NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XIII. — LE PRÉSIDENT ET L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE JUSQU'AU MESSAGE DU 31 OCTOBRE 1849.

 

 

I

Composition de l'Assemblée législative. — Petit nombre de bonapartistes. — Comment concilier ce résultat et l'élection du 10 décembre. — 28 mai, première séance de l'Assemblée. — Incident à la séance du 29 ; MM. Landolphe, de Ségur. — 30 mai, interpellation sur la nomination des officiers préposés à la garde du palais de l'Assemblée ; Ledru-Rollin. — Nomination de M. Dupin à la présidence de l'Assemblée. — MM. Dufaure, Lanjuinais, de Tocqueville remplacent MM. Faucher, Buffet, Drouyn de Lhuys. — Cc que rapporte M. Odilon Barrot sur la nomination de M. Dufaure. — Message du prince ; appréciation des journaux ; violence inouïe des feuilles rouges ; la Presse de Girardin a rompu avec le Président ; opinion de Lamartine ; la Liberté reproche au Président de ne pas brusquer la solution. — Affaire de Rome ; ultimatum, attaque de la ville par l'armée française. — Les journaux rouges réclament la déchéance du Président. — 11 juin, la Montagne, par l'organe de Ledru-Rollin, demande sa mise en accusation et celle des ministres ; Odilon Barrot ; Ledru-Rollin. — 12 juin, l'Assemblée rejette la proposition de la Montagne. 13 juin, proclamation de la Montagne ; insurrection ; répression de l'émeute ; le prince est acclamé sur les boulevards. — Saisie des journaux rouges ; proclamation du Président ; mise de Paris en état de siège ; poursuites contre un certain nombre de représentants. — Lois sur les clubs, sur la presse. — Mort du maréchal Bugeaud ; le choléra ; le Président visite les hôpitaux. — Adresse du conseil général de la Seine-Inférieure. — Inauguration du chemin de fer de Chartres ; discours du Président. — 7 juillet, l'Assemblée abroge l'article 67 de la loi du 22 mars 1831 ; discours de Baraguey d'Hilliers. — 15 juillet, distribution de drapeaux à Amiens. — 22 juillet, visite et discours du Président à Ham. — Bruit de coup d'État. — Les journaux discutent la question de l'Empire. — La Liberté s'indigne du discours de Ham. — Discours de M. Dufaure sur les bruits de coup d'État ; Théodore Bac ; les journaux anglais ; article de Louis Blanc dans le Nouveau Monde. — L'Assemblée se proroge du 13 août au 30 septembre. — Inauguration du chemin de fer d'Angers à Tours ; discours du prince ; Lamartine dans le Conseiller du Peuple ; le Moniteur, la Presse, l'Assemblée nationale, l'Union, le Pays, la Gazette de France. — 12 août, voyage des bords de la Seine. — Les feuilles bonapartistes et la révision ; elles demandent aussi que le 15 août soit consacré à la fête de Napoléon. — L'Opinion publique attaque l'Empire ; le Dix Décembre compare Napoléon au Christ. — La Gazette de France. — Le Moniteur du soir soutient qu'un vœu des conseils généraux en faveur de la révision serait un acte révolutionnaire. — 15 août, nomination et promotion dans la Légion d'honneur de compagnons de Strasbourg et de Boulogne.

 

L'Assemblée législative comptait 750 membres : 200 montagnards, 50 républicains modérés, 500 conservateurs se décomposant en 200 légitimistes et en 300 représentants qui étaient, soit des hommes sans antécédents politiques et cherchant leur voie, soit des amis du gouvernement de Juillet, soit des catholiques groupés autour de M. de Montalembert, soit enfin des bonapartistes en petit nombre, dont Persigny, Lucien Murat, Ney, etc., qui devaient bientôt former ce qu'on appela le parti de l'Élysée.

Les espérances que le prince avait pu concevoir étaient complètement déçues. Les élections n'avaient pas fourni le fort contingent bonapartiste qui était attendu. Le parti napoléonien n'avait aucune force dans l'Assemblée. Toutes ces voix du 10 décembre, ces millions de voix, s'étaient dispersées sur des légitimistes, des orléanistes ou des républicains. Et cependant elles étaient restées absolument, aveuglément fidèles au prince, à son nom, à sa personne. Tout à la fois elles entendaient avoir Napoléon comme chef de l'État, et puis, cédant aux influences locales, aux relations de voisinage, elles choisissaient pour députés des partisans de la légitimité, de l'orléanisme, de la République, votant alors non pour ces régimes, mais pour les hommes qui les représentaient, parce que ces hommes dans le pays étaient estimés et considérables. On les nommait non parce que, mais quoique légitimistes, orléanistes ou républicains ; on les nommait, du reste, parce que conservateurs, et, dès lors, susceptibles de se. rallier au gouvernement du prince.

L'Assemblée législative tient sa première séance le lundi 28 mai sous la présidence de M. de Kératry, président d'âge. Tout se passe dans le plus grand calme. Aucun cri de : Vive la République ! n'est proféré. Le lendemain 29, un nouveau représentant, M. Landolphe, monte à la tribune pour se plaindre de cet oubli. La droite reste d'abord silencieuse, mais après un discours de M. de Ségur l'Assemblée tout entière répète le cri de : Vive la République ! Le 30 mai, le ministère est interpellé sur le remplacement, effectué le 27, du lieutenant-colonel Cauvain, commandant militaire du palais de l'Assemblée, et surtout sur la substitution du général Forest — celui-là même qui avait refusé d'obéir au décret de 1848 — au questeur le général Lebreton dans le commandement des troupes chargées de la défense de ce palais. C'est Ledru-Rollin qui porte la parole. Il trouve dans ces nominations des menaces de coup d'État, il craint de voir l'Assemblée envahie et dispersée par la force. La police de l'Assemblée ne doit pas appartenir au pouvoir exécutif ; les représentants doivent être protégés par des officiers de leur choix... Au président de Kératry qui déclare qu'il a ratifié les changements dont il s'agit, l'orateur répond : Je dis qu'il n'est pas possible que votre président vienne ratifier postérieurement une chose qui a été faite sans son aveu... Le changement a eu lieu le 28, et c'est seulement aujourd'hui 30 qu'il a donné ses ordres de ratification. Il n'a pas autorisé, on a agi sans lui, on a méconnu son autorité, et c'est postérieurement que par complaisance il a ratifié ce qui a été fait... Ce n'est que cieux jours après que, cédant à de pressantes sollicitations, vous avez fini par ratifier ce que vous n'aviez pas commandé... Vous ne pouvez pas, à peine d'abdiquer, laisser à une autorité étrangère le soin des dispositions militaires à prendre pour la sûreté de l'Assemblée. Odilon Barrot répond que le successeur du colonel Cauvain a été désigné par le général Changarnier (Ah ! ah ! à gauche), mais qu'il a été agréé par le président M. de Kératry. Sur la nomination du général Forest, il ne dit rien. L'ordre du jour est voté.

Le 1er juin, M. Dupin est nommé président de l'Assemblée par 336 voix. Le 3, le Moniteur publie la composition du nouveau ministère, dans lequel ne figurent ni M. Faucher, ni M. Buffet, ni M. Drouyn de Lhuys, remplacés par MM. Dufaure, Lanjuinais et de Tocqueville. Président du conseil et justice : Odilon Barrot ; Intérieur : Dufaure[1] ; Affaires étrangères : do Tocqueville ; Guerre : général Rulhières ; Marine : de Tracy ; Instruction publique : de Falloux ; Travaux publics : Lacrosse ; Agriculture et commerce : Lanjuinais.

Le 7 juin, le Président de la République adressait un message à l'Assemblée législative. Mon élection, disait-il, avait fait naître des espérances qui n'ont point encore pu se réaliser. Jusqu'au jour où vous vous êtes réunis dans cette enceinte, le pouvoir exécutif ne jouissait pas de la plénitude de ses prérogatives constitutionnelles. Dans une telle position, il lui était difficile d'avoir une marche bien assurée. Néanmoins, je suis resté fidèle à mon manifeste. A quoi, en effet, me suis-je engagé ?... A défendre la société audacieusement attaquée, à affermir une République sage, grande, honnête, à protéger la famille, la religion, la propriété... à effacer les traces de nos discordes civiles  Le premier devoir du gouvernement était de consacrer tous ses efforts au rétablissement de la confiance... Pour atteindre ce but, le gouvernement n'a eu qu'à... (montrer) à tous que sans sortir de la légalité il emploierait les moyens les plus énergiques pour rassurer la société. Partout aussi il s'efforça de rétablir le prestige de l'autorité en mettant tous ses soins à appeler aux fonctions publiques les hommes qu'il jugeait les plus honnêtes et les plus capables, sans s'arrêter à leurs antécédents politiques. C'est encore afin de ne pas inquiéter les esprits que le gouvernement a dû ajourner le projet de rendre à la liberté les victimes de nos discordes civiles... Néanmoins j'ai usé d'indulgence partout où elle n'a pas eu d'inconvénients... Une commission s'est mise à l'étude de la question des colonies agricoles ; le désir du gouvernement était de trouver le moyen le plus efficace de venir au secours des classes laborieuses en ramenant les ouvriers des villes aux travaux de la campagne, et... d'utiliser au profit des pauvres la mise en valeur des terres incultes... Puis le Président fait l'historique de la question romaine, expose les faits et défend la politique suivie par la France. Il mentionne ensuite les luttes engagées dans le centre de l'Europe, celle du Danemark contre l'Allemagne à la suite de l'incorporation du Schleswig dans la Confédération germanique ; les efforts de l'Assemblée de Francfort en faveur de l'unité allemande et la résistance de plusieurs États fédérés ; enfin la guerre de l'Autriche contre la Hongrie révoltée et soumise grâce à l'intervention de la Russie. Cette partie du message était précédée d'une profession de foi en matière de politique extérieure, à laquelle plus tard l'Empire, hélas ! ne devait guère se conformer. Elle était ainsi conçue : L'état de la civilisation en Europe ne permet de livrer son pays au hasard d'une collision générale qu'autant qu'on a pour soi d'une manière évidente le droit et la nécessité... Il faut qu'une nation comme la nôtre, si elle s'engage dans une lutte colossale, puisse justifier à la face du monde, ou la grandeur de ses succès, ou la grandeur de ses revers... Revenant à la politique intérieure, il ajoutait : ... Fort de votre appui et de celui de la nation, j'espère m'élever à la hauteur de ma tâche en suivant une marche nette et précise. Cette marche consiste, d'un côté, à prendre hardiment l'initiative de toutes les améliorations, de toutes les réformes qui peuvent contribuer au bien-être de tous, et, de l'autre, à réprimer par la sévérité de lois devenues nécessaires les tentatives de désordre et d'anarchie qui prolongent le malaise général. Je ne bercerai pas le peuple d'illusions et d'utopies qui n'exaltent les imaginations que pour aboutir à la déception et à la misère. Partout où j'apercevrai une idée féconde en résultats pratiques, je la ferai étudier, et, si elle est applicable, je vous proposerai de l'appliquer. La principale mission du gouvernement républicain, surtout, c'est d'éclairer le peuple par la manifestation de la vérité, de dissiper l'éclat trompeur que l'intérêt personnel des partis fait briller à ses yeux... Ce n'est pas pour l'application de théories inapplicables ou d'avantages imaginaires que la Révolution s'est accomplie, mais pour avoir un gouvernement qui, résultat de la volonté de tous, soit plus intelligent des besoins du peuple et puisse conduire, sans préoccupations dynastiques, les destinées du pays. Notre devoir est donc de faire la part entre les idées fausses et les idées vraies qui jaillissent d'une révolution ; puis, cette séparation faite, il faut se mettre à la tête des unes et combattre courageusement les autres.....  Il annonce : une loi sur les institutions de secours et de prévoyance afin d'assurer aux classes laborieuses un refuge contre les conséquences de la suspension des travaux, des infirmités et de la vieillesse ; une loi sur le régime hypothécaire (pour) féconder l'agriculture en lui apportant d'utiles ressources, en facilitant ses emprunts, (pour) préluder à la formation des établissements de crédit (agricole) ; une loi sur l'abolition de la prestation en nature ; sur les subventions aux associations ouvrières ; sur la défense gratuite des indigents... dont les droits et les intérêts ne sont pas assez protégés ; sur l'amélioration des pensions de retraite des sous-officiers et soldats  Il termine ainsi : Vous voulez comme moi travailler au bien-être de ce peuple qui nous a élus, à la gloire, à la prospérité de la patrie ; comme moi, vous pensez que les meilleurs moyens d'y parvenir ne sont pas la violence et la ruse, mais la fermeté et la justice... J'appelle sous le drapeau de la République et sur le terrain de la Constitution tous les hommes dévoués au salut du pays ; je compte sur leur concours et sur leurs lumières pour m'éclairer, sur ma conscience pour me conduire, sur la protection de Dieu pour accomplir ma mission.

