HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836) (suite)

 

CHAPITRE XIII. — LA QUESTION RELIGIEUSE SOUS LE MINISTÈRE DU 11 OCTOBRE (OCTOBRE 1832-FÉVRIER 1836).

 

 

I. Les préventions irréligieuses, non compétemment dissipées, sont cependant moins fortes. Dispositions de la Chambre. Amendement excluant les prêtres des conseils généraux et leur refusant la présence de droit dans les comités de surveillance des écoles. Votes émis relativement à la réduction du nombre des évêchés. L'intolérance a diminué dans les conseils électifs et dans les administrations. Témoignage de M. de Tocqueville. — II. Conduite du ministère dans les affaires religieuses. Malgré quelques incertitudes, il y a amélioration. Faits à l'appui. Les congrégations tolérées. Les nominations d'évêques. M. Guizot et la loi de l'enseignement primaire. La religion dans l'école publique. Le curé dans le comité de surveillance. Circulaires pour l'exécution de cette partie de la loi. La liberté de l'enseignement. M. Guizot et les congrégations enseignantes. Projet sur l'instruction secondaire. Le gouvernement accusé de réaction religieuse. — III. La religion regagne ce qu'elle avait perdu dans les âmes. Déception douloureuse du rationalisme. Aveux et gémissements des contemporains. Retour à la religion, surtout dans la jeunesse. Affluence dans les églises. Élan dans le sein du catholicisme. Ozanam et la jeunesse catholique. La Société de Saint-Vincent de Paul. Les conférences de Notre-Dame.

 

I

C'était beaucoup d'avoir vaincu les factieux dans la rue, dans les sociétés secrètes, dans la presse et dans le Parlement ce n'était pas tout. La révolution, nous l'avons vu, avait troublé les âmes en même temps que renversé les institutions, et l'une de ses premières conséquences avait paru être le triomphe d'une sorte d'impiété publique. Il fallait aussi réagir contre cette autre forme du désordre. Cette réaction avait déjà commencé, non sans tâtonnement, avec Casimir Périer. Elle se continua sous le ministère du 11 octobre.

Sans doute, les préventions et les haines irréligieuses n'avaient pas entièrement désarmé. On s'en apercevait à plus d'un signe. A la Chambre, il était tels députés, M. Isambert par exemple, chez qui le besoin de manger du prêtre était devenu une sorte de monomanie. Sous couleur de gallicanisme, M. Dupin faisait parfois campagne avec eux. De temps à autre, les préventions auxquelles les pourfendeurs du parti prêtre faisaient appel, trouvaient assez d'écho dans l'Assemblée pour obtenir une majorité. Mais, le plus souvent, ces victoires n'étaient que passagères. L'esprit de justice et de tolérance, sans toujours prévaloir, était en progrès[1].

En janvier 1833, la Chambre discutait la loi des conseils généraux un député demanda que les ministres du culte ne pussent faire partie de ces conseils cet amendement paraissait avoir peu de succès, même à gauche, et allait être rejeté[2], quand M. Dupin descendit du fauteuil pour le soutenir. Après avoir évoqué les souvenirs de la Restauration : Si vous laissez au clergé, s'écria-t-il, la possibilité de rentrer par un coin quelconque dans vos affaires, il envahira tout bientôt, et il perdra encore une fois l'État, en se perdant lui-même. Cet argument suffit pour faire adopter l'amendement, il est vrai, à une faible majorité. Les ministres s'étaient tus dans le débat et abstenus au vote. Mais, en dehors de la Chambre, cette exclusion peu libérale ne fut pas favorablement accueillie. La presse ne se gêna pas pour la critiquer[3]. A la Chambre des pairs, l'amendement, soutenu par M. de Montlosier, avec une véhémence qui excita des rires et des murmures, combattu par M. de Sacy et par le ministère, fut repoussé à la presque unanimité. La Chambre des députés, peu fière de son premier vote, n'insista pas. Le vieux M. de Montlosier, tout ébahi qu'on ne prît plus ses terreurs au sérieux, comme en 1826, lors de sa fameuse dénonciation[4], épancha ses doléances dans une lettre publique à M. Dupin et dans d'autres écrits[5]. Il y déclarait que le parti ecclésiastique dominait le gouvernement et se plaignait que la révolution de Juillet eût fait entrer le prêtre dans notre instruction et dans nos affaires. Tout cela ne parut que ridicule.

Un incident analogue se produisit, dans cette même année 1833, à propos de la loi de l'instruction primaire sur laquelle nous aurons bientôt à revenir. La majorité, après avoir refusé d'admettre le curé comme membre de droit des comités de surveillance des écoles, finit par céder devant le vote contraire de la Chambre des pairs et l'insistance du gouvernement.

C'était surtout dans la discussion annuelle du budget des cultes que les censeurs du clergé le mettaient sur la sellette. Chacun d'eux apportait ses dénonciations et ses reproches. Puis, c'étaient des demandes de réductions a la fois mesquines et vexatoires, du genre de celles qui s'étaient déjà produites sous Casimir Périer. Ainsi, en 1833, pour punir sans doute l'archevêque de Paris de ses libéralités envers les victimes du choléra, la majorité, malgré le gouvernement, réduisit son traitement de 15.000 francs. Mais ce fut l'un des derniers votes de ce genre. Bientôt même, on commença à rétablir quelques-uns des crédits supprimés après 1830. Le budget des cultes de 1836, discuté en juin 1835, présentait sur le précédent une augmentation de près de 700.000 francs, dont 330.000 francs au chapitre des curés et desservants, et, ce qui était plus significatif encore, 20.000 pour accroitre le traitement de deux archevêques-cardinaux. La Chambre accorda ces crédits sans difficulté. M. Isambert en fut réduit à déclarer ce vote antinational. C'est, ajouta-t-il, le démenti le plus solennel donné à la révolution de Juillet et à tout ce qui a été fait depuis 1830.

