HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE VI. — L'APOGÉE DU MINISTÈRE CONSERVATEUR

DE LA FIN DE 1845 AU COMMENCEMENT DE 1847

 

CHAPITRE V. — LES MARIAGES ESPAGNOLS (Juillet-octobre 1846).

 

 

I. Dispositions hostiles de Palmerston, particulièrement en Espagne. M. Guizot donne comme instructions à M. Bresson de marier le duc de Cadix à la Reine et le duc de Montpensier à l'Infante. M. Bresson croit pouvoir promettre à la reine Christine la simultanéité des deux mariages. Mécontentement de Louis-Philippe qui veut désavouer son ambassadeur. — II Palmerston nous communique ses instructions du 19 juillet, où il nomme Cobourg en première ligne parmi les candidats à la main d'Isabelle. A Paris, on voit dans ce langage l'abandon de la politique d'entente. M. Guizot ne consent pas encore la simultanéité, mais il détourne le Roi de désavouer M. Bresson. Ses avertissements au gouvernement anglais. — III. Lettres confidentielles que Palmerston adresse à Bulwer pour compléter ses instructions. Ce qu'il nous cache et ce qu'il nous montre. Il est dès lors manifeste que Palmerston a rompu l'entente et que la France est libérée de ses engagements. — IV. La reine Christine, inquiète de l'appui donné par le ministre anglais aux progressistes, nous revient ; seulement elle exige la simultanéité. Le Roi se résigne à laisser faire M. Bresson. Répugnances de la reine Isabelle pour le duc de Cadix. L'accord sur les deux mariages est enfin conclu à Madrid. — V. Irritation de Palmerston. Il est appuyé par lord John Russell. Lord Aberdeen donne tort à M. Guizot. La reine Victoria est très blessée. Lettre justificative de Louis-Philippe et réponse de la reine d'Angleterre. L'opinion anglaise prend parti pour Palmerston. — VI. Attitude de l'opposition française. M. Thiers la décide à attaquer les mariages. — VII. Palmerston veut empêcher l'accomplissement du mariage du duc de Montpensier. Efforts de Bulwer et de son ministre pour soulever une opposition en Espagne et intimider le cabinet de Madrid. Tous ces efforts échouent. — VIII. Palmerston cherche à effrayer et à faire reculer le gouvernement français. Celui-ci ne se laisse pas troubler et ne modifie rien à ses résolutions. — IX. Palmerston demande aux autres puissances de protester avec l'Angleterre. M. Guizot s'occupe de contrecarrer cette démarche. M. de Metternich refuse de rien faire. La Prusse et la Russie l'imitent. Célébration des deux mariages.

 

I

La rentrée de lord Palmerston au Foreign office, en juillet 1846, était un fait gros de conséquences[1]. Il y arrivait avec des desseins et un état d'esprit qui ne ressemblaient en rien à ceux de son prédécesseur. Dans ses propos des premiers jours, alors même que, pour dissiper les méfiances dont il se sentait l'objet, il déclarait vouloir continuer l'entente cordiale, il ne pouvait cacher son peu de foi dans cette entente. Ces gens-là, disait-il à lord Aberdeen en parlant des Français, sont essentiellement envahisseurs, agressifs, provocants ; en toute affaire, ils veulent se faire une bonne part aux dépens des autres ; comment bien vivre avec eux à de telles conditions ?[2] Ayant reproché, depuis cinq ans, au ministère tory d'avoir été dupe de Louis-Philippe et de M. Guizot, d'avoir laissé partout subordonner la politique britannique à la politique française, il entendait que son avènement renversât les rôles. Sur chaque théâtre, il lui semblait que l'Angleterre avait une revanche à prendre. Dans sa pensée, le souci permanent, dominant de la diplomatie britannique devait être de faire partout échec à notre ambition, de déjouer partout nos perfidies C'était particulièrement dans ce qui regardait l'Espagne que le nouveau secrétaire d'État apportait ces dispositions méfiantes, jalouses et batailleuses. Lord Aberdeen s'en était aperçu, pendant les entretiens qu'il avait eus avec lui pour le mettre au courant de l'état des affaires, et, bien qu'avec discrétion, il avait laissé voir à notre ambassadeur quelque chose de son impression[3]. Certes, il y avait là, étant donné l'état de la Péninsule, de quoi inquiéter le Roi et M. Guizot. On était au lendemain de l'intrigue manquée de Christine et de Bulwer pour enlever secrètement le mariage de la Reine avec le prince de Cobourg[4] : si le chef de la légation britannique avait tant osé sous l'administration de lord Aberdeen, que ne pouvait-on pas attendre de lui avec un ministre dont le seul avènement devait lui paraître une invitation à ne plus rien ménager ? Le gouvernement français n'était-il pas fondé à craindre quelque méchante surprise, comme eût été un mariage Cobourg machiné à la façon du traité du 15 juillet 1840 ?

Sans perdre un jour, dès le 5 juillet 1846, M. Guizot avertit son ambassadeur à Madrid de l'hostilité probable du nouveau secrétaire d'État. Je m'y attends, lui écrivait-il, et je me conduirai en conséquence. Ce ne sera pas moi qui livrerai l'Espagne à lord Palmerston. Il fallait avant tout détourner d'une nouvelle collusion avec les Anglais la reine Christine, dont un passé très récent ne nous donnait que trop raison de nous méfier. M. Guizot vit tout de suite l'argument que lui fournissait la présence au Foreign office de l'ancien protecteur d'Espartero. Vous en tirerez à coup sûr grand parti, mandait-il à M. Bresson, pour agir sur la reine Christine et sur son mari. Ils auront beau faire, ils n'auront jamais dans lord Palmerston qu'un ennemi, car il ne sera jamais que le patron du parti progressiste, c'est-à-dire de leurs ennemis. De plus, pour s'alléger en vue de la campagne à faire, notre gouvernement n'hésita pas à jeter par-dessus bord la candidature Trapani, décidément trop impopulaire en Espagne, et il se rabattit sur l'un des deux fils de l'infant François de Paule, le duc de Cadix, auquel, depuis quelque temps, la reine Christine paraissait avoir, de plus ou moins bonne grâce, entr'ouvert la porte. Le frère de ce prince, Enrique, duc de Séville, se trouvait hors de cause ; il s'était fait ouvertement l'homme des radicaux, et le scandale de certaines de ses démarches l'avait Fait exiler d'Espagne. Le duc de Cadix pour la Reine et le duc de Montpensier pour l'Infante, c'est ainsi que M. Guizot résumait son programme. Poussez décidément au duc de Cadix, écrivait-il encore à son ambassadeur, et placez le duc de Montpensier à côté de lui.

A Madrid, la situation du comte Bresson était difficile. La reine Christine paraissait plus mobile, plus insaisissable, plus mystérieuse, plus inquiétante que jamais. Le lendemain du jour où l'on pouvait croire qu'elle ne voyait pas de trop mauvais œil le duc de Cadix, elle semblait revenir à Trapani ; puis, au même moment, avec les amis de l'Angleterre, elle affectait de regretter Cobourg. Ses confidents, Riansarès et Isturiz, faisaient même des ouvertures plus ou moins expresses au sujet de ce dernier prince, comme si, encouragés par le changement du ministère britannique, ils voulaient renouer l'intrigue que lord Aberdeen avait fait échouer trois mois auparavant[5]. Quant à notre nouveau candidat, le duc de Cadix, il n'avait, ni par son origine, ni par sa personne, un prestige qui pût nous aider. La jeune reine Isabelle ne cachait pas le peu de goût qu'il lui inspirait. Nos adversaires tenaient sur ce prince des propos fort méprisants, ne reculant même pas, pour le déclarer un candidat inadmissible, devant les assertions physiologiques les plus étranges[6]. Ajoutez, dans la presse anglaise et chez ceux qui lui faisaient écho à Madrid, une recrudescence d'invectives injurieuses contre Louis-Philippe, qui, disait-on, prétendait dicter ses volontés à l'Espagne[7]. La seule bonne carte de notre jeu était que le nom du duc de Montpensier se trouvât accolé à celui du duc de Cadix. Le premier rehaussait le second. M. Guizot le comprenait bien, quand, tout en recommandant à son ambassadeur de pousser au duc de Cadix, il ajoutait : Placez le duc de Montpensier à côté de lui. Toutefois le sens de ces mots ne devait pas être forcé : si le ministre entendait par là que, dans les pourparlers, on réunît les deux projets de mariage et que l'un aidât à faire passer l'autre, il ne revenait pas sur l'engagement pris envers l'Angleterre d'attendre, pour célébrer le mariage de l'Infante, que la Reine ait eu un enfant.

M. Bresson vit ou feignit de voir dans la lettre du ministre plus que celui-ci n'avait voulu y mettre. Préoccupé surtout des obstacles qu'il rencontrait à Madrid et de la lutte qu'il devait soutenir contre sir Henri Bulwer, estimant que les intrigues récemment dévoilées de ce dernier et les menaces résultant de l'avènement de lord Palmerston suffisaient à nous délier vis-à-vis de l'Angleterre, convaincu d'autre part qu'on n'obtiendrait jamais de la reine Christine l'abandon réel de Cobourg et l'acceptation sincère de Cadix si l'on ne lui faisait quelque concession sur le mariage Montpensier, il crut pouvoir lui annoncer cette concession. Il lui dit donc, le 11 juillet, en lui demandant le secret, que le Roi, tenant compte des embarras de la Reine et voulant lui donner un nouveau témoignage de sa sollicitude et de son amitié, était disposé à consentir que, dans toute combinaison Bourbon, M. le duc de Montpensier prît place à côté du mariage de la Reine, c'est-à-dire que les deux mariages, si l'un devait faciliter l'autre, se célébrassent ou fussent du moins déclarés simultanément. La reine Christine accueillit avec joie cette communication. En en rendant compte aussitôt à son ministre, M. Bresson reconnaissait que cette grande, importante, indispensable concession n'était pas aussi formellement exprimée dans la lettre de M. Guizot, en date du 5 juillet ; mais il invoquait les commentaires et développements que lui avaient envoyés en même temps M. Désages, directeur au ministère des affaires étrangères, et le jeune duc de Glucksberg, premier secrétaire à l'ambassade de Madrid, alors à Paris[8]. De plus, pour prémunir le ministre contre la tentation d'un désaveu, l'ambassadeur le félicitait chaleureusement de la décision qu'il lui attribuait : Grâces vous soient rendues, lui écrivait-il. J'en suis certain, en sondant votre cœur, vous y trouvez le contentement d'avoir pris cette résolution !... Dégagé, affranchi, vous l'êtes mille fois par les procédés des agents anglais. Je ne prétends pas diminuer vos regrets de la retraite de lord Aberdeen ; mais permettez-moi de vous faire remarquer qu'il n'a jamais empêché le mal, qu'il s'est borné à vous en avertir quand il était fait[9].

Tel était bien le comte Bresson, homme de décision et d'initiative, ne craignant pas les responsabilités, mais d'une hardiesse prompte qui risquait parfois d'être un peu compromettante. Sa démarche déplut au gouvernement français ; celui-ci croyait sans doute aux mauvais desseins de lord Palmerston, mais, jusqu'à ce que ces desseins se fussent manifestés, il voulait demeurer fidèle à l'accord. Le Roi surtout protesta avec une vivacité et une émotion dont nous avons une preuve absolument irrécusable : ce sont les lettres mêmes qu'il écrivit alors à M. Guizot, retenu au Val Richer par les soins de son élection ; rien ne montre mieux avec quelle loyauté scrupuleuse et presque timide Louis-Philippe voulait tenir la parole donnée à l'Angleterre. Ces lettres tout intimes n'eussent peut-être jamais vu le jour, si les émeutiers de février 1848 ne s'en étaient emparés en saccageant les Tuileries et l'hôtel du ministère des affaires étrangères, et si elles n'avaient été, par suite, publiées dans la Revue rétrospective. Ce n'est pas la seule fois où cette publication s'est trouvée servir la réputation du prince dont on s'imaginait dévoiler les ténébreuses et perfides machinations[10].

La première de ces lettres est du 20 juillet : le Roi venait d'apprendre que son ambassadeur avait consenti en son nom la simultanéité des deux mariages : il ne pouvait comprendre comment avait pu être faite une démarche aussi diamétralement contraire à sa volonté, et il ajoutait : Un désaveu formel est indispensable. Comment le faire est la seule question à examiner ; mais je n'ai jamais trompé personne, et je ne commencerai pas aujourd'hui à laisser tromper qui que ce soit sous mon nom. La chose lui tenait tellement à cœur qu'il y revint dans une nouvelle lettre, le soir du même jour : Le duc de Montpensier concourt très vivement à tout ce que je vous ai écrit ce matin. Il faut effacer, annuler formellement tout ce que Bresson a dit en sus de ce que j'avais autorisé. Il faut que les reines sachent qu'il était interdit à Bresson de dire ce qu'il a dit, et que la simultanéité est inadmissible. Il nous a fait là une rude campagne ; il est nécessaire qu'elle soit biffée, et le plus tôt possible. Je ne resterai pas sous le coup d'avoir fait contracter en mon nom un engagement que je ne peux ni ne veux tenir, et que j'avais formellement interdit. Voyez comment vous pouvez arranger ce désaveu. J'attends votre réponse avec impatience.

Entre un ambassadeur qui s'était avancé trop vite et un souverain qui voulait reculer avec une sorte d'emportement, M. Guizot était dans un grand embarras. Il n'approuvait pas entièrement ce qui avait été fait, mais il craignait qu'un brusque désaveu ne ruinât notre cause à Madrid[11]. Il s'efforça donc, tout en contenant M. Bresson, d'apaiser Louis-Philippe. J'avais déjà écrit à Bresson, mandait-il au Roi le 22 juillet ; je lui ai récrit. Je lui ai envoyé les propres paroles du Roi. Il fera la retraite nécessaire. Certainement il est allé trop loin et fort au delà de mes instructions ; mais je ne crois pas qu'il soit allé aussi loin que le Roi le suppose. Il n'a jamais pu entendre ni dire que le mariage de Mgr le duc de Montpensier serait conclu, célébré, ou même définitivement arrêté, en même temps que celui de la Reine. Ces explications ne satisfirent pas le Roi. Dans une lettre en date du 24 juillet, il insista plus que jamais pour un désaveu immédiat, formel, qui fût remis par écrit à la reine Christine, et il pressa son ministère de le rédiger.

Les choses en étaient là, quand une démarche de lord Palmerston lui-même vint donner raison aux soupçons de M. Bresson et fournir de quoi lever les scrupules de Louis-Philippe.

 

II

Dès le premier jour, M. Guizot avait pressé lord Palmerston de dire s'il voulait ou non continuer, dans la Péninsule, la politique de concert pratiquée par son prédécesseur. N'avant pu obtenir de lui que des réponses vagues, dilatoires, équivoques, et voulant le mettre au pied du mur, il adressa à Londres, le 20 juillet, une dépêche qui proposait nettement une action commune en faveur des deux fils de François de Paule. Il n'indiquait entre eux aucune préférence et laissait aux Espagnols le soin de choisir. A la vérité, il comptait que, réduite à prendre l'un ou l'autre, la reine Christine prendrait le duc de Cadix ; car, si elle avait peu de goût pour lui, elle détestait bien plus son frère, le duc de Séville, à cause de ses liens avec le parti radical ; mais, pour cette même raison, lord Palmerston voyait de bon œil ce dernier prince, et le ministre français avait pensé que sa proposition serait mieux accueillie au Foreign office, si les deux frères y étaient mis sur le même pied.

