NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XII. — LE PRINCE ET L'ASSEMBLÉE NATIONALE

20 DÉCEMBRE - 26 MAI 1849.

 

 

II

Campagne contre l'Assemblée. — Avant soutenu l'élection du général Cavaignac, elle devait disparaitre. — Proposition Rateau tendant à la convocation d'une nouvelle Assemblée pour le 19 mars ; rapport Grévy tendant au rejet ; discussion ; M. Billault ; Odilon Barrot ; prise en considération par 400 voix contre 396. — Le Siècle se demande si le prince, en poussant à la dissolution, suit une bonne politique, s'il n'est pas dupé par la droite. — C'est la thèse des journaux rouges qui déclarent que le prince travaille inconsciemment pour Henri V. — La planche napoléonienne. — La Liberté, organe républicain-bonapartiste, dénonce une intrigue philippo-légitimiste que joue Odilon Barrot. — Sincérité du prince. — Ce que dit M. de Falloux. — La presse modérée approuve le vote de l'Assemblée. — Circulaires d'Aristide Ferrère. — Élection du vice-président de la République ; M. Boulay de la Meurthe ; son discours d'installation. — Réceptions à l’Élysée. — Partout le prince est acclamé ; il fait don de 50.000 francs à une société de constructions ouvrières. — Annonces des journaux. — Lune de miel entre le Président et Changarnier. — L'Histoire du Consulat et de l'Empire de Thiers. — L'Assemblée refuse au ministère le droit de fermer les clubs ; note du Moniteur ; le cabinet reste an pouvoir. — Saisie du journal le Peuple. — La Révolution démocratique et sociale. — 29 janvier, quarante-sept représentants demandent la mise en accusation du ministère. Avortement d'un mouvement insurrectionnel. — Le Président est acclamé sur les boulevards. — Le journal de Changarnier, l'Assemblée nationale, et les Débats défendent le Président attaqué par les journaux rouges. — La question de la dissolution revient devant l'Assemblée ; Jules Favre ; M. Combarel ; 416 voix contre 405 la votent. — 3 février, interpellation de M. Perrée, rédacteur en chef du Siècle, qui n'admet pas que le ministère mis en minorité reste au pouvoir ; Odilon Barrot soutient que, le Président étant responsable, l'Assemblée n'a pas le droit de faire et de défaire les ministères. — Odilon Barrot est battu par 407 voix contre 387. — La responsabilité du chef de l'État et celle du ministère sont-elles incompatibles ? — Si des ministres ne démissionnent pas, l'Assemblée n'est-elle plus souveraine ? — Le ministère, de nouveau battu, ne démissionne pas. — Seconde lecture de la proposition Rateau : Félix Pyat la combat ; Lamartine et Dufaure l'appuient. — L'Assemblée adopte la proposition Lanjuinais, qui fixe les nouvelles élections après le vote de la loi électorale. — 462 voix contre 359 repoussent une demande d'enquête sur la journée du 29 janvier. — Opinions des journaux.

 

Dès le lendemain de l'élection présidentielle, l'Assemblée nationale était mise en demeure de se dissoudre. Tous les journaux qui avaient soutenu la candidature du prince marchaient contre elle comme un seul homme. Ni les lumières, ni les talents, ni la probité, ni le courage ne lui manquaient, mais elle ne représentait vraiment plus l'opinion du pays. La grande majorité de ses membres s'était encagée à fond dans la lutte électorale en faveur du général Cavaignac, dont la défaite devait dès lors entraîner la retraite de l'Assemblée. Le pays lui avait implicitement, mais formellement, signifié son congé[1]. — Un député, M. Rateau, avait déposé une proposition tendant à ce qu'une nouvelle Assemblée, dite législative, fût convoquée pour le 19 mars. Une commission avait été nommée, et, en son nom, M. Grévy avait, dans un rapport, conclu au rejet. Dans la séance du 12 janvier la discussion s'engage devant l'Assemblée. M. Billault appuie ces conclusions. Il les justifie ainsi : L'Assemblée est un obstacle permanent aux tentatives contre-révolutionnaires ; c'est pour cela qu'on la poursuit et qu'on prétend qu'elle est un obstacle pour l'exercice du pouvoir exécutif... Le Président de la République, n'avant pas une confiance suffisante dans la majorité de cette Assemblée, a choisi une partie de ses ministres dans les rangs des diverses opinions qui l'avaient porté à la présidence. Dès lors... il est tout naturel que le ministère n'ait pas la confiance entière de la majorité... Si... l'élu du 10 décembre a le droit de dire aux élus du mois d'avril : Retirez-vous, je représente une opinion plus récente que celle qui vous a élus, les élus du mois de mars auront le droit, par le même motif, de dire au Président : Retirez-vous, élu du 10 décembre ! M. Odilon Barrot n'eut pas de peine à démontrer combien cette argumentation était spécieuse et erronée ; seulement il eut la main un peu lourde : Dans la situation où vous êtes, dit-il, après qu'une grande partie de l'Assemblée n'a pas gardé la neutralité dans une question où elle ne s'est pas trouvée d'accord avec la majorité du pays, je dis qu'il n'y a pas de gouvernement... qui puisse entreprendre une législation d'avenir, qui puisse commencer avec vous... (Vive interruption.) C'est la Constitution qui, se plaçant non dans les abstractions, mais dans la réalité des choses, a prévu un pouvoir constituant... ayant la toute-puissance, et qui a compris qu'en face d'un tel pouvoir le pouvoir exécutif était gêné clans son action, dans son indépendance, dans son avenir. (Bruit.) Deux mois se sont écoulés depuis la promulgation de la Constitution... quelle est la loi organique que vous avez faite ? (Explosions de murmures à gauche et au centre gauche. Longue agitation. Cris : A l'ordre ! à l'ordre !)... Au fond, n'êtes-vous pas résistants, opposés à la fixation d'un terme à vos travaux, et n'y a-t-il pas dans cette résistance... un sentiment de défiance du jugement du pays ?... Il y a une résolution à prendre, je le sais, et voilà pourquoi j'insiste. Je n'accuse pas votre patriotisme, égaré selon moi. (De nombreux murmures interrompent violemment l'orateur, dont la voix est longtemps couverte par l'agitation.)... La question, la grande question que vous avez à vous poser est celle-ci : Est-il utile dans l'intérêt du pays que l'incertitude continue à peser sur l'époque à laquelle devront cesser les pouvoirs de l'Assemblée ? Cette question est posée, je fais un appel à vos consciences de bons citoyens pour la résoudre. (Approbation à droite.)