Une question plus grave et qui touchait à l'organisation même de l'Eglise de France, se trouva soulevée dans ces discussions budgétaires. Dans le Concordat, il n'était question pour la France que de soixante évêchés. D'accord avec le Saint-Siège, et après autorisation des Chambres, le gouvernement de la Restauration avait porté ce nombre à quatre-vingts. L'opposition libérale avait alors vivement attaqué cette mesure dont elle contestait même, à tort, la légalité. Aussi, après 1830, les commissions du budget exprimèrent-elles le vœu que l'on revînt au chiffre du Concordat. Le gouvernement, ainsi pressé, saisit diplomatiquement le Saint-Siège de la question. Son intention n'était pas de supprimer vingt évêchés, mais il demandait au Pape d'en sacrifier six ou sept pour sauver le reste. Les choses en étaient là, quand, le 29 mai 1833, à propos de la loi de finances, la Chambre vota, malgré le ministère, un amendement, plus comminatoire du reste qu'immédiatement efficace, qui avait été présenté par M. Eschassériaux. Par cet amendement, elle exprimait sa volonté de ne plus doter, dans l'avenir, ceux des sièges épiscopaux, créés postérieurement au Concordat de 1801, qui viendraient à vaquer jusqu'à la conclusion des négociations entamées avec la cour de Rome. Il n'entrait pas dans la pensée du gouvernement de se laisser pousser si vite et si loin. Il déclara donc, à la tribune de la Chambre haute, ne voir dans ce vote qu'une invitation plus pressante de négocier avec le Saint-Père ; mais, jusqu'à l'issue de ces négociations, il se réservait le droit de nommer aux évêchés qui deviendraient vacants et en fait, l'occasion s'étant présentée par suite de la mort de l'évêque de Nevers, il usa de ce droit. M. Eschassériaux et ses amis crièrent, mais sans résultat. Rome, de son côté, ne paraissait pas disposée à faire le sacrifice qu'on lui demandait au contraire. Sur l'initiative de Mgr Mathieu, alors évêque de Langres, et d'accord avec la nonciature, les prélats titulaires des sièges menacés avaient tous signé et secrètement adressé au Pape une lettre, par laquelle ils se déclaraient prêts, si besoin était, à renoncer à leur traitement, tout en demeurant, avec le pouvoir civil, dans les rapports réglés par le Concordat. Le gouvernement n'avait eu aucun vent de cette démarche grands furent son étonnement et son embarras, quand, insistant à Rome et invoquant la menace, faite par la Chambre, de refuser toute dotation, il reçut pour réponse communication de la renonciation éventuelle des évêques. Cette renonciation ôtait toute force au seul argument qu'il pût employer, et d'autre part il ne désirait pas mettre à l'épreuve un désintéressement qui ne lui eût pas laissé le beau rôle[6]. Chaque jour d'ailleurs, à la vive surprise des promoteurs de la réduction, il devenait plus visible que cette mesure n'était rien moins que populaire. Le monde ecclésiastique n'était pas seul à s'en émouvoir. Dans tous les diocèses menacés, on rédigeait des pétitions pour protester contre les suppressions annoncées elles se couvraient, en peu de temps, de plus de trois cent mille signatures. Les députés étaient ainsi avertis qu'à persister dans cette voie ils risquaient leur fortune électorale. Lors de la discussion du budget de 1835, en avril 1834, M. Eschassériaux n'osa pas reproduire son amendement, et les crédits furent votés, sans difficulté, pour les quatre-vingts sièges épiscopaux. Peu après, la question se trouva posée plus nettement encore, à l'occasion des pétitions le gouvernement, enhardi par le mouvement de l'opinion, se montra, dans le débat, plus favorable aux vœux des catholiques qu'il ne l'avait été jusqu'alors, et le renvoi des pétitions au ministre parut justement à tous le désaveu du vote de l'année précédente. Dès lors, tout danger de réduction des sièges était écarté.

La même détente se produisait dans tous les conseils électifs et dans les administrations locales. Certes il serait facile de signaler encore des conseils généraux refusant au clergé les allocations les plus justifiées, des maires tourmentant leurs curés, des conseils municipaux faisant la guerre à quelque école de Frères ou de Sœurs, témoin celui de Beauvais qui enjoignait au bureau de bienfaisance de refuser tout secours aux parents pauvres dont les enfants seraient envoyés à l'école des Frères[7]. Mais, chaque année, ces faits devenaient plus rares et surtout étaient plus mal vus de l'opinion. Désormais les ecclésiastiques pouvaient sortir, sans crainte d'être outragés dans les rues. Il n'était plus de bon ton d'affecter l'irréligion ; la prétrophobie avait quelque chose de vieillot et de démodé. Les communes commençaient à rappeler dans leurs écoles les congréganistes chassés en 1830. On laissait replanter les croix détruites. Dans beaucoup de villes, les processions, naguère interdites, reparaissaient dans les rues, et c'est à peine si, parfois, elles étaient encore l'occasion de quelques scandales. Dès juillet 1833, le Constitutionnel dénonçait cette réaction fatale et, deux ans après, il s'écriait désespéré : Les plantations de croix se multiplient sur plusieurs points ; les processions publiques reprennent vigueur dans un grand nombre de localités ; enfin le mouvement ecclésiastique est en progression[8].

Aussi, en 1835, M. de Tocqueville, examinant l'état des esprits et des mœurs, constatait, sinon la disparition, du moins l'attiédissement visible des haines antichrétiennes, et il ajoutait : Les publications irréligieuses sont devenues extrêmement rares ; je n'en connais même pas une seule. La religion et les prêtres ont entièrement disparu des caricatures. Il est très-rare, dans les lieux publics, d'entendre tenir des discours hostiles au clergé ou à ses doctrines. Ce n'est pas que tous ceux qui se taisent ainsi aient conçu un grand amour pour la religion ; mais il est évident qu'au moins ils n'ont plus de haine contre elle. C'est déjà un grand pus. La plupart des libéraux que les passions irréligieuses avaient jadis poussés à la tête de l'opposition, tiennent maintenant un langage tout différent de celui qu'ils tenaient alors. Tous reconnaissent l'utilité politique d'une religion et déplorent la faiblesse de l'esprit religieux dans la population[9].

 

II

Ce que nous avons dit de certains débats parlementaires, notamment au sujet de la réduction des évêchés, a permis d'entrevoir quelles étaient les dispositions du ministère dans les questions religieuses. Souvent trop timide pour braver de front ce qu'il restait de préventions dans l'opinion et dans la Chambre, il ne les partageait pas pour son compte, les servait sans entrain et cherchait plutôt à en limiter l'effet ; il avait le désir de se montrer tolérant, juste, bienveillant même, mais n'en avait pas toujours la volonté assez résolue. De là, dans sa conduite, des incertitudes, voire même quelques contradictions. Maigre tout cependant, on pouvait constater, chaque année, une amélioration notable dans les rapports du gouvernement avec le clergé.

Si l'on n'osait pas encore rétablir le crucifix arraché des salles de justice en 1830, si même, en 1834, on installait dans la cour d'assises de Paris, à la place où avait été la divine image, une allégorie de la Justice avec le glaive et la balance, l'année suivante, M. Persil, garde des sceaux, engageait les compagnies judiciaires à se rendre aux cérémonies religieuses qu'elles avaient généralement désertées depuis la révolution. Chrétiens et libres penseurs notaient, comme une nouveauté significative, les termes de la lettre par laquelle le Roi demandait des prières, après l'attentat Fieschi ; ce n'était plus le langage d'un gouvernement craignant de faire acte public de christianisme. A cette époque, et pour la première fois depuis 1830, le parquet relevait, dans des publications impies et licencieuses, le délit d'outrage à la religion et demandait l'application de la loi de 1822. Au début du ministère, on avait encore vu, dans l'Ouest, un préfet suspendre le traitement d'un curé compromis dans les affaires de la duchesse de Berry, mais ce fut la dernière de ces confiscations inaugurées dans le désordre d'un lendemain de révolution. Depuis lors, la préoccupation du pouvoir parut être, au contraire, d'augmenter le budget du clergé ; et, au risque d'être dénoncé avec colère par le Constitutionnel[10], il recommanda aux conseils généraux de rétablir les allocations destinées à subvenir aux dépenses du culte et à accroître les traitements ecclésiastiques. Parfois le gouvernement paraissait céder à quelques velléités de taquinerie gallicane : appel comme d'abus contre l'évêque de Moulins, petites difficultés soulevées pour l'agrément des curés, circulaire quelque peu ridicule pour interdire l'annonce et la célébration des fêtes supprimées par le concordat. Mais tout cela, sans volonté de pousser loin les choses. Ainsi laissait-il tomber les prescriptions de cette dernière circulaire, devant les objections des autorités religieuses. Des questions mixtes, comme celle de l'usage des cloches, étaient réglées dans un esprit conciliant et large.