Le jour où la dépêche de M. Guizot partait de Paris, lord Palmerston communiquait à notre chargé d'affaires à Londres les instructions qu'il venait d'adresser à sir Henri Bulwer. Elles avaient été expédiées la veille, c'est-à-dire le 19 juillet. Cette communication n'avait donc pas pour but de demander notre avis, ni de chercher avec nous un terrain d'accord. Tout, d'ailleurs, forme et fond, semblait y marquer l'intention de mettre fin à l'entente et d'inaugurer une politique séparée. Loin de rappeler le concert jusque-là établi entre les deux gouvernements, on n'y prononçait même pas le nom de la France. Deux questions y étaient traitées : le mariage de la Reine et l'état intérieur de l'Espagne. Sur le premier point, lord Palmerston paraissait ignorer absolument notre désir de voir choisir un Bourbon et l'engagement pris par lord Aberdeen de seconder ou tout au moins de ne pas contrarier ce désir ; par contre, il insistait sur ce que le choix d'un mari pour la Reine était une question dans laquelle les gouvernements des autres pays n'avaient aucun titre à intervenir ; puis, énumérant les candidats qui avaient chance d'être agréés, il nommait en première ligne Léopold de Saxe-Cobourg, et ensuite les deux fils de François de Paule ; il ajoutait qu'il les trouvait tous les trois également convenables et ne faisait d'objection à aucun d'eux. Sur le second point, les instructions n'étaient qu'un long et passionné réquisitoire contre le gouvernement des moderados ; s'appropriant tous les griefs des progressistes, Palmerston accusait ce gouvernement d'être violent, arbitraire, tyrannique, et il recommandait à son agent de ne pas laisser ignorer cette façon de voir du cabinet britannique.

L'effet de cette communication fut grand à Paris. M. Guizot y vit tout de suite, — et personne ne s'en étonnera, — la confirmation des soupçons que lui avait fait concevoir l'avènement de lord Palmerston : il fut particulièrement frappé de la façon dont ce dernier parlait du prince de Cobourg ; il en conclut que le veto opposé par lord Aberdeen aux menées de Bulwer était levé, et que la tentative interrompue deux mois auparavant allait être reprise. J'en suis plus fâché que surpris, — écrivit M. Guizot au Roi, le 24 juillet, en lui faisant part de cette nouvelle ; — j'ai toujours cru que lord Palmerston rentrerait bientôt dans sa vieille ornière. Et Louis-Philippe lui répondait aussitôt : La lecture des pièces que j'ai reçues de vous me laisse sous l'empire des plus pénibles impressions, non pas que je m'attendisse à mieux de lord Palmerston, mais parce que j'espérais qu'il ne se serait pas mis si promptement à découvert. Il ajoutait le lendemain : Lord Gowley est venu hier au soir, et j'ai eu avec lui une conversation très longue et très vive sur les instructions communiquées par lord Palmerston. Il a généreusement essayé de les défendre, en disant que tout cela n'était que pour maintenir ses dires précédents, that these instructions would not be acted upon !... certainly not... que Bulwer s'en garderait bien !... Je lui ai demandé la permission de n'en rien croire, et lui ai dit que les conséquences de ceci m'alarmaient au plus haut degré.

Du moment où le gouvernement français voyait, dans les instructions de lord Palmerston, une dénonciation du pacte d'entente, il était fondé à se considérer comme libéré de ses engagements : dès lors plus aucune raison de désavouer M. Bresson ni de refuser les concessions exigées par la reine Christine. M. Guizot, cependant, ne parut pas tout de suite résolu à aller jusqu'au bout de son droit ; on eût dit que, par esprit de paix, par fidélité quand même à l'entente brisée, il hésitât à rendre coup pour coup. Bien que moins opposé à la simultanéité des deux mariages, il ne l'accorda pas expressément. Le 24 juillet, aussitôt après avoir reçu la communication de lord Palmerston, il écrivit à M. Bresson : Le Cobourg n'est pas si abandonné qu'on veut le dire.... La reine Christine et M. Isturiz poursuivent-ils l'intrigue Cobourg sous le voile de leur retour apparent au duc de Cadix ? Si cela est, raison de plus pour nous de poursuivre Cadix et Montpensier. Vous pouvez, je pense, lier toujours ces deux noms, sans engagement formel de simultanéité dans la conclusion définitive. Le Roi n'alla même pas jusque-là et se refusa d'abord à user, dans une mesure quelconque, de la liberté que lord Palmerston lui rendait : Tout ceci, mandait-il, le 25 juillet, à son ministre, doit nous presser encore plus de faire parvenir à la reine Christine le désaveu de la simultanéité. Plus nous avons de mauvaise foi à craindre, plus il importe que les cartes que nous avons en main soient nettes, et qu'on ne puisse pas nous accuser d'avoir deux langages. Et il ajoutait en post-scriptum : Je vous conjure de ne pas accoler, dans vos lettres à Bresson, Cadix et Montpensier ; cette accolade sent trop la simultanéité.

Cette fois, M. Guizot trouva que son souverain, par un scrupule exagéré envers l'Angleterre, risquait de perdre la partie en Espagne. Je suis tout à fait d'avis, lui écrivit-il le 25 juillet, que le Roi ne doit point s'engager à la simultanéité des deux mariages... Mais je prie en même temps le Roi de réfléchir combien la situation est, en ce moment, délicate, tendue, critique. Il va se faire évidemment un grand effort pour le Cobourg ; notre parade contre ce coup, c'est Cadix et Montpensier. N'affaiblissons pas trop cette parade, au moment même où nous avons besoin de nous en servir. Le même jour, M. Guizot revint sur ce sujet et le traita plus fortement encore : Voilà, écrivait-il au Roi, le Cobourg avoué, accepté par l'Angleterre. Il ne viendra plus de Londres, contre sa candidature, aucune objection, aucune réserve. Si l'Espagne en veut, l'Angleterre est prête. La reine Christine est-elle du complot ? Pas tout à fait peut-être ; probablement un peu. En tout cas, il nous importe infiniment de ne lui fournir aucun prétexte pour y entrer. Nous désirons le duc de Cadix pour la Reine, et nous offrons Mgr le duc de Montpensier pour l'Infante. Cadix ne sera, à coup sur, accepté qu'avec Montpensier pour pendant. Dans cette corrélation inévitable des deux mariages, que doit, que peut vouloir le Roi ? Deux choses, ce me semble : l'une, que le mariage de la reine Isabelle avec un Bourbon, avec le duc de Cadix, soit bien assuré, bien conclu ; l'autre, que toute liberté reste au Roi d'examiner à fond la situation de l'Infante, de bien discuter les conditions et articles de son mariage avec Mgr le duc de Montpensier, avant de le conclure... Pour cela, que faut-il ? Que Bresson, dès que la question se posera clairement, dès qu'il se verra pressé par le Cobourg, aille droit à la reine Christine et au cabinet espagnol, déclare notre opposition au Cobourg, en fasse entrevoir les conséquences possibles, et demande que la main de la reine Isabelle soit donnée au duc de Cadix, en déclarant en même temps que le désir du Roi est d'obtenir la main de l'Infante pour Mgr le duc de Montpensier, et que, dès que le premier mariage sera conclu, il est prêt à discuter et arrêter, selon les instructions qu'il aura reçues du Roi, les articles du second. Après avoir fait observer que la reine Christine aurait ainsi, en ce qui concernait le second mariage, une certitude morale suffisante pour qu'elle pût se décider immédiatement au premier, M. Guizot continua en ces termes : Si, au contraire, Bresson allait aujourd'hui, avant le moment de la crise, sans être pressé par la nécessité, uniquement pour retirer des paroles qu'il a dites sans qu'il en reste cependant aucune trace textuelle bien précise, s'il allait, dis-je, déclarer à la reine Christine qu'elle doit faire le mariage Cadix sans compter sur le mariage Montpensier, je craindrais infiniment que la reine Christine ne se saisît de cet incident pour se rejeter dans le mariage Cobourg... Je n'ai pas besoin d'appeler l'attention du Roi sur les conséquences d'une telle solution... Nous nous trouverions aussitôt placés, et vis-à-vis de l'Espagne, et vis-à-vis de l'Angleterre, dans une situation qui altérerait profondément nos relations ; altération sur laquelle je me sentirais peut être obligé moi-même d'insister plus qu'il ne conviendrait au Roi. M. Guizot terminait en disant que si le Roi ne partageait pas son avis, il se rendrait aussitôt à Paris et convoquerait le conseil des ministres. Ces fortes raisons et les graves avertissements de la fin ne pouvaient pas ne pas faire impression sur Louis-Philippe. Il en fut ébranlé, et, sans consentir encore à rien qui s'écartât des accords conclus à Eu, il n'insista plus autant pour un désaveu formel de son ambassadeur.

En même temps que M. Guizot s'occupait ainsi, entre le Roi et M. Bresson, à régler la conduite nouvelle que nous imposait, à Madrid, l'attitude de lord Palmerston, il avait soin de faire connaître, à Londres, l'interprétation que le gouvernement ; français donnait aux instructions anglaises du 19 juillet et les graves conséquences qu'il pourrait être amené à en tirer. Ce fut l'objet d'une dépêche adressée à M. de Jarnac, le 30 juillet. Il y exposait d'abord comment, dans la question du mariage, l'accord avait été conclu avec lord Aberdeen, sinon sur tous les principes, du moins en fait sur la conduite à suivre. Il a été dit et entendu, ajoutait-il, que les deux gouvernements s'emploieraient à Madrid pour que le choix de la Reine se portât sur l'un des descendants de Philippe V. Lorsque quelque autre candidat, en particulier le prince de Cobourg, a été mis en avant, lord Aberdeen a travaillé, loyalement travaillé à l'écarter. Dès lors l'approbation égale, donnée par lord Palmerston à trois candidats parmi lesquels le prince de Cobourg était placé le premier, était une profonde altération, un abandon complet du langage et de l'attitude de son prédécesseur... Quand le Roi a exclu lui-même ses fils de toute prétention à la main de la reine d'Espagne, il a dû compter, il a compté en effet, et il a eu le droit de compter sur une certaine mesure de réciprocité. S'il en était autrement, je ne dis pas que le Roi changerait sa politique ; mais, à coup sûr, il recouvrerait toute sa liberté. Il n'aurait plus à tenir compte que des intérêts de la France et de l'honneur de sa couronne. Plus loin, après avoir rappelé qu'il avait témoigné naguère de son désir de continuer l'entente en proposant l'action commune en faveur des fils de François de Paule, notre ministre terminait ainsi : Mais il peut y avoir pour la France, en Espagne, une politique isolée ; et si l'initiative de la politique isolée était prise à Londres, il faudrait bien qu'à Paris j'en adoptasse aussi la pratique. Lord Palmerston était donc prévenu : s'il ne revenait pas franchement et immédiatement à la politique de concert, il devait s'attendre à nous voir user de la liberté d'action qui nous serait ainsi rendue.

 

III

On a beaucoup dit, en Angleterre, que le gouvernement français avait pris trop facilement l'alarme, que lord Palmerston, en nommant le prince de Cobourg dans les instructions du 19 juillet, avait seulement constaté un fait, et qu'il ne songeait pas à modifier la politique de lord Aberdeen. Quand même cela serait vrai, il n'en resterait pas moins que notre gouvernement croyait sincèrement le contraire, et que tout l'autorisait à le croire ; il faudrait donc tout au moins reconnaître que sa bonne foi, — cette bonne foi qui a été plus tard si injurieusement contestée outre-Manche, — sortait de là intacte. Mais il y a mieux : Palmerston ne s'était pas contenté d'envoyer à Bulwer ses instructions officielles ; il lui avait adressé plusieurs lettres confidentielles pour les commenter et les compléter : là, s'adressant, avec une sorte d'abandon familier, à un agent qui était pour lui un ami et que, de plus, il savait être aussi animé que lui contre la France, il ne craignait pas de lui dévoiler ce qu'il voulait tenir caché au cabinet de Paris, parfois même à ses propres collègues et à sa cour. Ces lettres, longtemps secrètes, nous les connaissons maintenant ; et, détail piquant, c'est Bulwer lui-même qui les a publiées[12]. Or il en résulte que les soupçons de Louis-Philippe et de son ministre, loin d'être mal fondés, étaient plutôt au-dessous de la réalité.

La première lettre est datée du 19 juillet, c'est-à-dire du même jour que les instructions : lord Palmerston y déclare qu'il a indiqué seulement pour la forme et par égard pour la France le duc de Cadix parmi les candidats en ligne pour la main de la Reine ; il le regarde comme disqualified pour cause de nullité morale et même physique. En réalité, il n'admet que deux candidats, Léopold de Cobourg et Enrique, duc de Séville. Entre les deux, il ne se prononce pas pour le moment ; mais il estime que celui des deux qui n'épousera pas la Reine devra épouser l'Infante. D'un mariage de cette dernière avec le duc de Montpensier, il déclare ne vouloir à aucun prix. Bien entendu, il ne s'imagine pas continuer ainsi l'entente cordiale ; il est le premier à reconnaître que sa politique est la contradiction de celle de M. Guizot.

Les lettres suivantes, qui sont des 3, 16, 22 et 25 août, révèlent une légère modification dans les idées de lord Palmerston : il n'y tient plus la balance aussi égale entre les deux candidats ; la meilleure combinaison lui paraît être de marier la Reine à Enrique et l'Infante à Cobourg. Pour mettre ainsi Enrique en première ligne, il avait diverses raisons qui se dégagent de sa correspondance. C'était d'abord son peu de sympathie pour les Cobourg. Il ne pouvait ignorer que les chefs politiques de cette maison, le roi des Belges et même le prince Albert, le voyaient avec inquiétude au pouvoir[13]. Et surtout il ne trouvait pas les Cobourg assez nettement antifrançais ; il craignait qu'ils ne lâchassent pied aussitôt qu'ils verraient le conflit s'aggraver. Ces gens-là, disait-il dédaigneusement, n'ont pas les nerfs assez solides pour braver Louis-Philippe. A ce moment même, un incident se produisit dont il dut avoir connaissance et qui était fait pour le confirmer dans sa manière de voir : au commencement d'août, le roi des Belges et le prince Albert se réunirent avec la reine Victoria, dans une sorte de conseil de famille, pour délibérer sur la réponse que le duc de Saxe-Cobourg devait depuis trois mois à la reine Christine[14] ; sans renoncer à tout espoir de marier leur jeune parent avec Isabelle, ils furent d'avis que ce mariage était impossible, tant que la France s'y opposerait, et qu'il n'y aurait moyen d'y revenir que le jour où Louis-Philippe, convaincu, par la résistance de l'Espagne elle-même, de l'impossibilité de faire accepter un Bourbon, se résignerait à lever son veto[15] ; un projet de lettre dans ce sens fut rédigé et envoyé au duc de Saxe-Cobourg, avec invitation de l'adopter mot pour mot, ce qui fut fait[16]. D'Enrique, à en juger du moins par ses récentes frasques révolutionnaires, Palmerston ne croyait pas avoir à redouter ces timidités et ces ménagements envers la France. Et puis ce prince était le candidat favori d'Olozaga et des autres réfugiés, qui se flattaient de gouverner sous son nom ; or le ministre anglais s'obstinait à ne voir les choses de la Péninsule que par les yeux de ces réfugiés.

