NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XV. — LA MARCHE EN AVANT DU PRINCE. - LES VOYAGES. - LES REVUES. - LES BANQUETS MILITAIRES.

 

 

II

Les journaux bonapartistes tirent argument du voyage triomphal du prince pour demander la prorogation. — Le prince ne songe pas encore à l'Empire. — Le Moniteur du soir sur la Société du 10 décembre. — Les journaux de l'opposition s'insurgent contre cette idée que Louis-Napoléon est un homme nécessaire. — L'Assemblée nationale, l'Union, l'Ordre. — Brochures demandant la prorogation des pouvoirs du prince. — Cinquante-deux conseils généraux demandent la révision. — Ce que dit le Journal des Débats. — Après le peuple, après les conseils généraux, l'armée se prononce en faveur du Président. — Revues du 25 septembre au 10 octobre. — Attitude de Changarnier. — La Commission de permanence ; le ministre de la guerre ; Changarnier manque à son devoir ; le président Dupin ; 11 octobre, nouvelle séance de la commission ; sa déclaration. — Quelle était la pensée du prince ? — Pour la presse, la prorogation, c'est l'Empire. — L'Événement reproche aux légitimistes et aux orléanistes de traiter, eux aussi, cavalièrement la Constitution. — L'Opinion publique dégage bien la pensée du prince. — Lamartine commence à craindre un coup d'État, contre lequel protestent les feuilles bonapartistes, qui trouvent tout naturel ce qui s'est passé aux revues. — Ode de Belmontet dans le Moniteur du soir. — Les journaux anglais sur les revues. — Le Morning Chronicle. — L'élection de 1848 ne pouvait avoir d'autre conclusion que l'Empire. — Le Président sacrifie le ministre de la guerre, le général d'Hautpoul, et nomme à sa place le général Schramm. — En même temps, il remplace le général Neumayer, lieutenant de Changarnier, par le général Carrelet. — Pourquoi ? — L'affaire Neumayer. — La Commission de permanence ; le général Changarnier ; Baroche, ministre de l'intérieur. — Résolutions de la Commission de permanence, qui a peur de son ombre. — Ordre du jour de Changarnier. — Sa conduite avait été coupable à l'origine ; révélations des journaux sur son attitude passée : l'Événement, la République, le Moniteur du soir, le Constitutionnel ; justes réflexions du Siècle ; l'Union. — Communiqué à l'Assemblée nationale. — Dissolution de la Société du 10 décembre. — Le Président cherche à s'entendre avec la majorité. — Discours du Président à la cérémonie de la remise de la barrette cardinalice au nonce du Pape et à trois archevêques.

 

Les journaux bonapartistes ont beau jeu, après le voyage triomphal dans l'Ouest, pour prôner la prolongation des pouvoirs présidentiels. C'est le Pays (8 septembre 1850) : En 1848, alors que le pouvoir n'était qu'un danger, qu'une mission hérissée d'épines, Louis-Napoléon a-t-il hésité à l'accepter ?... Sans cesse sur la brèche..., il a fait plus pour l'ordre que nul ne saurait le dire, que nul n'aurait osé l'espérer. Jamais la France ne s'était trouvée aussi abaissée, aussi humiliée, aussi ruinée. Deux années à peine se sont écoulées : les souffrances ont disparu, les plaies se cicatrisent, et la France a repris au rang des nations la place qui lui appartient... N'y a-t-il pas là une immense dette de reconnaissance contractée ?... Il ne s'agit pas[1] de rechercher qui a raison de tous les faiseurs de solution ; il faut nous contenter du possible. Le possible, c'est la prolongation des pouvoirs de Louis-Napoléon... la prolongation (21 septembre 1850), c'est-à-dire maintien de la politique à laquelle nous devons l'émeute désarmée, les clubs fermés, le commerce renaissant, le travail revenu, la rente touchant au pair, la confiance rétablie et l'espoir rentrant dans tous les cœurs. Un journal, le Bulletin de Paris[2], dit : Louis-Napoléon répudie hautement toute arrière-pensée diplomatique ; son but unique, c'est le rétablissement de l'ordre... mais pour accomplir la mission pacificatrice que lui réserve la Providence, il faut que le pouvoir du Président ait de la stabilité, de la durée... L'Assemblée comprendra les devoirs que lui imposent les circonstances et l'immense responsabilité qu'elle assumerait devant l'histoire si elle hésitait à voter la révision de la Constitution, sinon Louis-Napoléon n'hésiterait pas à faire un appel au peuple tout entier dont il a reçu mandat.

Voilà bien l'idée bonapartiste. Le pays — et c'était absolument vrai — n'entend pas se séparer du prince. Il n'est pas possible que ce mariage de raison et d'amour ne dure que quelques mois. La Constitution qui briserait une pareille union serait une folie. Dès lors l'Assemblée révisera ; et, si elle ne revise pas, le peuple, qui ne perd jamais sa souveraineté, convoqué dans ses comices, revisera directement. Mais la Constitution ? Poussière ! quand une nation tout entière n'en veut plus.

Le Bulletin de Paris dit encore (3 octobre 1850) : Louis-Napoléon, après avoir été utile en 1849, nécessaire en 1850, sera indispensable en 1851... indispensable parce que sans lui... la France retomberait dans l'anarchie, indispensable parce qu'en dehors de lui il n'est pas de gouvernement possible, indispensable parce que seul il peut se poser en médiateur entre la liberté et l'autorité, indispensable parce que seul il peut être modéré sans faiblesse, indispensable parce qu'en dehors de lui il ne reste que des partis, et que des partis ne sont qu'une négation. Le Constitutionnel[3] soutient que la solution est nécessaire, forcée... Le pays s'est tourné vers un nom immortel, cher à la France et respecté du monde. Six millions d'hommes souffrants et honteux d'une révolution de surprise, étrangers aux anciens partis... ont confié leur sort à un prince auquel sa race imposait de grandes obligations... En la personne de Louis-Napoléon... élu par six millions de paysans, de petits marchands et de petits propriétaires, fut inaugurée la politique des faits opposée à la politique des paroles qui depuis trente années agite et bouleverse ce malheureux pays... Il accueillit tous les partis, mais ne se donna à aucun. Alors on le dédaigna, on le bouda, on le menaça, on fit le vide autour de lui et... on s'aperçut que ce délaissé avait le pays entier pour compagnie... En s'isolant du Président comme ils l'ont fait, les anciens partis lui ont sans le vouloir rendu ce service que les populations rapportent à lui seul la tranquillité rétablie et les affaires restaurées. Ils ont encore rendu ce grand service à la France de montrer qu'on peut se passer d'eux, et que le pays est d'autant mieux Gouverné qu'ils s'effacent davantage... Louis-Napoléon a délivré la France de ces révolutions parlementaires aussi misérables et aussi dangereuses que l'étaient à Constantinople les révolutions de sérail. La France était depuis dix-huit ans à cinq ou six hommes et à leurs amis ; maintenant elle s'appartient à elle-même... La solution n'est autre chose que le rachat de la France captive entre les mains des partis. Cette France nouvelle, régénérée... ne repousse personne, c'est la France de 30 millions de laboureurs, d'artisans, petits propriétaires vivant d'ordre, de travail, de sécurité. Cette solution, comment fera-t-elle son entrée ? Affaire de forme, d'étiquette, de procédure. La nécessité sait toujours se faire place. Nous verrons qui reculera des partis ou de la France. Le Pouvoir[4], comme on le pense bien, ne reste pas en arrière : Le 10 décembre, plusieurs millions de paysans ont brisé tout l'appareil de cornues et d'alambics où se préparaient les divers élixirs que les partis distribuaient avec force prospectus. Qui dont (vient de contraindre les partis à admettre la révision ?) la voix des masses, de ces masses profondes qui couvraient le 10 décembre les chemins durcis par le froid, et qui par une pluie battante font dix lieues à pied et dans la boue pour venir saluer le Président de la République sur sa route et acclamer en sa personne l'ordre, le travail, la sécurité et la paix. Si la France (6 septembre) vend aujourd'hui son beurre quarante-quatre sous, à qui le doit-elle, si ce n'est à Louis-Napoléon ? Nous l'avons (14 septembre), gardons-le ! Voilà en quatre mots de bon sens ce que les populations se disent. C'est la France qui a élu le neveu de l'Empereur, et comme elle n'a qu'à se louer de son gouvernement, elle le conservera. Il faudrait qu'elle fût bien folle pour faire autrement, car, à moins d'être fou, qui donc renvoie un bon serviteur pour en reprendre un mauvais ? Dans ces Champs de mai (15 septembre) improvisés sur son passage par l'enthousiasme, le Président a pu constater les vœux véritables des populations. On peut dire que, sur chaque place, sur chaque route, l'urne électorale attendait Napoléon, et qu'il a recueilli dans les acclamations l'expression universelle du scrutin populaire. Le peuple n'a qu'un vœu, qu'un désir, c'est que la stabilité du gouvernement de Louis-Napoléon lui garantisse l'avenir. Louis-Napoléon sait maintenant qu'il peut compter sur le peuple. Le Moniteur du soir (8 septembre 4) déclare qu'après les déclarations faites à Lyon, à Metz, au banquet de Caen, il y aurait une insigne mauvaise foi à persister dans cette odieuse calomnie (du coup d'État). Louis-Napoléon ne menace pas, il protège l'existence de la République. Oui, le neveu de l'Empereur la couvre de l'égide de sa popularité et l'entoure du prestige de son nom. Il a sauvé tout à la fois la société, la civilisation et la République. Il a été l'instrument providentiel dont Dieu s'est servi pour que la République pût vivre sans tuer la France ! Quel intérêt Louis-Napoléon peut-il avoir à ce que la République meure ? aucun !... Comme on le voit, le prince ne songe pas à l'Empire ; pour l'instant son ambition ne vise qu'une prolongation de ses pouvoirs, qu'une sorte de consulat. Sur la fameuse Société du Dix-Décembre le Moniteur du soir s'exprime ainsi[5] : Pas une des personnes officiellement attachées au prince n'est affiliée à cette société, dont elles ne connaissent même l'existence que par les révélations de la presse... Le Président de la République, le voulût-il, n'aurait pas le pouvoir de la dissoudre... D'ailleurs, pourquoi lui infligerait-il ce châtiment ? A ceux qui lui donneraient cet étrange conseil il pourrait répondre ce que Christine de Suède disait à ses officiers qui voulaient tuer un jeune homme ayant osé lui avouer son amour : Si nous punissons ceux qui nous aiment, coma ment traiterons-nous donc ceux qui nous haïssent ? La Société du Dix-Décembre aura donc sa place au soleil comme toutes les autres associations de bienfaisance que la loi a reconnues... C'est par trop fort !... faire de la Société du Dix-Décembre, qui ne compte peut-être pas six mille membres et qui parait se recruter surtout parmi les vieux militaires éclopés et infirmes, une espèce de Gargantua prêt à avaler la population de Paris, cela passe la permission... Comment ! la République (journal) ose assimiler les altercations de quelques individus aux épouvantables scènes d'égorgement que Danton inspira jadis à une meute de brigands !... Quoi ! la République a couvert de son indulgence ce monomane qui demande deux millions de têtes... et la voici qui lance des imprécations et des anathèmes contre une société de bienfaisance pour quelques déchirures d'habits ! On ne se moque pas à ce point du bon sens public... Puis l'organe semi-officiel (12 septembre) revient à la question du jour : Avant un an... l'Assemblée proposera elle-même au peuple, qui adhérera avec enthousiasme, de prolonger les pouvoirs présidentiels... Voilà ce qui se fera. Cela se fera, comme s'est faite l'élection du 10 décembre, sous la pression de l'opinion publique. Cela se fera par les orléanistes et par les légitimistes qui reculeront épouvantés quand ils verront se dresser devant eux dans la date fatale du 4 mai 1852 le spectre du communisme et l'hydre de l'anarchie. Les bravades des Don Quichottes de ces deux partis tomberont avant un an devant la crainte de voir leurs châteaux incendiés, leurs femmes et leurs filles violées, leurs têtes coupées... Quoi ! un homme aura gouverné pendant quatre ans, avec sagesse, avec prudence, avec énergie, avec courage ; pendant quatre ans il aura donné à son pays tout ce qu'il a de force, d'intelligence, de dévouement, de volonté ; pendant quatre ans il aura contenu en bas les hideuses passions de la démagogie, en haut l'égoïsme effréné des partis... il aura rassuré les bons et vaincu les méchants, il aura restauré le travail et le crédit, il aura écarté les tempêtes, il aura sauvé la société... fût-il le seul qui prit empêcher la vague des passions anarchiques de submerger le pays... fût-il appelé au gouvernail de l'État par les vœux unanimes... fût-il considéré comme le sauveur de la France... l'article 45 ne permettrait pas qu'il fût maintenu à la présidence de la République ! Tous les sophistes passés, présents et futurs... n'auraient pu trouver mieux !

