne, pour être assuré d'être servi tout à fait selon ses goûts, le ministre anglais remplaça l'ambassadeur en fonction, sir Robert Gordon, qui, en sa qualité de frère de lord Aberdeen, était suspect de modération, par lord Ponsonby, qui en 1840, à Constantinople, avait fait ses preuves contre la France. A peine arrivé à son poste, vers le milieu d'octobre 1846, le nouvel ambassadeur n'épargna ni caresses ni promesses pour gagner M. de Metternich, prêt à tout lui livrer comme prix du concours qu'il sollicitait. Le chancelier fut-il sérieusement ébranlé, ou bien jugea-t-il habile de nous faire croire qu'il l'était ? Toujours est-il qu'à cette époque, dans ses conversations avec M. de Flahault, il se mit à parler de la nouvelle demande de l'Angleterre comme étant moins déraisonnable que la première, et fit la remarque que cette puissance, sans être encore revenue aux vrais principes, tendait par là à s'en rapprocher. Notre ambassadeur se hâta de signaler à Paris un langage qui lui paraissait un peu inquiétant. M. Guizot lui répondit, le 14 novembre : Je vous invite à user de tous vos moyens pour déjouer le travail anglais... Je ne demande au prince de Metternich que de rester neutre dans le différend, de persévérer dans l'attitude qu'il a déjà prise... Je ne lui demande rien, tandis que l'Angleterre veut l'entraîner à sa suite. Il saura distinguer, je l'espère, le ministre conservateur et le ministre brouillon. Il se rappellera que le concours de la France, son bon vouloir, sa bonne conduite sont nécessaires en Suisse, en Italie, partout où les vrais intérêts de l'Autriche, de l'Europe, où les vrais intérêts de la paix du monde sont ou peuvent être en question. Il me retrouvera partout, toujours, sur cette ligne de conservation, de politique ferme et tranquille, qui me donne, je crois, quelques droits à la confiance des cabinets... Vous êtes appelé à agir sur un terrain qui devient aujourd'hui très important... Ne perdez pas un moment. Faites-vous redire, faites écrire ici ce que le prince de Metternich vous a déjà dit formellement, qu'il n'a pas à se mêler de l'affaire d'Espagne : neutre et inerte, c'est tout ce qu'il me faut. Un tel langage était de nature à faire impression sur le cabinet de Vienne. D'ailleurs, si parfois il ne déplaisait pas à M. de Metternich de nous inquiéter quelque peu pour nous obliger à le solliciter, il n'avait au fond nulle envie de faire le jeu de lord Palmerston, dont il se méfiait, contre M. Guizot, qu'il prisait très haut. Aussi, en fin de compte, lord Ponsonby ne parvint pas à faire sortir le gouvernement autrichien du terrain où il s'était placé dès le début. Le chancelier déclara, une fois de plus, qu'il n'avait pas à prendre parti entre deux puissances qui se trouvaient en conflit précisément parce que l'une et l'autre s'étaient écartées des vrais principes[12].

Lord Palmerston n'eut pas plus de succès à Saint-Pétersbourg. Vainement y fit-il parvenir des protestations d'amitié, opposa-t-il la confiance que lui inspirait la loyauté moscovite à la défiance qu'il ressentait pour la perfidie française[13], le gouvernement du Czar ne se départit pas de sa neutralité expectante. Le langage que le chancelier russe, M. de Nesselrode, tenait sur ce sujet à notre chargé d'affaires, parut à M. Guizot très bon, plein de sens, de mesure, et, bien que réservé, plutôt approbatif pour le gouvernement français[14]. A toutes les propositions successivement apportées par lord Bloomsfield, ministre d'Angleterre à Saint-Pétersbourg, M. de Nesselrode se borna à répondre qu'une protestation contre la succession de M. le duc de Montpensier et de ses descendants à la couronne d'Espagne ne ferait qu'affaiblir la position prise par les trois cours dans la question espagnole ; que le gouvernement russe était décidé à marcher d'accord avec ceux de Vienne et de Berlin ; que ce parti était même tellement arrêté, qu'il ne répondrait plus désormais aux propositions qui lui seraient faites qu'après s'en être entendu avec ces gouvernements[15].

C'était de la Prusse que lord Palmerston espérait le plus. L'opinion anglaise regardait volontiers cette nation comme l'alliée naturelle de la Grande-Bretagne. La reine Victoria avait, depuis son mariage, une partie de son cœur au delà du Rhin. Pour Palmerston, écrivait un peu plus tard le duc de Broglie[16], la Prusse est la seule puissance vraiment amie ; il déteste l'Autriche et la France, se méfie de la Russie et méprise tout le reste. Sir Robert Peel lui-même disait au baron de Bunsen : Au fond, la politique de l'Angleterre sera toujours allemande et non française[17]. Il semblait qu'on dût compter sur des sentiments réciproques à Berlin. Vers le milieu d'octobre, en effet, la diplomatie britannique put croire qu'elle allait obtenir de ce côté ce qu'on lui refusait à Vienne et à Saint-Pétersbourg. Le ministre des affaires étrangères de Prusse, M. de Canitz, consentit à exprimer, d'une façon plus ou moins explicite, l'avis que les descendants de l'Infante ne pourraient pas succéder au trône d'Espagne. Seulement, il eut bien soin de marquer que son gouvernement, non signataire du traité d'Utrecht, n'entendait s'engager à rien par cette réponse ; il ne croyait pas pouvoir refuser au cabinet de Londres la consultation théorique que celui-ci lui avait demandée, mais il ne voulait pas s'associer à sa protestation et faire une déclaration à l'encontre du cabinet de Paris. Attitude ambiguë dont M. Guizot put dire : Ce n'est pas assez pour l'Angleterre, et c'est trop pour nous. Du reste, cette réponse donnée, M. de Canitz parut beaucoup plus occupé de l'atténuer que de l'accentuer, et il en revint bientôt à se modeler sur M. de Metternich, à déclarer comme lui que, n'ayant pas reconnu Isabelle, il n'avait pas à discuter les droits de sa sœur[18].

D'où venait ce que cette conduite avait d'incertain et d'un peu contradictoire ? C'est qu'il y avait alors, dans les sphères dirigeantes de la Prusse, comme un double courant. L'un, qui datait de 1815, était l'esprit de la Sainte-Alliance : haine de la révolution, goût de l'immobilité, union étroite avec l'Autriche et habitude de prendre le mot d'ordre auprès de M. de Metternich. L'autre, qui venait de Frédéric II et devait aboutir à M. de Bismarck, tendait à l'unité germanique sous l'hégémonie prussienne. Si la première de ces politiques était celle des ministres et des bureaux de la chancellerie, la seconde avait pour elle des personnages considérables, en faveur auprès du Roi, notamment son ami de jeunesse, le baron de Bunsen, ministre de Prusse à Londres, tout à fait entré dans le jeu de lord Palmerston, et le comte Henri d'Arnim, ministre à Paris, dont M. de Metternich nous signalait souvent l'hostilité contre la France. Ces diplomates voyaient dans la rupture de l'entente cordiale et dans les avances du cabinet de Londres l'occasion pour la Prusse de former avec l'Angleterre, contre la France et l'Autriche, l'alliance protestante et libérale. Admis à écrire directement à leur souverain, ils le conjuraient, avec une ardeur mêlée d'angoisse, de ne pas faillir à une telle tâche.

Ces deux courants de la politique prussienne se rencontraient, se mêlaient, se heurtaient dans l'esprit singulièrement complexe et embrouillé de Frédéric-Guillaume IV. On connaît ce prince[19] tout ensemble chimérique et pusillanime ; imagination ambitieuse et conscience timide ; plein de projets et toujours hésitant ; unissant le goût du changement et le culte de la tradition ; rêvant de réformes et maudissant le libéralisme ; détestant dans la France un peuple révolutionnaire et impie, aimant dans l'Angleterre la grande puissance évangélique, mais se méfiant de l'œuvre perturbatrice que lord Palmerston voulait entreprendre en Suisse, en Italie, et sentant le prix du concours que M. Guizot pouvait donner sur ces divers théâtres à la cause de l'ordre ; gardant vivante au fond de son cœur la passion allemande de 1813, ayant toutes les convoitises de sa race, et cependant ne se décidant pas, en fait, à rompre avec ses habitudes de déférence envers l'Autriche. Tel il se montra, en 1846, dans la situation nouvelle créée par le différend des deux cours occidentales. Par moments, il paraissait acquis aux grands projets de Bunsen et d'Arnim, et sur le point de se mettre en mouvement. Mais, l'instant d'après, à l'idée de se trouver séparé de l'Autriche et de la Russie, il prenait peur et se hâtait de revenir sur le terrain où s'étaient établies ces puissances[20]. Notre diplomatie était quelquefois un peu déroutée par ces démarches contradictoires. Je ne comprends rien à la Prusse, écrivait peu après M. Désages[21]. Ce que je vois de plus clair, c'est que Berlin ne sait pas bien ce qu'il veut, est tiraillé dans tous les sens, et va comme un navire sans gouvernail. Après tout, ce n'était pas à la France de s'en plaindre : cette incertitude de direction empêchait qu'il ne vînt de ce côté rien de bien dangereux pour elle. Notre gouvernement avait, du reste, discerné l'influence que M. de Metternich continuait à exercer sur Frédéric-Guillaume, et, tant que le premier ne passait pas à l'ennemi, il se sentait rassuré sur le second. Le marquis de Dalmatie, ministre de France près la cour de Prusse, pouvait écrire à M. Guizot : La grande garantie de la sagesse de Berlin, c'est Vienne[22].

 

II

En faisant avec une précipitation si passionnée les puissances absolutistes juges de la querelle qu'il cherchait à la France, lord Palmerston leur avait fourni l'occasion d'un rôle tout nouveau pour elles. Il eût été bien extraordinaire qu'elles se contentassent d'être des arbitres absolument désintéressés. Après avoir été si souvent entravées dans leurs desseins réactionnaires par l'union des deux États constitutionnels, ne devaient-elles pas être tentées de profiter des divisions de ces États et du besoin que chacun d'eux avait de les ménager ? Ce résultat était à prévoir et ne se fit pas attendre. Vers le milieu de novembre 1840, au moment même où les cabinets de Londres et de Paris étaient le plus occupés à se disputer les bonnes grâces des trois cours de l'Est, la nouvelle éclata tout à coup que ces cours, supprimant le dernier reste d'une Pologne indépendante, venaient d'incorporer la république de Cracovie à l'empire d'Autriche.

Pour comprendre les faits, il convient de les reprendre d'un peu plus haut. Au commencement de 1846, une tentative d'insurrection, très imprudemment suscitée par la fraction démocratique de l'émigration, s'était produite dans les provinces polonaises de la Prusse et de l'Autriche. Les gouvernements en eurent facilement raison. En Galicie, la répression se fit dans des conditions toutes particulières. Les nobles, propriétaires du sol, étaient à la tète des insurgés. Contre eux se levèrent les paysans, véritables serfs qui, sous couleur de fidélité à l'Empereur, poursuivirent une sorte de vengeance sociale, promenant par toute la province le pillage et le massacre. Dans quelle mesure le gouvernement autrichien avait-il excité ou toléré ces atrocités ? De terribles accusations furent portées contre lui à la tribune française, notamment par M. de Montalembert, qui ne craignit pas de parler de 2 septembre monarchique et de jacquerie officielle. Peut-être le polonisme du noble comte le disposait-il à trop de sévérité. Cependant, à considérer les choses de sang-froid, la complicité de l'administration locale paraît impossible à nier. Quant au gouvernement central, s'il n'avait pas sciemment provoqué, il avait vu du moins avec indulgence et même avec complaisance ce que M. de Metternich affectait d'appeler, dans ses dépêches, la justice du peuple[23].

La république de Cracovie s'étant trouvée compromise dans le mouvement insurrectionnel, les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie s'empressèrent de faire occuper militairement ce petit territoire dont l'indépendance et la souveraineté étaient stipulées dans les traités de 1815. Une occupation de ce genre avait déjà eu lieu en 1836[24], et, malgré nos protestations, elle s'était prolongée jusqu'en 1841. En la recommençant à la fin de février 1846, les trois cours répétèrent à notre gouvernement, qui en prit acte, les assurances déjà données en 1836 et 1838 ; elles affirmèrent qu'il s'agissait, non d'une mesure politique, mais d'une opération purement militaire, commandée par la nécessité et devant cesser avec elle[25]. En dépit de ces déclarations, des bruits inquiétants pour l'indépendance de Cracovie persistaient à circuler. On disait — et malheureusement on ne se trompait pas — que la suppression de cette république était chose décidée dans les conseils des trois puissances. Interrogé à ce sujet, le 2 juillet 1846, dans la Chambre des pairs, M. Guizot établit que l'existence neutre et indépendante de la république de Cracovie était consacrée par l'acte du Congrès de Vienne, et que les puissances signataires avaient le droit de regarder et d'intervenir dans tous les changements qui pourraient être apportés à cette république. Il rappela que ce droit avait été maintenu en 1836 et en 1838 par ses prédécesseurs, et qu'il venait de l'être encore par lui-même en 1846. Il m'a été fait, ajouta-t-il, les mêmes réponses qui furent faites alors : la nécessité d'une occupation temporaire, le respect des principes posés dans les traités. Je ne puis penser, en effet, personne ne peut penser que le maintien fidèle des traités et de tous les droits qu'ils consacrent ne soit pas partout, à l'orient comme à l'occident de l'Europe, à Vienne comme à Paris, le fondement de toute politique régulière et conservatrice. Quelques semaines après, le 17 août, dans la Chambre des communes, lord Palmerston rappela plus rudement encore aux trois puissances de l'Est que si le traité de Vienne cessait d'être respecté sur la Vistule, il pourrait être également invalidé sur le Rhin et sur le Pô. Un langage si ferme, tenu en même temps aux deux tribunes, était de nature à foire hésiter les trois cours, qui ajournèrent l'exécution de leur dessein et attendirent une occasion favorable.

Cette occasion, il leur parut que la dispute provoquée par les mariages espagnols la faisait naître. Les représentants de l'Autriche, de la Russie et de la Prusse, réunis en conférence à Vienne, eurent promptement pris leur décision. Un mémoire de M. de Metternich, en date du 6 novembre 1846, fut aussitôt communiqué aux gouvernements de France et d'Angleterre ; il exposait comment les trois cours, se fondant sur ce que la république de Cracovie était depuis longtemps en état de conspiration permanente contre ses voisins, avaient résolu d'annuler les dispositions des traités de 1815 relatives à cette république, et de rétablir l'ordre de possession antérieur à 1809, c'est-à-dire de réincorporer Cracovie à l'Autriche, moyennant quelques cessions de territoires peu importantes faites à la Prusse et à la Russie. Pour se justifier d'avoir pris seules cette décision sans le concours des autres États signataires du traité de Vienne, les trois cours prétendaient que la création de la république de Cracovie en 1815 était leur œuvre, et que la convention passée entre elles à ce sujet avait été seulement présentée pour enregistrement au Congrès de Vienne. De cet enregistrement, elles voulaient bien faire découler, pour elles-mêmes, un devoir de convenance d'avertir les autres États de la décision prise, mais non, pour ces États, un droit d'y intervenir. Aussi avaient-elles soin de leur notifier que c'était la communication d'un fait irrévocablement fixé par des nécessités de la nature la plus absolue.

En éclatant subitement à Paris, le 19 novembre, la nouvelle de l'incorporation de Cracovie y causa une très vive émotion. Sans doute la disparition de cette minuscule république était peu de chose dans l'ordre des faits positifs ; l'équilibre de l'Europe et la situation de notre pays ne s'en trouvaient pas sérieusement affectés. Mais c'était beaucoup dans l'ordre des sentiments. La France, alors en sécurité pour elle-même, pouvait se permettre le luxe des sympathies lointaines, et, parmi ces sympathies, nulle n'était plus ardente, plus générale que celle pour la Pologne. Ce dernier coup frappé sur une malheureuse nation, cette sorte d'épilogue des scandaleux et désastreux partages de la fin du siècle précédent éveillèrent donc, dans tous les cœurs, une douleur et une irritation très sincères. On put s'en rendre compte au langage des journaux de tous les partis. Si réservé qu'il fût par tempérament et par situation, le Journal des Débats s'exprima avec une véhémence inaccoutumée et invoqua les déclarations faites à la tribune, le 2 juillet 1846, par M. Guizot, pour y trouver une garantie que le droit ne serait pas abandonné. Les radicaux de la Réforme et du National adressèrent à la démocratie européenne un manifeste où ils maudissaient en style lamennaisien les rois bourreaux. Le Siècle, organe de la gauche dynastique, reprenant les déclamations de 1831, proclama que les traités de 1815 n'existaient plus ; la France ne peut que s'en réjouir, disait-il, et il mettait en demeure le gouvernement d'agir en conséquence. Quant au Constitutionnel, sous la direction de M. Thiers, il vit surtout, dans cet événement, le parti qu'on en pouvait tirer pour battre en brèche le ministère et ranimer contre les mariages espagnols une opposition qui, précisément à cette époque, vers la fin d'octobre et au commencement de novembre, menaçait de s'éteindre. Nous avions cessé, disait-il le 20 novembre, de prendre part à la triste polémique qui se poursuit au sujet de la rupture de l'entente cordiale. Nous espérions que les événements ne justifieraient pas aussitôt, aussi cruellement, nos prévisions... Jamais notre gouvernement n'a été plus rudement châtié d'avoir rompu sans motif ses alliances véritables et aspiré, sous le nom de conservateur, à prendre rang parmi les cabinets ennemis de la révolution. Il montrait, dans ce qui venait d'arriver, l'humiliation la plus sanglante qui nous eût encore été infligée. Ce même journal ajoutait, le lendemain : Nos ministres sont placés, en Europe, entre deux hostilités — celle des trois cours et celle de l'Angleterre —, sans savoir au juste laquelle des deux ils parviendront à fléchir et à quel prix ils feront cesser leur isolement... A droite, à gauche, la défiance ou l'éloignement... Voilà où la grande habileté de nos hommes d'État a mené les affaires de la France ! De plus, toutes nos feuilles de gauche, sur la foi des journaux de lord Palmerston, insinuaient que Louis-Philippe était au fond le complice des trois cours, qu'il avait été averti d'avance de leur dessein, et qu'il leur avait promis secrètement son acquiescement.

La perspicacité des ennemis du cabinet français n'était pas en défaut, quand ils croyaient ce dernier fort embarrassé de l'incident de Cracovie. Étant donnée la direction imprimée à sa politique par suite des mariages espagnols, il ne pouvait lui arriver un contretemps plus déplaisant. Cracovie est une détestable affaire, disait M. Guizot[26]. Il se tourna tout de suite vers Londres, et fit demander à lord Palmerston quelle conduite il se proposait de tenir dans cette circonstance, et s'il était disposé à s'entendre avec nous[27]. Notre ministre avait-il beaucoup d'espoir d'une réponse favorable ? En tout cas, il lui plaisait de prendre cette initiative. Bonne occasion de rapprochement, si on veut, écrivait-il ; témoignage éclatant de notre bonne disposition, à nous, si, à Londres, l'humeur prévaut[28]. Le Journal des Débats appuya la démarche de notre diplomatie par un appel chaleureux à l'opinion anglaise. Il n'y a, disait-il, que deux causes en ce monde : celle de la force, dont les trois cours du Nord viennent de se déclarer les organes, et celle du droit, qui n'a de représentants capables de se faire craindre que l'Angleterre et la France réunies ! Lord Palmerston fut heureux de nous voir nous adresser à lui, non parce qu'il trouvait là un moyen de rétablir l'entente au moins sur un point, mais au contraire parce que c'était une occasion pour lui de nous faire sentir son mauvais vouloir[29]. Il répondit que ses représentations aux trois cours étaient déjà préparées et approuvées, qu'elles allaient partir, et que lord Normanby serait chargé ultérieurement d'en remettre une copie au cabinet français. Comme l'observait M. Guizot, on communiquait au lieu de se concerter, et l'on communiquait après au lieu d'avant[30]. Lord Palmerston s'empressa en effet d'envoyer, le 23 novembre, aux trois cours, une protestation séparée. A vrai dire, ce n'était même pas une protestation : pour ménager davantage les puissances, il feignait d'ignorer que l'annexion de Cracovie fût déjà un fait accompli ; il supposait que ce n'était encore qu'un projet, et, alors, montrant en quoi l'exécution de cette mesure serait contraire aux traités de Vienne, il exprimait l'espoir qu'on y renoncerait. Le ministre anglais fit en même temps connaître au public, par le Morning Chronicle, qu'il avait dû repousser l'idée d'une protestation commune avec la France, parce que celle-ci, ayant violé le traité d'Utrecht, ne pouvait être admise à se plaindre delà violation du traité de Vienne. Naturellement nos journaux opposants soulignèrent ce refus ; ils prirent plaisir à montrer M. Guizot faisant à l'Angleterre des avances que celle-ci repoussait avec mépris, et attirant ainsi à notre pays le plus grand affront, disait le National, qui lui eût jamais été infligé.