L'Assemblée, par quatre cents voix contre trois cent quatre-vingt-seize, prend en considération la proposition Bateau.

Le Siècle (15 janvier 1849) jette au prince un cri de : Garde à vous !... En apparence, dit-il, on écarte l'Assemblée afin d'en avoir une autre qui soit un meilleur appui pour le Président, mais en réalité c'est au pouvoir de celui-ci qu'on s'attaque ; en apparence on veut consolider ce qui existe... mais en réalité c'est une révolution nouvelle qu'on a en vue... (Ce qu'on prépare, c'est)... une restauration de la légitimité... l'Assemblée actuelle (est) un obstacle... (on compte trouver un) auxiliaire dans (l')Assemblée future... Le président actuel n'est pas moins intéressé, à présent, que son concurrent n'aurait pu l'être, à fermer le cercle des révolutions. Le succès des machinations qui se trament en quelque sorte à ciel ouvert ne peut en effet commencer que par sa chute. Ses amis assurent qu'il se tient pour averti. Les journaux rouges exhalent leur fureur. La Démocratie pacifique dit (12 janvier 1849) : La réaction marche à découvert... M. Bonaparte, abandonné... par ses ministres qui le livrent aux adversaires de la République, aux partisans de la légitimité..., seul, isolé eu face d'une Chambre nouvelle où les aspirations monarchiques pourront se trouver en immense majorité, est dès à présent frappé d'impuissance et de mort en même temps que l'Assemblée. Il faudrait que nous devinssions bien maladroits, disait un royaliste en sortant de l'Assemblée, si, d'ici à la fin de l'année, nous ne ramenions pas Henri V. — La Révolution démocratique et sociale écrit (3 janvier 1849) : Le Président veut la dissolution... Le pauvret ne se doute pas de ce qui lui en reviendrait... Infatué de son nom le fétiche croit à une longue adoration du peuple... — Le National (20 janvier 1849), à son tour, démasque le jeu du parti conservateur : Ces messieurs voient dans le haut pouvoir dont ils cherchent à être les inspirateurs ou plutôt les suzerains politiques un moyen de transition, ce qu'ils ont appelé avec une si impertinente naïveté une planche napoléonienne... Que le Président de la République y songe... on semble étayer complaisamment sa puissance, mais en réalité on en sape les fondements et on mine sous lui le sol républicain... La réaction est arrivée au pouvoir avec M. Louis Bonaparte, cela est vrai ; niais il n'est pas moins vrai qu'elle veut aller plus loin que lui et que, si on ne l'arrête bientôt, elle lui passera par-dessus la tête. Voilà ce que tout le monde sent, ce que les réactionnaires eux-mêmes disent assez ouvertement dans leurs moments de distraction et de franchise. — Les véritables amis de Louis-Napoléon — s'écrie la Liberté (26 janvier 1849) au nom des républicains bonapartistes — ceux qui ont voulu faire de lui sérieusement un président de la République, croient plus que jamais qu'en s'abandonnant aux hommes de la régence, à ces hommes qui, avant de se rallier à lui in extremis, disaient que son élection serait une honte pour la France, il s'abandonne à ceux-là mêmes qui l'ont deux fois trahi et livré, et qui sont prêts à le trahir et à le livrer encore. Ce journal ajoute (9, 18 et 23 janvier 1849) qu'Odilon Barrot — qu'il qualifie de premier eunuque du cabinet, de majestueux niais, derrière lequel se cachent les traîtres in partibus de la troupe... d'austère ergoteur, de ministre posthume de Louis-Philippe —, s'il ne trahit pas lui-même, est très certainement le compère le plus entêté qui ait jamais paru sur la scène politique. Une nouvelle grande journée des Dupes se prépare... l'intrigue philippo-légitimiste sera chassée des positions qu'elle a si habilement su prendre... Louis Bonaparte sera autre chose que le garde-place de Henri V ou du comte de Paris... Seule la politique napoléonienne concilie l'ordre avec la liberté ; seule elle traduit les vœux et les pensées de la France du dix-neuvième siècle ; née de la guerre, mais d'une guerre sainte, puisqu'elle avait pour objet la défense du territoire... cette politique... tend irrésistiblement vers la paix... Au dedans, la politique napoléonienne s'inspire de cette organisation sans pareille dans l'histoire où se résument, coordonnés par la main de son immortel fondateur, tous les principes et toutes les idées de la grande génération de 1789. Si le suffrage du 10 décembre a été réellement monarchique, il nous est du moins permis de croire que ce n'a pu être au profit de votre principe suranné, encore moins au profit du principe bâtard des philippistes... De deux choses l'une : ou le peuple a voulu faire un empereur, ou il a voulu consacrer la République par un nom qui représente... l'ordre, la propriété, la famille et les grands principes... Encore une fois, quel rapport l'une ou l'autre de ces intentions ont-elles avec le droit divin ou la quasi-légitimité des philippistes ?

