HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836) (suite)

 

CHAPITRE VI. — LES FAIBLESSES DE LA POLITIQUE DE CASIMIR PÉRIER.

 

 

I. Périer est obligé de combattre avec des armes émoussées et faussées. On rappelle aux ministres leur passé. État des esprits dans le parti conservateur. Le sentiment monarchique y fait défaut. Question de la liste civile. Pamphlets de M. de Cormenin. Débat de la Chambre. — II. Concessions que Périer se croit obligé de faire au trouble des esprits. Question de la pairie. Discours de Royer-Collard. Suppression de l'hérédité. — III. Politique religieuse. Amélioration produite par l'avènement de Périer. Dispositions du clergé. Attitude du Pape. Sentiments personnels de Périer. Le gouvernement n'ose rouvrir Saint-Germain l'Auxerrois et rebâtir l'archevêché. Dispersion des Trappistes de la Meilleraye. Interdiction des processions. Obsèques de l'évêque Grégoire. Affaire de l'abbé Guillon. Vexations des municipalités. Le christianisme banni de toutes les solennités officielles. La religion maintenue dans l'enseignement public. Le budget des cultes à la Chambre. Langage élevé de M. Guizot.

 

I

Nous avons pleinement admiré Casimir Périer, nous avons porté très-haut l'homme et son œuvre. Loin de nous la pensée de revenir sur ce jugement. Mais, si énergique que fût la résistance opposée par Périer au désordre, elle avait ses faiblesses si lumineuse que fût la figure du ministre, elle avait ses ombres. Force nous est de montrer les unes et les autres. L'histoire doit tout dire ; elle n'a le droit de rien voiler par complaisance ou par respect. Nous pourrons ainsi, au premier abord, surprendre et peiner ceux qui, avec nous, ont admiré Périer ; après réflexion, ils comprendront que cet homme est de ceux qui peuvent supporter sans dommage la pleine vérité. Ils se rendront compte que les défaillances secondaires ont laissé subsister les parties principales, décisives et vraiment méritoires de l'œuvre de résistance ; ils verront surtout que ces défaillances ont été moins encore la faute de l'homme que le malheur d'une époque troublée. Presque tout ce que Périer a fait de bon vient de lui-même ; ses erreurs et ses échecs viennent, pour une notable part, des passions ou des préjugés alors régnant. Ainsi apparaît toujours ce mal révolutionnaire dont le ministre subissait lui-même l'influence, au moment où il le combattait si courageusement.

Déjà nous avons eu, plus d'une fois, l'occasion de constater les conditions défavorables dans lesquelles Périer devait soutenir la lutte ; on a vu comment, par l'effet de la révolution, les armes dont il se servait étaient émoussées, faussées, comme branlantes, et trahissaient parfois la vigueur de son effort ; on a vu l'inconsistance de la majorité parlementaire, les acquittements scandaleux du jury, les défaillances de certains préfets ou de certains généraux, la défection des gardes nationales passant à l'émeute au lieu de la réprimer, et même parfois, au début, l'hésitation de l'armée[1]. Les ministres et ceux qui, à leur côté, s'étaient le plus courageusement engagés dans la résistance n'échappaient pas entièrement à cette faiblesse générale et originelle ; alors même que leur énergie demeurait entière, leur autorité morale se trouvait atteinte. Ils n'avaient pas trempé naguère dans la révolution, à quelque degré que ce fût, sans être un peu embarrassés pour la combattre. Quand ils voulaient parler ou agir contre le parti anarchique, celui-ci leur objectait qu'ils avaient fait eux-mêmes, à leur jour, ce qu'ils lui reprochaient maintenant. A M. Barthe, devenu garde des sceaux, on rappelait qu'il avait été membre actif des sociétés secrètes, fauteur des conspirations, et La Fayette le nommait malicieusement, à la tribune, son vieux complice[2] ; à M. Thiers, qu'il avait inauguré contre l'ancienne royauté, dans le National de 1830, la tactique reprise maintenant contre la nouvelle ; à M. Guizot, qu'il avait été le collègue et l'allié des républicains dans la société Aide-toi ! le ciel t'aidera. Il n'était pas jusqu'à Casimir Périer qu'on ne se plût à mettre en contradiction avec son passé. A l'heure de ses plus tragiques combats, en septembre 1831, après la chute de Varsovie, les opposants de la Chambre, auxquels il reprochait avec une énergie si haute de s'appuyer sur l'émeute du dehors, se croyaient autorisés à répondre que lui-même leur avait donné, quelques années auparavant, l'exemple de prendre la révolte sous sa protection et de s'en servir pour peser sur le Parlement. Il leur suffisait de remonter aux désordres qui avaient accompagné, en 1820, la discussion de la loi électorale, et de rappeler les véhémentes harangues où Périer, chef d'attaque, avait fait un crime au gouvernement d'alors de la plus légitime répression, protesté contre les excès des soldats conduits par des hommes coupables, et parlé avec menace du danger de développer tous les jours l'appareil militaire, au milieu d'une population où chacun pouvait se rappeler qu'il avait été soldat. En 1820, ainsi qu'en 1831, c'était un grand ministre qui avait tenu tête, par sa seule parole, par son seul courage, à la coalition de la rue et de la tribune et, pour compléter la ressemblance, chez M. de Serre, comme, plus tard, chez Casimir Périer, une santé détruite, la force physique toujours sur le point de manquer à une âme vaillante, et l'opposition, devenue par là vraiment meurtrière, pouvant mesurer, sur le front de son illustre victime, l'avance que de telles scènes faisaient prendre à une mort, hélas ! trop proche.

Les ministres ou leurs alliés reprochaient-ils à l'opposition qui se prétendait dynastique de faire campagne avec la faction républicaine, c'était encore en rappelant leur conduite sous la Restauration que leur répondait Carrel. Qui les soutenait alors ? disait-il, qui les applaudissait au dehors ? Qu'entendaient-ils, dans ce temps-là, par ce parti libéral à qui ils demandaient la popularité ?... Ne savaient-ils pas que, sur les mêmes bancs où ils s'asseyaient, il y avait des ennemis déclarés des Bourbons, bonapartistes, partisans d'un 1688 français, ou républicains ?... C'est alors que nos hypocrites de légalité, nos hommes gouvernementaux d'aujourd'hui eussent dû proclamer hautement ce qu'ils pensaient et des bonapartistes, et des républicains, et des admirateurs de la Convention, et des théoriciens plus aventureux encore qui prétendaient que Babeuf et ses amis avaient péri innocemment... Non, on ne repoussait pas l'alliance de toutes ces sectes politiques. Alors on n'exécrait aucune nuance des opinions révolutionnaires, on ne répudiait aucune alliance. Du côté du pouvoir, flétrissait-on, avec un juste mépris, la presse de la rue, le National répliquait : Et qu'êtes-vous, vous-mêmes ? D'où venez-vous ? Est-ce que votre royauté n'est pas la royauté de la rue ?... Royauté de la rue, ministres de la rue, députés de la rue, sans cette investiture de la rue, qui vous releva de vos serments envers trois générations de Bourbons, vous ne seriez que des traitres qui auriez déserté la monarchie légitime, au jour où elle vous appelait à la défendre contre la rue[3]. Sans doute, l'opposition ne se justifiait pas ainsi, mais elle embarrassait les ministres et leurs amis ; elle leur faisait, dans les discussions, une situation fausse qui n'était de nature ni à augmenter la force morale du gouvernement, ni à relever les mœurs publiques, ni à redresser l'opinion.

Cette opinion était singulièrement dévoyée. Elle aussi se ressentait de la révolution. Le mal apparaissait non-seulement dans les régions acquises à l'opposition, mais aussi dans celles où le gouvernement cherchait un appui. La masse conservatrice d'alors, malheureusement appauvrie par l'hostilité des éléments légitimistes, avait conservé des événements de Juillet bien des préjugés, des exigences et des passions. Périer y dénonçait un sentiment de jalousie sociale, un esprit de vertige, tels que, si l'on y cédait, on n'aurait bientôt ni armée ni administration, et, il faut le dire, plus de pays. Ajoutez ce malaise que M. de Rémusat dépeignait ainsi à M. Guizot, le 29 juin 1831 : L'état général des esprits me préoccupe... C'est un mélange d'irritation et de découragement, de crainte et de besoin de mouvement ; c'est une maladie d'imagination qui ne peut ni se motiver ni se traduire, mais qui me paraît grave. Les esprits me semblent tout à fait a l'état révolutionnaire, en ce sens qu'ils aspirent à un changement, à une crise, qu'ils l'attendent, l'appellent, sans qu'aucun puisse dire pourquoi.

Ce qui manquait le plus aux conservateurs de ce temps, c'était le sentiment monarchique. Le malheur du régime de 1830, on l'a dit, était que les vrais royalistes n'y criaient pas : Vive le Roi ! Parmi les partisans de ce régime, plusieurs eussent été surpris, peut-être même blessés, si on les avait traités de royalistes. Carrel a esquissé plaisamment d'après nature le bourgeois de ce temps. Avez-vous quelquefois interrogé, dit-il, un de ces gens paisibles, excellents citoyens au fond, mais peu prévoyants, et qui s'étaient laissé enrégimenter dans le juste milieu, sous M. Périer ?... Demandez à cet homme s'il est royaliste, il vous répondra qu'il est abonné depuis quinze ans au Constitutionnel, et que sans doute vous vous moquez. — Républicain ? Pas davantage ; mais il veut les conséquences de la révolution de Juillet. Propagandiste ? Il a horreur du mot, depuis qu'il a lu le discours de M. Périer ; mais il tiendrait beaucoup cependant a ce que la France fût encore la grande nation, car il a dans sa bibliothèque, à côté d'un beau Voltaire, une superbe édition des Victoires et conquêtes, de M. Panckoucke, et il a été révolté de l'abandon de la Pologne. Notre homme n'est rien de ce qui fait un royaliste ; il est, au contraire, implacable ennemi des chouans, des prêtres, des émigrés et de la Sainte-Alliance ; il a toute l'étoffé d'un républicain, seulement il ne le sait pas ; il a peur du mot et pas de la chose. Il prendrait son parti de la république, si elle pouvait venir sans trouble ; mais, en attendant, il est pour l'ordre public, ou mieux encore pour la tranquillité. Qui pourrait nier la part de vérité contenue dans cette satire ? Le haut esprit du duc de Broglie notait alors, avec dégoût et tristesse, chez ceux qui l'entouraient, cet appétit pervers, naturel aux époques de révolution, de tout abaisser, la royauté surtout. — Si l'on est obligé, ajoutait-il, de laisser subsister cette royauté, on cherche du moins à la compromettre de plus en plus dans les idées et les intérêts révolutionnaires[4]. La vanité des petites gens se plaisait à mettre sans cesse cette monarchie en face de son origine ; ils avaient la bouche pleine, quand ils parlaient du roi qu'ils avaient fait[5], et se croyaient au moins ses égaux ; lors des illuminations du 28 juillet 1831, un Parisien avait mis à sa fenêtre son propre portrait et celui du Roi, avec ce distique écrit sur un transparent

Il n'est point de distance entre Philippe et moi ;

Il est roi-citoyen, je suis citoyen-roi.

Il n'était pas jusqu'aux mœurs simples du prince dont on n'abusât pour le traiter avec un sans gêne irrespectueux. M. Doudan l'a dit : L'homme est un animal insolent qui n'aime l'extrême simplicité que pour lui grimper sur les épaules ; et ce fin observateur en concluait plaisamment que, s'il était par accident chef des peuples, il vivrait au milieu de la foudre et des éclairs, surtout, ajoutait-il, dans les temps où les idées d'égalité absolue auraient miné le monde[6]. La vue des outrages dont la royauté était alors accablée par ses adversaires ne rappelait pas ses partisans à plus de respect. A voir même ces étranges conservateurs faire aux caricatures de Philipon et de ses collaborateurs un succès de curiosité, n'eut-on pas dit que le ridicule et la boue jetés sur le Roi flattaient en eux je ne sais quel arrière-fond d'envie[7] ?