On ne pouvait que louer l'habileté, la belle tenue, l'éloquence de ce message, dont la fin était si heureuse. Les journaux l'appréciaient fort diversement, niais ils étaient en très grande majorité hostiles au Président. Le Dix Décembre (8 juin) est enthousiaste : ... Cette pièce aura sa date dans l'histoire ; c'est la première manifestation de la politique appropriée au dix-neuvième siècle... La veille, il disait (5 juin) : Lassée par de longues et vaines expériences qui ne lui avaient donné que l'ordre sans gloire et sans progrès, qu'une prospérité mercantile où les grandes fortunes pouvaient naître, mais où les masses ne sentaient pas leur condition améliorée ; surprise par une tempête politique dont le fracas n'avait engendré que ruine et anarchie, que phrases vides et rêves insensés, la France s'est souvenue du nom qui représentait tout l'inverse. Elle a rompu résolument avec le passé ; elle a relégué les dynasties dans l'histoire, et ce qu'elles n'ont pu lui donner, elle l'a demandé à l'héritier de Napoléon le Grand. Elle savait son courage, sa constance, sa fermeté ; elle savait ses travaux, ses études sérieuses sur les questions nouvelles... ; elle était sûre avec lui d'échapper aux restaurations de privilèges détruits, aux satisfactions d'intérêts, aux retours d'ambitions vieillies. En l'élevant au premier rang, la France a dit : Je veux l'ordre... mais je veux que tout ce qui souffre espère... — C'est, dit l'Assemblée nationale (9 juin), une pièce calme, honnête, sérieuse... Plus les attaques des rouges sont haineuses, plus les injures sont grossières, et plus il faut rendre justice aux déclarations du premier magistrat de la République... D'après les Débats (8 juin), le mérite essentiel du document... est d'être ce qu'il doit être, de parler comme il doit parler, c'est d'obéir au vœu de la Constitution, littéralement, sans prétention et sans détour, sans emphase et sans faiblesse... C'est une œuvre de bon sens et de bonne foi. Nous n'y voyons, quant à nous qui ne sommes pas suspects, que des intentions droites, loyales, patriotiques. Au milieu (9 juin) de tout ce qui s'imprime d'ambitieux sophismes, la lecture de ce document repose véritablement l'esprit... Pour l'Union, le message est satisfaisant, les questions y sont touchées avec sobriété et traitées avec prudence ; c'est un programme convenable de la politique d'ordre, de liberté et de progrès. Pour le National (8 juin) : ... La France n'éprouvera qu'une immense déception... elle s'étonnera de tant d'insuffisance devant une tâche si haute... ; (c'est) une œuvre informe, vague, confuse... c'est un rapiéçage rétrospectif de lambeaux pris au Moniteur... Point d'idée mère, point de pensée d'ensemble, point de plan d'avenir... Rien... En somme, un programme d'impuissance... Pour le Siècle : Ce message est destiné à redoubler l'inquiétude qui pèse aujourd'hui sur tous les esprits... La République (8 juin) qualifie le message d'étrange factum ; elle n'a jamais rien lu de plus insignifiant. Les matières y sont classées pêle-mêle... Le style peut être présidentiel, il n'est pas français... (c'est) un long et fastidieux pot pourri... Y a-t-il là une mystification de quelque scribe du ministère ? Jamais plus pâle pauvreté n'a été débitée dans un style plus nul... (c'est un) document scandaleux... Pour le Peuple (7 juin), le Président a commis une insolence en le faisant purement et simplement insérer au Moniteur sans en donner préalablement connaissance à l'Assemblée... Le message (8 juin) n'est point seulement une compilation misérable, c'est un outrage en trente feuillets à l'Assemblée, à la Constitution, au pays !... Il y avait dans ce message de quoi motiver... une mise en accusation... Pour la Révolution démocratique et sociale (8 juin), le message... est une déclaration de guerre à la révolution de Février, c'est une menace pour la République, c'est le désaveu de tous les principes démocratiques... (c'est) une œuvre indigeste. Un roi constitutionnel y eût mis plus de réserve et d'humilité. La Vraie République s'écrie (8 juin) : Le prince de Boulogne... le prince Louis dix-neuf... n'est parvenu (9 juin) au pouvoir que pour abolir la République française. Il est clair, d'après le manifeste de l'Élysée, que la souveraineté du peuple est confisquée... Le nouvel aspirant an despotisme... espère en finir promptement avec... l'anarchie... ; c'est à nous de choisir entre la liberté et l'oppression... C'est la rougeur au front que tout républicain lit le royal message où M. Bonaparte vient se réjouir de l'abaissement de la France... Il n'y a plus à hésiter, il faut que la déchéance soit prononcée, sinon il faudrait se résigner de nouveau à dix-huit années de honte... La Reforme (9 juin) accuse le Président d'avoir livré la République à ses plus implacables ennemis ; d'avoir refait l'Olympe des faunes et des traîtres qui avaient marqué dans toutes nos hontes et tous nos malheurs ; d'avoir rappelé clans le gouvernement le personnel de Louis-Philippe et de Charles X ; d'être infidèle à sa parole et à sa signature ; d'avoir renié l'amnistie promise quand il fallait escalader le pouvoir. Il croit être le maître... ; l'Assemblée... n'est qu'un bureau d'enregistrement... Son exposé... n'est qu'un bilan de fantaisie, un ensemble informe de statistiques à l'aventure ; aucun éclair, aucune pensée supérieure, aucune notion de valeur... La politique (9 juin) de M. Bonaparte... viole effrontément la Constitution, et, brutal jusqu'au cynisme, il se vautre dans le flagrant délit... M. Bonaparte, frappé de déchéance, doit être livré à la justice compétente comme coupable de haute trahison... La Presse a rompu avec le prince : ... Vainement nous avons cherché... un aperçu, un mot, un éclair qui fussent une indication de la politique de la France dans l'avenir... pas un éclair, pas un mot, pas un aperçu...

M. de Lamartine[2] apprécie ainsi le message : Il est empreint de cette sagesse simple, calme, ferme et patriotique qui caractérise les messages de la présidence américaine. Il est la promulgation officielle des sentiments d'ordre, de courage, de confiance, de sollicitude pour les souffrances et. les intérêts populaires qui animent la volonté et le cœur de la France. II ne cherche pas à éblouir l'imagination du peuple d'illusions et de chimères, mais il pose résolument quelques-uns des plus graves problèmes du progrès social, et il les résout par le bon sens. La France tiendra ce que son premier magistrat a promis en son nom. L'approbation unanime que la conscience publique a donnée à cette loyale ouverture de sa pensée et de ses intentions en est le gage...

La Liberté (9 juin), plus bonapartiste que le prince, lui adresse la lettre suivante : Quand nous vous avons rappelé de l'exil, vous n'étiez pas seulement pour nous le parent de l'Empereur... vous étiez, pour tout le monde en France, l'adversaire acharné du système détesté qui avait pesé dix-huit ans sur la France, ce système de la résistance au dedans et de la couardise au dehors... que vous avez combattu par vos actes, par vos écrits et par une double insurrection... Qu'avez-vous fait depuis le 10 décembre ? Vous avez dormi... en abandonnant la direction des affaires à ces mêmes hommes que vous appeliez très justement dans vos écrits les traîtres de 1815 et les bourreaux du maréchal Ney... Le juge inexorable du maréchal Ney est votre conseiller intime (M. Molé) ; l'auteur (M. Thiers) impitoyable des lois de septembre... est votre premier ministre in partibus... Quel homme êtes-vous donc si des adversaires politiques à qui vous avez fait la guerre pendant dix-huit ans, non seulement par des écrits, mais par des conspirations, vous ont si facilement et si promptement retourné ?... Que dirait-on de l'avocat qui, chargé de défendre une cause, céderait aux premières paroles de son contradicteur ?... Qu'eussiez-vous dit vous-même si les défenseurs de votre procès de Boulogne se fussent humblement inclinés devant le procureur général Frank-Carré et n'eussent pas trouvé un mot de réponse à ses insultantes apostrophes ?... On vous a défendu cependant... et vous n'avez pas su défendre contre M. Thiers ou M. Molé ni votre cause, ni votre parti, ni vos partisans, ni vos idées, ni vos convictions, ni vos écrits, ni votre passé, ni votre nom... Il ne vous reste plus qu'à faire amende honorable à ce vieux roi qui a pris votre place en Angleterre et dont vous occupez la place à Paris...

— A la suite du vote de l'Assemblée qui invitait le ministère à ne pas détourner l'expédition française du but primitivement assigné, M. de Lesseps[3] est envoyé à Rome pour mettre fin pacifiquement à la question romaine. Il suspend les hostilités. Un armistice est conclu. Des négociations sont entamées avec le triumvirat. Celui-ci repousse l'ultimatum suivant : Les États romains réclament la protection de la République française. Les populations se prononceront librement sur la forme de leur gouvernement. Rome accueillera l'armée française comme une armée de frères. De nouvelles tentatives d'entente échouent, et le 1er juin[4] le général Oudinot reçoit l'ordre d'attaquer.

Les journaux rouges déclarent que le chef de l'État est un traître qui doit disparaître : Malgré la France, dit la Vraie République (11 juin), malgré l'Assemblée, malgré la Constitution, le général de l'Élysée a bombardé Rome, il finit par l'assassinat d'une nation... Il s'agit aujourd'hui de savoir qui l'emportera de la volonté du peuple ou du bon plaisir d'un homme... Il y a crime de haute trahison. La déchéance est de plein droit. La Révolution démocratique et sociale (12 juin) s'écrie : ... Les traîtres qui forment la majorité de l'Assemblée ont déchiré la Constitution en sanctionnant par un vote infâme la trahison de M. Bonaparte... Que la Montagne... prononce la mise hors la loi de Bonaparte, de ses ministres et des représentants félons de la majorité royaliste... Il faut que l'odieux guet-apens de Rome soit payé par le châtiment des coupables... Que d'un bout de la France à l'autre tous les bons citoyens se lèvent.

L'Assemblée, le 11 juin, vote l'ordre du jour pur et simple par 361 voix contre '203 sur une interpellation de Ledru-Rollin, relative aux affaires de Rome. ... Il est certain, disait l'orateur de l'opposition, que nous avions promis sous la Constituante de protéger son indépendance (de Rome) ; il est certain que par la Constitution nous avons déclaré que jamais nous ne porterions atteinte à la souveraineté, à la nationalité, à la liberté d'aucun peuple ; il est certain que par le vote du 7 mai l'Assemblée a décidé que l'expédition d'Italie ne pourrait pas être détournée plus longtemps du but qui lui avait été assigné par elle... Le gouvernement a manqué au plus sacré de ses devoirs ; il a violé la Constitution... ; une mise en accusation est le seul acte qu'on puisse diriger contre lui... Odilon Barrot répond : ... Laisser... consommer... à Rome une contre-révolution sous l'influence de l'Autriche ?... si la France l'eût fait, elle se serait en quelque sorte dégradée... elle eût menti à son origine ; déserter ainsi tous ses devoirs, tous ses intérêts, toute son influence en Italie... personne... personne ni dans l'Assemblée, ni hors de l'Assemblée, ne l'a proposé... Nous allons à Rome (disions-nous) parce que la République romaine ne peut pas vivre,... (pour) devancer l'Autriche, afin de prévenir une réaction et une restauration sans condition... La cause que nous soutenons à Rome, c'est celle de la liberté romaine... Ledru-Rollin remonte à la tribune et insiste sur ce fait que si le gouvernement français a déclaré qu'il ne reconnaîtrait pas la République romaine, qu'il ne la défendrait point, il a en même temps affirmé qu'il ne l'attaquerait pas. Il termine ainsi : Je dis que vous avez au front une tache de sang. (Sensation.) L'Assemblée a déclaré que vous n'étiez là que de simples observateurs, pour empêcher les Autrichiens, s'ils venaient, d'abuser de leur pouvoir... La Constitution a été violée ; nous la défendrons par tous les moyens possibles, même par les armes ![5] (Tumulte.)