Y aurait-il eu chance de faire reculer les trois cours, si l'Angleterre et la France avaient agi de concert ? C'était fort douteux, car, ni à Londres, ni à Paris, on n'eût voulu risquer une guerre pour un pareil sujet[31]. Mais, en tout cas, avec l'attitude prise par Palmerston, M. Guizot n'avait plus aucun espoir de rien faire d'efficace pour la Pologne. Il devait dès lors n'avoir qu'un souci : calculer son langage de façon à donner quelque satisfaction à l'opinion française, sans cependant s'aliéner les trois cours et les rejeter du côté de l'Angleterre. La dépêche qu'il adressa, le 3 décembre, à ses ambassadeurs près les cours de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg, fut rédigée sous l'empire de cette double préoccupation. Après avoir réfuté les arguments invoqués à l'appui de l'annexion, notre ministre concluait en ces termes : Le gouvernement du Roi ne fait donc qu'user d'un droit évident, et en même temps il accomplit un devoir impérieux, en protestant solennellement contre la suppression de la république de Cracovie, acte positivement contraire à la lettre comme au sens du traité de Vienne du 9 juin 1815. Après les longues et redoutables agitations qui ont si profondément ébranlé l'Europe, c'est par le respect des traités et de tous les droits qu'ils consacrent, que l'ordre européen s'est fondé et se maintient. Aucune puissance ne peut s'en affranchir, sans en affranchir en même temps les autres. La France n'a point oublié quels douloureux sacrifices lui ont imposés les traités de 1815 ; elle pourrait se réjouir d'un acte qui l'autoriserait, par une juste réciprocité, à ne consulter désormais que le calcul prévoyant de ses intérêts, et c'est elle qui rappelle à l'observation fidèle de ces traités les puissances qui en ont recueilli les principaux avantages !

Beau langage sans doute, plus digne et plus ferme que celui de la dépêche de lord Palmerston : mais chacun sentait que derrière ces mots il n'y avait aucune intention d'agir. C'est tout ce qu'on pouvait dire, écrivait de Rome un de nos jeunes diplomates[32], du moment où l'on ne voulait rien dire ; il y a même des hardiesses au conditionnel ; le conditionnel est une bien belle invention. Le gouvernement français s'appliqua d'ailleurs à faire bien comprendre à Vienne qu'il parlait surtout pour l'opinion de Paris. D'avance, afin de préparer le gouvernement autrichien, M. Guizot avait écrit à M. de Flahault : Notre public est très animé ; faites en sorte qu'on nous sache gré de notre modération, en ne s'étonnant pas de notre franche et ferme protestation quand elle vous arrivera[33]. La dépêche une fois envoyée, notre ministre donnait cette assurance au comte Apponyi : Si le prince de Metternich persiste dans l'attitude qu'il a prise dans la question espagnole, je l'appuierai dans l'affaire de Cracovie, autant que ma position me le permet[34]. Le Roi ne tenait pas un autre langage : Le chancelier doit bien sentir, disait-il à l'ambassadeur d'Autriche, qu'on ne pouvait faire moins. Après tout, ce ne sont que des paroles qui ne font de mal à personne. Informez le prince que j'ai parlé aux orateurs de la Chambre qui pourraient être tentés de traiter des affaires de Cracovie. Je m'engage à les styler[35]. De son côté, à Vienne, lord Ponsonby, loin d'appuyer les représentations de son ministre, n'hésitait pas, pour se rendre agréable à M. de Metternich, à donner la Pologne à tous les diables[36]. Quant à lord Palmerston, il se faisait honneur auprès des cabinets allemands du refus qu'il avait opposé à notre offre d'action commune[37].

De protestations ainsi faites et ainsi commentées, les cabinets de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg n'avaient pas à s'émouvoir. Après avoir écouté la lecture de la dépêche de M. Guizot, M. de Metternich voulut bien déclarer à M. de Flahault qu'il sentait tous les embarras que cette affaire devait causer au ministre français, et que c'était le seul regret qu'elle lui inspirât[38]. Il ajouta qu'il était très content de cette dépêche et loua fort le talent remarquable avec lequel elle était rédigée[39]. Il se borna à une réplique déforme, dans laquelle il constata le désaccord sans en paraître surpris ni choqué, et maintint le droit des puissances sans pousser plus loin la controverse[40].

Les trois cours avaient donc habilement choisi leur moment, et elles se félicitaient du succès de leur entreprise. Elles avaient supprimé, à côté de leurs frontières, un foyer d'agitation gênant, sinon dangereux, et surtout, par la prompte vigueur de leur action, par la visible impuissance des États libéraux, elles croyaient avoir rendu à la politique réactionnaire, en Europe, un prestige que cette politique n'avait plus depuis quelque temps. La suppression de l'État de Cracovie, disait M. de Metternich dans une sorte de mémoire rédigé à la fin de 1846, a fourni au parti ennemi de l'ordre la preuve palpable que les trois monarques ne s'étaient pas encore résignés à mettre bas les armes devant la révolution victorieuse. Celle-ci a dû se sentir compromise par ce fait. Dans plus d'un pays, ses adeptes ont jugé convenable d'ajourner à de meilleurs temps l'exécution de leurs projets subversifs. Le chancelier se persuadait qu'il en était ainsi en Suisse et en Italie : il montrait les agitateurs de ces pays désabusés de l'espoir qu'ils avaient fondé sur la France, et convaincus désormais que Louis-Philippe, désireux de se ménager le bon vouloir des puissances du Nord, ne contrarierait pas l'action de ces puissances[41]. Les événements devaient prouver qu'il y avait là beaucoup d'illusion. La révolution n'était pas aussi intimidée qu'on l'imaginait à Vienne. En réalité, le chancelier avait plus satisfait son amour-propre du moment qu'il n'avait servi d'une façon durable sa politique. Par un certain côté même, n'avait-il pas nui à cette politique ? Pour résister à la poussée révolutionnaire qui le menaçait sur tant de points, il avait grand besoin du concours de la France. M. Guizot était précisément en train de se rapprocher de lui. Seulement, il y éprouvait une grande difficulté venant des préventions, peu raisonnables, mais très vives, du public français contre une alliance d'apparence illibérale. Tout dans l'affaire de Cracovie, — le sans-gêne provocant avec lequel avaient agi les trois cours, comme l'embarras trop manifeste que la France avait éprouvé à les contredire, — était fait pour accroître, exaspérer ces préventions, leur fournir des arguments plausibles, et par suite entraver, retarder l'évolution tentée par notre diplomatie. Le Journal des Débats lui-même n'était-il pas amené à protester, le 7 décembre, que la France ne serait jamais réduite à chercher ses alliés parmi les ennemis de la liberté et les oppresseurs de la Pologne ? M. Guizot signalait aux cabinets allemands, sans les convaincre, il est vrai, cette conséquence de leur conduite. Que veut-on surtout à Vienne ? avait-il écrit dès le premier moment à M. de Flahault ; réprimer les passions révolutionnaires. Parce qu'on vient de faire à Cracovie, on les excite violemment et on énerve entre nos mains les moyens de les combattre... Je ne puis apprécier d'ici les avantages locaux, autrichiens, qu'on se promet de cette mesure. Mais, à coup sûr, les inconvénients généraux, européens, sont immenses. Il disait encore, un peu plus tard, dans une lettre au ministre de France à Berlin : On a fait ainsi, chez nous et partout, beaucoup de mal à la bonne politique, à la politique d'ordre, de conservation... Je la maintiendrai toujours ; mais on nous condamne, pour la maintenir, à de rudes combats, et l'on donne ici aux passions révolutionnaires des armes plus fortes, si je ne me trompe, que celles qu'on leur enlève à Cracovie[42].

 

III

En dépit de ce que les journaux avaient pu découvrir ou deviner, le public n'était jusqu'alors que fort imparfaitement informé des difficultés élevées entre le cabinet de Paris et celui de Londres. L'heure approchait où, par la rentrée des Chambres françaises et anglaises, cette querelle diplomatique allait passer du demi-secret des chancelleries au plein jour de la tribune, et où les deux gouvernements, pour se justifier auprès de leurs Parlements respectifs, seraient amenés à vider leurs portefeuilles et à publier leurs dépêches. Il y avait là de quoi piquer la curiosité et aussi éveiller quelque préoccupation. Ce sera un moment solennel, disait le Journal des Débats, le 29 décembre 1846, que celui où les deux Parlements s'ouvriront presque à la fois... Deux tribunes vont se trouver en présence. C'est entre deux gouvernements, entre deux peuples, entre deux tribunes étrangères l'une à l'autre, que la discussion va se trouver établie. Sera-t-elle compatible, cette discussion, avec le maintien de la paix extérieure ?

Ces préoccupations étaient d'autant plus fondées que l'opposition française, tout entière à son animosité contre le ministère, ne paraissait voir dans les débats qui allaient s'ouvrir qu'une occasion d'augmenter encore les difficultés de la situation ; elle se flattait de rendre ces difficultés telles que M. Guizot y succomberait. M. Thiers, entre autres, n'avait pas d'autre pensée. Sa passion le conduisit même à des démarches dont on aurait peine à admettre la réalité, si l'on n'en avait la preuve malheureusement incontestable. Nous avons vu déjà cet homme d'État, à la première nouvelle des mariages, chercher à lier partie avec lord Palmerston[43]. Depuis lors, loin de trouver dans la guerre de plus en plus ouverte que ce dernier faisait, non pas seulement à M. Guizot, mais à la France, une raison de chasser, comme une tentation de trahison, l'idée d'une telle alliance, il s'y arrêtait, il s'y enfonçait davantage. Tous ses efforts tendaient, sans qu'il parût en éprouver le moindre scrupule, à rendre plus intime et plus complet le concert entre lui et le ministre britannique. C'est ce qui ressort de lettres et de conversations qui étaient destinées à demeurer secrètes, mais qui ont été récemment mises au jour.

Parmi les Italiens réfugiés alors en Angleterre, était un certain Panizzi, dont nous avons déjà rencontré le nom, ancien carbonaro de Modène, devenu professeur à l'Université de Londres, en commerce épistolaire avec toutes sortes de personnages en Europe, et entré fort avant dans l'intimité des chefs du parti whig[44]. M. Thiers l'avait beaucoup vu, lors de son excursion outre-Manche, en octobre 1845 ; c'est par lui qu'il avait été conduit chez lord Palmerston ; depuis, il était resté en correspondance avec lui, le trouvant un intermédiaire commode pour des communications que la prudence ou la pudeur ne permettaient pas d'avouer trop ouvertement. Aussi fut-ce à M. Panizzi qu'il s'adressa, dès le 26 octobre 1846, quand il voulut se concerter avec le ministre anglais pour réfuter la version française sur les mariages. Voyez lord Palmerston, puisque vous êtes lié avec lui, lui écrivait-il ; dites-lui de vous communiquer à vous et pour moi la vérité pure... Je désire avoir un historique complet et vrai de toute l'affaire... Comment les tories prennent-ils la question ? En font-ils une affaire de parti contre les whigs, ou bien une affaire de pays commune à tous ? Enfin, quel est l'avenir de votre politique intérieure ?... Pour moi, je fais des vœux en faveur des whigs ; je suis révolutionnaire — dans le bon sens du mot — et je souhaite en tout pays le succès de mes analogues. A dieu et mille amitiés. Je vous prie de m'écrire pas moins que vingt pages sur tout cela. Lord Palmerston, trop heureux de voir un Français tendre les mains pour recevoir de lui les armes avec lesquelles il frapperait son propre gouvernement, mit aussitôt M. Panizzi à même d'écrire à M. Thiers une très longue lettre, où toute l'histoire des mariages était racontée au point de vue anglais, et où la conduite de la France était naturellement présentée comme perfide et déloyale[45]. Ce fut avec ces renseignements que M. Thiers put, avant toute publication de documents officiels, diriger la polémique de ses journaux.

Les relations du ministre britannique et du chef de l'opposition française devinrent de plus en plus fréquentes et étroites à mesure qu'on approchait de l'ouverture de la session. M. Panizzi n'était pas le seul intermédiaire. Lord Palmerston, en même temps qu'il enlevait l'ambassade de Vienne à sir Robert Gordon pour la confier à lord Ponsonby, avait remplacé, à Paris, lord Cowley par lord Normanby. Celui-ci n'était guère préparé à occuper un tel poste : n'ayant joué jusqu'alors qu'un rôle parlementaire, il y avait acquis l'habitude d'argumenter plus que l'art de négocier, et ne possédait à aucun degré le sens de la mesure diplomatique. A peine les événements d'Espagne eurent-ils mis quelque froid entre les deux cabinets, que le nouvel ambassadeur, ne voyant là qu'une querelle à soutenir, s'y jeta à corps perdu et se trouva bientôt avec M. Guizot dans des termes tels que leurs rapports en forent singulièrement entravés. Il en était venu à se considérer comme accrédité auprès de l'opposition plutôt qu'auprès du gouvernement. Dominé par M. Thiers qu'il voyait souvent, il crut, sur sa parole, à la possibilité de faire tomber le cabinet et mit tout son enjeu sur cette carte. Il ne se gênait pas pour dire dans son salon que la bonne entente entre l'Angleterre et la France ne serait pas rétablie tant que M. Guizot demeurerait au pouvoir. Son hôtel était comme l'arsenal où les adversaires du cabinet allaient chercher leurs munitions[46]. En dépit des scrupules qu'éveillait à Londres une conduite aussi insolite, lord Palmerston n'hésitait pas à l'encourager, et lui-même indiquait les communications qu'il convenait de faire au chef de l'opposition française[47].

M. Thiers était tout en train de cette alliance et s'apprêtait à aborder ainsi les débats de la session, quand, dans les derniers jours de 1846 et les premiers de 1847, divers indices lui firent craindre que la politique à laquelle il s'associait n'eût perdu de son crédit en Angleterre. Là, sans doute, tout le monde, au moment des mariages, avait donné tort au gouvernement français ; mais, depuis lors, tout le monde n'avait pas donné raison à lord Palmerston ; plusieurs trouvaient qu'il poussait la querelle avec trop de passion, et que cette passion, toujours compromettante, était souvent maladroite et inefficace ; on ne pouvait s'empêcher de noter qu'il avait prétendu soulever l'Espagne, entraîner l'Europe, faire reculer Louis-Philippe, et que, sur tous les points, il avait échoué. Ces sentiments ne se faisaient pas seulement jour dans les propos plus ou moins contenus des adversaires du cabinet, par exemple de lord Aberdeen, du duc de Wellington, de lord Cowley[48]. Au sein même du ministère, lord Lansdowne, lord Grey, M. Wood désiraient une attitude plus conciliante ; ils se plaignaient du sans-gêne avec lequel le chef du Foreign office entreprenait les démarches les plus graves à l'insu ou même contre le sentiment des autres membres du gouvernement, et ils sommaient le chef du cabinet, lord John Russell, qui n'avait pas été traité avec plus d'égard, de le tenir davantage en bride[49]. D'ailleurs, si les autres ministres ne parvenaient pas toujours à empêcher les frasques de leur collègue, du moins ils lui opposaient, pour ce qui dépendait d'eux, une certaine résistance d'inertie ; ainsi faisaient-ils obstinément la sourde oreille, quand lord Palmerston, appuyé sur ce point par lord John Russell, les pressait d'organiser la défense des côtes anglaises en vue d'une guerre avec la France[50]. La reine Victoria, elle aussi, éprouvait sur cette direction donnée à la diplomatie britannique des inquiétudes qu'entretenait le roi des Belges ; celui-ci, sans doute, était trop Cobourg pour n'avoir pas été, au premier moment, fort dépité de la conclusion des mariages[51] ; mais, depuis lors, il avait bien compris que la rupture de l'entente était le fait de lord Palmerston, et surtout il s'alarmait du trouble que l'acharnement querelleur de ce dernier menaçait de jeter dans la politique européenne[52]. Enfin, dans le public anglais, il y avait également, par l'effet de la lassitude, une sorte d'apaisement ; le Times, naguère si violent, s'en faisait l'interprète dans des articles remarqués où il critiquait les procédés du Foreign office.

De France, on n'était pas sans apercevoir plus ou moins nettement la détente qui se produisait dans une partie de l'opinion anglaise. Madame de Lieven, qui avait conservé beaucoup de relations à Londres et qui, plusieurs fois depuis les mariages, avait essayé, sans succès, de s'en servir pour amener une réconciliation[53], crut le moment venu, en décembre 1846, de tenter un nouvel effort : elle décida un de ses amis d'outre-Manche, M. Charles Gréville, à faire un voyage à Paris. Bien que n'occupant aucun poste actif, — il avait seulement le titre de secrétaire du conseil privé, — M. Gréville était fort répandu dans la haute société anglaise et se trouvait par suite bien placé pour remplir certains rôles d'intermédiaire officieux. Sans mission précise de qui que ce fût, son dessein, en venant en France, était de voir s'il pouvait, par ses démarches personnelles, préparer les voies à quelque rapprochement. Avant de s'embarquer, il s'était mis en rapport avec plusieurs des collègues de lord Palmerston ; les uns, comme lord John Russell, n'avaient voulu lui donner aucun encouragement ; d'autres avaient laissé voir des vues plus conciliantes : lord Clarendon, entre autres, l'avait chargé de dire à M. Guizot que s'il se montrait modéré dans les Chambres françaises, on ferait de même à Londres. Arrivé à Paris, le 5 janvier 1847, M. Gréville vit tout de suite plusieurs hommes politiques. Il trouva M. Guizot assez blessé des procédés de lord Palmerston et de lord Normanby, convaincu de son bon droit, décidé à l'établir devant le Parlement, mais très disposé à user de beaucoup de ménagements et ne demandant pas mieux que de revenir à l'entente cordiale. M. Duchâtel témoigna de sentiments analogues[54].