Rien de plus juste que ces dernières réflexions. On a beaucoup reproché au prince sa duplicité ; mais personne ne jouait franc jeu ; et, à ce moment, le plus sincère peut-être, c'était lui, qui ne visait pas encore à l'Empire, s'il songeait déjà à la prolongation de ses pouvoirs. Quoi qu'il en soit, légitimistes, orléanistes, bonapartistes, n'admettaient pas que la République pût vivre, et tous, tous, la condamnaient à disparaître à brève échéance. Depuis l'élection du 10 décembre, dit M. de Falloux — Le parti catholique. Ce qu'il a été. Ce qu'il est devenu. Paris, Ambroise Bray, éditeur, 1856, p. 36 —, la République n'était plus qu'un mot ; la France venait de porter contre elle un verdict presque unanime ; son intégrité ressemblait à celle de l'Empire ottoman, prolongeant une vie fictive par l'impossibilité de régler à l'amiable son héritage. C'était ce malade que les successeurs divisés s'appliquent eux-mêmes à maintenir dans les apparences de la vie, jusqu'à ce que le plus impatient d'entre eux étende sa main, rompe l'accord et jette le gant. Personne ne pouvait prévoir... combien durerait... cette situation bizarre, cette suspension d'hostilités toujours imminentes.

Les organes de la presse modérée approuvent le vote de l'Assemblée.. D'après la Gazette de France, après avoir assuré l'ordre matériel, les alliés du 10 décembre se préparent à affermir l'ordre moral en nommant de nouveaux représentants et en donnant la sanction à la constitution de la France. Quand le vote universel aura fait ces deux évolutions, qui pourra encore inquiéter cc pays ? — Le langage du Constitutionnel est le même. — L'Assemblée nationale déclare que le parti modéré est le maître de la situation, qu'il peut faire triompher sa volonté quelle qu'elle soit, qu'il exige la dissolution de l'Assemblée qui a fait son temps et qui a usé son mandat jusqu'à la corde.

En même temps le groupe ardent des hommes de 1836 et de 1840, des amis de la première heure, s'adressait aux départements par la plume d'Aristide Ferrère, comme il avait fait avant l'élection présidentielle :la...Tous vos soins(l), disait-il, doivent... être consacrés à choisir des hommes nouveaux pris autant que possible dans vos campagnes et qui reproduisent à l'Assemblée la pensée de ce grand parti national napoléonien auquel il n'a fallu qu'un jour et un drapeau pour montrer toute sa puissance... n — Et encore : Électeurs des campagnes et ouvriers !... vous disposez de cinq millions cinq cent mille suffrages. Élevez donc le drapeau napoléonien... Il ne faut pas cette fois être les dupes des hommes de Louis-Philippe et laisser envahir l'administration par une coterie parisienne qui depuis dix-neuf ans exploite tous les pouvoirs, et dont l'expérience si vantée n'a pu empêcher la chute de deux dynasties et ne préserverait pas davantage le gouvernement que vous avez fondé. Il est donc essentiel... que les fruits de la nouvelle victoire ne soient pas recueillis par les soi-disant habiles du juste milieu, et que vous obteniez enfin une administration départementale napoléonienne... Chers électeurs et frères, (il faut)... exiger des candidats une déclaration explicite de dévouement à la famille de Napoléon...

— D'après l'art. 70 de la Constitution l'Assemblée nationale devait nommer un vice-président de la République sur la présentation de trois candidats faite par le chef de l'État dans le mois qui suivait son élection. Dans la séance du 18 janvier, le prince proposait en première ligne M. Boulay de la Meurthe, en deuxième ligne le général Baraguay d'Hilliers, en troisième ligne M. Vivien, tous trois représentants du peuple. Quand le ministre de l'intérieur *donna lecture de cette proposition, l'Assemblée accueillit par des rires les deux premiers noms. Une partie de la presse fit de même. Nous voudrions, dit le National[2], parler sérieusement d'un acte du gouvernement, qui aurait dû être sérieux ; (il y a là...) un irrévérencieux manque d'égards pour l'Assemblée... (un) exercice dérisoire de la prérogative présidentielle... L'Assemblée, qui ne pouvait raisonnablement s'attendre à de si impertinentes invraisemblances, a laissé échapper malgré elle des exclamations de surprise et d'incrédulité. Nous ne nous serions jamais doutés que la désignation à une candidature aussi élevée pût être un brevet de ridicule. C'est pourtant ce qui est arrivé... (il y a là) un manque de déférence et de respect de la part du chef du pouvoir exécutif envers la majorité d'une grande Assemblée...

