NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE VIII. — LA PRISON DE HAM.

 

 

7 octobre 1840, le prince est interné à Ham. — Son logement, son mobilier, son costume. — La manière dont il est traité. — Montholon, Conneau, Thélin. — Dévouement de Conneau. — Le prince reçoit beaucoup de visites. — Il cultive des fleurs. — Les troupes qui passent au loin le saluent. — Il monte à cheval dans la cour du château. — Le wisht du soir. — Il reçoit beaucoup de lettres ; extraits de sa correspondance avec une Anglaise, avec une Française. — Le nom de Badinguet. — La Belle Sabotière. — Les écrits du prince. — Il se plaint au ministre de la rigueur de la surveillance. — Fin 1845, il demande à se rendre auprès de son père malade ; lettre au ministre ; lettre au Roi. — Refus dn gouvernement. — Le prince s'adresse en vain à M. Thiers. — M. Odilon Barrot ne parvient pas à obtenir une mise en liberté provisoire dans les conditions voulues par le prince. — Lord Londonderry échoue également. — Les préparatifs de l'évasion. — La fuite.

 

C'est le 7 octobre 1840 que le prince fut interné dans la citadelle de Ham[1] qui depuis fort longtemps avait été érigée en prison d'État. C'est là qu'on avait enfermé, en 1830, les ministres de Charles X, et c'est précisément dans le logement occupé par l'un d'eux, et situé dans une des tours, que fut placé le nouveau prisonnier. Il se composait de deux pièces dont les fenêtres étaient garnies de barreaux. L'une lui servait de cabinet de travail et de salon. C'était la première en entrant[2]. Elle était meublée d'un grand bureau en acajou, d'une vieille commode, d'un canapé, d'un fauteuil, de quatre chaises de paille, d'une table en sapin couverte d'un tapis vert, et d'un paravent tapissé de dessins du Charivari. Peu à peu le prince y avait ajouté quelques gravures relatives à l'épopée napoléonienne, un portrait de sa mère, les bustes de l'Empereur et de l'impératrice Joséphine par Chaudet, des statuettes de soldats de la garde impériale, et enfin, sur des planches[3] fixées au mur, un certain nombre de livres, et notamment une collection du Moniteur et cinquante volumes du Journal des Débats[4]. La seconde pièce servait de chambre à coucher, où il y avait un lit en bois peint, une toilette en bois blanc, un poêle en faïence, quelques sièges et deux tablettes en sapin sur lesquelles étaient placés des objets de toilette en argent aux armes impériales[5]. Le prince était vêtu soit d'une capote militaire avec un bonnet de police[6], soit d'une redingote bleue boutonnée, avec un képi rouge, garni de ganses d'or[7]. Le gouvernement de Juillet, il faut le reconnaître, traitait son prisonnier avec une grande bienveillance[8]. On lui avait accordé beaucoup en emprisonnant avec lui le général Montholon et le Dr Conneau, et en lui permettant de garder son valet de chambre Thélin[9]. On ne pouvait faire plus, et la suite prouva qu'on en avait fait trop, car c'est grâce au concours de ces deux derniers qu'il put s'évader. La présence de ces trois hommes qui ne le quittaient pour ainsi dire pas dut adoucir considérablement les amertumes et les douleurs de la captivité, d'autant plus qu'ils l'aimaient bien. Le Dr Conneau[10] ne poussa-t-il pas le dévouement, lorsqu'il fut amnistié en 1844, jusqu'à demander comme une grâce de rester en prison avec le prince ?

Toutes les personnes qui voulaient le voir en obtenaient la permission[11]. On était très large[12]. Toute la ville de Ham était en relation avec lui. Dans le jardin, d'une quarantaine de mètres, qu'on lui avait concédé et aménagé sur le rempart du fort, il cultivait des fleurs[13]. Les habitants de Ham ne cessaient de lui demander des bouquets qu'il pouvait donner en toute liberté[14], ce qu'il faisait souvent, car en horticulteur habile il récoltait abondamment. C'est dans ce jardin dominant la campagne, faite de nombreuses prairies traversées par une foule de ruisseaux, que le prince, plusieurs fois par jour, voyant au loin, et vu lui-même d'en bas par les passants, venait se promener. C'est ainsi que presque tous les détachements de troupes qui traversaient Ham s'arrêtaient au pied de la citadelle pour apercevoir le prisonnier et pour le saluer[15].

