HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836)

 

CHAPITRE PREMIER. — L'AVÈNEMENT DE CASIMIR PÉRIER (MARS-AOÛT 1831).

 

 

I. Pendant le déclin du ministère Laffitte, tous les regards s'étaient tournés vers Casimir Périer. Rôle de Périer sous la Restauration et depuis la révolution de Juillet. Ses hésitations et ses répugnances à prendre le pouvoir. Il se décide enfin. Composition du cabinet. — II. Résolution de Périer. Homme d'une crise plutôt que d'un système. Son programme au dedans et an dehors. Grand effet produit aussitôt en France et chez les gouvernements étrangers. — III. Périer veut restaurer le gouvernement. Il assure son indépendance à l'égard du Roi et son autorité sur les ministres. Il rétablit la discipline et l'obéissance parmi les fonctionnaires. Il fait avorter l'Association nationale. — IV. Efforts de Périer pour former une majorité. Dissolution et élections de juillet 1831. Importance fâcheuse de la question de la pairie dans la lutte électorale. Incertitude du résultat. Après l'élection du président, Périer donne sa démission. Il la retire à la nouvelle des événements de Belgique. Son succès dans la discussion de l'Adresse. Il est enfin parvenu à former une majorité.

 

I

Au déclin du ministère Laffitte, à cette époque de honte, d'impuissance et d'angoisses, où la monarchie nouvelle et la société française semblaient sur le point de s'abîmer dans l'anarchie intérieure et la guerre extérieure, un homme du moins se rencontrait, vers lequel étaient tournés tous les regards et que chacun, en France et à l'étranger, paraissait invoquer : c'était Casimir Périer. A mesure que s'abaissait et s'effaçait la figure mobile, incertaine, efféminée, superficiellement gracieuse, du ministre qui avait personnifié la politique du laisser-aller, on eût dit que, dans tous les esprits, se dressait plus haute, plus nette, plus lumineuse, cette autre figure d'une beauté noble, mâle, triste et imposante, au front découvert, déjà ridé par la souffrance et la colère, au regard de feu, aux yeux profonds cachés sous d'épais sourcils, aux lèvres amincies et contractées, avec sa parole impérative, sa brusque démarche, et sa grande stature un peu voûtée. Seul, cet homme apparaissait de taille à entreprendre la résistance dont les bourgeois menacés dans leurs intérêts sentaient enfin la nécessité.

Quelle était la raison de cette désignation et de cette confiance ? Ne semble-t-il pas que l'opinion, illuminée par le péril, ait deviné d'elle-même ce qu'il y aurait de qualités de commandement chez Périer. Celui-ci, dans le rôle d'opposition qui avait fait sa bruyante notoriété sous la Restauration, n'avait guère eu l'occasion de manifester de telles qualités ; ses amis, comme l'a avoué plus tard M. Royer-Collard[1], les ignoraient. Déjà cependant, avant 1830, certains symptômes avaient révélé qu'il n'était pas homme à se renfermer toujours dans une négation violente et subversive. Même au plus fort de sa guerre contre M. de Serre ou M. de Villèle, un observateur attentif eût noté plus de colère batailleuse et d'impétuosité de tempérament que de parti pris hostile. Surtout à partir de 1828, on avait pu suivre, chez ce véhément chef d'attaque, un travail de silencieuse transformation, produit par le dégoût des alliances révolutionnaires, par la vue plus claire des desseins de renversement qu'il avait involontairement secondés, par l'instinct de gouvernement qui se dégageait en lui et se trouvait mal à l'aise dans l'opposition[2]. S'écartant de la gauche, il s'était rapproché de la royauté, au risque de faire murmurer, par ses alliés de la veille, le mot de défection. Il écoutait sans peine prononcer son nom autour du trône, comme celui d'un ministre possible, s'attendait et se préparait, non sans une émotion impatiente, à reprendre, lui qui venait de la gauche, l'œuvre monarchique et libérale qu'avait essayée M. de Martignac, venu de la droite, et se flattait de réussir, par la violence de sa volonté, là où avait échoué la séduction élégante et attendrie du ministre de 1828[3]. Tel était le rêve que caressaient à la fois son ambition et son patriotisme, quand éclatèrent les événements de Juillet. Il en fut désolé. Vous nous faites perdre une position superbe ! criait-il d'abord à ceux qui voulaient pousser la résistance hors des limites légales. Quand, quelques heures plus tard, il se crut, lui aussi, obligé de rompre avec la vieille dynastie, il ne le fit qu'à contre-cœur : si bien qu'un député, fort engagé dans l'insurrection, lui a reproché d'avoir employé tous ses efforts à entraver le mouvement révolutionnaire, et a ajouté : Il l'aurait tout à fait arrêté, si cela avait été en son pouvoir[4]. La seule vue de l'émeute victorieuse lui répugnait. Ce n'est pas lui qui, comme tant de ses amis, se fût épanché en déclamations satisfaites sur l'héroïque grandeur des barricades, sur la sublimité de l'ouvrier aux bras nus et au fusil noirci de poudre. A quelqu'un qui lui disait alors, sur le balcon de l'Hôtel de ville : Qu'il est beau d'avoir fait sortir ce peuple de chez lui ! il répondit d'un mot qui le révélait déjà tout entier : Il sera bien plus beau de l'y faire rentrer.

Le lendemain de la révolution, ce lendemain si plein d'orgueilleuses illusions pour beaucoup des hommes de 1830, n'éveilla dans l'esprit de Casimir Périer qu'une tristesse mêlée d'effroi. Ministre sans portefeuille dans le premier cabinet du 11 août, il s'effaça volontairement. A peine parut-il une fois à la tribune, le 29 septembre 1830, dans la discussion sur les clubs, pour s'opposer à ceux qui voulaient prolonger la révolution et pour confesser que le ministère avait été jusqu'alors trop faible et trop incertain. Un autre jour, il poussait M. Dupin à prendre la même attitude et lui criait avec colère, en lui montrant les hommes de la gauche : Répondez à ces b...-là, et faites-le avec toute votre énergie[5]. — Le malheur de ce pays, disait-il, vers la même époque, à M. Odilon Barrot, est qu'il y a beaucoup d'hommes qui, comme vous, s'imaginent qu'il y a eu une l'évolution en France. Non, monsieur, il n'y a pas eu de révolution ; il n'y a eu qu'un simple changement dans la personne du chef de l'État[6]. Lors de la dissolution du premier cabinet, en novembre 1830, il se retira fort dégoûté — le mot est de lui — de la besogne qu'il avait vu faire et à laquelle il avait été plus ou moins associé. Aussi fut-il peu disposé à accepter l'offre assez étrange que le Roi lui fit de prendre le portefeuille de l'intérieur dans le ministère de M. Laffitte. Il préféra remplacer ce dernier à la présidence de la Chambre. Que son jour dût venir, il en avait le pressentiment, mais il était résolu à n'accepter le pouvoir que quand il pourrait l'exercer sans les compromissions et les défaillances dont il venait d'être le témoin. A ceux qui le pressaient de se mettre en avant : Il n'est pas temps, répondait-il ; c'est trop tôt ; sachez attendre. Pendant que les deux politiques de la résistance et du mouvement commençaient à s'entrechoquer dans le Parlement, immobile à son fauteuil, il observait les événements et les hommes avec une attention anxieuse, et l'on voyait, dit un contemporain, se réfléchir, sur ce front pâle et triste, toutes les émotions de la lutte et passer comme l'ombre de l'orage qui grondait au-dessous de lui. Cependant le désordre augmentait, et, chaque jour, Périer devait se demander, avec plus d'angoisse, si son heure n'allait pas sonner. Cette question était l'obsession de ses jours et de ses nuits ; il y revenait avec persistance dans ses épanchements intimes, et la débattait avec une sorte de terreur d'être obligé de prendre un parti. Je l'ai vu, raconte M. de Rémusat, refuser la parole à des députés, ses amis, sur des choses insignifiantes, dans la crainte de les voir amener prématurément à la tribune la question décisive. Après les émeutes de février 1831, en face du dégoût, de l'indignation et de l'épouvante soulevés par l'impuissance et la lâcheté du ministère, Périer dut reconnaître l'impossibilité de prolonger une telle expérience. Mais, tout en entendant l'appel d'une nation en détresse, tout en comprenant qu'il devait à son pays et à sa gloire d'y répondre, il n'en ressentait pas moins une répulsion et un effroi douloureux qui s'augmentaient à mesure qu'il approchait davantage du pouvoir ; on eût presque dit ces angoisses, ces déchirements intimes, par lesquels Dieu fait parfois payer aux âmes la grâce et l'honneur d'une vocation religieuse.