Le conseil des ministres avait soumis au prince une autre liste sur laquelle figuraient notamment Arago, Lamartine ; mais Louis Bonaparte avait alors tiré de sa poche un petit papier[3] où il avait inscrit d'abord M. Boulay de la Meurthe[4]. Les ministres furent profondément surpris et n ne purent s'empêcher[5] de témoigner qu'ils ne prenaient pas au sérieux un tel nom pour une telle fonction. Le Président ne broncha pas, d'un mot sec maintint son choix... ; et le ministère dut s'incliner. Pour la seconde fois en quelques jours on pouvait voie que sous le chapeau il y avait une tète.

Dans la séance du 20 janvier, M. Boulay de la Meurthe fut élu par 417 voix sur 695 votants. Il prononça alors le petit discours suivant : ... Je considère d'abord (cette élection) comme une preuve de la déférence de l'Assemblée pour ce qu'elle a cru être le vœu du premier magistrat de la République ; j'y vois une protestation contre cette hostilité si malheureusement, si étrangement présumée... ; j'y vois encore un autre enseignement, c'est le devoir qui m'est imposé de consacrer toutes mes facultés, tous mes efforts à l'affermissement de la République. Je le ferai avec loyauté, avec persévérance, avec conscience, et, si les circonstances l'exigeaient, avec énergie. Le seraient que je viens de prêter devant vous, j'y serai fidèle, et je ne déserterai pas le terrain de la Constitution... Croyez-moi, citoyens, si j'ai su lire dans le noble cœur du Président de la République, il a compris que le plus grand honneur qui pût échoir à un homme, c'est de s'appeler Napoléon Bonaparte, d'être l'élu du peuple français, et d'affermir la République... Ce discours a son importance, car il fut évidemment soumis à l'approbation préalable du Président, qui tenait ainsi, par l'organe de son coadjuteur, à rééditer solennellement ses propres déclarations. Comment admettre qu'il ait voulu employer à nouveau un langage aussi explicite s'il avait d'ores et déjà songé à l'Empire ? — Quant à la nomination de M. Boulay de la Meurthe, le National (21 janvier 1849) disait : Ce vote a un sens politique et réfute d'une manière éclatante toutes les accusations d'hostilité contre le Président qu'on faisait peser sur l'Assemblée. Elle a voulu saisir la première occasion qui s'offrait à elle de prouver qu'elle... n'est guidée dans sa politique par aucun mobile d'opposition personnelle contre l'homme en qui, au contraire, elle respecte l'élu de la nation... Il n'empêche qu'elle avait ri, et que cet accueil moqueur était peut-être plus blessant qu'un refus qui, d'ailleurs, n'était pas légalement possible. Aussi, dans son humeur[6] contre ce choit qui lui paraissait ridicule, elle réduisit le traitement de ce vice-président à un chiffre vraiment humiliant.

— La popularité du prince n'était pas atteinte par ces difficultés du début. On voyait à l'Élysée des représentants de toutes nuances : MM. Larabit, Boulay de la Meurthe, Jules Favre, de Montalembert, Considérant, de Larcy, de Tocqueville, Duvergier de Hauranne, de Rémusat, Thiers, Berryer, Baze, Sénart, Billault, de Corcelles, de Lasteyrie, etc. Le 14 janvier, le Président se rend à une représentation de Rachel au Théâtre-Français ; à son entrée dans la salle, tous ]es spectateurs se lèvent et l'acclament. Le lendemain, il visite le Val-de-Grâce et l'Hôtel-Dieu ; sur le parvis Notre-Dame une foule énorme le salue au passage de vivats enthousiastes. Il n'oublie ni la jeunesse des écoles, ni les travailleurs du peuple, en allant, le 26, à l'École polytechnique et dans plusieurs établissements industriels, comme aussi en remettant cinquante mille francs à une Société de construction de cités ouvrières[7]. Il va inspecter le quartier de cavalerie du quai d'Orsay, il est acclamé par la foule, comme aussi par les dragons qui Garnissent toutes les fenêtres de la caserne.

Les journaux, même ceux qui, comme les Débats (18 janvier 1849), se tiennent sur la réserve, contiennent des annonces de ce genre : Librairie du boulevard Montmartre ; au peuple, à l'armée et aux 3.500.000 électeurs qui ont voté pour Louis-Napoléon ; étrennes vraiment napoléoniennes : ALMANACH DE NAPOLÉON. Dessins de Charlet et de Raffet. Un million d'exemplaires ayant été tirés, on peut en livrer jusqu'à 10.000 à la fois. — Dans le même journal (22 janvier) : Eau Napoléon composée pour l'Empereur par M. Deyeux, son premier pharmacien, sur la demande de Corvisart, cher Tamisier, place Vendôme, 25. — Au sujet de la première de ces annonces, le Constitutionnel (12 janvier) disait : Par le temps qui court, l'immense succès qu'obtient l'Almanach de Napoléon est plus qu'un prodige. Un million d'exemplaires a été tiré, et il n'en restera pas un seul... dans quelques jours... Le calendrier des batailles passionne surtout l'ami de la gloire française qui, à chaque date, trouve un combat, presque toujours une victoire. 365 triomphes par an, cela est bien beau. L'Almanach de Napoléon... est destiné à devenir le bréviaire de tout vieux ou jeune militaire on civil...