Le 12 juin, l'Assemblée rejette la proposition déposée par la Montagne et tendant à la mise en accusation du Président de la République et des ministres.

Le 13 juin, dans la matinée, les murs de Paris se couvraient d'une proclamation adressée par la Montagne[6] au peuple français : ... Le Président de la République a déclaré la guerre à Rome sans le consentement de l'Assemblée nationale... Il a employé les forces de la France contre la liberté du peuple romain. Cette double violation de la Constitution est éclatante comme la lumière du soleil... La minorité de l'Assemblée (par suite du rejet de l'acte d'accusation) n'a plus qu'à rappeler au peuple, à la garde nationale, à l'armée, que l'art. 110 confie le dépôt de la Constitution... à la garde et au patriotisme des Français... Peuple, le moment est suprême. Tous ces actes révèlent un grand système de conspiration monarchique contre la République[7]. Des attroupements considérables se formaient sur la place du Château d'Eau ; des représentants du peuple se mettaient à la tête de plusieurs milliers de manifestants qui crient : Vive la Constitution ! Vive la Montagne ! Vive la République romaine ! Des barricades s'élèvent. Le général Changarnier, à la tête de deux régiments de cavalerie et de plusieurs bataillons d'infanterie, a facilement raison de cette manifestation. A la même heure, Ledru-Rollin et un certain nombre de représentants montagnards se rendaient au Conservatoire des arts et métiers pour y proclamer la déchéance de Louis-Napoléon et constituer un gouvernement provisoire. Des barricades sont construites dans les rues avoisinantes. La troupe, qui arrive bientôt, les enlève après une courte résistance et. s'empare du Conservatoire. Sept représentants : Maigre, Lamazière, Fargin, Fayolle, Pillies, Deville, Vauthier, sont arrêtés. Les autres, dont Ledru-Rollin, se sauvent par les fenêtres. L'émeute était vaincue[8]. A la fin de la journée, le Président de la République parcourt à cheval la ligne des boulevards, où il est acclamé. Il l'est à ce point que le lyrisme du journal le Dix Décembre (14 juin) ne connaît plus de bornes, et qu'il écrit le lendemain : ... L'enthousiasme populaire se révèle à nous dans toute sa magnificence... Il passe emporté dans l'acclamation du peuple et de l'armée comme dans un tourbillon triomphal... Un long cri d'amour roule et se prolonge ; l'ardent soleil de juin semble sacrer d'une auréole nouvelle l'élu de six millions de Français, qui veut, qui doit être le sauveur de la nation aux trente-six millions d'âmes. L'armée le suit, aimantée par ce nom qui résume toutes les gloires et toutes les garanties, et les citoyens le montrent en disant : Voilà l'espérance du pays qui passe !....[9]

Les journaux rouges : le Peuple, la Révolution démocratique et sociale, la Reforme, la Vraie République, etc., sont saisis et poursuivis. Leur publication est suspendue.

Le Président de la République adresse à la nation une proclamation : Quelques factieux, dit-il, osent encore lever l'étendard de la révolte contre un gouvernement légitime, puisqu'il est le produit du suffrage universel. Ils m'accusent d'avoir violé la Constitution, moi qui ai supporté depuis six mois, sans en être ému, leurs injures, leurs calomnies et leurs provocations. La majorité de l'Assemblée elle-même est le but de leurs outrages. L'accusation dont je suis l'objet n'est qu'un prétexte, et la preuve, c'est que ceux qui m'attaquent me poursuivaient déjà avec la même haine, la même injustice, alors que le peuple de Paris me nommait représentant du peuple et le peuple de la France président de la République. Ce système d'agitation entretient dans le pays le malaise et la défiance qui engendrent la misère. Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. La République n'a pas d'ennemis plus implacables que des hommes qui, perpétuant le désordre, nous forcent de changer la France en un camp, nos projets d'amélioration et de progrès en des préparatifs de lutte et de défense. Élu par la nation, la cause que je défends est la vôtre et celle de vos familles, comme celle de vos propriétés, celle du pauvre comme du riche, celle de la civilisation tout entière. Je ne reculerai pas.

La France entière, dit le Dix Décembre (15 juin), partagera l'élan que, ces nobles et fermes paroles ont excité ce matin dans Paris. La France comprendra, plus qu'elle ne l'a fait encore, le sens intime de cette grande élection du 10 décembre, expression providentielle de l'instinct du peuple. Louis-Napoléon vient de donner le gage éclatant qui complète aux yeux du pays le caractère de sa mission si élevée. La nation sait maintenant ce qu'elle a fait en saluant ce grand nom par un pressentiment sublime... La présentation (15 juin) des lois annoncées par le message va clore dignement cette chute d'anarchistes... Personne plus que le chef de l'État n'a médité sérieusement sur les questions qui intéressent la classe pauvre. Sa longue captivité s'est passée à cette sévère étude. La première application qu'il en fait aujourd'hui... ne sera pas le terme de la mission qu'il s'est donnée. C'est en lui que le peuple peut croire et espérer, car il a en lui un défenseur convaincu dont la foi ne s'est jamais démentie.

Le jour même de l'insurrection, l'Assemblée avait voté par 394 voix contre 82 la mise de Paris en état de siège. Elle autorise en outre successivement le gouvernement à poursuivre les représentants Ledru-Rollin, Victor Considérant, Boichot, Hattier, Landolphe, Ménand, Rougeaud, Jannot, Heitzmann, Rolland, Avril, Pflieger, Baume, Roujat, Boyer, Bopp, Hauffer, Anstlett, Louriou, Martin, Bernard, Gambon, James Demontry, Brives, Cantagrel, Kœnig, Commissaire... Quelque temps après, elle vote une loi autorisant le gouvernement interdire les clubs pendant un an, puis une loi restreignant la liberté sur la presse.

Le 10 juin, le maréchal Bugeaud était mort du choléra, après avoir reçu la visite du Président de la République, auquel il dit ces paroles rapportées dans tous les journaux : Je suis bien aise de vous voir, vous avez une grande mission à remplir. Vous sauverez la France avec l'union et le concours de tous les gens de bien. Dieu ne m'a pas jugé digne de me laisser ici-bas pour vous aider. Je me sens mourir.

Le Président va visiter les principaux hôpitaux de Paris : l'Hôtel-Dieu[10], le Val-de-Grâce, la Salpêtrière. Il parcourt les salles occupées par les cholériques, auxquels il adresse des paroles de consolation et d'encouragement, les interrogeant sur leur position et leur promettant de s'intéresser à eux et à leur famille. Nous avons vu, dit le Moniteur, des larmes de reconnaissance couler des veux de plusieurs d'entre eux, et il a quitté les salles au milieu des bénédictions de tous. A sa sortie de l'Hôtel-Dieu, une foule innombrable l'acclame. Au Val-de-Grâce, il décore un voltigeur blessé le 13 juin et un caporal infirmier auquel il dit : Qu'il n'est pas moins glorieux d'affronter ainsi la mort sans gloire de l'hôpital en secourant ses semblables que la mort du champ de bataille. Il se rend aussi aux hôpitaux Beaujon, du Gros-Caillou, Saint-Louis

Le Moniteur du 2 juillet insère une adresse du conseil général de la Seine-Inférieure au Président, au sujet des événements du 13 juin, pour le féliciter et pour lui exprimer la reconnaissance du département. Pendant que la France, encore émue des dernières tentatives des factieux, vous voyait d'un œil plus calme marcher avec fermeté et prudence à la réalisation des espérances que l'élection du 10 décembre a fait naître, l'insurrection armée la plus audacieuse est venue tout à coup menacer la propriété, la famille, la religion, la civilisation tout entière. Elle éclate le 13 juin. Le 13 juin, vous en triomphez avec une résolution et un courage dignes du grand homme qui vous a laissé son nom et son exemple. Grâces vous soient rendues au nom des principes et des droits sacrés qui allaient périr dans le naufrage des lois, au nom de nos familles... au nom de ces populations laborieuses que cette guerre impie aurait plongées dans l'oisiveté et la misère... Poursuivez, Monsieur le Président, la mission presque divine qui vous est confiée. Vous avez déjà conquis l'estime et la reconnaissance de la France ; les six millions de suffrages qu'elle a donnés à votre nom, dans lequel elle voyait un symbole d'ordre et de paix, elle vous les donne aujourd'hui à vous-même. Persévérez, vous êtes dans la voie des grandes choses... vous pourrez, suivant vos desseins, fonder la République sur des bases inébranlables, gloire immortelle plus précieuse à vos yeux que les vains honneurs d'une couronne fragile et que le laurier sanglant des batailles.

Le 6 juillet, le Président de la République assiste à l'inauguration du chemin de fer de Paris à Chartres. Il répond au toast du maire de cette dernière ville : ... C'est à Chartres que saint Bernard vint prêcher la deuxième croisade, magnifique idée du moyen âge, qui arracha la France aux luttes intestines et éleva le culte de la foi au-dessus du culte des intérêts matériels. C'est aussi à Chartres que fut sacré Henri IV, c'est ici qu'il marqua le terme de dix années de guerres civiles en venant demander à la religion de bénir le retour à la paix et à la concorde. Eh bien ! aujourd'hui, c'est encore à la foi et à la conciliation qu'il faut faire appel : à la foi qui nous soutient et nous permet de supporter toutes les difficultés du jour ; à la conciliation qui augmente nos forces et nous fait espérer un meilleur avenir. Ainsi donc : à la foi ! à la conciliation ! à la ville de Chartres ![11] Après les tentatives d'insurrection qui s'étaient produites à Paris et en province, et qui avaient jeté le trouble et l'effroi dans la population tout entière, ce langage si élevé et si sage venait avec un admirable à-propos rassurer le pays ; c'était pour l'âme de la nation effrayée par les proclamations enflammées de la Montagne, par les appels aux armes et par la guerre civile, un indicible rafraîchissement[12].

L'Assemblée vote[13], le 7 juillet, par 332 voix contre 148, une proposition de M. de Montalembert, tendant à l'abrogation de l'art. 67 de la loi du 22 mars 1831 qui interdisait le cumul du commandement de la garde nationale et de la troupe de ligne à Paris et clans le département de la Seine. Dans la discussion, le général Baraguey d'Hilliers avait dit : Que sera le ministre de la guerre devant le général commandant à Paris une force de 300.000 hommes ? Que sera le chef du pouvoir exécutif ? Que sera même l'Assemblée ? L'histoire nous fournit d'assez fréquents exemples des dangers que court le pouvoir législatif de la part du pouvoir exécutif... pour que cette hypothèse puisse être faite... N'a-t-on pas vu des assemblées sauter par les fenêtres ?... Si l'ordre est menacé aujourd'hui, la liberté peut l'être demain... Vous détestez l'anarchie, je ne la déteste pas moins que vous, mais je ne veux pas davantage du despotisme... — Le ministre, dit le représentant Lagrange, vient nous déclarer qu'il répond du général qui sera nommé... Il y a cinquante ans, il y avait aussi un ministère et un gouvernement responsables, et un général a fait le 18 brumaire !