Toutefois, ne l'oublions pas, si à Londres on avait fini par préférer, pour Isabelle, don Enrique, qui en sa qualité de Bourbon n'était pas contraire à notre principe, on n'y abandonnait pas pour cela le candidat dont l'exclusion était à nos yeux la première condition de l'entente. Dans ce dernier état de la pensée de lord Palmerston, le prince de Cobourg demeurait encore partie essentielle de la combinaison. L'Infante lui était réservée, et Bulwer avait ordre de travailler à la lui faire obtenir. Or, nous avions toujours déclaré qu'un prince étranger à la maison de Bourbon n'était pas plus admissible pour l'Infante que pour la Reine, et c'était l'une des hypothèses pour lesquelles nous avions expressément réservé la reprise de notre liberté[17]. Le secrétaire d'État ne renonçait même pas à toute idée de marier Cobourg à la Reine ; il le présentait en seconde ligne, pour le cas où Enrique ne serait pas admis : c'était, à ses yeux, la combinaison subsidiaire, celle qu'il indiquait à son agent comme étant the next best arrangement. Ne croyez pas qu'il éprouvât le moindre scrupule à mettre ainsi l'influence anglaise au service de la candidature Cobourg. Non, il s'appliquait, — ce qui était du reste superflu, — à rassurer sur ce sujet la conscience de Bulwer ; il lui affirmait n'avoir rien trouvé dans les actes de lord Aberdeen qui impliquât engagement de ne pas pousser à un tel mariage, qu'il s'agît de la Reine ou de l'Infante. Nous nous regardons, disait-il, comme libres de recommander au gouvernement espagnol le candidat que nous jugeons le meilleur, que ce soit un Cobourg ou un autre.

Enfin, ce que lord Palmerston voulait dans tous les cas, quel que fût le mari de la Reine, ce qui lui tenait le plus à cœur, ce qu'il recommandait, dans chacune de ses lettres à Bulwer, avec une insistance passionnée, comme l'objet le plus important de la politique britannique, c'était d'empêcher l'union du duc de Montpensier avec l'Infante. Il exposait longuement à son agent que cette union serait la mainmise de la France sur la Péninsule, mainmise que l'Angleterre avait jugée déjà dangereuse au siècle dernier, et qui le serait bien plus depuis la conquête de l'Algérie. C'est en Espagne même qu'il prétendait faire naître des obstacles au mariage. Et, dans ce dessein, il n'hésitait pas à recourir aux menaces : Je vous prie, mandait-il à Bulwer, d'avertir Christine, Riansarès et Isturiz que nous considérerions un tel mariage comme une mesure d'hostilité contingente contre l'Angleterre de la part de l'Espagne et de la part de la France, et que nous serions obligés de modifier en conséquence nos rapports avec ces deux pays. Lord Palmerston mettait ainsi lui-même à néant l'arrangement conclu entre M. Guizot et lord Aberdeen, dans la seconde entrevue d'Eu : quand Louis-Philippe avait consenti à reculer le mariage de son fils avec l'Infante jusqu'à ce que la Reine ait eu des enfants, il avait cru évidemment obtenir à ce prix que le gouvernement britannique adhérât à ce mariage, ou au moins qu'il n'y fît pas opposition[18].

Toutes ces menées, qui nous sont ainsi révélées par le témoignage irrécusable de lord Palmerston lui-même, M. Guizot les soupçonnait, mais sans en avoir, sur le moment même, une connaissance aussi précise et aussi complète. C'était en effet l'un des signes, et non le moins caractéristique, des mauvais desseins du ministre anglais, que le soin avec lequel il cherchait à empêcher notre diplomatie d'y voir clair. Tout était calculé pour cela, aussi bien ce qu'il lui cachait que ce qu'il lui laissait voir. Ce qu'il lui cachait, c'était le travail fait en faveur du prince de Cobourg et contre le duc de Montpensier. Ce qu'il lui laissait voir, c'était la candidature de don Enrique. Non seulement, aussitôt qu'il fut décidé à appuyer cette candidature, lord Palmerston en parla à notre chargé d'affaires à Londres ; mais, le 27 août, répondant, très tardivement, il est vrai, à la proposition d'action commune que M. Guizot lui avait adressée le 20 juillet, il fit demander officiellement au gouvernement français de s'unir à lui pour soutenir Enrique, le seul prince espagnol, disait-il, qui fût propre par ses qualités personnelles à être le mari de la Reine ; à quoi notre ministre se borna à répliquer, le 30 août, qu'il ne se croyait pas le droit de pousser si loin la dictation, et qu'il laissait à l'Espagne le soin de choisir entre les descendants de Philippe V. Si lord Palmerston faisait ainsi la lumière sur cette partie de son plan, n'était-ce pas dans l'espoir de faire, par là même, l'ombre plus épaisse sur l'autre partie ? Il se flattait probablement, en se montrant occupé d'Enrique, de nous faire croire qu'il était revenu à notre principe du mariage Bourbon, et qu'il n'y avait plus de Cobourg dans l'affaire. C'était un effort pour rendormir notre vigilance, qu'il se repentait d'avoir maladroitement inquiétée par la communication des instructions du 19 juillet. Mais la clairvoyance trop justement ombrageuse du cabinet de Paris ne fut pas mise en défaut par ces habiletés. Le 8 août, transmettant au Roi les rapports qui lui arrivaient de Londres et qui lui annonçaient l'abandon de la candidature Cobourg, M. Guizot ajoutait : Cela ne me rassure qu'à moitié. On renonce peut-être à la Reine pour le Cobourg, mais dans la pensée de vouloir pour lui l'Infante[19]. Notre ministre, on le voit, devinait juste. D'ailleurs, quelle que soit l'idée plus ou moins précise que le gouvernement français ait pu se faire alors des manœuvres du gouvernement anglais, il n'y a plus pour l'histoire aucune obscurité. Il est manifeste et incontestable que lord Palmerston n'avait qu'un but en Espagne : faire échec à notre politique, et qu'à l'entente cordiale existant sous lord Aberdeen il substituait la lutte à outrance. Dès lors, la conclusion s'imposait : quand même Louis-Philippe et M. Guizot n'eussent pas stipulé d'avance pour ce cas, comme ils l'avaient fait tant de fois, la reprise de leur liberté, la justice et le simple bon sens suffisaient à la leur rendre ; avec qui leur faisait la guerre, ils ne pouvaient être tenus aux engagements consentis en vue et sous la condition d'avoir la paix[20].

 

IV

Dans sa campagne espagnole, lord Palmerston montrait plus de passion que d'habileté. En se portant champion des radicaux et en prétendant imposer don Enrique comme mari de la Reine, il inquiétait et irritait tous ceux qui dirigeaient alors les affaires de la Péninsule. Rien ne pouvait contribuer davantage à nous ramener la reine Christine et le cabinet de Madrid. M. Guizot le comprit. Aussitôt qu'il eut reçu communication des instructions anglaises du 19 juillet et du réquisitoire qui y était formulé contre le gouvernement des moderados, il en fit part à M. Bresson et eut soin d'ajouter : Le parti modéré, la reine Christine ne peuvent se méprendre sur le sens et la portée politique de la dépêche de lord Palmerston... C'est bien le langage du patron des progressistes, d'Espartero, Olozaga, Mendizabal, etc. Faites en sorte que cette situation soit bien comprise.

Sir Henri Bulwer, qui, sur place, se rendait compte de l'énorme maladresse commise par son ministre[21], le pressa de laisser là Enrique et de poussera sa place le prince de Cobourg ; il se portait fort de faire agréer ce dernier comme époux de la Reine, avec la condition que l'Infante ne serait pas mariée à un prince français. Lord Palmerston ne voulut rien entendre ; une sorte de routine aveugle ne lui permettait pas de concevoir la politique britannique en Espagne autrement que liée étroitement à la cause progressiste. Bulwer, mis en demeure d'obéir à ses instructions, dut s'exécuter. L'effet fut ce qu'il craignait. Vos ministres sont-ils fous ? lui dit M. Isturiz, chef du cabinet de Madrid. Ils désirent l'indépendance de l'Espagne ; nous aussi, et nous sommes au pouvoir. Or, au lieu de s'unir à nous, ils disent en réalité que la première condition d'une alliance avec eux est que nous capitulions devant ceux qui nous font opposition. En supposant que je fusse disposé à ce sacrifice, en serait-il ainsi de la cour, de mes amis politiques, des chefs actuels de l'armée ? Aussi Bulwer écrivit-il à lord Palmerston, le 14 août : Je regrette d'être obligé de dire que toutes les peines que j'ai prises pour disposer la cour et le président du conseil en faveur d'un mariage de don Enrique avec la Reine, ont été absolument sans effet[22].

Cet état d'esprit de la cour d'Espagne n'échappait pas à M. Bresson, qui manda, le 8 août, à M. Guizot : M. Mon (l'un des ministres) m'a raconté qu'hier soir la Reine mère lui avait dit avec une anxiété remarquable : Engage donc Bresson à s'entendre avec moi, pour faire les deux mariages le plus tôt possible. Les Anglais et la révolution nous menacent. Et notre ambassadeur ajoutait le lendemain : Ou il ne faut plus croire à rien sur cette terre, ou la reine Christine, par peur, par calcul ou par affection, nous est entièrement revenue. Je la quitte à l'instant... Elle se rallie franchement à la pensée du mariage de la jeune reine avec le duc de Cadix. Elle y prépare, elle y dispose, elle y rend favorable l'esprit de sa fille... Je vous laisse à penser si je l'ai encouragée dans cette voie. Seulement Christine mettait à son concours une condition, c'était la simultanéité des deux mariages, de la Reine avec Cadix et de l'Infante avec Montpensier. Cela lui paraissait nécessaire pour fortifier, relever l'un des mariages par l'autre, pour contenir les opposants par l'éclat du rang de notre prince et par la crainte de la France qui venait derrière lui.

En face de cette exigence, M. Bresson ne laissa pas que d'être embarrassé. D'une part, il venait d'être réprimandé et menacé de désaveu pour avoir offert la simultanéité ; d'autre part, il était convaincu que cette concession était légitime et nécessaire. Dans cette difficulté, il n'osa pas dire tout de suite oui ; mais il se garda de dire non[23], et, se retournant du côté de son gouvernement, il insista fortement sur la nécessité décéder, et de céder sans retard, avant que les partis eussent eu l'éveil et se fussent jetés au travers des négociations pour faire tout échouer. Pour moi, écrivait-il à M. Guizot[24], pour moi qui viens de relire attentivement vos lettres des 10 décembre 1845, 28 février et 17 mars 1846, qui en ai pesé chaque mot, non seulement je vous considère comme dégagé, par les premières démarches du cabinet anglais actuel, des ménagements et obligations auxquels vous pouviez vous croire tenu envers celui de sir Robert Peel, mais je me considère moi-même comme placé dans les conditions prévues par ces lettres, et comme appelé, d'un moment à l'autre, à faire usage des pouvoirs qu'elles me confèrent, pouvoirs délicats, pouvoirs d'une grande importance dont je sens toute la gravité et auxquels je ne dois avoir recours qu'en homme prudent à la fois et ne craignant pas la responsabilité. C'est ainsi que j'agirai : comptez-y.

Si désireux que le gouvernement français se fût montré jusqu'alors d'éviter la simultanéité des deux mariages, il ne pouvait pas ne pas être frappé de ce que lui disait M. Bresson. Pour échapper au péril que lui faisaient courir les intrigues anglaises, il avait besoin du concours de la reine Christine ; s'il refusait à cette dernière tout ce qu'elle exigeait, ne s'exposait-il pas à ce qu'elle liât partie avec nos adversaires, comme elle en avait déjà eu plusieurs fois la velléité ? Il recevait d'ailleurs avis que Bulwer poursuivait ses menées plus activement que jamais, et que M. Isturiz avait avec lui des entretiens assez suspects. On ajoutait que le parti radical espagnol, encouragé par le patronage de lord Palmerston, s'agitait d'une façon menaçante, et qu'il n'était pas prudent de lui laisser le loisir d'organiser quelque mauvais coup. Dans ces conditions, M. Guizot jugea qu'on ne pouvait pas refuser plus longtemps à M. Bresson ce qu'il déclarait être si nécessaire. Le Roi fut plus difficile à convaincre : malgré tout, il eût désiré s'en tenir toujours aux déclarations d'Eu. La reine Amélie l'encourageait dans sa résistance. Ce fut à contre-cœur et après de longues délibérations avec M. Guizot que Louis-Philippe finit par se rendre à ses instances et se résigna à laisser faire M. Bresson. Celui-ci fut alors informé que son gouvernement s'en rapportait à lui pour l'usage à faire, dans la circonstance particulière, des pouvoirs généraux qui lui avaient été antérieurement conférés[25] ; M. Guizot lui donnait l'assurance qu'en tout cas il serait fermement soutenu. Toutefois, recommandation lui fut faite de stipuler expressément que la discussion des accords préliminaires précéderait la déclaration et la célébration du mariage du duc de Montpensier : c'était, dans la pensée du cabinet de Paris, un dernier moyen qu'il se réservait d'empêcher une simultanéité tout à fait complète. En dépit de cette restriction, notre ambassadeur avait enfin la liberté qu'il sollicitait depuis si longtemps. Il n'était pas homme à hésiter devant l'initiative dont on lui laissait la responsabilité. Il promit donc à la reine Christine d'associer les deux mariages.

Contenter cette princesse, c'était beaucoup ; ce n'était pas tout. Restait une dernière difficulté assez embarrassante, qui était la répugnance manifestée par la jeune reine pour le mari que la politique lui destinait ; elle enviait la part de sa sœur cadette et son beau Montpensier qu'elle eût voulu prendre pour elle-même ; par comparaison, le duc de Cadix lui paraissait faire médiocre figure, et elle ne se privait pas de parler de lui en termes peu flatteurs[26]. Dans les lettres qu'il écrivait à M. Guizot, M. Bresson faisait connaître cet état d'esprit de la Reine ; il montrait aussi le fiancé gauche, timide, se défiant de lui-même et des autres, et par moments éprouvant plus d'éloignement que d'attrait pour sa fiancée ; la Reine mère et Riansarès trop souvent insaisissables ; le président du conseil toujours sur le point de nous trahir ; la légation anglaise multipliant les intrigues. Pesez ces difficultés, ajoutait-il[27], et demandez-vous si aucune habileté humaine peut en triompher. A Dieu, à la Vierge, au hasard, faites honneur du succès à qui vous voudrez, si nous l'obtenons ; car, pour moi, tout en ayant l'œil partout attentif et n'épargnant ni soins, ni peines, ni démarches, je reconnais que cette combinaison d'individualités et de circonstances est au-dessus des forces et de l'entendement de notre pauvre organisme.