Elle n'était ni aisée ni douce, la tâche de ceux qui s'entremirent alors patriotiquement pour pousser Casimir Périer à la place de M. Laffitte. Il leur fallut d'abord persuader le Roi, peu disposé, on le sait, à renvoyer un ministre commode et à en prendre un qui ne le serait certainement pas. Un personnage fort mêlé à ces négociations nous montre Louis-Philippe contrarié, consterné même jusqu'aux larmes et presque malade de la nécessité de se soumettre aux vives et impérieuses exigences du nouveau ministre[7]. Toutefois ce prince était trop politique et trop patriote pour ne pas faire bientôt céder ses hésitations et ses répugnances devant l'évidence du péril public. Ce fut de l'autre côté que les négociateurs rencontrèrent, jusqu'au dernier jour, le plus de difficultés. Si le Roi redoutait Périer, celui-ci se méfiait du Roi ; le jugeant par les compromissions de la première heure, il le croyait trop engagé dans la politique de laisser-aller, pour qu'on pût espérer son encours fidèle et ferme à l'œuvre de résistance : méfiance dont l'événement devait prouver l'erreur et l'injustice. Dès le 28 février, le général de Ségur était venu trouver Périer de la part de M. de Montalivet, qui, bien que collègue de M. Laffitte, comprenait de quelle urgence était un changement de ministère et de politique ; Périer se montra triste, hésitant, et finit même par refuser. Le lendemain, le général revint à la charge ; comme il prononçait le nom du Roi, son interlocuteur éclata : Oui, oui ! vous me répondez de tout, je n'ai plus qu'à accepter, me voilà ministre ! Mais alors, vous et Montalivet, me répondez-vous de tous les faux-fuyants qu'on prendra, de toutes les portes de derrière qu'on se gardera et qu'on tiendra ouvertes à nos adversaires ? De là, pourtant, ma marche entravée, mille obstacles entre moi et mon but, toutes mes résolutions dénaturées, avortées ou changées en demi-mesures ! Me répondrez-vous aussi de l'abandon de cette politique étroite qui pense gouverner par des dîners donnés alternativement aux chefs des partis les plus contraires, et par les articles des journaux qui les racontent ? Renoncera-t-on à ces prostitutions de la royauté devant les républicains et les anarchistes, à l'avilissement de ces camaraderies révolutionnaires, à ces scandaleuses déclamations contre l'hérédité qu'on prête à l'héritier même de la couronne ? Croyez-moi : quand ce ne serait que par ce côté ou par ***, le pouvoir m'échapperait ; je serais trahi sans cesse !... Il fallait m'écouter, il y a trois mois, quand le dégoût me força de quitter le ministère ! J'ai prédit alors qu'on me rappellerait, mais trop tard, comme Charles X ! Eh bien, en effet, nous y voilà, et pour celui-ci comme pour l'autre, le mardi et le mercredi sont passés, et nous en sommes au jeudi ! Il est bien temps d'appeler le médecin, quand la mort vous frappe ! et quelle mort ! Voyez l'émeute de l'archevêché ! Voyez les armes du Roi ! Lui laisser imposer une telle honte ! On ne les a pas plus défendues que celles du ciel ! Quoi ! vous vous dites mes amis, et quand le pouvoir est tombé dans la boue des rues, lorsqu'on ne peut plus y toucher sans se salir, vous voulez que je le ramasse !... Et Périer continua ainsi pendant plus d'une heure, frappant du poing la table, ses genoux, ceux du général, ou lui saisissant le bras avec violence. Ce fut seulement quand il se trouva à bout de force et de colère, surpris lui-même d'avoir passé toutes les bornes, que son patient et adroit interlocuteur parvint à lui faire convenir qu'il avait exagéré, et profita de cet aveu pour lui arracher un demi-assentiment[8].

La partie était loin d'être définitivement gagnée. Plus d'une fois encore, dans les jours suivants, les intermédiaires purent croire les pourparlers rompus, toujours par le fait du futur ministre. C'étaient sans cesse quelques nouvelles objections à lever, quelques nouvelles exigences à transmettre au Roi, qui ne s'en rebutait pas et consentait à tout. La famille de Casimir Périer, justement soucieuse de l'état de sa santé, le détournait d'ailleurs d'accepter le pouvoir. Il ne rentrait pas chez lui, après ces conférences, encore bouleversé de ses orageuses indécisions, sans que madame Périer inquiète ne lui rappelât l'arrêt des médecins qui lui ordonnaient le repos. Pour le disputer à ces affectueuses influences, il fallait lui rappeler le péril public, chaque jour plus pressant. Cependant le temps s'écoulait, et parfois c'était à se demander si l'on était plus avancé qu'à la première heure. Le 11 mars, dans la soirée, M. de Montalivet, M. d'Argout, M. Dupin, qui avaient été successivement envoyés par le Roi, trouvèrent Périer absolument découragé. Que puis-je, disait-il, et qui me secondera ? Qui remettra de l'ordre dans nos finances ? Savez-vous que le Trésor est aux abois et à la veille de cesser ses payements ? Le nom du baron Louis fut alors prononcé ; Périer déclara qu'avec son concours seul, il pourrait tenter ce qu'on lui demandait. Aussitôt l'un des négociateurs courut chez l'éminent financier : celui-ci tout d'abord se défendit vivement d'accepter une succession aussi compromise que celle de M. Laffitte ; mais, devant de nouvelles instances, sa résistance céda. A onze heures et demie du soir, son acceptation était rapportée à Périer, qui autorisa alors M. de Montalivet à déclarer au Roi qu'il se chargeait du ministère.

Deux jours plus tard, le 13 mars, alors qu'on croyait tout conclu, le général de Ségur fut informé que de nouvelles difficultés avaient surgi. Il se rendit chez Casimir Périer, qu'il trouva couché dans une chambre basse et resserrée ; un canapé étroit, au fond d'une sorte d'alcôve en boiserie, lui servait de lit. Ce petit cadre contrastait avec la haute taille du personnage et le faisait paraître un colosse. Périer était sur son séant, en chemise, les bras croisés et les mains crispées. Ses yeux, rapporte le général, semblaient lui sortir de la tête pour me repousser. — Comment, lui dit son visiteur, vous hésitez encore ! votre ministère n'est point formé !Non, je n'hésite plus, cria-t-il d'une voix qui fit explosion. Je ne veux plus de votre infâme présidence ! Dans quelle caverne m'avez-vous poussé ? Personne, hors des traîtres, ne veut m'y suivre... Sur quoi m'appuierai-je ? La garde nationale ? Mais arrive-t-elle jamais à temps ? La majorité ? Les avez-vous vus hier, à la Chambre, avec leur attitude timide et irrésolue ? Ils s'étonnaient de ce qu'ils appelaient l'essai hasardeux que j'osais tenter ! Voilà comme ils m'ont soutenu ! Le général tâcha de le calmer et de relever son courage ; puis, le voyant toujours rebelle à ses instances : Enfin, dit-il, vous mériteriez le reproche qu'hier le Courrier vous adressait. — Quoi ! quel reproche ? demanda vivement Périer. — Celui d'un caractère où l'incertitude l'emporte sur les nobles inspirations ; qui n'ose point exécuter ce qu'il conseille ; à qui le pouvoir fait peur et qui, dans l'occasion, disparaît. Le général vit que l'argument avait porté : il pressa encore. Enfin, Périer s'élança de son lit et s'écria : Vous le voulez, vous m'y forcez ; eh bien, j'accepte ! Puis, la main sur son côté droit : Mais sachez-le bien, vous me tuez ! c'est un meurtre ! c'est ma vie que vous exigez de moi ! vous ignorez tout ce que je souffre, combien le repos m'est indispensable, et que je vais mourir à la peine. Oui, avant un an, vous le verrez, j'aurai succombé[9]. Ne dirait-on pas que, dans ce ministère, tout devait avoir une sorte de grandeur tragique, jusqu'à ces préliminaires où, d'ordinaire, n'apparaissent que l'égoïsme des ambitions et le conflit de mesquines intrigues ?