Le 15 juillet, le Président se rend à Amiens pour présider à la distribution de drapeaux aux gardes nationales de la Somme. Il y en avait[14] qui avaient fait plus de quinze lieues pour assister à cette cérémonie. Depuis la vieille blouse gauloise jusqu'à la tunique moderne, depuis le vieux casque du sapeur-pompier jusqu'au shako des levées de 1792 et de 1813, depuis la pique nationale de 1791 jusqu'au mousquet, c'était un long défilé qui s'effectuait aux cris incessants de : Vive Napoléon ! Vive le Président de la République ! Chaque garde national portait dans le canon de son fusil un petit drapeau tricolore où l'on voyait le portrait du Président de la République, et levait son shako sur la pointe de son sabre en passant devant le chef de l'État. Après la revue, celui-ci, dans son trajet jusqu'à la cathédrale, est l'objet d'une ovation continue, et il y arrive après une marche véritablement triomphale. Et le soir, quand il retourne à l'embarcadère, accompagné par la population entière, les rues où il passe sont littéralement jonchées de fleurs.

Le 22 juillet, il arrive à Ham, où il assiste à un banquet qui est donné en son honneur. Le maire lui adresse les paroles suivantes : La ville de Ham... se rappelle avec reconnaissance votre bonté inépuisable à laquelle les malheureux n'ont jamais fait appel en vain... La France entière vous doit une reconnaissance éternelle pour tous vos efforts à rétablir l'ordre que de mauvaises passions avaient ébranlé jusque dans ses fondements... Le curé se lève à son tour : ... Vous avez conquis le dévouement et l'amour des habitants de cette paroisse aux jours d'épreuve ; ils s'associent avec le plus vif enthousiasme à votre élévation et à votre triomphe... Ils aiment à se rappeler les œuvres de charité et de bienfaisance que votre main généreuse a répandues ici de toutes parts... ils saluent en vous l'élu de la divine Providence qui veille sur notre belle patrie... Ce discours est un document historique qui a son importance, car il nous montre l'homme généreux que fut toujours Louis-Napoléon. Il donnait sans compter ; il donnait alors, et il était pauvre, et il ne puisait pas dans la bourse de l'État. Aux toasts du maire et du curé, le Président fait cette réponse, qui eut un grand retentissement : ... Aujourd'hui que, élu par la France entière, je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d'une captivité qui avait pour cause l'attaque contre un gouvernement régulier. Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entrainent de maux après elles, on comprend à peine l'audace d'avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d'un changement. Je ne me plains donc pas d'avoir expié ici par un emprisonnement de six années ma témérité contre les lois de ma patrie, et c'est avec bonheur que dans les lieux mêmes où j'ai souffert je vous propose un toast en l'honneur des hommes qui sont déterminés malgré leurs convictions à respecter les institutions de leur pays[15]. Il y avait là de sa part une condamnation pleine de crânerie des affaires de Boulogne et de Strasbourg, condamnation singulière, car il les avait autrefois déclarées légitimes, en se fondant sur ce que Louis-Philippe, porté au trône par une insurrection, était resté sans titre pour régner, attendu que son avènement n'avait jamais été consacré explicitement et directement par la nation entière. Peut-être voulait-il, en faisant amende honorable et en reniant tout procédé révolutionnaire, convier les conservateurs de toutes nuances à se rallier sous son drapeau.

Sur ces entrefaites, quelques députés déposent une proposition de prorogation de l'Assemblée. Un certain nombre de journaux prétendent qu'elle n'a d'autre but que de permettre au Président de faire un coup d'État, auquel il est entraîné par les ovations du voyage d'Amiens. D'après la Gazette de France (19 juillet 1849), l'Assemblée avait été très émue par les faits qui s'étaient passés dans cette ville. Le public (22 juillet), dit-elle, commence à se préoccuper de la probabilité d'une nouvelle crise dont l'ovation d'Amiens a fait entrevoir l'imminence et la portée. Une rumeur générale nous apporte les mots de coup d'État, d'intronisation soudaine, de 18 brumaire, d'aigle venant d'Alsace et volant comme au 20 mars de clocher en clocher. On sent que l'Assemblée ne peut plus contenir le pouvoir exécutif dans les rails d'une constitution décrétée. Ces rumeurs ont-elles leur cause dans l'ambition d'un parti qui... espère qu'un nouveau coup de vent venant aussi des campagnes l'élèverait plus haut encore ?... Il y a quelque chose qui pointe à l'Élysée... Serait-il vrai (1er août) qu'il existe un parti dont l'idéal est la reconstitution de l'Empire ? Nous sommes autorisés à le croire... (Que sera-ce alors ?)... L'Empereur fera des levées d'hommes et d'argent par décrets... Les conscriptions seront sans fin et sans limites... Il aura une garde impériale de 40.000 hommes, et des mameluks seront les plus près de sa personne. Il fera même la conscription des filles les plus belles et les mieux dotées de son empire pour les donner en mariage à ses officiers. Si quelques jeunes conscrits osent (déserter), il enverra sa gendarmerie... pour arrêter les père et mère, les sœurs, les tantes, les marraines, les amantes de ces réfractaires... Si le clergé se montre indocile... on arrêtera les cardinaux, les évêques, les vicaires généraux... on enverra des séminaires entiers dans les dépôts des conscrits réfractaires... Il faut aussi présenter au peuple les prestiges de la gloire militaire et envahir chaque année un royaume ou une province pour ne pas laisser à la servitude le temps de respirer et de réfléchir... Avec qui et avec quoi voudrait-on refaire le ci-devant Empire ?... Vous n'auriez qu'un gouvernement d'opéra. Cette longue révolution, commencée par la tragédie, finirait par une bouffonnerie qui serait sifflée par toute l'Europe, y compris la France. — L'Opinion publique remarque avec surprise que le Dix-Décembre, le Moniteur officieux de (l'Élysée), s'abstient scrupuleusement de chercher à dissiper les inquiétudes assez graves que les ovations bonapartistes inspirent à beaucoup de personnes, et estime que les journaux de l'Élysée devraient bien prendre la peine de rassurer ceux qui ne pensent pas que l'Empire soit une solution. Ce journal dit encore (7 juillet) : Où voulez-vous en venir ?... Personne, j'imagine, ne songe à ressusciter l'Empire ? L'Empire dort dans le sépulcre des Invalides avec le grand Empereur. Il vous faut une idole, et le Président de la République ne peut faire un pas sans que vous allumiez la flamme éternelle de votre enthousiasme à chaque borne de la route pour y brûler l'encens de votre idolâtrie ! Vous battez des mains, vous étes ivres de bonheur et vous nagez dans la joie. Tout est fini, plus de nuages au ciel, il ne reste plus qu'à dormir sur la foi des zéphyrs, en se plaçant dans la barque qui, comme le disait ce classique sous-préfet, porte César et sa fortune. Faites-nous donc grâce de vos bouquets composés de vieilles immortelles fanées, de vos feux réchauffés, de vos regains d'enthousiasme et de vos lieux communs courtisanesques puisés dans tant d'épopées dynastiques passées de mode. Quelque temps auparavant, le Siècle (25 juin) disait déjà : Le gouvernement serait appelé à remplir la même tâche qu'après le 18 brumaire... Et d'abord le 18 brumaire a été fait par un homme que son génie et sa gloire plaçaient déjà au-dessus de tous ses contemporains. Le Consulat sans le premier Consul n'est pas moins ridicule que ne le serait l'Empire sans l'Empereur. Fort heureusement pour la France, il n'y a point à organiser les préfectures, à relever les tribunaux, à négocier un concordat avec le Pape, à gagner les batailles de Marengo et de Hohenlinden... à dicter la paix d'Amiens à l'orgueilleuse Angleterre... Et plus tard (29 juillet) il écrit : Un coup d'État demain... ou dans deux ans !... Cette cruelle alternative, il dépend d'un seul homme de la faire disparaitre ; cet homme, c'est vous, Monsieur le Président... Vous partez... pour parcourir les provinces de l'Ouest, vous savez quelles sont les intentions qu'on prête à ce voyage. Nous n'y croyons pas. Dites... que vous déjouerez toutes les conspirations. Ne croyez pas vos flatteurs qui vous disent que... vous serez plus grand quand vous aurez échangé le titre légal de Président contre le titre usurpé d'Empereur... Rappelez-vous qu'on est plus grand le jour où l'on descend du pouvoir que le jour où l'on y monté... Rappelez-vous les paroles que vous prononciez vous-même il y a huit jours à peine... Ces paroles forment un engagement moral auquel vous ne pourriez manquer sans déshonneur... La Liberté (17 juillet) continue à reprocher au prince de n'être pas bonapartiste : Au profit de qui se ferait la Restauration ?... Qui donc aurait intérêt aujourd'hui à désirer l'Empire ? l'Empire avec les Falloux ! l'Empire avec les Thiers ! l'Empire avec les Fould ! l'Empire avec les boursicotiers de Louis-Philippe ! Taillé sur le patron du dernier règne, l'Empire deviendrait épicier. Il ne manquerait que ce dernier outrage au grand nom de Napoléon ! Le discours de Ham la révolte (25 juillet) : Que signifie ce mot de légitime tiré du vieux répertoire de la Restauration ?... Avant d'être au pouvoir, faire de l'opposition, invoquer les grands et nobles sentiments qui font vibrer le cœur du peuple, et puis, une fois au pouvoir, condamner son passé, poursuivre ses amis, trahir ses principes et ses propres intérêts, et se déclarer soi-même coupable !... Nous pensons bien (26 juillet) que MM. Vaudrey, Persigny, Conneau, et les autres compagnons de Strasbourg et de Boulogne qu'il a décorés... vont renvoyer leurs décorations, car on n'a jamais été décoré pour un crime, et le discours de Ham ne permet plus d'équivoque à cet égard... A cinq ans (27 juillet) de distance, il sera permis d'appeler régulier un gouvernement contre lequel on a fait trois volumes et deux insurrections. A cinq ans de distance, il sera permis de se précipiter aveuglément dans les bras des mêmes hommes qu'on livrait à la risée de la France et de l'Europe... A cinq ans de distance, il sera permis de retourner humblement au lieu même où on a écrit ces pages étincelantes de vérité et de les désavouer publiquement !... Quand on a soi-même contribué au renversement (d'une) constitution, quand on a travaillé à l'expulsion d'une dynastie, quand on l'a supplantée et remplacée, venir faire son éloge funèbre et exhaler des regrets posthumes en invitant tout le monde à respecter le gouvernement établi parce qu'on représente soi-même ce gouvernement, c'est rappeler trop naïvement cette remarque judicieuse d'un auteur contemporain : L'ordre, c'est ce que tout conspirateur demande quand il est arrivé au pouvoir... Reconnaître (28 juillet) en 1849 que le gouvernement de Louis-Philippe avait droit au respect de tous, c'est reconnaître que ce qu'on a voulu changer satisfaisait au besoin de la situation, c'est déclarer qu'on va l'imiter... L'Empire pour renouveler et continuer le règne de Louis-Philippe, mais à quoi bon ?... L'orateur de Ham... a voulu montrer... que son nom ne représentait plus rien... En reniant ses ouvrages, il a réfuté d'un mot les Idées napoléoniennes... On voit ce que promettent les prétendants et comment ils tiennent leurs promesses... Sous la signature vraie ou supposée du général R***, vieux soldat de la vieille garde (sic), la Liberté ajoute : Cette malheureuse déclaration aboutit... à la restauration des Bourbons... En effet, si c'est un crime de renverser un gouvernement établi, le grand Napoléon est coupable d'avoir fait le 18 brumaire qui sauva la France ! Il est coupable d'avoir substitué l'Empire à la République ! Il est coupable à son retour de l'île d'Elbe d'avoir chassé de la France la royauté de Louis XVIII ! Ainsi le grand homme est accusé par son neveu de ce triple attentat !... Ce n'est pas tout ! Au compte du Président, le peuple est coupable d'avoir pris la Bastille au 14 juillet, d'avoir détrôné Louis XVI, d'avoir, complice de l'Empire, expulsé le roi donné par la Sainte-Alliance, d'avoir brisé la couronne de Charles X en 1830, d'avoir démoli dans une heure le trône de Louis-Philippe, d'avoir rappelé la famille de Bonaparte[16]. — Pour la République (27 juillet), on ne fait pas un empereur â propos de rien... on fait un empereur au retour d'Aboukir ou de Marengo, on ne fait pas un empereur au retour de Chartres ou d'Amiens. Pour la Presse (20 juillet), il n'y a pas à s'inquiéter. Les réceptions les plus enthousiastes ne signifient rien. Sur ce même chemin, peu de temps avant la révolution de Février, Louis-Philippe fut reçu avec des acclamations telles que le soir même il écrivit à M. Guizot : Mon cher ministre, soyez béni ! Les acclamations trop bruyantes font qu'on n'entend pas ce qu'il faudrait entendre. Le Constitutionnel (1er août) proteste : On disait que Louis-Napoléon, sous prétexte d'inaugurations de chemins de fer, allait chercher en province des encouragements ft l'inauguration d'une dictature, et qu'après avoir recruté des suffrages pour... un nouveau 18 brumaire il ne manquerait pas de rapporter l'Empire ou tout au moins la Présidence à vie dans son wagon. La Montagne peut prendre ses vacances sans inquiétude. Les populations... n'ont pas voté un 18 brumaire... Il n'y a eu que des acclamations parfaitement constitutionnelles. — Nous ne saurions, disent les Débats (29 juillet), attacher une grande importance aux bruits de coups d'État... M. Dufaure a parlé de ces rumeurs avec le plus grand mépris, et il les a signalées comme des inventions absurdes, indignes d'occuper les hommes sensés, comme des commérages ridicules[17]. A l'Assemblée, M. Dufaure[18], en effet, dans la discussion relative à la prorogation, s'exprimait ainsi : Il y a un danger, nous dit-on. Voyez un peu les bruits de coup d'État qui circulent... Il est vrai que nous lisons tous les jours, que nous entendons tous les jours que des coups d'État se préparent, que c'est un empire qu'on veut restaurer... Ai-je le besoin de dire qu'il n'y a pas le moindre fondement à tous ces bruits ?... De bonne foi, le pouvoir ministériel n'est pas dans des mains qui aient donné lieu de croire qu'elles se prêteraient facilement à un coup d'État... Et comme on crie au ministre : On le fera sans vous ! On vous enverra à Vincennes ! il ajoute : Il n'y a pas plus d'idée, de désir de coup d'État dans quelque portion du gouvernement que ce soit que dans le ministère... Le discours de Ham n'est-il pas une énergique protestation ? Messieurs, quand on a pris des engagements pareils... on devrait être à l'abri de tous les soupçons et de tontes les calomnies... Le citoyen Théodore Bac ne partage pas la manière de voir du ministre : N'y a-t-il pas un Comité de pétitionnement pour l'appel à la nation ? Le journal le Pays ne dit-il pas : De toutes parts s'élève un cri qui a acquis depuis quelques jours une force imposante ; finissons-en, le travail fait défaut, la confiance ne renaît pas, le crédit est languissant, toutes les affaires sont en souffrance, finissons-en !... Il en est de ceci comme de toutes les expressions comprimées d'un besoin irrésistible, il grandit à chaque instant et se fortifie par la résistance même qu'il rencontre... Ce cri est national... la situation ne l'indique que trop, il la résume. — Ce système a déjà réussi une fois... après avoir renversé l'Assemblée constituante sous les efforts des pétitions, on espère renverser son œuvre, la Constitution...