C'est que, chez la plupart de ceux qui soutenaient la monarchie nouvelle, le cœur n'était pas assez intéressé. On eut vainement cherché en eux ce mélange de tendresse et de foi, qui marquait autrefois les rapports du sujet et du Roi, et qui avait, dans une certaine mesure, reparu sous la Restauration[8]. Bien au contraire, ils se vantaient d'avoir répudié cette sentimentalité et cette religiosité monarchiques. Nous ne sommes pas des Vendéens, disait l'un d'eux à Louis-Philippe. Beaucoup n'étaient même pas des whigs. S'ils s'attachaient à la royauté, ce n'était ni par affection ni par principe ; ce n'était guère que par intérêt. Cette royauté leur paraissait être, comme on l'a dit, un paratonnerre pour protéger les boutiques. Sa force était surtout de pouvoir répéter à la bourgeoisie ce que l'astrologue de Louis XI disait à ce prince, pour se mettre en garde contre ses fantaisies meurtrières Je mourrai juste trois jours avant Votre Majesté. Est-il vrai, comme l'ont soutenu des esprits qui se piquaient d'être désabusés et positifs, que l'intérêt est pour la monarchie un fondement meilleur que le sentiment ? Sans doute, l'intérêt peut, à un moment donné, assurer des concours nombreux ; mais sont-ce les plus sûrs et les plus dévoués ? Une telle fidélité a besoin d'être stimulée et entretenue par un danger en quelque sorte tangible ; avec la sécurité, vient l'indifférence, et une indifférence accessible à tous les caprices, à toutes les excitations malveillantes. Cet intérêt, manque même de clairvoyance ; il se trompe facilement sur la réalité du danger, et souvent il ne commence à s'en émouvoir que quand le temps est passé de l'écarter. Ainsi fera-t-il en 1848. C'est en ce sens que, dès 1832, un fin observateur disait à Henri Heine : Le parti du Roi est très-nombreux, mais il n'est pas fort.

Presque à chaque pas, apparaissait alors ce défaut de véritable royalisme on eût dit que, parmi les partisans de la monarchie nouvelle, beaucoup voulaient lui faire payer leur appui en la contrariant, et, pour nous servir d'une expression appropriée à la vulgarité d'une telle conduite, en lui faisant la vie dure. Cette tendance se manifesta surtout à propos de la fixation de la liste civile. Il eût importé à la dignité de la monarchie nouvelle qu'une telle question fût résolue largement et promptement, sans marchandage et presque sans débat. Quand, sous la Restauration, la liste civile de Louis XVIII avait été fixée à 34 millions, celle de Charles X à 32 millions, il n'y avait pas eu une objection. Si les choses ne se passèrent pas de même après 1830, la faute en fut au moins autant à la timidité ou aux idées fausses des partisans de la monarchie qu'aux manœuvres de ses adversaires. Les conservateurs s'étaient nourris de phrases sur le gouvernement à bon marché. Une royauté bourgeoise qui régnerait au rabais et qui serait mise en garde contre l'orgueil par de salutaires humiliations, tel était leur idéal. N'était-on pas d'ailleurs parvenu, à force de calomnies ouvertes ou de perfides insinuations, à leur persuader qu'il fallait se méfier de l'avarice de Louis-Philippe ? Ce bâtisseur infatigable qui devait laisser après lui une liste civile obérée, on le présentait comme étant possédé d'une parcimonie et d'une avidité mesquines, vices les plus propres, après la tacheté, à discréditer un prince en France ; et plus d'un badaud avait fini par croire que le Roi ne songerait qu'à économiser et à thésauriser les millions de sa dotation. Certaine manière d'être de Louis-Philippe aidait sur ce point la méchanceté de ses ennemis. Par amour de l'ordre, par souci surtout de l'avenir de ses enfants qu'il craignait de voir, un jour, sans pain[9], il avait, en ces questions de fortune, une préoccupation soigneuse, qui était plus d'un propriétaire prudent et d'un bon père de famille que d'un prince. Peut-être lui eût-il été profitable d'avoir quelques défauts de plus, un peu de l'insouciance, de l'imprévoyance en fait d'argent, qui, à tort ou à raison, paraissent en France la marque du gentilhomme. Tout en dépensant beaucoup et utilement, il n'avait pas, dans la forme, cette magnificence qu'un aventurier eût peut-être feinte avec plus d'adresse, et grâce à laquelle quelques louis jetés avec désinvolture font plus d'effet sur la foule que des millions dépensés avec une régularité bourgeoise. Néanmoins, rien dans tout cela ne pouvait justifier ou même seulement excuser cette imputation d'avarice qui ne fut pas la machine de guerre la moins efficace contre la monarchie nouvelle. Des injustices nombreuses auxquelles Louis-Philippe était exposé, nulle ne lui fut plus sensible, plus douloureuse, et la première fois que, dans son intimité, il prononça le mot d'abdication, ce fut après une attaque de ce genre.

En décembre 1830, M. Laffitte avait déposé un projet fixant la liste civile à 18 millions ; mais, surpris et effrayé de l'opposition qui s'éleva, il ne pressa pas la discussion, et, dans la commission, se hâta d'abandonner le chiffre qu'il avait proposé. Périer, lui-même, sentit l'opinion si excitée, qu'il montra une timidité à laquelle il n'avait habitué ni ses amis ni ses adversaires. Ce fut seulement le 4 octobre 1831 qu'il se décida à présenter un nouveau projet encore y laissa-t-il en blanc le chiffre de la dotation, voulant, disait-il, par un sentiment de haute convenance et par déférence pour une auguste volonté, remettre à la Chambre le soin de le fixer elle-même. Cette réserve, bien loin de désarmer les oppositions, les rendit au contraire plus audacieuses. On se livra, dans la presse, à toutes sortes de calculs perfides, de lamentations hypocrites, d'insinuations calomnieuses sous prétexte de liste civile, ce fut le Roi, dans sa vie privée, avec ses goûts supposés, qu'on mit sur la sellette et qu'on travestit outrageusement. Dès ce moment, un homme se fit une spécialité de cette diffamation factieuse c'était M. de Cormenin. Ancien membre du conseil d'Etat sous l'Empire et sous la Restauration, connu comme juriste administratif, dynastique zélé sous ces deux régimes, gratifié par faveur du titre de vicomte, rien dans son passé ne l'avait préparé au rôle qu'il allait jouer. Il était député et s'appliquait, depuis Juillet, à voter avec le parti le plus avancé, mais sans tenir grande place dans la Chambre. A la tribune, le regard effrayé et la parole hésitante, il faisait piteuse figure. Est-ce pour cela qu'il préféra s'embusquer dans de petits pamphlets qu'il pouvait écrire sans avoir ses contradicteurs en face ? Son titre de député ne lui était pas cependant inutile, puisqu'il lui assurait une inviolabilité fort avantageuse en ce rôle de calomniateur ce qui ne l'empêchait pas de dire au peuple que, par amour pour lui, il s'exposait aux sépulcres vivants de Pélagie. Ses lettres sur la liste civile, publiées en décembre 1831, eurent un grand retentissement. La valeur en était cependant médiocre ; tangue pénible, sans naturel, guindée et limée, tout en étant singulièrement incorrecte[10] ; phrases courtes, sans être toujours rapides ; traits laborieux, railleries plus dénigrantes que malicieuses, rire plus nerveux que gai, émotion de rhéteur à froid ; voilà ce qu'on prétendait égaler au style pur, délicat, parfois exquis, à l'esprit vif, bien qu'un peu sec, de Paul-Louis Courier. N'osa-t-on même pas prononcer, avec sérieux, le nom de Pascal ? A défaut de mérite littéraire, ces pamphlets avaient une efficacité malfaisante. Leur dialectique vulgaire et sophistique imposait aux badauds. Des chiffres perfidement disposés donnaient à la critique une apparence de précision. L'auteur par son instinct propre devinait ce qui pouvait le mieux flatter les petits sentiments, exciter les envies mesquines et les haines souffreteuses. Ainsi mettait-il en regard la paille nécessaire a la litière des écuries royales, et celle qui manquait au lit de tant de pauvres familles, ou calculait-il combien, à quinze sous par jour, on nourrirait de paysans avec les millions de la liste civile. An profit de qui l'ancien auditeur du premier Empire, le récent maître des requêtes de la Restauration, le futur conseiller d'État de Napoléon III, faisait-il alors cette vilaine campagne ? On serait embarrassé de répondre. Peut-être obéissait-il surtout à des ressentiments médiocres et à un naturel besoin de dénigrement. Pour le moment, il se disait républicain, et les républicains l'acceptaient comme un des leurs, en attendant qu'en 1848, ils reçussent de ses mains le suffrage universel, et lui confiassent, comme au plus compétent, la préparation de leur constitution.

Ces polémiques n'avaient que trop d'effet sur une opinion mal disposée. Enfin la discussion s'ouvrit à la Chambre, en janvier 1832. Elle ne dura pas moins de huit jours, âpre, violente, mesquine ; on eût dit un marchandage avec un entrepreneur avide et rusé dont les demandes sont suspectes et dont on s'applique à réduire les bénéfices[11]. Une partie des conservateurs, au lieu de décourager et d'étouffer un débat mortel au prestige même de la royauté, suivait à demi l'opposition, ou du moins paraissait l'entendre sans déplaisir. Casimir Périer voyait bien la faute d'une telle conduite ; il conjurait ses amis de se rappeler que ce n'était plus une question financière mais une question politique, et comme il le disait justement, une question de royauté. Néanmoins il sentait avoir affaire à des affections si froides et à des préjugés si vifs, que lui-même était craintif, embarrassé, comme s'il eût demandé plus qu'il n'avait droit ou chance d'obtenir. Des incidents bruyants et passionnés marquèrent ce triste et long débat. Un jour, M. de Montalivet était amené, au cours de son argumentation, à parler du Roi et de ses sujets Aussitôt éclate un effroyable tumulte sur les bancs de l'opposition : Il n'y a plus de sujets depuis la révolution de Juillet ! crie-t-on. — Les hommes qui font des rois ne sont pas des sujets ! A l'ordre, l'Excellence ! On ne permet pas au ministre de s'expliquer c'est une rétractation qu'on exige ; le trouble est tel, qu'il faut lever la séance. Vainement expose-t-on à ces citoyens que les Anglais ne sont pas moins libres, pour se dire les sujets du Roi ; vainement leur rappelle-t-on qu'eux-mêmes, depuis 1830, s'étaient déjà servis plusieurs fois de cette expression ils ne veulent rien entendre, et M. Odilon Barrot rédige gravement une protestation que signent cent soixante-sept députés, tous fiers de cette résistance héroïque au despotisme royal. Quand vint le moment de voter sur les articles de la loi, il ne fut plus même question dés 18 millions, d'abord proposés par M. Laffitte et provisoirement alloués au Roi depuis la révolution. Le chiffre de 14 millions, appuyé par les ministres, fut repoussé comme trop élevé ; il fallut se rabattre à 12 millions.

 

II

Tel était le trouble des esprits, que Périer jugeait parfois impossible d'y résister, ou même semblait en être personnellement atteint. On pourrait noter plus d'un symptôme de cette faiblesse. Par exempte, à un moment où la population échauffée n'avait certes pas besoin d'être encouragée à la révolte, le gouvernement s'honorait de célébrer la mémoire du 14 juillet 1789, première émeute d'où tant d'autres étaient sorties, et accordait une pension de cinq cents francs aux vainqueurs de la Bastille qui justifieraient de leur coopération à cette œuvre mémorable ; les révolutionnaires, en cela plus logiques que le pouvoir, répondaient à cette avance, en préparant ouvertement, pour le jour de cette fête, des désordres qu'il fallait réprimer avec un grand déploiement de troupes. Une autre fois, le ministère laissait voter par la Chambre des députés, sans oser même intervenir, l'abrogation de la loi qui avait institué le deuil national du 21 janvier ; vote aussitôt interprété par la presse comme la réhabilitation ou tout au moins l'absolution du meurtre de Louis XVI. Heureusement, il se trouva, à la Chambre des pairs, des voix pour dire ce que le gouvernement ne disait pas. Le duc de Broglie montra, avec une particulière élévation, que, si l'on pouvait oublier les fautes des hommes, on ne devait pas oublier les leçons des événements. Quant au 21 janvier lui-même, s'écria-t-il, point de molle complaisance, point de sophisme, point d'oubli non plus. Au temps où nous vivons, lorsque l'ouragan des révolutions gronde sur la tête des peuples et des rois, il importe à la France, il importe au monde de n'en pas perdre la mémoire. Et, le lendemain, Casimir Périer disait un peu tristement à M. Guizot : Le duc de Broglie est bien heureux ; il a pu dire ce que pensent tous les honnêtes gens[12]. Le ministère ne s'opposa pas davantage, dans la Chambre des députés, au rétablissement du divorce, mais la Chambre des pairs le repoussa.

L'obligation où le gouvernement croyait être de faire la part des passions et des préjugés apparut plus encore dans un débat autrement important. L'heure était venue de résoudre cette question de l'organisation de la pairie que, lors de la révision de la Charte, on avait renvoyée à la session de 1831, et qui, aux dernières élections, avait tenu tant de place dans les manifestes de tous les candidats. C'était ce que M. de Salvandy appelait alors la grande bataille de la politique révolutionnaire Personnellement, Périer était pour le maintien de l'hérédité. Néanmoins l'opinion lui paraissait si montée, il craignait tant d'être abandonné par beaucoup des partisans habituels du ministère, qu'il ne jugea pas possible même d'essayer une résistance. M. Guizot s'est demandé après coup si l'Impossibilité n'était pas plus grande en apparence qu'en réalité. Toujours est-il que ni lui ni aucun de ses amis n'avaient cru pouvoir alors conseiller la lutte ; les principaux membres de la majorité, réunis et consultés par le ministre, s'étaient pour la plupart prononcés contre l'hérédité, et ceux qui lui étaient favorables avaient déclaré qu'il y aurait témérité périlleuse à la défendre.