Dans la cour du château il avait la permission de faire de l'équitation[16]. Il y fit même une chute en 1842, et on remarqua alors que le même jour, Henri V, aux environs de Prague, s'était cassé la jambe en tombant de cheval.

Le soir, les trois prisonniers se réunissaient ordinairement et souvent jouaient au whist. Presque toujours le commandant du fort venait aussi et prenait part au jeu.

Dans la journée, le prince travaillait de longues heures. Il recevait[17] et envoyait beaucoup de lettres. A une grande dame de l'aristocratie anglaise il écrivait[18] : Je ne désire pas sortir des lieux où je suis, car ici je suis à ma place ; avec le nom que je porte, il me faut l'ombre d'un cachot ou la lumière du pouvoir... Ma vie[19] se passe ici d'une manière bien monotone, car les rigueurs de l'autorité sont toujours les mêmes ; cependant je ne puis pas dire que je m'ennuie, parce que je me suis créé des occupations qui m'intéressent. J'écris des réflexions sur l'histoire d'Angleterre, et puis j'ai planté un petit jardin dans un coin de mon réduit. Mais tout cela remplit le temps sans remplir le cœur[20], et quelquefois on le trouve bien vide de sentiments. Je ne me plains nullement de la position que je me suis faite, et je m'y résigne complètement... A la date du 18 avril 1843, il écrivait à un M. L*** une lettre qui révèle l'état d'esprit dans lequel il se trouvait alors : Si demain on ouvrait les portes de ma prison... si... on venait m'offrir de changer ma position actuelle pour l'exil, je refuserais une telle proposition, car ce serait à mes yeux une aggravation de la peine... Je préfère être captif sur le sol français que libre à l'étranger. Je connais d'ailleurs ce que vaut une amnistie de la part du pouvoir actuel. Il y a sept ans, après l'affaire de Strasbourg, on vint une nuit m'arracher à la justice du pays, et, sans écouter mes protestations, sans même me donner le temps de prendre les vêtements les plus nécessaires, on m'entraîna à deux mille lieues de l'Europe. Ayant appris à New-York la nouvelle de la grave maladie de ma mère, je revins en Angleterre. En arrivant, quelle fut ma surprise de voir que toutes les portes du continent m'étaient fermées, et quelle fut mon indignation en apprenant que, pour m'empêcher d'aller fermer les yeux de ma mère mourante, on avait répandu cette calomnie — tant de fois reproduite et démentie — que j'avais promis de ne plus revenir en Europe... En Suisse... à peine le corps de ma mère reposait-il dans le cercueil, que le gouvernement français voulut me faire renvoyer du sol hospitalier où j'étais devenu propriétaire et citoyen... Voilà quels furent, à mon égard, les effets de l'amnistie violente du gouvernement. Croyez-vous que je puisse en désirer une seconde ? Banni depuis vingt-cinq ans, trahi deux fois par le sort, je connais de cette vie toutes les vicissitudes et toutes les douleurs, et, revenu des illusions de la jeunesse, je trouve dans l'air natal que je respire, dans l'étude, dans le repos de ma prison, un charme que je n'ai pas ressenti lorsque je partageais les plaisirs des peuples étrangers, et que, vaincu, je buvais à la même coupe que les vainqueurs de Waterloo. Il entretenait une correspondance assez active avec un publiciste, M. Peauger[21], dans le but de créer ou d'acheter un grand journal parisien. Dans une lettre du 9 mars 1844, nous remarquons ce passage : Convaincu que le gouvernement actuel ferait le malheur de la France, je me suis résolu à tout entreprendre pour le renverser, bien décidé à laisser ensuite le peuple entier choisir la forme de gouvernement qui lui conviendrait le mieux. Le rôle de libérateur suffisait à mon ambition, et je n'étais pas assez fou pour avoir la prétention de fonder une dynastie sur un sol jonché de tous les débris des dynasties passées... Dans une autre du 8 septembre de la même année, il déclare que l'histoire peut absoudre le gouvernement absolu ou terrible qui répand le sang des coupables, mais (que) celui qui répand le sang innocent doit être flétri... Dans une troisième, du 30 septembre, il estime qu'un journal franchement napoléonien ne réussirait pas, car il faut présenter un couteau par le manche et non par la lame ; qu'il faut fonder un journal d'extrême gauche, qui allie aux idées démocratiques les souvenirs de l'Empire[22].