M. Thiers considérait avec grand déplaisir les démarches de M. Gréville. Dans la longue conversation qu'il eut avec lui, le 10 janvier, il mit une singulière passion à développer tous les arguments qui devaient détourner l'Angleterre d'un rapprochement et l'exciter, au contraire, à pousser vivement la querelle[55]. A l'entendre, sur le terrain où se rencontraient les deux gouvernements, il ne pouvait y avoir qu'une lutte à outrance, car il s'agissait de savoir lequel des deux avait trompé l'autre. Il assurait que M. Guizot, une fois vaincu dans cette lutte, tomberait, sinon par la Chambre, du moins par le Roi. Vous ne devez pas croire, ajoutait M. Thiers, ce que vous entendez dire de la force du gouvernement. Ne vous fiez pas à tout ce que vous raconte Mme de Lieven ; c'est une bavarde, une menteuse et une sotte. Le Roi s'est fait l'illusion que le gouvernement whig ne tiendrait pas ; mais quand il verra que c'est une erreur, il aura peur, et, si vous continuez de refuser la réconciliation, il se débarrassera de Guizot... Savez-vous ce que c'est que le Roi ? le mot est grossier, mais vous le comprendrez : eh bien ! c'est un poltron ! Et comme M. Gréville se récriait, disant qu'en Angleterre on tenait Louis-Philippe pour un homme de cœur, qu'il avait donné souvent des preuves de son courage, M. Thiers reprit : Non, non, je vous dis qu'il est poltron, et, quand il se trouvera définitivement mal avec vous, il aura peur ; alors il suscitera des embarras à M. Guizot ; il y a quarante ou cinquante députés — je les connais — qui tourneront contre lui, et de cette manière il tombera... Vous pouvez être sûr que ce que je vous dis est la vérité, d'autant plus que ce n'est pas moi qui lui succéderai, c'est Mole. Cependant, je vous parle franchement et je vous avoue que je serais enchanté de la chute de Guizot, d'abord parce que je le déteste, et ensuite parce que l'alliance anglaise est impossible avec lui ; c'est un traître et un menteur qui s'est conduit indignement envers moi... Le Roi ne m'enverra chercher que quand il sera en danger. Il ne peut endurer quiconque ne consent pas à être son jouet. Quant à moi, je ne prendrai le ministère qu'à condition d'y être le maître, et j'en viendrai à bout.

M. Thiers ne se contenta pas de tenir ce langage à M. Gréville. Se méfiant des sentiments modérés de son interlocuteur, il voulut faire arriver, par une voie plus sûre, au gouvernement anglais et particulièrement à lord Palmerston ses incitations à pousser la lutte à outrance. Le 12 janvier, c'est-à-dire deux jours après la conversation qui vient d'être rapportée, il écrivit à M. Panizzi[56] :

Je trouve la conduite de M. Guizot fort claire : il a manqué de bonne foi, il a menti... Mais ce qui est clair pour moi ne peut le devenir pour le public qu'à grands renforts de preuves. Il faut qu'on connaisse les dépêches de lord Normanby, dans lesquelles les mensonges de M. Guizot sont, à ce qu'on dit, mis au jour de la manière la plus frappante... Les agents de M. Guizot disent, ici et à Londres, que ni le pays ni le Roi n'abandonneront jamais M. Guizot. C'est une absurdité débitée par des gens à gages... Le pays éclairé a le sentiment que la politique actuelle est sans cœur et sans lumière. Quant au Roi, il abandonnera M. Guizot plus difficilement qu'un autre, car M. Guizot s'est complètement donné à lui et soutient son gouvernement personnel avec le dévouement d'un homme qui n'a plus d'autre rôle possible. Mais quand le Roi croira la question aussi grave qu'elle l'est, il abandonnera M. Guizot. Le Roi est un empirique en politique... Il ne croit pas à la solidité des whigs ; il croit que, l'un de ces jours, naîtra une question qui emportera celle des mariages, et qu'il aura acquis une infante sans perdre M. Guizot. Le jour où il croira les choses plus stables qu'on ne les lui peint de Londres, et où il craindra sérieusement pour ses rapports avec l'Angleterre, il abandonnera M. Guizot. Il ne tient à personne. Il a eu plus de goût pour moi que pour personne... Mais, dès que j'ai contrarié ses penchants de prince illégitime voulant se faire légitime par des platitudes, il m'a quitté sans un regret. M. Guizot, au fond, ne lui inspire confiance que sous un rapport : c'est une effronterie à mentir devant les Chambres qui n'a pas été égalée dans le gouvernement représentatif, effronterie appuyée d'un langage monotone, mais très beau. Comme intelligence et discernement, le Roi pense de M. Guizot ce qu'il faut en penser. Quand il croira les whigs solides et la résistance sérieuse, il se décidera à un changement de personnes, soyez-en certain. Mais il faut bien mettre en évidence les faits et la mauvaise foi de M. Guizot.

 

Lord Palmerston, de son côté, n'était pas moins préoccupé des démarches de M. Gréville, et, avant même d'avoir reçu la lettre qui vient d'être citée, il faisait écrire, le 14 janvier, par M. Panizzi à M. Thiers : Avez-vous vu M. Gréville ?... J'apprends, par le Times du 12, qu'on le suppose chargé d'une négociation non officielle pour renouveler l'entente cordiale... Ecrivez-moi ce que vous pensez de cela... Tout ceci m'intéresse beaucoup... Rappelez-vous de n'envoyer votre réponse que sous couverte directement à lord Normanby. Dans cette même lettre, on communiquait à M. Thiers de nouvelles dépêches, et on le pressait, par contre, de faire tout de suite connaître, afin d'en informer ses amis de Londres, la marche qu'il comptait suivre dans les débats qui allaient s'ouvrir.

Le 17 janvier, nouvelle lettre de M. Thiers à M. Panizzi. Résumant tous les faits, il déclarait donner entièrement raison à lord Palmerston, envoyait à celui-ci des conseils sur la manière la plus habile de présenter les événements, et revenait toujours sur cette idée que si le Roi croyait les choses stables en Angleterre et la question sérieuse, il abandonnerait M. Guizot. Ce dernier n'était pas le seul contre lequel M. Thiers se donnait, dans cette lettre, le plaisir d'épancher son ressentiment. Irrité de ce qu'à ce moment même un certain nombre de députés de la gauche et du centre gauche, guidés par M. Billault et M. Dufaure, manifestaient l'intention de se séparer de lui dans la question des mariages espagnols, il s'exprimait ainsi sur cette dissidence : Il y a, dans tous les partis, mais surtout en France, des seconds qui veulent être les premiers. Je suis fort, moi, avec Odilon Barrot ; à nous deux, nous décidons la conduite de l'opposition. MM. Billault et Dufaure, deux avocats fort médiocres, le premier fort intrigant, le second morose et insociable, fort mécontents de ne pas être les chefs, ayant le désir de se rendre prochainement possibles au ministère, ont profité de l'occasion pour faire une scission. L'alliance avec l'Angleterre n'est malheureusement pas populaire... Notez que ces deux messieurs, vulgaires et ignorants comme des avocats de province, n'ayant jamais regardé une carte, sachant à peine où coulent le Rhin et le Danube, seraient fort embarrassés de dire en quoi l'alliance anglaise est bonne ou mauvaise. Mais ils font de la politique comme au barreau on fait de l'argumentation ; ils prennent une thèse ou une autre, suivant le besoin de la plaidoirie qu'on leur paye, et puis ils partent de là, et parlent, parlent... Ils ont, de plus, trouvé un avantage dans la thèse actuellement adoptée par eux, c'est de faire leur cour aux Tuileries, et de se rendre agréables à celui qui fait et défait les ministres. M. Thiers terminait sa lettre par cette phrase, qui n'était pas la moins étrange : Vous n'imaginez pas ce que débitent ici tous les ministériels. Ils prétendent que je suis en correspondance avec lord Palmerston, à qui je n'ai jamais écrit de ma vie et qui ne m'a jamais écrit non plus. Est-il besoin de rappeler que ce même homme d'État inaugurait, trois mois auparavant, sa correspondance avec M. Panizzi en lui écrivant : Voyez lord Palmerston, puisque vous êtes lié avec lui, dites-lui de vous communiquer à vous et pour moi la vérité pure. Du reste, les alliés anglais de M. Thiers ne se croyaient pas tenus à plus de sincérité. Un peu plus tard, lord Normanby adressait à son ministre une dépêche pour nier qu'il eût des communications avec l'opposition française, et lord Palmerston, qui savait à quoi s'en tenir sur cette dénégation, se disait bien aise de l'avoir en main pour la mettre sous les yeux de la Reine, au cas où celle-ci aurait reçu des Tuileries quelque rapport sur la conduite de son ambassadeur[57].

 

IV

Pendant que M. Thiers excitait ainsi le gouvernement anglais à mener vivement l'attaque contre le gouvernement français, la session s'ouvrait à Paris, le 11 janvier 1847. Le discours du trône s'exprima avec une réserve évidemment destinée à ménager l'opinion d'outre-Manche. Mes relations avec toutes les puissances étrangères, disait le Roi, me donnent la ferme confiance que la paix du monde est assurée. Il annonçait le mariage du duc de Montpensier comme un heureux événement de famille, se bornait à y montrer un gage des bonnes et intimes relations qui subsistaient depuis si longtemps entre la France et l'Espagne, et ne faisait aucune allusion aux difficultés soulevées par la diplomatie britannique. Aussitôt après, le ministre déposa sur le bureau des Chambres les dépêches relatives aux affaires espagnoles : ces dépêches remontaient jusqu'en 1842.

La discussion de l'adresse à la Chambre des pairs, qui précéda, suivant l'usage, celle de la Chambre des députés, commença le 18 janvier. Non seulement le ministère n'y rencontra pas de contradicteur sérieux, mais il y fut secondé par un allié considérable, le duc de Broglie. Le noble pair semblait avoir pris l'habitude, depuis quelque temps, de se porter publiquement caution de la politique étrangère du cabinet : il l'avait fait, en 1845, dans l'affaire du Maroc ; en 1846, dans celle du droit de visite ; il recommençait, en 1847, pour les mariages espagnols. Sa discussion fut nerveuse, serrée ; il ne se perdit pas dans les détails, et s'attacha, avec une sorte de netteté hautaine, aux idées principales et aux faits décisifs. Tout d'abord, rappelant les souvenirs du passé et les événements du jour, il mit en lumière l'intérêt supérieur engagé dans cette question de mariage, et insista sur le danger que la France avait couru de voir l'Espagne passer, comme le Portugal, sous l'influence de l'Angleterre. Or, disait-il, point de milieu : telle est géographiquement la position de l'Espagne, que, pour être comptée au dehors comme elle doit l'être... il faut de toute nécessité, ou qu'elle soit l'amie naturelle, l'alliée habituelle de la France, comme elle l'a été sous les princes de la maison de Bourbon, ou qu'elle soit l'ennemie naturelle et la rivale de la France, comme elle l'était sous Charles-Quint et sous Philippe II, ou bien enfin qu'elle soit l'amie naturelle et l'alliée de tous les ennemis, de tous les rivaux de la France, comme sous les trois derniers rois de la maison d'Autriche. Cela est écrit dans l'histoire ; cela est écrit sur la carte. Après avoir signalé le danger, le duc de Broglie montra que la conduite du gouvernement était justifiée par la nécessité d'y parer. Il réfuta, en passant, les principaux arguments de lord Palmerston, notamment celui qui était tiré du traité d'Utrecht, puis termina par une leçon donnée à l'esprit public français.

Il n'y a rien de si rare au monde, dit-il, que d'être de son avis ; il n'y a rien de si difficile que de vouloir ce que l'on veut. J'appelle vouloir ce que l'on veut, vouloir la chose que l'on veut avec toutes ses conséquences, avec toutes ses conditions bonnes ou mauvaises, agréables ou fâcheuses... Tout le monde convient que l'intimité, l'entente cordiale, la bonne intelligence avec l'Angleterre est une chose excellente... tout le monde convient que, pour maintenir une chose aussi bonne, aussi excellente, il faut faire tous les sacrifices qui ne compromettent aucun de nos intérêts essentiels. Voilà ce que tout le monde dit et pense sincèrement. On le veut en théorie ; mais vient l'occasion, comme elle est venue il y a deux ans, de faire pour le maintien de la bonne intelligence avec l'Angleterre, je ne dirai pas un sacrifice, mais seulement un acte de justice, à l'instant combien de gens s'écrient que nous sommes à la remorque de l'Angleterre, que nous sommes les satellites de l'Angleterre, que nous sommes les esclaves de l'Angleterre ! On crie : A bas les ministres de l'étranger ! On crie : A bas les députés Pritchard ! (Rires d'approbation.) Puis vient le revers de la médaille ; vient une occasion où le gouvernement français se trouve appelé à défendre un de nos intérêts essentiels, un intérêt vital, la sécurité de nos frontières, notre indépendance en Europe. Il prend des mesures pour protéger cet intérêt ; il ne le peut sans mécontenter un peu le gouvernement anglais. Eh bien ! ces mêmes gens lèvent les mains et les yeux au ciel : on a sacrifié l'alliance anglaise à des intérêts de famille ; l'alliance est rompue, nous sommes isolés, tout est perdu ; il n'y a plus qu'à s'envelopper la tête dans son manteau. (Même mouvement.) C'est là ce qui s'appelle n'être pas de son avis, ne vouloir pas ce qu'on veut... Sachons envisager de sang-froid une situation qui n'a rien d'extraordinaire ni d'imprévu. Nous sommes isolés, dit-on. Mais l'isolement, c'est la situation naturelle de toutes les puissances en temps de paix générale... On dit que l'isolement peut entraîner certains dangers. Je ne dis pas non ; mais qu'y faire ? Les choses sont ce qu'elles sont. Ne faisons rien pour aggraver une pareille situation, ne faisons rien pour la prolonger. Nous n'avons aucun tort dans le passé ; n'en ayons aucun dans l'avenir. Ne donnons au gouvernement anglais aucun sujet de mécontentement légitime... Mais en même temps ne lui donnons pas lieu de croire que nous regrettons d'avoir exercé nos droits, d'avoir défendu notre cause et soutenu nos intérêts. Il y va de notre honneur, il y va de notre avenir. (Très vives marques d'assentiment.) Tous tant que nous sommes, gouvernement ou public, législateurs, écrivains, publicistes, au nom du ciel, s'il est possible, faisons trêve, sur un point seulement et pendant quelque temps, à nos querelles de personnes et à nos discussions intérieures. (Très bien ! très bien !) Ne donnons pas le droit de dire de nous que nous sommes un peuple de grands enfants, passant à chaque instant d'un extrême à l'autre, incapables de vouloir aujourd'hui ce que nous voulions hier ; un peuple d'enfants hargneux, n'ayant d'autre souci que de dire blanc quand on leur dit noir, et oui quand on leur dit non. (Marques prolongées d'approbation.)

 

Malgré le succès de ce discours, M. Guizot ne se crut pas dispensé de prendre la parole, non à l'adresse de la haute assemblée, d'ores et déjà convaincue, mais à l'adresse du public. La tranquillité même de ce débat, l'absence d'opposition lui paraissaient une occasion de faire avec plus de liberté et de sérénité d'esprit un exposé complet de l'affaire, de présenter, d'expliquer les documents qui venaient d'être déposés sur le bureau des Chambres. Il n'était pas indifférent, pour un tel exposé, de prendre les devants sur ceux qui, à Londres ou à Paris, auraient intérêt à montrer les choses sous un autre jour. Dès le début de son discours, M. Guizot marqua que son dessein était, non de réfuter des critiques qui ne s'étaient pas produites au Luxembourg, mais de faire un récit simple et complet des faits, estimant que de ce récit il ressortirait, pour la Chambre, pour le pays, pour l'Angleterre et pour l'Europe, que le gouvernement français n'avait manqué ni de loyauté ni de prudence. Reprenant alors les faits depuis 1842, il apporta à la tribune comme un long chapitre d'histoire diplomatique, admirablement ordonné, avec nombreuses pièces à l'appui. Tout en se donnant pour but principal de prouver à la France qu'elle devait être satisfaite, il se préoccupa aussi de ménager l'amour-propre de l'Angleterre ; il voulait en cela corriger l'effet produit par la parole un peu incisive du duc de Broglie[58]. Parvenu au terme de son exposé, M. Guizot se demanda quel était, par suite de ces événements, l'état de nos rapports avec l'Espagne, l'Europe et l'Angleterre. Il rappela qu'en Espagne, malgré toutes les provocations, les mariages, librement discutés, avaient été accomplis avec une parfaite tranquillité. Il montra qu'en Europe aucune des puissances n'avait voulu adhérer aux protestations du gouvernement anglais. En Angleterre, il reconnut qu'il y avait un mécontentement réel, et que nos relations en étaient, dans une certaine mesure, affectées ; mais il ajouta :

Messieurs, si nous faisons deux choses, que pour son compte le gouvernement du Roi est parfaitement décidé à faire, si, d'une part, nous ne changeons point notre politique générale, politique loyale et amicale envers l'Angleterre, si nous continuons à vivre, à vouloir vivre en bonne intelligence avec le gouvernement anglais, et si, d'autre part, nous nous montrons bien décidés à soutenir convenablement ce que nous avons fait, à nous abstenir de toute avance, de toute concession (approbation), si nous tenons à la fois cette double conduite d'une amitié générale envers l'Angleterre et son gouvernement, et d'une fermeté bien tranquille dans la position que nous avons prise, tenez pour certain que le mécontentement anglais s'éteindra. Il s'éteindra devant la gravité des intérêts supérieurs qui viendront et qui viennent déjà peser sur les deux pays, et qui sont aussi bien comptés, compris et sentis à Londres qu'à Paris. (Nouvelle approbation.) La nation anglaise et son gouvernement ont, l'un et l'autre, deux grandes qualités : la justice les frappe, et la nécessité aussi ! (On rit.) C'est un pays moral et qui respecte les droits ; c'est un pays sensé et qui accepte les faits irrévocables. Présentez-vous sous ce double aspect : fermes dans votre droit, fermes dans le fait accompli, et tenez pour certain que les bonnes relations se rétabliront entre les deux gouvernements. (Marques très vives d'approbation.)

 

L'effet fut considérable. Pour sa première apparition à la tribune, la politique des mariages espagnols y faisait bonne figure. On s'accorde à dire, notait sur le moment un observateur exact et clairvoyant[59], que la discussion qui vient de se terminer à la Chambre des pairs est une des plus belles qui aient eu lieu dans cette Chambre... Dès ce moment, la position de M. Guizot est très forte et très brillante. Le gouvernement ne pouvait cependant se faire l'illusion que tout fût ainsi fini. Il savait bien qu'au Palais-Bourbon les choses n'iraient pas aussi facilement. C'est là que l'attendaient ses adversaires.

 

V

Avant même que la Chambre des pairs eût fini de discuter son adresse, la session s'ouvrait, à Londres, le 19 janvier 1847. La reine d'Angleterre garda, dans son discours, la même réserve que le roi des Français ; elle se borna à dire que le mariage de l'Infante avait donné lieu à une correspondance entre son gouvernement et ceux de France et d'Espagne. Il avait été d'abord question de mentionner le dissentiment survenu ; on y avait renoncé. L'intention conciliante était évidente. Elle se manifesta plus nettement encore dans la discussion de l'adresse, qui, suivant l'usage, eut lieu le soir même dans les deux Chambres. Presque tous ceux qui prirent part au débat, — lords ou commoners, whigs ou tories, et même des membres du cabinet, comme le marquis de Lansdowne, — s'appliquèrent à parler de la France en très bons termes, et exprimèrent le désir de voir rétablir l'entente cordiale. Lord Palmerston, bien que attaqué par certains orateurs comme l'auteur du refroidissement survenu, répondit à peine ; on eût dit qu'il ne se sentait pas dans un milieu favorable. Lord John Russell fut à peu près seul à le défendre, par point d'honneur plus encore que par conviction. Il semblait que la réaction pacifique se fît sentir aussi dans le langage des journaux : le Times conseillait aux Chambres d'éviter toute discussion publique sur l'affaire des mariages, recommandait au cabinet de ne pas pousser plus loin ses controverses diplomatiques, et donnait à entendre que l'opinion ne s'associait pas aux rancunes querelleuses de lord Palmerston.