Ce ne dut pas être sans une douloureuse angoisse et le sentiment amer de son humiliation que Périer se résigna à sacrifier une institution si importante devant la clameur démocratique. Aussi, quand, le 27 août 1831, il apporta le projet qui conservait au Roi le droit de nommer les pairs, mais enlevait à ceux-ci l'hérédité, le président du conseil ne portait pas la tête aussi haute que d'habitude. Il ne dissimula pas que ce qu'il proposait était contraire à son sentiment propre ; il rendit hommage au mérite de l'hérédité, en même temps qu'il proclamait la puissance du fait qui la condamnait ; mettant en balance l'intérêt à venir du pays qui voudrait le maintien de l'hérédité et ses opinions actuelles qui en exigeaient la suppression, il se déclara tristement obligé à tenir compte de ces opinions. — Ici, dit-il, la législation transige avec la politique, et l'intérêt à venir du pays avec ses opinions actuelles. Puis il ajouta : Oui, messieurs, puisqu'une indépendance constitutionnelle qu'on doit, en théorie, regarder comme protectrice de la liberté politique est confondue, dans l'imagination des peuples, avec l'ancienne aristocratie nobiliaire, oppressive de nos libertés civiles ; puisque notre devoir, notre besoin est de consulter l'impression populaire, en attendant la conviction nationale, nous vous proposons, comme ministres chargés de recueillir les vœux publics et d'y satisfaire en tout ce qui n'est pas contraire à la justice, nous vous proposons, comme dépositaires des intérêts d'ordre public, mais en vous laissant à vous, messieurs, comme législateurs, votre part, une grande part de responsabilité dans cette détermination, nous vous proposons de déclarer que la pairie cesse d'être héréditaire. Périer n'avait pas accoutumé ses auditeurs à un langage si embarrassé. Il demanda seulement, — satisfaction bien illusoire donnée à ses scrupules, — que cet article de la Charte pût être révisé ultérieurement, le jour où la nation, mieux inspirée, voudrait réformer l'œuvre d'une époque de trouble. Quel plaisir ce fut, pour tons les journaux opposants, d'insister avec une malice impertinente sur la capitulation de ce ministre d'ordinaire si fier, de le montrer n'osant pas soutenir son opinion, bien plus, s'offrant lui-même à immoler l'institution dont il se déclarait partisan !

Le débat s'ouvrit, le 20 septembre, à la Chambre des députés. Abandonnée par le ministère, l'hérédité n'en trouva pas moins d'illustres champions, qui mirent leur honneur à faire comme de magnifiques funérailles à cette nouvelle victime de la révolution. Fait curieux, une thèse qu'on appelait aristocratique fut surtout défendue par quatre bourgeois. M. Berryer, M. Guizot, M. Thiers et M. Royer-Collard firent assaut d'éloquence, au service de cette cause perdue d'avance[13]. Entre tous, le discours de M. Royer-Collard fut un événement c'est le mot dont se servait alors même Carrel. Cette grande voix, naguère si écoutée et si populaire, s'était tue depuis la révolution. On eût dit que l'illustre doctrinaire, dont on sait le rôle considérable sous la Restauration[14], avait regardé ce rôle comme terminé par la chute de Charles X. Il affectait de n'être plus qu'un spectateur découragé, avec un fond de raillerie un peu méprisante. Sa nature d'esprit se complaisait d'ailleurs à cette abstention hautaine et chagrine. Sous le régime précédent, ne l'avait-on pas vu se dérober soigneusement à l'action et au pouvoir, par l'effet de sentiments complexes où l'orgueil avait plus de part que la modestie, et où quelque égoïsme se mêlait à une fierté désintéressée ? En juillet 1830, quand la résistance parlementaire dont il avait été l'un des chefs s'était brusquement tournée en révolution, on l'avait entendu dire : Je suis parmi les victorieux, mais la victoire est bien triste. Sans blâmer ceux qui prenaient part à l'établissement d'une dynastie nouvelle, il les avait encore moins approuvés et surtout ne leur avait pas promis le succès. Dans ses lettres ou dans sa conversation intime, il déclarait volontiers qu'il ne s'entendait pas avec le présent, craignait l'avenir et ne vivait qu'avec les souvenirs du passé. Il insistait sur ce qu'il appelait la contradiction des principes du nouveau gouvernement. — Je n'avais, disait-il encore, de vocation libérale qu'avec la légitimité ; la quasi-légitimité n'est pas un contre-poids suffisant ; elle aura bientôt usé les honnêtes gens qui s'y sont confiés. De là, ce silence qu'il avait garde à la Chambre, depuis l'avènement de la nouvelle monarchie, silence qu'il savait, du reste, rendre presque aussi imposant que l'avait été sa parole. Néanmoins, si étranger qu'il voulût demeurer à l'expérience faite par les hommes de 1830, la suppression de l'hérédité de la pairie lui parut un pas considérable dans la descente démocratique, et il crut devoir à son pays, surtout se devoir à lui-même, une suprême protestation. Rarement son éloquence s'était élevée aussi haut ce fut moins l'argumentation d'un contradicteur que l'avertissement d'un prophète. La démocratie dans le gouvernement, dit-il, est de sa nature violente, guerrière, banqueroutière. Avant de faire un pas décisif vers elle, dites un long adieu à la liberté, à l'ordre, à la paix, au crédit, à la prospérité. Puis, au milieu du recueillement profond de la Chambre qui l'écoutait non sans une sorte d'effroi intime, M. Royer-Collard terminait ainsi : Messieurs, je contiens les pressentiments dont je ne puis me défendre ; mes paroles n'ont point franchi la question qui vous occupe. Cependant, quelque grave qu'elle soit, elle révèle une situation plus grave encore, et dont nous faisons nous-mêmes partie. Il nous est donné, peut-être pour la dernière fois, de la changer si nous arrêtons enfin, dans cette grande circonstance, le cours de nos destructions, je n'ose le dire, de nos dévastations. C'est assez de ruines, messieurs, assez d'innovations tentées contre l'expérience. La fatigue générale vous invite au repos. Les plus ignorants savent démolir, les plus habiles échouent a reconstruire. Maintenez avec fermeté, consacrez de nouveau l'hérédité de la pairie, et vous n'aurez pas seulement sauvé une institution protectrice de la liberté comme de l'ordre, vous aurez repoussé l'invasion de l'anarchie, vous aurez relevé l'édifice social qui penche vers sa ruine.

Pour défendre la loi, Périer ne pouvait se placer aussi haut ; il fut réduit à arguer de la nécessité politique, et à reproduire les explications embarrassées de son exposé des motifs. A droite comme à gauche on avait vivement critiqué cette attitude d'un ministère laissant voir que la loi qu'il présentait était contraire à son opinion. Quel est donc, s'était écrié M. Berryer, le devoir du législateur, si ce n'est de résister fortement à ce qu'il regarde comme dangereux, à ce qui répugne à sa conscience, à sa conviction, à ce qu'il considère comme une manifestation d'erreur publique ! Honte à ceux qui, dans ce cas, désertent leur propre conviction. Je cherche en vain une expression pour qualifier cette conduite une seule un peu forte, vous me la passerez, peut rendre mon idée, c'est celle de trahison. Périer répondit que les règles parlementaires ne pouvaient s'appliquer en présence de la Charte qui précisait la date de la révision, des passions soulevées contre l'hérédité et des élections qui l'avaient condamnée. Il n'appartient à personne, ajoutait-il, de changer la situation, d'en ajourner les exigences, ou d'en modifier l'effet ; la loi n'avait en quelque sorte qu'à la constater. Ce n'était donc pas la conscience du ministère qui se trouvait engagée contre les principes, c'était son action qui était toute tracée par les faits. Sa propre conviction n'était plus la question dominante ; la loi paraissait tout écrite dans les circonstances.

De l'aveu de tous, l'honneur du débat avait été pour la cause de l'hérédité. C'est dommage que ceci finisse sitôt, disait le général Bugeaud à M. Guizot ; vous n'aviez pas vingt voix au commencement ; vous en aurez davantage. Au vote, il y en eut quatre-vingt-six ; qu'était-ce pour résister aux deux cent six députés qui, partageant ou servant les préjugés du jour, se prononcèrent contre l'hérédité ? Ce premier vote émis, Périer retrouva un peu de son énergie pour défendre le droit de nomination royale contre l'élection : Je prie la Chambre d'observer, dit-il, qu'il ne s'agit ici ni d'une question de pouvoir ministériel ni de la pairie, mais que c'est ici la question de la royauté tout entière qui s'agite devant elle. Il fut décidé que le Roi nommerait les pairs, sauf obligation de les choisir dans certaines catégories. Sur un autre point, le président du Conseil fut moins heureux ; malgré sa vive insistance, il ne put faire adopter l'article qui réservait aux Chambres la faculté de réviser plus tard cette disposition de la Charte ; les adversaires de l'hérédité exigèrent une condamnation irrévocable.

Périer n'était pas encore au bout de ses peines. Il restait à imposer à la haute Chambre elle-même sa propre mutilation. Pour lui arracher un vote qu'au fond il déplorait, le ministre dut faire une fournée de pairs et s'engager à fond dans le débat. Au cours de son administration, il eut sans doute à soutenir des luttes autrement violentes et tragiques ; il n'en connut pas peut-être de plus pénibles et de plus mortifiantes.

La ruine était consommée. Dépouillée de ce qui faisait son indépendance et son autorité, la Chambre des pairs n'existait plus qu'à l'état de conseil administratif ou de tribunal politique. Vainement était-elle riche en capacités, en expériences, en renommées, elle avait désormais perdu toute influence sur la direction du gouvernement ; on ne pouvait y trouver ni un obstacle, ni un appui. Dans l'atmosphère démocratique où nous vivons aujourd'hui, nous n'avons plus même l'idée d'une Chambre héréditaire. C'est précisément parce que de telles institutions une fois détruites, ne sauraient être rétablies artificiellement, qu'il eût fallu se garder d'y porter légèrement atteinte. En 1830, l'hérédité de la pairie existait ; les libéraux de la Restauration, à la suite de Benjamin Constant, y avaient vu l'un des principes essentiels du gouvernement parlementaire. Après la crise de Juillet, l'hérédité eut dû apparaitre plus utile encore il n'y avait plus d'autre contre-poids aux forces populaires, tant accrues par la révolution. Mais la bourgeoisie victorieuse, par peur ou haine d'un fantôme aristocratique qui ne pouvait gêner son ambition, se jeta du côté de la démocratie, qui était sa vraie rivale sa menaçante et Impatiente héritière ; dans son aveuglement, elle ne comprit pas que les démocrates avaient contre la prépondérance des classes moyennes la même animosité contre le principe de la monarchie les mêmes objections que contre l'hérédité de la pairie. Ce qui aggrave sa faute et sa responsabilité, c'est qu'elle agit ainsi par de petits motifs sottes rancunes, jalousies mesquines, lâcheté ou timidité à remonter le courant. La monarchie se trouvait désormais sans point d'appui, en face d'une Chambre élue qui était d'autant plus portée à exagérer sa prépondérance, qu'elle pouvait se flatter d'avoir seule créé la royauté et fait la constitution. Qui eût osé affirmer que cette monarchie née de la veille sortie d'une révolution, suspecte à l'Europe, trouverait en elle-même de quoi compenser cette diminution de force ?

 

III

La faiblesse que nous venons de noter chez Périer apparaissait dans sa politique religieuse. Non, sans doute, que l'avènement du ministère n'eût marqué, sous ce rapport comme sous les autres, un changement considérable et un heureux progrès. Dans le discours où il exposait son programme, le président du Conseil annonçait solennellement que a la liberté des cultes serait protégée comme le droit le plus précieux des consciences qui t'invoquent Parole significative, au lendemain du jour où le ministère Laffitte avait honteusement laissé saccager Saint-Germain-l'Auxerrois[15]. Le clergé, depuis la révolution, avait souffert surtout par les vexations arbitraires des pouvoirs locaux, particulièrement des municipalités. Dès les premiers jours d'avril, le ministre des cultes, M. de Montalivet, invita les préfets à rappeler à MM. les maires qu'ils n'avaient aucune injonction à faire aux curés et desservants touchant l'exercice du culte ; il ajouta que l'autorité locale et la garde nationale devaient protection à tout citoyen français et à ses propriétés ; que, dès lors, quels que fussent les torts qu'aurait un prêtre, il ne pouvait être puni que conformément aux lois, ce qui excluait et rendait coupable tout acte arbitraire contre sa personne et son domicile. Il termina en indiquant comment toute atteinte portée au respect que doivent inspirer les temples et les signes que chaque religion a le droit d'offrir à la vénération des peuples devait être nécessairement prévenue ou réprimée.