Qui ne conspirait pas pour le Président ? Changarnier lui donnait le bras pour le conduire de l'Élysée à la messe de la Madeleine. Thiers mettait à profit les circonstances pour mettre en vente[8] la première livraison illustrée de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, avec cette annonce dans les journaux : Chez Paulin, éditeur, rue Richelieu, 60... Les souvenirs de l'histoire impériale éveillés récemment... donnent... une valeur d'à-propos à l'ouverture d'une nouvelle souscription. Ces souvenirs vivants dans l'instinct national veulent être justifiés par la démonstration historique, 'et il n'est pas de livre plus propre que celui-ci à donner raison au culte populaire. Quelque temps auparavant, on vendait une chanson intitulée : La couronne d'immortelles, ou Visite de Louis-Napoléon au tombeau de sa mère, avec gravure représentant le prince déposant une couronne sur un tombeau surmonté de la statue de la reine Hortense. Cinq couplets, dont voici le quatrième :

Un peuple entier aujourd'hui m'a confié

Et son bonheur et son noble destin.

Guide mes pas, deviens le bon génie

Qui doit en tout me montrer le chemin.

Protège-nous, bon ange tutélaire,

Comme l'oiseau protège ses petits.

Entends ma voix et reçois, ô ma mère !

Reçois ces fleurs de la main de ton fils.

Néanmoins l'agitation révolutionnaire se réveillait. On faisait courir le bruit que Louis-Napoléon méditait un attentat contre l'Assemblée, celle-ci ayant rejeté (par 418 voix contre 342) un projet de loi permettant au Gouvernement de fermer les clubs, d'autant plus que le Moniteur insérait, à la suite de ce vote, une note très raide et très peu parlementaire. Elle était ainsi conçue : Le conseil des ministres s'est réuni aujourd'hui à l'Élysée ; sur le compte que les ministres lui ont rendu des incidents de la séance d'hier, M. le Président de la République a déclaré qu'il n'y voyait aucun motif pour modifier sa politique, et que le cabinet pouvait compter sur son appui ferme et persévérant. Sans doute, le chef de l'État était responsable, aux termes de la Constitution ; mais cette responsabilité ne pouvait être recherchée que dans des cas exceptionnels, et, dès lors, pour les affaires courantes, la responsabilité des ministres devait subsister tout entière...

— En outre, on annonçait que la garde nationale mobile allait être supprimée, et, bien qu'elle n'eût plus de raison d'être depuis la cessation de la guerre civile, bien que même elle fût devenue une cause de sérieux embarras, une partie de la population parisienne n'admettait pas sa disparition. Enfin Proudhon venait d'être arrêté, et son journal le Peuple saisi pour un article où il disait :... La lutte est entre l'Assemblée et Louis Bonaparte... Louis Bonaparte, incapacité de naissance, ambition de bas étage, personnification de toutes les idées réactionnaires, qui, coupable envers la France du plus grand des attentats, amnistié par le vote qui l'a fait représentant, élu sans titres à la présidence de la République, conspire aujourd'hui avec toutes les coteries monarchiques, avec les Jésuites, les absolutistes, l'esclavage du peuple et le retour de tous les abus... (Il) a posé la question de la dissolution de l'Assemblée ; lundi prochain, l'Assemblée posera la question de la démission du Président... Louis Bonaparte, par ses antécédents, par ses tendances, ses accointances, ses préférences, s'est constitué l'ennemi de la République ; il s'est fait le candidat de la monarchie, l'espoir de la réaction, l'organe de la contre-révolution ; qui donc, s'il vous plait, aux élections de décembre, a servi de drapeau à la réaction catholique et légitimiste ? Bonaparte... Qui désire le plus en ce moment de monter sur le trône et de ceindre la couronne ? Bonaparte... Qui conspire sous le couvert de la République avec les éternels ennemis de la souveraineté du peuple ? Bonaparte... Élu de la réaction, instrument de la réaction, personnification de la réaction, il est en ce moment toute la réaction !... On les croyait habiles, ces puissants réactionnaires coalisés de tous les despotismes, tartufes de toutes les religions, et les -voilà qui jouent leur va-tout sur la fortune du bourgeois de Thurgovie ! Ils ont pris pour leur représentant, pour leur homme, l'intrigant d'Arenenberg, le Pichrocole de Strasbourg, le César de Boulogne, le socialiste de Ham, le bâtard du suffrage universel... Il a osé défier l'Assemblée, défier la Révolution, en signifiant aux représentants l'ordre de se dissoudre. Eh bien ! la Révolution a relevé le gant ; le cartel est accepté ; à lundi le combat !...

La Révolution démocratique et sociale (25 janvier 1849) n'était guère moins violente :... Louis Bonaparte se croit sûr du succès. La couronne impériale lui tourne la tète. Le conspirateur de Boulogne et de Strasbourg, escomptant sa fausse popularité, va frapper un grand coup... Il pousse à l'insurrection... Louis Bonaparte veut une bataille. Il veut périr ou être empereur.