Les journaux de l'opposition s'inscrivent en faux contre cette prétention de faire de Louis-Napoléon un homme nécessaire. Si nous trouvions, dit l'Assemblée nationale (15 septembre), dans la prolongation de la présidence, dans le consulat, et même dans l'Empire, un moyen provisoire de salut, nous nous rallierions sans hésiter. Mais ce sont là des utopies, des impossibilités. La prolongation des pouvoirs elle-même ne serait qu'un expédient qui trouverait immédiatement en face de lui la République, les légitimistes, les orléanistes... C'est ce que la Société du Dix-Décembre ne veut pas comprendre. Est-il vrai que le partisan (Persigny) le plus audacieux et le plus actif des entreprises du prince ne cherche à déguiser à personne le but prochain que l'Élysée veut atteindre ? qu'il ne craint pas, entre autres menaces, de faire entendre des paroles comme celles-ci : La Chambre sera bien forcée de céder. Si elle a l'état-major politique, nous avons les soldats. Nous savons que les partis monarchiques nous sont hostiles, mais ils se soumettront, ou nous les briserons. Est-il vrai qu'une lutte sérieuse se prépare, que le premier acte d'hostilité contre la Chambre serait le choix d'un ministère plus intime et plus résolu ? Est-il vrai que jamais le langage des familiers n'a paru plus rapproché d'une mise en œuvre ? L'Union (27 septembre 1850) s'écrie : Que veut l'Élysée ? Est-ce l'Empire ? Est-ce la Présidence décennale ? L'un ou l'autre certainement, mais la prudence lui commande de paraître ne désirer d'abord qu'une prolongation de pouvoirs ; c'est en raccourci l'histoire de Napoléon le Grand... Toute modification à la Constitution échouerait par la résistance des légitimistes... (Ils) ont consenti à l'essai de la République, ils ne pourraient consentir à l'essai d'une quasi - monarchie déguisée sous le nom de présidence. L'Empire ne fut qu'un accident qui n'a rien fondé... ; c'est un passé mort sans postérité... ; à quoi bon recommencer l'histoire de ces soixante années pour finir comme ont fini la Convention, le Directoire : le Consulat et l'Empire ? On voudrait renouveler l'expérience ; nous sommes convaincus qu'elle serait courte et qu'elle aboutirait fatalement au même résultat... L'Ordre (23 septembre 1850) dit à son tour : Oui, le nom immortel de Napoléon a été d'un puissant secours pour la France ; oui, ce nom magique a pu encore, à quarante ans de distance, remuer les esprits, entraîner les masses... Il y a plus, M. Louis-Napoléon a noblement contribué à l'œuvre de défense et de salut... ; mais ce qui est faux, c'est de donner à croire qu'avant l'arrivée de M. Louis Bonaparte la France était perdue... ce n'est pas de l'histoire, c'est de l'adulation ; nous convenons que l'empereur Napoléon a été longtemps attendu, mais il n'est pas vrai qu'il soit ressuscité...

Des brochures paraissent alors qui demandent la prolongation des pouvoirs présidentiels. Elles émanent de MM. Couture, Latour-Dumoulin, L. Vidal, Félix rayon, Barnabé Chauvelot. Dans celle de ce dernier il est dit : Cette Assemblée est stérile comme une lande de Bretagne, dévastée comme la place où furent Sodome et Gomorrhe... La mort ! rien que la mort ! des cadavres à côté de cadavres ! voilà ce que j'ai vu dans l'enceinte du palais législatif'. Quand j'entre dans ce palais, j'éprouve la tristesse d'un voyageur arrivant dans un cimetière ; quand mon regard se repose sur M. Dupin, son président, je crois voir un orfraie veillant sur un ossuaire. Levavi oculos meos in montes unde veniet auxilium mihi. J'ai levé les yeux vers les hauteurs et j'ai cherché d'où viendrait le secours. Louis-Napoléon a été enfanté prince (princeps) par la France. Les Gaulois l'ont porté sur le pavois, il est leur chef légitime..., c'est donc à lui que je vais demander le salut de la France. Il faut qu'il brise sur sa route tous les obstacles qui voudraient s'opposer à l'entière exécution de sa mission, il faut qu'il foudroie l'anarchie, il faut qu'il prenne le pouvoir. Enveloppé de la majesté du peuple, fort de votre droit, hâtez-vous, prince, d'imposer silence à tous ces partis dont l'ambition déchire le sein de la patrie. Ne permettez pas, prince, qu'on puisse prendre plus longtemps votre longanimité pour de l'impuissance. ou de l'inintelligence... Va, prince, va où t'appellent tes hautes destinées, va où t'appelle le salut de la patrie, va où t'appelle le vœu de six millions d'hommes ! Oui, vous avez plus fait pour le bonheur et pour la gloire de la patrie que si vous aviez, continuant d'immortels exploits, remporté mille victoires sur les ennemis de la France ! A notre époque, la brochure ne se vend plus, mais alors ce mode de publication avait la vogue, et l'opuscule dont nous venons de citer un extrait produisit un effet énorme.

Il n'y avait pas que des voix isolées qui demandaient un changement dans la constitution, 52 conseils généraux sur 85 émettaient un vœu en faveur de la révision. Aussi les Débats disaient-ils : Ce qui résulte de cette grande enquête, clair comme le jour, c'est que le pays voit dans la Constitution de 1848 la cause fatale de ses maux et de ses douleurs, c'est qu'il rejette impatiemment cette tunique empoisonnée, c'est enfin qu'il veut la révision...

Le peuple pendant les voyages du Président avait parlé, les conseils généraux avaient parlé ; l'armée à son tour allait se prononcer. Du 25 septembre an 10 octobre des revues furent passées par le Président, une à Saint-Maur et plusieurs à Satory. Ces revues sont restées célèbres, et on peut les qualifier d'historiques. Elles eurent à Paris, en France, et même en Europe, un retentissement énorme. Si l'infanterie, surtout l'artillerie et le génie défilèrent à peu près silencieusement, la cavalerie presque tout entière acclama le Président, brandissant les sabres et criant avec enthousiasme : Vive Napoléon ! Il y eut plus encore. A plusieurs reprises, obéissant au signal donné par de brillants officiers qui, lancés au galop, se dressaient sur leurs étriers et se retournaient vers leurs hommes, un certain nombre de cavaliers poussa avec frénésie le cri de : Vive l'Empereur ! repris par la foule des spectateurs dans une imposante ovation[6]. C'est surtout à la revue du 10 octobre. à Satory, où figuraient près de cinquante escadrons[7], que la manifestation impérialiste de la cavalerie fut caractérisée. Si ces revues firent grand bruit par elles-mêmes, ce qui se passait après n'en fit pas moins. Quand le défilé était terminé, les troupes déposaient leurs armes, se reposaient et recevaient une triple distribution d'argent, de vivres et de boisson ; aux simples soldats on donnait du vin, aux sous-officiers et aux officiers du champagne. Le 25 septembre, les soldats burent vingt barriques[8]. Le 28, par vingt-cinq hommes on distribua 12 francs, douze saucissons, douze bouteilles de champagne (de la maison Auguste Bouvril) et une forte quantité de cigares[9]. Le 10 octobre, les largesses furent encore plus grandes.

A ces revues assistait à côté du Président[10] le général Changarnier, qui ne disait rien, du moins encore et publiquement. Autrefois, il avait accueilli par des sourires et traité par-dessous la jambe les cris de : Vive l'Empereur ! A présent il fronçait le sourcil ; mais officiellement il gardait le silence, il patientait. C'était de sa part un tort grave. Il y a des choses qu'aucune considération ne permet de tolérer, et celles-là étaient du nombre. Il n'entendait pas se brouiller avec le Président, il voulait garder sa position éminente dans l'État, afin d'être à même, à l'expiration relativement prochaine des pouvoirs présidentiels, soit de faire le lit de la monarchie, soit de faire le sien. Mais le châtiment de sa faiblesse, de ses calculs, de son ambition, n'allait pas se faire attendre. On' avait certes, de tout temps, toujours réconforté les hommes lors des revues, ajouté quelques douceurs à l'ordinaire ; mais, ici, la mesure avait été dépassée sans vergogne. Il n'est pas douteux toutefois que sans ces libéralités l'armée n'en eût pas moins été foncièrement entraînée vers le nom de Napoléon, ni moins portée vers l'impérialisme. Seulement son sentiment bonapartiste se serait extériorisé moins bruyamment.