Le ministère eût bien voulu donner satisfaction aux pétitions des habitants du quartier du Louvre, qui demandaient la réouverture de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois, fermée depuis l'atroce journée du 14 février 1831. Mais les passions sacrilèges montaient une garde vigilante autour du temple qu'elles avaient violé[11]. Au moindre indice de velléité réparatrice, elles grondaient si menaçantes que l'administration intimidée n'osait les affronter. Rien de pareil cependant à ce qu'on avait vu sous le ministère Casimir Périer, quand la police s'était emparée de l'Abbaye-au-Bois pour y faire célébrer le service funèbre de l'évêque schismatique Grégoire. Le gouvernement réprimait au contraire, avec une énergie remarquée, les actes de certaines municipalités qui avaient prétendu introduire des prêtres schismatiques dans l'église de leur commune. Il saisissait même cette occasion pour publier, dans le Moniteur, un article où les droits du clergé catholique sur les bâtiments affectés au culte étaient reconnus de la façon la plus nette et la plus satisfaisante[12].

Rien de pareil non plus à l'acte de violence par lequel, en 1831, avaient été dispersés les trappistes de la Meilleraye. Les congrégations étaient tolérées et respectées. En juillet 1833, celui qui devait être Dom Guéranger ressuscitait à Solesmes l'antique Ordre des Bénédictins. Tout se passait au grand jour, sans que le gouvernement y fit obstacle ; M. Guizot devait même bientôt donner aux nouveaux moines une allocation annuelle pour la continuation de la Gallia christiana. Les Jésuites, maltraités par l'émeute en 1830, revenaient, sans bruit, mais sans se gêner, à leurs pieux travaux ; ils remplissaient les chaires et les confessionnaux ; les ministres les laissaient faire, avec un sentiment où se mêlaient étrangement l'indifférence et l'estime. La Restauration est tombée, et avec elle les Jésuites, disait le National[13] ; on le croit du moins cependant toute la France a vu la famille des Bourbons faire route de Paris à Cherbourg et s'embarquer tristement pour l'Angleterre. Quant aux Jésuites, on ne dit pas par quelle porte ils ont fait retraite personne n'a plus songé à eux, le lendemain de la révolution de Juillet, ni pour les attaquer ni pour les défendre. Y a-t-il, n'y a-t-il pas encore des congrégations non autorisées par les lois ? Il n'est pas aujourd'hui de si petit esprit qui ne se croie, avec raison, au-dessus d'une pareille inquiétude. En 1833, quelque émotion s'étant produite parce que deux Jésuites avaient été mandés, comme précepteurs, auprès du duc de Bordeaux, M. Thiers fut le premier à rassurer le Père provincial de Paris, dans les conférences qu'il avait avec lui à ce sujet ; après comme avant ces incidents, aucune entrave n'était apportée aux œuvres de la Compagnie de Jésus.

Rien de pareil enfin aux choix peu heureux par lesquels, aux débuts de la monarchie, des prêtres tels que MM. Guillon, Rey ou d'Humières avaient été désignés pour l'épiscopat. Le gouvernement apportait dans l'usage de cette importante prérogative une droiture consciencieuse. Ses nominations étaient excellentes. En 1834, le ministre des cuites, M. Persil, écrivait aux évêques pour leur demander de lui faire connaître les prêtres dignes de devenir leurs collègues. Bien loin de se roidir contre les observations de l'autorité religieuse, le pouvoir civil s'y rendait avec bonne grâce et bonne foi. Ainsi fit-il, en renonçant à proposer le successeur qu'il avait d'abord songé à donner à Mgr Mathieu, sur le siège de Langres, et en lui substituant Mgr Parisis. Le chargé d'affaires du Saint-Père, Mgr Garibaldi, disait, à ce propos : Nous obtenons du roi Louis-Philippe ce que tout autre gouvernement nous aurait refusé[14].

Parmi les ministres, M. Guizot était un de ceux qui comprenaient le mieux les devoirs du gouvernement envers la religion on n'a pas oublié avec quelle élévation il en avait parlé sous le ministère Périer, alors qu'il était simple député ; devenu ministre de l'instruction publique, les occasions ne lui manquèrent pas de mettre ses principes en pratique. Sa grande œuvre fut alors la loi organique de l'instruction primaire, présentée et votée en 1833. L'article premier déclarait tout d'abord que l'instruction primaire comprenait nécessairement l'instruction morale et religieuse. Et le ministre commentait ainsi, à la tribune, cette disposition de la loi : L'instruction morale et religieuse n'est pas, comme le calcul, la géométrie, l'orthographe, une leçon qui se donne en passant, à une heure déterminée, après laquelle il n'en est plus question. La partie scientifique est la moindre de toutes, dans l'instruction morale et religieuse. Ce qu'il faut, c'est que l'atmosphère générale de l'école soit morale et religieuse... Il arrive un âge où l'instruction religieuse devient l'objet d'un enseignement scientifique qui est donné spécialement ; mais, pour la première enfance, dans les écoles primaires, si l'instruction morale et religieuse ne plane pas sur l'enseignement tout entier, vous n'atteindrez pas le but que vous vous êtes proposé, quand vous l'avez mise en tête de l'instruction primaire... Prenez garde à un fait qui n'a jamais éclaté peut-être avec autant d'évidence que de notre temps le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral et religieux, est excellent... mais le développement intellectuel tout seul, séparé du développement moral et religieux, devient un principe d'orgueil, d'insubordination, d'égoïsme et par conséquent de danger pour la société. Les rapporteurs de la Chambre des députés et de la Chambre des pairs, M. Renouard et M. Cousin, faisaient écho à ce langage du ministre.

M. Guizot était en outre convaincu que l'État avait besoin du concours de l'Église pour l'œuvre de l'instruction populaire, et qu'il devait, par suite, partager avec elle l'action et le contrôle. Se demandant, à la tribune, quels étaient les pays où l'instruction primaire avait véritablement prospéré : Ce sont, répondait-il, les pays où le clergé a exercé une surveillance, une influence continuelle, sur l'instruction primaire ; et il ajoutait, avec une courageuse loyauté, que, depuis quinze ans, le clergé avait beaucoup fait pour l'instruction primaire en France. En conséquence, il proposa que le curé fût de droit membre du comité chargé, dans chaque commune, de surveiller l'école, comité qui était l'un des rouages importants de la nouvelle organisation. Mais, comme nous avons eu occasion de le dire, il se heurta, cette fois, aux préventions de la Chambre contre le clergé. La commission demanda que cette présence de droit fût supprimée, et la majorité lui donna raison, malgré l'éloquente défense du ministre. Celui-ci ne se tint pas pour battu il en appela à la Chambre des pairs, et, appuyé par M. Cousin, il obtint d'elle le rétablissement du droit du curé. Les députés finirent par céder, mais non sans diminuer les attributions du comité qui leur était devenu suspect, du moment qu'un prêtre y siégeait. Le ministre consentit à cette altération grave de son projet ; il crut nécessaire de faire ce sacrifice aux préjugés régnants.