Cette fois, du moins, Périer ne se dédit plus. Dans la soirée, les décrets étaient signés, et le lendemain, 14 mars, le Moniteur les publiait. Le cabinet fut ainsi composé : M. Casimir Périer, président du conseil, ministre de l'intérieur ; M. Barthe, garde des sceaux ; le général Sébastiani, ministre des affaires étrangères ; le baron Louis, ministre des finances ; le maréchal Soult, ministre de la guerre ; l'amiral de Rigny, ministre de la marine ; le comte de Montalivet, ministre de l'instruction publique et des cultes ; le comte d'Argout, ministre du commerce et des travaux publics. Sauf deux, le baron Louis et l'amiral de Rigny, tous les collègues choisis par Périer faisaient, la veille, partie du ministère Laffitte. Quelques-uns avaient seulement changé de portefeuille : M. de Montalivet était passé de l'intérieur à l'instruction publique ; M. Barthe, de l'instruction publique à la justice ; M. d'Argout, de la marine au commerce. Ce fait seul montre à quel point tout était alors troublé et faussé dans notre régime parlementaire. D'ailleurs, le public n'en avait pas moins le sentiment qu'il était en présence d'un ministère tout nouveau, créé pour suivre une politique absolument opposée à celle du cabinet précédent. Le nom de Casimir Périer, qui absorbait et effaçait tous les autres, suffisait à marquer la différence et l'opposition.

 

II

Ce pas franchi, le nouveau ministre ne regarda plus en arrière. Il avait beaucoup hésité à entreprendre l'œuvre ; il n'hésita pas dans l'exécution. Non qu'il se fit illusion sur les difficultés : par la nature un peu chagrine de son esprit, il était plutôt disposé à se les exagérer. Il avait vu de trop près ses anciens amis de la gauche, pour partager le niais optimisme qui contestait le péril révolutionnaire : C'est que je les connais, disait-il au duc de Broglie ; ils sont capables de tout[10]. Seulement la vue du danger ne troublait pas sa volonté, n'intimidait pas son courage. S'il doutait du succès, il ne doutait ni de sa mission, ni de la nécessité de sa politique ; se fiant peu aux autres, mais ayant confiance en lui-même ; voyant la mort devant soi, mais sûr de son devoir et de sa gloire.

Casimir Périer était bien l'homme qu'il fallait. A l'heure où tout s'abaissait, il avait l'âme haute, parfois hautaine, dominant avec mépris, a dit un homme assez fier lui-même pour le bien comprendre, les misères d'une popularité de vanités et de criailleries, tellement que la simple idée de fléchir devant un caprice populaire lui faisait monter le sang au visage[11]. A l'heure où, par l'effet d'une sorte d'intimidation, les honnêtes gens, inertes et passifs, se laissaient imposer tous les compromis et toutes les capitulations, il était l'action personnifiée ; aussi énergique dans la résistance qu'il l'avait été autrefois dans l'attaque, il y apportait même fougue, parfois même colère, même intrépidité héroïque ; ayant, du reste, les attributs physiques de ses qualités morales : Comment, disait-il en souriant, veut-on que je cède, avec la taille que j'ai ? A l'heure où tout se perdait par l'irrésolution et le laisser-aller des gouvernants, il savait vouloir et commander ; on lui reconnaissait je ne sais quel don de faire obéir ses amis et reculer ses adversaires[12] ; il en imposait aux uns comme aux autres, par la promptitude et l'autorité de sa démarche, de son geste, de son regard, de son accent, et même, quelquefois, par un silence qui révélait une décision inébranlable.

Homme d'une crise plutôt que d'un système, plus apte à l'action qu'à l'étude et à la méditation, d'une instruction incomplète, mais à laquelle il suppléait par un esprit rapide, pénétrant et sensé, il voulait raffermir l'Etat ébranlé, sans se piquer d'apporter aucune doctrine nouvelle ; il ne se préoccupait pas, comme M. Guizot, de rendre à la société des principes politiques qui pussent remplacer ceux qui avaient été détruits, et de reprendre en sous-œuvre la monarchie nouvelle, pour lui donner une base théorique qui ne fût plus seulement le fait révolutionnaire. Lui-même, il confessait sur ce point son incompétence, avec une modestie à laquelle se mêlait un certain dédain pour les rêveurs et les chimériques. Sa conception de l'ordre était évidemment un peu terre à terre et matérialiste ; le dégoût qu'il éprouvait pour l'anarchie était moins celui d'un philosophe que celui d'un homme d'affaires, et il se montrait plus soucieux d'assurer la paix de la rue, la sécurité du commerce, le fonctionnement régulier de la machine administrative, que de restaurer dans les âmes l'ordre moral si gravement troublé. Après tout, il répondait ainsi au besoin premier du moment, à celui du moins que ressentait le plus et que comprenait le mieux une bourgeoisie plus occupée d'intérêts que de principes, plus accessible à la peur qu'à la fois N'y a-t-il pas une part de vérité dans cette boutade attribuée à M. Royer-Collard : M. Casimir Périer eut un grand bonheur ; il vint au moment où ses défauts les plus saillants se transformèrent en précieuses qualités : il était ignorant et brutal ; ces deux vertus ont sauvé la France. Entre ses mains, d'ailleurs, la politique empirique grandissait singulièrement. Ces qualités natives, qui ne cherchaient pas à se raisonner et à s'analyser, qui s'ignoraient même jusqu'au jour où elles apparurent dans l'action et se développèrent dans le péril, n'étaient-ce pas des dons rares entre tous, plus rares que l'instruction, que l'esprit, que la philosophie ? n'était-ce pas le génie du pouvoir et ce que le même Royer-Collard, sur la tombe de Périer, appellera magnifiquement ces instincts merveilleux, qui sont comme la partie divine de l'art de gouverner ?

Dès le début, pas un tâtonnement. Le nouveau président du conseil saisit la première occasion de définir son programme[13] : Au dedans, l'ordre, sans sacrifice pour la liberté ; au dehors, la paix, sans qu'il en coûte rien à l'honneur. Il annonce fièrement que son ambition est de rétablir la confiance, sans laquelle rien n'est possible, avec laquelle tout est facile : confiance des citoyens dans le gouvernement, dans sa volonté et dans sa puissance de leur assurer l'ordre loyal et le pouvoir dont la société a, avant tout, besoin ; confiance de l'Europe dans la France et de la France dans l'Europe. Le mal, des deux côtés, vient de la révolution ; Périer ne peut, sans doute, la désavouer, mais il s'efforce, fût-ce un peu aux dépens de la pure logique, de la restreindre et surtout de l'arrêter. Il adjure tous les bons citoyens de ne pas s'abandonner eux-mêmes, en leur promettant que le gouvernement ne les abandonnera pas et n'hésitera jamais à se mettre à leur tête. Il s'engage à résister à la double prétention révolutionnaire et belliqueuse des partis avancés : L'exigence bruyante des factions, dit-il, ne saurait dicter nos déterminations : nous ne reconnaissons pas plus aux émeutes le droit de nous forcer à la guerre que le droit de nous pousser dans la voie des innovations politiques.