Dès les premières revues, la Commission de permanence s'émut du caractère qu'elles prenaient, et elle se réunit pour entendre les explications du ministre de la guerre, le 7 octobre. On l'interroge d'abord sur les conditions étranges dans lesquelles out lieu les revues, et ensuite sur les deux faits suivants : Le 62e régiment d'infanterie qui devait quitter Paris a reçu l'ordre d'y rester. Cette faveur n'a-t-elle pas pour cause les cris poussés par le régiment à la revue ? Dans les visites faites aux différentes casernes, le Président a distribué 0 fr. 50 par homme. Avec quels fonds ? Le ministre de la guerre répond[11] : L'usage est d'accorder une double ration par homme les jours de fête, de prise d'armes ou de manœuvre. Elle a été prise sur les fonds de l'État. Une distribution de :viande à raison de 0 fr. 23 par homme a été faite des deniers du Président. Il en est de même du champagne, du pain et de la viande délivrés aux officiers et aux sous-officiers. C'est une preuve de sa sollicitude pour les troupes. En cherchant à y voir une tentative de séduction, on se ferait une bien pauvre idée non pas seulement du pouvoir, mais de l'armée française. Quant aux cris de Vive l'Empereur ! aucun officier n'en a donné le signal, et ils n'ont été proférés que par quelques individus isolés. Le Ge de ligne ne reste à Paris que pour le récompenser de sa conduite le 13 juin 1849. En ce qui concerne les dons de 0 fr. 50 aux soldats dans les casernes, le Président n'a fait que se conformer à un usage qui a permis quelquefois à des officiers généraux de faire des largesses ; cela s'appelle : graisser la marmite. Le général d'Hautpoul termine en protestant des dispositions constitutionnelles du pouvoir exécutif, qui n'a jamais eu la pensée d'un coup d'État.

La discussion s'engage dans le sein de la commission à la suite de ces déclarations. Un membre dit : Pourquoi tolérer ces cris ? Nous tombons dans le Bas-Empire. Le ministre déclare que les troupes ne doivent pas crier sous les armes ; mais il affirme qu'il ne sait pas le moyen d'empêcher des cris isolés. Il fallait, en vérité, une certaine dose d'assurance au chef de l'armée pour émettre une pareille assertion. Le général Changarnier, que les membres de la commission regardent, est obligé de sortir de sa réserve habituelle et de se prononcer. Il affirme qu'on empêchera les cris quand on le voudra. Puis il fait cette révélation grave que c'est contrairement à son avis et malgré ses conseils que ces acclamations avaient été non seulement encouragées, mais provoquées. S'il n'a pas pris de mesures répressives, c'est que dans une revue à laquelle assistent le Président de la République et le 'ministre de la guerre, leur responsabilité couvre et efface celle du général en chef. En un mot, le général Changarnier se retranche derrière sa qualité de subordonné. Répétons-le, il 'y a des choses qu'un subordonné a le devoir étroit de ne point accepter. Le président Dupin résume le débat ; puis il dit : Ce qui est en jeu, ce n'est rien moins que la discipline de l'armée et le respect des lois. Le gouvernement a-t-il la volonté de faire observer les règlements militaires ?... Le ministre ne jugera-t-il pas convenable et nécessaire d'adresser aux troupes un ordre du jour qui leur rappelle que les acclamations de toute nature sont interdites sous les armes ? Et le général d'Hautpoul fait cette incroyable réponse : cc Qu'il prend en grande considération les observations de la commission, mais qu'il ne peut pas s'engager formellement à cet égard, sa dignité ne lui permettant pas d'être plus explicite. Que voulait-il dire ? Sans doute ceci : Après les revues, je n'ai adressé aucun reproche aux troupes, je.ne peux pas à présent le faire sous votre injonction ! — La commission s'ajourne au 11 octobre et exprime l'espoir que dans la revue du 10 les faits dont il vient d'être question ne se reproduiront pas.

Dans cette nouvelle séance, un membre déclare qu'à la revue de la veille deux régiments de carabiniers, un régiment de cuirassiers, et presque tous les régiments de lanciers, de hussards et de chasseurs, sur le signal et à l'exemple de leurs chefs, crièrent : Vive Napoléon ! Vive le Président ! Vive l'Empereur ! Il relève ce fait que la moitié d'un régiment de lanciers avait déjà salué le Président du cri de : Vive Napoléon ! lorsqu'un chef d'escadron, se retournant vivement vers sa troupe, cria d'une voix retentissante, en brandissant son sabre Vive l'Empereur ! cri répété par un certain nombre de cavaliers. Six membres de la commission qui assistaient également à la revue affirment que ce récit est d'une rigoureuse exactitude. Un membre dit qu'on est en face d'une série de hautes imprudences, mais qu'il n'y a pas de danger imminent. Un autre membre est d'un avis contraire : La discipline de l'armée importe essentiellement au pays. Attendra-t-on que le mal soit consommé ? II faut arrêter ces tentatives incendiaires. Demandons la mise en jugement des officiers qui ont poussé des cris séditieux. Un troisième membre n'admet pas que la commission ait cc droit... Nous sommes opposés aux coups d'État ; ne commençons pas par en faire un... Ce qui se passe est grave... Mais les revues sont terminées... Un mois à peine nous sépare de la reprise de nos délibérations. Il n'y a pas péril en la demeure. — La commission vote la résolution suivante : La commission croit devoir consigner dans son procès-verbal l'improbation qu'elle attache aux faits dont il s'agit, aux provocations qui les ont amenés, et au défaut de répression des actes qui lui ont été signalés, malgré les avertissements donnés au ministre de la guerre dans sa dernière séance et les engagements implicites par lui pris à cet égard pour maintenir l'observation des règlements militaires et la discipline de l'armée. Considérant cependant l'attitude générale des troupes qui n'ont cédé qu'en petit nombre et par esprit d'obéissance aux provocations illégales de quelques chefs, la commission ne pense pas qu'il y ait lieu de convoquer l'Assemblée nationale...

On peut se demander si le Président ne cherchait pas à exaspérer la Commission de permanence et à l'amener à commencer les hostilités. Nous ne le croyons pas. Il laissait seulement aller les choses et fleurir les enthousiasmes napoléoniens dans l'armée. A cette heure, la prorogation des pouvoirs pouvait être considérée comme un événement possible et même probable.

Toute la presse[12] s'occupe longuement des revues. Le National (7 octobre 1850) dit : qu'aux festins de l'Élysée... viennent de succéder les grandes revues de Satory et Saint-Maur, mêlées d'intermèdes gastronomiques et de prodigalités culinaires. Le pays... ne peut s'expliquer que la présence de M. Louis Bonaparte, magistrat purement et exclusivement civil, soit utile à ces exercices, et il croit en découvrir la cause dans ses intentions peu constitutionnelles. Les journaux élyséens ont beau dire que ces distributions ont eu lieu de tout temps... Un demi-litre de vin à 0 fr. 36 le litre, voilà le nec plus ultra des distributions extraordinaires qui peuvent être faites loyalement... Les journaux de l'Élysée se sont donc joués de la crédulité publique en disant que les collations au vin de champagne, au saucisson et au cervelas sont réglementaires... (Il y a plus...) Le 62e de ligne... a crié : Vive l'Empereur !... Le ministre révoque son ordre de départ... Le 4e de ligne défile silencieux, il devait venir à Paris... on l'envoie à Lille. Ainsi un cri séditieux aurait été récompensé et le silence puni par une disgrâce... Des cris séditieux (14 octobre 1850) ont été poussés à la revue de Satory... Ce fait s'est passé en plein jour... Or aucun officier, aucun sous-officier, aucun soldat, n'a subi la moindre disgrâce.

L'Ordre (25 septembre 1850) relate que le cri de : Vive l'Empereur ! a surtout été répété avec ensemble par la foule, dans laquelle on remarquait les hommes que l'on trouve toujours sur le passage du Président... Lorsqu'un régiment restait silencieux (11 octobre 1850), on voyait un aide de camp du Président se détacher pour aller parler au colonel... Les divers cris étaient toujours poussés sur le commandement de l'officier, et le silence comme les clameurs marquaient également la discipline... On dit : L'Empire (13 octobre 1850), fût-il proclamé, ne durerait pas. Nous le savons bien... (mais) continuer la présidence, qu'est-ce autre chose que prolonger l'état de Crise ? En deux ans à peine l'idée impérialiste a pu se produire contre le droit, contre les lois, sans aucun titre sérieux... ; elle a un parti qui la soutient et des journaux qui l'exaltent, elle est acceptée par des militaires égarés... et vous croyez que dans cinq ans elle ne cherchera pas son jour de triomphe ! C'est là un déplorable aveuglement...

L'Union (27, 28 septembre 1850) déclare que les curieux ont été péniblement affectés en voyant à quel luxe de rafraîchissement on expose à la fois les soldats et les officiers. A l'aspect de ces flots de vin qui n'ont cessé de couler, de ces innombrables paniers de champagne... le public s'est demandé (qui payait). Il en est résulté des incidents regrettables. Quelques soldats ont poussé des cris qui peuvent résonner agréablement peut-être à certaines oreilles, mais qui seront, nous aimons à le croire, hautement désavoués par le Président... On cherche à séduire l'armée par des prévenances, on la caresse, on l'excite, on lui fait pousser des cris au milieu des libations : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! Ces festivals soldatesques prouvent-ils que l'armée est prête pour un coup de main, qu'elle est décidée à bâillonner les représentants et à proclamer un nouveau César ?... Non, ni le 18 fructidor, ni le 18 brumaire ne sont des exemples pour le temps actuel, parce que tout diffère, les hommes et les événements... L'armée ne se donne qu'aux victorieux... On s'alarme à tort. Le Président a jusqu'à présent démenti par sa conduite les intentions qu'on lui attribuait... Nous croyons qu'il tiendra son serment... Les feuilles de l'Élysée (13 octobre) balbutient de pitoyables explications à propos des cris de : Vive l'Empereur !... Nous conseillons aux amis de l'Élysée de renoncer à la demande d'une prolongation... et, toute dissimulation étant devenue inutile, nous nous attendons à la voir transformer en un vœu pour la restauration impériale. Les cris de quelques escadrons les auront fait avancer d'un pas vers le but où ils se promettaient d'arriver par une voie détournée. Ainsi il est bien entendu que la prolongation des pouvoirs signifie désormais le rétablissement de l'Empire...