La loi votée, avec des lacunes qu'il était le premier à reconnaître, M. Guizot s'efforça sincèrement, dans l'application, de faire à la religion la part la plus large œuvre difficile, étant donné le personnel d'instituteurs qu'il trouvait en possession des écoles. M. Lorain, chargé, en 1833, par le ministre, de dépouiller les rapports des inspecteurs et d'en tirer un tableau de l'instruction primaire avant la loi nouvelle, avait constaté des faits tels que ceux-ci un inspecteur demandait à l'instituteur : Monsieur, où en êtes-vous de l'instruction morale et religieuse ?Je n'enseigne pas ces bêtises-là, lui répondait-on. Ailleurs, les écoliers se promenaient, avec leur maître, dans la ville, tambour en tête et chantant la Marseillaise ; ils s'interrompaient, en passant devant le presbytère, pour crier à tue-tête : A bas les Jésuites ! A bas les calotins ! Dès sa première circulaire, M. Guizot essaya de tourner et d'élever vers la religion les âmes de ces instituteurs. Il les engagea à n'attendre leur récompense que de Dieu. — Partout, leur dit-il, où l'enseignement primaire a prospéré, une pensée religieuse s'est unie, dans ceux qui le répandent, au goût des lumières et de l'instruction. Puissiez-vous trouver, dans de telles espérances, dans ces croyances dignes d'un esprit sain et d'un cœur pur, une satisfaction et une constance que peut-être la raison seule et le seul patriotisme ne vous donneraient pas. Plus loin, il recommandait à l'instituteur de s'attacher à développer, chez l'enfant, la foi à la Providence, de respecter le curé ou le pasteur dont le ministère répond à ce qu'il y a de plus élevé dans la nature humaine. Et il ajoutait : Rien n'est plus désirable que l'accord du prêtre et de l'instituteur... Un tel accord vaut bien qu'on fasse, pour l'obtenir, quelques sacrifices[15]. Cette partie des devoirs du mettre d'école était la préoccupation constante du ministre. L'année suivante, il écrivait aux directeurs des écoles primaires une circulaire où il leur signalait l'importance de l'instruction religieuse à donner aux futurs instituteurs : Ne vous contentez point, disait-il, de la régularité des formes et des apparences ; il ne suffit pas que de certaines observances soient maintenues, que certaines heures soient consacrées à l'instruction religieuse il faut pouvoir compter sur sa réalité et son efficacité... Prenez un soin constant pour qu'aucune des préventions, malheureusement trop communes encore, ne s'élève entre vous et ceux qui sont plus spécialement chargés de la dispensation des choses saintes. Vous assurerez ainsi à nos établissements cette bienveillance des familles qui nous est si nécessaire, et vous inspirerez à un grand nombre de gens de bien cette sécurité sur notre avenir moral que les événements ont quelquefois ébranlée, même chez les hommes les plus éclairés[16]. En 1835, M. Guizot écrivait encore aux inspecteurs des écoles primaires : Appliquez-vous à bien persuader aux curés et aux pasteurs que ce n'est pas par pure convenance et pour étaler un vain respect, que la loi du 28 juin 1833 a inscrit l'instruction morale et religieuse en tête des objets de l'instruction primaire. C'est sérieusement et sincèrement que nous poursuivrons le but indiqué par ces paroles, et que nous travaillerons, dans les limites de notre pouvoir, à établir, dans l'âme des enfants, l'autorité de la religion. Croyez bien qu'en donnant à ces ministres cette confiance. et en la confirmant par toutes les habitudes de votre conduite et de votre langage, vous vous assurerez, presque partout, pour les progrès de l'éducation populaire, le plus utile appui[17].

M. Guizot atteignit-il pleinement le but qu'il poursuivait avec sincérité et persistance ? Malgré ses efforts, il y eut des instituteurs qui demeurèrent, d'une façon plus ou moins cachée, ce qu'on a appelé des anti-curés[18]. La loi de 1833 leur avait donné trop d'indépendance ; elle avait aussi trop étroitement limité l'influence du clergé. Tant que l'autorité d'un gouvernement régulier prévint les scandales extérieurs, le mal demeura souvent à l'état latent ; mais il devait éclater à tous les yeux, en 1848 alors beaucoup de maîtres d'école se sont trouvés préparés à se faire, dans chaque village, des agents de révolte et des prédicateurs de socialisme. Le désordre fut tel que les défenseurs de la société poussèrent un long cri d'effroi, et M. Thiers, avec l'impétueuse mobilité de son esprit, demanda, non plus seulement que le clergé eût la surveillance de l'enseignement primaire, mais qu'il en prit la direction exclusive[19]. Plus tard, du reste, en rédigeant ses Mémoires, M. Guizot a reconnu que la loi de 1833 n'avait pas, sur ce point, réalisé toutes ses espérances, et il a déploré les sacrifices qu'il s'était cru obligé de faire à l'irréligion du temps[20].

La loi de 1833 n'avait pas seulement organisé l'enseignement public, elle avait aussi ouvert la porte toute grande à l'enseignement libre, c'est-à-dire, en fait, aux écoles de Frères et de Sœurs. Dans la discussion, M. Vatout ayant proposé des mesures restrictives contre les congrégations religieuses, le ministre les combattit et les fit écarter. Il a même raconté, plus tard, qu'il eût désiré donner à ces congrégations une marque publique de confiance et de respect, en leur permettant de suppléer, par la lettre d'obédience, au brevet de capacité ; mais il n'osa pas, en présence des dispositions de la Chambre. M. Guizot tenait à bien établir qu'il ne se méfiait aucunement du zèle libre et surtout du zèle chrétien, qu'il regardait au contraire son concours comme heureux et nécessaire. Je pris grand soin, a-t-il dit dans ses Mémoires, de défendre les associations religieuses contre les préventions et le mauvais vouloir dont elles étaient souvent l'objet ; non-seulement je les protégeai dans leur liberté, mais je leur vins en aide dans leurs besoins, les considérant comme les plus honorables concurrents et les plus surs auxiliaires que, dans ses efforts pour l'éducation populaire, le pouvoir civil put rencontrer. Pendant la discussion même de la loi de 1833, il offrit la croix d'honneur au supérieur général des Frères de la Doctrine chrétienne. Plus tard, il félicita publiquement ces religieux du zèle et de l'intelligence qu'ils montraient dans l'organisation des écoles d'adultes. Apprenait-il quelques vexations des municipalités ou des agents universitaires contre l'enseignement libre, il les blâmait, et, s'il le pouvait, les réprimait. Les Frères, chassés des écoles publiques de Beauvais, fondaient-ils une école privée, il leur allouait une subvention de mille francs[21]. L'Ami de la Religion, peu sympathique au gouvernement de Juillet, ne pouvait cependant s'empêcher de louer l'impartialité haute et intelligente avec laquelle M. Guizot avait singulièrement favorisé les congrégations enseignantes[22]. En 1833, le supérieur général des Frères de la Doctrine chrétienne écrivait au ministre : Nous conserverons, tant que nous vivrons, le souvenir et la reconnaissance de vos inappréciables bontés, et nous publierons hautement, comme nous le faisons tous les jours, les marques de bienveillance et de protection que nous recevons, à chaque instant, du gouvernement du Roi et en particulier de M. le ministre de l'instruction publique. L'année suivante, les membres principaux de l'ordre, réunis en comité triennal à Paris, renouvelaient l'expression de leur reconnaissance envers le ministre.