En traçant ce tableau un peu assombri, M. Bresson, oubliait qu'il avait en main, dans ce jeu si embrouillé, une carte qui devait lui faire gagner la partie : c'était le concours qu'en dépit de son humeur mobile et fantasque, la reine Christine était décidée à nous donner, depuis qu'elle avait reçu satisfaction en ce qui touchait la simultanéité. Elle agit sur sa fille et fit agir par l'Infante. Cette pression de famille ne fut pas sans effet. Dans la soirée du 27 août, après une scène de larmes avec le duc de Riansarès, la jeune reine entra chez sa mère, se jeta dans ses bras et dit oui. Les ministres, aussitôt avisés de cette décision, y acquiescèrent unanimement. La Reine leur annonça en même temps qu'elle donnait sa sœur en mariage au duc de Montpensier. L'un des ministres vint aussitôt réveiller M. Bresson, —il était deux heures du matin, —pour lui annoncer la grande nouvelle.

Le lendemain, quand il fallut rédiger l'accord relatif au mariage du duc de Montpensier, la reine Christine demanda que la simultanéité y fût établie d'une façon absolue. M. Bresson, lié par ses instructions, s'y refusa, déclarant qu'il annulerait plutôt tout ce qui venait d'être fait. Devant cette menace, la Reine céda, et l'on inséra dans l'accord les stipulations suivantes : La discussion des capitulations matrimoniales, des articles du contrat et des questions d'intérêt qui s'y rattachent est réservée ; lorsque les actes définitifs auront été dûment réglés et approuvés par les hautes parties contractantes, la forme et l'époque de la déclaration de ce mariage et sa célébration seront déterminées de manière à les associer, autant que faire se pourra, à la déclaration et à la célébration du mariage de Sa Majesté Catholique avec S. A. R. le duc de Cadix. Toujours sous l'empire de la même préoccupation, M. Bresson obtint, non sans livrer une autre bataille, que le décret de convocation des Cortès n'annonçât au public que le mariage de la Reine, sans parler de celui de l'Infante Pendant ce temps, à Paris, M. Guizot, faisant part à lord Normanby de ce qui venait d'être décidé à Madrid, et interrogé par lui sur le point de savoir si les deux mariages se feraient au même moment, répondait très sincèrement : Non, pas au même moment. Ainsi, jusqu'à la fin, notre gouvernement espérait éviter une simultanéité tout à fait complète des deux mariages. Il fut aussitôt visible que cette dernière résistance de la diplomatie française produisait un très fâcheux effet à Madrid : elle blessait nos amis, fournissait une arme à ceux qui rêvaient de crise ministérielle ou même d'insurrection, et risquait de remettre tout en question. C'est seulement par la vertu du fait accompli, disaient les ministres espagnols, qu'on en imposera à l'esprit de faction, et ils demandaient avec instance que les deux mariages fussent célébrés ensemble, le 10 octobre. Ces raisons, transmises aussitôt et appuyées avec force par M. Bresson, triomphèrent de ce qui restait encore de répugnance dans l'esprit de Louis-Philippe. Le consentement, qu'il avait fallu lui arracher, en quelque sorte, morceau par morceau, était enfin complet, et, le 4 septembre, M. Guizot écrivit par le télégraphe à son ambassadeur : Le Roi approuve que le mariage de Mgr le duc de Montpensier avec l'Infante soit célébré le même jour que celui de la Reine avec Mgr le duc de Cadix. Vous pouvez rendre public le fait que vous avez signé, avec M. Isturiz, un engagement pour le mariage de l'Infante avec le duc de Montpensier. Le même jour, le Journal des Débats annonçait le double mariage.

 

V

A la nouvelle de la décision prise à Madrid, grande fut la colère de lord Palmerston. Quelle mortification de débuter dans son nouveau ministère par un pareil échec ! Il la sentait d'autant plus que, tout occupé des menées souterraines par lesquelles il espérait nous ruiner en Espagne, il ne s'était pas rendu compte du travail qui s'y faisait contre lui. Oubliant volontairement qu'il avait lui-même rompu l'accord et commencé la guerre, il prit l'attitude d'un homme surpris par un acte d'hostilité au moment où il ne songeait qu'à vivre en paix. Je ne vous parlerai plus d'entente cordiale, répondit-il à la première communication de notre chargé d'affaires, parce que ce qu'on nous annonce nous prouve trop clairement qu'on ne veut plus, à Paris, ni de cordialité ni d'entente[28]. Dans le trouble de son dépit, il donnait à ce simple incident matrimonial des proportions étranges, y dénonçant l'acte le plus patent d'ambition et d'agrandissement politique que l'Europe eût vu depuis l'Empire[29]. Il ajoutait : Si le gouvernement français persiste à adopter le système d'ambition sans scrupule qui guida la politique étrangère sous Louis XIV et Napoléon, il n'y a pas de bon vouloir et de sentiments d'amitié de la part de l'Angleterre qui puissent être assez forts pour empêcher les relations entre l'Angleterre et la France de redevenir ce qu'elles étaient pendant les règnes de Napoléon et de Louis XIV[30]. Il ne se borna pas à ces exagérations. Avec ce goût des récriminations blessantes qui était dans sa nature, il se montra tout de suite résolu à porter la discussion sur un terrain particulièrement dangereux dans les controverses internationales,' celui de la bonne foi ; et, pour comble, ce n'était pas seulement le cabinet français qu'il s'apprêtait à accuser de déloyauté, c'était Louis-Philippe lui-même. Se rencontrant avec l'un des collègues de M. Guizot, M. Dumon, alors en Angleterre, il lui disait : Voilà la première fois qu'un roi de France n'a pas tenu sa parole[31]. Puis, tout fier de cette inconvenance, il s'empressait de la raconter à lord Normanby et à sir Henri Bulwer, et ne leur exprimait qu'un regret, celui d'avoir été ainsi trop complimenteur pour les prédécesseurs de Louis-Philippe[32]. — Nous sommes indignés, écrivait-il encore à Bulwer, de la mauvaise foi, de l'ambition sans scrupule, des basses intrigues du gouvernement français[33].

Il fallait s'attendre à cette irritation de lord Palmerston : nul moyen de l'éviter ni de l'apaiser. Mais y avait-il chance de la limiter, d'empêcher que cette irritation ne trouvât d'écho outre-Manche, que l'Angleterre n'épousât les griefs et les ressentiments de son ministre ? A l'avance, M. Guizot avait caressé quelque espérance de ce genre. Dès le 5 juillet 1846, au moment où se formait le ministère whig, il écrivait à M. Bresson : J'ai, avec lord Palmerston, cet avantage que, s'il survenait entre nous et Londres quelque refroidissement, quelque embarras, ce serait à lui, non à moi, qu'en France, en Angleterre, partout, on en imputerait la faute. Aussi à peine se vit-il, par suite de l'annonce des deux mariages, aux prises avec le secrétaire d'État, qu'il fit effort pour l'isoler clans son propre pays et jusque dans son cabinet. Il risqua même, pour obtenir ce dernier résultat, une démarche qu'on ne peut s'empêcher de trouver un peu inconsidérée : ce fut une lettre adressée, le 15 septembre, à M. de Jarnac, pour être communiquée au premier ministre, lord John Russell, et où l'éloge de celui-ci se mêlait à une plainte très vive sur la conduite suivie par lord Palmerston[34]. Telle était la confiance de M. Guizot que, quelques jours après, il écrivait à M. de Flahault[35] : J'ai de très bonnes nouvelles de lord John Russell ; n'en parlez pas, mais tenez pour certain que le bruit suscité par lord Palmerston n'ira pas loin. Cette illusion dura peu. Le premier soin de lord Russell fut de mettre la lettre de M. Guizot sous les yeux de celui-là même dont elle contenait la critique ; puis décrivit à M. de Jarnac, sur un ton assez raide, que le chef du Foreign office avait toute sa confiance, qu'il avait agi avec modération, et que c'était au contraire le gouvernement français qui avait prouvé, par sa conduite, le peu de prix qu'il attachait à l'amitié de l'Angleterre[36]. Lord John dépassait ainsi son vrai sentiment ; il n'était pas aussi assuré que son collègue fût sans tort. Lui-même n'a point caché plus tard combien il regrettait de ne s'être pas opposé à l'envoi de ces instructions du 19 juillet 1846, où il avait été si malencontreusement parlé du prince de Cobourg, et il a raconté par suite de quel incident il n'était pas intervenu : ces instructions lui avaient été communiquées un dimanche, au moment où il parlait pour le service divin, et, dans sa hâte, il ne les avait parcourues que superficiellement. Si je n'étais pas allé à l'église, ajoutait-il, j'y aurais fait plus d'attention ![37] Mais, tout en blâmant au fond son collègue, lord Russell se faisait un point d'honneur de le couvrir, dès qu'il le voyait accusé par un gouvernement étranger. Et puis lord Palmerston, qui s'était gardé de faire connaître aux autres ministres ses instructions secrètes à Bulwer, leur avait présenté notre consentement au double mariage comme un acte d'hostilité gratuite, mieux encore, comme le dénouement d'une intrigue ourdie de vieille date par Louis-Philippe, comme une fourberie longuement préméditée[38]. Ces accusations semblaient avoir trouvé créance chez ses collègues ; lord Clarendon disait à M. Dumon qu'il n'y avait qu'un sentiment dans le cabinet anglais sur la conduite de la France[39], et l'un des personnages les plus considérables du parti whig, lord Lansdowne, déclarait que tout le monde reconnaissait la nécessité de changer de conduite envers Louis-Philippe[40].

Si M. Guizot ne parvenait pas à détacher de lord Palmerston ceux qui lui étaient liés par la communauté de parti et de responsabilité, il pouvait sans doute espérer une appréciation plus favorable de la part des adversaires du ministère whig, et particulièrement de son ami lord Aberdeen, dont il avait tant de fois éprouvé l'esprit droit et conciliant. Il lui avait écrit, dès le 7 septembre, toutes les raisons qu'il avait eues de considérer comme annulés les engagements pris à Eu. Lord Aberdeen lui répondit amicalement et tristement, le 14 septembre, qu'il ne trouvait pas ces raisons suffisantes. Ignorant les secrètes menées de son successeur, il se refusait à croire que celui-ci eût voulu s'écarter de la politique d'entente suivie avant lui. Je suis satisfait, ajoutait-il, de savoir que vous ne voudriez jamais avoir fait un acte pour lequel vous ne vous sentiriez pas pleinement justifié ; mais, je l'avoue, mon cher monsieur Guizot, il m'est impossible de découvrir des motifs plausibles pour le choix qui a eu lieu[41]. Quelques jours après, lord Aberdeen écrivait au prince Albert : Je me soucie fort peu du mariage en lui-même, mais je sens vivement la violation de l'engagement pris, et je suis encore à me demander si Guizot a pu se sentir tranquille envers sa conscience, à la suite de la conduite qu'il a tenue[42]. Avec le temps, il est vrai, la sévérité de ce jugement s'adoucit un peu ; lord Aberdeen finit par se déclarer convaincu de la bonne foi du ministre français, de la sincérité des soupçons qui avaient déterminé sa conduite, et il affirma que si lui, Aberdeen, était resté au pouvoir, rien de pareil ne fût arrivé[43]. Sur ce dernier point, il était absolument dans le vrai.

L'une des principales préoccupations de Louis-Philippe devait être de savoir comment l'événement serait pris par la reine Victoria. On sait sur quel pied d'intimité familière les relations des deux cours s'étaient établies depuis la première entrevue d'Eu, en 1843 : visites annuelles qui, des deux parts, étaient toujours trouvées trop rares et trop courtes ; correspondance fréquente, affectueuse, on peut même dire tendre[44], et que la Reine avait continuée après la rentrée de Palmerston au Foreign office, sans paraître supposer que ce fait pût altérer une telle intimité[45]. Mais on sait aussi quel intérêt l'épouse du prince Albert portait à ce qui touchait les Cobourg ; on n'a pas oublié non plus qu'elle avait été personnellement partie dans les arrangements relatifs aux mariages espagnols, et qu'elle-même avait reçu à Eu, en 1845, de la bouche de Louis-Philippe, l'engagement de ne pas célébrer le mariage du duc de Montpensier avant que la Reine eût eu des enfants. Depuis lors, elle en était restée à cet engagement, et rien ne l'avait préparée à le voir rompre. Elle se piquait, pour son compte, d'être demeurée fidèle à l'entente, et de cette fidélité elle venait même de donner une preuve qui ne lui avait pas peu coûté : je veux parler de ce conseil de famille tenu entre elle, le prince Albert et le roi des Belges, où il avait été décidé de détourner Léopold de Cobourg de ses visées matrimoniales, tant que le roi des Français y ferait une aussi formelle opposition[46]. Quant aux menées hostiles par lesquelles, pendant ce temps, lord Palmerston avait obligé le gouvernement français à reprendre sa liberté, la Reine paraissait n'en rien savoir. D'une part, le coupable s'était gardé de l'en informer ; de l'autre, elle n'avait reçu directement de Louis-Philippe, au sujet de ces menées et des conséquences que notre gouvernement pourrait être conduit à en tirer, aucun avertissement préalable, analogue à ceux que M. Guizot faisait alors parvenir à Palmerston lui-même. Si le Roi n'avait ainsi rien dit, ce n'était pas par un calcul machiavélique et pour entretenir la Reine dans une trompeuse sécurité ; c'était que, jusqu'à la veille de la décision finale, il s'était refusé à se servir de la liberté qui lui était rendue et avait compté se renfermer quand même dans les termes des engagements d'Eu. Mais, pour être ainsi explicable, ce silence n'en eut pas moins, sur le moment, un effet fâcheux. La Reine en fut plus portée, quand lui arriva, tout à fait à l'improviste, la nouvelle des deux mariages, à se croire la victime d'une surprise déloyale. Il n'y eut pas alors jusqu'à l'intimité de ses rapports avec Louis-Philippe qui ne contribuât à lui faire sentir davantage l'offense, en y mêlant cette impression, particulièrement douloureuse pour une femme jeune en face d'un vieillard, de l'amitié trahie, de la confiance trompée. Ajoutez-y, sans aucun doute, quoiqu'on en parlât moins haut, le dépit de voir écarter définitivement ce mariage Cobourg que la Reine n'osait faire contre nous, mais auquel elle avait toujours espéré nous voir acculés par les circonstances. Ce dépit était particulièrement vif chez le prince Albert[47]. Livrée à elle seule, Victoria, qui, malgré ses griefs, gardait un fond d'affection pour notre famille royale[48], n'eût probablement pas refusé d'écouter les explications de Louis-Philippe et eût saisi volontiers quelque occasion de le traiter en ami. Ce fut son mari qui l'en détourna, avec le concours de leur conseiller, l'Allemand Stockmar, toujours fort ardent à nous desservir[49]. Sous ces influences, la Reine répudia promptement toutes les velléités de réconciliation qui avaient pu lui traverser l'esprit et ne fut plus qu'à son ressentiment. Rien n'égale l'indignation de la Reine contre la conduite du Roi, notait bientôt après M. Greville sur son journal ; elle en a parlé à Clarendon dans les termes les moins mesurés[50]. Le duc de Broglie écrivait à son fils : C'est la Reine qui échauffe son ministère[51].