On n'était plus habitué à ce langage si net, si ferme, où semblait passer un souffle de commandement, à cette politique si sûre de ses moyens et de son but. L'effet fut tout de suite considérable. Dans une nation qui se voyait aller à la dérive, il y eut comme la sensation matérielle qu'une main vigoureuse venait de saisir le gouvernail. Voici enfin un homme politique, disait Lamartine, dans une lettre intime, le 24 mars 1831 ; je ne m'y attendais guère. Casimir Périer vient de poser le doigt sur le vif. Son discours, comme discours ou verbe politique, est, à mon avis, ce qui a été dit de plus juste et de mieux articulé depuis la Restauration. Si les éléments du gouvernement ne crèvent pas dans la main de cet homme, il pourra gouverner[14]. — La charrette est retournée du bon côté, écrivait M. Guizot, voilà le fait. Depuis quelques jours même, elle commence à marcher et l'effet en est déjà visible... Amis ou ennemis, tous prennent Périer au sérieux. C'est beaucoup, c'est plus de la moitié[15]. L'impression ne fut ni moins vive ni moins prompte à l'étranger. Quel bonheur que Casimir Périer soit nommé ! disait lord Palmerston dans une lettre du 15 mars adressée à lord Granville ; avec lui, nous pouvons espérer la paix à l'intérieur et à l'extérieur de la France. Je vous invite à le cultiver et à lui faire comprendre que le gouvernement anglais met toute sa confiance en lui, et considère sa nomination comme le gage le plus solide et la meilleure garantie de la paix[16]. M. de Werther, ambassadeur de Prusse, écrivait à son gouvernement, le 13 mars : J'avoue que, pour la première fois depuis la révolution, je trouve une lueur de paix dans la formation du nouveau ministère[17]. Le 20 mars, aussitôt après avoir appris la formation du nouveau cabinet, l'homme qui personnifiait, avec le plus d'autorité, les défiances et les inquiétudes de la vieille Europe à l'égard de la France de 1830, M. de Metternich, s'exprimait ainsi dans une lettre à l'ambassadeur d'Autriche à Paris : Avec la connaissance parfaite que vous avez de nos vues et des vœux que nous formons, vous ne serez pas surpris de la satisfaction que nous fait éprouver la recomposition du ministère français. Il est chargé d'une lourde tâche, mais les vœux de tous les hommes de bien doivent lui rester acquis. Les puissances trouveront facilement moyen de s'entendre avec un cabinet dont la pensée est définie... Nous tendons, dans un intérêt commun, la main au cabinet du Palais-Royal ; qu'il nous tende la sienne. Vous ne sauriez trop insister dans ce sens[18]. Un autre hommage, plus significatif encore, ne manqua pas à ce début de Casimir Périer, ce fut le cri de rage du parti anarchique, dont tous les journaux sonnèrent aussitôt le tocsin de la révolution en danger.

 

III

Peu après avoir pris la direction des affaires, Casimir Périer disait, à la tribune de la Chambre des députés : Pour garder la paix au dehors, comme pour la conserver au dedans, il ne faut peut-être qu'une chose, c'est que la France soit gouvernée[19]. Elle ne l'était plus depuis la révolution, qui, selon la parole de Louis-Philippe, avait brisé les ressorts du pouvoir[20]. Comme le disait encore le président du conseil, le mal était moins dans la force de l'opposition, après tout, peu considérable, que dans l'impuissance de l'autorité. Restaurer cette dernière était l'œuvre préalable, nécessaire, sans laquelle le nouveau cabinet ne pouvait exécuter son programme, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Cette autorité devait même être d'autant plus solidement assise, que tout, autour d'elle, était plus troublé. Aussi Périer, réagissant contre la sotte méfiance qui est la suite ordinaire des révolutions et qui tend à désarmer le pouvoir, proclamait-il hautement qu'il voulait un gouvernement fort[21].

Dans ce dessein, il commence par s'assurer qu'il ne rencontrera à côté de lui ni trahison, ni défaillance, ni tiraillements ; qu'il sera, ce qu'on n'a pas encore vu depuis la monarchie nouvelle, un véritable premier ministre, ayant tout le gouvernement dans sa main. Comme il assume la pleine responsabilité, il se croit autorisé à revendiquer le plein pouvoir, et affiche courageusement, dit Carrel, la volonté d'attirer tout à lui, les affaires comme les haines. Il ne le fait pas sans manifester parfois des exigences impérieuses et cassantes qui sont dans sa nature, et que justifie, ou tout au moins excuse, un de ces états violents et périlleux pour lesquels le sénat romain eût nommé un dictateur. C'est d'abord contre le Roi qu'il croit avoir à se mettre en garde, redoutant, et ses complaisances pour la révolution, et son désir de gouverner par lui-même. D'avance, il a imposé les conditions qui lui paraissent non-seulement garantir, mais manifester aux yeux de tous son absolue indépendance de premier ministre responsable ; et, au début de son administration, il tient rudement la main à ce que ces conditions soient observées ; assemblant habituellement le conseil des ministres chez lui, hors la présence du Roi, et le faisant annoncer chaque fois dans le Moniteur ; refusant, même quand le conseil se réunit au château, d'y admettre le duc d'Orléans ; prescrivant que toutes les dépêches lui soient remises avant d'être envoyées au Roi, et que rien, venu de ce dernier, ne soit inséré au Moniteur, sans l'assentiment du président du conseil. Dans ces précautions, il y a souvent quelque exagération ; dans ces méfiances, quelque injustice ; la roideur impatiente avec laquelle il impose les unes et témoigne les autres, parfois publiquement, montre que si l'ancien opposant a senti la nécessité de défendre la monarchie, il n'a pas aussi bien appris à la respecter. Et pourtant, n'était-ce pas ce respect qui manquait le plus à la stabilité de la royauté nouvelle ? Quand, dès les premiers jours, Périer exigeait que Louis-Philippe quittât le Palais-Royal pour venir s'établir aux Tuileries, il se préoccupait de restaurer l'ancien prestige de la couronne ; il se fût montré plus logique en ne contrariant pas lui-même cette restauration difficile par des procédés qui parfois ne manifestaient l'autorité ministérielle qu'aux dépens de la dignité royale. Louis-Philippe souffrait souvent d'être ainsi traité ; il en souffrait même d'autant plus que, par ses défauts comme par ses qualités, sa nature était absolument différente de celle de Périer ; mais il cédait à l'ascendant de cet homme. D'ailleurs, dans l'esprit si politique du souverain, le souci du péril public effaçait tout le reste, et même quand il trouvait son ministre le moins agréable, il n'oubliait jamais que le pays avait besoin de le conserver. Doit-on croire, du reste, que le Roi, avec son adresse froide et souple, finit par acquérir sur le véhément président du conseil une influence que celui-ci subit sans s'en douter ? On sait la parole que Louis-Philippe eut la prudence de ne pas prononcer avant la mort de celui auquel elle s'appliquait, et où, avec une part de vérité, il y avait peut-être quelque illusion de l'amour-propre royal : Périer m'a donné du mal, mais j'avais fini par le bien équiter.

Dans la cour et dans la famille royale, on ne voyait pas sans déplaisir l'arrivée d'un ministre qui annonçait devoir traiter le souverain si rudement. Le duc d'Orléans était fort mécontent d'être exclu du conseil. Quand Périer se montra pour la première fois au Palais-Royal, il crut s'apercevoir que les courtisans, le prince royal, Madame Adélaïde et la Reine elle-même, à ce moment fort prévenue, l'accueillaient très-froidement. Le Roi seul, bien qu'il eût l'air un peu contraint, lui faisait bon visage. De son œil perçant, le président du conseil parcourut tous les groupes, puis s'adressant au Roi : Sire, je désirerais entretenir Votre Majesté en particulier. Quand ils furent seuls : Sire, je croyais hier pouvoir servir utilement Votre Majesté, et j'ai accepté ce portefeuille. Je vois que je m'étais trompé et je prie Votre Majesté de le reprendre. Le Roi, surpris, inquiet, demanda l'explication d'une aussi brusque résolution. Sire, répondit Périer, en prenant la présidence du conseil, je savais que j'avais à lutter contre deux factions décidées à renverser le gouvernement, mais j'ignorais que j'eusse à lutter contre votre maison, le dirai-je même, contre votre famille. Cela change entièrement la question et ne me permet plus une tentative au-dessus de mes forces. — Protestation du Roi. — Sire, mes yeux me trompent rarement, et j'ai vu. — Vous vous trompez, et je vais vous le prouver. Louis-Philippe fit aussitôt venir la Reine : Monsieur Périer, dit-il alors, voici la Reine qui désire vous témoigner elle-même combien elle a d'estime pour votre caractère et quel fonds elle fait sur vos services. Même cérémonie pour Madame Adélaïde et pour le duc d'Orléans[22]. L'épreuve fut décisive et eut raison de toutes les résistances. D'ailleurs, la Reine, mieux éclairée, ne tarda pas à prendre en grand goût le premier ministre, et devint son alliée la plus dévouée.