En janvier 1836, à la veille de la dissolution du cabinet, M. Guizot déposa un projet de loi sur l'instruction secondaire. Ce projet ne devait être discuté que plus tard, sous un autre ministère, sans du reste jamais aboutir. Pour le moment, bornons-nous à noter que s'il contenait la trace de quelques concessions faites à regret aux préventions du temps, il organisait loyalement la liberté d'enseignement et ne prononçait aucune exclusion contre les associations religieuses, notamment contre les Jésuites. En somme, il était plus libéral que tous les projets qui devaient être ultérieurement déposés, de 1840 à 1848, et donner heu à de si ardentes controverses.

Cette justice et cette bienveillance croissantes à l'égard de la religion méritaient d'être dénoncées par ceux qui, comme le Constitutionnel, faisaient profession de combattre le parti prêtre. Dès 1833, ce journal reprochait à l'association doctrinaire de vouloir relever le clergé catholique de l'impuissance dont l'avait frappé la révolution de Juillet et signalait un système suivi de réaction ministérielle en faveur du clergé[23]. C'est surtout en 1835 que cette accusation se produisit avec fracas toute la presse de gauche s'y associa. Le National raillait l'orthodoxie de ce gouvernement qui reprenait les traditions de la Congrégation ; le Courrier déclarait, d'un ton menaçant, que l'opinion allait repartir en guerre contre le catholicisme, et qu'il fallait multiplier, de nouveau, les éditions de Rousseau, de Voltaire, de Diderot, de Dupuis, de Courier[24]. Le Constitutionnel dénonçait la tendance du gouvernement à faire entrer l'Eglise dans l'Etat, et il ajoutait : Nous ne savons quel vent de dévotion a soufflé de la cour ; mais, depuis quelque temps, on est tant aux petits soins auprès du clergé, on se pique d'une si scrupuleuse déférence pour tout ce qui tient à l'Église, on voit des choses et l'on entend des paroles si étranges, ne serait-ce que M. Thiers invoquant à mains jointes la Providence, qu'il ne faut pas s'étonner si les préventions d'une autre époque sont revenues contre le clergé, et si beaucoup de gens croient, de très-bonne foi, que nous approchons du temps où, avec un billet de confession, on arrive à tout.

Ces accusations firent si grand bruit que le Journal des Débats se crut obligé de publier plusieurs articles pour protester que le gouvernement ne voulait pas se faire le grand prévôt d'une réaction religieuse. La feuille ministérielle ne s'en tenait pas à cette apologie. Elle prenait l'offensive et raillait avec esprit les terreurs de ses contradicteurs : Quand il n'y aurait plus de Jésuites dans le monde, disait-elle, l'opposition en referait, pour avoir le plaisir de dire que le gouvernement de Juillet favorise les Jésuites... Le tour des Jésuites et de la Congrégation devait venir ; il est venu ; c'est tout simple. La raison de ceci est facile à donner. Tout le monde n'entend pas de même le mot de liberté religieuse. Selon nous, la liberté religieuse doit profiter à l'Église tout aussi bien qu'à l'État. Au nom de la liberté religieuse, il faut interdire au prêtre d'inquiéter la conscience des citoyens et de porter la main sur ce qui tient au domaine de la politique ; mais, au nom de la même liberté, il faut laisser le prêtre administrer les sacrements, prêcher le dogme et maintenir la discipline, selon les règles qui lui sont prescrites par sa foi. Ce n'est pas tout comme la séparation absolue de l'Église et de l'État n'est qu'une chimère, comme il y a des rapports nécessaires entre la puissance publique et les hommes qui, par leur ministère, sont appelés à exercer une si grande influence sur la direction morale de ta société, la raison veut également que, dans ces rapports, le clergé trouve, auprès du gouvernement protection, bienveillance, honneur... Les peuples les plus libres du monde ont su respecter la religion et honorer ses ministres. Le Journal des Débats faisait ensuite vivement justice de ces gens qui, en défendant à l'Église d'intervenir dans l'État, prétendraient intervenir tous les jours dans l'Église, au nom de l'Etat. — Surtout, ajoutait-il, on humilierait le clergé ; on l'abaisserait par tous les moyens imaginables ; on ne lui jetterait son salaire qu'à regret et avec des paroles de mépris ; on aurait bien soin de lui faire entendre qu'on espère, le plus tôt possible, se passer de lui, qu'on est fort au-dessus de toutes les superstitions et si le clergé s'avisait de se plaindre, on le traiterait en révolté[25]. Cette politique, que l'organe autorisé de la monarchie de Juillet repoussait ainsi avec mépris et dégoût, n'a-t-elle pas été ramassée, depuis, par un autre gouvernement ?

 

III

A ce régime de tolérance, de liberté et de paix relatives, la religion regagnait peu à peu ce qu'elle avait perdu dans les âmes. Ce qui pouvait même lui manquer encore, comme protection et faveur du pouvoir, lui était, dans l'état des esprits, plutôt profitable que nuisible. Elle venait de souffrir, sous la Restauration, pour avoir été trop bien en cour ; un peu de disgrâce temporelle effaçait ce passé compromettant et lui refaisait une popularité. De ce retour vers le christianisme, il y avait d'ailleurs d'autres causes, moins extérieures, plus profondes, plus efficaces. La raison humaine, un moment exaltée de sa pleine victoire, en devenait, chaque jour, plus embarrassée. Chaque jour, elle était plus effrayée du vide qu'avaient fait ses destructions, plus humiliée et troublée de son impuissance à rien construire pour remplir ce vide. Que de déceptions douloureuses et salutaires venaient, dans tous les ordres de faits et d'idées, punir et éclairer l'orgueil de cette raison révoltée ! En même temps, la lassitude des agitations révolutionnaires, l'habitude reprise d'un gouvernement régulier faisaient sentir davantage aux âmes le besoin de la paix et de la stabilité intérieures. Les contemporains ont souvent laissé échapper des aveux et des gémissements qui permettent d'entrevoir et de suivre, au plus intime de leur être, cette crise décisive. Théodore Jouffroy avait été, à la fin de la Restauration, l'un des guides de cette jeunesse, si confiante dans ses propres forces et si dédaigneuse du catholicisme plus que tout autre, par son talent, par l'élévation de son esprit et de sa doctrine, par sa sincérité même, il avait contribué à éloigner de la foi l'élite de sa génération. C'est lui qui avait écrit, dans le Globe, le trop fameux article : Comment les dogmes finissent. Maintenant, quelle était la secrète souffrance qui marquait son front d'une tristesse inconsolable et donnait à sa parole un accent singulièrement poignant ? C'était l'impuissance, douloureuse et découragée du rationalisme. Étudiant, à propos de la loi des associations, les causes du mal social contre lequel le législateur essayait de lutter, il disait à la tribune de la Chambre des députés : Le christianisme avait jeté dans la société, fondé dans notre Europe, un ordre moral, c'est-à-dire un ensemble de vérités sur tous les points qui intéressent le plus l'homme et la société, vivant de ces vérités... Puis, après avoir rappelé comment cet ordre moral avait été miné, ébranlé, renversé, dans les âmes, l'orateur ajoutait : Le vide laissé par cette immense destruction, ce vide est partout, il est dans tous les cœurs, il est obscurément senti par les masses, comme il est plus clairement senti par les esprits distingués. Ce vide, il faut le remplir ; tant qu'il ne sera pas rempli, je prétends que la société ne sera pas calmée... Telle est la profonde, la véritable cause de l'inquiétude sociale ![26]