Le prince écrivait encore notamment à une Française[23], fille d'un ancien préfet de l'Empire, et voyant souvent l'ex-roi de Hollande à Florence : ... (Votre) lettre est venue au milieu des tristes souvenirs d'un triste anniversaire me ranimer à l'espérance et me dire : Tout n'est pas fini, puisqu'il y a encore un cœur noble et élevé qui s'intéresse à toi !..... A votre voix, j'ai senti mon cœur se réchauffer, et l'atmosphère de ma prison, que l'indifférence des miens et l'inimitié rendent parfois si lourde, m'a semblé plus légère. Je me suis relevé ; un rayon d'espoir a brillé dans mon âme, et je me suis senti transporté dans un autre monde..... Il y a en moi deux êtres, l'homme politique et l'homme privé ; l'homme politique est et restera inébranlable ; mais l'homme privé est bien malheureux. Abandonné de tout le monde, de ses anciens amis, de sa famille, de son père même, il se laisse aller souvent à ses souvenirs, à ses regrets..... Quand tout le monde, excepté peut-être les soldats qui me gardent, me montre de l'indifférence, vous, vous venez guérir une de mes profondes blessures en me ramenant l'affection de mon père !... Mon père, malheureusement, ne m'a pas jugé comme vous ; souvent il a prêté à mes actions le mobile le plus sordide, et j'avoue que c'est ce qui m'a le plus froissé de sa part..... Moi, agir par intérêt ! Mon Dieu, aujourd'hui que j'ai dépensé presque toute ma fortune pour soutenir dans le malheur les hommes dont j'ai compromis l'existence, je donnerais tout mon héritage pour une caresse de mon père. Qu'il donne à Pierre ou à Paul toute sa fortune, que m'importe ! je travaillerai pour vivre, mais qu'il me rende son affection ! je ne m'en suis jamais rendu indigne, et j'ai besoin d'affection ! Il y a beaucoup d'hommes qui vivent très bien avec le cœur vide et l'estomac plein ; pour moi, il faut que j'aie le cœur plein, peu m'importe l'estomac. A la même[24], il disait : ... Quoique je ne vous connaisse qu'à peine, je vous aime tendrement..... Pourquoi ?..... Savez-vous pourquoi la colombe qu'on a arrachée de son nid et transportée en pays lointain retrouve au milieu des airs la route qui la ramène aux lieux de sa naissance ? Savez-vous pourquoi vous-même vous vous sentez transporté par un sentiment de douce béatitude en voyant du haut d'une montagne les riantes vallées et l'horizon qui se perd dans les vapeurs ? Je comprends le bonheur presque comme vous : commander pour faire le bien ou obéir à ce qu'on aime, voilà pour un homme la véritable félicité... Puis il revient sur les sentiments de son père à son égard : J'avoue que je ne conçois pas sa conduite à mon égard ; qu'ai-je donc fait pour mériter son mépris et son indifférence ? Le temps serait bien long pour moi ici, si je ne me créais pas des occupations suivies. J'ai entrepris depuis dix-huit mois un travail formidable, c'est l'histoire de l'artillerie depuis son origine..... Quand, du haut des montagnes bleues qui entourent Florence, vous regarderez, par un beau soleil couchant, cette ville éparpillée dans toute la vallée de l'Arno, quand vous jetterez vos regards sur l'horizon, point qui nous charme toujours parce qu'il est vague, indéfini, poétique comme notre avenir, alors pensez à moi et songez qu'il y a une âme tendre, respectueuse et dévouée qui rompt ses entraves, traverse les Alpes et les Apennins et vole près de vous, toutes les fois que vous l'appelez par un souvenir. On raconte l'histoire de deux palmiers dont l'un, situé près de Tarente, jetait au vent la poussière de ses fleurs qui étaient transportées à l'autre palmier qui végétait sur les rivages de la Grèce, et cette correspondance aérienne suffisait pour les vivifier, les soutenir, reverdir tous les ans leur feuillage desséché par le soleil. J'ai toujours ri de cette histoire ; aujourd'hui j'y ajoute foi, car elle me touche !...