En France, le gouvernement fut charmé et surpris d'une modération qui dépassait son attente, et qui contrastait singulièrement avec le ton des précédentes polémiques. Tout en étant fort disposé à répondre à ces avances, il ne pouvait dissimuler un sourire de triomphe. Avez-vous lu les journaux anglais ? demandait M. Guizot à M. Molé[60]. Eh bien ! vous voyez qu'on recule. M. Désages écrivait, le 21 janvier, à M. de Jarnac : Le royal speech est tout ce que nous pouvions souhaiter de mieux. Et, quelques jours après, voulant rendre compte à notre ambassadeur à Vienne de ce qui s'était passé à Londres, il lui mandait : Vous avez pu juger jusqu'à quel point lord Palmerston est surveillé, contenu, et combien peu le sentiment public est en définitive porté à lui laisser la bride sur le col. Je ne prétends pas dire que tous ceux qui le surveillent, le contiennent et se mettent en travers de ses passions vindicatives, sont nécessairement de notre avis en tous points sur la question des mariages ; mais j'affirme que tous veulent mettre un signet à cette affaire et n'entendent pas que, pour une éventualité presque chimérique, encore moins pour gratifier l'orgueil d'un homme, on prolonge cet état équivoque des relations des deux pays[61]. Par contre, grands furent le désappointement et le désarroi des députés de l'opposition qui avaient cru trouver dans l'irritation et les menaces de l'Angleterre un moyen de renverser M. Guizot. M. Gréville, qui, étant encore à Paris, avait occasion d'observer de près ces députés, les comparait à des gens qui sentent la terre leur manquer sous les pieds. Il était assailli de leurs plaintes et de leurs récriminations. Nous ne pouvons rien dire pour vous dans la Chambre, lui déclarait M. Cousin, quand vous ne paraissez pas disposés à rien dire pour vous-mêmes. M. Duvergier de Hauranne ne lui tenait pas un autre langage. M. de Beaumont lui demandait ironiquement s'il était vrai que les Anglais eussent mis bas les armes. Tout porté qu'il fût personnellement vers la conciliation, M. Gréville était embarrassé de la situation fausse où se mettait le gouvernement britannique, en faisant ainsi faux bond à ses alliés de France et en opérant cette retraite silencieuse après une si bruyante entrée en campagne. Naturellement M. Thiers n'était pas celui qui se plaignait le moins haut. Il est maussade comme un ours, notait encore M. Gréville[62] ; il sait que son alliance avec l'ambassade anglaise ne lui a fait aucun bien, et il se rend compte maintenant qu'il ne pourra probablement pas s'en servir pour faire du mal à quelque autre. Toutefois, le chef de l'opposition française ne voulut pas abandonner la partie sans faire un nouvel appel à lord Palmerston. Prenant donc un ton dégagé qui voilait mal l'amertume de son dépit, et qui d'ailleurs était habilement calculé pour piquer au jeu le ministre anglais, il écrivit à M. Panizzi, le 24 janvier[63] : Les discours de votre tribune ont produit ici un effet singulier. Le sentiment de tout le monde, c'est que tout est fini : on va jusqu'à dire que vous n'aurez pas de discussion, à votre tribune, sur l'affaire des mariages. Je vous prie de me dire ce qu'il en est, et de me le dire par le retour du courrier. Nous passerions pour des boutefeux, et, ce qui est pire, nous le serions, si, la querelle s'apaisant, nous venions la ranimer... Je reprochais surtout à nos ministres d'avoir rompu l'alliance avec les whigs, pour la misérable affaire des mariages. Si cette sotte affaire ne nous a pas brouillés, ce dont je m'applaudis fort, notre grief est sans valeur, et il serait ridicule d'attaquer M. Guizot pour une telle chose... Pour moi qui trouvais la situation difficile, vu la tournure des choses, je serai charmé d'être dispensé de me mêler à cette discussion.

M. Thiers pouvait se rassurer ; lord Palmerston n'avait aucune envie de désarmer. Si la pression de l'opinion et les exigences de ses collègues l'avaient contraint de laisser passer, sans y contredire, les manifestations conciliantes de l'ouverture de la session, il comptait bien prendre avant peu sa revanche sur les pacifiques. Ce ne fut pas long. Pour rallumer la bataille, il suffit de la publication des documents diplomatiques déposés par lui, quelques jours après, sur le bureau des deux Chambres. Les dépêches ainsi livrées à la polémique des journaux contenaient toutes les récriminations dont on avait jugé sage de s'abstenir à la tribune du Parlement. Dans le choix de ces dépêches, lord Palmerston avait eu soin de ne pas omettre les plus irritantes, celles qui mettaient le plus directement en cause la loyauté du gouvernement français ; de ce nombre étaient deux dépêches de lord Normanby, datées du 1er et du 25 septembre, autour desquelles il se fit aussitôt grand bruit. Dans la première, l'ambassadeur racontait que M. Guizot venait de lui annoncer que les deux mariages ne se feraient pas en même temps ; j'ai déjà mentionné cette réponse, faite de bonne foi, à un moment où notre gouvernement croyait encore pouvoir échapper à la complète simultanéité[64]. La seconde dépêche rendait compte d'un entretien postérieur dans lequel M. Guizot parlait des deux mariages comme devant être célébrés ensemble ; elle ajoutait que le ministre, interpellé par l'ambassadeur sur la contradiction existant entre ses deux déclarations, avait eu une attitude assez piteuse, essayant d'abord de nier sa première réponse, ensuite de l'expliquer par ce fait que, dans la cérémonie, la Reine devait être en effet mariée la première. On verra plus tard le démenti donné par M. Guizot à cette dépêche qui, contrairement à tous les usages, n'avait pas été préalablement communiquée au ministre dont elle prétendait rapporter les paroles.

La publication du Blue book, et tout particulièrement des deux dépêches de lord Normanby, fut, pour les journaux de lord Palmerston, et immédiatement après pour ceux de M. Thiers, une occasion de reprendre avec une passion ravivée l'accusation de déloyauté déjà portée contre le gouvernement français. Notre opposition, naguère déconcertée et sur le point de battre en retraite, retrouva ardeur et confiance. Il fallait voir avec quel geste de confusion indignée le Constitutionnel affectait de se voiler la face à la vue d'un ministre français pris en flagrant délit de fourberie ; nos feuilles de gauche proclamaient que, du commencement à la fin de cette affaire, M. Guizot avait toujours rusé, menti, et on le traitait couramment de Scapin et de Bilboquet ; la conclusion était que, pour dégager l'honneur de la Fiance et rétablir les bons rapports avec l'Angleterre, il fallait, sans une minute de retard, changer de ministère. Comme toujours, c'était M. Thiers qui menait l'attaque ; chez lui, plus aucune trace du découragement qui avait inspiré sa dernière lettre à M. Panizzi. Rencontrant M. Gréville à l'ambassade anglaise, qui devenait de plus en plus le quartier général de l'opposition, il lui parla sur un ton singulièrement animé. Il me reprocha, raconte M. Gréville, d'ajouter foi à tout ce que me disait Mme de Lieven, déclarant que j'étais une éponge trempée dans le liquide de Mme de Lieven[65], et essaya, de son mieux, de me persuader que Guizot était faible, que sa majorité ne valait pas un fétu, et que le Roi pouvait et devait se débarrasser de lui aussitôt qu'il se trouverait lui-même dans une sorte de danger. — Conseillez à Palmerston, ajouta-t-il, de dire beaucoup de bien de la France et beaucoup de mal de M. Guizot. — Je répondis que je lui donnerais la moitié de l'avis, et pas l'autre. M. Gréville sortit de cet entretien, complètement édifié sur les sentiments de son interlocuteur. Il ne pense, disait-il, qu'à faire du mal, à satisfaire sa propre passion et ses ressentiments[66]. M. Thiers écrivait de son côté à M. Panizzi : Je ne sais ce que M. Gréville est venu faire ici, mais il a fini par m'être très suspect. Je l'ai un peu raillé le jour de son départ, et il en est très piqué. Il a passé sa vie chez Mme de Lieven, chez M. Guizot, et il tenait ici le langage d'un pur Guizotin... Je crois franchement qu'il n'est pas bien sûr et qu'il avait quelque commission particulière, je ne sais pour qui, mais qui n'irait pas dans le sens de vieux révolutionnaires comme vous et moi[67].

Naturellement M. Guizot ne pouvait voir avec indifférence la reprise d'attaques et d'injures dont la distribution du Blue book avait donné le signal. Il fut particulièrement blessé de la publication des deux dépêches de lord Normanby. Ainsi était effacée dans son esprit l'impression favorable qu'avaient produite les premiers débats du Parlement anglais. S'étant, lui aussi, rencontré avec M. Gréville, il ne lui dissimula pas que toute conciliation était rendue impossible par les procédés de lord Normanby et par les sentiments de lord Palmerston ; il ne contestait pas les bonnes dispositions de quelques autres membres du cabinet whig, mais elles lui paraissaient de peu d'importance tant que ne changeraient pas celles du ministre qui dirigeait en maître la diplomatie britannique[68]. M. Gréville n'avait pas grand'chose à répondre. Force lui était de s'avouer que la pacification rêvée par lui était plus éloignée que jamais. Il quitta Paris, dans les derniers jours de janvier, triste et découragé. Ainsi finit ma mission, notait-il sur son journal au moment de se rembarquer, et il me reste seulement à faire le rapport le plus véridique de l'état des affaires en France, à ceux à qui il importe le plus de le connaître ; mais alors il leur sera très difficile d'adopter un parti décisif et satisfaisant[69].

 

VI

La discussion de l'adresse à la Chambre des députés s'ouvrit le 1er février 1847 et dura jusqu'au 12. Une escarmouche sur l'affaire de Cracovie, une bataille sur les mariages espagnols, telles lurent les parties saillantes de cette discussion. Au sujet de Cracovie, le discours du trône s'était borné à dire avec une sobriété voulue : Un événement inattendu a altéré l'état de choses fondé en Europe par le dernier traité de Vienne. La république de Cracovie, État indépendant et neutre, a été incorporée à l'empire d'Autriche. J'ai protesté contre cette infraction aux traités. Le projet d'adresse, un peu moins bref, ajoutait, en s'inspirant d'une idée indiquée dans la note que M. Guizot avait naguère adressée aux trois cours[70] : La France veut sincèrement le respect de l'indépendance des États et le maintien des engagements dont aucune puissance ne peut s'affranchir sans en affranchir les autres ; il félicitait en outre le gouvernement d'avoir répondu à la juste émotion de la conscience publique, en protestant contre cette violation des traités, nouvelle atteinte à l'antique nationalité polonaise. Ce fut M. Odilon Barrot qui parla au nom de l'opposition. Que voulait-il au juste ? Il serait malaisé de préciser à quoi concluaient ses phrases contre les traités de 1815 et en faveur des nationalités. M. Guizot, dans sa réponse, fut au contraire très net. Le gouvernement du Roi, dit-il, a vu dans la destruction de la république de Cracovie un fait contraire au droit européen ; il a protesté contre le fait, qu'il a qualifié selon sa pensée. Il en a pris acte afin que, dans l'avenir, s'il y avait lieu, la France pût en tenir le compte que lui conseilleraient ses intérêts légitimes et bien entendus... Mais, en même temps qu'il protestait, le gouvernement du Roi n'a pas considéré l'événement de Cracovie comme un cas de guerre. Et là où le gouvernement du Roi ne voit pas un cas de guerre, il ne tient pas le langage, il ne fait pas le bruit, il ne prend pas l'attitude de la guerre ; il trouve qu'il n'y aurait à cela ni dignité, ni sûreté. Savez-vous quel est le vrai secret de la politique ? C'est la mesure ; c'est de faire à chaque chose sa juste part, à chaque événement sa vraie place, de ne pas grossir les faits outre mesure, pour grossir d'abord sa voix et ensuite ses actes au delà du juste et du vrai... Voici encore pourquoi, indépendamment de cette décisive raison que je viens d'indiquer, voici pourquoi nous avons agi comme nous l'avons fait. Nous n'avons pas cru que le moment où nous protestions contre une infraction aux traités fût le moment de proclamer le mépris des traités ; nous n'avons pas cru qu'il nous convînt, qu'il convînt à la moralité de la France, à la moralité de son gouvernement, de dire, à l'instant où il s'élevait contre une infraction aux traités : Nous ne reconnaissons plus de traités. Le ministre montrait à la Chambre que toute autre conduite eût amené de nouveau, en Europe, l'union de quatre puissances contre une. — Le jour, ajoutait-il, où nous croirions que la dignité et l'intérêt du pays le commandent, nous ne reculerions pas plus que d'autres devant une telle situation ; mais nous sommes convaincus que l'événement de Cracovie n'était pas un motif suffisant pour laisser une telle situation se former en Europe. La Chambre applaudit à ce langage aussi ferme que sensé, et la gauche n'osa même pas proposer d'amendement.

Sur les mariages espagnols, l'opposition, naguère si passionnée dans la presse, se montra tout d'abord assez hésitante ; on eût dit qu'elle éprouvait quelque embarras à répéter à la tribune ce qu'elle avait écrit dans les journaux. Quand, dans la séance du 2 février, la discussion s'ouvrit sur le paragraphe relatif à cette affaire, M. Crémieux se trouva à peu près seul à attaquer les mariages. Les hommes considérables, M. Thiers notamment, se turent. Il n'appartenait pas à M. Guizot d'engager lui-même un combat auquel l'opposition se dérobait, d'autant qu'il avait dit le nécessaire dans la discussion de la Chambre des pairs[71]. Il se borna donc à quelques mots dans lesquels, rappelant la modération, la réserve, la bienveillance pour la France qui venaient de se manifester au Parlement anglais, il se montrait désireux de s'associer à cet esprit de conciliation ; sans doute, ajoutait-il, s'il y avait été obligé, il se serait défendu ; mais, sa politique n'ayant pas été sérieusement attaquée, il croyait répondre aux sentiments exprimés à Londres, en s'abstenant pour le moment de toute discussion. Sur cette déclaration, le paragraphe fut voté sans difficulté. La Chambre se trouva ensuite en présence d'un paragraphe additionnel, proposé par MM. Billault et Dufaure : c'était la manifestation du nouveau tiers parti qui prétendait faire la leçon à la fois à M. Thiers et à M. Guizot, se séparait du premier en approuvant les mariages, mais ne témoignait pas confiance dans la fermeté du second. Cet amendement, soutenu par ses deux auteurs et par M. de Tocqueville, repoussé avec un laconisme dédaigneux, d'un côté par M. Guizot, de l'autre par M. Odilon Barrot, ne réunit au vote que 28 voix sur 270. Un échec si complet fit sourire la galerie. Ils ont voulu faire de l'équilibre, disait le Journal des Débats, être de l'opposition et de la majorité, garder un pied sur la rive droite et un pied sur la rive gauche, ce qui est une attitude très difficile quand on n'est pas le colosse de Rhodes.

Le gouvernement s'était-il donc débarrassé à si peu de frais de l'opposition contre les mariages espagnols ? C'eût été trop beau. En sortant de cette séance du 2 février, M. Thiers avait conscience de n'y avoir pas fait brillante figure. Vainement ses journaux prétendaient-ils, le lendemain matin, que M. Guizot avait demandé grâce et imploré le silence ; le public ne s'y laissait pas prendre : il voyait bien qui avait reculé devant le débat, et un observateur pouvait noter sur son journal intime : L'opposition est en pleine déroute ; en gardant le silence, elle avoue implicitement l'imprudence et l'impopularité de la politique qu'elle a suivie par rapport aux mariages espagnols ; jamais, depuis 1830, elle n'avait paru à ce point déconcertée et anéantie[72]. M. Thiers crut donc nécessaire de tenter quelque chose, dans la séance du 3 février, afin d'atténuer cette impression. Il prit la parole pour déclarer que, s'il s'était abstenu jusqu'alors, c'était que le ministre des affaires étrangères lui avait paru désirer le silence dans l'intérêt du pays ; mais ne voulant, disait-il, laisser aucune équivoque sur la question de savoir à qui incombait la responsabilité de ce silence, il demandait au gouvernement de dire nettement s'il acceptait ou refusait la discussion. M. Guizot répondit aussitôt que le ministère ne refusait pas la discussion ; tant qu'il ne s'était pas vu attaqué sérieusement, il avait cru qu'il y aurait avantage à imiter la réserve du Parlement anglais ; si aujourd'hui l'on voulait recommencer le débat, il l'accepterait ; mais ce n'était pas à lui à prendre l'initiative ; il ne pouvait avoir qu'à se défendre. Sur ce, M. Thiers annonça qu'il parlerait, et rendez-vous fut pris pour le lendemain.

M. Thiers n'apporta pas, à la tribune, la contradiction absolue, l'attaque à fond, la réprobation véhémente et indignée qu'eussent pu faire prévoir la polémique de ses journaux et ce que nous savons de ses sentiments intimes. Évidemment, il était contenu par l'état de l'esprit public. Quand il en vint à préciser les points où il eût voulu une politique différente de celle qui avait été suivie, on fut surpris de voir que ces points n'étaient, en somme, ni les plus nombreux ni les plus considérables, et que souvent la dissidence se réduisait à peu de chose. Il commença par reconnaître qu'il avait été bon de marier la Reine avec don François d'Assise et d'écarter le prince de Cobourg. Sa critique porta uniquement sur le mariage du duc de Montpensier ; il ne contestait pas que ce mariage fût désirable sous plusieurs rapports, mais, selon lui, on s'était, sans nécessité, trop pressé de l'accomplir, et cette précipitation avait fait manquer à ce qui était dû à l'Angleterre. Pour établir cette thèse, il exposa les faits à sa façon, niant que le ministère whig eût été moins fidèle que le ministère tory aux engagements pris à Eu, affirmant même que le premier avait fait plus encore que le second pour empêcher le mariage Cobourg. Il appuya aussi sur les révélations faites par les deux dépêches de lord Normanby du 1er et du 25 septembre 1846, et sur les déclarations contradictoires que M. Guizot aurait faites à ces deux dates. Et pourquoi, demandait-il, tous ces mauvais procédés dont la conséquence avait été la rupture de l'alliance anglaise ? Pour faire un mariage qui ne valait certes pas d'être payé si cher. L'orateur estimait qu'en attachant tant d'importance à cette question matrimoniale, le gouvernement avait commis une sorte d'anachronisme : aujourd'hui, ce n'était plus par un lien de parenté royale que la politique française pouvait agir efficacement en Espagne, c'était par le lien d'une révolution commune. Parlant à ce propos du rôle de la France en Europe, M. Thiers revendiquait pour son pays l'honneur de protéger partout la liberté en péril, les nationalités menacées. Pour une telle œuvre, l'alliance anglaise lui était utile. En rompant cette alliance au moment où le pouvoir passait aux mains des whigs, dont l'esprit libéral déplaisait aux puissances absolutistes, notre gouvernement avait révélé ses penchants réactionnaires. Ce qu'il nous en coûtait, on l'avait vu tout de suite dans l'affaire de Cracovie. Mais Cracovie n'était qu'un point dans l'espace. M. Thiers montrait alors, dans un brillant tableau, l'Italie qui se réveillait à la parole de Pie IX, la Suisse en état de guerre civile, l'Allemagne en fermentation constitutionnelle ; il indiquait de quel appui serait, sur tous ces théâtres, pour la cause de la liberté, l'union de la France et de l'Angleterre. Méconnaissez, s'écriait-il, l'événement de Cracovie ; Cracovie était bien petite, quoiqu'elle ait la grandeur du droit ; méconnaissez l'événement de Cracovie ; mais avez-vous donc méconnu l'état du monde ?