Louis-Philippe ne fut pas longtemps à s'apercevoir qu'il ne pouvait pas compter sur l'amitié de la reine d'Angleterre, pour contenir ses ministres. Il avait cru moins provoquer les controverses en lui faisant annoncer le mariage du duc de Montpensier, par la reine Marie-Amélie, comme un simple événement de famille, intéressant uniquement le bonheur de son fils chéri ; la lettre, datée du 8 septembre, était écrite sur le ton d'amicale familiarité en usage entre Eu et Windsor, et l'on s'y informait, au nom du Roi, si les pêches, récemment envoyées, étaient arrivées à bon port. Dans ce tour plus ou moins heureux, mais pris évidemment à bonne intention, l'entourage de Victoria s'appliqua à lui faire voir une aggravation d'offense. Elle répondit, le 10 septembre, d'une façon fort sèche, rappelant à sa correspondante tous les faits que celle-ci avait volontairement laissés de côté, ce qui s'était passé à Eu entre les deux souverains, le refus fait par la famille royale d'Angleterre d'arranger le mariage Cobourg, refus qui n'avait pas eu d'autre cause que le désir d'être agréable au Roi ; puis elle ajoutait : Vous pourrez donc aisément comprendre que l'annonce soudaine de ce double mariage ne peut nous causer que de la surprise et un bien vif regret. Je vous demande pardon, Madame, de vous parler politique dans ce moment, mais j'aime à pouvoir me dire que j'ai toujours été sincère avec vous[52].

Je doute que ma réponse leur plaise beaucoup, disait Victoria à lord Clarendon, après avoir écrit cette lettre[53]. Louis-Philippe, en effet, en ressentit un vrai chagrin. Il voulut tenter un effort pour obtenir une appréciation plus juste. Dans ce dessein, il écrivit, le 14 septembre, à sa fille, la reine des Belges, une très longue lettre justificative, en réalité destinée à la reine d'Angleterre. J'y ai consacré, mandait-il à sa fille, d'arrachepied et sans regret, trois nuits jusqu'à quatre heures du matin, malgré les cris de la Reine, de ma sœur et de toute la famille, qui prétendaient que je me tuais... Je me serais soumis volontiers à encore plus de fatigue, s'il l'avait fallu, pour achever ce travail, tant a été profonde la peine que j'ai ressentie de la lettre de la reine Victoria, et de l'injuste préjugé dont je l'ai vue animée dans cette affaire. La lettre débutait ainsi : La Reine vient de recevoir une réponse de la reine Victoria à la lettre que tu sais qu'elle lui avait écrite, et cette réponse m'a fait une vive peine. Je suis porté à croire que notre bonne petite reine a eu presque autant de chagrin à écrire cette lettre que moi à la lire. Mais enfin elle ne voit maintenant les choses que par la lunette de lord Palmerston, et cette lunette les fausse et les dénature trop souvent. C'est tout simple ; la grande différence entre la lunette de lord Aberdeen et celle de lord Palmerston provient de la différence de leur nature : lord Aberdeen aimait à être bien avec ses amis ; lord Palmerston, je le crains, aime à se quereller avec eux. Louis-Philippe reprenait ensuite, dès l'origine, l'histoire des mariages ; il montrait comment il avait été amené bien malgré lui, parla politique de lord Palmerston, à dévier des conventions premières, et exprimait son regret qu'on n'eût pu éviter ce qui avait été, pour les uns, un grand et inutile désappointement, pour lui, un des plus pénibles chagrins qu'il eût éprouvés, et Dieu savait qu'il n'en avait pas manqué pendant sa longue vie. Il terminait ainsi : Actuellement, c'est à la reine Victoria et à ses ministres qu'il appartient de peser les conséquences du parti qu'ils vont prendre et de la marche qu'ils suivront. De notre côté, ce double mariage n'opérera dans la nôtre d'autres changements que ceux auxquels nous serions contraints par la nouvelle ligne que le gouvernement anglais jugerait à propos d'adopter... Nous ne voyons aucun intérêt, aucun motif, ni pour l'Angleterre, ni pour nous, à ce que notre entente cordiale soit brisée, et nous en voyons d'immenses à la bien garder et à la maintenir. C'est là mon vœu, c'est celui de mon gouvernement. Celui que je te prie d'exprimer de ma part à la reine Victoria et au prince Albert, c'est qu'ils me conservent dans leur cœur cette amitié et confiance auxquelles il m'a toujours été si doux de répondre par la plus sincère réciprocité et que j'ai la conscience de n'avoir jamais cessé de mériter de leur part[54].

La reine Victoria répondit, le 27 septembre, en s'adressant également à la reine des Belges. Dans sa lettre, qui était évidemment l'œuvre du prince Albert[55], elle réfutait longuement et durement toute l'argumentation du Roi, sans se montrer touchée de ses protestations. Une seule citation donnera l'idée du point de vue où elle se plaçait : elle déclarait que ses sentiments de justice ne se prêteraient jamais à reconnaître que lord Palmerston se fût écarté de l'entente cordiale établie entre le gouvernement français et lord Aberdeen. Elle concluait en ces termes : J'ai donc tout bien considéré par moi-même et en voyant de mes propres yeux, et il m'est impossible de reconnaître que le Roi fût dégagé de sa parole. Rien au monde de plus pénible n'eût pu m'arriver que ce triste désaccord, et parce qu'il a un caractère si personnel, et parce qu'il m'impose le devoir de m'opposer au mariage d'un prince auquel je porte, ainsi qu'à toute sa famille, une amitié aussi vive[56]. Lord Palmerston, qui eut aussitôt connaissance de cette lettre, en fut naturellement ravi. J'en approuve tous les mots, écrivait-il à Bulwer[57]. Il eût voulu crier sur les toits une si heureuse nouvelle : aussi son journal annonça-t-il bien haut que la souveraine partageait l'indignation générale contre la conduite du gouvernement français ; elle comprend, ajoutait-il, que la confiance, si naturellement produite par le fréquent échange de courtoisies royales, a été grandement abusée. Louis-Philippe ne crut pas que sa dignité lui permît d'insister davantage. Il cessa donc toute correspondance, même indirecte, avec la reine Victoria, attendant du temps la justice à laquelle il croyait avoir droit.

Quand les choses étaient aussi mal prises à la cour et dans les hautes régions politiques, il ne fallait pas s'attendre qu'elles le fussent bien dans la nation anglaise elle-même. Au premier moment, cependant, on avait pu croire que celle-ci se montrerait assez indifférente. Lord Clarendon lui-même le constatait et s'en plaignait[58]. Dans un article que nos feuilles ministérielles s'empressèrent de reproduire, le Times déclara tranquillement, le 3 septembre, que les intérêts britanniques n'étaient pas sérieusement engagés dans cette affaire. Mais sous l'effet des remontrances et des excitations du Moming Chronicle, organe personnel de lord Palmerston, le ton des journaux anglais changea bientôt. Tous, le Times en tête, se mirent à déclarer que l'Angleterre serait amoindrie par ce mariage ; ils accusèrent le gouvernement français de déloyauté et le dénoncèrent comme ayant commis, avec une intention résolue et méditée, un grand outrage international. La polémique descendit plus bas encore : pas d'ignominie que ces journaux n'imaginèrent. Ils affirmèrent que Louis-Philippe, de connivence avec Christine, avait fait constater médicalement la stérilité de la reine Isabelle, et que le mariage du duc de Montpensier était une spéculation faite sur cette stérilité. Le Times raconta aussi, sans sourciller, que le consentement de la jeune reine avait été extorqué par M. Bresson, au milieu d'une orgie nocturne[59], et, partant de là, il s'écriait : Quel intrus se glisse hors du palais à sept heures du matin, si tôt s'il s'agit d'affaires, si tard s'il s'agit de fêtes ? Quelles orgies ont eu lieu dans le palais des deux vierges royales que l'honneur chevaleresque de l'Espagne doit protéger ? A Paris, il y a des hommes qui tirent le nom distinctif de leur industrie spéciale, de l'air dégagé avec lequel on les voit sortir de grand matin d'une maison où ils ont passé la nuit à cueillir les fleurs qui l'embellissent. Cet homme est un Français. Appartient-il à cette catégorie ? Le chevalier d'industrie qui en impose à la simplicité des Espagnols n'est rien moins que l'agent accrédité et investi de toute la confiance d'un grand roi. Il emporte une Infante dans son sac... Et le Times ajoutait, en prenant personnellement Louis-Philippe à partie : Quiconque choisit pour son heure l'heure de minuit, entre par la porte dérobée et marche armé d'une lanterne sourde et d'un levier, doit à coup sûr avoir conscience de l'improbité de sa conduite. Louis-Philippe est l'homme qui a le moins su sauver les apparences, s'il n'a pas commis un crime contre l'Europe. La polémique continua sur ce ton. Mis à un tel régime d'excitation, le public anglais finit par s'échauffer : lui aussi se persuada que son pays venait d'être la victime de la perfidie et de l'ambition de la France.

Il fut donc promptement manifeste que l'Angleterre tout entière, de la souveraine au peuple, prenait à son compte la querelle de lord Palmerston. C'était, pour notre gouvernement, une grosse déception et un accident malheureux. Avait-il fait tout ce qu'il fallait pour le prévenir ? Préoccupé de réussir dans la contre-mine qu'il opposait à la mine creusée par la diplomatie anglaise, n'avait-il pas trop perdu de vue l'effet que devait produire une explosion à laquelle nul n'était préparé ? Si le mystère et la surprise avaient leurs avantages, ils avaient aussi leurs dangers. Des précautions étaient à prendre pour qu'outre-Manche, dans le public, chez les hommes politiques, à la cour surtout, personne ne pût, au moment décisif, se tromper sur les responsabilités, ni mettre en doute notre loyauté. Ces précautions étaient sans doute malaisées à concilier avec les exigences d'une lutte que lord Palmerston nous obligeait à faire souterraine : je ne nie pas la délicatesse du problème, mais je constate que notre gouvernement ne l'avait pas résolu, et qu'il ne paraissait même pas avoir tenté de le résoudre. C'est peut-être la principale, l'unique faute commise par le gouvernement français : elle devait avoir de fâcheuses conséquences.

 

VI

Dans cette affaire des mariages, notre gouvernement avait donc contre lui toute l'Angleterre : avait-il du moins avec lui toute la France ? De ce côté-ci de la Manche, comme de l'autre, les divers partis s'unissaient-ils pour faire front contre l'étranger ? A première vue, il n'était pas de question où M. Guizot pût se croire plus à l'abri des critiques de la gauche. En effet, depuis plusieurs années, le grand grief des opposants, celui qui récemment encore, lors des élections générales de 1846, fournissait matière à toutes leurs déclamations, était la prétendue pusillanimité qui empêchait le gouvernement français de tenir tête à l'Angleterre. Cette défaillance si souvent dénoncée à l'occasion du droit de visite, de l'indemnité Pritchard et du traité avec le Maroc, les journaux de gauche avaient toujours paru s'attendre qu'elle se reproduirait en Espagne, dans les négociations relatives au mariage de la Reine et de sa sœur. Tout récemment encore, au mois d'août, un article du Times leur avait fourni occasion de manifester leur dédaigneuse défiance. Cet article, contenant une sortie virulente et comminatoire contre notre prétention d'imposer un mari à la reine Isabelle, semblait conclure à remettre sur les rangs le prince de Cobourg. Presque toute la presse de Londres y fit écho, ce qui ne laissa pas que de causer quelque émoi à Paris. Le Journal des Débats se borna à relever l'attaque, sans y répondre à fond ; son souci évident était de ne pas faire descendre sur la place publique une discussion qui lui paraissait être du domaine des chancelleries. Aussitôt tous les journaux de gauche et de centre gauche, interprétant cette réserve de la feuille ministérielle comme un manque de courage, dénoncèrent la reculade, la nouvelle génuflexion que M. Guizot s'apprêtait à faire devant les exigences de lord Palmerston. — Voilà, s'écriaient-ils, l'ère des humiliations rouverte du côté de l'Espagne ![60] Telle était la vivacité de leur émotion, qu'elle durait encore, alors qu'à leur insu tout était déjà décidé, à Madrid, dans un sens absolument opposé. C'est le 28 août que les deux mariages furent convenus entre la cour d'Espagne et M. Bresson ; le 31, le National continuait à s'indigner à la pensée que M. Guizot n'oserait pas persister dans la politique formulée si nettement par lui, quatre ans auparavant, et qu'il sacrifierait les intérêts séculaires de notre pays. Le 3 septembre, en même temps que le Journal des Débats annonçait les mariages, le Constitutionnel, qui les ignorait encore, faisait une peinture méprisante de cette diplomatie française, maladroite, peureuse, en train d'abandonner à Madrid tout ce qu'elle avait exigé, et il ajoutait ironiquement que le duc de Montpensier, exclu d'Espagne par lord Palmerston, allait être réduit à chercher femme en Allemagne.

En voyant leurs injurieuses prévisions si complètement démenties par l'événement, quelle pouvait être l'attitude de ces journaux ? Qu'ils reconnussent leur tort et fissent amende honorable, c'eût été leur demander une vertu peu en usage dans les luttes de partis. Mais ne devait-on pas s'attendre qu'au moins ils ne blâmassent pas le gouvernement pour avoir fait le contraire de ce qu'à l'avance ils venaient de flétrir comme une lâcheté ? Au premier moment, sous le coup de la surprise, ils parurent surtout fort embarrassés. Reconnaissant que le choix du duc de Cadix était bon, ils insinuèrent qu'il avait été fait malgré M. Guizot et contre lui ; ne pouvant pas nier que le mariage du duc de Montpensier serait un succès pour la politique française, ils affectèrent d'en mettre en doute la réalité. Mais de telles contre-vérités ne pouvaient longtemps se soutenir, et ces journaux se voyaient acculés à confesser que le ministère venait de montrer précisément la hardiesse dont on l'avait proclamé incapable. Plusieurs faisaient déjà, de plus ou moins bonne grâce, cet aveu qu'ils sentaient d'ailleurs répondre au sentiment général, même à celui de leurs partisans, quand M. Thiers intervint pour empêcher ce qu'il regardait comme une grosse faute de tactique. À ceux de ses amis ou de ses alliés qui se laissaient aller à se réjouir du succès remporté par la politique française et de l'échec infligé à la politique anglaise, le chef du centre gauche représenta vivement qu'ils faisaient fausse route, que le ministre leur donnait barre sur lui, et qu'ils seraient des niais de ne pas en profiter. Il leur montra, dans les difficultés créées par l'irritation de lord Palmerston, une occasion à saisir pour jeter bas M. Guizot. Le jeu de l'opposition lui paraissait devoir être d'alarmer les intérêts et les imaginations sur les dangers du conflit, de telle sorte que le Roi et l'opinion, effrayés, se décidassent à changer de ministère pour retrouver leur sécurité. Sans doute, c'était le contre-pied de ce que l'opposition avait dit jusqu'alors ; mais il n'y avait pas là de quoi embarrasser un esprit aussi souple et aussi leste. Sans doute encore, le patriotisme eût dû. lui faire un scrupule de seconder un ministre étranger qui cherchait à diminuer, à humilier la France ; mais nous avons vu que, depuis assez longtemps déjà, l'ancien président du conseil du 1er mars avait jugé de son intérêt parlementaire de lier partie avec l'ancien auteur du traité du 15 juillet 1840[61].