M. de Sacy, qui avait été, sous la Restauration, libéral et voltairien, — lui-même en a fait la confession, dans ses vieux jours[27], écrivait, en 1835, sous le titre De la réaction religieuse, cette page, expression éloquente du malaise ressenti par les esprits nobles de ce temps : Le dix-huitième siècle a eu le plaisir de l'incrédulité ; nous en avons la peine ; nous en sentons le vide. En philosophie comme en politique, c'est un beau temps que celui où tout le monde est de l'opposition. On .se laisse aller au torrent... Oui, mais gare le réveil ! C'est le moment où il n'y a plus rien à attaquer, rien à détruire... le moment où il faut compter avec soi-même et voir un peu où l'on en est avec ses idées, ce que l'on ne croit plus et ce que l'on croit encore, et où l'on s'aperçoit, trop souvent, non sans surprise, que l'on a fait le vide en soi-même et autour de soi, et que, dans le temps où l'on croyait acquérir des idées nouvelles, on chassait tout bonnement des idées acquises. Le jour du réveil, c'est notre époque !... Le sentiment vrai, c'est le sentiment du vide ; c'est un besoin inquiet de croyance ; c'est une sorte d'étonnement et d'effroi, à la vue de l'isolement où la philosophie du dix-huitième siècle a laissé l'homme et la société l'homme, aux prises avec ses passions, sans règle qui les domine ; aux prises avec les chances de la vie, sans appui qui le soutienne, sans flambeau qui l'éclaire ; la société, aux prises avec les révolutions, sans une foi publique qui les tempère et les ramène du moins à quelques principes immuables. Nous sentons notre cœur errer comme un char vide qui se précipite. Cette incrédulité, avec laquelle le dix-huitième siècle marchait si légèrement, plein de confiance et de folle gaieté, est un poids accablant pour nous ; nous levons les yeux en haut, nous y cherchons une lumière éteinte, nous gémissons de ne plus la voir briller[28].

Faut-il citer encore le Journal des Débats, disant, le 13 juillet 1835 Tous aujourd'hui, nous en sommes arrivés à nous sentir profondément saisis et attristés par le spectacle de la désorganisation intellectuelle, par l'absence de tout lien moral, par l'insubordination, l'indépendance presque sauvage des esprits, le délire, le dévergondage, l'inconséquence et la contradiction des idées, par l'abâtardissement, l'avortement des systèmes. Et il qualifiait cet état moral d'effroyable anarchie.

Qu'y avait-il au fond de tous ces cris de désarroi et de désespérance, sinon le besoin d'une religion ? Or cette religion, il ne pouvait être question, surtout après la faillite du messie saint-simonien, de la chercher ailleurs que dans le christianisme. Ceux même qui ne pouvaient retrouver pleinement, pour leur compte, la foi perdue, disaient du moins avec Jouffroy : Je ne suis pas de ceux qui pensent que les sociétés modernes peuvent se passer du christianisme ; je ne l'écrirais plus aujourd'hui. Ou encore : Tout ces systèmes ne mènent à rien ; mieux vaut, mille et mille fois, un bon acte de foi chrétienne[29]. Mais, chez beaucoup d'autres, chez les jeunes gens surtout, il y avait plus que cet aveu et que cet hommage. Un prêtre, alors au début d'une brillante et féconde carrière, l'abbé Dupanloup, observant, à la fin de 1835, ce retour des âmes vers Dieu, écrivait : Il se passe et s'accomplit, depuis un certain temps, quelque chose d'admirable parmi nous... Les influences religieuses ont repris leur empire, et, au moment même où les plus sages crurent que la vérité, la justice et l'honneur avaient succombé avec la religion et avec la croix, un jour plus favorable, plus pur et plus vrai, s'élevait pour elle... Les préventions se dissipent, les mensonges se taisent, les calomnies sont plus rares. Vainement l'impiété a-t-elle récemment essayé de faire entendre de nouveau ses plus honteux cris de guerre elle n'a fait par là que trahir son extrémité et révéler sa détresse : elle n'a même pu réussir à créer l'agitation irréligieuse à la surface, et, au fond, il y a toujours un mouvement religieux, vague pour plusieurs, mais irrésistible, et de plus un retour certain et sérieux pour un grand nombre. L'abbé Dupanloup constatait que ce mouvement se produisait surtout chez les hommes du monde, dans les classes élevées et studieuses. Puis il ajoutait : Dans les plus hautes régions sociales, n'a-t-on pas entendu parler, à la face de la France, par les hommes qui la représentent, un langage grave et élevé qui promettait un meilleur avenir, et où les grandes leçons de la Providence semblaient avoir été comprises ? Mais c'est surtout la jeunesse, nous le disons avec un profond attendrissement et une ferme espérance, qui se livre à ce noble mouvement... Tous ceux à qui il a été donné de faire entendre leur voix à la jeunesse, pour lui parler le langage de la vérité, ont trouvé tout a coup, dans ces jeunes cœurs, un écho profond. On ne peut plus lui parler aujourd'hui d'incrédulité ; c'est dans les rangs de la jeunesse que la Foi et l'Espérance chrétiennes ont fait les plus glorieuses et les plus brillantes conquêtes... N'avez-vous pas entendu les vieillards eux-mêmes, élevés, par le malheur des temps, à l'école de l'impiété, applaudir avec bonheur au mouvement religieux qui entraîne leurs jeunes fils ?[30]

Croit-on que le prêtre exagérait et prenait trop facilement ses désirs pour une réalité ? Voici qu'à la même époque un témoin, impartial entre tous et d'une clairvoyance incontestée, M. de Tocqueville, notait aussi le mouvement général de réaction qui entraînait les esprits vers les idées religieuses. Et il ajoutait, confirmant encore l'une des observations de l'abbé Dupanloup : Le changement le plus grand se remarque dans la jeunesse. Depuis que la religion est placée en dehors de la politique, un sentiment religieux, vague dans son objet, mais très-puissant déjà dans ses effets, se découvre parmi les jeunes gens. Le besoin d'une religion est un texte fréquent de leurs discours. Plusieurs croient ; tous voudraient croire[31]. M. Saint-Marc Girardin, bien placé pour observer les étudiants, disait aussi, vers la même époque : Je vois la jeunesse cherchant, au milieu des désordres du siècle, où se prendre et se retenir, et demandant aux croyances de ses pères si elles ont un peu de vie et de salut à lui donner.