L'Assemblée suspend ses travaux du 13 août au 30 septembre.

Les journaux anglais se font l'écho des bruits de coup d'État. Le discours (d'Amiens), dit le Morning Chronicle, a produit une vive sensation à Paris ; on regarde ce discours comme un prologue du mouvement impérialiste dont nous entendrons plus longuement parler avant peu... Suivant le Times, la courte prorogation de l'Assemblée est signalée... comme une preuve convaincante de l'existence d'un projet de coup d'État impérialiste. On nous dit qu'un de ces beaux matins, au saut du lit, nous verrons les murs de Paris couverts de placards annonçant qu'il a été jugé absolument nécessaire d'établir une forme solide et permanente de gouvernement... On ajoute que... (l'on a fabriqué) une grande quantité d'aigles en bronze (pour) les troupes... qui, semblables aux anciennes gardes prétoriennes, proclameront empereur le neveu de leur ancien chef. On fixe au 15 du mois prochain, jour anniversaire de la naissance de Napoléon, l'exécution de ce grand projet. Louis Blanc écrivait (15 juillet 1849) alors de Londres, dans une revue intitulée le Nouveau Monde : Entre deux grands pouvoirs, de même origine et de nature diverse, il est impossible que tôt ou tard la lutte ne s'engage pas... Lorsque le pouvoir flotte au hasard entre un homme et une Assemblée, on peut tenir pour certain que cette Assemblée porte avec elle un 10 août, et que cet homme a derrière lui un 18 brumaire. De quel vertige ont donc été saisis les inspirateurs de cette Constitution ?... Ils ont codifié l'anarchie... Un homme qui s'appuie sur le suffrage universel, qui dispose de l'armée, qui distribue les emplois, ne se laissera-t-il pas aller aisément à regarder la Constitution comme une toile d'araignée ?... (Néanmoins) l'œuvre historique de l'Empire est aujourd'hui terminée. Non, non, il n'est pas de main qui puisse désormais soulever la pierre de ce tombeau. Est-ce l'œuvre de votre oncle avec la guerre... ? Il faut pour cela une autre Europe et un second demi-dieu. Est-ce l'œuvre de votre oncle moins la guerre ? Mais c'est le despotisme moins la gloire, ce sont les grands seigneurs tout couverts de broderies moins les soldats tout couverts de cicatrices ; ce sont les courtisans sur nos têtes moins le monde à nos pieds ; c'est un grand nom moins un grand homme ; c'est l'Empire moins l'Empereur. Lamartine, dans le Conseiller du peuple (29 juillet 1849), examine et traite longuement la question d'un coup d'État : Qu'entendez-vous dire depuis six semaines ? Le gouvernement va faire un coup d'État... Il va un beau matin entourer le palais de l'Assemblée de troupes fanatisées par une vieille ombre d'Empire endormie depuis trente-trois ans dans les catacombes des Invalides... On ira chercher le Président, on le proclamera Empereur héréditaire... On fera appel au peuple pour ratifier... Voilà le plan... absurde que la calomnie des uns, les espérances secrètes des autres, la bêtise de tous prêtent... au Président... Je n'en crois pas un mot... j'ai été de tous les Français le plus ombrageux, pendant qu'on faisait la Constitution, contre le nom de Bonaparte... je craignais que l'introduction d'un homme... qui... avait manifesté dans sa première jeunesse des prétentions au trône... n'offrit un chef à une faction de plus... je demandai moi-même la continuation de l'exil... Je ne connaissais pas personnellement le prince... les années l'avaient mûri... les adversités l'avaient transformé... J'ai vu, j'ai lu, j'ai écouté, j'ai observé, j'ai connu depuis le Président, (et)... j'ai cru apercevoir... un homme à la hauteur de ses devoirs envers le pays... un homme d'État d'un coup d'œil juste et serein, un bon cœur, un grand bon sens, une sincère honnêteté d'esprit, une modestie qui voile l'éclat et non la lumière... Je crois que la République a eu la main heureuse et qu'elle a rencontré un homme là où elle cherchait un nom ! La Providence a mis sa main dans le scrutin. (On peut lui dire :) Quoi ! vous vous appelez Bonaparte, et vous ne briseriez pas ces liens de Lilliput ?... et vous vous arrêteriez devant ce crime éblouissant et pardonné d'avance que le lendemain transforme en vertu ou en empire et qu'on appelle un 18 brumaire ?... Et vous redescendrez humblement du pouvoir... pour vous perdre dans les rangs des citoyens vulgaires ?... Mais pourquoi donc êtes-vous monté si vous vouliez redescendre ? Mais vous savez bien que de pareils noms ne redescendent pas ! Mais vous voyez bien que le pays lui-même a su ce qu'il faisait en vous tentant par son élection ! Il vous a dit tacitement : La République m'inquiète... je te mettrai si près d'un sceptre que tu n'auras qu'à étendre la main pour le prendre... Tu seras coupable devant la Constitution. Oui. Mais je veux que tu sois coupable ! Ose ! prends ! règne ! je ne t'ai placé à la tête de la République qu'à la charge... de la confisquer ! C'est l'escabeau que j'ai mis moi-même sous tes pieds pour atteindre au trône[19]... Préférer une misérable parodie du 18 brumaire, un calque de gloire derrière la vitre de l'Élysée, un plagiat sans honneur d'empire à la gloire... de dévouer un grand nom à un grand peuple, de contribuer à fonder la liberté moderne... je ne l'en soupçonne pas... je le soupçonne de ce qui est sensé et non de ce qui est absurde, de ce qui est grand et non de ce qui est misérable... Tous les rêves sont possibles... Qu'après sept ans d'anarchie, de terreurs, de proscriptions, d'échafauds, de supplices... un jeune général, couvert de gloire, attendu et appelé comme le second Messie, (fasse un coup d'État et réussisse, cela se comprend)... Mais à quelques mois d'une révolution de quelques heures... qui s'est faite d'elle-même... (alors que) la République n'a coûté ni une goutte de sang, ni une proscription, ni une confiscation, ni un centime extorqué, ni un cheveu dérobé à la tête d'un seul citoyen... (alors que) le peuple consulté a élu le pouvoir exécutif, et que celui-ci d'accord avec l'Assemblée travaille à reconstruire l'administration... Que dans une telle absence de raisons ou de prétextes l'armée vienne dire : Vous voulez la République, je veux l'Empire. 'Non, je ne le croirai jamais avant de l'avoir vu !... Et croient-ils donc, ces rapsodes de coup d'État, que l'armée soit sans conscience, sans réflexion, sans respect... sans honneur ? L'armée n'est plus... une milice vénale... recrutée parmi les étrangers et les vagabonds... elle obéit, mais elle raisonne son obéissance... (D'ailleurs,) si dans trois ans le pays trouve que la période de durée du pouvoir exécutif est trop limitée, (la révision n'est-elle pas là ?)... Pourquoi donc alors demander au crime ce que la légalité... assure ? aux coups d'État ce que permet la Constitution ?... Rien de plus juste que cette dernière réflexion. Le prince, étant donnée sa popularité, devait alors espérer que la révision aurait lieu et qu'elle le mènerait un peu plus tôt ou un peu plus tard, sinon tout de suite, à l'Empire, au moins au Consulat. Oui ne l'aurait pas cru à voir le cours des événements ? Mais cet acharnement de la presse à parler toujours d'un coup d'État, s'il n'en a pas donné l'idée au Président, a pu grandement y habituer son esprit et y préparer l'opinion publique.

A la fin de juillet, le Président inaugure le chemin de fer d'Angers à Tours. Le Moniteur[20] rapporte qu'une immense population, accourue de tous les points du département du Loiret, s'est portée à sa rencontre, que les acclamations les plus enthousiastes n'ont cessé de se faire entendre, et que depuis Orléans jusqu'à Angers la voie était bordée par une haie humaine. Ces ovations, dit-il, sont une nouvelle consécration de son élévation à la présidence et prouvent d'une manière éclatante qu'il a su justifier par ses actes les suffrages de la France entière. A Angers, l'évêque adresse au prince une allocution où l'on remarque ces mots : En ce moment, sur une autre terre, votre nom encore est béni, et aux accents de tout un peuple arraché à l'oppression se mêle la voix auguste du Pontife vénéré que la Ville éternelle réclame. Au banquet qui lui est offert par la municipalité de cette ville, il montre, dans sa réponse au toast du maire, le désir de fusionner toutes les opinions politiques à. l'abri de son drapeau : Vos acclamations s'expliquent parce que je représente ce système de modération et de conciliation inauguré par la République, ce système qui consiste non à implanter cette liberté sauvage permettant à chacun de faire ce qu'il veut, mais la liberté des peuples civilisés, permettant à chacun de faire ce qui ne peut pas nuire à la communauté. Sous tous les régimes il y aura, je le sais, des oppresseurs et des opprimés ; mais tant que je serai Président de la République, il n'y aura pas de parti opprimé[21].