Louis-Philippe, de son côté, s'employait à rétablir une confiance et une sécurité que trop de faits avaient ébranlées. Dans le voyage qu'il fit, en juin et juillet 1831, a travers les départements du Nord et de l'Est, il accueillit partout avec bienveillance les évêques ou les curés, mit un soin remarqué à les assurer qu'ils recevraient toute la protection a laquelle la loi leur donnait droit, et leur promit de soutenir toujours de tout son pouvoir le respect qui était dû à la religion. Par contre, il demanda au clergé de le seconder, réclama de lui quelque chose de plus que la soumission aux lois. — Il fallait, dit le Roi, qu'on crût que le clergé entretenait l'esprit d'obéissance et d'affection pour le gouvernement[16]. Ce ne furent pas seulement de vaines paroles Périer n'était pas depuis quelques mois au pouvoir, que l'opposition l'accusait de a faire trop de concessions au clergé Celui-ci de son côté ne tarda pas à reconnaître le changement heureux qui s'était accompli. Un prélat justement considéré et nullement suspect de faiblesse politique, Mgr Devie, évêque de Belley, écrivait à ses prêtres, le 18 juillet 1831 : Dans le moment présent, on déclame moins contre les ecclésiastiques, même dans les journaux il n'est plus question de renverser les croix, de dévaster les églises, de nous accuser d'avoir des armes, de faire l'exercice, de correspondre avec les ennemis de l'État ; la foi n'est point attaquée légalement ; on nous laisse la liberté d'exercer notre ministère ; on respecte même et l'on fait respecter les ecclésiastiques dont la conduite sage, mesurée et toute religieuse est concentrée dans l'accomplissement de leurs devoirs. Et le pieux évêque ajoutait : Faisons en sorte qu'on n'aperçoive parmi nous qu'un seul esprit, l'amour de la paix, le dégagement des choses de la terre, le désir constant et si raisonnable des biens éternels[17].

Ce langage montre que ce n'était pas du clergé qu'on pouvait attendre un obstacle au plein rétablissement de la paix religieuse. Sans doute, beaucoup de prêtres conservaient pour les Bourbons une affection, ressentaient de leur chute un regret, que la conduite du gouvernement, depuis la révolution, n'avait pas toujours été faite pour affaiblir. Néanmoins, que ce fût intimidation ou plutôt prudence chrétienne, chez la plupart, ces sentiments, demeurés au fond des cœurs, ne se traduisirent par aucun acte d'hostilité, n'empêchèrent ni la soumission loyale, ni même une sorte de bonne volonté conciliante envers la monarchie nouvelle. Nous ne parlons pas de l'école de l'Avenir, qui dans sa rupture avec les légitimistes, allait d'un bond presque jusqu'à l'opposition révolutionnaire ; nous parlons de la masse plus tranquille et plus rassise du clergé paroissial. Tel fut notamment, sauf de rares exceptions, l'attitude des évêques. A l'instar de Mgr Devie, dont nous citions tout à l'heure la lettre pastorale ils recommandaient avec insistance à leurs prêtres de demeurer étrangers à toutes les divisions de parti ; de se renfermer, avec le moins de bruit possible, dans l'exercice de leur ministère ; d'éviter, non-seulement dans leur langage public, mais dans leur vie privée et dans leurs conversations intimes, tout ce qui pouvait fournir un prétexte aux préventions dont ils étaient l'objet[18]. Le moindre acte de bienveillance ou seulement de justice les trouvait prompts à la reconnaissance. Avaient-ils à se plaindre, ce qui était alors trop fréquent, ils ne le faisaient qu'à huis clos, et même avec une timidité qui étonne un peu ; formes dans l'esprit du vieux clergé, sans expérience des armes nouvelles de la publicité et de la liberté, s'en menant d'autant plus que l'Avenir les leur avait rendues suspectes par ses excès, ils n'avaient pas encore, dans leurs rapports avec le pouvoir, tant du moins que la foi n'était pas en jeu, cette indépendance plus virile, plus facilement militante, qu'ils devaient bientôt apprendre en faisant campagne, à côté de M. de Montalembert, pour la liberté d'enseignement. Tant de modération était faite pour frapper un homme d'État qui pouvait avoir conservé des préventions, mais qui n'avait nulle animosité ; aussi, vers la fin de son ministère, après avoir vu l'Église de France à l'œuvre, Périer rendait publiquement témoignage de sa sagesse ; il déclarait que les plaintes reçues par le gouvernement contre ce clergé tant attaqué étaient, en somme, très-peu de chose, et qu'au contraire, dans une très-grande partie, il voyait une parfaite soumission aux lois[19].

Cette attitude des évêques était conforme aux instructions et aux exemples de la cour romaine. Après les journées de Juillet, le nonce avait quitté Paris ; la nonciature ne devait être rétablie qu'en 1843. Un simple chargé d'affaires était demeuré en France c'était l'abbé Garibaldi. Par son tact fin, son adroite modestie, son esprit délié, ouvert et conciliant, sa connaissance et son intelligence des affaires françaises, ses relations faciles avec les hommes du jour, il ne contribua pas peu, dans une crise si périlleuse, à empêcher une rupture entre Rome et la France de 1830, et même à remettre petit à petit les rapports sur un bon pied. Dès le début, un incident s'était produit, qui avait manifesté les dispositions du Saint-Siège. Pie VIII, interrogé par plusieurs évêques sur la possibilité de prêter serment au nouveau gouvernement, avait répondu affirmativement par un bref en date du 29 septembre 1830 ; dans ce bref, il se félicitait des sentiments dont son très-cher fils en Jésus-Christ, le nouveau roi Louis-Philippe, se disait animé pour les évêques et tout le reste du clergé. Causant plus librement avec l'envoyé de Mgr de Quélen, le Pape lui avait dit : Il ne faut pas briser le roseau penche, et je pense qu'on ne réussira à améliorer l'état actuel des choses que par les seuls moyens de douceur et de persuasion ; aussi, j'en suis tellement convaincu, que je promets d'avance, et vous pouvez le dire, qu'à moins qu'on ne vienne attaquer la religion, tout le temps qu'il plaira à Dieu de prolonger mon pontificat, on ne verra émaner d'ici que des mesures de douceur et de bienveillance. Il exprimait, en outre, très-fermement cette opinion, que le clergé ne devait en rien se mêler de politique[20]. Grégoire XVI, qui succéda à Pie VIII, le 2 février 1831, n'eut pas une autre conduite il désapprouvait les membres du clergé qui gardaient, par esprit de parti, une attitude hostile envers le gouvernement. Il savait d'autant plus gré à Périer de contenir la révolution en France et d'empêcher la propagande au dehors, qu'il était lui-même, dans ses États, en lutte contre de redoutables insurrections. Ces insurrections mirent la diplomatie française en relations plus fréquentes et plus étroites avec le Saint-Siège ; grâce surtout à M. de Sainte-Aulaire, notre ambassadeur à Rome, ces relations furent cordiales et confiantes, sauf lors des difficultés momentanées auxquelles donna lieu l'expédition d'Ancône.

C'était beaucoup, sans doute, d'en être là, moins d'un an après cette révolution de 1830, à laquelle les circonstances avaient donné le caractère d'une victoire et d'une sorte de revanche de l'irréligion contre le clergé et le catholicisme. Qui songe aux préjugés et aux passions de l'opinion régnante, qui se rappelle la situation faite à l'Église de France pendant les sept premiers mois de la monarchie nouvelle, ne peut sans injustice méconnaître ce qui est dû à Périer. Comparée a ce qui avait précédé et a ce qui semblait la conséquence fatale de Juillet, cette partie de la politique ministérielle témoigne, comme les autres, d'un réel progrès. Toutefois, comparée à ce qui doit être la politique d'une époque régulière, elle présente encore de graves lacunes : lacunes qui sont plus le malheur du temps que l'effet d'une volonté mauvaise. Périer n'avait personnellement aucune hostilité contre le catholicisme. Si sa nature d'esprit, son éducation et les occupations de sa vie ne l'avaient pas porté à réfléchir assez sérieusement sur les mystères de l'âme et sur ses rapports avec Dieu, sa conduite n'était nullement celle d'un homme qui veut rester en dehors de l'Eglise ; elle marquait, au contraire, un respect sincère pour la foi et le culte chrétiens, peut-être même davantage[21]. Madame Périer était pieuse jusqu'à la dévotion, et son mari, si impérieux, si despote dans son intérieur, acceptait sans difficulté, au foyer domestique, les témoignages extérieurs de cette dévotion. Mais, hors de la vie privée, il n'était guère préparé soit par lui-même, soit par les idées alors dominantes, à comprendre tous les devoirs du gouvernement envers la religion. Comme la plupart de ses contemporains, il n'avait pas toujours, dans une mesure suffisante, l'intelligence profonde, la vue haute, le souci délicat des problèmes soulevés par les rapports de l'État avec l'Eglise. S'il ne voulait plus de violences contre le clergé, c'est surtout parce qu'il y voyait une des formes de ce désordre matériel qu'il détestait et dont il se donnait mission de purger la France de 1830 ; il se croyait volontiers quitte, quand il avait fait la police autour des églises, ainsi qu'il l'eût fait autour d'un café-concert ou d'un cirque forain ; il trouvait même, qu'avec un clergé aussi impopulaire, une telle conduite était méritoire, et il accusait sincèrement d'ingratitude les prêtres qui ne se montraient pas satisfaits à ce prix. Mais ne lui demandez pas de se beaucoup préoccuper du désordre moral, du mal intellectuel d'un État où la religion n'a pas, dans la croyance et la confiance des populations, dans le respect et la protection des pouvoirs publics, la place à laquelle elle a droit. Il ne sentait pas quel intérêt il y avait, intérêt social et politique, à combattre ce désordre il ne comprenait pas comment le gouvernement y pouvait quelque chose, comment, sans toucher aucunement à la liberté de conscience, il avait, en cette matière, des devoirs à remplir, des exemples à donner, un usage à faire de sa puissance. Périer désirait éviter avec l'Église des conflits qui lui paraissaient un ennui inutile et un désagréable embarras ; son bon sens eût même trouvé particulièrement absurde et misérable de perdre son temps et ses forces dans des querelles de sacristie, à une époque où il lui fallait chaque jour livrer bataille, au Parlement ou dans la rue, contre les ennemis mortels de la monarchie et de la société. Mais était-ce assez ? L'absence de guerre ne suffit pas à constituer la paix entre les puissances politiques, à plus forte raison entre l'Église et l'Etat. Pour posséder cette paix des esprits, plus nécessaire que celle de la place publique à l'ordre vrai d'un pays, il faut un accord bienveillant et confiant entre les deux pouvoirs temporel et spirituel. C'est encore ce que Périer ne paraissait pas toujours bien comprendre. Sous l'empire de la réaction générale contre "l'union du trône et de l'autel ses idées s'étaient faussées et obscurcies. Rien de mieux, sans doute, que de repousser toute combinaison politique qui transformerait le clergé en instrument d'un parti, au grand détriment de l'un et de l'autre ; mais le tort était de ne pas voir quelle force le gouvernement peut trouver dans cette harmonie féconde qui laisse à chacun des deux pouvoirs sa sphère propre et son indépendance légitime, qui fournit à l'Église, assurée de sa pleine liberté, reconnaissante de se sentir protégée et respectée, les moyens de répandre la vertu de discipline, de prêcher le devoir de sacrifice et de résignation, fondements les plus fermes de la concorde et de la prospérité des États ; le tort était surtout de ne pas voir que ce concours de l'Église était plus précieux, plus indispensable encore, à une époque troublée où toutes les autres forces matérielles et morales dont peut disposer un gouvernement étaient détruites ou ébranlées par une récente révolution. Périer était d'autant moins porté à attendre et à chercher un tel concours, que le clergé lui paraissait un vaincu dont t'influence était pour longtemps compromise. Peu habitué à réfléchir par lui-même sur cet ordre de sujets, il semblait presque parfois croire sur parole les philosophes qui annonçaient, avec un sentiment mêlé d'orgueil et de tristesse, les funérailles d'un grand culte, et il disait alors à des ecclésiastiques, nullement par animosité personnelle, seulement pour constater un fait : Le moment arrive où vous n'aurez plus pour vous qu'un petit nombre de dévotes[22]. D'ailleurs, si bien que Périer eût dépouillé le vieil homme, quelque changement que la pratique du pouvoir et les rapports avec les évêques apportassent chaque jour dans ses idées d'autrefois, il restait chez lui un peu des préventions du libérât longtemps en guerre contre le parti prêtre Quand certaines apparences l'induisaient en erreur, il se retrouvait trop facilement disposé à voir dans une fraction du clergé moins une force sociale dont il avait intérêt à rechercher et à mériter l'alliance, qu'un parti politique, suspect, presque ennemi, qu'il devait surveiller et parfois combattre[23].