Périer ne se contente pas de prendre ses précautions contre le Roi et contre la cour, il veut aussi assurer son autorité sur les membres du cabinet. Il a vu les divisions et l'incohérence des précédents ministères ; il ne constitue le sien qu'après avoir demandé à tous ceux qu'il y appelait une adhésion soumise et dévouée à sa politique ; il veut même que cette adhésion soit publique, et, le jour où il apporte son programme à la Chambre, les autres ministres doivent lui succéder à la tribune pour confirmer ses déclarations. Cette prépondérance qu'il établit ainsi dès la première heure, il devait, jusqu'à la fin, la maintenir avec fermeté, parfois presque avec brutalité : témoin ce jour où, en pleine Chambre, il criait impatiemment à M. d'Argout, qui se disposait à parler à contre-temps : Ici, d'Argout ! Et celui-ci revenait à sa place, non sans humeur, mais sans révolte. Le maréchal Soult lui-même, malgré sa grande position, n'était guère mieux traité. Périer, à tort ou à raison, le soupçonnait de ne lui être pas très-fidèle. Quand quelque acte du ministre de la guerre pouvant confirmer ce soupçon lui était dénoncé, il entrait dans des colères terribles et lui écrivait des lettres comme celle-ci : Ne vous permettez plus de ces choses-là, ou je vous brise comme verre. Le maréchal alors filait doux. Par contre, l'un de ses ministres était-il aux prises avec quelque embarras, avait-il prêté le flanc à quelque violente attaque, Casimir Périer ne songeait pas un moment à l'abandonner pour s'épargner à lui-même un ennui ; lui rendant en protection ce qu'il exigeait en fidélité et soumission, il venait ouvertement à son secours et le couvrait de sa propre responsabilité. Du reste, le public ne voyait que lui. Ses collègues ne comptaient pas. Ce qui se fait, écrivait M. de Rémusat le 2 avril 1831[23], émane uniquement de la volonté du président du conseil.

Tout cela n'est, en quelque sorte, que le préambule d'une réforme plus étendue. Sous un gouvernement qui ne sait plus commander, les fonctionnaires ont perdu toute habitude d'obéir. Beaucoup, nommés sur la recommandation de La Fayette ou de ses amis, sont de cœur ou de fait avec les hommes de désordre ; les ambitieux, du reste, ont trouvé, jusque-là, plus d'avantages à courtiser la popularité d'en bas qu'à suivre les instructions de leurs chefs. Faire disparaître cette anarchie administrative est une des premières préoccupations du nouveau ministre. Sans doute, comme l'écrit un de ses collaborateurs[24], il est impropre aux détails de l'administration, procède par à-coups, ne suit pas les affaires et ne les embrasse pas toutes à la fois ; mais il est admirablement propre à imposer une volonté, à donner une impulsion et, comme le dit le même observateur, à remettre la main sur les préfets et par eux sur la France. Sous toutes les formes, circulaires, discours, articles dans le Moniteur, il rappelle publiquement et solennellement à ses fonctionnaires cette vérité qui, en temps normal, serait d'une banalité naïve, mais qui est alors presque une nouveauté hardie, que le gouvernement veut être obéi. Il menace ceux qui complaisent aux passions factieuses ou pactisent avec la violence, et promet, au contraire, son appui et sa protection à ceux qui feront exécuter avec fermeté les lois du pays et qui ne trahiront point, par complaisance ou par faiblesse, la confiance du pouvoir et les intérêts de la société[25]. Bientôt même, il laisse voir qu'il ne se contente pas de cette soumission, qui eût été pourtant déjà un grand progrès ; il veut un concours dévoué, ardent. Ce ne sont pas des agents qu'il me faut, dit-il un jour, ce sont des complices. Dès la première heure, une occasion s'est offerte de faire comprendre aux fonctionnaires le nouveau régime auquel ils sont soumis. On sait que, dans les derniers jours du ministère Laffitte, les patriotes avaient fondé l'Association dite nationale ; ceux qui en faisaient partie s'obligeaient, sur la vie et sur l'honneur, à combattre par tous les sacrifices personnels et pécuniaires, l'étranger et les Bourbons. À peine le ministère Périer est-il constitué, que les journaux de gauche répondent en publiant, avec grand fracas, les statuts de l'Association et en pressant les citoyens d'y entrer ; ils ne dissimulent pas le caractère de défiance injurieuse contre le gouvernement, que prend de plus en plus ce mouvement, sorte de nouvelle Ligue, dont La Fayette est le duc de Guise, et qui, comme la première, prétend se substituer à une royauté suspecte. Tel est alors le trouble des esprits, que plusieurs fonctionnaires, et non des moindres, des conseillers d'État, des magistrats, des officiers attachés à la personne du Roi, s'affilient publiquement à cette association, à côté des membres les plus en vue du parti de l'Hôtel de ville. Périer n'hésite pas un instant. Des circulaires de tous les ministres interdisent aussitôt à leurs subordonnés cette affiliation[26]. Grands cris des meneurs de la gauche, qui, La Fayette en tête, soulèvent à ce propos un débat dans la Chambre[27]. Le ministre tient bon, et, la discussion finie à son avantage, il révoque MM. Delaborde, aide de camp du Roi et conseiller d'État, Odilon Barrot, conseiller d'État, le général Lamarque, commandant supérieur des départements de l'Ouest, Duboys-Aymé, directeur des domaines à Paris, et quelques autres qui avaient donné l'exemple de la désobéissance[28]. Cet acte de vigueur a un effet décisif. L'Association nationale avorte, et surtout, il n'est plus un fonctionnaire, grand ou petit, qui ne comprenne la nécessité d'obéir. Aussi, à la suite de ces mesures, le Journal des Débats peut-il écrire : Une question était posée : Y avait-il un gouvernement en France, ou bien la révolution de Juillet n'avait-elle compris la liberté que comme le renversement de tout pouvoir parmi nous, comme le règne arbitraire des factions, comme la confiscation, à leur profit, de cette force active et souveraine qui est préposée à la garde de tous les intérêts d'un peuple, à la garde de ses lois et de ses frontières ? Cette question vient d'être résolue : la France sera gouvernée[29]. Peu après, le Roi, dans l'un de ses voyages, est conduit à Metz, ville libérale et patriote, où avait pris naissance l'Association nationale. Comme le maire, dans son discours, prétend donner des leçons de politique générale pour les affaires intérieures et même étrangères, Louis-Philippe lui répond, avec beaucoup de fermeté et de présence d'esprit, que ces affaires ne regardent pas les municipalités ; le même sujet étant repris par l'orateur de la garde nationale, le prince l'interrompt brusquement : La force armée ne délibère pas, dit-il ; vous n'êtes plus l'organe de la garde nationale, je ne dois pas en entendre davantage. Par de tels incidents, Louis-Philippe aidait son ministre à rétablir l'autorité du gouvernement et la discipline de l'administration.