Le Siècle (5 octobre) admet qu'on distribue du vin après des manœuvres fatigantes ; mais des cigares et du champagne !... On assure que le Président a circulé dans les groupes des sous-officiers et leur a dit : Eh bien, mes enfants, êtes-vous fatigués ? Et comme ce journal écrit ces lignes avant la fameuse revue du 10 octobre, il ajoute : Où est la vérité ? (7 octobre 1850)... Les uns crient au scandale, les autres à la calomnie. Il y a un moyen facile d'éclairer l'opinion publique. Une grande revue est annoncée pour le 10 octobre... Eh bien ! que cette revue soit un éclatant démenti si les faits allégués sont faux, une réparation s'ils sont réels. Que personne n'y joue le rôle d'amphitryon, point de libations, point d'excès, point de clameurs. Qu'il y règne cet ordre imposant, cette discipline qui caractérisent les troupes françaises... et les antagonistes les plus acharnés du pouvoir ne se permettront pas d'établir de fâcheux rapprochements entre certains corps et les prétoriens du Bas-Empire... La commission de permanence (12 octobre) est mise en demeure de prouver qu'elle n'est pas en face de M. Louis-Napoléon une parodie des deux consuls en face de Bonaparte... Ceux qui (13 octobre) tolèrent si ouvertement, si complaisamment ces cris séditieux de : Vive l'Empereur ! savent très bien ce qu'il y a de caché sous ces mots : Prorogation des pouvoirs... Pourquoi l'impérialisme (20 octobre) ne va-t-il pas droit à son but ? Ne pouvant emporter l'Empire de haute lutte, il veut l'insinuer pour ainsi dire, et le procédé imaginé, c'est la prorogation des pouvoirs. Il n'y a personne à tromper. Le lendemain d'une prorogation... quiconque trouverait les cris de : Vive l'Empereur ! intempestifs, serait stupide.

La Gazette de France (12 octobre) dit en parlant de la revue de Satory : Hier, la grande préoccupation des esprits était la revue de Versailles. Sorti de l'Élysée président d'une république, Napoléon allait-il rentrer aux Tuileries en Empereur ?... L'Empire est encore à naître. Pas de zèle, ce devait être là le mot d'ordre quotidien de l'Élysée... Ils étouffent sous leurs couronnes anticipées et sous leurs guirlandes maladroites jusqu'à ce renom de bon sens, d'intelligence, de tact que chacun a reconnu, que tous estiment dans le neveu. Ils font d'un homme que l'expérience et le malheur ont mûri je ne sais quel coureur d'aventures, quel Joconde politique, toujours en quête de bonnes fortunes impérialistes, toujours le nez au vent à la recherche des mots fatidiques : Tu seras roi, les épiant aussi bien dans le claquement du fouet des postillons qui l'entraînent aux ovations provinciales ou dans les hennissements des escadrons défilant devant lui. Malgré les imprudentes provocations de ses familiers, nous ne croyons pas aux coups de tête qui se traduiraient en coups d'État. Il y aurait folie à compromettre par une tentative inexcusable la situation où il se trouve, et à chercher dans la giberne du dragon, dans la sabretache du hussard ou sous la blouse du soudoyé cette prorogation de pouvoirs, l'objet des convoitises actuelles... Le 13 octobre, elle écrit : Hier matin, s'il avait fallu nous en rapporter aux émotions parisiennes, la journée commencée en république eût fini avec un empereur ou un premier consul. Enfants ! avez-vous oublié que pour faire un 18 brumaire il faut revenir de Marengo et non pas de Satory ? M. Louis Bonaparte a pu dire ce matin comme Voltaire à la princesse Uranie :

Les dieux à mon réveil ne m'ont pas tout ôté,

Je n'ai perdu que mon empire.

Ce qui n'empêche pas le même journal de dire quelques jours après (1er novembre 1850) : L'anxiété est grande dans le public... L'opinion a conçu des alarmes en apprenant qu'un cri qui n'avait pas été entendu en France depuis trente-cinq ans était sorti des rangs de quelques régiments comme la menace d'un 18 brumaire ou d'un 20 mars. La France... n'a pu soupçonner sans une vive crainte des projets qui ne s'accompliraient qu'au détriment de ses libertés, de son honneur et de sa prospérité. Elle a pensé qu'après avoir triomphé de l'anarchie, ce serait perdre le fruit de sa patience et de ses efforts que de retomber sous le despotisme d'une usurpation...

L'Assemblée nationale (28 septembre 1850) éprouve une profonde tristesse de ces étranges distributions de vin de Champagne qui réunissent par ordre supérieur les sous-officiers aux officiers pour les mêmes libations... Avec les banquets... il est plus facile de faire des prétoriens que (les soldats... Pourquoi... le premier magistrat..., qui n'a aucun antécédent militaire ; joue-t-il aussi souvent au soldat ?... pourquoi montre-t-il pour les parades guerrières une passion de garde national ? Elle fait remarquer (30 septembre 1850) que, si on a toujours donné une ration supplémentaire de vin aux soldats les jours de revue, on ne leur avait pas encore fait boire du champagne, et qu'on n'avait point encore fait fraterniser dans des libations les sous-officiers et les officiers. Elle ajoute[13] : Lorsque la Constitution interdit formellement au Président de commander directement des forces militaires, n'est-il pas permis de le voir avec inquiétude camper ainsi sur un terrain de manœuvre ? Lorsque l'Élysée demandait une liste civile supplémentaire de trois millions, devait-on s'attendre que la dotation servirait en partie à payer à boire à la garnison de Paris ?... Des revues grèvent la cassette présidentielle de sacrifices considérables. On ne fait pas sans but de tels sacrifices... Pourquoi (4)[14] cette ardeur à moissonner ces acclamations dans les revues, si l'on ne veut pas nourrir des espérances tant de fois reprochées ? Le plateau de Satory doit-il donc servir de champ de mai pour élever ce pavois ?... La République (17 octobre) dit : ... L'Assemblée aurait beau faire la sourde oreille, cela n'empêchera pas le pays d'entendre et de s'inquiéter. Si des cris séditieux sont poussés, il faut qu'elle les entende pour les faire taire ; si des projets coupables sont formés, il faut qu'elle les connaisse pour les faire échouer... Principiis obsta.

La Presse (16 octobre 1850) ne redoute pas les coups d'État ni les tyrannies improvisées dans les camps. La France ne supporterait pas vingt-quatre heures ces servitudes de Bas-Empire. Que les escadrons défilent, que les uniformes brillent au soleil, que les canons retentissent, ce n'est qu'un spectacle, ce n'est pas un complot. Lors même qu'on distribuerait aux soldats du vin, du champagne, des cervelas et des cigares, nous ne verrions encore là rien de bien menaçant. Mais ce qui nous menace, c'est le despotisme légal... L'Événement[15] demande à l'Assemblée si elle est parfaitement pure de ce qu'elle reproche au pouvoir exécutif. N'y a-t-il que les bonapartistes qui traitent cavalièrement la Constitution, qui entretiennent des espérances ambitieuses ?... Quel légitimiste ou quel orléaniste montera à la tribune pour dire à M. Louis Bonaparte : Qu'êtes-vous allé faire à Satory ? Sera-ce M. Thiers ? mais M. Louis Bonaparte lui répondrait : Qu'êtes-vous allé faire à Claremont ? — Sera-ce M. Berryer ? mais M. Louis Bonaparte lui répondrait : Qu'êtes-vous allé faire à Wiesbaden ? — Est-ce sans rire que M. Thiers qui arrive d'Angleterre, que M. Dupin qui arrive d'Ostende, que M. Berryer qui est ministre de Henri V... pourraient rappeler M. Louis Bonaparte au respect de la Constitution ? Est-ce qu'on ne sait pas... qu'ils ne veulent arracher la République à l'Élysée que pour la mettre dans leur poche ?... Ils ne peuvent ouvrir le livre de la Constitution devant l'impérialisme, lui opposer face à face le pacte... juré... L'impérialisme répliquera qu'il ne peut pas lire ce qu'ils ont effacé eux-mêmes. La Constitution n'est plus qu'une immense rature... Le Président (3)[16] passe des revues, flatte l'armée, commande en chef de petites guerres, l'épée au côté et revêtu d'un uniforme qu'il n'a pas le droit de porter ; enfin, contrairement à toute discipline, permet que le mot d'ordre de nos soldats soit pendant toute une journée un cri séditieux... Le cri de : Vive l'Empereur ! s'adresserait à la statue et aux cendres de Napoléon ?... Après avoir eu l'audace de méconnaître la Constitution, ils ont la témérité de railler l'Assemblée. Comme si l'on pouvait croire qu'en voyant M. Bonaparte l'armée songe à la statue de Napoléon !... Le pouvoir parlementaire reculera-t-il ? L'Assemblée qui est souveraine, qui peut envoyer d'un mot M. Bonaparte à Vincennes... aura-t-elle peur d'un simple fonctionnaire ?... M. Berryer et M. Thiers (18 octobre 1850) demanderaient... la prorogation ?... L'Assemblée riposterait à la cravache levée de l'impérialisme en tombant à genoux devant M. Louis Bonaparte et en lui offrant quatre ans de plus ! L'Assemblée a été souffletée sur la joue de la Commission de permanence. Nous ne la croyons pas capable de demander raison du soufflet, mais nous ne la croyons pas capable de le payer... Le neveu de l'Empereur (19 octobre 1830) devrait savoir mieux que personne que ce n'est qu'avec de la gloire qu'on peut organiser l'armée française. Il n'ignore pas que nos soldats savent faire sortir un bâton de maréchal d'une giberne, mais non un sceptre d'une bouteille... Que ce soit (3 novembre 1850) le dépositaire qui doute de la reddition pacifique du dépôt, voilà qui recule les bornes de la naïveté ou de l'impudence humaines... Le parti bonapartiste dit à la nation : L'impossibilité de la République, c'est qu'il faudrait que je fusse honnête... De quoi l'Assemblée peut-elle incriminer le Président ? Nous comprendrions (6 novembre 1850) qu'une assemblée républicaine... condamnât souverainement les velléités d'antichambre, l'indiscipline ordonnée aux troupes, la propagande avinée et brutale, l'Empire à coups de poing !... Mais ceux qui ont voté la loi du 31 mai parler du respect de la Constitution ? Mais le conciliabule Barthélemy trouver à redire à la Société du Dix-Décembre ? Mais Claremont accuser Satory ? Mais Henri V blâmer Napoléon III ? La majorité fera trop beau jeu à l'Élysée si elle ose l'attaquer. Tout cc qu'elle peut lui reprocher, elle l'a fait...