Malgré le mauvais temps, toute la population d'Angers assiste à l'embarquement du Président pour Nantes. Les quais, les ponts, les parapets sont couverts de monde dans toute la longueur de la ville. Au signal du départ, une immense acclamation s'élève des deux côtés du rivage : Vive Louis-Napoléon ! Les populations riveraines de la Maine et de la Loire se portent en foule sur le passage du bateau à vapeur et sans cesse font entendre le même cri. A défaut d'artillerie, le son des cloches et les décharges de mousqueterie saluent le chef de l'État devant chaque ville, devant chaque bourg, devant chaque village. A Saint-Florent, le prince fait arrêter le bateau à vapeur, et se découvre devant le monument élevé en l'honneur de Bonchamp, le héros vendéen. Quand il arrive à Nantes[22], il est salué par les acclamations frénétiques d'une foule immense qui se presse sur ses pas, à ce point qu'il a peine à se frayer un passage, et cela malgré une pluie torrentielle... Il se rend au banquet qui lui est offert et répond au toast qui lui est porté : Le voyage que j'ai fait pour venir ici... restera profondément gravé dans mon cœur, car il a été fertile en souvenirs et en espoir. Ce n'est pas sans émotion que j'ai vu ce grand fleuve derrière lequel se sont réfugiés les derniers glorieux bataillons de notre Grande Armée ; ce n'est pas sans émotion que je me suis arrêté devant le tombeau de Bonchamp ; ce n'est pas sans émotion qu'aujourd'hui, assis au milieu de vous, je me trouve en face de la statue de Cambronne. Tous ces souvenirs, si noblement appréciés par vous, me prouvent que si le sort le voulait, nous serions encore la grande nation par les armes ! Mais il y a une gloire tout aussi grande aujourd'hui, c'est de nous opposer à toute guerre civile et à toute guerre étrangère, et de grandir par le développement progressif de notre industrie et de notre commerce... Soyons unis, oublions toute cause de dissension... et bientôt nous serons encore la grande nation par les arts, par l'industrie, par le commerce. Était-il possible d'offrir au pays une politique plus séduisante ? Ne parlait-il pas le langage de la raison même ? A Angers, il ouvre les bras à tous les partis ; à Nantes, il répudie toute idée belliqueuse et se pose en Napoléon essentiellement pacifique dont la mission sera de maintenir l'ordre et de travailler au développement des grands intérêts du pays. — Mais les journaux républicains ne sont pas contents. Il est impossible, dit le Siècle, à ce qu'il paraît, de faire sortir de la bouche de M. Louis-Napoléon Bonaparte le mot de République. De Nantes, après s'être arrêté à Saumur, où il déclare que l'esprit militaire est dans les temps de crise la sauvegarde de la patrie, il arrive à Tours[23], où l'affluence des populations environnantes est considérable. Le Président y prononce un discours destiné à un grand retentissement : Les acclamations dont je suis l'objet me touchent bien plus qu'elles ne m'enorgueillissent. J'ai trop bien connu le malheur pour ne pas être à l'abri des entraînements de la prospérité. Je ne suis pas venu au milieu de vous avec une arrière-pensée, mais pour me montrer tel que je suis, et non tel que la calomnie veut me faire. On a prétendu, on prétend encore aujourd'hui à Paris que le gouvernement inédite quelque entreprise semblable au 18 brumaire. Mais sommes-nous donc dans les mêmes circonstances ? les armées étrangères ont-elles envahi notre territoire ? La France est-elle déchirée par la guerre civile ? Y a-t-il quatre-vingt mille familles en émigration ? Y a-t-il cent mille familles mises hors la loi pour la loi des suspects ? Enfin la loi est-elle sans vigueur et l'autorité sans force ? Nous ne sommes pas dans des conditions qui nécessitent de si héroïques remèdes... Confiez-vous donc à l'avenir, sans songer ni aux coups d'État ni aux insurrections. Ces coups d'État n'ont aucun prétexte, les insurrections n'ont aucune chance de succès... Ayez confiance dans l'Assemblée nationale et dans vos premiers magistrats qui sont les élus de la nation, et surtout comptez sur la protection de l'Être suprême... — Son passage à Tours, dit M. de Lamartine dans le Conseiller du peuple (4 août 1849), est marqué par un discours qui a été un coup d'État de loyauté et de patriotisme contre le coup d'État d'usurpation dont le poursuivait la crédulité publique. Dans ce discours, le Président a pour ainsi dire renouvelé à la face du pays le serinent qu'il a prêté à la République devant l'Assemblée constituante. Après une si solennelle déclaration, toute défiance serait une injure, et tout soupçon une calomnie. Le Moniteur, en reproduisant le discours présidentiel, vante la noblesse et l'élévation de la pensée, le ton de franchise et de modestie qui règnent d'un bout à l'autre, la loyauté, la fermeté et la sagesse de la politique qui y est exposée. Pour la Presse, le toast et l'article du Moniteur que tout le monde lira ont l'importance d'un véritable événement politique... et suffisent pour nous inspirer la plus absolue confiance et la sécurité la plus entière... L'Assemblée nationale (4 août), infère des manifestations populaires que la France veut être gouvernée. — On aura beau nier l'évidence, dit-elle, on aura beau expliquer à sa manière et dénaturer la signification de ces cris, de ces faits, on ne pourra les détruire, on ne pourra les arracher de la mémoire de nombreux témoins, on ne pourra étouffer les germes qu'ils contiennent pour la révision de la Constitution... Les discours du Président ont donné un éclatant démenti à d'injustes accusations. Le Président a déclaré nettement qu'il n'y aurait point de coup d'État... Ce qui nous frappe le plus dans ce voyage, c'est la pensée d'union qui semble avoir présidé à toutes les paroles, à tous les actes du Président... C'est remplir une mission féconde que de travailler à la fusion de tous les partis. Pour le Pays (4 août), il n'y aura de révolution ni par en haut ni par en bas... Demandez au pouvoir s'il lui est nécessaire d'en appeler à la force pour asseoir une autorité que tous implorent comme le navigateur aspire après le port. Demandez au chef de l'État s'il n'a pas trouvé dans l'accueil des populations, à Troyes, à Amiens, à Chartres et sur les bords de la Loire, tous les éléments de l'avenir... Laissez donc au National, au Siècle et aux autres journaux rouges le privilège des coups d'État... L'élection du 10 décembre a signalé à la France le port du salut ; au jour dit elle saura en franchir l'entrée, et l'acclamation nationale qui saluera sa délivrance n'aura rien de révolutionnaire... — L'Union (2 août) loue la modération et la modestie du prince.

Le Président revient à Paris par Rennes, où l'adjoint au maire le supplie de persister avec courage dans le devoir impérieux de défendre le pays contre les fureurs des partis anarchiques, puis par Blois, où l'évêque l'appelle l'élu providentiel, et le tribunal de commerce le sauveur de la patrie. Le Moniteur fait suivre la relation de ce voyage de la Loire des réflexions suivantes : Ce voyage présenté comme le prélude d'une violation prochaine de la constitution donne au contraire le démenti le plus éclatant aux bruits absurdes dont l'opinion publique était émue. Le Président a prononcé des paroles qui feront disparaître l'inquiétude que, par d'indignes manœuvres, l'on s'efforce de répandre. Il est impossible de se défendre d'une pensée amère contre ces hommes qui, spéculant sur l'anxiété publique, répandent des bruits de complots imaginaires. Tout le monde reconnaît que l'événement caché dans le mot mystérieux de coup d'État serait le signal de la guerre civile dans cinquante départements. Ce n'est point là de la passion politique, ce sont des armes que les lois de l'honneur, les notions les plus simples de la morale interdisent. Les hommes qui se font de cette sorte un jeu de la tranquillité et de la prospérité de la France sont répudiés par tout ce qui est honnête ; c'est la lie des partis... ce sont les enfants perdus de l’intrigue... la langue n'offre pas de termes assez énergiques pour les caractériser.

A cette époque, la Gazette de France (3 août 1849) publie un curieux article où elle déclare que tous les projets vrais ou faux de coups d'État, de révision de la constitution, de prorogation avortent par la divulgation du plan véritable de M. Thiers et de ses amis, qui est[24] d'arriver par une présidence de dix ans à la majorité du comte de Paris... On sait, ajoute-t-elle, que dix années de la république actuelle sont plus que suffisantes pour user le pouvoir présidentiel. Ainsi le peuple est averti que derrière la présidence de dix ans il y a l'usurpation orléaniste. Ce n'est pas à l'Empire qu'on pousse la France, c'est au régime d'arbitraire, de corruption et d'exploitation renversé en février 1848. C'est ce qui explique comment les orléanistes favorisent les velléités napoléonistes... Rien n'était plus vrai ; pour les conservateurs en général, pour l'orléanisme et M. Thiers en particulier, le Président faisait le jeu et devait se montrer bon prince[25].

Après avoir descendu le cours de la Loire, le Président descend le cours de la Seine, il se rend à Rouen (12 août). Il est vêtu de l'uniforme de général de la garde nationale et est accompagné de Changarnier. Aux environs de Poissy, les gardes nationaux font la haie sur un si long parcours que le Président fait arrêter le train et les passe en revue. Les musiques jouent l'air : Veillons au salut de l'Empire, et le cri de : Vive Napoléon ! sort de toutes les bouches. Dès qu'il est arrivé à Rouen, la première chose qu'il fait est de se rendre à la cathédrale pour y entendre la messe. Il est reçu par l'archevêque, qui lui dit : Nous sommes heureux de voir vos premiers pas dans notre ville se diriger vers la maison du Seigneur. C'est un gage des pieux sentiments qui vous animent et qu'on aime à trouver dans le chef d'un grand peuple. Vous avez rendu la paix à la patrie en associant heureusement l'ordre et la liberté. Vous avez rendu la joie à l'Église en relevant par l'effort de vos (sic) armes l'autorité temporelle de son saint et bien-aimé pontife. Que de motifs pour faire éclater notre reconnaissance Que de motifs pour multiplier nos prières !... De la cathédrale, le Président se rend à la préfecture, traversant[26] les flots d'une population enthousiaste. Le soir, il assiste au banquet de l'hôtel de ville, où le maire, M. Fleury, lui porte un toast où il fait l'éloge du premier Empire et qu'il termine ainsi : A Napoléon ! A son neveu appelé aussi pour sauver la France et la civilisation, et qui justifie si bien les espérances de la patrie...[27] Le Président répond : Ce qui empêche notre prospérité de se développer, c'est que le propre de notre époque est de nous laisser séduire par des chimères au lieu de nous attacher à la réalité... Plus les maux de la société sont patents, et plus certains esprits sont enclins à se jeter dans le mysticisme des théories... s'agit de donner à la société plus de calme et de stabilité. Vous avez bien jugé en pensant que le neveu de l'homme qui a tant fait pour asseoir la société sur ses bases naturelles, ne pouvait pas avoir la pensée de jeter cette société dans le vague des théories.

Le Siècle (14 août 1849) ne peut accepter le toast du maire de Rouen. Ainsi, dit-il, la France était perdue, irrévocablement perdue, si, les affaires de Boulogne et de Strasbourg prenant des proportions sérieuses, M. Louis Bonaparte avait pavé sa tentative de sa rie. Ainsi la France était perdue, irrévocablement perdue, si Louis-Philippe n'avait pas été généreux. En vérité, il est temps d'en finir avec ces exagérations toutes faites qui servent à tous les princes. Lui dire qu'il est indispensable au salut du pays, c'est le tromper... Qui empêche notre prospérité de porter tous ses fruits ? C'est quiconque rêve des chimères, comme, par exemple, un empire sans l'Empereur.