 

IV

Ce que nous venons de dire explique, atténue même les fautes commises par Périer dans les questions religieuses, mais ne les justifie pas, et surtout ne dispense pas l'histoire de les noter au passage. Le nouveau ministère, qui n'eût certes pas toléré, comme M. Laffitte, le sac d'une église ou d'un évêché, se montrait singulièrement hésitant à en réparer les conséquences. Depuis la hideuse journée du 14 février 1831, Saint-Germain-l'Auxerrois était demeuré fermé par mesure administrative le clergé et les fidèles de cette paroisse étaient réduits, pour leurs offices, à solliciter l'hospitalité de Saint-Eustache. Prolonger cet état de choses, ce n'était pas seulement entraver gravement l'exercice du culte, c'était surtout paraître sanctionner la désaffectation sacrilège exigée par l'émeute. Le ministère eût désiré donner satisfaction aux catholiques qui réclamaient la réouverture de l'église par moments, il y paraissait presque décidé, commençait même certains travaux, mais il finissait toujours par reculer devant les criailleries de la presse et les menaces de troubles. Dans les matières qui lui tenaient vraiment à cœur, il n'était pas si timide. Encore devait-on s'estimer heureux qu'il n'acceptât pas l'expédient que lui offraient plusieurs journaux entre autres le Constitutionnel. Cet expédient, d'un vandalisme impudent, consistait à raser une charmante église devenue politiquement embarrassante ; on prenait pour prétexte une grande opération de voirie destinée à dégager les abords du Louvre. Saint-Germain l'Auxerrois échappa à la démolition, un moment menaçante ; mais il ne devait être rendu au culte qu'en 1838, sous le ministère de M. Molé.

Ce fut par une timidité analogue que le gouvernement ; au lieu de faire droit aux réclamations de l'archevêque de Paris qui demandait la reconstruction de son palais et offrait même de l'entreprendre à ses frais, affecta au logement du prélat un hôtel de la rue de Lille, et mit en adjudication la démolition définitive du vieil archevêché. Mgr de Quélen fut fort ému d'une décision qui consommait officiellement la ruine commencée par la violence populaire, et qui dépouillait l'Eglise de Paris de la demeure où ses chefs avaient vécu pendant des siècles, à l'ombre de leur cathédrale. Il protesta avec vivacité et adressa à ses curés une lettre publique où, généralisant ses griefs, il signalait en termes émus les malheurs de la religion, le culte public entravé, les églises fermées[24]. Irrité de ces plaintes, le gouvernement y répondit, dans le Moniteur[25], par un article d'un ton singulièrement agressif, accusant l'archevêque d'injustice et d'ingratitude, déclarant que ses plaintes et ses protestations reposaient sur un prétexte frivole lui reprochant d'irriter ait lieu de calmer les consciences pieuses et de n'avoir pas contenu le zèle fanatique comme le gouvernement avait maitrisé les passions impies. Prélat d'une grande dignité de caractère et d'une vertu incontestée, Mgr de Quélen était, sans doute, par ses sympathies personnelles et par les traditions de sa vieille race bretonne, fort attaché à la royauté déchue. Ces sentiments le rendaient, à l'égard du gouvernement, moins prompt à la conciliation que tels autres de ses collègues plus tard, on pourra lui reprocher une obstination boudeuse, une froideur un peu méprisante que le Saint-Siège n'approuvera pas, et où l'honneur du gentilhomme aura peut-être plus de part que la sollicitude épiscopale. Mais, en 183t, après que cet évoque avait été deux fois chassé par l'émeute de son palais saccagé, sans que le pouvoir lui eût jamais accordé la protection due au plus humble citoyen ; après qu'il avait été obligé de se cacher, pendant plusieurs mois, dans sa ville épiscopale, comme le fait un missionnaire en Corée ; au moment où, même sous le ministère de Périer, il se sentait à ce point menacé, qu'il était réduit, le 17 avril 1831 à procéder de nuit et à la dérobée, dans une chapelle de couvent, au sacre de Mgr Gallard, le nouvel évoque de Meaux quand on lui refusait la réouverture ou la réparation des temples dévastés par la populace, et que l'administration des domaines vendait, sous ses yeux, à l'encan les croix brisées et profanées qu'on avait arrachées des églises, franchement le gouvernement était-il en droit d'adresser à ce prélat un reproche d'ingratitude ?

Ce n'était pas seulement à Paris que le ministère hésitait à défaire l'œuvre de l'émeute. Celle-ci, le 17 février 1831, à la nouvelle des désordres de la capitale, avait envahi et saccagé le grand séminaire de Nancy. Même désordre s'était produit à Metz dès le 6 octobre 1830. Depuis lors, ces établissements avaient été fermés administrativement, mesure arbitraire qui interrompait absolument dans ces diocèses le recrutement du clergé. Vainement les autorités ecclésiastiques réclamaient-elles avec insistance, le gouvernement, qui reconnaissait au fond la légitimité de leur plainte, alléguait, pour n'y pas faire droit, la crainte d'une émeute et les dispositions mauvaises des gardes nationales. Toutefois, la réparation, bien que tardive, finit par venir, et cette fois Périer n'en laissa pas l'honneur à ses successeurs. Le séminaire de Metz fut rouvert en février 1832, et celui de Nancy au mois d'avril suivant, après une interruption qui, pour chacun de ces établissements, avait duré plus d'une année.

Le ministère ne se contentait pas de refuser ou de retarder la réparation des violences antérieures, lui-même en commettait. Dans les populations royalistes de l'Ouest, la révolution de Juillet avait naturellement causé une vive émotion. Quelques bandes de chouans qui toutes, il est vrai, n'étaient pas mues par des motifs politiques, s'étaient formées et parcouraient la contrée. Les autorités, sans cesse sur le qui-vive, recueillaient de vagues rumeurs de complot et de soulèvement. Se rendant imparfaitement compte du changement qui s'était opéré, depuis quarante ans, dans les mœurs et jusque dans la disposition des lieux, elles se demandaient si ce n'était pas le prélude d'une nouvelle guerre de Vendée. Dès le début de son ministère, l'attention de Périer avait été attirée de ce côté ; le 16 mai 1831 il avait nommé le général Bonnet commissaire extraordinaire dans l'Ouest avec des pouvoirs étendus qui mettaient sous ses ordres cinquante mille hommes de bonnes troupes, et à sa disposition tous les fonctionnaires administratifs ou judiciaires. C'est dans ces circonstances que les bleus de la Loire-Inférieure dénoncèrent avec insistance comme l'un des centres de l'agitation carliste, la Trappe de la Meilleraye, située sur la frontière de la Bretagne et de la Vendée. L'abbé du monastère, le R. P. Antoine, de son nom de famille M. Saulnier de Beauregard, religieux austère et homme du monde accompli, était particulièrement signalé comme un redoutable conspirateur. Le conseil d'arrondissement de Châteaubriant appelait les rigueurs du gouvernement sur cet établissement très-dangereux pour la tranquillité publique, formé après la Restauration comme un de ses moyens d'abrutissement, devenu maintenant un véritable foyer de conspiration Le conseil général de la Loire-Inférieure demandait la suppression du monastère. L'administration locale appuyait ces plaintes par des rapports alarmants.

A la fin du siècle dernier, des moines, obligés par la Terreur de fuir la France, avaient fondé à Lulworth, en Angleterre, une Trappe, bientôt très-florissante. Louis XVIII les y avait connus et admirés pendant son exil. Monté sur le trône, il avait désiré ramener dans son royaume ces incomparables défricheurs, et s'était occupé lui-même de les établir à la Meilleraye, dans une région de landes et de marécages, où une ferme modèle était particulièrement utile. La liste civile subventionna le monastère, et la famille royale lui marqua plus d'une fois son bienveillant patronage. Le succès de cette fondation fut complet. Au bout de quelques années, le couvent, en pleine ferveur, comptait environ cent quatre-vingts religieux, dont quatre-vingts Anglais ou Irlandais. Les résultats agricoles et industriels étaient merveilleux les conditions matérielles du pays avaient été transformées ; Je bienfait était grand pour la masse de la population ; mais un tel changement n'avait pu s'opérer sans froisser des intérêts particuliers et éveiller des jalousies qui furent sans doute pour beaucoup dans les dénonciations de 1831. Qu'y avait-il de fondé dans ces dénonciations ? Que quelques-uns des religieux, que l'abbé notamment, ancien émigré de 1792 restassent dévoués à la famille royale qui avait fondé et protégé leur monastère ; qu'ils entretinssent des relations avec les propriétaires de leur voisinage, presque tous ardents légitimistes ; que, dans des correspondances ou dans des conversations, ils eussent, plus qu'il ne convenait à des moines exprimé des regrets et des espérances peut-être même engagé à prier pour Henri V, ou distribué quelques-unes de ces prophéties apocryphes qui sont, dans l'épreuve, la consolation d'une certaine classe de royalistes ces faits paraissent, les uns certains, les autres probables. Du complot menaçant, de l'agitation délictueuse dont on les accusait, les perquisitions les plus sévères n'ont jamais pu faire saisir le moindre indice.

Ce fut cependant sur la foi de ces accusations que le gouvernement se décida à agir. Déjà, sous l'empire de préoccupations analogues, il avait, dans cette même région, fermé le petit séminaire de Beaupréau et celui de Vitré. Il fit prendre, le 5 août 1831, par le préfet de la Loire-Inférieure, un arrêté qui prononçait la dissolution de la communauté religieuse de la Meilleraye ; t'arrêté visait la loi du 28 vendémiaire an VI relative à J'expulsion des étrangers, les lois révolutionnaires de 1790 et de 1792 contre les congrégations, et ce décret napoléonien du 3 messidor an XII que récemment on a de nouveau exhumé. Une répugnance naturelle retarda quelque temps l'exécution. Cependant, le 28 septembre, des troupes nombreuses cernèrent la Trappe, et en dépit des protestations de l'abbé, quarante-cinq religieux français reçurent des passeports pour se rendre dans leurs communes natales ; les étrangers furent avisés qu'ils devaient prochainement retourner dans leur pays ; sauf les malades et vingt hommes valides laissés pour l'exploitation, l'administration exigeait la dispersion de tous les autres moines ; un détachement de gendarmerie fut installé au couvent pour surveiller l'exécution de ces mesures.

A peine informée de ces événements, l'Agence pour ta défense de la liberté religieuse, fondée par les rédacteurs de l'Avenir, y vit une occasion excellente d'employer son zèle et d'appliquer ses principes. Elle prit en main la cause des Trappistes, et ouvrit à grand bruit, par toute la France, des souscriptions destinées à couvrir les frais de la lutte. Un de ses membres, M. de Regnon, vint s'établir au monastère et conseilla aussitôt de résister hardiment à la violence du gouvernement, en se plaçant sur le terrain du droit commun, de la Charte et de la liberté pour tous. Sur ses indications, le 8 novembre, les religieux, demeurés au couvent, reprirent la vie monastique interrompue par l'exécution de l'arrêté préfectoral, revêtirent le saint costume qu'ils avaient dépouillé, sonnèrent leur cloche silencieuse depuis plusieurs semaines et recommencèrent leurs offices. En même temps l'abbé signifia, par ministère d'huissier, qu'il entendait jouir librement de ses droits de citoyen et de propriétaire, avec les ouvriers qu'il lui plaisait d'employer à son exploitation, et se refusa à fournir plus longtemps la nourriture des cinquante gendarmes qui avaient envahi et occupaient illégalement son domicile. Ce changement d'attitude troubla et irrita les ennemis des Trappistes. Par effarement ou par perfidie, ils répandirent le bruit que la Meilleraye était en pleine révolte et qu'on y sonnait le tocsin pour appeler aux armes les carlistes des environs. Les autorités crurent ou feignirent de croire à ce péril. Une nouvelle expédition militaire fut faite, plus brutale que la première ; elle aboutit à enlever et à embarquer immédiatement les soixante-dix-huit religieux anglais ou irlandais qui étaient encore au monastère. Dès lors, il ne restait plus à la Meilleraye, avec l'abbé propriétaire, que vingt-huit religieux.

Toujours sur les conseils et par les soins de l'Agence, l'abbé entama une double instance. Il demanda d'abord à la Chambre l'autorisation de poursuivre M. Casimir Périer comme auteur responsable de l'attentat commis contre le monastère et ses habitants ; le rapporteur, M. Bérenger, conclut à la légalité des actes du gouvernement et au refus de l'autorisation, non toutefois sans appeler de ses vœux une législation plus libérale[26] ; ses conclusions furent adoptées, après un court débat où M. Dubois, l'ancien rédacteur du Globe, défendit la liberté des religieux, et où M. Dupin, au contraire, saisit avec joie l'occasion de reprendre, contre une autre congrégation, la petite guerre qu'il avait commencée, sous Charles X, contre les Jésuites[27]. En même temps, le tribunal de Nantes était saisi d'une action civile dirigée contre le préfet par l'abbé de la Meilleraye, agissant comme propriétaire et chef d'exploitation agricole ; celui-ci demandait sa réintégration, le libre exercice de son industrie et 150.000 francs de dommages-intérêts pour le trouble qui lui avait été causé le procès fut plaidé, avec quelque éclat, par Me Janvier, pour les Trappistes, et par Me Billault, pour le préfet ; le tribunal se déclara incompétent[28].