L'Opinion publique s'écrie[17] : Vraiment l'on croit rêver... L'Empereur était libéral ! l'Empereur était constitutionnel ! Grand merci ! Il était par-dessus tout animé de l'amour de l'humanité ! et c'est malgré lui que le despotisme le plus abrutissant a pesé sur la France et sur la moitié de l'Europe ! Celui qui baptisait du nom de cochon à l'engrais le rôle de consul... celui qui a eu le talent de soulever contre la France toutes les populations de l'Allemagne, de rendre les étrangers presque populaires en France, celui à qui les anathèmes des Benjamin Constant, des La Fayette, des Carnot, n'ont pas manqué dans sa chute, celui-là nous est militairement recommandé comme un (les apôtres de la liberté en France (4 octobre)... ! Qui osera dire que sous aucun régime on se soit permis ce qu'on se permet aujourd'hui ? Où et quand a-t-on vu des paniers de champagne systématiquement distribués aux officiers et aux sous-officiers ? Qu'est-ce que cette bombance officielle organisée à la fin de chaque revue ? On a supprimé les distributions de comestibles au peuple comme attentatoires à sa dignité, est-ce pour les rétablir à l'endroit de l'armée ?... Pour conduire le soldat français où nous espérons que M. le Président de la République ne veut pas le conduire, ce n'est pas de vin qu'il faut le griser, c'est de gloire. Quand son formidable oncle les appela contre le Conseil des Cinq-Cents, il marchait entre deux enchanteresses qui les entrainaient sur ses pas : la victoire d'Arcole et celle des Pyramides, et ce n'était pas leur amphitryon qu'ils suivaient... La loi (4 octobre) violée, voilà le résumé de la revue... Puis l'Opinion publique, quelques jours après (15 octobre), publie un remarquable article où elle dégage merveilleusement l'ambition intime et la pensée secrète du prince : M. Louis-Napoléon est arrivé au pouvoir avec un idéal qui était au-dessus de sa position réelle. Ceux qui ont lu les Idées napoléoniennes, qui savent que dans son exil il était toujours préoccupé de la pensée que la fatalité mystérieuse de ses destinées le poussait à l'Empire, qui se souviennent des coups de main de Boulogne et de Strasbourg, qui depuis qu'il est au pouvoir ont suivi le développement de sa politique personnelle... les discours prononcés dans ses voyages... ce penchant invincible à tout ramener à sa personne, les essais de banquets militaires, les manifestations des revues, ceux qui ont cette suite de faits présente à l'esprit ne sauraient s'y tromper, il y a pour M. Louis-Napoléon un idéal napoléonien qui n'est pas satisfait et qui un jour ou l'autre doit l'être par le cours inévitable des choses qu'il ne s'agit que d'aider dans une certaine mesure... Si l'on était décidé à proroger les pouvoirs présidentiels, il serait plus simple et plus rationnel de décerner immédiatement l'Empire à M. Louis-Napoléon, parce qu'on s'épargnerait les frais de la façon. Proroger les pouvoirs... c'est lui donner du temps et.des moyens que PAR UNE FATALITÉ DE SON ORIGINE ET DE SA POSITION il emploiera à marcher vers l'idéal napoléonien qui est l'Empire...

Lamartine dans le Conseiller du peuple se laisse gagner par la crainte d'un coup d'État, mais il n'admet pas que l'armée puisse jamais être entraînée : L'armée... a vécu de notre vie, elle a mangé notre pain, elle s'est assise à notre feu... elle a travaillé avec nos ouvriers et nos paysans... elle a lu nos journaux... elle s'est imprégnée de libéralisme... de légalité... de souveraineté... Une telle armée est-elle propre à se faire le mobile, l'instrument, l'aveugle complice d'une usurpation militaire ?... Sérieusement nous ne le pensons pas... Je ne prends pas des velléités d'antichambre ou de caserne pour des volontés ou pour des conspirations de gouvernement. Ce n'est pas M. Bonaparte qui voudrait attacher son nom à la dégradation de l'armée... Ces rumeurs pourtant sont-elles sans aucun fondement ? Je ne le dirai pas. Le gouvernement y a donné lieu... Le chef de l'État se sera dit : Pour bien enlever l'armée aux propagandes des anarchistes... il faut la passer souvent en revue... Jusque-là quoi de mal ? Si vous ou moi eussions été président de la République, n'aurions-nous pas cru de notre devoir d'en faire autant ?... Mais il y a un malheur, c'est que le Président s'appelle Bonaparte, c'est que ce nom a paru par lui-même une candidature à un autre titre... c'est que des impérialistes posthumes n'ont cessé de dire à l'armée : On vous a donné un nom... osez lui donner un sens, à ce nom ! Osez interpréter l'énigme ! Osez achever par un cri sous le drapeau ce que le pays a commencé par un vote dans l'urne le 10 décembre !... L'occasion est belle ! Vous avez des complices assurés dans les souvenirs impériaux qui font rêver depuis trente ans l'imagination des multitudes ! Vous en avez peut-être à son insu dans les dernières fibres du cœur de Louis-Napoléon !.. Il est sensé, il est loyal, il est honnête homme, il est incapable de trahir une république qui s'est confiée avec magnanimité à lui. Mais il est homme, il est neveu d'une grande gloire, il a du sang d'usurpateur dans les veines... vous lui ferez violence ; vous le porterez sur vos baïonnettes entrelacées des lauriers de son oncle aux Tuileries ! Il vous résistera ; son honneur, son devoir le veulent. Mais peut-on vaincre sa fortune ? peut-on résister éternellement au destin, ce dieu de l'Empire, ce Jupiter napoléonien ?... Il pleurera, mais souvenez-vous des larmes de tant de jeunes empereurs que les prétoriens portèrent malgré eux de la caserne au palais des Césars, et qui embrassèrent avec frénésie leur bonne fortune après l'avoir vertueusement repoussée. Voilà le langage qu'on tient aux troupes ; des journaux, des sociétés se sont fondés pour ce grand embauchage... Entendez-vous autre chose depuis trois mois ?... Dans une telle situation, une extrême réserve (s'imposait)... Il ne fallait jamais... de possibilité de double sens dans les harangues... Il fallait dire (aux troupes) : Un cri personnel est une offense au cri national dans une armée sous les armes... je ne suis plus un Napoléon, je suis un président... (Pas de) crime inutile... Je suppose que vous corrompiez votre armée... et que vous lui fassiez proclamer un empire... Jamais vous ne fonderez rien sur une sédition qu'une sédition nouvelle...

Les feuilles qui défendent le prince trouvent tout naturel ce qui s'est passé aux revues. Le Pays, qui reconnaît[18] que des cris de : Vive l'Empereur ! ont été fréquemment poussés à la revue du 10 octobre, dit : Des revues, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Des distributions de rations et de rafraîchissements n'ont jamais été dangereuses. Des cris, mais il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Le Constitutionnel (30 septembre) s'étonne qu'on prenne note chaque jour des moindres faits et gestes de Louis-Napoléon vis-à-vis de l'armée. Une visite à une caserne, une revue passée, un banquet donné à des officiers et sous-officiers sont cités comme preuves décisives qu'un coup d'État se prépare ; il faut pouvoir compter sur des prétoriens pour se faire dictateur... Le chef de l'État fait bien... d'entretenir la discipline, l'esprit militaire, le bien-être et la gaieté du soldat... Il ne fera pas de 18 brumaire, il ne jouera pas sur un coup de main cette puissante autorité... que lui ont donnée six millions de suffrages... Toujours les mêmes fantômes (1er octobre) ! Comment tous les actes, toutes les paroles du Président ne sont-ils pas autant de gages de sûreté pour l'avenir ? C'est l'armée qu'on veut séduire par des banquets !... Ah ! laissez dire ces choses-là aux démagogues !... Dénonciations sans preuves... sans l'ombre même de la vraisemblance !... Pas un de ses actes (4 octobre) qui n'ait été commenté avec la plus insigne mauvaise foi... Il se met eu communication avec l'armée en passant des revues : c'est un plan machiavélique pour se créer des prétoriens ! Un pouvoir qui aurait des projets d'usurpation et qui se préparerait par des manœuvres aussi absurdes ne serait pas seulement coupable, il serait fou... Comment (9 octobre) ! de braves soldats sont venus de quatre, cinq et six lieues... et il ne serait pas permis de leur refaire l'estomac 'par un aliment solide, et de leur réjouir le cœur par un peu de vin ? En vérité, il faut avoir bien peu de choses à reprocher à un gouvernement pour lui faire de pareilles querelles. Atteinte à la discipline ? orgie ? ivresse ? autant de mensonges !... On ne crie pas sous les armes ?... Sous quel régime n'a-t-on pas crié !... Le cri de : Vive l'Empereur ! — s'il a été poussé — ce n'a pu être qu'un cri isolé, impossible à saisir... Fausseté ! exagération ! puérilité ! voilà le fond sur lequel reposent les accusations que les revues ont provoquées... Ou (18 octobre 1850) les cris de : Vive l'Empereur ! étaient très nombreux, et dans ce cas on ne pourrait traduire une moitié de l'armée devant l'autre ; ou ils étaient très rares, et dans ce cas... allez donc chercher un cri isolé de Vive l'Empereur ! C'est vouloir chercher une aiguille clans une botte de foin !... Le Constitutionnel dit encore (19 octobre 1830) qu'on passe au crible la conduite du Président, qu'on le persécute, qu'on le tient en lisière, qu'aucun souverain constitutionnel ne saurait être surveillé avec plus de jalousie ni catéchisé plus solennellement... ; que le prince (28 octobre 1850) est le seul en France qui depuis la révolution de Février ait eu à faire un serment, et qu'en honnête homme il le tiendra ; qu'il n'a de gage contre personne et qu'on en a contre lui, et qu'au besoin ce sera à l'Assemblée ou au pays à le relever de la foi jurée... Le Pouvoir[19] est d'une grande violence : ... Jamais ni un Sénat romain délibérant sur la sauce d'un turbot, ni des princes tondus et énervés de la race (les rois fainéants chantant matines dans un cloître, ni des Grecs scolastiques discutant sur la lumière incréée du Thabor pendant que Mahomet II enfonçait les portes de Constantinople en descendirent pour la honte des peuples à un plus bas degré d'imbécillité. S'il fallait en croire le Journal des Débats et le Siècle, la Commission (de permanence) aurait demandé au ministre si c'est un litre, un demi-litre ou un canon de vin que l'on distribue aux soldats ruisselants de sueur après une manœuvre ; si c'est du jambon ou du lard qu'on leur donne à manger quand ils sont exténués de fatigue... Nous nous refusons à croire à la réalité d'un pareil programme de discussion. Ces choses-là s'écrivent dans le Charivari... Comment (10 octobre 1850) ! six millions d'hommes lui ont donné le pouvoir, et il n'est pas un paysan, un bourgeois, un commerçant, un banquier qui ne soit prêt à le lui continuer... et Louis-Napoléon irait tenter d'usurper par un coup de main une situation que la France entière lui offrira ?... L'interdiction (12 octobre 1850) du cri des soldats au défilé des revues peut donc être dans les règlements, mais à coup sûr elle n'est pas dans les usages... Oui... on a crié : Vive Napoléon !... et même un peu : Vive l'Empereur !... Pourquoi donc ne commencez-vous pas, vous autres, par donner l'exemple de l'obéissance aux lois ? Comment ! vous vivez sous une république, et vous allez hors du territoire faire des arrangements avec la royauté ? Vous voulez conspirer quand cela vous convient... Les règlements, la discipline, l'obéissance à la Constitution, tout cela, selon vous, est bon pour les soldats, comme Voltaire disait que la religion est bonne pour la canaille... Est-ce que le soldat est fait d'une autre argile que vous ? Est-ce qu'il n'est pas Français et citoyen comme vous ? Et lorsque vous êtes fous, vous lui faites un crime de ce qu'il n'est pas sage ?... Les hommes les plus considérables du pays... vont à l'étranger discuter des combinaisons monarchiques... et... ils font un crime aux enfants du peuple... de n'avoir pas la sagesse... dont ils manquent les premiers ; et qui leur a dit que ces cris qui les révoltent ne sont pas les représailles de ceux qu'ils vont pousser ailleurs ? Qui leur a dit que le soldat n'invoque point un empereur parce qu'ils viennent d'invoquer un roi ?... Le Moniteur du soir[20] explique que le Président accomplit son devoir, qui est de s'assurer de l'état des troupes ; mais que, celles-ci ne pouvant camper toutes à la fois dans la plaine de Satory, il y a nécessité de les passer successivement en revue à des jours différents. Puis il ajoute (6 octobre 1850) : ... Après toutes les manœuvres où les soldats sont exposés à la fatigue, il est d'une absolue nécessité de leur donner une ration de vin. C'est ce qu'ont fait de tout temps les généraux comme les princes... Les princes et les souverains étaient dans l'habitude d'inviter les officiers à des déjeuners ou à des diners somptueux. Le Président de la République ne leur offre qu'une modeste collation qui se compose uniquement d'un verre de vin de Champagne avec un morceau de pain et de viande... Une seule innovation s'est produite... Le Président a fait partager aux sous-officiers la modeste collation offerte aux officiers... Toutefois on n'a pas oublié ce qui était dû à la hiérarchie. Les sous-officiers ont toujours été placés à une distance marquée des officiers... Dans le numéro du 16 octobre, le Moniteur du soir publie une ode en 120 vers de M. Belmontet inspirée par l'incident des revues et intitulée : Le cri de : Vive l'Empereur !