De Rouen[28], le Président se rend au Havre. Sur toute la ligne, là encore, les populations bordent le chemin de fer et saluent d'acclamations enthousiastes. A Graville[29], il monte en voiture ; jusqu'au Havre, la route est occupée des deux côtés par une file de gardes nationaux dont les fusils sont décorés de drapeaux imprimés du portrait de l'Empereur ou <le bouquets multicolores. A Bolbec, il trouve la garde nationale musique en tète, les pompiers, les douaniers ; plus de sept cents hommes sont sous les armes. A Ingouville, le clergé l'attend sous un dais ; à son arrivée, des voix s'élèvent et appellent sur lui les bénédictions du ciel. — C'était, dit le Moniteur, un spectacle émouvant qui amenait des larmes bien douces dans tous les yeux. — A sa sortie d'Ingouville, il passe sous un arc de triomphe. Au Havre, cinquante mille personnes sont sur pied. Toutes les fenêtres sont ornées de drapeaux, toutes les rues sont garnies d'arbustes fleuris, tous les navires sont pavoisés. A la revue, aux régates, au banquet, le Président est acclamé. Partout où il passe, les femmes agitent leurs mouchoirs et le couvrent de fleurs. Dans sa réponse au toast du maire, il insiste sur ce que sans la stabilité, il ne peut y avoir de prospérité publique Il va à Elbeuf ; avant l'entrée de la ville, une centaine de Sœurs sont agenouillées le long de la route, ont les mains jointes, et prient sur le passage du Président. Il passe en revue les gardes nationaux de la région. Quatorze mille ouvriers des fabriques environnantes y assistent, entourent le prince et l'acclament sans discontinuer. Il visite ensuite une de ces, fabriques, celle de M. Victor Grandin, où un ouvrier en blouse le harangue : Au 10 décembre, nos ateliers étaient déserts, nos souffrances inouïes. La volonté nationale vous place à la tête de l'État, et cette heureuse inspiration ramène, avec l'ordre et la confiance, l'activité de l'industrie qui nous fait vivre... Acceptez notre profonde reconnaissance, comptez sur nos bras et sur nos cœurs. A Louviers, nouvelle revue, où figurent quelques vieux braves de l'Empire. Le Moniteur, en relatant la réception faite par cette ville, ajoute : Ce qui n'a pu passer inaperçu, c'est que le portrait de Louis-Napoléon est dans chaque atelier.

Le journal du président du conseil, l'Ordre, apprécie ainsi le voyage du prince (15 août) : Il restera toujours de ces démonstrations spontanées auxquelles d'innombrables populations et plusieurs de nos grandes citées industrielles et commerciales viennent de prendre part, un encouragement précieux pour l'homme qui a si noblement commencé une tâche grande et difficile. Les feuilles dévouées à la présidence vont plus loin et se demandent pourquoi l'homme qui est acclamé comme un sauveur et reçu partout comme un triomphateur, cesserait après quatre années d'être le chef de l'État, et par quels motifs la constitution ne serait pas révisée. Cet homme, dit le Pays (15 août), ce chef qui a été placé à la barre par un équipage sur le point de périr, il est là, debout, fort de la confiance et de la sympathie du pays ; il veut et il peut beaucoup ; on croit en lui, on le voit, on l'écoute, on lui parle ; il se montre, il voyage, il visite nos villes manufacturières. De l'Est à l'Ouest les ouvriers et les gardes nationales, l'armée, la magistrature se pressent autour de lui, l'accueillent avec sympathie, avec effusion. Ces symptômes deviennent graves et ne font pas l'affaire des vieux partis. La reconnaissance populaire, la mémoire des services rendus, l'espoir d'un temps calme succédant à un temps d'orage, tout cela détruit bien des calculs, met à néant bien des ambitions. Comment, cette position se fortifierait ! Ce rôle, qui ne devait être que le rôle d'un jour, grandirait encore ! Il ne s'agirait plus seulement de conjurer la foudre, mais d'asseoir l'autorité, la faire vivre et durer ? Halte-là, s'il vous plaît !

De son côté, le Dix-Décembre (11 août 1849) s'exprime ainsi : Non, pas de coup d'État, pas de 18 brumaire ; à quoi serviraient-ils ? L'Assemblée connaît les désirs, les tendances, les nécessités de la France, et sa conduite prouve qu'elle entend leur donner satisfaction. Donc, pas de 18 brumaire, pas de coup d'État, puisque le pays, les représentants et le chef de l'État ont des pensées et des espérances communes... (qui) se résument dans une amélioration de ce qui est, et principalement clans une révision de la constitution. Quoique étranger aux étudès politiques, le peuple des campagnes sent qu'il faut au pays un pouvoir fort et stable, et il voit très bien que la constitution ne le lui donne pas. Ce qui le révolte surtout, c'est la nécessité d'exclure du pouvoir dans trois ans l'homme providentiel qui a sauvé la France du chaos du 10 décembre, et dont la fermeté a vaincu le communisme au 13 juin... L'idée de tout remettre en question de quatre ans en quatre ans... est donc une idée extravagante, ruineuse, anarchique... N'est-il pas clair que la clause portant qu'il ne peut pas être réélu, indépendamment de l'ingratitude monstrueuse qu'elle consacre, rejette la France dans tous les hasards révolutionnaires dont elle a tant de peine à sortir ?... Comme rien au monde n'oblige un homme ni un pays à se tuer, la France a le droit incontestable d'écarter ce qui fait obstacle à sa vie... Pense-t-on (15 août) que ce soit inutilement que de 1815 à 1848 les armées impériales aient envoyé ces infatigables missionnaires qu'on appelle les vieux soldats et qui prêchent nos campagnes pendant les longues veillées de l'hiver ou les loisirs de la moisson ?... A côté du légionnaire de Marengo, d'Austerlitz, qui conduit la charrue, mettez donc le chevalier de Saint-Louis..., puis vous demanderez au contingent rangé en bataille sur le tertre du village, dans un moment où l'ennemi menacera nos frontières, quel est celui des deux hommes qu'il écoutera au milieu du sifflement des balles... Et le Dix Décembre ajoute, s'associant à ceux qui demandent que le 15 août soit consacré à fêter Napoléon Ier : Chacun n'aurait que des applaudissements à donner à l'entraînement qui pousserait la France à se réunir pour célébrer la fête du héros impérial. Jamais chef a-t-il joué un rôle plus grand dans le monde que Napoléon ? Jamais guerrier a-t-il rendu plus dé services à sa patrie, sans parler de l'auréole lumineuse dont il a entouré son nom ? Les finances ruinées rétablies, le commerce protégé et développé, l'agriculture encouragée, les sciences, les arts donnant des moissons fécondes, la paix intérieure assurée, l'ennemi rejeté loin du sol français..., que de motifs pour rendre le nom du captif de Sainte-Hélène cher aux fils de ceux qui ont reçu ses bienfaits ! La destinée de ce grand homme a été de sauver son pays à cieux reprises. Mort comme vivant, Napoléon est présent parmi nous... à défaut de sa personne, sa mémoire combat pour nous et nous protège... Le journal légitimiste l'Opinion publique[30] répond au Dix Décembre : Le Napoléon de la guerre, où est-il ? Quant au Napoléon de la paix, Louis-Philippe a usé de ce nom et escompté ce rôle... L'Empire, c'est Iéna, c'est Austerlitz, c'est Wagram, c'est Marengo... Oui, voilà l'Empire vu dans le lointain..., mais approchez de plus près du tableau..., guerre à l'orient, guerre à l'occident, guerre au midi, guerre au nord, guerre partout, son règne n'est qu'une guerre incessante, qui ne laisse en paix ni la France, ni l'Europe. Sa gloire est semblable à cette statue de Moloch dans le corps d'airain de laquelle on jetait les générations naissantes. Il vit de la mort. La conscription, cet insatiable Minotaure, sans cesse assouvi, toujours affamé, est debout à sa droite, réclamant chaque jour une nouvelle proie. La Police, divinité ignoble, se tient à sa gauche, enveloppant dans son filet taché de boue et de sang toutes les libertés, épiant les secrets des familles..., recourant à tout, même à la torture... C'est ainsi qu'il gouverne. L'aigle descend de la nue pour s'allier à la fouine... Voilà aussi l'Empire... Une terrible malédiction s'attache à Napoléon, la malédiction des mères... Leurs enfants, elles savaient qu'elles les élevaient pour la mort... lin pauvre enfant du peuple mourant avant l'âge disait à ses parents désolés : Pourquoi pleurez-vous ? Encore quelque temps, il m'aurait fallu mourir de fatigue, de faim ou de froid sur quelque champ de bataille... Je meurs entouré de vos soins, cela ne vaut-il pas mieux pour vous et pour moi ? — Les demeurants de cette époque ont conservé le souvenir de cette lutte affreuse, impie, des préfets contre les familles. La population était mise en coupe réglée. Les hommes manquaient, on faisait partir les enfants... C'est là ce qu'il ne faut jamais oublier quand on parle des gloires de l'Empire. Ces lauriers qui semblent si beaux vinrent sur un fumier de cadavres. Le monde est bouleversé, ensanglanté, pour que Naples, Rome, Madrid, la Westphalie, la Hollande, reçoivent les frères de Napoléon, sorte de caporaux couronnés. Il ne peut gouverner que par le prestige de la gloire et le joug de la police ; aussi le niveau moral de la conscience descend, toutes les têtes s'inclinent, la pensée perd son indépendance, et la parole sa liberté... Il n'y a plus qu'un homme libre dans l'empire, c'est l'Empereur !... Un seul revers suffit pour tout abattre ! La France de Louis XIV est entamée... Enfin quand l'Empire finit, l'Europe est à Paris. Les chevaux des Baskirs boivent l'eau de la Seine !... Voilà l'Empire ![31]...

Le Dix Décembre (16, 17 août) n'accepte pas le terrible réquisitoire de l'Opinion publique :... Les nécessités de guerres héroïques, ignorez-vous qu'il les subissait par votre faute, ce demi-dieu qui, après avoir terrassé l'anarchie, allait porter à l'univers l'idée du devoir et de la liberté étouffée par vous depuis mille ans ?... Les mères, dites-vous, l'ont maudit... Oui, c'est vrai, la France a eu un jour de lâcheté et d'ingratitude, jour affreux, jour infâme dont il faudrait effacer le souvenir avec le plus pur de nos larmes ! Oui, la France a eu un jour fatal où, comme a dit le poète, nos femmes étalaient leur poitrine au regard d'un Cosaque et faisaient flotter leur mouchoir au vent de la folie et de l'ingratitude pour saluer ces jeunes officiers en corset, vos alliés, tout ensanglantés de notre sang ! Oui, la France a eu ce jour de lassitude comme le Christ est tombé sur les Genoux en portant sa croix... Mais vous, vous étiez les bourreaux qui insultiez ce nouveau Christ à la veille de son agonie ! Vous applaudissiez... à la patrie meurtrie et déchirée, et folle à force de douleur. Son martyre était votre joie... Ouvrez la porte des chaumières et voyez quelle image est suspendue au-dessus du foyer avec une branche de buis bénit, et ne vous hâtez pas de parler de la malédiction des mères ! Il dit encore (22 août) :... Le fond du gouvernement de Napoléon ne fut... pas le prestige de la gloire, qui le poursuivit plutôt comme une fatalité ; ce qui fut la base de l'idée napoléonienne, ce qui sera son éternel honneur, c'est la facilité avec laquelle tous les talents trouvaient leur place dans son système de gouvernement. Le fond même de son gouvernement fut l'accès impartial du pouvoir au mérite et au talent.

Le Moniteur du soir, organe du ministère, dément les bruits de coup d'État, d'appel au peuple, et notamment d'une campagne de révision entamée avant le temps légal. La Gazette de France (21 août) résumait ainsi ce qu'elle appelait le programme de la camarilla de l'Élysée : 1° vœu des conseils généraux de -voir prolonger de dix ans les pouvoirs du Président ; 2° vote par l'Assemblée de la présidence décennale ; 3° présidence à vie ; 4° Empire. Le Moniteur du soir (18, 19 août) déclare qu'une agitation en faveur de la révision serait un acte révolutionnaire, et espère que les conseils généraux, composés d'hommes intéressés au maintien de l'ordre, ne voudront pas donner le signal du mépris et de la violation des lois. La République est le gouvernement de la France, ajoute-t-il ; dans notre ferme conviction, c'est son gouvernement définitif, et bien abusés sont ceux qui, s'imaginant qu'un grand peuple a fait un pareil pas pour reculer, rêvent une autre forme de gouvernement.

Par décret du 15 août étaient nommés dans la Légion d'honneur, au grade de commandeur : le lieutenant-colonel Laborde (19 août), le commandant Mésonan ; d'officier : le chef d'escadron de Bruc ; de chevalier : Brifaut, ancien capitaine de cavalerie ; Aladenize, commandant le 6° bataillon mobile en Corse. Le prince avait auprès de lui Forestier comme trésorier, Bure comme intendant, et Thélin comme premier valet de chambre.