Devant ces violences, dont le caractère arbitraire tranche si complètement avec la conduite habituelle de Périer, avec l'espèce de point d'honneur qu'il s'était fait de n'employer, même contre les pires factieux du parti révolutionnaire, ni l'état de siège, ni aucune loi d'exception, on ne peut s'empêcher de donner raison à M° Janvier, disant devant le tribunal de Nantes : Plus M. Périer se montre grand et fort, et plus il était au-dessous de lui de condescendre à devenir un persécuteur des Trappistes. Ce rôle ne lui va pas ; en le subissant, il s'est manqué à lui-même ; il a trahi ces magnifiques paroles prononcées par lui dans l'effusion de son cœur : Qu'il ne concèderait jamais la liberté d'écraser les vaincus. Le plus grand châtiment de cette faute est qu'elle ait pu servir de précédent à d'autres violences, qu'elle ait fourni, à des personnages indignes d'un tel rapprochement, prétexte à se couvrir du nom de Périer. Non, sans doute, que nous acceptions sans réserve ce rapprochement. Pour être fondée sur les mêmes prétendues lois que des attentats récents, et pour avoir été exécutée par des procédés analogues[29], la dispersion des Trappistes de la Meilleraye n'avait pas été faite par les mêmes motifs, dans les mêmes conditions politiques et morales elle avait été ordonnée, non par une pensée de persécution contre les congrégations en général, mais sous l'impression mal fondée d'un péril local, passager, exceptionnel, d'une crainte de complot et de guerre civile ; comme l'a dit M. Bérenger, dans son rapport à la Chambre, cette mesure se rattachait à la pacification des départements de l'Ouest. Aussi quand, à cette époque, des journaux de gauche, mis en goût par cette première violence, demandèrent qu'on procédât de même contre certains couvents, notamment contre les Trappistes de Bellefontaine, le gouvernement, plus honteux probablement de son premier exploit que désireux de l'étendre, fit la sourde oreille. Tous les autres monastères furent laissés en paix, et le trop fameux décret de messidor rentra dans la poudre d'où un ministre soucieux du droit et de la liberté n'eût jamais dû le faire sortir. Les religieux, laissés à la Meilleraye avec leur abbé, reprirent leur costume et leurs exercices. Seulement, pendant plusieurs années, il leur fut interdit d'augmenter leur nombre. Ce ne fut qu'en 1838 qu'ils purent accepter des novices, qui affluèrent aussitôt et eurent avant peu comblé les vides produits par la violence de 1831. Celle-ci n'avait eu, en définitive, qu'un résultat elle avait amené la fondation de deux nouvelles Trappes, créées par les expulsés, l'une à Mount-Melleray en Irlande, rentre au Mont Saint-Bernard, en Angleterre. C'est souvent ce que l'on gagne à persécuter les moines.

Sous la Restauration, les processions et autres cérémonies extérieures du culte avaient été en grande faveur, et plus d'une fois Charles X y avait pris part. Les interdire parut à plusieurs, après 1830, une représaille naturelle. Il ne Fallait pas s'attendre que le gouvernement résistât bien vigoureusement à cette intolérance. Aucune mesure générale et uniforme ne fut prise pour les processions de la Fête-Dieu, en 1831 ; les autorités locales agirent à leur guise. Ce fut un sujet de bruyantes polémiques et même une occasion de troubles provoqués par ces étranges libéraux que révoltait la seule vue d'une cérémonie religieuse. Le ministère, effrayé de leurs dispositions et de leurs exigences, interdit, par circulaire, à tous les évêques, la procession du vœu de Louis XIII, qui se faisait le 15 août. Ce n'était pas qu'il tînt beaucoup à être obéi dans plusieurs villes on trouva moyen de tourner la prohibition, et la procession eut lieu, en l'honneur de l'Assomption, sinon en souvenir de Louis XIII ; à Vannes même, elle fut suivie par le préfet et par les autres fonctionnaires. Est-ce par une concession aux mêmes exigences, qu'à cette époque, on nt enlever de Notre-Dame les belles statues à genoux de Louis XIII et de Louis XIV[30] ? Ces statues y avaient été placées en 1715, pour rappeler le vœu fait a la Vierge par le premier de ces rois et confirmé par le second. Craignait-on qu'elles ne fussent détériorées par ceux qui déclaraient ne plus vouloir de roi à genoux[31] ?

Ce clergé qu'on prétendait renfermer dans l'intérieur de ses églises, au moins l'y laissait-on pleinement libre ? Le gouvernement en, avait le désir ; mais ce désir incertain et débile ne l'empêchait pas, à la première occasion, de porter à l'indépendance du sanctuaire des atteintes dont il ne paraissait même pas comprendre la gravité sacrilège. Grégoire, ancien évêque constitutionnel et membre de la Convention, était mort en mai 1831, sans avoir voulu renier son passé et faire les rétractations exigées par l'archevêque de Paris. L'Église ne pouvait être tenue de rendre les honneurs à celui qui s'était ainsi séparé d'elle. Cette vérité évidente de conscience et de bon sens échappa aux ministres ou du moins leur parut primée par une considération supérieure. Ils virent seulement, en cette affaire, le désordre matériel dont le refus de service religieux pourrait être l'occasion ; ils ne virent pas le désordre moral dont ils allaient se rendre eux-mêmes coupables. Par leurs ordres, le préfet de police, alléguant un décret du 23 prairial an XII, signifia au curé de l'Abbaye-aux-Bois sa prétention de disposer malgré lui de son église ; il recruta quelques prêtres étrangers au diocèse de Paris, tous plus ou moins interdits, trouva, oh ne sait où, — certains disent à la chapelle des Tuileries, — des ornements sacerdotaux, et, dans le temple occupé de force, fit célébrer par ces intrus les obsèques religieuses de l'évêque schismatique. Les discours prononcés au cimetière couronnèrent dignement cette scandaleuse cérémonie. On y entendit Raspail appeler les générations nouvelles à la guerre contre les hommes du jour. Thibaudeau, ancien régicide, remercia la révolution de Juillet d'avoir associé la Convention nationale au trône et d'avoir enfin ouvert aux conventionnels, pour leur défense, cette tribune de la mort. Puis il ajouta, en parlant des hommes de 1830 : Que leur a-t-il manqué pour être ce que, par un haineux abus de la langue, ils ont appelé régicide ? que Charles X fût fait prisonnier et que le peuple le leur livrât[32]. En présence d'un tel langage, le gouvernement ne dut pas se sentir bien fier d'avoir pris le parti des amis de Grégoire contre le clergé catholique et d'avoir assumé la responsabilité d'obsèques ainsi commentées. Le lendemain, cependant, il faisait insérer dans le Moniteur un article, où il se félicitait presque naïvement de sa conduite[33]. Son procédé pour s'emparer des églises et y faire célébrer des offices malgré l'autorité religieuse lui parut même si heureusement trouvé, qu'il s'empressa d'en user de nouveau, au mois d'octobre suivant, pour les obsèques de M. Debertier, autre évêque constitutionnel. L'archevêque de Paris écrivit une circulaire à son clergé, a6n de protester contre le renouvellement de ce scandale.

Quelques-uns des amis du cabinet avaient cependant, en ces matières, une idée plus haute et plus raisonnable des conditions de la liberté religieuse tel était le Journal des Débats, qui disait, quelques mois après : De bonne foi, il faut convenir qu'un misérable esprit de réaction s'est manifesté contre l'autorité légitime des ministres du culte. Il y a des gens qui se moquent tout haut des lois de l'Église, qui ne croient ni à ses dogmes ni à l'efficacité de ses sacrements, ni à la sainteté de ses pratiques... Mais que le prêtre refuse à un cercueil les derniers offices de la religion, et cela parce que sa conscience le lui ordonne, aussitôt voilà le zèle pieux de ces incrédules qui se rallume ; ils enfoncent les portes de l'église dans laquelle peut-être ils n'avaient pas mis le pied depuis leur baptême ou leur première communion ; ils sonnent les cloches, ils récitent des prières avec le plus grand recueillement, comme on a bien soin de le dire, et finissent, dans leur sainte ferveur, par piller et brûler la maison du curé. Ce n'est pas une simple hypothèse, c'est malheureusement le récit exact des scènes honteuses et coupables dont la ville de Clermont vient d'être le théâtre[34]. Le dernier trait seul avait manqué aux obsèques de Grégoire et de Deberthier.

La mort de Grégoire donna lieu à une autre difficulté qui touchait à une question singulièrement grave, celle du choix des évêques par le gouvernement. Au moment où le prélat schismatique refusait obstinément, sur son lit de mort, les rétractations exigées par l'archevêque de Paris, un prêtre, professeur à la Sorbonne et aumônier de la Reine l'abbé Guillon, avait consenti à lui donner les derniers sacrements. S'il y avait eu erreur de sa part, elle était un peu volontaire et la faiblesse .envers le pouvoir civil y avait sa part. Frappé disciplinairement par l'archevêque, l'abbé Guillon voulut se défendre il s'ensuivit une polémique qui fit quelque scandale. Or ce prêtre se trouvait avoir été désigné par le gouvernement, le 25 novembre 1830, pour l'évêché de Beauvais. Le clergé de ce diocèse s'émut de la conduite tenue par son futur chef ; des protestations se signèrent ; des adresses furent envoyées au Pape pour le supplier de ne pas ratifier le choix du gouvernement. Cette difficulté arrivait d'autant plus mal à propos qu'au même moment le ministère Périer appelait aux sièges vacants de Dijon et d'Avignon deux ecclésiastiques, M. Rey et M. d'Humières, dont les mœurs et la foi n'avaient encouru aucun reproche, mais que leur caractère et leurs habitudes d'esprit rendaient peu dignes et peu capables de ces hautes fonctions. De telles nominations n'étaient-elles pas des arguments pour la thèse que l'Avenir venait de soulever si témérairement au sujet de la rupture du Concordat ? Le Saint-Siège montra, en cette circonstance délicate, l'esprit de conciliation qui l'animait. Faisant la part du temps, il agréa, malgré leurs défauts, MM. Rey et d'Humières, oui furent préconisés le 6 mars 1832 ; mais il n'accepta pas M. Guillon. Le gouvernement, qui désirait sincèrement éviter le conflit et qui avait péché par ignorance des choses religieuses plutôt que par volonté mauvaise, ne pressa point le Pape. Bientôt, du reste, M. Guillon fit honorablement sa soumission à l'archevêque de Paris et donna sa démission de l'évêque nommé à Beauvais ; il devait : recevoir, en 1832, un canonicat à Saint-Denis et le titre d'évêque de Maroc in partibus infidelium. Quant à MM. d'Humières et Rey, leur élévation avait été si mal vue dans le monde ecclésiastique, qu'ils ne purent trouver, en France, de prélat consécrateur il fallut recourir au ministère d'un évêque étranger, et se faire autoriser à remplacer par de simples prêtres les évêques assistants. Mgr d'Humières mourut un an après son sacre, sans avoir exercé les fonctions épiscopales. Mgr Rey troubla si profondément le diocèse de Dijon, qu'au bout de sept ans il dut donner sa démission que lui demandaient à la fois le gouvernement et le Pape[35]. Ces fautes du début, la monarchie de Juillet ne les répétera plus. Mieux éclairée par la suite, elle fera, au contraire, de son droit de désigner les évoques, un usage qui lui méritera, à plusieurs reprises, les éloges reconnaissants du Saint-Siège.

Quand le gouvernement lui-même méconnaissait l'indépendance de l'Église, comme il l'avait fait lors des obsèques de Grégoire et de Deberthier, on peut se figurer ce dont étaient capables des municipalités à la fois moins éclairées et plus passionnées. Sans doute, le ministère, dès le premier jour, par une circulaire que nous avons citée, avait annoncé l'intention de prévenir et de réprimer les ingérences de ces municipalités dans l'exercice du culte, leurs atteintes à la liberté religieuse ; et il essayait de le faire toutes les fois que le scandale était trop grossier ; le plus souvent, cependant, son action était un peu molle pour en imposer beaucoup ; il ne paraissait pas prendre assez à cœur les droits qu'il recommandait de respecter. N'eut-il pas fallu surtout que son exemple ne vînt jamais contredire ses recommandations ? Aussi les vexations et les intrusions des pouvoirs-locaux, pour être devenues moins fréquentes, étaient loin d'avoir complètement cessé. Des maires, sons prétexte que le curé ne chantait pas le Domine salvum à leur gré, pénétraient dans l'église, interrompaient bruyamment l'office, criaient tout haut leurs reproches et leurs injonctions. Un autre, trouvant que, pour le jour de la fête du Roi, on n'avait pas allumé assez de cierges, allait en chercher dans la sacristie et les posait de force sur l'autel. Celui-ci abattait violemment, en pleine procession, les panaches du dais, sous prétexte qu'ils étaient blancs et, par suite, suspects de carlisme. Celui-là, qui croyait avoir à se plaindre du curé lui notifiait interdiction de dire sa messe le dimanche de Quasimodo. Beaucoup faisaient installer dans l'église un buste de Louis-Philippe. Aux messes pour l'anniversaire des journées de Juillet, plusieurs se conduisaient comme si eux et leurs partisans s'étaient emparés d'assaut du temple ; ils prétendaient diriger l'office à leur fantaisie, faisaient étouffer, par des roulements de tambour, la voix du curé, chantaient la Parisienne ou la Marseillaise au moment de l'élévation, et, en plus d'un endroit, le populaire ainsi échauffé terminait la pieuse cérémonie en saccageant le presbytère[36].