Non content d'agir par ses conversations particulières, M. Thiers se servit du Constitutionnel pour donner publiquement le signal et développer le thème de cette nouvelle opposition. Dès le milieu de septembre, ce journal se mit à exalter l'alliance anglaise et à déplorer de la voir rompue par le coup de tête, par la dangereuse étourderie des mariages espagnols. Cette rupture, il l'imputait au gouvernement français, l'accusant, sur la foi des feuilles étrangères, d'intrigue, de déloyauté, de brutalité dictatoriale, vantant par contre la modération de lord Palmerston. Il s'efforçait de grossir ce conflit, et recueillait avec une telle complaisance toutes les menaces venues du dehors, qu'il paraissait en désirer la réalisation. Et pour quel avantage, demandait-il, s'était-on ainsi exposé ? Il n'en découvrait pas d'autre que la riche dot de l'Infante ; et il montrait ce gouvernement, naguère si pusillanime quand les grands intérêts du pays étaient en jeu, devenu téméraire dès qu'il s'agissait de satisfaire une cupidité dynastique. A cette situation il ne voyait que deux issues possibles : ou une lutte aboutissant tôt ou tard à la guerre, ou, ce qui lui paraissait plus probable, étant donné le tempérament des hommes au pouvoir, quelque nouveau sacrifice de l'honneur national en vue de racheter les bonnes grâces de l'Angleterre.

On put se demander un moment si la thèse du Constitutionnel prévaudrait dans la presse d'opposition. Le Siècle, qui passait pour l'organe de M. Odilon Barrot, se montrait réfractaire : non qu'il fût disposé à louer le cabinet ; il s'appliquait à réduire autant que possible la portée du succès obtenu ; mais enfin il se refusait à y voir un sujet de blâme et à faire le jeu de lord Palmerston. Très contrarié de cette note discordante, M. Thiers échangea, à ce sujet, avec quelques-uns de ses amis qui avaient d'abord encouragé le Siècle, une correspondance assez aigre qui faillit amener une rupture. Mais le Siècle n'eut pas d'imitateurs. Au bout de quelques jours, presque toutes les feuilles de gauche et de centre gauche avaient emboîté le pas derrière le Constitutionnel, et méritaient que le Journal des Débats les qualifiât d'organes français du cabinet britannique. M. Thiers était arrivé à ses fins. De Londres, lord Palmerston, agréablement surpris d'un tel concours, envoyait à ces journaux ses remerciements ; le Morning Chronicle vantait la haute moralité d'une telle alliance, et le Times louait, probablement non sans un peu d'ironie méprisante, le désintéressement inattendu de l'opposition française.

 

VII

Bien que le choix du duc de Cadix comme époux de la Reine déplût fort à lord Palmerston, celui-ci s'y résignait faute de trouver aucun prétexte plausible pour s'y opposer. C'était contre le mariage du duc de Montpensier avec l'Infante qu'il était résolu à concentrer tous ses efforts. Sans doute ce mariage était convenu entre les parties, annoncé pour une date très prochaine ; mais, tant qu'il n'était pas accompli, on pouvait encore chercher à l'empêcher, ou tout au moins à le retarder. Le ministre anglais décida d'y employer les quelques semaines qui devaient s'écouler avant qu'on pût procéder à la célébration. Il se flattait de suppléer à la brièveté du délai par l'activité et l'énergie de son action.

Ce fut d'abord en Espagne que les obstacles lui parurent les plus faciles à faire naître. Son ressentiment avait là, dans sir Henri Bulwer, un instrument dont il pouvait tout attendre. A la première nouvelle de l'arrangement conclu pour les mariages, Bulwer n'avait pas caché son intention de ne garder aucun ménagement. Je vous déclare solennellement, disait-il à M. Donozo Cortès, que nous regardons le mariage de l'Infante comme un acte d'hostilité, et que mon gouvernement n'épargnera rien pour amener en Espagne un bouleversement complet[62]. Coup sur coup, le 31 août, le 5 et le 8 septembre, il adressa à M. Isturiz des notes où il dénonçait, dans ce mariage, l'un des plus graves événements qui pussent survenir en Europe, déclarait que son accomplissement altérerait les relations de l'Angleterre avec l'Espagne, et reprochait au gouvernement de Madrid de faire de son droit d'indépendance un usage contraire à l'indépendance réelle du pays. Loin d'envelopper ses démarches du secret diplomatique, il avait soin que les journaux en parlassent, et dans des termes faits pour inquiéter le public sur les résolutions ultérieures du cabinet de Londres. Aux vaisseaux anglais en station devant Cadix ou Gibraltar, il envoyait ouvertement des courriers qui paraissaient leur porter des ordres de blocus ou d'hostilité. En même temps, comme pour réaliser sa menace de bouleversement, il excitait, en Espagne, les partis hostiles, apportant dans ce rôle d'agitateur une passion qui faisait dire de lui au comte Bresson : Ce n'est plus le ministre d'une grande cour, c'est un artisan d'émeutes et de conspirations[63]. Sous cette impulsion, les progressistes se mirent aussitôt à publier des protestations ou à faire signer des pétitions contre le mariage du duc de Montpensier. La violence de leurs journaux semblait un préliminaire de guerre civile. Parmi les arguments de cette polémique il en est un qui mérite d'être noté, à cause de l'importance diplomatique qu'on devait chercher plus tard à lui donner : c'est celui que, dès le 3 septembre, la presse radicale de Madrid prétendit tirer du traité d'Utrecht, qui avait mis fin à la guerre de la succession d'Espagne, et des renonciations réciproques faites alors, d'une part, par Philippe V et ses descendants au trône de France, de l'autre, par les princes français et leurs descendants au trône d'Espagne. On soutenait qu'en vertu de ces actes, l'héritier possible de l'un des trônes ne pouvait épouser l'héritière possible de l'autre, et qu'en tout cas les enfants issus d'une telle union seraient déchus, des deux côtés, de leurs droits successoraux.

On croit toujours facilement ce que l'on désire. L'agitation factice provoquée en Espagne par les menées de Bulwer parut à Londres un puissant mouvement national contre lequel ne pourraient prévaloir des intrigues de cour. Vers le 8 septembre, les journaux anglais annonçaient déjà que le mariage de l'Infante avec le duc de Montpensier n'aurait jamais lieu, et cela pour des raisons espagnoles ; ils prédisaient, au cas où l'on voudrait l'imposer, une guerre civile longue et sanglante. — La brusque tentative de M. Bresson, ajoutaient-ils, vient d'allumer en Espagne un incendie qui ravagera tout le pays, depuis Saint-Sébastien jusqu'à Gibraltar, et du Portugal à la Méditerranée. C'était le sentiment, et l'on peut dire l'espoir de lord Palmerston. Il adressait à Bulwer ses encouragements : J'approuve tout ce que vous avez fait, lui mandait-il le 16 septembre, et je vous dis, comme lord Anglesea aux Irlandais : Agitez, agitez, agitez. S'il lui recommandait de ne pas se compromettre ouvertement dans quelque projet d'insurrection, il l'invitait à ne pas dissuader ceux qui voudraient en tenter une à leurs risques et périls. C'était même de toutes mains qu'il se montrait prêt à accepter la révolution qui l'eût vengé ; il recommandait à Bulwer de ne pas perdre de vue le concours qu'on pouvait tirer des carlistes, ou bien il caressait l'espoir de quelque pronunciamento fait par ce général Narvaez qu'il avait tant de fois dénoncé comme un oppresseur, mais qu'il supposait être en ce moment un mécontent[64]. Ce qu'il écrivait secrètement à son agent, ses journaux le proclamaient tout haut, multipliant sans vergogne les appels à ces alliés si nouveaux pour eux[65]. Si Narvaez, disait le Times, veut fournir aux sentiments de l'Espagne les moyens de se formuler, il pourra conquérir un plus noble titre que ceux de Blücher ou de Bolivar. Lord Palmerston ne se contentait pas d'aider ainsi Bulwer à bouleverser la Péninsule ; il l'aidait également à intimider le cabinet de Madrid. Pour confirmer et fortifier les démarches comminatoires que, de son chef et sans attendre d'instructions, le ministre d'Angleterre avait déjà faites, il lui envoyait, le 14 septembre, une note qui devait être remise au cabinet de Madrid et qui le fut, en effet, le 22. Dans ce document il était fait, au nom du gouvernement britannique, de très fortes remontrances et une protestation formelle contre un mariage qui mettait en péril l'indépendance de l'Espagne et, par suite, affectait sérieusement l'équilibre européen. On y exprimait, en terminant, l'espoir de voir abandonner un projet dont la réalisation exercerait la plus fâcheuse influence sur les relations des deux couronnes anglaise et espagnole. Ajoutons que, dès le 19 septembre, les journaux de Madrid, en rapport avec la légation britannique, révélaient au public la démarche que Bulwer avait reçu l'ordre de faire, s'efforçaient d'y montrer un événement gros de conséquences, et affirmaient que Louis-Philippe n'oserait pas passer outre.

Mais pendant qu'à Londres, sur la foi des crémières nouvelles, on s'attendait à voir l'Espagne elle-même empêcher le mariage, les événements prenaient dans la Péninsule une direction toute contraire. Le bruit que les progressistes étaient parvenus un moment à soulever tombait au bout de peu de temps, sans avoir trouvé d'écho dans le pays. Les pétitions ne recueillaient qu'un nombre insignifiant de signatures. La nation demeurait calme, ou, si elle paraissait disposée à s'émouvoir, c'était de l'injure faite à son indépendance par l'impérieuse invasion de la diplomatie anglaise dans ses affaires intérieures. Nulle tentative de guerre civile, nulle démonstration populaire, et même, dans les Cortès réunies le 14 septembre, nul symptôme d'une opposition parlementaire sérieuse : le 18 et le 19, le Sénat et le Congrès adoptèrent, l'un à l'unanimité, l'autre à 159 voix contre une, des adresses de félicitation à la Reine sur les deux mariages. Le désappointement fut grand à Londres. Les journaux de lord Palmerston se mirent à invectiver l'apathie de l'Espagne. Nous devions compter sur les Espagnols eux-mêmes, écrivait le Times, mais l'Espagne a oublié sa force, quoiqu'elle n'ait pas désappris sa jalousie. De tels emportements n'aboutissaient qu'à blesser davantage la fierté castillane, et le gouvernement de Madrid en était fortifié dans sa résistance. Le 29 septembre, M. Isturiz répondit, sur un ton très digne et très ferme, à la note anglaise. Le gouvernement britannique, dit-il, qui se montre si jaloux de l'indépendance de l'Espagne, ne trouvera pas mauvais que l'Espagne agisse dans la limite des lois internationales, c'est-à-dire sans nuire aux intérêts des autres gouvernements, comme c'est le cas relativement à l'affaire en question, à propos de laquelle l'Angleterre ne peut mettre en avant aucune violation des traités ; il ne trouvera pas mauvais, dis-je, que l'Espagne repousse énergiquement une protestation qui tend à restreindre son indépendance, et qu'elle proteste à son tour contre la protestation que révèle cet acte. Bulwer en était réduit à constater, dans une nouvelle communication faite le 3 octobre à M. Isturiz, le complet insuccès de ses démarches. Je sais, disait-il avec un dépit non dissimulé, que les faits ne tarderont pas à mettre fin à la discussion ; mais, en terminant, je ne puis m'empêcher d'exprimer la conviction qu'en dépit de la grande habileté avec laquelle cette affaire a été conduite par Votre Excellence, et du peu de talent que j'y ai apporté, les juges impartiaux remarqueront que c'a été le lot du ministre anglais de défendre les vrais intérêts et l'indépendance de l'Espagne contre Votre Excellence, à qui, en qualité de ministre de Sa Majesté Catholique, leur défense aurait été plus convenablement confiée.

 

VIII

A mesure que s'affaiblissait l'espoir, un moment caressé, de voir le mariage empêché par la seule résistance de l'Espagne, lord Palmerston jugeait nécessaire de se découvrir davantage et de chercher à peser directement sur. le gouvernement français. Ainsi fut-il amené à adresser, le 22 septembre, à lord Normanby, qui venait de remplacer lord Cowley à l'ambassade de Paris, non une note formelle, comme il avait fait avec le gouvernement de Madrid, mais une dépêche dont lecture devait être donnée et copie laissée à M. Guizot. Ce document fort étendu commençait par une longue récrimination sur le passé. Les faits y étaient présentés de telle sorte que le gouvernement français paraissait avoir profité de la loyauté confiante du gouvernement britannique pour le tromper par toute une suite de machinations. Lord Palmerston n'admettait pas que la mention faite du prince de Cobourg dans ses instructions du 19 juillet nous eût libérés de nos engagements ; il déclarait n'avoir jamais patronné qu'un candidat, don Enrique, et se défendait d'avoir fait pour le prince de Cobourg rien qui justifiât les soupçons du cabinet de Paris, soupçons dont il mettait en doute jusqu'à la sincérité. Cette intrépidité d'affirmations nous paraît étrange, à nous qui connaissons aujourd'hui les instructions confidentielles envoyées à Bulwer. Lord Palmerston ne se faisait pas scrupule de nier ce qu'il savait être encore secret. Seulement, comme s'il prévoyait que, d'un moment à l'autre, la fausseté de ses négations pouvait éclater, il soutenait, en abusant manifestement de ce qu'il y avait eu d'un peu vague et équivoque dans certaines déclarations de lord Aberdeen, que le gouvernement anglais s'était toujours considéré comme parfaitement libre d'appuyer la candidature du prince de Cobourg. Ainsi aboutissait-il à cette conclusion qu'il aurait eu le droit de travailler contre nous, tout en étant garanti par nos promesses contre les moindres représailles de notre part. Après cette querelle rétrospective, il en venait aux conclusions présentes, qui consistaient en des représentations et une protestation formelles contre le mariage du duc de Montpensier. Partant de l'idée qu'une telle combinaison tendait à lier la politique de l'Espagne et de la France d'une manière qui serait dangereuse pour d'autres Etats, il la dénonçait comme incompatible avec le respect dû au maintien de l'équilibre européen, comme altérant nécessairement les rapports entre la France et l'Angleterre, et comme pouvant compromettre gravement la paix européenne. Il ne s'en tint pas là : il n'hésita pas à emprunter à la presse progressiste de Madrid l'argument tiré du traité d'Utrecht et des renonciations faites à cette époque, déclarant, par cette raison, le mariage de l'Infante avec un prince français contraire à la constitution espagnole et, en tout cas, les enfants à naître de cette union exclus de la succession à la couronne d'Espagne[66]. Sans doute il eût suffi d'un peu de réflexion et d'un simple coup d'œil sur les précédents, pour se rendre compte qu'on donnait ainsi au traité une portée à laquelle personne n'avait jamais songé. Pourvu qu'on assurât la séparation des deux couronnes, principe dominant du traité d'Utrecht, rien n'autorisait à étendre indéfiniment les exclusions et les déchéances. En fait, depuis 1713, de nombreux mariages avaient été contractés entre les Bourbons de France et ceux d'Espagne. L'Angleterre ni aucun autre signataire du traité n'avait protesté contre ces mariages, et les enfants qui en étaient nés n'avaient pas été privés de leurs droits ; — fort heureusement, car, autrement, on n'aurait plus trouvé, dans les deux pays, un seul prince qui ne fût pas exclu du trône, chacun d'eux ayant dans ses veines, par suite des mariages antérieurs, un peu du sang de l'autre branche. Mais c'était le propre de lord Palmerston, quand il se trouvait engagé dans une polémique, de faire arme de tout, et de ne pas beaucoup regarder à la valeur des arguments qu'il employait. Après avoir appuyé de ces raisons diverses ses représentations et sa protestation contre le mariage du duc de Montpensier, le secrétaire d'État terminait en exprimant l'espoir fervent que ce projet ne serait pas mis à exécution. Quelques jours plus tard, le 27 septembre, la reine Victoria finissait par un vœu semblable la lettre qu'elle écrivait à la reine des Belges, en réponse à celle de Louis-Philippe[67]. Ma seule consolation, disait-elle, est que ce projet, ne pouvant se réaliser sans produire de graves complications et sans exposer cette famille chérie — il s'agissait de la famille royale de France — à beaucoup de dangers, elle reculera encore devant l'exécution. Enfin, lord Palmerston ayant envoyé, le 28, à Bulwer l'ordre de remettre au cabinet de Madrid une seconde protestation entièrement fondée sur le traité d'Utrecht, il la communiquait aussitôt à M. Guizot, comme pour renouveler et fortifier la mise en demeure déjà contenue dans la dépêche du 22 septembre.