Il lui écrivait encore[25] : J'ai perdu ma fortune, mes amis ; toutes celles que j'ai aimées se sont données à d'autres, et je reste seul ici, sans d'autres soutiens qu'une espérance vague et incertaine... Vous me donnez bien peu de détails sur mon père. Lui parlez-vous de moi ? Pourquoi donc m'en veut-il ? Je ne conçois rien à ses procédés envers moi...

Puis le découragement s'empare de plus en plus de lui, et dans une autre lettre[26] il s'écrie : Je me laisse aller au hasard, sans savoir où j'aborderai...

Le prince n'était pas seulement occupé par une nombreuse correspondance[27]. C'est à Ham qu'il écrit ses Fragments historiques, qu'il traite la Question des sucres, qu'il fait insérer des articles dans le journal le Progrès du Pas-de-Calais et dans le Guetteur de Saint-Quentin, qu'il publie une brochure sur l'Extinction du paupérisme, qu'il rédige[28] un mémoire, envoyé à Arago, sur la Production des courants électriques. En 1844, il songe à une histoire de Charlemagne[29], et à ce sujet il entre en correspondance avec M. de Sismondi. En 1845, il s'occupe de la jonction de l'océan Pacifique et de l'océan Atlantique. Le ministre plénipotentiaire du Guatemala, M. Castellan, vient lui offrir de se mettre à la tête de l'entreprise du canal de Nicaragua et lui écrit : Je suis heureux de faire savoir à Votre Altesse que le gouvernement de cet État, pleinement convaincu que le vrai moyen de réaliser le capital nécessaire à cette entreprise est de la placer sous le patronage d'un nom indépendant comme le vôtre par la fortune et par la position, et qui, en attirant la confiance des deux mondes, éloigne ici toute crainte de domination étrangère, — que le gouvernement, dis-je, s'arrête à Votre Altesse comme à la seule personne qui puisse remplir ces diverses conditions...

Le ministère, comme nous l'avons dit, s'était efforcé d'adoucir, autant que possible[30], pour le prince, les rigueurs de l'emprisonnement, mais sur un point les mesures prises étaient extrêmement sévères ; on avait été préoccupé, et à la suite des affaires de Strasbourg et de Boulogne on avait bien raison de l'être, de l'influence que le prince pouvait exercer sur le soldat et des tentatives nouvelles auxquelles il serait peut-être amené si on lui laissait une trop grande liberté d'allures avec les militaires composant la garnison. D'un autre côté, on craignait qu'il ne cherchât à fuir, et qu'il ne trouvât dans les dévouements aveugles qu'il savait susciter, des secours venant de l'extérieur pour aider à une évasion. Aussi, il était interdit à tout soldat de parler au prisonnier, de lui présenter les armes. Non seulement il ne devait jamais être perdu de vue, mais il devait toujours sinon être accompagné, du moins suivi à quelques pas.