 

IV

Le président du conseil était parvenu à mettre dans sa main les fonctionnaires, les ministres, on pourrait presque dire le Roi ; ce n'était pas tout. Il avait conçu cette idée originale et généreuse, de résister à la révolution sans toucher à la liberté, et de trouver dans l'action parlementaire la force que les gouvernements sont plus souvent tentés de demander à l'administration et à l'armée. Il lui fallait donc le concours des Chambres ; il lui fallait surtout ce qu'on ne connaissait plus depuis la révolution, ce qu'aucun des ministères précédents, pas plus celui du 11 août que celui de M. Laffitte, n'avait été en état ou en volonté de former : une majorité ; il lui fallait opérer le classement et le départ de ces députés d'opinions si diverses, qui, par calcul, par timidité, ou souvent par ignorance de leurs propres volontés, étaient demeurés jusqu'ici confondus. Aussi, dès le premier jour, afin de forcer les adversaires à se déclarer et les amis à se compromettre, il faisait, pour tous ses projets, ce que ses prédécesseurs n'avaient pas osé risquer même pour les lois les plus importantes : il demandait un vote de confiance et posait la question de cabinet. Voyez-le, défiant la gauche, éperonnant les conservateurs, leur mettant le marché à la main, ménageant encore moins ses partisans que ses ennemis ; prêt à risquer son honneur et sa vie dans la bataille, mais à la condition, nettement posée, d'être suivi et obéi ; ne tolérant pas qu'il se formât de groupes indépendants, de tiers parti ; exigeant que tous marchassent derrière lui, si l'on ne voulait pas qu'il s'en allât. Il poussait loin ses exigences en fait de discipline ; on connaît la boutade irritée par laquelle il répondait un jour à des députés de la majorité, venant lui apporter des objections contre je ne sais quelle mesure, et faisant pressentir leur abandon : Je me moque bien de mes amis, s'écria-t-il, quand j'ai raison ; c'est quand j'ai tort qu'il faut qu'ils me soutiennent[30]. Dans ce maniement des députés, il apportait une rudesse, une colère parfois presque méprisante, qui n'étaient pas des modèles imitables par tous et en tout temps, mais qu'excusaient, que nécessitaient peut-être, et le mal contre lequel il fallait réagir, et le péril dont il fallait se garer ; on ne demande pas la politesse au capitaine pendant le combat ; il lui est permis de jurer et de malmener ses hommes, surtout quand il les trouve débandés, démontés, presque mêlés à l'ennemi, déshabitués d'obéir et même de se battre. Ne l'oublions pas d'ailleurs, Périer obtenait beaucoup des conservateurs, non-seulement parce qu'il les intimidait et les violentait, mais parce qu'il leur inspirait confiance, ce qui valait mieux encore.

L'œuvre était laborieuse et demandait du temps. Elle en demanda d'autant plus qu'à peine parvenu à grouper une majorité, Casimir Périer, dut tout recommencer sur un terrain nouveau. L'une des charges qu'il n'avait pu répudier, dans l'héritage du ministère Laffitte, était l'engagement de dissoudre la Chambre ; celle-ci datait de la Restauration, et le mode de suffrage suivant lequel elle avait été nommée avait été changé et quelque peu élargi depuis la révolution. La session fut close le 20 avril 1831, la dissolution prononcée le 31 mai, et les élections fixées au 5 juillet. Périer marqua fermement et loyalement la conduite qu'il suivrait dans ces élections, répudiant les pressions abusives et les séductions malhonnêtes, mais déclarant que le gouvernement ne serait pas neutre et que l'administration ne devait pas l'être plus que lui[31]. Le but qu'il poursuivait était toujours le même : former, dans la Chambre nouvelle, la majorité dont il avait besoin, écarter les équivoques, les incertitudes et les compromissions qui avaient jusqu'alors empêché la formation de cette majorité. Pour cela, il eût voulu que la lutte s'engageât nettement entre sa politique et celle de l'opposition, chaque candidat se prononçant pour l'une ou pour l'autre, et devant, par suite, une fois élu, siéger à droite ou à gauche. Mais une question s'éleva, qui vint à la fois tout dominer et tout brouiller.

On n'a pas oublié comment, lors de la révision de la Charte, le parti de l'Hôtel de ville avait réclamé l'abolition de la pairie héréditaire, et comment, par un expédient qui dissimulait mal une capitulation, le gouvernement avait fait décider que l'article réglant l'organisation de la Chambre haute serait l'objet d'un nouvel examen dans la session de 1831. Cet examen devait donc être l'une des premières tâches de l'assemblée que l'on nommait. Quelques-uns s'étaient-ils figuré, en août 1830, que l'ajournement du débat profiterait à une institution ainsi mise solennellement en suspicion ? En tout cas, leur illusion ne put être de longue durée. L'opinion superficielle et vulgaire se prononça, chaque jour plus bruyamment, contre cette hérédité, que, sous la Restauration, les libéraux eux-mêmes acceptaient sans difficulté. Les petites : jalousies de la bourgeoisie venaient ici en aide aux passions démocratiques. La gauche comprit habilement l'intérêt qu'elle aurait à s'emparer d'une question sur laquelle les préventions étaient si vives. Laissant donc au second plan les parties de son programme sur lesquelles Périer lui avait jeté une sorte de défi, elle fit de l'abolition de la pairie héréditaire son principal cri électoral[32]. Peu de candidats conservateurs osaient la contredire sur ce point et se mettre en travers d'un mouvement si général ; le ministère ne leur en donnait pas d'ailleurs l'exemple. Les plus courageux se taisaient ; beaucoup se prononçaient, avec les candidats de gauche, contre l'hérédité. Il n'y avait pas, dit le duc de Broglie[33], de si chétif grimaud qui se fît faute de donner à nos seigneuries aux abois le coup de pied de l'âne, et j'ai regret d'ajouter que notre jeunesse doctrinaire elle-même s'en passa la fantaisie, apparemment pour se racheter du modérantisme dont elle se piquait sur tout le reste. De là, dans ces élections, au lieu de la bataille rangée qu'eût désirée le ministre, une mêlée confuse, où l'on ne distinguait plus les ministériels des opposants, avec cette aggravation que c'étaient les premiers qui semblaient être à la remorque des seconds. Aussi, le scrutin clos et dépouillé, ne sut-on guère ce qui en sortait. Sans doute, on voyait bien que les carlistes et les républicains étaient exclus. Seulement y avait-il une majorité ? On comptait deux cents députés nouveaux, nommés après des proclamations telles qu'ils étaient revendiqués par l'opposition comme par le ministère ; laissés à eux-mêmes, ils penchaient, en effet, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, éloignés de la gauche par le goût de l'ordre et la peur de l'anarchie révolutionnaire, mais apportant contre le pouvoir des préventions déjà anciennes et des habitudes critiques qu'ils prenaient pour de l'indépendance et qu'ils croyaient nécessaires à leur popularité. Les quinze ans de la Restauration, disait à ce propos le Journal des Débats, ont donné aux esprits, en France, un certain goût d'opposition. C'est le penchant général. Outre la défiance profonde qu'inspire le pouvoir et que le temps seul pourra guérir, il est flatteur de se voir prôné par ceux qui censurent tout le monde et de conquérir à peu de frais la popularité laborieuse des Foy, des Royer-Collard, des Casimir Périer. Voilà bien des séductions pour des hommes indécis. Le même journal montrait ces députés préoccupés avant tout de ne pas mériter les accusations de l'ancienne presse libérale contre les trois cents de M. de Villèle. — Les opinions vagues, disait-il encore, nous paraissent la maladie du moment. Il y a beaucoup de députés à la Chambre qui ont d'autant plus cette maladie, qu'ils sont les représentants plus fidèles d'un certain état qui affecte la France en général. Et il caractérisait ainsi les dispositions de la nouvelle assemblée : Il y a, contre le ministère, des indécisions et des incertitudes sans mauvaise volonté, ensuite des malveillances sans résolution, enfin des haines décidées, mais sans force et sans puissance[34]. La duchesse de Broglie écrivait, le 3 août, à M. de Barante : La Chambre est bien singulière ; il y a une absence absolue de discipline ; chacun arrive, non pas avec un système arrêté contre le gouvernement, — cela vaudrait peut-être mieux, — mais avec des vues personnelles, chimériques, sentimentales. L'idée qu'il faut marcher ensemble ne leur vient pas. Cette chambre, comme le pays, est un collier de grains de mille couleurs, dont on a coupé le fil[35]. Les écrivains de gauche, de leur côté, ne se flattaient pas que leur parti eût la majorité, mais ils niaient que celle-ci appartînt à Périer : Elle n'est à personne, disaient-ils. Ils n'avaient pas l'illusion que cette Chambre en finirait d'un seul coup avec le ministère, mais ils espéraient qu'elle le tuerait, plutôt, par abandon que par ferme volonté de le renverser[36].