A Londres, on se flattait que ces démarches répétées et pressantes, appuyées par le langage menaçant de la presse anglaise et par le langage à dessein alarmiste d'une grande partie de la presse française, feraient impression sur le cabinet de Paris et particulièrement sur Louis-Philippe, dont on connaissait l'amour pour la paix. Le Times et le Morning Chronicle croyaient pouvoir annoncer la reculade de notre gouvernement. Quant à lord Palmerston, convaincu que le roi des Français allait lui offrir de retarder le mariage de son fils jusqu'à ce que la Reine eût des enfants, il examinait, dans ses lettres à Bulwer, l'accueil qu'il convenait de faire à une telle proposition ; il se montrait disposé à repousser toute combinaison qui ferait une part quelconque, même conditionnelle et lointaine, au duc de Montpensier, et prétendait nous imposer l'exclusion absolue de ce prince[68].

L'attente de lord Palmerston fut complètement trompée. Le gouvernement français ne parut pas intimidé. Le Journal des Débats, tout en se gardant de riposter sur le même ton aux violences de la presse britannique, les signalait avec une tristesse dédaigneuse et affectait de les prendre pour une boutade sans grande conséquence. Quand vint la protestation du 22 septembre, la feuille ministérielle ne s'en montra pas plus troublée. Nous croyons devoir répéter, disait-elle le 28 septembre, malgré tous les bruits contraires qu'on pourrait répandre, que les deux mariages se feront à l'époque désignée, et nous persistons à penser et à dire que les dissentiments auxquels cette résolution a pu donner lieu, quelque regrettables qu'ils soient, ne sont point de nature à compromettre les relations pacifiques des trois gouvernements. Elle ajoutait, le 3 octobre : La France, tout en appréciant à sa juste valeur un dissentiment qu'elle voit avec un très grand regret, n'en continuera pas moins à exercer un droit légitime. Ces déclarations étaient confirmées avec éclat par le départ du duc de Montpensier, qui se mettait en route pour l'Espagne, le 28 septembre, avant même que M. Guizot eût répondu à la communication anglaise du 22. On en fut fort dépité à Londres. L'Angleterre, disait le Times du 2 octobre, a protesté avec fermeté et modération, et l'unique réponse a été le départ de Montpensier. Si nous avions voulu imposer à Louis-Philippe son chef de cuisine, nous n'eussions pas été traités avec un silence plus dédaigneux. Le Morning Chronicle n'était pas moins amer. Ce fut seulement le 5 octobre que M. Guizot adressa à Londres une dépêche en réponse à celle de lord Palmerston : après y avoir longuement réfuté tous les arguments employés par le ministre anglais, il concluait en ces termes : Le gouvernement du Roi ne trouve aux représentations qui lui sont adressées aucun fondement grave et légitime ; il ne saurait donc les admettre, ni les prendre pour règle de sa conduite. Louis-Philippe lui-même, qui ne s'était exposé qu'à contre-cœur au conflit et à qui lord Palmerston s'était flatté de faire peur, n'eut aucune tentation de reculer ; il ne prenait pas très au sérieux les menaces anglaises : Je crois pouvoir affirmer, écrivait-il le 7 octobre au maréchal Soult[69], qu'il n'y a pas de canon dans tout ceci, et je dirai même qu'il ne peut pas y en avoir. Il ajoutait, quelques jours plus tard : La France n'a qu'à faire le hérisson et à se recroqueviller : personne n'osera l'attaquer, et le danger passera tout seul[70].

 

IX

Lord Palmerston n'avait donc pas mieux réussi en France qu'en Espagne. Mais là ne s'était pas borné son effort. C'était dans l'Europe entière qu'il voulait susciter des obstacles au mariage du duc de Montpensier. Sa prétention était de mettre les puissances continentales dans son jeu, de refaire la vieille coalition, de recommencer 1840. Dès le premier jour, dans ses conversations avec les ambassadeurs accrédités à Londres, comme dans les dépêches adressés à ses propres ambassadeurs à Vienne, à Berlin et à Saint-Pétersbourg, il tâcha de faire partager aux trois cours de l'Est son indignation contre la conduite déloyale du cabinet de Paris, leur représenta que le mariage du duc de Montpensier avait, par ses conséquences possibles, une importance européenne, et leur demanda formellement de protester avec lui contre ce mariage[71]. Ce fut surtout quand il se décida à invoquer le traité d'Utrecht qu'il crut avoir chance d'obtenir le concours des puissances. N'était-ce pas leur offrir un terrain où elles devaient se plaire, que celui des vieux traités sur lesquels était fondé l'équilibre européen ? Il apporta donc plus d'ardeur encore à les presser de s'unir à l'Angleterre pour proclamer qu'en vertu de ces traités, les enfants à naître du mariage éventuel du duc de Montpensier avec l'Infante seraient exclus de la succession au trône d'Espagne[72]. Vers la fin de septembre, les feuilles progressistes de Madrid et les journaux de gauche de Paris, tous plus ou moins dans la confidence du ministre anglais, annonçaient qu'il était assuré du concours de l'Europe. M. Guizot n'était pas, à ce sujet, sans quelque préoccupation. Il n'ignorait point que M. de Metternich lui en voulait beaucoup de n'être pas entré dans son idée d'un mariage entre le fils de don Carlos et Isabelle. Il savait aussi qu'à Berlin et à Saint-Pétersbourg on était, d'une façon générale, fort mal disposé pour la France de Juillet. Il s'occupa donc aussitôt à contrecarrer les démarches de la diplomatie britannique. En même temps que par des entretiens fréquents il agissait sur les ambassadeurs accrédités à Paris, il munissait ses propres agents au dehors de tout ce qui pouvait leur servir à réfuter les accusations anglaises[73]. N'hésitant pas à élargir la question, il rappelait que ses principes et ses actes aboutissaient tous au maintien du statu quo et du système conservatif ; il déclarait qu'il n'abandonnerait jamais cette ligne, et que les puissances pouvaient compter sur lui en Italie, en Suisse, et au besoin en Allemagne ; il présentait, au contraire, la politique de lord Palmerston comme menaçante pour les intérêts conservateurs en Europe, et il pressait les puissances de se joindre à la France pour faire face à ce danger[74]. De tels arguments étaient de nature à faire impression, d'autant que, sur divers théâtres, se produisaient alors des événements fort inquiétants pour les hommes d'Etat de la vieille Europe : en Italie, l'avènement de Pie IX venait de donner le signal d'un mouvement réformateur et national dont on ne pouvait calculer la portée ; en Suisse, la guerre civile paraissait imminente entre les radicaux, qui rêvaient de faire de ce petit pays la forteresse centrale de la révolution en Europe, et les cantons conservateurs, menacés dans leur indépendance[75].

Étant donnés l'éloignement de la Russie et l'état alors un peu subalterne de la politique prussienne, la clef de la situation se trouvait à Vienne. Le premier sentiment de M. de Metternich fut une certaine satisfaction d'amour-propre de se voir ainsi sollicité et courtisé par les deux puissances occidentales. La ruine de l'entente cordiale convenait à sa diplomatie et le flattait dans sa vanité de prophète : n'avait-il pas prédit que cette entente ne durerait pas, et qu'elle se briserait à l'occasion de l'Espagne ? Toutefois, entre la France et l'Angleterre un refroidissement lui suffisait ; il ne voulait pas d'un conflit violent qui eût dérangé sa politique, principalement fondée sur le maintien du statu quo. Les protestations impérieuses auxquelles on lui demandait de s'associer contre un événement déjà annoncé et sur le point de s'accomplir, lui paraissaient vaines, si elles n'étaient périlleuses et ne servaient de préface à la guerre[76] ; en tout cela il reconnaissait une politique légère, brouillonne, agitée, téméraire, qui répugnait à ses habitudes d'esprit. D'ailleurs, le souvenir qu'il avait gardé de 1840 le laissait en défiance à l'endroit de lord Palmerston et lui ôtait toute envie de se mettre de nouveau à sa remorque. Au contraire, en dépit de ses préventions d'origine contre la monarchie de Juillet, il ne pouvait nier la sagesse dont le cabinet de Paris faisait preuve depuis plusieurs années ; il désirait vivement le maintien de M. Guizot, et avait de l'habileté du roi Louis-Philippe une idée que les récents événements d'Espagne contribuaient encore à fortifier[77]. Il n'en conclut pas à se mettre tout de suite avec nous, à nous donner ouvertement raison. Trouvant là une occasion de prendre, à l'égard des deux puissances qui se disputaient son approbation, l'attitude prêcheuse, pontifiante, dogmatisante qui était dans ses goûts, il leur tint un langage qui peut se résumer ainsi : La cause de votre querelle, c'est que, malgré nos remontrances et nos avertissements, vous vous êtes écartés en Espagne des règles de la légitimité. Si vous n'aviez pas admis la succession féminine, la difficulté du mariage ne se serait pas produite. Nous ne pouvons quitter le terrain supérieur et solide où nous avons pris position dès le premier jour, pour descendre sur celui où vous vous débattez si péniblement et pour prendre parti entre vous. C'est comme si un luthérien avait un différend religieux avec un calviniste et venait demander à un catholique de prononcer entre eux ; le catholique n'aurait pas autre chose à leur dire, si ce n'est : Vous avez tort tous les deux. Si, un jour, nous jugions à propos de protester, ce serait non contre les droits des enfants à naître de l'Infante, mais contre ceux de l'Infante elle-même et, avant tout, contre ceux de la Reine. Pour le moment, nous ne voyons pas de raison de sortir de notre réserve. Nous demeurons spectateurs de la confusion où vous avez amené les affaires de la Péninsule, attendant le moment où vous serez obligés, pour en sortir, de revenir aux principes dont nous avons la garde[78]. Cette conclusion était tout ce que voulait M. Guizot, et la satisfaction qu'il en éprouvait le faisait passer facilement par-dessus la leçon dont on prétendait l'accompagner. C'était, au contraire, un échec complet pour lord Palmerston. Entre les deux ministres, il y avait en effet cette différence que l'anglais demandait aux puissances d'agir, tandis que le français se bornait à leur demander de ne rien faire, ce qu'on avait toujours plus de chance d'obtenir d'elles.

M. de Metternich ne se borna pas à prendre cette attitude ; il travailla à ce qu'elle fût aussi celle de la Prusse et de la Russie. Il attachait, en effet, une importance capitale à ce que les trois cours continuassent à marcher du même pas dans cette affaire. Le cabinet de Berlin était malveillant pour la France ; mais il n'avait ni le goût ni l'habitude des initiatives promptes et personnelles. Un peu ahuri des premières communications du gouvernement anglais, effarouché d'être tant pressé, il déclara ne pouvoir répondre tout de suite et se tourna vers l'Autriche. Que pensez-vous des mariages espagnols ? demanda à M. de Metternich le comte d'Arnim, ambassadeur de Prusse à Vienne. — Je n'en pense rien, absolument rien, répondit le chancelier ; et, de chez vous, vous en écrit-on ?On ne m'exprime aucune opinion ; mais on tient beaucoup à connaître la vôtre. — Eh bien, vous pouvez dire que nous n'en avons qu'une, c'est que nous ne nous en mêlerons pas[79]. Et quelques jours plus tard, le prince de Metternich précisait et développait sa pensée dans de longues dépêches à ses agents à Berlin. Ma conviction, concluait-il, est que les trois cours ne sauraient mieux faire que de demeurer fermes dans une attitude d'attente raisonnée... Échanger le rôle de spectateur contre celui d'acteur est un procédé qui mérite toujours une mûre réflexion, et la prétention de connaître à fond une pièce, avant de se charger d'un rôle, me semble une prétention très modérée[80]. Ce conseil fut goûté, et, pour l'instant du moins, le cabinet prussien parut plus disposé à imiter l'inertie expectante de l'Autriche qu'à s'associer aux demandes précipitées de lord Palmerston. Il en fut de même à Saint-Pétersbourg[81].

Vainement donc le chef du Foreign office portait-il ses efforts, avec une activité infatigable, sur tous les points à la fois, vainement s'absorbait-il dans cette œuvre au point de négliger ses plaisirs les plus chers[82] ; nulle part il ne parvenait à susciter d'obstacles sérieux au mariage de l'Infante. Cependant, les jours s'écoulaient, et le moment était venu où ce mariage allait passer au rang des faits accomplis. Le duc de Montpensier, entré en Espagne, avec le duc d'Aumale, le 2 octobre 1846, fit, le 6, son entrée solennelle à Madrid. On avait répandu à l'avance toutes sortes de bruits inquiétants ; on avait annoncé des manifestations hostiles et même des attentats. Rien de pareil ne se produisit. Sur tout le trajet, pas un cri ennemi ; au contraire, un empressement respectueux, sympathique, de toute la population, qui voyait dans le jeune prince une solution et une espérance. Le 10 octobre au soir, le mariage de la Reine d'abord, puis celui de l'Infante, furent célébrés dans l'intérieur du palais, et le lendemain, suivant l'usage espagnol, la cérémonie se répéta en grande pompe dans l'église Notre-Dame d'Atocha, devant une foule immense qui témoignait s'associer à cette fête.

 

 

 



[1] Les documents diplomatiques qui seront cités dans le cours de ce chapitre et du chapitre suivant, sans indication de source spéciale, sont tirés des recueils de pièces distribués par les gouvernements français, anglais et espagnol, à leurs parlements respectifs, des Mémoires de M. Guizot, de la Revue rétrospective, enfin de nombreux Documents inédits dont de bienveillantes communications m'ont permis de prendre connaissance, notamment des correspondances du comte Bresson, ambassadeur à Madrid, du comte de Flahault, ambassadeur à Vienne, et du marquis de Dalmatie, ministre à Berlin.

[2] Lettre de M. de Sainte-Aulaire à M. Guizot, du 7 juin 1846.

[3] Lettre de M. de Sainte-Aulaire à M. Guizot, du 2 juillet 1846.