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Quoi ! Vive l'Empereur ! serait un cri rebelle !

Cette France adorée et qu'il rendit si belle

Proscrirait ce cri des héros !

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Qu'elle avait bien raison dans son idolâtrie

D'ériger le grand homme en Dieu de la patrie

Et de vivre dans l'Empereur !

Oui, vive l'Empereur ! Toujours lui ! Vive l'ère

Où, montée au niveau du géant populaire,

La patrie emboitait son pas !

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Vive le grand homme soleil

Dont les feux mûrissaient nos puissantes idées !

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Sous ce Dieu plébéien que toute langue nomme,

Etre Français, c'était devenir plus qu'un homme,

C'était guider le genre humain.

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Vive donc à jamais le plus grand des grands hommes,

Qui, sorti de nos flancs, nous fit ce que nous sommes !

Ce cri retentissait quand la démocratie

Vit son drapeau vivant, son Empereur-Messie,

Tomber en défendant nos droits ;

Quand l'Empire français, République faite homme,

Des principes nouveaux auguste et second tome,

Se fermait sous la main des rois.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce cri retentissait quand

Albion rendait son cercueil

Et que le CHRIST-SOLDAT, rappelé par nos larmes,

Revenait, mort vivant, triompher sous nos armes.

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Vive donc l'Empereur ! c'est le cri de nos pères...

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Il n'est point jusqu'aux journaux anglais qui s'occupent de ces revues légendaires. C'est le Morning Chronicle : Une noire conspiration a été ourdie pour renverser la République française au moyen du jambon froid... Tout Paris a été plongé dans la consternation lorsque la nouvelle est arrivée. Le comité de permanence s'est réuni à pas précipités et la pâleur répandue sur les visages... Admettez le Président eût sérieusement conçu l'idée de monter sur le trône sur les épaules d'un animal immonde. L'absurdité gît ici dans l'inintelligence du soldat, dont font preuve ceux qui s'imaginent qu'il peut être perverti par une collation froide... Si l'armée française est prête à déserter la cause de la République pour celle de Louis-Napoléon, l'événement ne sera hâté ni retardé par des tranches de jambon froid... Une jalousie insensée contre le Président paraît avoir dépouillé les légitimistes et quelques autres non seulement de la faculté de juger sainement les choses, mais aussi de la faculté de distinguer entre ce qui est sérieux et ce qui est positivement ridicule... Puis ce journal ajoute les réflexions qu'on va lire, qui sont marquées au coin de la vérité et qui montrent combien avait été grande l'aberration des hommes dirigeants de 1848, alors qu'ils avaient travaillé à élever au poste de chef de l'État français un homme qui aurait menti à ses antécédents, à ses convictions, à sa foi, au cri de son sang, de son âme, de tout son être, et qui aurait en même temps trahi le pays, s'il n'avait pas, par la force des choses, et non par suite d'une combinaison longuement, ténébreusement, machiavéliquement préparée, abandonné la République profondément détestée par l'immense majorité de la France pour passer f l'Empire qui était la conclusion fatale de ce nouveau chapitre de l'histoire de France. Parmi les aspirants à la présidence, dit la feuille anglaise, se trouvait un jeune homme représentant une maison glorieuse, élevé dans l'idée que la couronne de France devait lui appartenir, et qui deux fois avait bravé la toute-puissance de l'autorité établie pour conquérir cette couronne. L'illustration de son nom et l'adhésion intéressée de ses nouveaux partisans rallièrent autour de lui les cinq sixièmes de la nation... On aurait cru que les circonstances parlaient d'elles-mêmes. Toutes les probabilités étaient que le Président ne se conduirait pas comme un simple fonctionnaire constitutionnel. 'Foutes les probabilités étaient qu'il emploierait le pouvoir ainsi mis à sa disposition à accomplir ce qu'il avait essayé de réaliser par la force ouverte. Le parti conservateur le choisit avec la pleine connaissance de ses antécédents de Strasbourg et de Boulogne. Il le choisit avec le dessein avoué de mettre à mal une Constitution calculée pour la ruine de la cause modérée... Et d'après la feuille anglaise, s'il faut s'étonner d'une chose, c'est que, de par la longanimité du Président, cette Constitution soit encore debout !

— En présence des inquiétudes causées par les revues et de l'ordre du jour de réprobation voté par la Commission de permanence, le Président pensa qu'il devait, sinon faire amende honorable, du moins prendre l'initiative d'un acte de conciliation en sacrifiant le ministre de la guerre nommé gouverneur de l'Algérie et en le remplaçant par le général Schramm. Mais en même temps il pensa que cette modification ministérielle était de nature à donner à ses adversaires une satisfaction telle qu'il lui était alors permis de remplacer en outre par le général Carrelet, le premier lieutenant du général Changarnier, le général Neumayer, qui, la veille de la revue du 10 octobre, avait déclaré que la troupe ne devait se livrer à aucune manifestation. Quel était le but du prince ? Voulait-il éliminer un officier général qui aurait constitué un obstacle invincible à l'exécution d'un coup d'État` ? Le prince, alors, n'était nullement décidé à aller jusque-là ; il pouvait, il devait encore espérer que ses désirs se réaliseraient légalement. Non. S'il écartait de la garnison de Paris le général Neumayer, c'est qu'il craignait que l'essor de sa popularité au sein de l'armée ne fût gêné, entravé, par "un homme occupant une très importante situation militaire. D'ailleurs, il faut dire que le général était loin d'être disgracié, puisqu'il était nommé au commandement supérieur des circonscriptions de Rennes et de Nantes. Le général Changarnier avait fait en vain les plus grands efforts pour empêcher cette mesure.

La Commission de permanence se réunit d'urgence le 30 octobre. Un membre, en son nom et au nom de plusieurs de ses collègues, déclare que la destitution (sic) du général Neumayer, malgré l'opposition du général en chef, leur a paru une phase importante et nouvelle du système d'agression dirigé depuis un an contre le pouvoir législatif et contre le général, dont la position à la tête de l'armée de Paris est pour l'Assemblée et pour le pays une si précieuse garantie d'ordre et de sécurité. Le général Changarnier expose qu'il a d'abord refusé de croire à la destitution (sic) du général Neumayer. L'unique grief allégué par le ministre de la guerre en sa présence était que le général Neumayer, consulté par le colonel du 15e léger, lui avait répondu que le silence sous les armes lui paraissait être l'attitude la plus conforme aux règlements militaires... On a cru dans le public que de la mesure pourrait résulter l'affaiblissement de l'influence du général Changarnier sur les troupes. La Commission peut être complètement rassurée. Malgré les regrets amers que lui cause la perte d'un lieutenant digne de toute sa confiance, rien ne peut altérer ses sentiments, ni modifier sa conduite. Vainement on cherche à le représenter comme en état d'hostilité contre le gouvernement, il est uniquement l'homme de la patrie et de la loi, l'homme du devoir avant tout, et ce devoir lui ferait exposer au besoin sa vie pour la défense de la personne et de l'autorité légale de M. le Président de la République. Ce langage était plein de mesure et absolument correct. Il était difficile de laisser percer moins de ressentiment. Sans doute, la blessure était profonde ; mais le général devait se demander si sa position à lui-même n'était pas menacée. Aussi plusieurs membres de la Commission le trouvèrent alors bien modéré, bien résigné, et l'on peut résumer ainsi leur déclaration : Il ne faut pas se le dissimuler, la lutte est entre les droits du gouvernement représentatif et les prétentions d'un gouvernement personnel. Anéantir l'autorité constitutionnelle de l'Assemblée, miner la position du général qui a toute sa confiance et qu'on n'ose pas attaquer de front, tels sont le plan et le but évidents à tous les yeux[21].