M. Guizot prit la parole, le lendemain, 5 février : Y a-t-il eu nécessité de faire ce qu'on a fait et au moment où on l'a fait ? Y a-t-il eu loyauté dans la manière dont on l'a fait ? Telle était la double question qui lui paraissait posée par le débat. Il y répondait oui sans hésiter, et il entreprit de justifier sa réponse en recommençant, avec nombreuses pièces à l'appui, l'histoire des négociations auxquelles avait donné lieu l'affaire des mariages. Cela fait, — et ce fut de beaucoup la partie la plus étendue de son discours, — il aborda ce qu'il appelait la question des conséquences de l'acte, la question de la situation politique que l'acte nous avait faite. Il ne contestait pas la gravité de cette situation, mais ne voulait pas qu'on l'exagérât. En tout cas, il estimait que le moyen le plus sûr d'écarter tous les dangers était que la politique française restât conservatrice, pacifique, dévouée à l'ordre européen. Ainsi obtiendrait-on que les puissances persistassent à refuser leur adhésion aux protestations de l'Angleterre. Arrivé au terme de sa longue démonstration, M. Guizot concluait, la tête haute et sur un ton de fierté victorieuse : L'affaire des mariages espagnols est la première grande chose que nous ayons faite seuls, complètement seuls, en Europe, depuis 1830. L'Europe spectatrice, l'Europe impartiale en a porté ce jugement. Soyez sûrs que cet événement nous a affermis en Espagne et grandis en Europe. Et, dominant les murmures de l'opposition, il faisait honneur de ce succès à la politique d'ordre et de conservation. Nous maintenons, s'écriait-il, que cette politique a grandi, fortifié, honoré la France en Europe, qu'elle lui a donné plus de poids, plus de crédit ; et nous maintenons que si cette politique n'avait pas été suivie, vous n'auriez pas été en état de résoudre vous-mêmes, en Espagne, la question qui s'est présentée, et qu'elle aurait été résolue contre vous au lieu de l'être pour vous.

M. Guizot descendit de la tribune au milieu des acclamations de la majorité. Celle-ci ne lui savait pas seulement gré d'avoir vigoureusement réfuté les opposants ; c'était aussi pour elle une satisfaction nouvelle, en face de ceux qui l'avaient si souvent accusée de platitude envers le cabinet de Londres, de voir la fermeté avec laquelle son chef faisait tête à lord Palmerston[73]. M. Guizot, en effet, sans oublier que sa voix portait jusqu'en Angleterre, avait dit hardiment, sur les procédés de la diplomatie britannique, tout ce qui lui avait paru nécessaire à sa propre justification. Quelques-uns même de ses auditeurs, peu braves de leur naturel, n'avaient pas été parfois sans trembler, en le voyant se mouvoir avec cette allure résolue, sur un terrain si périlleux ; mais on pouvait se fier à l'habileté de l'orateur : admirablement maître de sa pensée et de sa parole, il avait mesuré d'avance jusqu'où il pouvait aller, et n'avait pas dépassé la limite qu'il s'était fixée. Le vote à mains levées donna une grande majorité au ministère. L'opposition, se sentant battue, n'avait pas osé demander le scrutin. Quelques jours après, l'ensemble de l'adresse fut voté par 248 voix contre 84. Le ministère ne s'était pas encore vu à la tête d'une majorité aussi nombreuse et aussi décidée.

L'opposition, qui sentait toute l'étendue de son échec, maugréait plus ou moins contre M. Thiers, auquel elle reprochait d'avoir voulu engager le combat sur un terrain aussi défavorable que celui des mariages espagnols. Le désappointement ne devait pas être moins vif à l'ambassade anglaise et au Foreign office. On y avait cru que la discussion entraînerait la chute du ministère ; or, il se trouvait au contraire qu'elle avait tout à fait tourné à son avantage. M. Guizot se plaisait à mettre en lumière la déception de ses adversaires. Voici, écrivait-il à ses agents près les cours de Vienne et de Berlin, l'erreur du cabinet anglais depuis six mois. Il a compté sur l'intimidation du Roi, des Chambres, du public. Il a espéré d'abord que le mariage Montpensier ne se ferait pas ; puis, le mariage fait, qu'on ferait des concessions sur les choses, que la duchesse de Montpensier renoncerait à ses droits ; puis qu'à défaut de concessions sur les choses, on en ferait sur les personnes, que M. Guizot serait sacrifié. De Paris, on a successivement écrit et promis tout cela à Londres. Cabinet anglais et opposition française ont l'un et l'autre mis tout leur jeu sur cette carte de l'intimidation à tous les degrés et sous toutes les formes. Ils se sont trompés[74].

M. Thiers, craignant évidemment que lord Palmerston ne fût ainsi découragé de l'alliance contractée avec lui, s'empressa d'écrire à M. Panizzi ; il lui affirma, en dépit des votes émis ; que l'immense majorité de la Chambre des députés déplorait la conduite de M. Guizot, qu'elle lui reprochait son imprudente morgue et l'aveuglement avec lequel il s'était jeté dans le débat, et surtout il tâcha toujours de faire croire au gouvernement anglais qu'en poussant vigoureusement son attaque, il déterminerait Louis-Philippe à abandonner son ministre. Le Roi, écrivait-il, est devenu fort douteux pour M. Guizot... Je suis certain de ce que je vous dis ici. Des confidences très sûrement informées ne m'ont laissé aucun doute à cet égard. Avant-hier, j'ai pu me convaincre d'un changement notable, par mes propres yeux. J'étais invité au spectacle de la cour avec sept ou huit cents personnes, par conséquent sans faveur aucune ; mais j'ai reçu un accueil qu'on ne m'avait pas fait depuis bien des années, et c'est toujours ainsi quand on commence à s'ébranler[75]. Toutefois, lord Palmerston se lassait de prendre au sérieux ces assurances toujours démenties par l'événement. Il se rendait compte que le ministère était beaucoup plus solide que M. Thiers ne le disait. Je crois M. Guizot aussi fort que jamais, écrivait-il peu après à lord Normanby[76]. A partir de cette époque, sans aucunement désarmer à l'égard du gouvernement français, il se montra beaucoup moins occupé de lier partie avec notre opposition. D'ailleurs, s'il eût trouvé un certain plaisir de vengeance à jeter par terre un ministre qui l'avait mortifié, et si, par ce motif, il avait associé volontiers ses ressentiments à ceux de M. Thiers, il ne consentait nullement à regarder l'avènement de ce dernier comme une satisfaction qui dût effacer ses griefs, dissiper ses méfiances et mettre fin au conflit : en réalité ce n'était pas à tel ministre, mais à la France qu'il en voulait. Je ne vois vraiment pas, écrivait-il encore à lord Normanby, ce que nous gagnerions à un changement de cabinet en France. Nous pourrions avoir quelqu'un avec qui il serait plus agréable de traiter, à la parole duquel nous croirions davantage ; mais le successeur, quel qu'il fût, serait dans son cœur aussi hostile à l'Angleterre ; peut-être même jugerait-il plus nécessaire d'être raide, pour qu'on ne le crût pas moins disposé que M. Guizot à nous braver, — nous devrions plutôt dire à nous tromper, — dans ce qui regarde le mariage espagnol[77].

 

VII

J'ai déjà eu plusieurs fois occasion de noter les relations compromettantes de lord Normanby avec l'opposition française. Pendant son voyage à Paris, au mois de janvier 1847, M. Gréville avait essayé, sans succès, de lui faire comprendre l'incorrection et le danger de sa conduite[78]. Je laisse l'ambassade dans une situation pénible et fâcheuse, écrivait-il tristement en se remettant en route pour l'Angleterre. Normanby semble ne pas se soucier si l'on voit son intimité avec Thiers, et il n'en a d'aucune sorte avec Guizot... Thiers, ayant saisi Normanby dans ses griffes, ne le laissera pas aller aisément, et le ressentiment de Guizot ne sera guère apaisé ; aussi ne vois-je aucune chance que de bons rapports puissent jamais être rétablis entre eux[79]. Il n'y avait pas là seulement, comme s'en plaignait M. Gréville, un obstacle aux conversations cordiales qui eussent amené une détente ; mais, dans une telle situation, le moindre incident pouvait dégénérer en un conflit aigu entre l'ambassadeur et le ministre. Cet incident naquit de la discussion de l'adresse.

On se rappelle comment lord Palmerston avait publié dans son Blue book deux dépêches de lord Normanby, rapportant deux conversations de M. Guizot, du 1er et du 25 septembre : dans l'une de ces dépêches, le ministre présentait le mariage de la Reine et celui de l'Infante comme ne devant pas se faire en même temps ; dans l'autre, il avouait leur simultanéité, et, interpellé sur la déclaration contraire faite par lui précédemment, il s'en montrait fort embarrassé, essayait d'abord de la nier, puis prétendait l'expliquer en disant qu'en effet, dans la cérémonie, la Reine serait mariée la première. On n'a pas oublié non plus les accusations portées à ce propos, à Londres comme à Paris, contre M. Guizot. Celui-ci crut devoir y répondre dans son grand discours du 5 février. Il ne contesta aucunement avoir annoncé, le 1er septembre, à lord Normanby, que les mariages ne se feraient pas en même temps. J'étais bien en droit de le dire, ajoutait-il... car non seulement il n'était pas du tout décidé que les deux mariages se feraient simultanément ; mais nous nous opposions encore, à ce moment, à la simultanéité. Le ministre raconta ensuite comment, quelques jours plus tard, le 4 septembre, le gouvernement français avait été amené, par les exigences de l'Espagne, à consentir cette simultanéité. Je n'en ai-pas averti l'ambassadeur d'Angleterre, continua M. Guizot, c'est vrai ; je n'ai pas cru devoir l'avertir. J'aurais manqué aux plus simples conseils de la prudence, si, en présence d'une opposition qu'il m'avait déjà déclarée, j'avais été l'avertir moi-même du moment où il fallait qu'il agît contre nous. Quant à la conversation que lui attribuait la dépêche du 25 septembre, M. Guizot fit d'abord observer qu'en recevant un ambassadeur et en répondant à ses questions, il n'entendait pas subir une sorte d'interrogatoire ; qu'il ne devait lui dire que la vérité, mais qu'il s'expliquait seulement dans la mesure qui convenait à l'intérêt de son pays et de sa politique. Il rappela ensuite que tout compte rendu fait par un agent étranger d'une semblable conversation n'avait un caractère d'authenticité et d'irréfragabilité que s'il était soumis préalablement à celui dont on rapportait les paroles ; que lord Normanby en avait usé ainsi pour l'entretien du 1er septembre ; que, pour celui du 25 septembre, au contraire, cette communication n'avait pas été faite. Le ministre se croyait donc le droit de contester que son langage eût été exactement reproduit. J'ose dire, déclarait-il, que si M. l'ambassadeur d'Angleterre m'avait fait l'honneur de me communiquer sa dépêche du 25 septembre, comme il m'avait communiqué celle du 1er, j'aurais parlé autrement et peut-être mieux qu'il ne m'a fait parler. Fallait-il s'attendre qu'après avoir démenti un compte rendu inexact, M. Guizot en apportât un exact ? Non, il ne s'y croyait pas tenu, et il préférait laisser une certaine obscurité sur une conversation dans laquelle, dès l'origine, il n'avait évidemment pas voulu ou pu être net. Un seul mot, dit-il, sur le fond même de la dépêche. Le 25 septembre, Messieurs, toute la situation était changée : M. l'ambassadeur d'Angleterre m'apportait la protestation de son gouvernement contre le mariage de M. le duc de Montpensier. Cette protestation annonçait que le gouvernement anglais ferait tout ce qui dépendrait de lui pour empêcher ce mariage. Je recevais en même temps de Madrid des nouvelles tout à fait dans le même sens. Un grand effort intérieur et extérieur était fait contre le mariage, pour l'empêcher. Je me suis senti, le mot n'a rien de blessant pour personne, je me suis senti, après avoir reçu cette protestation, en face d'un adversaire, et je me suis conduit en conséquence, ne disant rien qui ne fût rigoureusement vrai, mais ne me croyant pas obligé à rien dire qui nuisît à ma cause ni à mon pays.

Lord Normanby n'était pas d'humeur à prendre en patience la leçon qui venait de lui être donnée. Il y vit une offense publique à relever immédiatement, et, dès le lendemain, 6 février, il adressa à lord Palmerston une dépêche rédigée ab irato, dans laquelle il disait : Je répète, une fois pour toutes, et dans les termes les plus forts dont le langage soit susceptible, que le récit donné par moi est la traduction fidèle et littérale de chaque phrase et de chaque explication dont M. Guizot s'est servi dans la conversation que nous avons eue ensemble. Lord Palmerston était trop au courant des usages diplomatiques pour ne pas savoir que lord Normanby s'était mis dans son tort en ne communiquant pas préalablement sa dépêche à M. Guizot, et que celui-ci était dans son droit en contestant, non la sincérité, mais l'exactitude du compte rendu[80] ; il aurait donc dû calmer son agent. Mais empêcher une mauvaise querelle de naître, ce n'était ni dans les habitudes, ni surtout dans la disposition actuelle de lord Palmerston ; il aima bien mieux s'y jeter lui-même, sans se demander ni ce qu'elle valait, ni où elle le conduirait, ni comment il pourrait en sortir. Il répondit à lord Normanby, le 11 février : Milord, votre dépêche du 6 courant m'est parvenue, et, en réponse à cette communication, j'ai à assurer Votre Excellence que le gouvernement de Sa Majesté a la plus parfaite confiance dans l'exactitude de vos rapports, et que rien de ce qui a été dit à la Chambre des députés, le 5 courant, ne peut en aucune façon ébranler la conviction du gouvernement de Sa Majesté que le récit, renfermé dans votre dépêche du 25 septembre dernier, de ce qui s'est passé dans la conversation entre vous et M. Guizot, est entièrement, rigoureusement conforme à la vérité. Le jour même, avant que l'encre en fût séchée, il déposait cette réponse avec un extrait de la dépêche de lord Normanby, sur le bureau du Parlement[81].

Quelques heures après, tous les journaux publiaient les deux pièces. C'était précisément ce qu'avait voulu lord Palmerston. Il trouvait plaisir à dire tout haut qu'il tenait M. Guizot pour un menteur. Le résultat, disait le Moming Chronicle, organe du Foreign office, est qu'à la face des deux nations, M. Guizot est regardé dans l'opinion publique comme un imposteur convaincu d'imposture. C'est une position qui n'est pas nouvelle pour lui et qu'il peut supporter avec une philosophique indifférence ; mais certes il n'est personne en Angleterre, ayant la prétention d'être un gentleman, qui se décidât à la subir, et, s'il le faisait, il serait certainement frappé d'une déconsidération universelle. Suivant leur habitude, les journaux de M. Thiers firent écho à ceux de lord Palmerston. Le Constitutionnel ne fut pas moins ardent que le Morning Chronicle à accuser M. Guizot d'avoir abusé, par de misérables équivoques, la loyauté de l'ambassadeur anglais ; il proclama que l'honneur de la France était intéressé à désavouer un ministre menteur, et surtout il s'appliqua à grossir, à envenimer l'incident, toujours dans l'espoir d'en faire sortir une crise ministérielle ; soulignant ce qui pouvait irriter de part et d'autre les amours-propres, il disait à lord Normanby : Voyez comme M. Guizot s'est moqué de vous, et à M. Guizot : Ne vous apercevez-vous pas que lord Normanby et lord Palmerston vous donnent un injurieux démenti ?

La prétention de lord Normanby était que satisfaction publique lui fût donnée par M. Guizot, du haut de la tribune[82]. Le Morning Chronicle invitait ironiquement le ministre français à rassembler tout son courage moral pour faire cette sorte d'amende honorable. Par cette exigence, on se flattait, ou d'imposer à M. Guizot la plus mortifiante des humiliations, ou d'obliger Louis-Philippe à se séparer de lui. Notre ministre, fort ennuyé de cette querelle qui venait compliquer inutilement une situation déjà si difficile, eût saisi volontiers toute occasion d'y mettre fin honorablement, et, si on le lui eût demandé avec politesse, il n'eût certainement pas refusé de déclarer qu'en contestant l'exactitude du compte rendu, il n'avait nullement entendu mettre en doute la bonne foi de l'ambassadeur[83]. Mais à une mise en demeure offensante et tapageuse, il estimait que sa dignité ne lui permettait pas de répondre. Il garda donc un silence froid. Même attitude dans la presse ministérielle. Le Journal des Débats, sans discuter avec les feuilles palmerstoniennes, se borna à signaler leurs emportements et à dénoncer le concours scandaleux que leur donnaient le Constitutionnel et ses pareils.

Le chef du Foreign office ne tarda pas à s'apercevoir qu'il n'y aurait pas moyen de triompher de cette résistance passive de M. Guizot ; il commençait d'ailleurs, — nous l'avons déjà vu, — à se rendre compte que le ministère français était plus solide que M. Thiers ne le faisait croire à lord Normanby. Il invita donc ce dernier à changer de tactique. Vous avez dit officiellement, lui écrivit-il, le 17 février, que l'insinuation de Guizot n'était pas vraie ; nous avons fait savoir à toute l'Europe que nous vous croyions et que nous ne le croyions pas. Que nous faut-il de plus ?... Cela, nous avions le pouvoir de le faire. Mais nous n'avons pas le pouvoir de forcer M. Guizot à des excuses. C'est pourquoi il vaut mieux ne pas nous exposer, en les demandant, à être obligés de nous retirer avec un refus. Il n'y a pas de raison pour que vous et lui ne continuiez pas à faire les affaires ensemble comme par le passé, et la meilleure ligne à suivre pour vous, c'est de déclarer que la publication des dernières dépêches et les sentiments unanimes du Parlement sur ce sujet vous laissent en bonne situation, et que ni votre gouvernement ni le Parlement ne demandent que leur opinion soit confirmée par aucun aveu de Guizot[84]. En même temps, lord Palmerston informait, à plusieurs reprises, M. de Sainte-Aulaire, notre ambassadeur à Londres, qu'il donnait pleinement raison à lord Normanby ; que celui-ci serait maintenu à son poste ; que si on lui rendait impossible de traiter les affaires et si on l'obligeait ainsi à quitter Paris, il ne serait pas remplacé ; que l'ambassade serait alors gérée par un chargé d'affaires, et que les rapports diplomatiques seraient mis sur le même pied que ceux de la France et de la Russie. Il faisait en sorte que cette dernière éventualité ne fût pas ignorée de Louis-Philippe[85].

Une telle situation ne pouvait se prolonger sans péril. A Londres même, les esprits les plus posés estimaient qu'en cet état, la moindre difficulté pouvait produire une explosion et amener la guerre[86]. Comment sortir de là ? Il n'y avait pas à compter sur la sagesse de lord Normanby ; mais restaient les chances que devait nous donner sa maladresse passionnée. Elles ne nous firent pas défaut. Lady Normanby avait annoncé l'intention de donner un bal le 19 février ; dans les bureaux de l'ambassade, on copia, sans y faire attention, les listes des précédentes réceptions, et l'on adressa par suite une invitation à M. Guizot. Quand lord Normanby s'en aperçut, il craignit que cette démarche ne fût regardée comme une sorte d'avance conciliante à laquelle il n'eût pas voulu se prêter, et il fit informer M. Guizot que l'invitation lui avait été envoyée par méprise, ou, comme il disait, par le mépris de son secrétaire. Ce ne fut pas tout : sous prétexte de rectifier les récits de certains journaux, l'ambassadeur fit insérer dans le Galignani's Messenger une note ainsi conçue : La vérité semble être qu'une invitation avait été envoyée par erreur à M. Guizot, et que celui-ci en a été informé ; mais il est également vrai, croyons-nous, que M. Guizot en a été instruit d'une manière indirecte et sans aucune circonstance pouvant lui donner sujet de s'offenser. Le scandale fut grand. Le jour du bal, aucun membre de la cour, du ministère ou de la majorité des Chambres ne parut à l'ambassade. Par contre, les députés de l'opposition se donnèrent le mot d'ordre d'y aller, pour témoigner en faveur de leur allié ; on y vit aussi un certain nombre de légitimistes auxquels lord Normanby, effrayé du vide qui menaçait de se faire dans ses salons, avait envoyé des invitations à la dernière heure. Le même soir, il y eut réception au ministère des affaires étrangères : l'affluence y fut énorme.