[4] Sur la situation de l'Espagne avant l'avènement de lord Palmerston, voir plus haut le § I du chapitre précédent.

[5] Ce fait ressort des dépêches et des lettres de Bulwer à lord Palmerston. (Parliamentary Papers, et The Life of lord John Russell, par Spencer WALPOLE, t. II, p. 3.) Il est aussi affirmé dans une lettre écrite, en novembre 1846, par M. Panizzi à M. Thiers, sous l'inspiration et d'après les renseignements de lord Palmerston. (The Life of sir Anthony Panizzi, par Louis FAGAN.)

[6] Lettre inédite du comte Bresson à M. Guizot, du 12 juillet 1846.

[7] Louis-Philippe écrivait à ce propos au roi des Belges : Je suis tellement froissé de ce débordement d'injustice et d'absurdité, que je préfère ne plus rien dire et n'opposer que le dédain à ces crédulités volontaires.

[8] Le duc de Glucksberg, qui devait être plus tard duc Decazes, avait écrit à M. Bresson, le 5 juillet : Pour sa part, M. Guizot ne faiblira pas sur le Cobourg. Il n'est pas sans inquiétude sur le mécontentement qu'on pourra éprouver en Angleterre, en nous voyant faire immédiatement le mariage Montpensier ; mais, se considérant comme dégagé vis-à-vis d'elle, il est résolu à le braver.

[9] Lettre de M. Bresson à M. Guizot, du 12 juillet 1846.

[10] Louis-Philippe, parlant, à la fin de 1849, du mal que lui avait fait le mensonge imprimé, disait qu'il y avait en revanche un livre auquel il devait un beau cierge, c'était la Revue rétrospective. (Abdication du roi Louis-Philippe racontée par lui-même et recueillie par M. Edouard Lemoine, p. 69.) — Lord Clarendon, qui avait été collègue de lord Palmerston et l'un des plus animés contre notre politique espagnole, vint voir Louis-Philippe à Claremont après la publication de la Revue rétrospective, et lui tint ce langage : Sire, vous voyez devant vous un de ceux qui éprouvent le besoin de vous faire amende honorable. Je n'ai jamais cessé d'admirer votre politique, mais, hier encore, vous n'étiez à mes yeux que le plus habile des rois ; aujourd'hui, je reconnais sincèrement que vous n'avez jamais cessé d'être en même temps le plus habile et le plus loyal. Cet incident est rapporté par M. Croker, dans un article écrit pour une revue anglaise, d'après les renseignements mêmes du Roi. Cet article fut traduit et reproduit dans la Revue britannique d'octobre 1850.

[11] M. Guizot se rendait bien compte de l'effet qu'un désaveu produirait sur M. Bresson. Celui-ci, en effet, à la première nouvelle qui lui en arriva, écrivit à M. Guizot, le 26 juillet : Ce serait tout renverser, tout livrer à nos adversaires, et je ne me chargerais pas de suivre une négociation aussi délicate dans de pareilles conditions.

[12] Voir The Life of Palmerston, t. III, p. 218 à 238.

[13] Louis-Philippe écrivait à M. Guizot, le 25 juillet 1846 : Le roi Léopold est en excellente disposition et désire vivement la chute de lord Palmerston, dont il craint que nous ne soyons dupes. No fear of that ! Je le mettrai au lait, et, avec les excellentes dispositions de la reine Victoria, je crois qu'il fera bonne besogne. (Revue rétrospective.) — Voir aussi, dans la Vie du Prince consort, par sir Théodore MARTIN, un memorandum du 18 juillet 1846, dans lequel le prince Albert, examinant l'état des affaires d'Espagne, montrait les avantages de la politique de lord Aberdeen et les dangers résultant de l'avènement de lord Palmerston, particulièrement de ses liens avec les progressistes. (Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Th. MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 195.) — L'auteur de la Vie de lord John Russell, M. Spencer WALPOLE (t. II, p. 8), constate la méfiance du prince Albert et de la reine Victoria à l'égard de lord Palmerston.

[14] V. au § I du chapitre précédent, ce qui a été dit de la démarche de la reine Christine.

[15] C'était à peu près l'avis qu'exprimait déjà le prince Albert, le 26 mai 1846, dans une lettre adressée au duc de Saxe-Cobourg. (V. plus haut.)

[16] Aus Meinem Leben und aus meiner zeit, von ERNST II, herzog von Sachsen-Coburg-Gotha, t. I, p. 169 à 171.

[17] En rendant compte des conversations d'Eu, en septembre 1845, M. Guizot dit qu'il avait été entendu et reconnu par lord Aberdeen qu'aucun prince étranger à la maison de Bourbon ne serait soutenu par le gouvernement anglais comme prétendant à la main de la Reine ou de l'Infante. Et il ajoute : Notre sécurité à cet égard était évidemment la condition de notre renonciation à toute prétention pour les fils du Roi. De même, dans le mémorandum du 27 février 1846, notre gouvernement avait indiqué qu'il se regarderait comme libre de tout engagement, si le gouvernement anglais poussait au mariage du prince de Cobourg soit avec la Reine, soit avec l'Infante.

[18] Le roi Louis-Philippe écrivait à la reine des Belges, le 14 septembre 1846 : En adhérant à la garantie que lord Aberdeen prenait contre la stérilité de la Reine, je devais considérer comme entendu qu'il n'y aurait plus d'objections de la part de l'Angleterre à ce que mon fils épousât l'Infante.

[19] Revue rétrospective.

[20] Les historiens anglais eux-mêmes, si longtemps acharnés à contester la bonne foi du gouvernement français, commencent à changer de ton. Ainsi l'auteur de la Vie récemment publiée de lord John Russell, M. Spencer Walpole, reconnaît que Louis-Philippe, en voyant le nom de Cobourg dans les instructions du 19 juillet, était fondé à croire que les Anglais manquaient à leurs engagements, et qu'il par suite libéré des siens. Il ajoute : L'excuse habituelle, invoquée par lord Palmerston, est qu'en nommant le prince Léopold, il constatait un fait, sans énoncer une politique. L'excuse est inadmissible pour qui a comparé la correspondance privée de Palmerston avec ses dépêches publiques. — Il dit encore plus loin : Lord Palmerston et Bulwer travaillaient à faire le mariage dont Louis-Philippe ne voulait pas, et complotaient contre le mariage qu'il désirait. (The Life of lord John Russell, t. II, p. 2 et 3.)

[21] Sur les sentiments et les démarches de Bulwer, voir The Life of Palmerston, par BULWER, t. III, p. 193 et suiv., et The Life of lord John Russell, par Spencer WALPOLE, t. II, p. 3.

[22] Plus tard, après son échec, lord Palmerston regrettera de n'avoir pas suivi les conseils de Bulwer. C'est vous qui aviez raison, lui écrira-t-il le 12 septembre 1846 ; nous aurions dû tout de suite et hardiment adopter Cobourg et le foire triompher en bravant la France. (The Life of Palmerston, par BULWER, t. III, p. 246.)

[23] Je n'ai point élevé d'objections, écrivait M. Bresson le 9 août 1846 ; j'ai seulement fait observer qu'il y avait des conditions préliminaires indispensables à régler.

[24] Lettres du 9 et du 16 août 1846.

[25] Sur ce qu'étaient ces pouvoirs, se rappeler notamment la lettre de M. Guizot, en date du 10 décembre 1845. (V. au § I du chapitre précédent.)

[26] Correspondance de l'envoyé sarde à Madrid. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1843, t. II, p. 631.)

[27] Lettre inédite du 22 août 1846.

[28] Lettre de lord Palmerston à M. de Jarnac, du 6 septembre 1846. (BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 239.)

[29] Lettres de M. de Jarnac à M. Guizot, des 9, 11 et 12 septembre 1846.

[30] Lettre de lord Palmerston à Bulwer, du 16 septembre 1846. (BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 247.)

[31] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 423.

[32] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 248 et 252.

[33] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 248.

[34] The Greville Memoirs, second part, t. III, p. 10.

[35] Lettre inédite du 20 septembre 1846.

[36] Spencer WALPOLE, The life of lord John Russell, t. II, p. 2.

[37] Spencer WALPOLE, The life of lord John Russell, t. II, p. 5.

[38] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 418 à 421.

[39] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 241.

[40] Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Th. MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 208.

[41] Revue rétrospective.

[42] Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Th. MARTIN, par A. CRAVEN, t- I, p. 208.

[43] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 430 ; t. III, p. 53.

[44] Voir plusieurs lettres publiées dans la Revue rétrospective.

[45] Louis-Philippe écrivait au roi des Belges, le 25 juillet 1846 : J'ai reçu de Victoria les lettres les plus aimables, les plus rassurantes, sur le maintien de notre précieuse entente cordiale. Sa jeunesse et sa droiture le croient ; elle ne peut douter des assertions qu'on lui donne. Ma vieillesse, sans être moins droite, n'a pas la même confiance, et de là l'incertitude que j'ai dû lui faire entrevoir sur ma visite du mois d'octobre, qu'elle veut bien désirer avec un affectueux empressement.

[46] Voir plus haut, au § III de ce chapitre.

[47] Le langage de ce prince était des plus amers ; il écrivait à un de ses parents d'Allemagne, le 17 septembre 1846 : Rien de plus perfide que la politique suivie par la cour française. On nous a dupés, et maintenant on triomphe. Mesquin triomphe d'avoir dupé un ami, et le seul qu'on a, et au moment même ou il fait un sacrifice à l'amitié. Car les pauvres reines ont, jusqu'à la dernière heure, été attachées à Léopold, et cet attachement, elles ne l'ont abandonné que quand Bulwer leur a déclaré que nous ne pouvions pas y consentir... (Aus meinem Leben und aus meiner Zeit, von ERNST II, herzog von Sachsen-Coburg-Gotha, t. I, p. 174.)

[48] Ce fond d'affection reparaîtra en 1848, après la révolution de Février. La Reine écrira au baron Stockmar, le 6 mars 1848 : Vous connaissez ma tendresse pour la famille royale ; vous savez comme je désirais de nouveau être dans de meilleures relations avec eux... et vous disiez que le temps seul pourrait amener ce résultat... Que j'étais loin de prévoir comment il se ferait que nous nous reverrions en effet tous de la façon la plus amicale, que la duchesse de Montpensier, au sujet de laquelle nous nous disputions depuis plus d'un an, arriverait ici en fugitive !... Et le 22 avril : Ces pauvres exilés à Claremont ! Leur vie, leur avenir vous brisent le cœur. (Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Théodore MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 256 et 257.)

[49] Le baron Stockmar a écrit, quelques semaines plus tard, le 10 novembre 1846 : Au commencement, la Reine était tout entière aux idées de pardon et de réconciliation ; le prince, au contraire, ressentait le coup comme il convient à un homme ; il voyait une chose injuste au fond, une offense nationale clans la forme et pour lui un procédé blessant, car il pouvait se dire qu'ayant sacrifie a de hauts intérêts politiques sa bienveillance pour son cousin, il n'avait reçu en échange qu'une marque d'ingratitude sous la forme la plus dédaigneuse. (Mémoires de Stockmar.) — Écrivant à la Reine, Stockmar lui dénonçait la conduite de Louis-Philippe comme un trait de politique égoïste et inique, du scandale duquel la réputation du Roi ne se remettrait jamais. (Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Théodore MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 208.)

[50] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 424.

[51] Documents inédits.

[52] Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Th. MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 201 à 203.

[53] The Greville Memoirs, second part, t. II, p. 424.

[54] Revue rétrospective.

[55] C'est ce qu'insinue lord Palmerston dans une lettre à Bulwer. (BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 252.)

[56] Le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Th. MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 203 à 206.

[57] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 252.

[58] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 241.

[59] Il n'est pas besoin de démentir cette infamie. On se rappelle que M. Bresson n'était même pas au palais royal le soir où le consentement de la Reine fut obtenu. (V. plus haut, § IV de ce chapitre.) Dans sa correspondance confidentielle avec M. Guizot, M. Bresson se montre fort ému et fort indigné de ces abominables calomnies. (Lettre inédite du 29 septembre 1846.)

[60] Voir notamment le Siècle des 9, 10, 13, 18 août, le Constitutionnel du 13 août, le National des 14 et 16 août, etc.

[61] Sur les premiers symptômes de cette alliance de M. Thiers et de lord Palmerston, voir le § V du chapitre précédent.

[62] Ce propos est rapporté par M. Bresson, qui le tenait de M. Donozo Cortès.

[63] Lettre inédite de M. Bresson à M. Guizot, du 29 septembre 1846.

[64] BULWER, The life of Palmerston, t. III, p. 247 à 257.

[65] Voir entre autres le Morning Chronicle du 19 septembre 1846, et le Times du 24.

[66] Le ministre avait été, du reste, devancé dans cette voie par Bulwer, qui, de son chef, avait invoqué le traité d'Utrecht dans une note à M. Isturiz, en date du 8 septembre.

[67] Voir plus haut, § V de ce chapitre.

[68] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 248 à 252. Voir aussi le Prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Théodore MARTIN, par A. CRAVEN, t. I, p. 207.

[69] Documents inédits.

[70] Cité dans une dépêche de M. d'Arnim, ministre de Prusse à Paris. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 647.)

[71] Voir, entre autres, une lettre du 23 septembre 1846, dans laquelle M. de Flahault rend compte à M. Guizot d'une dépêche de l'ambassadeur d'Autriche à Londres, du 12 septembre. Voir aussi les Mémoires du prince de Metternich, t. VII, p. 272.

[72] Mémoires du prince de Metternich, t. VII, p. 277.

[73] Correspondance inédite de M. Guizot et de M. de Flahault, ambassadeur de France à Vienne.

[74] Dépêches d'Arnim, ministre de Prusse à Paris, en date des 13 et 14 octobre 1846. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 645.)

[75] J'aurai l'occasion plus tard de revenir avec détail sur les événements de Suisse et d'Italie.

[76] Il n'y a rien de plus grave pour un gouvernement, déclarait M. de Metternich, que de dire : Je proteste. Derrière une protestation, il faut toujours avoir un canon chargé. (Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 5 octobre 1846, Documents inédits.)

[77] M. de Metternich écrivait, après avoir lu les pièces communiquées par le gouvernement français : Ce qui ressort avec évidence de ces pièces, c'est une grande habileté dans la manière de procéder du roi des Français. (Mémoires de Metternich, t. VII, p. 279.)

[78] Lettres de M. de Flahault rendant compte à M. Guizot de ses conversations avec M. de Metternich, en date des 23 septembre, 5, 10 et 16 octobre 1846. (Documents inédits.) Voir aussi les dépêches de M. de Metternich à ses agents à Berlin, en date des 6 et 10 octobre 1846. (Mémoires de Metternich, t. VII, p. 272 à 281.)

[79] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 26 septembre 1846. (Documents inédits.)

[80] Dépêches des 6 et 10 octobre 1846. (Mémoires de Metternich, t. VII, p. 272 à 281.)

[81] Lettre de M. de Flahault à M. Guizot, du 21 octobre 1846. (Documents inédits.)

[82] J'ai été complètement submergé par la besogne, écrivait-il à lord Normanby le 27 septembre, et bien que ce soit septembre, je n'ai pu aller qu'une fois à la chasse aux perdrix. (BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 251.)