Le lendemain, 31 octobre, les ministres de l'intérieur et de la guerre sont appelés devant la Commission. Celui-là, M. Baroche, affirme sur son honneur, au nom du gouvernement tout entier, — se servant à dessein de cette dernière expression pour donner à sa déclaration toute la portée qu'elle doit avoir, — qu'il n'existe aucune intention hostile à l'Assemblée nationale, aucune vue contraire à l'accord... dont le maintien est un devoir, puisqu'il est indispensable au salut, :à la paix et à la prospérité du pays. Le président de la Commission demande au ministre comment il se fait que le général Neumayer n'ait perdu son commandement, c'est le ministre de la guerre lui-même qui l'a déclaré, que pour avoir dit à un colonel que le silence sous les armes lui paraissait l'attitude la plus convenable. Le ministre de l'intérieur répond qu'en soumettant à son appréciation les motifs d'un acte de la compétence exclusive du pouvoir exécutif, la Commission dépasserait la limite de son droit. Elle n'aurait à s'occuper de cet acte que si elle pensait que la mutation du commandement dont il s'agit se rattache à l'exécution de desseins coupables ; mais, il ne saurait trop le répéter, cette dernière opinion serait complètement erronée. Le fait n'a nulle signification politique. Le président de la Commission fait observer que le motif mis en avant pour justifier le remplacement du général Neumayer autorise les interprétations les plus graves. La Commission pourrait y voir un symptôme de ce système d'attaques et d'hostilités que l'on a supposé au pouvoir exécutif contre l'Assemblée nationale. Elle encouragerait peut-être (en gardant le silence) une tendance à faire prédominer le sentiment d'un dévouement personnel à M. le Président de la République dans les rangs de l'armée, qui ne doit se dévouer qu'au pays et aux lois... Le ministre répond qu'on se tromperait en ayant ce soupçon. L'esprit de nos institutions sera respecté, l'armée sera laissée à sa noble destination, le dévouement à la patrie. Deux membres insistent : Le gouvernement persiste-t-il à refuser de faire connaître la cause pour laquelle le général Neumayer a été privé de son commandement ? Le ministre déclare qu'il use du droit qu'a le gouvernement de ne pas s'expliquer sur ce point. Il répète que les tendances politiques du pouvoir exécutif sont la seule chose qui puisse être mise en discussion, et à cet égard il espère que les assurances si formelles qu'il a spontanément données et qu'il confirme de nouveau ne peuvent laisser d'appréhension dans l'esprit d'aucun de ceux qui l'ont entendu. Un membre dit alors : Parmi les cris entendus à Satory, il en est d'une nature évidemment séditieuse ; ceux-là sont-ils poursuivis ? Le ministre répond : Vous savez bien qu'ils ne le sont pas. Et c'est tout.

La révocation du général Neumayer, dit l'Assemblée nationale[22], ce n'est plus la prorogation, mais l'Empire que l'on pose devant la Chambre... Les attaques systématiques de la presse élyséenne contre l'Assemblée, les discours agressifs et personnels des voyages, les cris séditieux du champ de manœuvre de Satory peuvent produire les complications les plus graves.

Le 2 novembre, après une longue délibération, la Commission de permanence vote la résolution suivante : La Commission constate que M. le ministre de l'intérieur a opposé un refus persistant de s'expliquer sur la question qui lui était posée relativement au motif auquel est attribuée la mesure prise à l'égard du général Neumayer. Néanmoins, attendu que le ministre a déclaré que ce fait était isolé et n'aurait aucune conséquence ; attendu aussi que le ministre, quant à l'avenir, a pris spontanément les engagements les plus formels et les plus explicites, au nom du pouvoir exécutif tout entier, la Commission, considérant d'ailleurs l'époque rapprochée de la réunion de l'Assemblée législative, pense qu'il n'y a pas lieu, quant à présent, de convoquer l'Assemblée nationale. Cette infortunée Commission avait si peu de confiance en elle, en son pouvoir, même en celui de l'Assemblée nationale ; elle redoutait à ce point d'entrer en lutte ouverte avec le chef de l'État, qu'à la date du 7 novembre elle prenait en outre les résolutions suivantes : Tous les membres s'accordent à reconnaître que la publication des procès-verbaux de ses séances pourrait exciter dans le pays des agitations dangereuses ; qu'elle ne doit faire aucun rapport à l'Assemblée ; qu'elle ne doit pas non plus donner spontanément des explications ; que les minutes des procès-verbaux ne peuvent pas être déposées aux archives, où elles se trouveraient forcément livrées à la publicité ; qu'elles resteront en dépôt dans les mains et sous le sceau de son président.

Pourtant il était impossible de ne rien faire. C'eût été de la part de la Commission de permanence et surtout de la part du général Changarnier une véritable abdication. Aussi ce dernier, sous la pression de ses collègues du Parlement effrayés et irrités des agissements du chef de l'État, fait-il paraître un ordre du jour à l'armée ainsi conçu : Aux termes de la loi, l'armée ne délibère point ; aux termes des règlements militaires, elle doit s'abstenir de toute démonstration et ne proférer aucun cri sous les armes. Le général en chef rappelle ces dispositions aux troupes placées sous son commandement. Ce n'était pas sans un grand effort que le commandant en chef en était arrivé là. Le passé ne laissait pas que de le gêner terriblement. Cet ordre du jour, pourquoi ne l'avait-il pas écrit depuis longtemps, depuis la première revue de 1849 où des acclamations s'étaient fait entendre ? Alors, s'il n'encourageait pas -des cris contraires tout au moins à la discipline, il les entendait certainement sans déplaisir, pensant ainsi par cette tolérance, disons par cette faiblesse, plaire au Président, conquérir sa confiance et ses bonnes grâces, et même le tenir dans sa main. Le journal le Pays, par la plume de M. de Bouville, à la date du 4 novembre, va même jusqu'à écrire : C'est lui (le général Changarnier) qui en a donné, le premier, le signal (de ces cris inconstitutionnels) ; c'est lui qui, assemblant en cercle autour de lui tous les chefs de corps des régiments qu'il passait en revue au Champ de Mars, dans le mois d'avril 1849, leur donna l'ordre de crier et de faire crier unanimement à leurs troupes : Vive Napoléon ! en leur défendant d'y mêler aucune allusion à la République[23]. L'Evénement (10 novembre 1850) pose, sous la rubrique Indiscrétion, la question suivante : Serait-il vrai que le même général, qui aujourd'hui ordonne aux soldats le silence le plus absolu sous les urines, faisait tout le contraire il y a six mois et recommandait chaudement aux officiers placés sous ses ordres ce même cri qu'il proscrit si intrépidement aujourd'hui ? En ce qui concerne les libations des revues, le Constitutionnel avait dit quelque temps auparavant : L'officier et le sous-officier buvaient le vin de Champagne, le soldat le vin du cru. Pendant ce temps le général Changarnier et le Président parcouraient chaque groupe, et, selon le vieil usage militaire qui unit si fortement le chef et le soldat, le général, prenant un verre, but à la santé du régiment ; tous les verres se choquèrent contre le sien avec une déférence respectueuse. D'après la République (31 octobre-5 novembre) : Si M. Changarnier trouve que Vive l'Empereur ! est un cri séditieux, s'il approuve le général Neumayer de s'être opposé à cette manifestation coupable, pourquoi n'a-t-il pas fait sentir le poids de la discipline aux chefs de corps qui l'ont publiquement et manifestement violée ? Ce n'est pas le 2 novembre qu'il devait faire paraître son ordre du jour. Le Moniteur du soir publie (6 novembre) cette déclaration de M. L. Belmontet : Nous l'avons entendu, nous-même, le jour de la grande revue, dire au général Exelmans, après le défilé : La revue a été magnifique, n'est-ce pas, général ? Tout s'est passé à merveille. Le Siècle (5 novembre 1850) estime que l'ordre du jour du général Changarnier vient malheureusement un peu tard : Il fallait songer à faire respecter la loi et les règlements avant ces trop fameuses revues. Et il ajoute (6 novembre 1850) qu'il n'a jamais lu plus insolent défi porté au chef du pouvoir exécutif. Suivant l'Union (31 octobre 1850) : Il faut que le pays sache si le général de Schramm a été appelé au ministère pour destituer les généraux qui ne se prêtent pas aux essais de la politique impérialiste, si M. le général Carrelet doit préparer l'armée de Paris à un coup d'État, enfin si le gouvernement est décidé à tenter les aventures de la prolongation des pouvoirs présidentiels dans l'espoir d'arriver à l'Empire. Tout cela peut être dans le remplacement du général Neumayer. Nous sommes très disposés à croire que tout cela y est... Pourquoi le général Neumayer a-t-il été remplacé ? La réponse doit être catégorique. Ce n'est pas le général Neumayer qu'on a voulu frapper, mais le général Changarnier. Le ministère ayant envoyé au journal l'Assemblée nationale[24] le communiqué suivant : L'Assemblée nationale répète depuis plusieurs jours... que le Président de la République a non seulement autorisé, mais provoqué, dans les revues, le cri de Vive l'Empereur ! Cette assertion est entièrement fausse, et l'insistance que mettrait ce journal à la reproduire en ferait une calomnie calculée, cette feuille répond : Nous le redisons hautement, nous le redisons de toutes les forces de notre conviction, les cris de : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! ont été autorisés et même provoqués par M. le Président de la République : n'est-ce pas les autoriser que le silence devant des cris séditieux ?... En sommes-nous réduits à déclarer qu'ils ne veulent dire autre. chose que : Vive la statue !... Et lorsqu'on retire... un commandement à un général parce qu'il refuse de faire crier, comment peut-on sérieusement soutenir qu'on n'autorise pas, qu'on ne provoque pas les cris ?...