Casimir Périer vit tout de suite le péril et l'affronta brusquement. A peine la Chambre réunie, il déclara faire une question de cabinet de la nomination de M. Girod de l'Ain à la présidence. Le personnage était un peu pâle, surtout devant la notoriété du candidat choisi par l'opposition, qui était M. Laffitte. M. Girod ne l'emporta que d'une voix[37]. Périer estimant cette majorité insuffisante, donna aussitôt sa démission, et pour montrer qu'elle était sérieuse, il se mit à brûler ses papiers et à prendre toutes ses dispositions pour quitter l'hôtel du ministère. A cette nouvelle, grand fut l'émoi des députés, penauds, ahuris, terrifiés de la conséquence inattendue qu'avait leur indépendance. C'était à qui supplierait le ministre de reprendre sa démission et blâmerait ce qu'on appelait sa désertion. Si quelques courtisans se réjouissaient[38], tout autre était le sentiment du Roi et de la Reine. Après avoir fini ses préparatifs de départ, Périer était allé passer la soirée au Palais-Royal. Il ne rentra qu'à une heure du matin, tout troublé, la figure altérée et des larmes dans les yeux. À peine dans son cabinet, il se jeta sur un fauteuil, en prononçant des mots entrecoupés : Ah ! cette femme, qu'elle m'a fait de mal ! Je ne voulais pas la voir... mais cela a été impossible... C'est une femme adorable. — Qui donc ? lui demanda un ami qui l'assistait. — Eh ! la Reine... C'est que je l'adore, la Reine... un cœur, une âme... Au moment où je sortais du cabinet du Roi, on m'a prié de passer chez elle. En me voyant, elle a fondu en larmes : Ah ! monsieur Périer, m'a-t-elle dit, vous nous abandonnez donc !... Cela a duré un quart d'heure... Je le prévoyais... Quelle femme ! quelle femme ![39]... Sur ces entrefaites[40], arriva la nouvelle que le roi de Hollande, dénonçant l'armistice, entrait en Belgique ; le roi Léopold implorait notre secours. Il y avait là, — nous le verrons en parlant de la politique extérieure, — occasion et nécessité, pour la monarchie de Juillet, de faire sa première manifestation militaire : démarche grave, délicate, périlleuse, dans laquelle il fallait montrer beaucoup de résolution, de prudence et surtout de promptitude. Devant ce grand intérêt patriotique, Casimir Périer consentit à ajourner sa retraite, et un supplément du Moniteur[41] annonça que l'armée du Nord, commandée par le maréchal Gérard, avait reçu l'ordre d'entrer en Belgique. Dans de telles circonstances, ajoutait le Journal officiel, le ministère reste ; il attendra la réponse des Chambres au discours de la couronne. Périer mettait donc les députés en demeure d'effacer, par cette réponse, le vote dont il se plaignait.

La discussion de l'Adresse prenait ainsi une importance particulière. Elle se prolongea pendant huit jours, acharnée, passionnée, souvent violente[42]. L'opposition fit des efforts désespérés, soulevant toutes les questions, mais portant l'attaque principale sur la politique étrangère, notamment sur les affaires de Belgique, de Pologne et d'Italie. Elle fut représentée à la tribune par le maréchal Clausel, M. Odilon Barrot, M. Salverte, M. Dubois, le général La Fayette, M. de Cormenin. Périer tint tête à ces assauts répétés, avec le concours utile et vaillant de ses collègues du cabinet, le général Sébastiani, M. Barthe, M. de Montalivet, et des orateurs du parti conservateur, MM. Guizot, Dupin, Thiers, de Rémusat, Duvergier de Hauranne. Sur chaque paragraphe, on présentait quelque amendement qui était une tentation, un piège à l'adresse des indécis, des indisciplinés, si nombreux dans la nouvelle Chambre. L'inexpérience et l'inconsistance de cette assemblée rendaient toutes les surprises possibles, et quand, avant chaque séance, les journaux opposants annonçaient que, cette fois, ils tenaient la victoire, on ne savait guère, à regarder l'attitude incertaine de la majorité, si l'on pouvait les démentir. Rien ne semblait lasser les assaillants ; mais rien aussi ne lassait le ministre. Il repoussait ces attaques répétées, et finissait toujours par triompher, à force de loyauté, de bon sens et surtout d'énergie. Ses adversaires ne purent faire passer le moindre amendement, et l'ensemble de l'Adresse fut voté à l'immense majorité de 282 voix contre 73.

Ce fut un événement considérable et décisif. Périer venait enfin de dégager et de grouper, pour ainsi dire à la force du poignet, cette majorité dont il avait besoin pour l'exécution de son programme. Il avait contraint le parti conservateur à se réunir, compacte et discipliné, derrière lui, et avait étouffé, avant même éclosion, tous les germes de tiers parti et de centre gauche[43]. Malheureusement ces germes n'étaient pas à jamais détruits ; ils reparaîtront plus tard, quand on ne se trouvera plus en présence d'un ministre aussi imposant et de dangers aussi manifestes ; ils se développeront alors, au grand détriment du parti conservateur comme du régime parlementaire. Pour le moment ce mal était conjuré, et Casimir Périer restera, jusqu'au bout, en possession d'une majorité qu'il lui faudra sans doute constamment surveiller, rassembler, dominer, animer, mais qui, après tout, ne lui fera pas défaut. Aussi les écrivains de gauche qui, comme Carrel, avaient, au lendemain des élections, fondé leurs espérances sur cette Chambre, qui avaient nié que la majorité fût acquise au ministère, et avaient déclaré, au contraire, qu'elle ne tenait pas à conserver M. Périer, n'auront plus, au bout de quelques mois, qu'invectives contre la docilité de cette majorité qui vote pour le ministre, quoi qu'il exige, l'applaudit, quoi qu'il dise, paraît décidée à le soutenir, quoi qu'il entreprenne[44] : M. Mauguin s'écriera, à la tribune : Le ministère dispose de la majorité[45] ; et l'opposition sera réduite à prétendre que la Chambre ne représente pas vraiment le pays.

Ce n'était pas pour le plaisir vaniteux et oisif d'apparaître pleinement le maître du gouvernement et de concentrer toute l'autorité entre ses mains, que Casimir Périer avait ainsi pris ses précautions contre le Roi, qu'il s'était assuré le fidèle concours de ses collègues, la soumission dévouée de ses fonctionnaires, la consistance et la discipline de sa majorité : c'était pour agir, pour soutenir le combat contre la révolution. Il importe donc d'examiner maintenant ce que fut cette action, au dehors et au dedans. Aussi bien, le ministère n'avait pas attendu, pour résister aux attaques et même pour prendre l'offensive, qu'il eût fini de réorganiser et de concentrer à loisir les forces du gouvernement. Il avait rencontré, dès ses premiers pas, les questions les plus graves, les plus redoutables périls, et il avait dû y faire face aussitôt, avec les instruments incertains qu'il avait d'abord seuls entre ses mains. On eût dit d'un général obligé de repousser l'assaut, d'engager la bataille pendant le temps même que, sous le feu de l'ennemi, il reforme ses bataillons disloqués et démoralisés, rétablit leur discipline, ranime leur courage, refait leur armement et bouche, dans ses murailles, les brèches énormes qu'y a produites une récente explosion. Ainsi faisaient jadis les Macchabées, au siège de Jérusalem, reconstruisant d'une main leur cité pendant qu'ils la défendaient de l'autre contre l'ennemi, maniant à la fois la truelle et l'épée.

 

 

 



[1] Discours sur la tombe de M. Casimir Périer.

[2] Aussi Carrel écrivait-il plus tard, le jour même de la mort de Périer : M. Périer n'était pas fait pour l'opposition, prise dans l'acception populaire du mot. Ses instincts, d'autres diront peut-être son génie, le conduisaient à sympathiser plutôt avec les idées d'ordre, de stabilité, de gouvernement, qu'avec les principes de liberté, de réforme, de progrès. Il avait le goût du pouvoir.

[3] Sur le rôle de Casimir Périer avant 1830, on me permettra de renvoyer à ce que j'ai dit dans mon étude sur le Parti libéral sous la Restauration, p. 129 à 132, et p. 424 à 430.