Nous pourrions multiplier ces témoignages. Tout le monde pariait alors du mouvement religieux, de la réaction chrétienne. On en discutait l'origine et la portée ; nul n'en contestait la réalité. Aussi bien, pour s'en convaincre, suffisait-il de voir la foule inaccoutumée qu), depuis quelques années, se pressait au pied des autels. Depuis dix-sept ans que je connais Paris, écrivait madame Swetchine, le 11 avril 1833, je n'y avais encore jamais vu ni une telle affluence dans les églises, ni un tel zèle. Et elle ajoutait, en dépit de ses préférences royalistes : Combien la Restauration, avec ses impulsions religieuses, avec les exemples de ses princes, a été loin d'obtenir de tels résultats ! Cette affluence augmentait encore, les années suivantes. Le Constitutionnel constatait, d'un ton boudeur et inquiet, ce phénomène auquel il ne comprenait rien. Qu'est-ce que cela veut dire ? lui répondait en raillant le Journal des Débats. Le sentiment religieux n'est donc pas détruit ? Le catholicisme n'est donc pas mort ? L'esprit de Voltaire n'est donc plus l'esprit dominant ? On commence donc à songer à la religion ? L'opposition ne comprend rien à tout cela. Pétrifiée dans ses rancunes irréligieuses, l'esprit de notre temps et ses vicissitudes ne font rien sur l'opposition ; elle n'a rien oublié, elle non plus n'a rien appris. C'est un émigré qui revient de Ferney, un Épiménide qui se lève du fauteuil du baron d'Holbach et qui croit que tout est demeuré comme il l'a laissé. L'opposition a peut-être bien entendu dire, depuis quelque temps, que la jeunesse recommençait à s'inquiéter de la religion, que, dans les jours saints, les églises étaient pleines, qu'il y a eu, ce carême, des prédicateurs plus suivis et plus écoutés que nos avocats, que, dans ces auditoires d'église, il y avait des hommes de toutes les sortes et de toutes les opinions, qui venaient pour s'instruire elle a pris tout cela pour des caquets de sacristie, ne pouvant pas s'imaginer que le peuple ose penser autrement qu'elle, et que les jeunes gens soient libéraux sans être impies. Il faut pourtant, quoique tout cela soit étrange, que l'opposition s'y habitue, car c'est là l'état des esprits. Nous ne voulons pas dire que la popularité du clergé commence et que celle de l'opposition finit. Nous voulons dire seulement que, pour être populaire, il ne suffit plus de frapper fort sur le clergé, mais qu'il faut aussi frapper juste[32].

En même temps, dans le sein du catholicisme se produisait comme un généreux élan pour aller au-devant de ces générations désabusées. Prêtres et fidèles, ceux du moins qui n'avaient pas pris part à l'aventure isolée et promptement désavouée de l'Avenir, s'étaient d'abord renfermés, sous le coup de 1830, dans une attitude discrète et un peu effacée. Cette réserve, en son temps, n'avait pas été sans avantage ; elle avait contribué à faire tomber bien des préventions[33] ; M. Dupin, se plaignant, à la tribune, de la réaction qui s'opérait en faveur du clergé, l'avait attribuée à l'habileté avec laquelle, au lendemain de la révolution, celui-ci avait fait le mort. Mais l'heure était venue, pour ce même clergé, de se montrer vivant. Et en effet, la vie circulait et fermentait dans toutes les parties du corps de l'Église. Les catholiques, sortant hardiment de leur réserve, ne bornaient plus leur ambition à obtenir de leurs vainqueurs un peu de paix pour panser leurs blessures ; ils voulaient prendre une éclatante et généreuse revanche.

Signe consolant entre tous, cette vie apparaissait d'abord dans la nouvelle génération. Dans le monde des écoles, naguère si mêlé à toutes les agitations révolutionnaires, s'était formé un petit groupe de jeunes apôtres, peu nombreux sans doute au milieu de la foule des indifférents ou des hostiles, mais représentant le ferment sacré qui devait faire lever toute la pâte. Ils reconnaissaient alors pour chef un étudiant lyonnais, à l'âme haute et modeste, ardente et pure, tendre et vaillante, qui faisait déjà aimer et qui devait bientôt illustrer le nom de Frédéric Ozanam. Arrivé, à vingt ans, dans ce Paris de 1831, où il trouvait sa foi universellement répudiée, Ozanam avait tout de suite conçu et inspiré à ses amis un grand et généreux dessein. S'il sentait vivement les misères de son siècle, il l'aimait et n'en désespérait pas, mais croyait que la religion seule le sauverait. La terre s'est refroidie, écrivait-il le 22 février 1835 ; c'est à nous, catholiques, de ranimer la chaleur vitale qui s'éteint. Avec l'entrain, la foi, l'enthousiasme, le dévouement, ces jeunes gens faisaient preuve d'une sagesse modeste qui avait manqué aux hommes de l'Avenir : Nous autres, écrivait Ozanam, le 21 juillet 1833, nous sommes trop jeunes pour intervenir dans la lutte sociale. Resterons-nous donc inertes au milieu du monde qui souffre et qui gémit ? Non, il nous est ouvert une voie préparatoire ; avant de faire le bien public, nous pouvons essayer de faire le bien de quelques-uns ; avant de régénérer la France spirituelle, nous pouvons soulager quelques-uns de ses pauvres ; aussi, je voudrais que tous les jeunes gens de tête et de cœur s'unissent pour quelque œuvre charitable. C'est sous cette inspiration si pure que, dans cette même année 1333, Ozanam et ses amis se réunirent en conférence pour visiter quelques familles pauvres, et fondèrent ainsi, presque sans s'en douter, cette Société de Saint-Vincent de Paul dont les ramifications s'étendent aujourd'hui dans le monde entier. Ils n'avaient cru faire qu'une bonne œuvre pour leur édification personnelle ils avaient fait, à leur insu, une grande œuvre, qui devait, plus que bien des événements bruyants, contribuer à christianiser v les nouvelles générations.

L'initiative d'Ozanam et de ses amis se retrouve aussi dans le fait religieux le plus éclatant de cette époque. Ce fut sur leur demande, réitérée deux années de suite, que Mgr de Quélen se décida, en 1835, à inaugurer les conférences de Notre-Dame. Libres penseurs et chrétiens, également stupéfaits, virent alors, sous les voûtes, naguère presque désertes, de la vieille basilique, six mille hommes, jeunes pour la plupart, représentant toute la vie intellectuelle du temps et toutes les espérances de l'avenir, se presser pour entendre la parole d'un prêtre. A considérer leur tenue pendant les longues heures d'attente, à les regarder causant, déployant des journaux, tournant le dos à l'autel, on reconnaissait bien qu'ils n'étaient pas des habitués d'église. C'était la société nouvelle, celte d'où venaient de sortir tant de gémissements et d'aveux d'impuissance. On s'en aperçut bien au frémissement de l'auditoire, quand, dès le premier jour, l'orateur lui jeta brusquement ce cri : Assemblée, assemblée, que me demandez-vous ? que voulez-vous de moi ? La vérité ? Vous ne l'avez donc pas en vous-même, puisque vous la cherchez ici ! Cet orateur dont le nom avait attiré la foule, dont la saisissante parole la retenait et en faisait un auditoire si fixe, si indestructible, qu'il subsiste encore aujourd'hui, était ce jeune prêtre qui naguère s'échappait, meurtri, suspect et découragé, des ruines de l'Avenir : c'était l'abbé Lacordaire. Depuis lors, dans l'obscurité solitaire d'une vie de travail, de mortification et de prière, il avait attendu patiemment l'heure de Dieu. Fils du siècle, en ayant partagé les généreux espoirs, les illusions et même, dans une certaine mesure, les erreurs, tout jusqu'à ses fautes, comme il le disait lui-même, lui avait préparé accès dans le cœur de son pays et de son temps. Il faut chercher là, presque autant que dans sa merveilleuse éloquence, la cause d'un succès qui fut immense, à la fois retentissant et profond, subit et durable. N'est-ce pas de cette époque que date le retour des anciennes classes dirigeantes au christianisme ? Et, pour que tout fût extraordinaire et imprévu dans cet événement, le prélat qui présidait à cette assemblée et sous la bénédiction duquel elle s'inclinait respectueuse, était ce même archevêque, chassé quelques années auparavant de son palais saccagé et réduit à se cacher dans sa ville épiscopale. Ne semblait-il pas que l'inauguration de ces conférences de Notre-Dame marquât, après une longue rupture, comme une solennelle reprise des relations entre l'élite de la société moderne et l'Église ? Le catholicisme, naguère proscrit ou, ce qui était pis, oublié, y apparaissait tout d'un coup avec un incomparable éclat et même avec une popularité telle qu'il n'en avait pas connu depuis des siècles transition rapide du mépris à l'honneur, dont les chrétiens de ce temps n'ont pu se rappeler, plus tard, l'émotion et la surprise, sans sentir leurs yeux se mouiller de larmes involontaires et sans tomber en actions de grâces devant Celui qui est inénarrable dans ses dons[34].