Aux yeux de tous les juges désintéressés, l'ambassadeur d'Angleterre, par ce dernier incident, avait mis décidément les torts de son côté. Sa position est insoutenable en France, écrivait de loin M. de Metternich[87]. M. Désages, naguère un peu inquiet du conflit où se trouvait engagé son ministre, mandait, plus rassuré, à M. de Jarnac : En définitive, lord Normanby est aujourd'hui, je crois, plus, embarrassé qu'embarrassant[88]. Les Anglais n'étaient pas les derniers à se rendre compte de la situation mauvaise où s'était mis leur ambassadeur. Dès l'origine, beaucoup d'entre eux avaient vu avec déplaisir celte querelle personnelle venant compliquer un différend politique dont on commençait à être las[89]. Ce sentiment devint plus vif encore après la sotte histoire du bal. M. Gréville constatait, le 23 février, que l'impression de dégoût et d'inquiétude était générale, sauf peut-être chez lord Palmerston. Rien n'est plus déplorable que l'état de l'affaire, ajoutait-il, et Normanby semble entièrement inconscient de la pauvre figure qu'il fait[90]. Le Times exprimait le mécontentement du public.

Émus de ce mouvement d'opinion, plusieurs des membres du cabinet britannique commencèrent à sortir un peu de l'inertie qui d'ordinaire leur faisait laisser le champ libre à lord Palmerston ; ils se préoccupèrent de contenir leur collègue et de mettre au plus vite fin à la querelle. Mais, pendant qu'ils s'agitaient et tâtonnaient dans ce dessein, le chef du Foreign office, sans les consulter, sans même avertir son premier ministre, lord John Russell, qui pourtant dînait chez lui le jour même, fit auprès de M. de Sainte-Aulaire une démarche violente qui aggravait singulièrement le conflit et qui dépassait ce que lui-même, quelques jours auparavant, regardait comme possible ; il déclara à l'ambassadeur de France que si lord Normanby ne recevait pas une réparation immédiate et satisfaisante, les relations diplomatiques entre les deux pays seraient interrompues. Lord Clarendon, informé de ce fait par quelqu'un qui venait de voir M. de Sainte-Aulaire, alla aussitôt trouver lord John Russell : Que diriez-vous, lui demanda-t-il, si Palmerston avisait Sainte-Aulaire qu'à moins d'une réparation offerte à Normanby, toute relation entre la France et l'Angleterre cesserait ?Oh ! non, dit lord John, il ne ferait pas cela. Je ne pense pas qu'une telle affaire soit à craindre. — Mais il l'a fait, dit Clarendon, la communication a eu lieu, et la seule question est de savoir si Sainte-Aulaire en a ou n'en a pas averti son gouvernement. Cette fois, lord John Russell, en dépit de la confiance qu'il affectait de témoigner à Palmerston, s'alarma. Sans prendre le temps d'avertir ce dernier, il écrivit instantanément à M. de Sainte Aulaire, et lui demanda de ne pas transmettre à son gouvernement la communication qui lui avait été faite. Cet avis arriva à temps ; la dépêche n'était pas encore partie. Lord John Russell vit ensuite lord Palmerston ; lui parla-t-il avec plus de fermeté qu'à l'ordinaire ? ou bien le trouva-t-il plus docile et plus humble, par conscience de ses torts ? toujours est-il que le chef du Foreign office, sans paraître se formaliser d'avoir vu sa communication contremandée en dehors de lui, se soumit, au moins pour le moment, sauf à reprendre sa politique querelleuse plus tard, lorsqu'il serait moins surveillé et contenu[91].

Cette nouvelle manière d'être de lord Palmerston se manifesta dans une lettre qu'il écrivit, le 23 février, à lord Normanby. Nous sommes très anxieux, lui mandait-il, d'apprendre que les différends entre vous et Guizot ont été arrangés d'une façon ou d'une autre... Le public ici commence à s'inquiéter de ces affaires. Il ne comprend pas bien l'importance qu'ont à Paris des choses qui n'en auraient pas autant ici ; et il craint que des différends personnels n'aient une influence fâcheuse sur les différends nationaux qui les ont produits. Vous savez combien ici le public est sensitif sur tout sujet qu'il suppose conduire à la guerre... Un arrangement est donc très souhaitable, et plus que vous ne pouvez-vous en apercevoir à Paris. Le ministre rappelait à son agent que, dans un conflit entre un premier ministre et un ambassadeur, ce dernier est toujours le plus faible. Il ne lui cachait pas d'ailleurs que tout le monde lui donnait tort dans l'affaire du bal, et que du moment où l'invitation avait été envoyée, même par erreur, elle n'aurait pas dû être retirée. Le seul point, disait-il en terminant, sur lequel quelque chose comme une réparation soit nécessaire, est ce que Guizot a dit à la Chambre. A vous parler vrai, cela n'a pas été regardé ici comme aussi offensant qu'on semble l'avoir considéré à Paris. Sainte-Aulaire dit que Guizot lui assure n'avoir eu aucune intention de contester votre véracité. Le meilleur arrangement eût été qu'il donnât cette assurance à la tribune, en réponse a une question posée par quelque député. Mais probablement le temps est passé où cela aurait pu se faire. Ne pourrait-il pas vous le dire en présence du Roi intervenant comme pacificateur ? Il ne déplairait peut-être pas au Roi de jouer ce rôle. Ou bien Guizot pourrait-il dire cela au Roi, qui vous le répéterait ? Ou bien pourrait-il faire cette déclaration à Apponyi, avec mission de vous la rapporter ? Tous ces moyens seraient, je pense, possibles. Mais il est très désirable que l'affaire soit arrangée[92].

Une telle lettre, si peu en harmonie avec ce qui lui avait été écrit jusqu'alors du Foreign office, était faite pour surprendre et désappointer lord Normanby. En tout cas, il dut se dire que du moment où lord Palmerston lui-même voyait ainsi les choses, il n'avait plus qu'à s'exécuter. Il se résigna donc, fort tristement et la tête basse, à aller trouver le comte Apponyi, l'informa qu'il était prêt à prendre envers le ministre français l'initiative d'une démarche de conciliation et le pria de s'interposer. M. Guizot, de son côté, ne demandait qu'à mettre fin à cette querelle personnelle ; il accueillit bien ces ouvertures, insistant seulement pour qu'il fût bien établi que lord Normanby faisait les premiers pas. Suivant un programme convenu à l'avance, l'ambassadeur d'Angleterre chargea le comte Apponyi d'exprimer à M. Guizot ses regrets, au sujet de l'invitation retirée ; en réponse, M. Guizot déclara au même intermédiaire n'avoir point eu l'intention, dans son discours à la Chambre, d'inculper la bonne foi et la véracité de l'ambassadeur ; puis, le 27 février, tous deux se rencontrèrent chez le comte Apponyi et se serrèrent la main. Messieurs, leur dit l'ambassadeur d'Autriche, je suis charmé de vous voir réunis chez moi, et je vous remercie de la confiance dont vous m'avez honoré l'un et l'autre. M. Guizot, se tournant vers lord Normanby, lui tint ce langage : Mylord, après ce que M. l'ambassadeur d'Autriche m'a fait l'honneur de me dire de votre part et ce que je lui ai répondu, ce qui conviendra le mieux, je pense, à vous comme à moi, c'est que nous n'en parlions plus. — Certainement, répondit l'ambassadeur. Ils s'assirent, causèrent du froid, du vent d'est, des travaux des Chambres, de l'Irlande, des emprunts, du maïs, des pommes de terre. Au bout de dix minutes, M. Guizot se retira[93]. Une note sommaire fit connaître au public les conditions du rapprochement. Peu de jours après, lord Normanby vint entretenir M. Guizot de l'affaire de la Plata, et le ministre dîna à l'ambassade. Les relations étaient rétablies, du moins en apparence.

A Paris, les amis de M. Guizot trouvèrent, non sans raison, que l'affaire s'était terminée à son avantage[94]. A Londres, on ne put s'empêcher de remarquer combien la conclusion était différente des prétentions premières de lord Normanby. Celui-ci, écrivait lord Howden, a été comme le mois de mars, arrivant comme un lion et s'en allant comme un agneau. M. Gréville déclarait que la fin de cette triste querelle avait répondu au commencement, et que rien n'était plus misérable que la réconciliation[95]. Lord Normanby avait conscience de la figure un peu piteuse qu'il faisait ; aussi les lettres qu'il écrivait à Londres étaient-elles pleines de récriminations contre son gouvernement qui ne l'avait pas soutenu, contre ses amis plus que candides, qui s'étaient effarouchés de sa conduite[96]. Lord Palmerston tâcha de le consoler. Je ne suis pas surpris, lui mandait-il, que vous soyez ennuyé de la candeur de nos amis communs ; mais c'est un mal inséparable de la vie publique... La tendance des meilleurs amis est toujours de penser qu'on a trop fait quand il s'élève des difficultés par suite de ce qui a été fait, ou, au contraire, qu'on a trop peu tenté quand il s'élève des difficultés par suite de ce qui a été omis... C'est toutefois le devoir de ceux qui ont charge de diriger un service, de soutenir leurs collaborateurs au milieu des difficultés auxquelles ils peuvent être exposés. Et soyez assuré que je ferai toujours ainsi. C'est pour moi la condition sine qua non de la coopération qu'on peut attendre d'hommes d'honneur[97]. Lord Normanby pardonna-t-il à ceux de ses amis qui l'avaient abandonné ? En tout cas, il ne devait jamais pardonner à M. Guizot l'avantage que celui-ci avait eu sur lui en cette affaire. Jusqu'à la révolution de Février, il restera, plus que jamais, en connivence active avec notre opposition, et telle sera sa conduite que les Anglais pourront l'accuser d'avoir contribué au renversement de la monarchie de Juillet[98].

 

VIII

Si occupé que fût lord Palmerston de ce qui se passait en France, et de la campagne qu'il y menait avec le concours de notre opposition, il ne perdait pas de vue le reste de l'Europe et ne cessait pas d'agir auprès des autres puissances. On sait quels efforts il avait faits, dès le début du conflit, pour mettre dans son jeu l'Autriche, la Prusse et la Russie. Il les avait d'abord invitées, en septembre 1846, à protester avec lui contre le mariage annoncé et non encore célébré de l'Infante ; le fait accompli, il les avait pressées, en octobre et novembre, de déclarer, dans un protocole signé à quatre, que les enfants à naître de cette union seraient déchus de leurs droits successoraux à la couronne d'Espagne ; chaque fois il avait échoué. Non découragé par ce double insuccès, il revint à la charge en janvier 1847. Sa prétention, toujours la même au fond, se faisait plus modeste dans la forme. Il demandait que chacune des trois cours lui donnât séparément son avis sur les droits éventuels des descendants de l'Infante. Cet avis, il l'avait déjà obtenu, à peu près tel qu'il le désirait, du gouvernement de Berlin, en octobre 1846. Ne pouvait-on décider les cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg à en faire autant ? Sans doute, cette demande était assez anormale ; il n'est guère dans l'usage des chancelleries de se prononcer ainsi, par voie de consultation doctrinale, sur des hypothèses qui ne se réaliseront peut-être pas. Mais, à entendre le ministre anglais, cette mesure préventive n'avait pas pour but de commencer la bataille avant l'heure ; elle devait, au contraire, assurer le maintien de la paix ; le gouvernement français, averti à l'avance des dangers auxquels l'exposerait telle éventualité, s'arrangerait pour qu'elle ne se réalisât pas. Lord Palmerston donnait, en outre, à entendre, pour amadouer les trois cours, qu'elles serviraient par là les intérêts du comte de Montemolin, et il se répandait en éloges de ce prince, déclarant que, s'il l'avait connu plus tôt, il se serait conduit autrement[99].

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire remarquer, la clef de la situation était à Vienne. Lord Ponsonby s'y démenait avec un zèle passionné. En toutes circonstances, il trahissait son animosité contre la France et ne prenait même pas la peine de la cacher à notre ambassadeur, le comte de Flahault, bien qu'il fût avec lui en bons rapports personnels. Ce dernier écrivait à M. Guizot, le 22 janvier 1847 : Ponsonby me disait l'autre jour que le discours de la Reine contiendrait un paragraphe fort sévère sur les mariages espagnols[100], que la guerre était très probable ; que, du reste, lors même que cette difficulté ne se fût pas élevée, il s'en serait présenté d'autres qui auraient eu les mêmes conséquences ; que la France et l'Angleterre étaient comme deux belles dames qui se rencontrent dans un salon ; elles se font la révérence, se disent des politesses, mais sont toujours prêtes, à la première occasion, à se prendre aux cheveuxpull on another's cap[101]. En même temps, pour gagner les bonnes grâces de M. de Metternich, lord Ponsonby affectait d'entrer dans toutes ses idées, même les plus rétrogrades[102]. Le chancelier, visiblement flatté d'être ainsi courtisé, trouvait toutes sortes de qualités à l'ambassadeur d'Angleterre[103].

Le gouvernement français, informé du mouvement que se donnait la diplomatie anglaise à Vienne, ne laissait pas que d'en être préoccupé[104]. De son côté, il n'était pas inactif. Il chargeait M. Giraud, légiste et historien distingué, de faire, sur le Traité d'Utrecht, un livre qui était la réfutation savante de la thèse anglaise : ce livre, traduit aussitôt en allemand, fat envoyé aux diverses chancelleries. Et surtout il ne se lassait pas, dans ses lettres à M. de Flahault, de développer les idées qu'il lui avait indiquées dès le début et qu'il savait être de nature à faire le plus d'impression sur M. de Metternich. La France, lui écrivait-il, a besoin que l'Espagne soit pacifiée, monarchique et conservatrice. La France veut être tranquille de ce côté. A cette condition seulement, elle peut employer sur d'autres points son influence pour le maintien des mêmes principes. L'Autriche, surtout, a besoin que la France continue à soutenir la politique de conservation. Elle a besoin du concours, de l'action morale de la France, en Italie, en Suisse. Ressusciter à notre porte, en Espagne, l'état révolutionnaire, c'est ôter à la France non seulement tout moyen, mais peut-être toute envie de persévérer ailleurs dans cette politique. Si le désordre renaît en Espagne, il peut naître en Italie. Est-ce l'Angleterre qui y portera remède ? N'est-ce pas la France, la France seule, qui le peut et le veut aujourd'hui ? Le prince de Metternich mettra-t-il en jeu le repos de l'Europe, pour servir la rancune de lord Palmerston ? M. Guizot ajoutait, dans une autre lettre, quelques semaines plus tard. Lord Palmerston est voué à la politique remuante et révolutionnaire. C'est son caractère : c'est aussi sa situation. Partout ou à peu près partout, il prend l'esprit d'opposition et de révolution pour point d'appui et pour levier. M. de Metternich sait, à coup sûr, aussi bien que moi, à quel point, en Portugal, en Espagne, en Grèce, lord Palmerston est déjà engagé dans ce sens-là. Nous, au contraire, nous sommes de plus en plus conduits, par nos intérêts intérieurs et extérieurs bien entendus, à nous appuyer sur l'esprit d'ordre, de gouvernement régulier et de conservation[105].

En présence des événements chaque jour plus graves de Suisse et d'Italie, de semblables considérations paraissaient décisives à M. de Metternich. Aussi, tout en témoignant beaucoup d'amitié à lord Ponsonby, le chancelier ne se laissait-il pas ébranler par ses instances, ni attirer hors du terrain où il avait pris possession dès le début. Le 19 janvier 1847, lord Palmerston lui avait demandé, dans une note officielle, de vouloir bien s'expliquer sur la valeur qu'il reconnaissait aux traités de 1713, 1715 et 1725 et à leurs annexes, et de vouloir bien déclarer si, en vertu de ces différents actes et en conséquence de son mariage avec le duc de Montpensier, l'Infante et ses descendants n'avaient pas perdu leurs droits à la succession de la couronne d'Espagne. M. de Metternich répondit, le 23 janvier, également par une note. Il commençait par y établir que l'attitude prise par la Cour impériale prouvait qu'elle reconnaissait la validité de tous les actes cités dans la note anglaise et particulièrement de celui qui en est le complément et le moyen d'exécution, la Pragmatique de Philippe V, établissant, en Espagne, la succession masculine ; que, sans l'abolition de cette Pragmatique, le mariage de l'Infante avec M. le duc de Montpensier eût été un événement sans importance ; que, quant aux enfants nés de ce mariage, ils ne pourraient élever de prétentions à la couronne qu'en vertu du droit paternel ou maternel ; que le droit paternel ne saurait exister, le chef de la branche d'Orléans y ayant renoncé pour lui et ses descendants ; que le droit maternel ne saurait exister aux yeux des puissances qui n'avaient pas reconnu le testament de Ferdinand VII, maintenaient la validité de la Pragmatique de Philippe V et ne reconnaissaient pas par conséquent les droits de l'Infante[106]. Cette réponse n'était pas pour satisfaire lord Palmerston ; il ne pouvait s'armer contre nous d'un avis qui tendait à contester le droit de la reine Isabelle elle-même. Ce qu'il lui eût fallu, ce n'était pas une déclaration d'incapacité générale fondée sur l'exclusion de toute succession féminine, mais une déclaration d'incapacité spéciale fondée sur le mariage de l'Infante avec le duc de Montpensier. Sur le moment, le gouvernement français ne connut ni la note de lord Palmerston, ni la réponse du cabinet de Vienne. Mais, dans la seconde moitié de février, M. de Metternich, voulant nous donner une marque de sa confiance et un gage de ses bonnes dispositions, se décida à nous communiquer, sous le sceau du secret, les notes échangées ; il eut soin de faire ressortir que, par sa réponse, il avait refusé de se placer sur le terrain où l'appelait lord Palmerston, qu'il avait pris position à côté de la question irritante, et il se dit résolu à maintenir cette attitude[107]. Notre gouvernement n'en demandait pas davantage.

Lord Ponsonby, cependant, n'abandonnait pas la partie. Sa fiévreuse activité tenait sans cesse en éveil la diplomatie française, et celle-ci se demandait parfois s'il ne parviendrait pas à faire tomber M. de Metternich dans quelque piège. Un jour, par exemple, vers la fin de février, il vint dire au chancelier : Auriez-vous objection à répondre par oui ou par non à la question suivante ? Et alors, tirant de sa poche un petit papier, il commença à lire : Voulez-vous concourir à la déclaration... Ici, le prince l'arrêta et lui demanda : Qu'entendez-vous par déclaration ? Est-ce une déclaration faite en commun ou que chacun fera de son côté ?Vous avez raison, répliqua Ponsonby ; effaçons déclaration et mettons opinion. Partagez-vous l'opinion que les descendants du duc de Montpensier et de l'Infante n'ont pas de droits à hériter de la couronne d'Espagne ?Oui, répondit le chancelier[108]. On voit tout de suite quelle avait été la manœuvre de l'ambassadeur, en demandant qu'il fût répondu par oui ou par non. Si M. de Metternich eût motivé son oui, on eût vu qu'il était fondé non sur la prétendue incapacité que la diplomatie britannique faisait résulter du mariage avec le duc de Montpensier, mais sur l'exclusion générale de toute succession féminine ; c'est ce qui avait été dit expressément dans la note du 23 janvier. Le oui non motivé prêtait à l'équivoque. Quand M. de Metternich raconta cette conversation à M. de Flahault, celui-ci signala, non sans émotion, le parti que la diplomatie anglaise pouvait en tirer. Le chancelier le rassura ; il protesta, à plusieurs reprises, qu'il ne se laisserait pas jouer, que son oui ne changeait rien à l'attitude prise par lui dans la note du 23 janvier, que, si le cabinet de Londres voulait en abuser, il lui opposerait un démenti et renouvellerait ses déclarations antérieures[109]. Ces assurances finirent par dissiper entièrement les inquiétudes, un moment assez vives, de M. de Flahault. Je crois, écrivit-il, le 5 mars, à M. Guizot, le prince de Metternich aujourd'hui décidé à ne pas sortir de l'attitude qu'il a prise dans la question espagnole ; mais j'ai eu quelques moments d'anxiété. Et dans une autre lettre, en date du 9 mars, après avoir rappelé les rédactions plus astucieuses les unes que les autres, présentées par lord Ponsonby, pour écarter la duchesse de Montpensier et ses enfants, il ajoutait : Il faut en convenir, il m'a fait passer par de rudes moments[110].