[4] Souvenirs de M. Bérard.

[5] Mémoires de M. Dupin, t. II, p. 218.

[6] Mémoires de M. Odilon Barrot, t. I, p. 215.

[7] Mémoires du général de Ségur, t. VII.

[8] Mémoires du général de Ségur, t. VII, p. 390 et suiv. — Je ne veux pas, disait encore Périer à cette époque, jouer le rôle de Strafford et me mettre sur la brèche pour un Charles Ier qui signerait ensuite lâchement ma sentence. Non, non, il faut, si Strafford monte à l'échafaud, que Charles Ier l'y suive. (Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.)

[9] Mémoires du général de Ségur, t. VII, p. 397 et suiv. — Ce pressentiment funèbre obsédait alors l'esprit de Périer, et le général de Ségur n'est pas le seul auquel il l'a exprimé. Il a répété plusieurs fois à M. de Montalivet et aux autres personnes qui le pressaient : Vous le voulez, mais rappelez-vous que si j'entre au ministère, j'en sortirai les pieds les premiers.

[10] Correspondance inédite du duc de Broglie. — M. Thiers, en 1871, disait aussi à un personnage politique du parti conservateur, en parlant des hommes de la gauche : C'est que je les connais ; ils sont méchants, très-méchants. Le langage est le même. Périer en concluait qu'il fallait combattre ; M. Thiers, qu'il fallait capituler.

[11] Souvenirs du feu duc de Broglie.

[12] Expression de M. Vitet.

[13] Discours du 18 mars 1831.

[14] Correspondance de Lamartine, t. VI.

[15] Lettres de M. Guizot à sa famille et à ses amis, p. 107.

[16] BULWER, Life of Palmerston, t. II, p. 52.

[17] HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1870.

[18] Mémoires du prince de Metternich, t. V, p. 128.

[19] Séance du 13 avril 1831.

[20] Discours de clôture de la session, 20 avril 1831.

[21] Il faisait dire au Roi, dans le discours du trône du 23 juillet 1831 : La France a voulu que la royauté fût nationale ; elle n'a pas voulu que la royauté fût impuissante ; un gouvernement sans force ne saurait convenir à une grande nation.

[22] Notes inédites de Duvergier de Hauranne.

[23] Documents inédits.

[24] Cette observation est de M. de Rémusat, qui était, sans titre bien déterminé, le lieutenant de Casimir Périer au ministère de l'intérieur. Il écrivait M. de Barante, le 2 avril 1831 : Je me sens disposé à seconder le nouveau ministre ; on me l'a tant conseillé, on m'y a tant pressé, que me voilà à peu près ministre de l'intérieur, au moins pour les détails. Le voisinage de Péri produisait, du reste, un effet singulier sur la nature sceptique et indolente son collaborateur. M. de Rémusat est ressuscité d'une manière merveilleuse, écrivait la duchesse de Broglie, le 3 avril 1831 ; il travaille, il est animé, et ne dit presque plus de mal de ce qu'il fait. (Documents inédits.)

[25] Dans sa circulaire aux préfets, Casimir Périer disait : La société troublée ne se calme pas en un jour. Les passions s'animent, menacent l'ordre public et semblent constituer un pouvoir nouveau. La liberté de la France est hors de péril ; elle repose sous la sauvegarde de la nation : garantie par la constitution de l'Etat, elle ne l'est pas moins par la volonté du prince, par l'origine de sa puissance. Le premier devoir du gouvernement est donc, en laissant la liberté entière, de rétablir l'ordre, et, pour y parvenir, de rendre à l'autorité toute sa force et toute sa dignité. Telle est l'ambition, telle est la mission du ministère actuel. Et plus loin : En irritant les défiances populaires, l'esprit de faction a su provoquer sur quelques points du royaume des désordres graves, des réactions odieuses. L'autorité s'est trouvée souvent trop faible pour lui résister. Il est temps que cet état de choses ait un terme. Si l'administration ne se montrait forte et décidée, si les tentatives de désordre se renouvelaient encore, elles compromettraient la prospérité publique, elles aggraveraient les souffrances de l'industrie et du commerce et altéreraient, aux yeux des peuples de l'Europe, le beau caractère de notre révolution.

[26] 22 mars 1831.

[27] Ce fut à propos d'une loi sur les attroupements, séances des 29, 30 et 31 mars.

[28] Ces mesures furent publiées dans le Moniteur du 2 avril 1831.

[29] Journal des Débats du 4 avril 1831.

[30] Dans un article publié, le 1er janvier 1848, par la Revue des Deux Mondes, M. de Morny donne cette autre version : Eh ! le beau mérite, monsieur, de voter pour moi, lorsque vous m'approuvez ! Mes ennemis cessent-ils de me combattre quand j'ai raison ? Soutenez-moi donc quand j'ai tort.

[31] Les circulaires envoyées par Casimir Périer, en cette occasion, ont été souvent citées ; il écrivait dans celle du 3 mai : Je vous dirai sans détour l'intention générale du gouvernement ; il ne sera pas neutre dans les élections, il ne veut pas que l'administration le soit plus que lui. Sans doute sa volonté est avant tout que les lois soient exécutées avec une rigoureuse impartialité, avec une loyauté irréprochable. Aucun intérêt public ne doit être sacrifié à un calcul électoral, aucune décision administrative ne doit être puisée dans d'autres motifs que le vrai, le juste, le bien commun ; les opinions ne doivent être jamais prises pour des droits ; enfin l'indépendance des consciences doit être scrupuleusement respectée. Le secret des votes est sacré, et aucun fonctionnaire ne saurait être responsable du sien devant l'autorité. Mais entre l'impartialité administrative et l'indifférence pour toutes les opinions, la distance est infinie. Le gouvernement est convaincu que ses principes sont conformes à l'intérêt national ; il doit donc désirer que les collèges électoraux élisent des citoyens qui partagent ses opinions et ses intentions. Il n'en fait pas mystère, et vous devez, ainsi que lui, le déclarer hautement. Le gouvernement a plus d'une fois exposé ses principes de politique intérieure et extérieure ; le discours du Roi, dans la séance de clôture, les a résumés de nouveau ; nous désirons que la dissolution ramène une Chambre dont la majorité les adopte et les soutienne... Cette règle doit déterminer la préférence de l'administration entre les divers candidats. — Il disait dans une autre circulaire du 26 juin : ... Ce n'est pas qu'il s'agisse de contester jamais à une opposition constitutionnelle, légale, une influence avouée dans son but et franche dans ses moyens, pas plus que de renoncer à la juste influence que l'administration elle-même doit exercer par des moyens dignes de son origine, dignes du pouvoir de Juillet. Mais plus il importe à tous les intérêts que les élections soient une affaire de conscience, plus il convient que les consciences soient éclairées ; et si elles sont à l'abri des injonctions du pouvoir, elles doivent être préservées également des déceptions des partis qui se disputeraient le triste avantage de les égarer par de fausses alarmes, de les inquiéter par des bruits trompeurs, de les intimider, s'il est possible, par de vaines menaces.

[32] Le National disait, le 8 juillet 1831 : Nous n'avons demandé aux élections qui s'achèvent en ce moment qu'une majorité contre la pairie héréditaire. Cette majorité, nous l'aurons.

[33] Souvenirs.

[34] Journal des Débats des 8, 9, 18 et 19 août 1831.

[35] Documents inédits.

[36] National du 19 août et du 6 septembre 1831.

[37] 1er août 1831.

[38] Nous voilà, disaient-ils, débarrassés de Casimir Ier, et le Roi va régner à nouveau. (Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.)

[39] Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.

[40] 4 août.

[41] 4 août.

[42] Du 9 au 17 août.

[43] A cette époque, le Journal des Débats observait qu'en forçant les douteux et les impartiaux à se prononcer, Périer rendait impossibles ces indécisions éclectiques qui prenaient un peu de M. Dupin, un peu de M. Salverte, et faisaient de ce bizarre mélange un système de politique parlementaire. (8 août 1831.)

[44] National des 11 et 15 décembre 1831, et du 7 février 1832.

[45] Séance du 12 décembre 1831.