 

 

 



[1] La Chambre n'affectait plus, comme au lendemain de 1830, d'ignorer l'existence même des fêtes du christianisme. En 1833, pour la première fois depuis la révolution de Juillet, elle suspendait ses séances le jour de l'Ascension. Le fait fut remarqué.

[2] C'est M. Dupin lui-même qui le constate. (Mémoires, t. III, p. 22.)

[3] A ce compte, disait le Journal des Débats, la prêtrise serait une mise hors la loi. Sous la première race, quand on voulait dégrader un prince, on le tonsurait et on le faisait prêtre. Dès ce moment, il ne comptait plus ce serait la même chose aujourd'hui. La tonsure ecclésiastique serait aussi une dégradation civile et politique. Ce n'est pas ainsi que nous entendons la liberté. Point de privilèges pour le clergé, c'est tout naturel, mais point d'exclusion non plus. Que le prêtre puisse être élu si ses concitoyens le trouvent digne de leurs suffrages. Et ce même journal ajoutait, à l'adresse de M. Dupin Nous ne sommes plus en 1827. Les Jésuites de Saint-Acheul ne font plus de procession ; le monogramme de la Société de Jésus et l'emblème du Sacré-Cœur ne sont plus étalés au front des reposoirs de la Chambre des députés ; l'Église ne parait pas prête a envahir l'Etat. Nous pouvons donc, ce nous semble, à l'heure qu'il est, être, les uns moins gallicans, les autres moins voltairiens que nous n'avons été, et appliquer, sans crainte et sans danger, les principes de la tolérance religieuse. Le Journal du Commerce, quoique inféodé aux partis de gauche, n'était pas moins vif contre la thèse de M. Dupin et lui ripostait plaisamment : Quand un avocat vient signaler, à la tribune, les habitudes envahissantes du parti prêtre, un prêtre pourrait, avec raison, lui opposer l'ubiquité des avocats dans les fonctions administratives.

[4] Cf. mon étude sur le Parti libéral sous la Restauration, p. 386 et suiv.

[5] Juin à décembre 1833.

[6] Vie du cardinal Mathieu, par Mgr BESSON, t. I, p. 140 à 143.

[7] Journal des Débats du 23 octobre 1833.

[8] Janvier 1835.

[9] Lettre écrite en mai 1835. (Correspondance inédite, t. II, p. 48.)

[10] Voir les attaques du Constitutionnel du 9 août 1833 et du 12 octobre 1835.

[11] Le Constitutionnel se distinguait parmi ceux qui s'opposaient à la réouverture de l'église. Il semblait n'avoir même pas l'intelligence de l'atteinte portée ainsi à la liberté religieuse. L'église est debout, disait-il en septembre 1833, et rien n'y manque, sinon une croix ornée de trois fleurs de lys ; rien n'y est changé, sinon que les portes n'en sont plus ouvertes. A quoi bon tant de clameurs, si ce n'est qu'on est charme de crier ?

[12] Moniteur de janvier et de mai 1833.

[13] 18 octobre 1832.

[14] Vie du cardinal Mathieu, par Mgr BESSON, t. I, p. 146.

[15] Circulaire du 18 juillet 1833.

[16] Circulaire du 11 octobre 1834.

[17] Circulaire du 13 août 1835.

[18] Expression de M. Thiers dans les débats de la commission de 1849.

[19] Les Débats de la Commission de 1849, par H. DE LACOMBE, p. 35, et 81 à 94.

[20] Mémoires de M. Guizot, t. III, p. 70, 71 et 85.

[21] Journal des Débats du 23 octobre 1883. Ce journal exprimait d'ailleurs le sentiment de M. Guizot, quand il jugeait ainsi la conduite du conseil municipal de Beauvais : C'est là ce que quelques gens, en petit nombre, il est vrai, appellent encore du libéralisme. Le vrai libéralisme, c'est de mettre a la portée du peuple tous les moyens d'instruction possibles, c'est d'ouvrir des écoles pour toutes les croyances, j'allais presque dire pour tous les préjuges. Le reste n'est que de l'intolérance, de la tyrannie.

[22] Ami de la Religion du 25 novembre 1834.

[23] 22 mai et 12 décembre 1833.

[24] Novembre 1835.

[25] Journal des Débats du 10 octobre 1835.

[26] Discours du 18 mars 1834.

[27] Notice sur M. Doudan.

[28] De la réaction religieuse. (Variétés, t. II.)

[29] Propos rapportés par M. A. de Margerie. (Correspondant du 25 juillet 1876.)

[30] Le Christianisme présenté aux hommes du monde, Discours préliminaire, par M. l'abbé DUPANLOUP.

[31] Lettre de mai 1835. (Correspondance inédite, t. II, p. 48.)

[32] Journal des Débats du 28 avril 1834.

[33] M. l'abbé Meignan, depuis évêque, a écrit, en rappelant les souvenirs de cette époque : Le clergé triompha, par ce mélange de fermeté et de conciliation, de force et de douceur, par ce désintéressement, cette humilité, cette abnégation que la religion seule inspire. Il n'arracha point les armes à ses ennemis, mais ceux-ci les déposèrent eux-mêmes. On ne saurait dire combien le prêtre grandit promptement dans l'estime des populations cannées, par la déclaration qu'il fit de rester étranger à toute préoccupation politique, par le devoir qu'il s'imposa de pratiquer une franche neutralité, par l'activité, l'intelligence, la discrétion dont il fit preuve, en organisant, partout où il pouvait, des œuvres de charité, en ouvrant des asiles, des ateliers, des écoles, par le zèle qu'il déploya à instruire, à consoler, en un mot par le simple exercice de son pieux ministère. (D'un mouvement antireligieux en France, Correspondant du 25 février 1860.)

[34] LACORDAIRE, Notice sur Ozanam.