Si le gouvernement avait parfois la prétention de pénétrer de force dans les églises pour y célébrer les cérémonies du culte malgré l'autorité ecclésiastique, il paraissait cependant préoccupé d'écarter systématiquement la religion et presque le nom de Dieu des actes de sa vie publique. M. de Salvandy se plaignait, en 1831, que, dans le temps même où cette autre religion, qui est le mysticisme de l'anarchie, s'avançait hautement vers la jeunesse française, le jeune grand maître de l'Université[37], quand il parlait aux élèves pressés dans le champ de mai des grands concours et célébrait avec raison devant eux la patrie et la liberté, ne murmurât même pas le nom du Dieu qui a mis ces biens sur la terre. Il dénonçait, dans ce silence, une concession au génie fatal qui nous dominait[38]. Voulait-on rendre hommage aux morts des trois journées le Roi et les pouvoirs publics se rendaient, le 27 juillet 1831, au Panthéon dont la croix venait d'être arrachée quelques jours auparavant, et y célébraient je ne sais quelle cérémonie païenne, où, en guise d'hymnes religieux, les artistes de l'Opéra chantaient la Marseillaise et la Parisienne. Cette solennité laissa une impression pénible à toutes les âmes un peu hautes. En en sortant, la duchesse de Broglie qui était protestante, ne pouvait se contenir, et, rencontrant M. Thiers, elle lui dit Bienheureux les morts qui meurent au Seigneur ; cela vaut mieux, monsieur, que tout ce que nous venons d'entendre. Son accent indigné, la flamme de son regard, t'émotion de son noble et beau visage, tout cela était fort imposant, et M. Thiers ne sut trop que répondre. Je ne puis m'empêcher de trouver, disait à ce même propos M. de Salvandy, qu'il y a un grand vide dans ces pompes, et je demande à Dieu que le déchaînement des passions mauvaises ne le comble pas. Puis il ajoutait cette phrase que nous avons déjà eu occasion de citer : Il y a quelques mois on mettait partout le prêtre ; aujourd'hui on ne met Dieu nulle part. Cette prétention d'organiser une sorte de culte civil, en dehors du christianisme, se manifesta de nouveau au parlement, lors de la discussion sur les honneurs a décerner, dans le Panthéon, aux morts illustres[39]. Ce fut une occasion de répéter les déclamations odieuses ou niaises des rhéteurs de la première révolution. Le gouvernement n'osa rien faire pour arrêter la Chambre, mais les législateurs ne purent même pas s'entendre sur la liste des grands hommes qu'ils proposeraient à la dévotion civique. Le débat se prolongea pendant plusieurs jours, violent et désordonné. Tout avorta dans une ridicule impuissance, et, une fois de plus, la confusion des langues vint châtier l'orgueil humain en révolte contre Dieu. Les journaux raillèrent ce fiasco, et M. Saint-Marc Girardin put écrire dans le Journal des Débats, après l'une des séances : Arbitres de l'immortalité, ayez donc un peu de dignité et de décence ! En faisant des dieux, soyez au moins des hommes !

Si laïque cependant que voulût être le gouvernement, il n'eût pas cru possible alors d'exclure la religion de l'enseignement populaire. Le 24 octobre 1831, M. de Montalivet déposait un projet dont l'article 1er indiquait, en tête des matières enseignées dans l'école primaire, l'instruction morale et religieuse, ajoutant seulement que le vœu des pères de famille serait toujours consulté et suivi, en ce qui concernait la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse. De plus, bien qu'on fût alors en pleine réaction contre l'intervention du cierge dans les choses administratives, le projet réservait une place de droit aux ministres du culte dans les comités divers auxquels étaient confiées la direction, la surveillance et l'inspection des écoles. Enfin, dans son exposé des motifs, le ministre n'hésitait pas à faire l'éloge des Frères des Écoles chrétiennes, hommes laborieux et utiles, véritables fondateurs de l'enseignement élémentaire, repoussés aujourd'hui par des préventions exagérées, comme gens de routine et d'obscurantisme. Ce projet de loi ne devait pas aboutir. Toutefois, après avoir été soumis à une commission de la Chambre, il fut l'objet d'un rapport rédigé par un ancien conventionnel non suspect de cléricalisme, M. Daunou[40]. Le rapport n'hésitait pas un instant à prescrire l'instruction religieuse. La présence de droit des ministres du culte dans les comités de l'enseignement avait été discutée au sein de la commission ; la majorité l'avait maintenue a6n, disait le rapporteur, d'assurer à la première instruction le caractère religieux qu'elle doit conserver~ M. Daunou répudiait hautement l'idée des libéraux qui voulaient refuser ou limiter la liberté d'enseignement, par crainte qu'elle ne profitât à leurs adversaires[41]. Il écartait notamment toute mesure restrictive contre les congréganistes. Que des instituteurs, disait-il, appartiennent ou non à quelque société, nous n'avons vu en eux que des individus jouissant de la même liberté et soumis aux mêmes règles dans l'exercice de leur profession.

Ces conclusions sont d'autant plus significatives que le monde parlementaire était alors animé d'une trop réelle malveillance contre la religion ; malveillance mesquine qui, n'osant faire grand, se rattrapait sur les petites choses. Ne donnait-elle pas sa mesure, par exemple, quand elle faisait décider, contrairement à tous les usages et à toutes les convenances, que la Chambre siégerait le jour de l'Assomption et celui de la Toussaint ? Telle également elle se manifesta dans le débat sur le budget du ministère des cultes, en février 1832. Il ne fut pas question de mesures radicales, mais, par animosité plus encore que par parcimonie, on s'appliqua à rogner misérablement les diverses parties de ce budget, déjà cependant réduit par les propositions du gouvernement. C'était dans le même esprit que presque tous les conseils généraux et beaucoup de conseils municipaux avaient, en 1831, supprimé les subventions allouées au clergé. Il y a quelque chose de blessant, disait le Journal des Débats, pendant cette discussion du budget, à voir ainsi tout ce que les hommes respectent, tarifé, marchandé, mis au rabais. Vainement ce journal rappelait-il que la religion était encore bien forte, quoi qu'on pût en penser, et qu'il était imprudent de lui donner juste sujet de se plaindre, ces avertissements n'étaient guère écoutés. On eût dit que, pour une bonne partie des députés encore imbus de leurs préjugés d'avant 1830, le principal ennemi était toujours le parti prêtre[42]. Le ministre des cultes, M. de Montalivet, auquel Casimir Périer laissa presque exclusivement la charge de ce débat, essaya de retenir la Chambre dans la voie détestable où elle s'engageait ; après avoir cédé sur plusieurs points, il parvint à faire écarter quelques-uns des amendements les plus graves, notamment celui qui diminuait le nombre des évêchés sans entente avec le Pape ; mais il ne put empêcher l'adoption de certains autres, par exemple de celui qui réduisait le traitement des évoques. Et pourtant que de concessions il faisait, dans sa manière même dé discuter, aux préventions qu'il voulait contenir ; affectant de poursuivre le même but et de ne différer que sur les moyens ; se faisant honneur d'avoir opéré de son propre mouvement plus de réductions sur le budget des cultes que n'en avait demandé l'opposition avant 1830 ; se vantant même d'avoir retenu le traitement des ecclésiastiques dont politiquement il croyait avoir à se plaindre, mesure arbitraire et absolument illégale !

Sur un tel sujet, et en face de telles attaques, on eût souhaité, de la part du gouvernement, un langage plus haut et plus ferme. Ce langage, il se trouva, en dehors du cabinet et a coté de lui, quelqu'un pour le tenir. M. Guizot eut ce mérite et cet honneur. Les honteuses violences des 14 et 15 février 1831 lui avaient causé une profonde impression il n'y avait pas vu seulement, comme la plupart des conservateurs de ce temps, un désordre matériel à réprimer, mais surtout le signe d'un mal moral a guérir[43]. Quand il prit la parole dans la discussion du budget des cultes, il ne craignit pas de traiter de misérables les amendements soumis à la Chambre pour réduire tels ou tels crédits. Puis, s'élevant plus haut, il se demanda quelle devait être, envers l'Église, la conduite de tout gouvernement, particulièrement du gouvernement de Juillet. Il concédait qu'il pût y avoir, dans le passé, des motifs fort naturels de rancune et des raisons fort légitimes de défiance. Seulement, ajoutait-il aussitôt, ce ne sont pas les souvenirs du passé, ce sont les intérêts et les besoins du présent qui doivent régler notre conduite ; parlant de la masse ecclésiastique tranquille, pacifique, il déclarait que non-seulement on ne lui devait pas de la froideur et de l'indifférence, mais qu'on lui devait bienveillance Si le pouvoir politique du clergé est fini, il faut lui faire voir que son existence religieuse n'est pas compromise. — Nous souffrons, disait-il, de ce que nos convictions politiques et morales sont incertaines, nous en souffrons d'autant plus que nous avons à lutter contre le fanatisme révolutionnaire. C'est la religion seule qui peut nous donner ce dont nous manquons, répandre et fortifier les sentiments nécessaires pour combattre le péril qui nous menace. Puis il ajoutait ces paroles vraies de tout temps, mais particulièrement remarquables à cette époque : La religion fait quelques fanatiques, oui, mais, pour un fanatique, la religion fait cent citoyens soumis aux lois, respectueux pour tout ce qui est respectable, ennemis du désordre, du dévergondage et du cynisme. C'est par là qu'indépendamment de tout pouvoir politique, la religion est un principe éminemment social, l'allié naturel, l'appui nécessaire de tout gouvernement régulier il n'est arrivé, sans grave péril, à aucun gouvernement régulier de se séparer complètement de cet appui, et de se rendre hostile la première force morale du pays. Et non-seulement, permettez-moi de le dire avec franchise, la religion répand et fortifie, dans tous les esprits, l'amour de l'ordre et les instincts honnêtes, mais elle donne à tout gouvernement un caractère d'élévation et de grandeur qui manque trop souvent sans elle. Je me sens obligé de le dire. Il importe extrêmement à la révolution de Juillet de ne pas se brouiller avec tout ce qu'il y a de grand et d'élevé dans la nature humaine et dans le monde. Il lui importe de ne pas se laisser aller à rabaisser, à rétrécir toutes choses, car elle pourrait fort bien à la fois se trouver abaissée et rétrécie elle-même. L'humanité ne se passe pas longtemps de grandeur ; elle a besoin de se voir elle-même grande et glorifiée et permettez-moi d'ajouter que le gouvernement qui prétendrait se fonder uniquement sur le bien-être matériel du peuple s'abuserait étrangement... Je crois que la révolution de Juillet et le gouvernement qui en est né seront bien conseillés s'ils s'appliquent à rechercher l'alliance de la religion, à donner satisfaction à cette portion considérable du clergé qui veut rester paisible et se renfermer dans sa mission religieuse. Ne nous trompons pas par les mots il ne s'agit pas de formes polies, de respect extérieur, de pure convenance ; il faut donner au clergé la ferme conviction que le gouvernement porte un respect profond à sa mission religieuse, qu'il a un profond sentiment de son utilité sociale ; il faut que le clergé prenne confiance dans le gouvernement, sente sa bienveillance. Il lui donnera en retour l'appui dont je parlais tout à l'heure, et qui peut, plus qu'un autre, vous mettre en état de lutter contre les ennemis dont vous êtes investis.

 

 

 



[1] A Tarascon, le 23 mai 1831, la troupe avait refusé de marcher contre les émeutiers.

[2] Dans le procès d'avril quelques années plus tard, l'un des accusés interpella M. Barthe, pour lui rappeler un ensemble ils avaient juré haine à la royauté sur le même poignard. M. Barthe était, du reste, bien revenu de ses entraînements révolutionnaires. Le roi Louis-Philippe disait de lui, un jour, à M. Guizot : Bien peu d'avocats comprennent les conditions du gouvernement ; Barthe y est arrive. Ce n'est pas un transfuge, c'est un converti ; il a vu la lumière.