Le 27 janvier, 49 représentants demandaient la mise en accusation du ministère. Dans la nuit du 29, le Gouvernement averti qu'un mouvement se préparait contre l'Assemblée nationale, notamment de la part des officiers et sous-officiers de la garde mobile qu'on allait licencier, le rappel était battu dès la première heure, un grand déploiement de troupes avait lieu autour du palais des représentants. En outre, il était procédé à l'arrestation de M. Forestier, colonel de la garde nationale ; de M. d'Alton-Sée, ancien pair de France, et de 47 membres de l'association de la Solidarité républicaine de la rue du Faubourg Saint-Denis. Ces mesures préventives eurent un plein succès, aucune manifestation ne se produisit, et la tranquillité de la capitale ne fut pas troublée. A une heure de l'après-midi, le Président de la République sortait de l'Élysée, à cheval, avec MM. Fleury, Edgard Ney, Bacciocchi, de Persigny, pour passer la revue des troupes qui avaient été mises sur pied. Partout sur son passage la foule se presse, l'acclame et lui crie[9] : Vous pouvez compter sur nous ! Courage ! Nous vous soutiendrons ! Ce qui fait dire à Proudhon : Que signifient ces témoignages de satisfaction aux cris de : Vive l'Empereur ! Le complot du 29 janvier ne serait-il point le troisième acte de ce drame tragi-comique qui a commencé à Strasbourg, qui s'est continué à Boulogne, qui finira à Charenton... ; — à Delescluze[10] : La promenade impériale n'a abouti qu'au ridicule... personne ne pense à l'Empire ; Louis Bonaparte court cacher sa honte à l'Élysée ; le complot a avorté... ; — et à Considérant dans la Démocratie pacifique (1er février 1849) :... Une revue est un contrôle ; un contrôle constitue un acte de commandement. Si le Président de la République persiste à vouloir exercer cette influence directe et personnelle sur les troupes, il commet par ce seul fait un commencement d'usurpation et justifie les soupçons qui s'accréditent déjà dans les esprits... A cela le journal l'Assemblée nationale (30 janvier 1849) répond très judicieusement :... Il fallait donc laisser éclater le complot... il fallait laisser former les barricades, avant de songer à défendre la société menacée il tallait laisser commencer cette horrible guerre des rues... Les feuilles du parti vaincu n'épargnent aujourd'hui aucune calomnie ! Les Débats (30 et 31 janvier 1849) déclarent qu'ils ne peuvent qu'approuver la conduite prudente du gouvernement, qui a droit à la reconnaissance du pays.

Ce même jour, 29 janvier — l'émeute projetée avait-elle aussi pour but de peser sur les délibérations des députés ? —, la proposition Rateau revenait en discussion devant l'Assemblée nationale. Jules Favre combat la dissolution. Nous avons, dit-il, reçu le mandat d'organiser la démocratie... mais on a tiré de cette Assemblée tout ce qu'on voulait ; on veut la renvoyer, savez-vous pourquoi ? c'est parce qu'elle défend la République qu'elle a fondée !... (Vive approbation à gauche.) L'Assemblée constituante, dit-on, est trop puissante, elle opprime le pouvoir exécutif et l'empêche de réaliser le bien qu'il médite... Il est certain que l'Assemblée fait obstacle à quelque chose ou à quelqu'un qui ne se montre pas et qui a la prétention de tout diriger... (Mouvement prolongé.) M. Combarel estime que l'assemblée doit se dissoudre :... Le pays sait que le 10 décembre la majorité d'entre vous a voté pour le candidat qui a été vaincu ; vous n'êtes donc plus d'accord avec le pays. Les conclusions de la commission tendant au refus de convocation d'une nouvelle Assemblée sont repoussées par 416 voix contre 405.

Avant de reprendre en seconde lecture l'examen de la proposition Rateau, l'Assemblée, dans la séance du 3 février, incidemment à une discussion relative à certains agissements du ministre de l'intérieur dans l'envoi de la correspondance Havas, traite de la situation faite aux ministres par la nouvelle Constitution. On ne peut pas faire un pas dans Paris, dit M. Louis Perrée, on ne peut pas entrer dans un salon, on ne peut pas causer avec un ami, sans qu'on vous dise : La République ! elle n'en a pas pour deux mois... Ceux-là sont les plus généreux... (Rires et interruption prolongée.) L'orateur continue et déclare que le ministère ne satisfait pas aux conditions du gouvernement représentatif ; qu'il est en minorité dans l'Assemblée ; que cette situation est la cause des troubles et des inquiétudes. Odilon Barrot lui répond que la situation parlementaire n'est plus ce qu'elle était sous la monarchie ; que le Président de la République est responsable, alors que le Roi ne l'était pas, et qu'il n'a pas le droit de dissolution pour vider le conflit-qui s'élèverait entre la Chambre et lui ; qu'il ne resterait rien au chef de l'État, que le pouvoir exécutif serait annihilé si la majorité pouvait à sa guise faire et défaire les ministères ; que le ministère doit toujours être la personnification de la politique du Président ; que la nation n'a pas entendu placer à sa tête une espèce de mannequin qui n'aurait aucune liberté d'action... (Longues et bruyantes exclamations.) L'ordre du jour pur et simple, accepté par le ministère, est rejeté par 407 voix contre 387.