Lord Palmerston fut-il averti des dispositions de M. de Metternich ? Toujours est-il qu'il ne chercha pas à exploiter le oui obtenu par son ambassadeur. Rien au contraire, il envoya à ce dernier une lettre où il constatait que décidément le cabinet de Vienne ne voulait pas se réunir au gouvernement anglais dans l'affaire du mariage ; s'il en est ainsi, ajoutait-il, non sans dépit, il faudra bien s'en passer[111]. Quelques jours auparavant, il écrivait à lord Normanby : Nous devons, je suppose, regarder Metternich comme étant passé maintenant tout à fait du côté de la France[112]. De son côté, M. de Metternich était décidé à ne plus accepter de conversations sur ce sujet. Il écrivait à ce propos, le 19 avril 1847, au comte Apponyi : Je sais tirer une ligne entre les questions qui, pour nous, sont tranchées et celles qui ne le sont pas. Lord Palmerston voudrait nous engager dans une discussion dont nous ne voulons pas. Nous avons clairement défini et énoncé notre attitude, et nous entendons n'y rien changer. Lord Palmerston a dit à lord Ponsonby qu'avec le cabinet autrichien il n'y a rien à faire ; qu'il fallait donc s'en passer. La question ainsi posée, ce n'est pas à nous qu'il appartiendrait d'y revenir[113].

La diplomatie britannique était-elle plus heureuse à Berlin ? Là, sans doute, on continuait à être mal disposé pour la monarchie de Juillet ; le ministre des affaires étrangères, M. de Canitz, dans ses conversations, tenait, sur la question espagnole, un langage qui, trop souvent, était de nature à ne pas nous satisfaire ; de Londres et de Paris, MM. de Bunsen et d'Arnim pressaient plus vivement que jamais leur gouvernement de s'unir à l'Angleterre[114] ; les journaux prussiens étaient fort aigres sur la France ; mais, pas plus qu'en octobre et en novembre, Frédéric-Guillaume IV ne se décidait à prendre nettement parti. Il eût évidemment moins hésité à marcher avec l'Angleterre, si l'Autriche se fût déterminée à le suivre dans cette voie : il essaya de l'entraîner. Le 6 mars 1847, le baron de Canitz adressa à Vienne une longue communication où il exprimait, au nom de son maître, le désir non seulement qu'il y eût une entente parfaite entre les deux cours allemandes, mais que cette entente fût rendue plus manifeste aux yeux de toute l'Europe ; puis, examinant, à ce point de vue, la conduite à suivre par ces deux cours envers les autres puissances, il se montrait partial pour l'Angleterre et peu favorable à la France. M. de Metternich, dans sa réponse, se proclama non moins désireux de maintenir l'accord de l'Autriche et de la Prusse : seulement, jetant à son tour un regard sur les positions prises par les deux puissances occidentales, il marqua sa préférence pour la France qui lui paraissait actuellement moins engagée dans la politique révolutionnaire : Elle soutient, dit-il en résumé, les principes conservateurs en Suisse, en Italie, en Espagne, et, sur ces points, c'est avec elle que les trois puissances de l'Est peuvent s'entendre ; l'Angleterre, au contraire, cherche à y faire prévaloir le radicalisme le plus avancé[115]. Avant même d'être informé par M. de Metternich de cette tentative du cabinet prussien, M. Guizot, impatienté de l'hostilité sourde qui se perpétuait à Berlin, s'était décidé à y parler plus haut et plus ferme qu'il n'avait fait jusqu'alors. Il adressa, le 8 mars 1847, au marquis de Dalmatie, une lettre où il appréciait sévèrement la conduite de la Prusse et expliquait comment cette conduite obligeait la France à se montrer réservée et même un peu froide. — Grâce à Dieu, disait-il, nous avons, dans notre politique extérieure, les mains assez fortes et assez libres pour ne nous montrer bienveillants que là où nous rencontrons de la bienveillance. Il engageait notre représentant à faire lire cette lettre à M. de Canitz et même au roi Frédéric-Guillaume[116]. Le ministre prussien, intimidé par ce langage, répondit par une apologie, en forme d'excuse, de sa conduite passée, et par des protestations empressées de bon vouloir pour l'avenir : il affirmait n'avoir pris aucun engagement envers lord Palmerston et être absolument libre de reconnaître demain la duchesse de Montpensier si elle était appelée au trône. Non, ajouta-t-il, nous ne faisons pas de la politique anglaise. Nous avons donné à Londres notre avis pur et simple, parce qu'on nous le demandait ; mais, quand on nous a demandé une protestation, nous avons refusé... Loin d'être malveillants pour la France, notre politique est d'être avec elle en termes de bonne harmonie et d'amitié. Et il faisait valoir qu'en ce moment même, dans les affaires de Grèce, il refusait de marcher avec l'Angleterre[117]. Cette humble réponse n'était pas pour disposer notre gouvernement à tenir grand compte du cabinet prussien. Preuve de plus, écrivait M. Guizot, qu'il convient de parler ferme à Berlin et même un peu haut, et que cette attitude y fait plus d'effet que la douceur[118]. En tout cas, il était désormais certain que Frédéric-Guillaume, retenu par l'Autriche et intimidé par la France, n'oserait pas prendre ouvertement parti pour l'Angleterre. Aussi, M. de Metternich, dans cette dépêche déjà citée, du 19 avril, où il déclarait, pour son compte, ne plus vouloir entendre parler des propositions de lord Palmerston sur les affaires espagnoles, ajoutait : J'ai la conviction que ce sentiment prédomine aujourd'hui également, à Berlin, sur un moment d'entraînement dont il faut regarder M. de Bunsen comme ayant été le point de départ et la cheville ouvrière[119].

Quant à la Russie, le cabinet français pouvait être plus tranquille encore : elle persistait, en dépit des instances de lord Palmerston, dans son attitude de réserve, attentive à régler sa conduite d'après celle de l'Autriche. Bien plus, on eût dit qu'elle cherchait alors à nous être agréable. Au commencement de 1847, par suite de circonstances qui seront exposées ailleurs, une crise financière et monétaire assez aiguë sévissait à Paris, et la Banque de France avait vu sa réserve métallique baisser dans des proportions alarmantes. On cherchait, sans les trouver toujours, les moyens de remédier à cette baisse, quand, le 17 mars, l'empereur de Russie fit spontanément offrir à la Banque, par l'intermédiaire du ministre des affaires étrangères, d'acheter, au cours moyen de la Bourse du 11 mars, soit à 115 fr. 75, des inscriptions de rente 5 pour 100 pour un capital de 50 millions payables en numéraire. La proposition fut acceptée avec empressement. Tenue secrète jusqu'au dernier moment, la convention fit grand bruit quand elle fut connue. L'effet matériel et moral fut considérable et contribua beaucoup à améliorer la situation financière de la place de Paris. Sans doute, en agissant ainsi, le Czar faisait une bonne affaire ; il devait bénéficier de la hausse qu'il contribuait à produire, et de plus la Russie était assurée de retrouver prochainement, par ses exportations de grains, le numéraire qu'elle versait à notre Banque. Mais cette opération n'en rendait pas moins un service signalé à la France, et témoignait d'une grande confiance dans son crédit. Or, quelque temps auparavant, l'empereur Nicolas se fût systématiquement refusé à lui rendre ce service et à lui montrer cette confiance. Il semblait qu'il y eût là une disposition nouvelle. Les autres cours en furent très surprises. M. de Metternich ne voulut pas tout d'abord y croire[120]. C'était surtout pour les cabinets anglais et prussien que cet incident renfermait une leçon. Notre gouvernement ne manqua pas de la mettre en lumière. M. Guizot écrivait à ce propos, le 20 mars, au marquis de Dalmatie : Il y a de la coquetterie dans l'air, en Europe, et nous avons quelque droit de dire qu'on en fait envers nous plus que nous n'en faisons nous-mêmes... Il est bon qu'on voie, à Berlin et à Londres spécialement, que nous n'avons pas besoin de nous remuer ni de parler beaucoup, pour qu'on ait envie, ailleurs, d'être bien avec nous et pour qu'on nous le montre[121]. Quelques jours après, M. Désages, dans une lettre à M. de Jarnac, notre chargé d'affaires à Londres, donnait à entendre que si lord Palmerston continuait à creuser l'abîme entre la France et l'Angleterre, cela pourrait bien nous amènera nous rapprocher de la Russie ; il indiquait que celle-ci nous faisait, depuis quelque temps, certaines avances. On compte trop autour de nous, ajoutait-il, sur la puissance et la durée des antipathies dans les régions supérieures. Ce qui était absolument vrai, sous ce rapport, il y a quinze, ou dix, ou même encore cinq ans, est déjà moins vrai, moins pratiquement vrai aujourd'hui, si je puis ainsi parler. Le temps marche et modifie plus ou moins toutes choses en marchant. Dites-moi si l'Europe est aujourd'hui ce qu'elle était hier. Bien habile, à coup sûr, serait celui qui pourrait dire ce qu'elle serait demain[122]. Quoi qu'il en fût des perspectives que faisait entrevoir M. Désages, il était du moins tout à fait acquis qu'à Saint-Pétersbourg, comme à Vienne et même à Berlin, on refusait à lord Palmerston le concours qu'il demandait. La campagne diplomatique que celui-ci venait de poursuivre, avec tant d'obstination, pour réunir de nouveau l'Europe contre la France isolée, celte campagne avait définitivement échoué : il n'en devait plus être question.

 

IX

L'affaire des mariages espagnols n'a été pour lord Palmerston qu'une suite de déceptions et de mortifications. Au début, en prenant le pouvoir, il veut réagir contre les prétendues défaillances de lord Aberdeen et cherche, par des menées souterraines, à faire prévaloir à Madrid une solution contraire à la nôtre ; au bout de quelques semaines, il est surpris par la nouvelle de l'accord conclu entre la France et la cour d'Espagne. Ce premier échec subi, il se flatte de provoquer assez de troubles, de produire assez d'intimidation, de susciter assez de difficultés pour empêcher ou tout au moins retarder le mariage de l'Infante ; mais les deux mariages sont célébrés tranquillement au jour fixé. Dès lors, il aspire à se venger, d'une part, en obligeant Louis-Philippe et le parlement français à sacrifier M. Guizot ; d'autre part, en décidant les autres puissances à s'unir à lui contre la France ; toujours même insuccès. Ni Louis-Philippe ni le parlement français ne se laissent effrayer ou égarer ; des débats qui s'engagent, M. Guizot sort plus fort qu'il n'a jamais été ; sa majorité est nombreuse, compacte, pleine d'entrain, fière de la figure que fait son chef. Quant aux autres puissances, elles refusent avec persistance de s'associer à la politique britannique, et témoignent delà confiance que leur inspire le cabinet de Paris, du désir qu'elles ont de s'entendre avec lui ; c'est le ministre anglais qui leur devient suspect et l'Angleterre qui est menacée de se trouver isolée. L'impression générale du moment, au dedans et au dehors, aussi bien chez ceux qui s'en félicitent que chez ceux qui s'en attristent, est donc que, dans cette grande partie, lord Palmerston a tout le temps mal joué et qu'il a perdu ; que M. Guizot, au contraire, a bien joué et qu'il a gagné. La France paraissait avoir pris, contre l'Angleterre, sa revanche de 1840. A considérer les choses du point de vue de l'histoire, cette impression se confirme-t-elle ? Quel jugement convient-il de porter aujourd'hui sur la politique suivie par Louis-Philippe et M. Guizot, dans l'affaire des mariages espagnols ?

D'abord, il est une première question qui peut être considérée comme résolue, celle de la loyauté. L'accusation de tromperie préméditée et ambitieuse, portée contre le gouvernement du Roi, ne tient pas debout devant les faits tels qu'ils sont maintenant connus. Il ne peut plus être nié que les promesses faites à Eu, relativement à l'époque du mariage de l'Infante, nous obligeaient seulement dans la mesure où le cabinet de Londres resterait lui-même fidèle aux engagements qui étaient la contre-partie des nôtres ; que cet accord synallagmatique, maintenu pendant le ministère de lord Aberdeen, a été rompu par lord Palmerston aussitôt son avènement, et que notre liberté nous a été ainsi rendue ; il est manifeste également que, loin d'avoir désiré reprendre cette liberté, nous nous en sommes servis à contre-cœur, à la dernière extrémité, quand l'Espagne nous y a contraints et quand nous n'avons plus vu d'autre moyen d'empêcher le succès des menées britanniques. Notre droit était donc incontestable. Il est seulement à regretter qu'en en faisant usage, le gouvernement français n'ait pas mieux prévenu la méprise qui a fait douter sincèrement de sa bonne foi, à beaucoup d'esprits en Angleterre, particulièrement à la reine Victoria. Cela ne met plus en cause sa loyauté, mais cela peut, dans une certaine mesure, mettre en doute son habileté.

Cette habileté, du reste, a été contestée d'une façon beaucoup plus générale. A entendre les critiques, toute notre politique, en cette affaire, aurait reposé sur une grosse erreur ; en attachant autant d'importance à la question de savoir qui épouserait la reine Isabelle et sa sœur, le gouvernement français aurait méconnu deux grands changements survenus depuis le dix-huitième siècle : il aurait oublié, d'abord, que l'Espagne affaiblie était désormais incapable de jouer un rôle en Europe et d'être pour nous une alliée vraiment secourable ; ensuite, qu'avec le développement et la prépondérance du sentiment national dans les États modernes, les parentés royales ne pouvaient plus avoir la même influence qu'autrefois sur la direction de la politique. Ne semble-t-il pas, en effet, que les événements aient donné presque aussitôt une leçon, — leçon d'une ironie tragique, — à ceux qui croyaient d'un intérêt si capital d'unir par un nouveau mariage les Bourbons d'Espagne et ceux de France ? Dix-huit mois après la célébration de ce mariage, les Bourbons n'étaient plus sur le trône de France, et ils n'y sont pas encore remontés. Au bout de quelques années, ils étaient aussi chassés de Madrid ; ils y sont revenus depuis, mais, par un étrange hasard, leur restauration s'est trouvée aboutir à la régence d'une archiduchesse d'Autriche. On ne reproche pas seulement aux mariages espagnols d'avoir été sans profit pour la France, on leur reproche d'avoir eu des suites fâcheuses ; on soutient qu'ils ont faussé, bouleversé notre politique extérieure, en brisant l'entente cordiale avec l'Angleterre, en nous exposant à l'animosité implacable de lord Palmerston, en nous mettant à la discrétion des cours continentales, et cela à un moment où l'Europe allait se trouver aux prises avec les problèmes les plus difficiles et les plus dangereux. Bien plus, en voyant la catastrophe de Février suivre de si près les mariages, on prétend établir entre les deux faits quelque chose comme une relation d'effet à cause ; il a été, pendant quelque temps, de langage courant outre-Manche, de montrer dans la chute de Louis-Philippe la conséquence fatale et le châtiment mérité de sa conduite en Espagne[123].

Que faut-il penser de ces critiques ? Il est possible que, par fidélité à certaines traditions et sous l'empire de certains souvenirs, le gouvernement français se soit un peu exagéré l'avantage qu'il y avait pour lui à ce que le mari de la Reine et celui de sa sœur fussent choisis dans telle famille. M. Guizot lui-même a avoué plus tard, à ce sujet, qu'il s'était surpris parfois en flagrant délit d'anachronisme, et mettant à certaines choses, soit pour les désirer, soit pour les craindre, une importance qu'elles n'avaient plus[124]. Toutefois, ce serait une grosse erreur de ne voir dans la conduite suivie alors par le gouvernement français que cette préoccupation matrimoniale. Au fond de sa politique, il y avait une idée beaucoup plus large, qui, celle-là, était conforme aux intérêts permanents du pays et que n'avaient nullement affaiblie les transformations survenues depuis la guerre de la succession d'Autriche et le Pacte de famille : c'était l'idée que l'Espagne devait, pour notre sécurité européenne, être notre alliée et un peu notre cliente, que surtout elle ne pouvait, sans péril pour nous, être soumise à l'influence de nos ennemis ou de nos rivaux. Or, n'était-il pas évident que lord Palmerston prétendait éloigner l'Espagne de la France et la faire passer dans l'orbite de l'Angleterre ? Par l'effet des circonstances, la question matrimoniale se trouvait être celle où devait se décider ce conflit d'influences. La France n'eût pu y avoir le dessous, sans que sa situation dans la Péninsule et même en Europe ne fût atteinte. Ainsi arrive-t-il souvent, dans la politique extérieure, que certaines affaires prennent une importance en quelque sorte symbolique, supérieure à leur importance intrinsèque et réelle. Ajoutons que l'attention des chancelleries et du public avait été trop appelée sur les négociations préalables pour que l'amour-propre national ne fût pas vivement intéressé à leur issue. Qu'on se demande quel cri se fût élevé en France, si notre gouvernement, moins vigilant et moins hardi, eût laissé les desseins de lord Palmerston s'accomplir à Madrid. Sans doute, habitués que nous sommes maintenant à des luttes où l'existence même de la nation est en jeu, nous comprenons difficilement l'intérêt qu'on a pu attacher autrefois à des questions où il ne s'agissait que d'une mesure d'influence. Mais après tout, la comparaison, si on voulait l'établir, ne serait pas à l'avantage de l'époque actuelle ; nous n'avons sujet ni de nous féliciter ni de nous enorgueillir du changement qui s'est fait. Tout ce qui vient d'être dit ne répond-il pas aussi à ceux qui arguent de ce que la révolution de Février aurait diminué ou annulé après coup les avantages attendus des mariages espagnols ? Bien que Louis-Philippe ne fût plus sur le trône, il n'importait pas moins à la France de ne pas rencontrer à Madrid une influence hostile. D'ailleurs, fût-il prouvé que, sur ce point, comme sur tant d'autres, la catastrophe de 1848 avait stérilisé la politique suivie jusqu'alors par la monarchie, le mérite de cette politique n'en saurait être diminué, et ses entreprises n'en devraient pas moins être jugées en elles-mêmes, indépendamment de l'accident brutal et inopiné qui est venu les interrompre.