 

 

 



[1] Odilon BARROT raconte dans ses Mémoires (t. III, p. 277) qu'après l'élection de l'Assemblée législative il avait remis au Président de la République une note où il disait : Si l'on veut éloigner des esprits toute défiance, toute idée de coup d'État..., il faut prendre des hommes qui rassurent par leurs antécédents et leur caractère... Le Président lui aurait répondu par une contre-note ainsi conçue : ... Il faut choisir des hommes dévoués à ma personne même, depuis les préfets jusqu'aux commissaires de police... Il faut surveiller tous ceux avec lesquels M. Dufaure a été au pouvoir... il faut destituer la plupart des agents qu'il a nommés... il faut enfin réveiller partout, non le souvenir de l'Empire, mais de l'Empereur, car c'est le seul sentiment avec lequel on puisse lutter contre les idées subversives. Pour remplir ce but, je ne crois pas que M. Dufaure soit l'homme approprié à la situation... à l'intérieur je veux un homme énergique et dévoué... Ainsi donc, si M. Dufaure consent à entrer à un ministère quelconque, j'en serai très reconnaissant ; mais sinon, non ! J'étais opposé à l'adjonction de M. Dufaure ; vos raisons m'ont convaincu, mais je n'ai consenti à son entrée dans le ministère qu'autant qu'il ne serait pas ministre de l'intérieur. Sur l'insistance d'Odilon Barrot, le Président finit par céder.

[2] Le Conseiller du peuple, par LAMARTINE.

[3] Ancien consul à Barcelone, où il avait fait preuve de courage et d'intelligence dans des démêlés avec Espartero ; chargé par le gouvernement provisoire de représenter la France à Madrid.

[4] Le 30 juin, Rome se rendait à discrétion.

[5] Le National : Dans un discours sobre, concis et nerveux, l'orateur de la gauche a fait justice des incroyables arguments du commis principal de M. Bonaparte...

[6] Proclamation portant cent vingt-deux signatures.

[7] La Montagne adressait à la démocratie allemande une adresse où on lisait : ... Frères, espoir et persévérance ! bientôt, clans une fraternelle étreinte sur les ruines des trônes et des privilèges, deux grands peuples pourront s'écrier, pleins du saint enthousiasme de la victoire : Allemagne et France ! pour la paix et le bonheur de l'humanité !

[8] Comme elle l'était partout en province et notamment à Lyon, où la lutte dura six heures et où 80 militaires et 150 insurgés furent tués ou blessés.

[9] Accompagné de sept ou huit généraux et escorté d'un piquet de lanciers... A son apparition sur la place de la Concorde... la foule se pressa autour de lui, tellement compacte que le cortège ne pouvait avancer qu'au petit pas ; des vivats enthousiastes étaient poussés de toutes parts... Le Président rentra à l'Élysée à six heures du soir, enchanté et peut-être enivré de l'accueil que lui avait fait la population. Il répondait moitié sérieusement, moitie en riant, au général Changarnier, qui le complimentait sur le succès de la journée : Oui, général, la journée a été bonne, très bonne, mais vous m'avez fait passer bien rapidement devant les Tuileries. (Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 302.)

[10] Il parait alors sur cette visite à l'Hôtel-Dieu une chanson en cinq couplets avec gravure représentant Louis-Napoléon au chevet d'un malade :

Dieu fit ton âme et confiante et bonne,

Avec Grand cœur on a toujours beau jeu.

Élu du peuple, espoir de la patrie,

Vers le bonheur, oui, tu nous conduiras !

[11] ... flots de populations pour voir et acclamer le Président... Les toits, les arbres, les terrasses étaient couverts de monde... chapeaux agités en l'air, cris enthousiastes... (Voir le Dix-Décembre, numéro du 7 juillet 1849.)

[12] Quand le Président, allant à Chartres, passa à Rambouillet, le sous-préfet, M. Peschiews-Bisson, lui adressa une allocution qui contenait ces paroles : Le wagon qui porte César et sa fortune. Le lendemain, M. Dufaure le destituait.

[13] Le 19 mai, l'Assemblée nationale avait voté en sens contraire.

[14] Cent cinquante mille personnes étrangères à la ville étaient venues assister à cette réception. (Gazette de France, numéro du 19 juillet 1849.)

[15] L'effet produit par le discours de Ham est immense. Tous les doutes sont aujourd'hui dissipés... L'histoire a rarement fourni de tels exemples de noble sincérité. (Dix-Décembre, numéro du 26 juillet.

[16] La Liberté rappelle qu'à la mort du duc de Reichstadt le prince, pour se conformer aux volontés de l'Empereur, signa du nom de Napoléon-Louis et s'écria : Pourquoi déroger aujourd'hui à cet usage ? Sacrifier le nom de Napoléon à celui de Louis indique des tendances rétrogrades qui ont une bien triste signification !

[17] Néanmoins, le Moniteur insère une note, évidemment émanée du ministère, où il est dit : Le Président de la République ne peut qu'être flatté de recevoir les félicitations des autorités, mais il serait de beaucoup préférable que les adresses lui fussent reluises sans être prononcées.

[18] Séance du 28 juillet. (Voir le Moniteur.) Dans cette séance, M. Pascal Duprat dit : Je n'accuse pas le Président de la République ; je crois à sa loyauté, je crois qu'il respectera le pacte fondamental qu'il a juré, car si je crois à la parole humaine, j'y crois surtout quand elle prend dans un serment public le caractère même d'une parole religieuse... Mais il y a aujourd'hui à Paris une société qui s'adresse aux ouvriers, à l'armée, à la bourgeoisie, et qui dit : Pesez sur l'Assemblée, adressez-lui des pétitions ; il faut que la Constitution soit changée. En voici les statuts. Préambule : Une cause incessante de crainte et de trouble dans les esprits et dans les affaires... servant à encourager les plus mauvais projets, les plus coupables espérances, c'est le peu de durée du pouvoir exécutif ; il le faudrait à vie... Article 4. Le bureau devra : 1° faire circuler dans Paris et présenter à domicile des listes imprimées... portant le nom, la profession de l'adhérent, son vœu sur les titres à réclamer, président ou consol ; 2° envoyer ces listes dans tous les départements ; 3° répandre des brochures sur la nécessité d'élire à vie le pouvoir exécutif, etc. Et l'orateur reprend : Il ne s'agit plus ici de simples rumeurs... Oui, la République est assiégée, et lorsqu'on vous demande de vous proroger, on dit à la République d'abandonner la forteresse où elle se défend contre ses ennemis...

[19] Il ne faut pas se lasser de le dire, quelque contrariété qu'on en éprouve. Ce que Lamartine donne comme une erreur était pourtant la vérité même : le 10 décembre 1848, ce n'est pas un président de la République que le peuple avait élu, mais un empereur !

[20] Gazette de France du 2 août : ... Une population nombreuse et enthousiaste n'a cessé de l'accompagner de ses vivats. — 3 août : La tribune se tait, comme pour laisser la parole aux ovations présidentielles. La vie semble passer d'un pouvoir à l'autre...

[21] D'après le Siècle (numéro du 1er août 1849), le prince montait à Angers le cheval qu'avait monté le duc de Nemours dans une circonstance analogue. — La Cour d'Angers salue son élection comme une inspiration providentielle des comices populaires.

[22] Le Président a été accueilli avec un véritable enthousiasme, aux cris de : Vive Napoléon ! Il y a eu aussi des cris nombreux de : Vire l'Empereur ! (Journal des Débats, numéro du 2 août — Le Pays, 3 août.) A Nantes, dit le Siècle (voir aussi le Pays du 3 août), quelques cris de : Vive l'Empereur ! D'après le Siècle (7 août), le ministre de l'intérieur avait enjoint aux fonctionnaires de ne crier que : Vive la République ! Vive la Constitution ! rien de plus ; le cri de : Vive Napoléon ! était proscrit.

[23] Odilon BARROT (Mémoires, t. III, p. 361, 362) raconte que le prince avait emmené dans ce voyage, comme dans les autres d'ailleurs, une femme qu'il avait connue à Londres, dont il avait plusieurs enfants, et qui s'était fixée non loin de l'Élysée ; qu'arrivée à Tours, elle avait été logée dans la maison du receveur Général M. André, alors aux eaux, et que celui-ci s'en était plaint dans une lettre à Odilon Barrot, où il disait : ... Serions-nous donc revenus à cette époque où les maîtresses des rois promenaient leurs scandales à travers les villes de France ! — Cet incident ne mérite d'être rapporté qu'à cause de la lettre écrite par le Président à Odilon Barrot, qui lui avait soumis celle de M. André : Je m'avoue coupable de chercher dans des liens illégitimes une affection dont mon cœur a besoin. Cependant, comme jusqu'à présent ma position m'a empêché de me marier, comme au milieu des soucis du gouvernement je n'ai, hélas ! dans mon pays dont j'ai été si longtemps absent ni amis intimes, ni liaison d'enfance, ni parents qui tue donnent la douceur de la famille, on peut bien me pardonner, je crois, une affection qui ne fait de mal à personne et que je ne cherche pas à afficher. Cette lettre ne révèle-t-elle pas lumineusement la nature intime du prince, faite de douceur et de bonté ? Que d'autres, à sa place, auraient vertement remis à sa place le Joseph Prudhomme d'Odilon Barrot, ou tout au moins n'auraient pas écrit cette épitre étonnante d'humilité, semblable à celle qu'un fils soumis et repentant écrirait à son père !

[24] Souligné (sic).

[25] C'est à cette époque qu'Alfred d'Almbert publie chez Fume, 22, boulevard Montmartre, et Goubaud, 43, rue Vivienne, le Dictionnaire politique napoléonien : opinions, pensées, maximes extraites des ouvrages de Louis-Napoléon.

[26] Voir le Moniteur.

[27] Mots soulignés dans le Moniteur. — Tous ceux qui le haranguaient ne -manquaient jamais de saluer en lui le sauveur de la France, de rappeler l'exemple du premier Napoléon, et de glorifier le coup d'État du 18 brumaire comme pour l'inviter à en faire autant. (Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 360.) Le premier président de la Cour de Rouen, M. Franck-Carré, celui qui avait requis contre le prince à la Chambre des pairs dans l'affaire de Boulogne, le saluait en ces termes : .... Vous prouvez à tous... qu'une prédestination mystérieuse réserve au grand nom de Napoléon la gloire de sauver deux fois la France du désordre et de l'anarchie...

[28] A Rouen, il remet la croix à un soldat du 3e léger qui veut se mettre à genoux ; il l'en empêche en lui disant : Un soldat ne doit se mettre à genoux que devant Dieu ou dans les feux de peloton.

[29] Adresse du curé : Nous bénissons la divine Providence qui nous donne la grâce de contempler et de féliciter aujourd'hui le protecteur de la religion et le libérateur de l'auguste chef de l'Église.

[30] Numéro du 15 août. — Il dit encore à ce sujet : Tandis que tous les remueurs de pavés, les destructeurs de gouvernements et les héros de coins de rue ont eu leurs fêtes... leurs apothéoses insolentes, Napoléon, la gloire, la grandeur de la France, le sauveur de la civilisation, l'organisateur de la société, celui-là même qui du fond du tombeau semble nous avoir encore protégés, Napoléon n'a eu qu'une messe basse aux Invalides...

[31] Le journal le Temps (10 août) disait : Qu'on ne parle plus de l'Empire militaire, c'est un anachronisme aussi vieux pour le moins que l'épopée carlovingienne... (Alors) comment s'y prendra-t-on pour fonder le despotisme à l'intérieur ?... Concevez-vous en plein dix-neuvième siècle un empereur... disant au peuple : C'est moi qui penserai, qui parlerai, qui agirai pour toi. Je confisque ta liberté, ta dignité, ta puissance, et en échange tu n'auras rien, pas même un peu de gloire. Allons donc, cet empereur-là serait la plus grossière des anomalies, la plus grotesque des absurdités...