Cette discussion était quelque peu byzantine. La responsabilité du Président, nous le répétons, ne devait être mise en cause qu'exceptionnellement, et rien, dès lors, ne pouvait vraiment faire obstacle au fonctionnement ordinaire de la responsabilité ministérielle. Faire intervenir à jet continu la responsabilité du chef de l'État, c'était impossible, et par suite il fallait trouver celle des ministres ; mais il était loisible à ces ministres de garder leur portefeuille malgré un vote de blâme, comme cela pourrait avoir lieu même sous le régime parlementaire proprement dit ; car si, en pareil cas, généralement, les ministres démissionnent, c'est qu'il y a là pour eux une question de dignité et de convenance. La non-démission des ministres n'empêche pas l'Assemblée d'être souveraine et d'avoir le dernier mot. Il ne fallait donc pas alors crier au despotisme et à la tyrannie. Nous ne voyons même pas, si l'Assemblée l'avait bien voulu (mais elle n'osait pas !), comment les ministres seraient parvenus à ne pas abandonner la place. Le Moniteur du 4 février annonçait que les ministres s'étaient réunis à l'Élysée national à l'issue de la séance, et qu'ils avaient décidé de rester à leur poste et de persévérer dans la mission qui leur avait été confiée.

Les 6 et 7 février, l'Assemblée aborde à nouveau la discussion de la proposition Rateau. On entend notamment Félix Pyat :... Cette Assemblée... qui a, comme le disait si bien M. Odilon Barrot, rendu des services éminents, décisifs, à la société, qui lui a donné tant de gages de son esprit de conciliation, qui a fourni amplement au pouvoir toutes les armes dont il a eu besoin pour vaincre l'anarchie, qui a livré au principe d'autorité la liberté de la presse, le droit de pétition, le droit d'association, la liberté individuelle, bref toutes les libertés... qui a poussé l'abnégation jusqu'à préférer aux républicains les satisfaits de la veille, devenus les affamés du lendemain... qui a poussé la complaisance jusqu'à recevoir les ministres possibles de Louis-Philippe avec les revenants... de la légitimité... (agitation), pour payer tant de services on ne veut pas la laisser mourir de sa belle mort... ; elle qui a sauvé la vie à la civilisation, on ne veut pas la laisser vivre le temps d'achever son œuvre... L'Assemblée nationale a eu beau faire, elle est restée républicaine, c'est là son excuse et son mérite, pour d'autres c'est le péché mortel... Les éternels ennemis de la Révolution condamnent l'Assemblée à mort... parce qu'elle veut rester fidèle à ce cri unanime proféré par vous tous, le 4 mai, en face du ciel et du peuple : Vive la République !... Ils veulent avoir une Législative... qui efface jusqu'au nom de République... et qui change le Président en roi, car la République pour eux, c'est le provisoire ; le Président, il fait l'intérim, il garde la place ; c'est un chapeau en attendant une couronne !... Lamartine et Dufaure estiment que l'Assemblée ne peut prolonger son existence parce qu'elle n'est plus d'accord avec elle-même, d'accord avec le pouvoir exécutif, d'accord avec le pays. Le premier dit : L'opinion publique s'est prononcée le 10 décembre... Dans l'élection du Président, a-t-elle eu la même signification que lorsqu'elle nous a envoyés ici ? Le suffrage universel a été plus hardi que nous ; nous avions voulu écarter de cette enceinte celui qu'elle avait élu ; eh bien, je ne crains pas de dire que le suffrage universel a eu une meilleure inspiration que nous. (Sensation.) Je reconnais qu'il y avait peut-être convenance et bonheur pour le pays à trouver ce rayon de gloire... Cette élection a fait accepter la liberté par la gloire... Le second, beaucoup moins lyrique, se place à un tout autre point de vue. Plus on attendra, plus on risque d'avoir un grand nombre de députés antirépublicains : Du fond de ma conscience, il me parait important qu'il n'y ait pas un trop brusque changement d'idées entre la majorité de l'Assemblée actuelle et la majorité de l'Assemblée qui lui succédera ; eh bien, plus vous reculerez l'époque de la convocation des collèges, et plus le changement sera grand. L'Assemblée a compris ma pensée... (Oui ! oui !) Une proposition de M. Lanjuinais est votée (494 voix contre 387). Elle porte qu'immédiatement après la promulgation de la loi électorale et la clôture des listes électorales dans les départements, les élections législatives auront lieu le premier dimanche qui suivra, et que l'Assemblée législative se réunira le quinzième jour après celui des élections. L'Assemblée nationale se réserve de voter en outre la loi sur le conseil d'État, la loi sur la responsabilité du Président de la République et des ministres, et le budget de 1849.

Une demande d'enquête relative à la journée du 29 janvier est repoussée par 462 voix contre 359, après un rapport de M. Conti où il était dit : Dirigée contre le gouvernement lui-même, la proposition d'enquête placerait sous un soupçon injurieux le chef du pouvoir exécutif... En lui retirant sa confiance, l'Assemblée nationale se séparerait du pays qui a donné la sienne tout entière à l'élu de ses six millions de suffrages...

S'il faut admettre que l'Assemblée nationale devait disparaître après l'élection du 10 décembre, on doit aussi reconnaitre qu'elle n'était pas si méchante personne, et qu'avec elle le gouvernement était loin d'être impossible. Seulement elle ne permettait ni aux uns ni aux autres d'espérer la disparition du régime républicain.