Le gouvernement n'avait donc pas eu tort de croire qu'il était de l'intérêt de la France de ne pas se laisser battre à Madrid par lord Palmerston. Est-il vrai maintenant que la victoire de notre diplomatie ait eu pour le pays des conséquences plus fâcheuses encore que n'aurait eu sa défaite ? Parmi ces prétendues conséquences, il en est une qui peut tout d'abord être écartée sans grande discussion. Que veulent dire les Anglais, quand ils affirment que Louis-Philippe est tombé pour avoir fait les mariages espagnols ? Veulent-ils dire que, pour se venger d'un mécompte diplomatique, ils ont eux-mêmes poussé et aidé les partis révolutionnaires à jeter bas la monarchie de Juillet ? S'il en était ainsi, on ne comprendrait pas qu'ils s'en vantassent. Quant à un autre lien entre les deux événements, on ne voit pas quel il pourrait être, à moins que le seul fait de s'être mis en travers des desseins de l'Angleterre ne soit un de ces crimes que la Providence se charge de châtier sans retard et qui attirent la foudre sur la tête des rois. En somme, les écrivains anglais ont abusé d'un simple rapprochement chronologique. Par contre, je ne conteste pas que les mariages espagnols aient gravement changé les conditions de notre politique extérieure. Ils ont amené une rupture avec l'Angleterre, et une rupture plus profonde que notre gouvernement ne s'y attendait. Cela sans doute est fâcheux. Mais ajoutons tout de suite que si la diplomatie britannique fût arrivée à ses fins, la France, humiliée, irritée, aurait elle-même provoqué cette rupture ; la situation eût été semblable, sauf que nous aurions eu en plus la mortification d'un échec. En réalité, du jour où lord Palmerston était revenu au pouvoir, l'entente cordiale était condamnée à mort. A défaut de ce conflit, il s'en fût élevé un autre. Si regrettable donc que l'on juge le refroidissement survenu entre les deux puissances occidentales, il faut y voir un accident que notre gouvernement n'eût probablement pas pu éviter et dont les mariages espagnols ont été l'occasion plutôt que la cause. D'ailleurs, sans méconnaître les inconvénients de ce refroidissement, il convient de ne pas les exagérer. La France n'était plus réduite à cette alternative qui avait été si longtemps pour elle la conséquence de 1830, ou maintenir à tout prix l'alliance anglaise, ou se trouver seule contre quatre. Les puissances continentales, l'Autriche surtout, avaient pris confiance en nous et sentaient le besoin de notre concours. Nous avions retrouvé le libre choix de nos alliances. Séparés de l'Angleterre, nous ne manquions pas d'amis qui s'offraient à nous, prêts à nous payer le prix de notre concours, peut-être même à nous le payer plus cher que ne l'auraient fait nos voisins d'outre-Manche. C'était pour nous le point de départ d'une politique nouvelle. Que cette politique dût avoir ses difficultés et ses dangers, je ne le nie pas ; quelle politique en eût été exempte, en face des questions soulevées en 1847 ? En tout cas, elle avait sa grandeur et pouvait avoir ses profits. On la verra se développer, incomplètement, il est vrai, car elle devait être brusquement et malheureusement interrompue par la révolution de Février. Mais, dès aujourd'hui, on peut affirmer, ce me semble, que si les mariages espagnols ont changé le rôle de la France en Europe, ils ne l'ont pas diminué.

 

 

 



[1] Lettres de M. Guizot à sa famille et à ses amis, p. 244.

[2] Dépêche de lord Normanby à lord Palmerston, du 1er septembre 1846. — Voir aussi lettre de Palmerston à Bulwer, du 16 septembre. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 249.)

[3] Voir notamment certaines ouvertures faites par des personnages qu'on pouvait supposer être plus ou moins autorisés par Louis-Philippe. (The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 425, 430, 431, et t. III, p. 5.)

[4] Je demande à Dieu, écrivait M. Désages à M. de Jarnac, de mettre le signet à cette polémique où nous reconnaissons tous qu'il y a inconvénient même à avoir trop raison et à trop le démontrer. (Lettre inédite du 5 novembre 1846.)

[5] Dépêches de lord Palmerston, en date du 31 octobre 1846 ; de M. Guizot, en date du 29 novembre 1846 ; de Palmerston, en date du 8 janvier 1847 ; de M. Guizot, en date du 22 janvier,

[6] Que ne pouvait-on pas attendre de l'homme d'Etat qui écrivait à Bulwer, le 15 octobre 1846, que Louis-Philippe était un pickpocket découvert ? (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 260.) — Le Times, vers la même époque, accusait le roi des Français d'avoir filouté à l'Espagne l'Infante et son héritage.

[7] Lettre du 7 décembre 1846. (BULWER, t. III, p. 276.)

[8] Leaves from the diary of Henry Greville, p. 174.

[9] Voir les lettres que Palmerston écrivait à Bulwer, les 15 octobre, 15, 19 et 26 novembre 1846. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 259 à 263.)

[10] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 263.

[11] The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 14.

[12] Lettre inédite de M. Guizot au comte de Flahault, du 9 novembre 1846.

[13] Correspondance inédite entre M. Guizot et le comte de Flahault, pendant les mois d'octobre et de novembre 1816. — Voir aussi Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 278 à 280.

[14] Voir, comme spécimen de ces caresses, la lettre que lord Palmerston adressera, quelques semaines plus tard, à son représentant à Saint-Pétersbourg. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 278.)

[15] Cette réponse, communiquée par M. de Metternich à M. de Flahault, fut aussitôt transmise par ce dernier à M. Guizot. (Lettre inédite du 22 novembre 1846.)

[16] Lettre inédite du 2 août 1847.

[17] HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 584.

[18] Correspondance inédite du marquis de Dalmatie, ministre de France à Berlin, et de M. Guizot. — Voir aussi HILLEBRAND, Geschichte Frankrcichs, 1830-1848, t- II, p. 645 à 651.

[19] Voir plus haut, t. IV, p. 311, et t. V, p. 47.

[20] Sur ce double courant et sur cette incertitude de la politique prussienne, cf. HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, t. II, p. 645 à 651. Il faut voir avec quelle amertume cet historien reproche à Frédéric-Guillaume IV d'avoir manqué en cette circonstance à la mission des Hohenzollern et d'avoir ainsi lait la partie trop facile au gouvernement français.

[21] Lettre inédite à M. de Jarnac, en date du 11 février 1847.

[22] Lettre inédite du 26 octobre 1846.

[23] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 169, 170, 198.

[24] Voir plus haut, t. III, ch. II, § II.

[25] Dépêches de M. de Metternich à M. d'Apponyi, du 20 février 1846 ; de M. Guizot à M. de Flahault, du 23 mars 1846 ; de M. de Flahault à M. Guizot, du 1er avril 1846, et de M. Humann à M. Guizot, du 3 avril 1846.

[26] Lettre inédite à M. de Flahault, en date du 25 novembre 1846.

[27] Dépêche à M. de Jarnac, du 19 novembre 1846.

[28] Lettre inédite à M. de Flahault, en date du 25 novembre 1846.

[29] The Gréville Memoirs, second part, t. II, p. 430.

[30] Lettre précitée à M. de Flahault.

[31] Lord Palmerston écrivait à l'un de ses confidents, le 19 novembre 1846 : La vérité est que, même en bons termes, la France et l'Angleterre n'auraient eu aucun moyen d'action sur ce point ; elles n'auraient pu prévenir la chose que par une menace de guerre, et les trois puissances savaient bien que nous n'y aurions pas recouru pour Cracovie. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 270.)

[32] Lettre inédite du prince Albert de Broglie, alors premier secrétaire à l'ambassade de Rome.

[33] Lettre inédite du 25 novembre 1846.

[34] Dépêche de M. d'Arnim, ministre de Prusse, en date du 22 décembre 1846. (HILLEBRAND, Geschichte Frankrcichs, 1830-1848, t. II, p. 644.)

[35] Dépêche de M. de Brignole, ministre de Sardaigne, en date des 5 et 26 décembre 1846. (HILLEBRAND, Geschichte Frankrcichs, 1830-1848, t. II, p. 644.)

[36] Lettre inédite de M. de Flahault à M. Guizot, du 22 janvier 1847.

[37] Lettre inédite du marquis de Dalmatie à M. Guizot, du 23 décembre 1846.

[38] Lettre inédite de M. de Flahault à M. Guizot, du 13 décembre 1846.

[39] Dépêche de M. de Brignole, du 12 décembre 1846. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. Il, p. 644.)

[40] Dépêche du 4 janvier 1847, et lettre confidentielle du même jour. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 359 à 363.)

[41] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 298 à 303.

[42] Lettres inédites du 25 novembre et du 5 décembre 1846.

[43] Voir plus haut, ch. V, § VI. Cf. aussi ch. IV, § IV.

[44] M. Panizzi devait mourir sénateur du royaume d'Italie.

[45] Louis FAGAN, The Life of sir Anthony Panizzi.

[46] Sur cette conduite de lord Normanby, voir passim, The Greville Memoirs, second part, t. III. Cf. notamment p. 10, 19 et 34.

[47] M. Gréville raconte, à la date du 30 décembre 1846, que lord Clarendon lui avait fait part, comme d'une chose toute naturelle, de l'intention où était Palmerston de fournir des informations à Thiers pour en user contre Guizot. M. Gréville lui fit de fortes représentations sur ce qu'un tel procédé avait d'impolitique et d'immoral. Clarendon lui répondit en tâchant de le tranquilliser et en lui promettant qu'on userait de beaucoup de précautions. Cela ne me tranquillisa pas, ajoute Gréville, et mon sentiment était prophétique. Que de torts on se fit ainsi ! (The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 13.)

[48] The Greville Memoirs, second part, passim. Voir notamment t. II, p. 426, et t. III, p. 19, 52, 55.

[49] Journal inédit de M. de Viel-Castel ; Correspondance inédite de M. Désages avec M. de Jarnac ; The Greville Memoirs, second part, passim, notamment t. II, p. 424 ; Spencer WALPOLE, The Life of lord John Russell, t. II, p. 4 et 5.

[50] Cf. BULWER, The Life of lord Palmerston, t. III, p. 325 et suiv., et Spencer WALPOLE, The Life of lord John Russell, t. II, p. 14 et suiv.

[51] On écrivait de Paris à M. Thouvenel : Le roi des Belges était si mécontent des mariages espagnols qu'il a quitté Saint-Cloud la veille de l'arrivée du duc de Montpensier et de sa femme. (La Grèce du roi Othon : Correspondance de M. Thouvenel avec sa famille et ses amis, p. 94.)

[52] Voir la lettre écrite, le 13 novembre 1840, au due de Saxe-Cobourg par le roi Léopold. (Aus meinem Leben und aus meiner Zeit, von ERNST II, herzog von Sachsen-Coburg-Gotha, t. I, p. 175.)

[53] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 425.

[54] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 12.13, 14, 26, 34.

[55] C'est M. Gréville qui a noté, au moment même, sur son journal, tout ce que lui avait dit M. Thiers. (The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 28 et suiv.)

[56] Cette lettre et celles qui seront citées à la suite sont toujours tirées de l'ouvrage de M. FAGAN, The Life of sir Anthony Panizzi.

[57] Lettre de Palmerston à lord Normanby, du 17 février 1847. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 286.)

[58] On fut en effet assez froissé, à Londres, du langage du duc de Broglie. M. Gréville, alors à Paris, et qui désirait un rapprochement, écrivait sur son journal, le 21 janvier : Ce discours n'est ni juste, ni vrai, ni sage. Si l'orateur avait eu le désir d'envenimer l'affaire, ce que je ne crois pas, il n'aurait pas pu parler autrement. (The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 36.) M. Désages, informe de l'impression produite outre-Manche, répondait, le 1er février, à M. de Jarnac : Ce discours est incisif, hautain peut-être, mais le raisonnement est puissant, serré, sans bonne réplique possible. (Documents inédits.)

[59] Journal inédit du baron de Viel-Castel, à la date du 23 janvier 1847.

[60] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 39.

[61] Documents inédits.

[62] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 39, 40.

[63] Dans le livre de M. Fagan (The Life of sir Anthony Panizzi), la lettre est datée seulement de Dimanche 1847. La date que nous indiquons ne peut faire aucun doute.

[64] Voir plus haut, au § IV du chapitre précédent.

[65] M. Thiers, dans une lettre à M. Panizzi, rapportait ainsi lui-même son propos : Mon cher monsieur Gréville, vous êtes une éponge trempée dans le liquide Lieven, et, quand on vous presse, il n'en sort que ce liquide. Prenez garde, ce n'est que du liquide de vieille femme.

[66] The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 48, 49.

[67] Lettre du 7 février 1847. (The Life of sir Anthony Panizzi, par Louis FAGAN.)

[68] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 46.

[69] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 49.

[70] Voir plus haut, § II de ce chapitre.

[71] Le jour même où s'ouvraient les débats de l'adresse, le 1er février, M. Désages écrivait à M. de Jarnac : M. Guizot parlera le moins possible ; il ne parlera que pour se défendre s'il est attaqué. Chacun se demande ce que fera M. Thiers. Je crois volontiers qu'il ne le sait pas bien encore lui-même. (Documents inédits.)

[72] Journal inédit du baron de Viel-Castel.

[73] La majorité, écrivait le duc de Broglie à son fils, est contente de manger un peu de l'Anglais, pourvu qu'on n'en mange que ce qu'où en peut digérer. (Documents inédits.)

[74] Lettres à M. de Flahault, en date du 24 février 1847, et au marquis de Dalmatie, en date du 4 mars. (Documents inédits.)

[75] The Life of sir Anthony Panizzi, par Louis FAGAN.

[76] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 299.

[77] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 299.

[78] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 45 et 47.

[79] Ibid., p. 49.

[80] C'est ce que reconnaît formellement Bulwer, tout hostile qu'il soit à la France, dans cette affaire des mariages ; il ne doute pas que ce ne soit au fond le sentiment de lord Palmerston. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 283.)

[81] Lord Palmerston écrivit à lord Normanby qu'il avait déposé seulement un extrait de sa dépêche (c'est l'extrait que nous citons plus haut), parce que certains passages étaient d'un ton trop batailleur (too pugnacious) pour l'état de l'opinion anglaise. (BULWER, t. III, p. 283.) On peut juger, par ce que Palmerston a conservé, de ce que devaient être les passages qu'il s'est cru obligé de retrancher.

[82] M. Désages écrivait à M. de Jarnac, le 15 février 1847 : Normanby, appuyé par lord Palmerston, prétend exiger une satisfaction à la tribune française, M. Guizot se faisant interpeller par un compère. (Documents inédits.)

[83] C'est encore M. Désages qui mandait à M. de Jarnac, le 11 février 1847 : Tout cela est regrettable, car il y a bien assez de la difficulté au fond, sans qu'il soit besoin qu'elle se complique de questions personnelles... Un autre que lord Normanby, après avoir lu son Moniteur, aurait écrit quelques mots au ministre, qui lui aurait répondu par un certificat de loyauté, tout en maintenant qu'il y avait inexactitude dans la dépêche non communiquée, et tout eût été dit. (Documents inédits.)

[84] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 287, 288.

[85] BULWER, t. III, p. 292, 293, 294.

[86] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 60.

[87] Lettre à Apponyi, du 25 février 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 328.)

[88] Lettre du 18 février 1847. (Documents inédits.)

[89] The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 55, 56, 57.

[90] The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 60, 61.

[91] Ce curieux incident est raconté en détail par M. Gréville, qui y fut mêlé d'assez près. (The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 61 à 64.) — Voir aussi Spencer WALPOLE, The Life of lord John Russell, t. II, p. 7 et 8. — M. Gréville note ce qu'il y eut d'assez peu fier dans cette évolution de Palmerston. Celui-ci, dit-il, est surpris, déjoué au moment où, de sa propre autorité, à l'insu de ses collègues, il faisait cette démarche grave et violente : il devrait être mortifié, et jusqu'à un certain point il pourrait se croire déshonoré. Voir sa communication à son insu par le premier ministre est une sorte d'affront que tout homme d'honneur ressentirait. Mais il est trop dans son tort pour le ressentir, et il se soumet. M. Gréville n'est pas moins sévère pour la faiblesse du premier ministre, intervenant dans ce cas particulier, mais ne sachant pas établir son autorité d'une façon permanente.

[92] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 294 à 296.

[93] Tous ces détails sont rapportés par M. Guizot dans une lettre particulière du 4 mars 1847, adressée au marquis de Dalmatie, ministre à Berlin. (Documents inédits.)

[94] Journal inédit de M. de Viel-Castel.

[95] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 66.

[96] Ibid., p. 66 à 68. — M. Gréville note avec stupéfaction que Normanby, dans ses lettres, se défendait d'avoir été en communication avec l'opposition française, et notamment avec M. Thiers. C'est réellement incroyable, ajoutait M. Greville, qu'il puisse s'abuser jusqu'à ce point et qu'il s'imagine tromper les autres.

[97] Lettre du 5 mars 1847. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 297, 298.)

[98] C'est ce que dit l'éditeur des Mémoires de Gréville, M. Reeve (The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 72, note de l'éditeur).

[99] Lettres diverses, adressées à M. Guizot, en janvier 1847, par le comte de Flahault, ambassadeur à Vienne, et par le marquis de Dalmatie, ministre à Berlin. (Documents inédits.)

[100] On sait que le discours de la Reine fut tout différent de ce qu'annonçait lord Ponsonby.

[101] Documents inédits.

[102] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 22 janvier 1847. — M. Gréville notait sur son journal : Ponsonby fait tout ce qu'il peut à Vienne et y tient le langage le plus despotique. (The Gréville Memoirs, second part, t. III, p. 64.)

[103] M. de Metternich décernait à lord Ponsonby l'éloge qu'il réservait à ses meilleurs amis ; il l'appelait un brave homme. (Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 21 janvier 1847. Documents inédits.)

[104] M. de Flahault rapportait à M. Guizot des conversations de M. de Metternich, qui ne semblaient pas toujours rassurantes. (Lettre du 21 janvier 1847. Documents inédits.) Notre diplomatie se rendait compte d'ailleurs des raisons qui pouvaient porter le chancelier à prêter l'oreille aux ouvertures de l'Angleterre. Un peu plus tard, M. de Flahault résumait ainsi ces raisons : Il ne faut pas oublier que l'Angleterre est une ancienne amie que la politique autrichienne est disposée à suivre, et que la négation des droits de Mme la duchesse de Montpensier se trouve dans le principe qui règle la conduite de la cour de Vienne, et qu'elle pourrait tendre au rétablissement de la Pragmatique de Philippe V et à celui de la branche masculine dans la personne du comte de Montemolin, si la reine Isabelle vient à décéder sans enfants. Tout cela est fort tentant. (Lettre à M. Guizot, du 9 mars 1847. Documents inédits.)

[105] Lettres du 1er et du 24 février 1847. (Documents inédits.)

[106] J'ai trouvé ce résumé de la note anglaise et de la note autrichienne dans une lettre particulière de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 19 février 1847. M. de Flahault tenait ces renseignements de M. de Metternich. (Documents inédits.)

[107] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 19 février 1847. (Documents inédits.) Voir aussi deux dépêches de M. de Metternich au comte Apponyi, du 25 février 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 383 à 388.)

[108] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 24 février 1847. (Documents inédits.)

[109] Lettres de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 24 février et du 18 mars 1847. (Documents inédits.)

[110] Documents inédits.

[111] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 4 avril 1847. (Documents inédits.)

[112] Lettre du 26 mars 1847. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 302.)

[113] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 394, 395.

[114] M. de Metternich écrivait au comte Apponyi, le 25 février 1847 : Le mouvement que se donne le baron d'Arnim pour aider à envenimer la situation est digne de son esprit et de son caractère. (Mémoires, t. VII, p. 327.) Causant avec M. de Flahault, M. de Metternich traitait Bunsen d'âme damnée de lord Palmerston. (Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 18 mars 1847. Documents inédits.)

[115] M. de Flahault avait été informé par M. de Metternich de l'existence de ces deux dépêches. (Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 18 mars 1847. Documents inédits.)

[116] Lettre de M. Guizot au marquis de Dalmatie, en date du 8 mars 1847. (Documents inédits.)

[117] Lettre du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date du 19 mars 1847. (Documents inédits.)

[118] Lettre de M. Guizot au marquis de Dalmatie, en date du 31 mars 1847. (Documents inédits.)

[119] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 395.

[120] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, avril 1847. (Documents inédits.)

[121] Documents inédits.

[122] Documents inédits.

[123] Le baron de Stockmar, le conseiller de la reine Victoria et du prince Albert, a développé cette thèse dans ses Mémoires.

[124] M. GUIZOT, Robert Peel, p. 308.