[3] Jusqu'à la fin, l'opposition, avec la clairvoyance de la haine, se servira de cette origine pour rabaisser la monarchie. La veille de la crise de février 1848, M. Mauguin disait encore à la tribune : Pourquoi prononcer de grands mots contre les révolutions ? Mais notre gouvernement, nos Chambres, nos ministres, la couronne elle-même, est-ce que tout cela n'est pas révolutionnaire ? Est-ce que vous n'avez pas ici jugé un roi ? Est-ce que vous trouvez quelque chose de plus révolutionnaire que de prononcer la déchéance d'un roi, de déclarer la vacance d'un trône, de décerner une couronne ? Vous êtes un gouvernement révolutionnaire.

[4] Souvenirs du feu duc de Broglie.

[5] Des bourgeois de province engendrer un roi de France ! Cela, en effet, valait la peine d'être crié sur les toits, et ne se voit pas tous les jours ; aussi n'entendis-je longtemps retentir à mes oreilles, à la Chambre et dans les couloirs, que ces mots ronflants et superbes : Le Roi que nous avons fait ? Oui, le Roi que nous avons fait ! Comme ils en remplissaient leur bouche ! (CORMENIN, Livre des orateurs, Appendice, t. II, p. 375.)

[6] Lettres de Doudan, t. II, p. 178-179.

[7] Un observateur avisé, madame Émile de Girardin, dira, quelques années plus tard : Nous sommes maintenant un peuple d'envieux qui voulons rire de nos maîtres. (Lettres parisiennes du vicomte de Launay, t. III, p. 73.)

[8] M. de Vigny écrivait dans son journal, le 21 août 1830, quelques jours après, la révolution : En politique, je n'ai plus de cœur. Je ne suis pas fâche qu'on me l'ait ôté : il gênait ma tête. Ma tête seule jugera dorénavant et avec sévérité. Hélas !

[9] C'est à M. Guizot que le Roi disait, un jour, en lui prenant tout à coup les mains avec effusion : Je vous dis, mon cher ministre, que mes enfants n'auront pas de pain.

[10] A. Karr s'est amusé, dans ses Guêpes, à relever la phrase suivante de M. de Cormenin : Le budget est un livre qui pétrit les larmes et les sueurs du peuple pour en tirer de l'or... un livre qui chamarre d'or et de soie les manteaux des ministres, qui nourrit leurs coursiers fringants, et tapisse de coussins moelleux leurs boudoirs.

[11] GUIZOT, Mémoires, t. II, p. 224.

[12] Le projet voté par la Chambre des députés portait : La loi du 19 janvier 1816, relative à l'anniversaire du 21 janvier, est abrogée. La Chambre des pairs le modifia ainsi : Art. 1er. Le 21 janvier demeure un jour de deuil national. — Art. 2. Toutes les autres dispositions de la loi du 19 janvier 1816 sont abrogées. La Chambre des députés ayant persisté dans son premier vote, la question revint, en 1833, à la Chambre des pairs, qui, cette fois, s'arrêta à la rédaction suivante : La loi du 19 janvier 1816, relative a t'anniversaire du jour funeste et à jamais déplorable du 21 janvier 1793, est abrogée. Cette rédaction fut adoptée par la Chambre des députés.

[13] Nous avons dit ailleurs l'importance qu'a eue, dans la carrière politique et oratoire de M. Thiers, le discours qu'il a prononcé en cette circonstance.

[14] J'ai eu plus d'une fois l'occasion de marquer l'action de M. Royer-Collard et d'esquisser sa puissante et originale figure dans mon étude sur le Parti libéral sous la Restauration. (Cf. notamment p. 80 et 418.)

[15] Peu après l'avènement de Périer, l'Ami de la religion disait de lui : On assure qu'il blâme les vexations exercées en tant de lieux contre le clergé, et qu'il s'est prononcé, entre autres, très-fortement contre les enlèvements et destructions de croix.

[16] Voyez entre autres les discours prononcés à Amiens, à Meaux, à Besançon, etc. etc. (Ami de la religion, passim.)

[17] Vie de Mgr Devie, par l'abbé COGNAT, t. II, p. 21.

[18] Voyez notamment les lettres pastorales des archevêques ou évêques de Tours, Sens, Belley, Strasbourg ; Troyes, Angers, des vicaires capitulaires d'Avignon. (Cf. passim, Ami de la religion de 1830 et 1831.)

[19] Séance du 13 février 1822.

[20] Vie de Mgr Devie, par l'abbé COGNAT, t. II, p. 5. — Vie de Mgr de Quélen, par M. D'EXAUVILLEZ, t. II, p. 45-46.

[21] Un homme politique qui s'est trouvé, en 1829, accompagner Périer aux bains de Louèche a remarqué qu'il ne manquait jamais la messe le dimanche, et que, le plus souvent même, il assistait aux vêpres.

[22] Ces paroles sont rapportées dans une lettre écrite, en 1843, par Mgr Devie, au ministre des cultes. (Vie de Mgr Devie, par l'abbé COGNAT, t. II, p. 225.)

[23] Dans une circulaire, en date du 2 septembre 1831, relative à la surveillance à exercer sur les carlistes, Casimir Périer disait a ses préfets : Décommandez aux maires de vous signaler avec exactitude le déplacement clandestin des ecclésiastiques, et faites-le-moi connaître. Dans l'état des esprits et avec les dispositions de beaucoup de municipalités, on conçoit quels abus pouvait encourager une semblable recommandation. Faut-il s'étonner que, peu après, le 8 octobre, l'évêque de Saint-Dié fût réduit à engager ses prêtres à se refuser la consolation de visiter leurs confrères, afin d'éviter ce qui pourrait dégénérer en sujet de trouble, par la prévention maligne d'un œil qui, n'étant pas bon pour vous, ne voit jamais vos actions, même les plus simples, que sous un jour peu favorable ? — Les visites, dit-il, que les prêtres pourraient se faire mutuellement ne seraient pas sans désagrément pour leurs personnes et sans préjudice pour la religion.

[24] Lettre du 29 août 1831.

[25] Moniteur du 13 septembre 1831.

[26] M. Bérenger exprimait le regret que, sous un gouvernement et après une révolution qui consacrent cette liberté, des citoyens ne pussent, sans opposition, se vêtir et prier Dieu comme ils l'entendaient, dans leur maison, alors surtout qu'on ne demandait à la loi d'autre protection que celle qui est due à tous les citoyens.

[27] Séance du 31 décembre 1831.

[28] Jugement du 20 janvier 1832.

[29] Dans l'éloquente plaidoirie qu'il a prononcée, en 1884, devant le tribunal des conflits, pour d'autres religieux disperses. Me Sabatier a noté, entre les exécutions de 1830 et celle de la Meilleraye, une différence importante, au point de vue juridique. A la Meilleraye, il y avait eu grand déploiement de force armée, sans doute parce qu'on se croyait sous la menace d'une insurrection carliste ; mais cette force armée paraît n'avoir été mise en action contre la personne des religieux que lors de la seconde expédition et seulement contre les étrangers ; dans ce cas, en effet, elle était brutale, mais n'avait rien d'illégal. Quant aux religieux français expulsés lors de la première expédition, ils avaient protesté, mais avaient fini par se disperser volontairement. Rien n'avait été fait contre eux qui pût être comparé aux portes crochetées et brisées, aux citoyens français arrachés de force de tours domiciles, à toutes les violences scandaleusement illégales dont nous avons été témoins. Même, d'après les instructions du ministre de 1831, citées dans le rapport de M. Bérenger, le sous-préfet devait, en cas de refus des moines, requérir immédiatement l'intervention du procureur du Roi, ce qui semble signifier un recours aux voies judiciaires.

[30] Ami de la religion, t. LXIX, p. 102 et 117.

[31] Ces statues ont été plus tard portées dans la chapelle du château de Versailles. Elles n'ont été replacées à Notre-Dame, derrière le maître-autel, que sous le second empire, lors de la restauration dirigée par M. Viollet-Leduc.

[32] Dans ce même discours, Thibaudeau s'écriait, en s'adressant aux mânes de Grégoire : Tant qu'un souffle de vie nous animera, à ton exemple, nous le consacrerons au culte de la liberté et de la patrie. Est-ce pour tenir ce serment si solennel, qu'en 1852, au lendemain du coup d'Etat, ce dernier survivant des régicides se faisait porter sur la première liste des membres du Sénat impérial ?

[33] On lisait dans cet article, en date du 31 mai 1831 : Les obsèques de M. l'abbé Grégoire, ancien évêque de Blois, ont eu lieu aujourd'hui, 30 mai, avec toute la régularité et la décence qu'exigeait une cérémonie de ce genre. On savait que l'autorité ecclésiastique ne croyait pas pouvoir accorder les prières de la communion catholique à cet ancien évêque. Sans vouloir examiner jusqu'à quel point cette détermination était compatible avec de hautes considérations d'Etat, et sans oublier que les libertés religieuses font aussi partie des libertés françaises, le gouvernement ne dut s'appliquer qu'à prévenir les fâcheuses interprétations ou, les prétextes de troubles qui pouvaient résulter de ce refus. Puis, après avoir raconté comment s'était faite la cérémonie, le Moniteur ajoutait : Les lieux ont été remis régulièrement à M. le curé de l'Abbaye-aux-Bois. Tout est calme. Nous voilà bien loin des scandales qui, il y a peu d'années, accompagnaient des conflits de ce genre. C'est un des fruits de la raison publique. On comprend mieux toutes les libertés ; on les possède plus sûrement ; on en jouit avec plus de sagesse. Le lendemain, cependant, le Moniteur jugea nécessaire de protester contre le discours de Thibaudeau.

[34] Journal des Débats, février 1832.

[35] Vie du cardinal Mathieu, par Mgr BESSON, t. t, p. 114 et 146.

[36] Sur toutes ces petites persécutions des municipalités, cf. l'Ami de la Religion de 1831 et de 1832, passim, notamment : t. LXVII, p. 587 ; t. LXIX, p. 104, 134, 152, 169, 183 ; t. LXX, p. 215, 247, 281 ; t. LXXI, p. 596.

[37] M. de Montalivet était alors minière de l'instruction publique.

[38] M. DE SALVANDY, Seize Mois, ou la Révolution et les révolutionnaires, p. 420.

[39] Février 1832.

[40] Séance du 22 décembre 1831.

[41] Le rapporteur se pose cette question : La liberté d'enseignement n'est-elle pas dangereuse pour la liberté publique, en fournissant à ses ennemis des armes nouvelles, ardemment désirées par eux ? Il répond : Les ennemis de la révolution de Juillet auraient contre nous trop d'avantages s'il leur suffisait de réclamer les lois justes, les institutions sages qu'elle promettait, pour nous disposer à nous en priver, et s'il fallait nous refuser a nous-mêmes tous les biens dont ils se flattent de profiter. Ce sont, depuis quarante ans, des alarmes de cette espèce qui nous ont valu tant de lois funestes, et, de tous les maux que nous ont faits les partisans de l'ancien despotisme, le plus profond peut-être consiste dans l'injustice ou l'imprudence des résolutions législatives, dictées, à diverses époques, par les peurs qu'ils inspirèrent... La liberté publique jouit contre eux de toutes ses forces, quand ils jouissent eux-mêmes de tous ses bienfaits et quand elle ne leur refuse que des privilèges. Vous remplirez donc le vœu exprimé par l'article 69 de la Charte. Vous garantirez la liberté des écoles privées, et vous avouerez qu'elle serait chimérique, si le gouvernement intervenait dans leur régime intérieur, par des nominations, des injonctions, des prohibitions, par d'autres actes enfin que ceux qui tiendraient à l'exécution des dispositions précises de la loi. Vous affranchirez surtout les écoles particulières de l'empire d'un corps enseignant qui, jusqu'en 1830, ne leur a laissé ni permis aucune indépendance.

[42] Un député, M. Aug. Giraud, disait, aux applaudissements de ses collègues : Jamais je n'ai redouté le parti républicain : il est si peu nombreux, qu'il est impuissant à faire le mal. Il n'en est pas de même du parti carliste et du parti prêtre. C'est sur ce parti que nous devons fixer nos regards.

[43] M. Guizot avait écrit, à ce propos, dans la Revue de Paris du 6 mars 1831, les réflexions suivantes, qui contrastent singulièrement avec tout ce qu'on disait alors autour de lui : La liberté religieuse a été violée, les croix insultées, brisées ; tout ce que nos pères adoraient, tout ce que nous vénérons a été livré à la destruction et à l'outrage ; une église antique n'a été protégée qu'en devenant une mairie, et il a fallu la déguiser pour la sauver. Les catholiques, — et ils sont plus nombreux aujourd'hui qu'avant le 14 février, parce que tout honnête homme se souvient de sa religion quand il la voit outragée, — les catholiques sont inquiets dans toute la France. Les députés belges ont pu conter dans la Flandre catholique comment, à Paris, on traite les églises. La capitale de la France a pu passer aux yeux des étrangers pour une ville d'irréligion fanatique, et, ce qu'il y a de pis, c'est que tous ces maux, vous ne pourrez pas les réparer. Il n'est pas en votre pouvoir de faire remettre une croix abattue sur une église chrétienne.