— Le prince, en présence du bruit répandu d'un prétendu complot[25] formé par vingt-six membres de la Société du Dix-Décembre pour assassiner le président Dupin (!) et le général Changarnier (!) — ce qui n'était qu'une prodigieuse mystification dont un agent de police dépendant de l'Assemblée nationale avait été la dupe, — n'hésite pas à prononcer la dissolution de cette association fameuse[26]. Malgré l'affaire Neumayer, il cherchait donc à se rapprocher de la Représentation nationale et à s'entendre avec elle.

Il venait d'ailleurs de donner un nouveau gage de ses sentiments conservateurs lors d'une cérémonie qui avait lieu le 25 octobre dans la chapelle de Saint-Cloud, pour la remise de la barrette cardinalice au nonce du Pape, Mgr Fornari, ainsi qu'aux archevêques de Toulouse, de Reims et de Besançon. En effet, après avoir dit à Mgr Gousset : Monseigneur, ne m'oubliez pas dans vos prières, il répondit à l'ablégat : ... J'ai vu avec une extrême satisfaction Sa Sainteté accorder trois chapeaux de cardinaux à la France. C'est une preuve nouvelle de l'estime particulière du Souverain Pontife pour le clergé français, ce clergé toujours si distingué par son mérite, ses vertus et son dévouement aux grands principes sur lesquels repose la religion catholique. Je tenais à honneur de présider une cérémonie où le pouvoir spirituel se montre d'un accord parfait avec le pouvoir temporel... Je prie Votre Excellence de déposer aux pieds du chef de l'Église l'hommage sincère de ma vénération.

 

 

 



[1] 12 septembre 1850. — Rédacteur en chef : M. de Bouville.

[2] 24 septembre 1850. — Directeur : M. Latour-Dumoulin.

[3] 8 septembre 1850. — Directeur-rédacteur : Véron. Rédacteur en chef : Boilay. Collaborateurs : Granier de Cassagnac, Cucheval-Clarigny, J. Rurat.

[4] 8 septembre. — Directeur du Pouvoir : Ed. Halinbourg ; rédacteurs : Granier de Cassagnac, Théophile de Montour, Auguste Vitu.

[5] 16 septembre. — Rédacteur : Amédée de Césena.

[6] A la revue du 25 septembre (voir le Moniteur du soir du 26), un individu crie : Vive la République ! Aussitôt on lui répond : Vous arrivez trop tard, mon ami ! Et tout le monde de rire.

[7] 1er et 2e carabiniers, 6e et 9e dragons, 4e cuirassiers, 1er et 7e lanciers, 2e et 7e chasseurs, 5e et 6e hussards.

[8] National, 25 septembre. — Voir le Moniteur du soir (26 septembre) : D'énormes tonneaux... ont été mis à sec en quelques instants... Cette collation champêtre n'a pas duré moins d'une heure et demie...

[9] National, 28 septembre. — On s'amuse à faire des jeux de mots : Le Président est moins guerrier que restaurateur.

[10] Le prince avait alors pour aide de camp le général Boguet.

[11] Voir au Moniteur les procès-verbaux de la Commission de permanence.

[12] GRANIER DE CASSAGNAC, dans ses Souvenirs du second Empire, p. 124, raconte que, causant avec l'Empereur et revenant sur ces événements, il lui dit qu'un journaliste, Félix Solar, lui avait déclaré avoir proposé au général Changarnier, avec l'aide de deux confrères, Eugène Forcade et Auguste Lireux, d'enlever le prince après la revue (!!), que le général aurait accepté (!), mais qu'il n'aurait pas donné des yeux (!) le signal attendu ; que l'Empereur, à ce récit, lui aurait répondu : Je le savais et j'avais garde à carreau. Changarnier eut, en effet, la faiblesse de se laisser faire mon rival... (Il) s'est perdu par une vanité excessive qui n'était pas justifiée par les actions...

[13] 8 octobre 1850. (Saisie.)

[14] 11 octobre 1850. — Le 12, elle est de nouveau saisie, pour avoir annoncé que Persigny est allé à Londres conclure un emprunt au profit de l'Élysée et déclaré que la France n'accepterait jamais un Espartero.

[15] 15 octobre 1850. (Articles signés : A. Vacquerie.)

[16] 17 octobre 1850. (Articles signés : Charles Hugo.)

[17] 2 octobre. (Alfred Nettement, rédacteur en chef.)

[18] 11 octobre 1850. (Articles de M. de Bouville.)

[19] 9 octobre 1850. (Article de Granier de Cassagnac.)

[20] 29 septembre 1850. (Montferrier, rédacteur, notamment.)

[21] La modération, le calme, la résignation n'étaient qu'apparents chez le général Changarnier. Au fond, il était exaspéré. Odilon BARROT, dans ses Mémoires (t. IV, p. 60), nous raconte une entrevue qu'il eut avec le général et dans laquelle celui-ci tient un langage qui rappelle la fable de La Fontaine la Grenouille et le Bœuf. Changarnier dit à Odilon : C'est à qui de nous deux, Louis-Napoléon et moi, prendra l'initiative !... Je suis sûr de Carlier, le préfet de police ; il est tout à moi... Sur la demande que je lui ai adressée s'il était en mesure d'arrêter le Président, il m'a répondu que quand je lui en donnerais l'ordre, il le mettrait dans un panier à salade et le conduirait sans plus de cérémonie à Vincennes ! [Le pauvre homme !... il était décidément par trop... simple.] Odilon Barrot, qui n'était pas un aigle, se récrie et lui fait observer que Cartier n'avait sans doute rien eu de plus pressé que d'aller reporter cette conversation à Louis-Napoléon et peut-être même d'offrir de lui rendre le même service è l'encontre du général. L'aide de camp de Changarnier, M. Valazé, dit alors : Tant mieux ! nous sommes bien aises qu'on sache à l'Élysée ce que nous pouvons faire ! Odilon reprend : Qu'attendez-vous pour en finir ?Un ordre du président Dupin, répond Changarnier. Et Odilon de lui déclarer qu'il l'attendra... toujours. — On lit (p. 331) dans l'ouvrage du comte D'ANTIOCHE sur le Général Changarnier : Il écrivait : Les circonstances ont fait malheureusement de moi un personnage politique. La modestie vint un peu tard.

[22] 1er novembre 1850. — Ce journal dit alors : Que signifient ces tentures en drap bleu (à la société de la rue Montmartre) semé d'abeilles impériales qui couvrent les murs et cet autel où se trouvent mêlés une tête de Dieu le Père, un portrait de l'Empereur, un plâtre du prince Louis Napoléon ? Pourquoi des réunions à peu près semblables au faubourg Saint-Antoine ? — Après l'élection du 10 décembre, le Comité napoléonien prit le titre de Société du 10 décembre fondateurs : Gallix ; Dumoulin, ancien officier ; Ronnelier, ancien acteur ; Guillonet, Picot, peintre en bâtiments. Ensuite la Société du 10 décembre se partagea en deux : le Dix-Décembre, avec le général Piat et Gallix, rue Geoffroy-Marie, 9 ; les Amis de l'ordre et de l'humanité, avec Picot, Dillon, etc., 9, rue du Faubourg-Montmartre. Celle-ci était présidée par M. Chautard, qui prononça à la séance d'inauguration le discours suivant : Notre société est éminemment philanthropique ; son symbole... est l'aigle de l'Empire français ; son patronage, un nom : Napoléon. L'aigle de l'Empire français ? parce que son aile rapide a porté notre civilisation des rivages du Nil au pied du Capitole, des ruines historiques du Tibre aux bords glacés du Borysthène... Dans la ville de Cicéron et de César commise sous les feux du Kremlin et sur les neiges des steppes de la Scythie elle a laissé échapper de sa serre de flamme des semences de liberté... J'ai dit... que notre société avait pour égide le nom du grand Empereur, nom sublime et complet ; complet par la gloire et le martyre, par Austerlitz et Sainte-Hélène... ; après la couronne triomphale de Charlemagne la couronne funèbre de Longwood ; après la vie, la mort ; après la mort, l'immortalité... Ce grand nom de Napoléon, c'est un passé pur et sans tache ; c'est l'avenir, la gloire de la patrie, c'est la garantie des droits imprescriptibles de la démocratie... le lien qui doit unir à jamais le peuple et le pouvoir. Ce nom, grand comme un monde, vibre au cœur des Français comme une sublime harmonie ; il est devenu notre phylactère, notre palladium. Frères ! serrons nos phalanges, et six millions de voix acclameront encore Napoléon !... Accomplissons notre devoir, Dieu fera le reste...

[23] Quelques jours avant, le Pays (numéros des 31 octobre, 1er, 2, 3 novembre) disait : Comment ! le gouvernement ne pourra pas faire une mutation de généraux sans qu'aussitôt on vienne scruter ses desseins, fausser ses intentions et jeter l'alarme dans la population ! L'Empire !... Louis-Napoléon est de toute la France celui qui y pense le moins !... (Lui)... essayer du césarisme, aspirer à l'Empire ?... calomnie ! calomnie tout cela ! et rien que calomnie !... S'il avait voulu violer la Constitution, il l'aurait pu depuis longtemps... Le journal le Bulletin de Paris (Ch. Poriquet, rédacteur, 7 novembre) dit de son côté : Le Président ne veut pas, n'a jamais voulu et ne voudra jamais de coup d'État...-Esclave de sa parole d'honnête homme, il ne changera pas...

[24] 3 novembre 1850. — Adrien de Lavalette, rédacteur en chef. (Journal de Changarnier.)

[25] Affaire Von-Allais.

[26] Le général Piat écrivait alors aux Débats : ... Je suis l'un des fondateurs de la Société du 10 décembre, et depuis son origine je n'ai cessé de la présider ; je déclare donc sur mon honneur militaire que jamais la Société du 10 décembre ne s'est occupée de politique....

M. GRANIER DE CASSAGNAC, dans ses Souvenirs du second Empire (t. III, p. 128), raconte qu'on voulait effrayer le président Dupin pour qu'il délivrât un blanc-seing à Changarnier qui arrêterait le prince, et que M. Rouher, redoutant que Dupin ne cédât, était allé communiquer ses craintes au prince, qui lui dit : Vous êtes bien jeune, monsieur Rouher. Si l'on venait m'apprendre à l'instant même que le général Changarnier marche sur l'Élysée avec les troupes qu'il commande aux Tuileries, j'irais au-devant de lui avec les chasseurs à pied qui me gardent, et ses soldats se réuniraient immédiatement aux miens. Monsieur Rouher, nia destinée n'est pas encore accomplie ; je serai empereur ! Et M. de Cassagnac affirme que cette scène lui a été rapportée par M. Rouher lui-même.