Au sujet de la journée du 28 janvier et des bruits qui ont couru, un journal légitimiste, l'Opinion publique (1er février 1849), envisage la question d'un coup d'État :... Un 18 brumaire, ce dénouement n'est pas un dénouement... On l'a bien vu par la chute de l'Empire, cette tente glorieuse, placée par la main d'un grand homme sur les ruines que la Révolution avait faites. Elle ne dura pas même assez longtemps pour abriter jusqu'à la fin la tête de cet immortel génie qui, ne pouvant donner la solution du problème de la situation, avait trouvé pour nous faire prendre patience le brillant expédient d'une guerre qui n'était qu'un enchainement de triomphes, et nous avait gouvernés avec des victoires. Un jour vint où le ressort du gouvernement impérial se trouva usé, et les quatre vents du ciel emportèrent la tente napoléonienne que la France avait prise pour un monument. Voilà pourquoi nous ne voudrions pas recommencer une épreuve que nous avons faite au commencement du siècle dans les circonstances les plus favorables avec tous les éléments du succès, et qui, malgré cela, s'est terminée d'une manière si déplorable, que deux noms sinistres rappellent : Waterloo et Sainte-Hélène... Ceux-là (10 février) même à qui la brillante journée d'Austerlitz apparaitrait dans leurs rêves seraient tout à coup réveillés par l'apparition de la journée néfaste qui ferma ce cycle de victoires, nous avons nommé Waterloo. Recommencer l'Empire, chose impossible, parce que les éléments de l'Empire manquent. Faire durer l'Empire, chose plus impossible, aujourd'hui que tout le monde peut montrer du doigt la borne contre laquelle le char impérial irait se briser une seconde fois... Le Peuple dit (3 février) :... Louis Bonaparte... a sa politique, son système, sa pensée immuable. Depuis douze ans il en poursuit la réalisation avec la persistance d'un véritable monomane. Cette politique, ce système, cette pensée immuable se résume en ce seul mot : l'Empire ! Au tribunal de sa conscience Louis Bonaparte est traître, traître à la République et à la patrie. Ce journal publie, à la suite de cet article, les statuts d'une société secrète (sic) dont le but serait une restauration impérialiste, statuts ainsi conçus : Association fraternelle, Comité napoléonien. Notre but : Fonder une constitution large et puissante concentrant les forces vives et intelligentes du grand parti napoléonien ; créer une vaste association qui offre à l'élu du pays... le concours actif, intelligent et dévoué qui lui est nécessaire pour accomplir la grande mission qui lui a été imposée par le pays... Nos moyens d'action : Le comité napoléonien, dont le siège sera à Paris, mais dont les ramifications s'étendront sur toute la France, possédera de puissants éléments de propagande. Chaque fois que le peuple sera appelé à élire ses représentants, le comité napoléonien descendra dans l'arène pour mettre l'influence de sa parole... au service des candidats qui lui Paraîtront les plus dignes de seconder Louis-Napoléon dans l'œuvre de régénération politique et sociale à laquelle il s'est voué. L'association serait composée : de 28 associés fondateurs, de 140 commissaires généraux, de 1.400 commissaires spéciaux, de 1.400 chefs de section, de 140.000 brigadiers, etc., etc.

La Liberté s'écrie[11] : Depuis quarante-cinq années la France est bonapartiste... Le parti (2 février) bonapartiste représente au souverain degré l'ordre et l'autorité. Aucun parti ne représente, en outre, plus complètement l'égalité matérielle du Code civil et l'égalité spiritualiste et républicaine de l'homme en regard de l'homme. Aucun parti ne s'est montré plus uni contre l'étranger. Aucun parti, par toutes ces causes, ne saurait donc être plus favorable à la liberté dans les limites de la famille et de la propriété...

 

 

 



[1] Depuis l'élection du Président de la République, une clameur universelle s'élevait pour provoquer la retraite de l'Assemblée. (Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 67.) L'Assemblée s'était suicidée dans les élections du Président. Elle avait pesé de tout le poids de ses influences en faveur du général Cavaignac. Elle s'était immolée à cette candidature... L'antagonisme entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif naissait donc du fait même de l'élection. (LAMARTINE, janvier 1849, le Conseiller du peuple.) Le Journal de l'Aisne dit : L'Assemblée a fait son temps... ; sans y être contrainte par les moyens violents... elle saura se séparer d'elle-même. Si elle ne voulait pas comprendre, alors il sera de notre devoir d'agir vigoureusement.

[2] ... Un éclat de rire à peu près généra] accueillit cette communication. (Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 103.)

[3] Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 102, 103.

[4] Député inconnu, dit M. BARROT (Mémoires), et qui n'avait d'autre titre que son origine impériale et son parfait dévouement à la famille Bonaparte.

[5] Odilon BARROT, Mémoires.

[6] Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 104.

[7] Il n'y a que des badauds qui puissent se payer avec cette fausse monnaie de la philanthropie... mise en circulation dans le but évident de tendre un piège au peuple. (National.) Comme le Moniteur du soir annonce que le Président s'est rendu dans un magasin de cheiks pour y acheter un cachemire, le même journal fait les réflexions suivantes (numéro du 29 mars) : Que M. le Président fasse emplette d'un cachemire, rien de mieux, et, bien que nous ne voyions pas absolument la nécessité pour le Moniteur du soir de l'annoncer à ses lecteurs, nous passons condamnation. Mais ce qui nous parait hyperbolique, c'est que cet achat de M. le Président soit considéré par le Moniteur comme un encouragement donné à l'industrie...

[8] Débats du 11 février 1849.

[9] Gazette de France, 31 janvier 1849.

[10] Révolution démocratique et sociale, 1er février 1849.

[11] 1er février, Barillon, rédacteur en chef.