Le prince souffrait de cette surveillance étroite et incessante, il se considérait comme enchaîné et trouvait sa chaîne trop courte, comme aussi trop lourde ; il était impatient de trouver un peu de liberté dans sa servitude. Il se plaignit d'abord au commandant de citadelle, qui lui répondit qu'il était l'esclave de la discipline et qu'il ne pouvait qu'exécuter les ordres très précis qui lui étaient donnés. Alors, il écrivit au ministre (28 mai 1844) : ... Le gouvernement, disait-il, qui a reconnu la légitimité du chef de ma famille, est forcé de me reconnaître comme prince et de me traiter comme tel. La politique a des droits que je ne prétends pas contester ; que le gouvernement agisse à mon égard comme envers un ennemi, qu'il me prive des moyens de lui nuire, je n'aurai pas à me plaindre, mais en même temps sa conduite sera inconséquente s'il me traite comme un prisonnier ordinaire, moi, fils d'un roi, neveu d'un empereur et allié à tous les souverains de l'Europe... Le gouvernement devrait reconnaître le principe qui m'a fait ce que je suis, car c'est par ce principe qu'il existe lui-même. La souveraineté du peuple a fait mon oncle empereur, mon père roi, et m'a fait prince français par ma naissance ! N'ai-je donc pas droit au respect et aux égards de tous ceux pour qui la voix d'un grand peuple, la gloire et l'infortune sont quelque chose ?... Ce dont je me plains, c'est d'être la victime de mesures vexatoires que ne commande en rien le soin de ma surveillance... Un tel système de terreur a été mis en œuvre dans la garnison et parmi les employés du château, que nul n'ose lever les yeux sur moi, et qu'il faut ici à un homme beaucoup de courage pour être simplement poli[31]. Au milieu de cette France que le chef de ma famille a rendue si grande, je suis traité comme l'était un excommunié du treizième siècle. Chacun fuit à mon approche, et l'on semble redouter mon contact comme si mon souffle même était contagieux. Cette insultante inquisition qui me poursuit jusque dans ma chambre, qui s'attache à mes pas lorsque je vais respirer l'air dans un coin écarté du fort, ne s'arrête pas à ma personne, elle veut encore pénétrer jusqu'à mes pensées. Les effusions de mon cœur dans les lettres que j'adresse à ma famille sont soumises au plus sévère contrôle, et si quelqu'un m'écrit en termes trop sympathiques, la lettre est confisquée et son auteur dénoncé au gouvernement... Le traitement que j'endure est à la fois injuste, illégal et inhumain...

Le gouvernement commit la faute de se laisser impressionner par ces plaintes. Les consignes devinrent moins sévères, les mesures de surveillance moins rigoureuses. On permit même à Thélin, le valet de chambre du prince, de sortir à sa guise et d'aller à Ham faire les commissions de son maître[32].

Il y avait cinq ans que le prince était interné. Le roi de Hollande, réfugié à Florence, était tombé gravement malade et avait envoyé à Paris un sieur Silvestre Poggioli pour exprimer au gouvernement son désir de voir son fils en Italie avant de mourir[33]. Cette démarche n'ayant pas abouti, Louis-Napoléon écrivit la lettre suivante :

Fort de Ham, le 25 décembre 1845.

MONSIEUR LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR,

Mon père, dont l'état de santé et l'âge réclament les soins d'un fils, a demandé au gouvernement qu'il me soit permis de me rendre auprès de lui. Ses démarches sont restées sans résultat. Le gouvernement, m'écrit-on, exige de moi une garantie formelle. Dans cette circonstance ma résolution ne saurait être douteuse. Je dois faire tout ce qui est compatible avec mon honneur pour pouvoir offrir à mon père les consolations qu'il mérite à tant de titres. Je viens donc, Monsieur le ministre, vous déclarer que, si le gouvernement français consent â me permettre d'aller à Florence remplir un devoir sacré, je m'engage sur l'honneur à revenir me constituer prisonnier dès que le gouvernement m'en témoignera le désir.

 

Le ministère ayant répondu que cette affaire concernait avant tout le Roi, le prince écrivit à Louis-Philippe :

SIRE,

Ce n'est pas sans émotion que je viens demander à Votre Majesté, comme un bienfait, la permission de quitter même momentanément la France, moi qui ai trouvé depuis cinq ans dans l'air de la patrie un ample dédommagement aux tourments de la captivité ; mais aujourd'hui mon père malade et infirme réclame mes soins, il s'est adressé pour obtenir ma liberté à des personnes connues par leur dévouement à Votre Majesté, il est de mon devoir de faire de mon côté tout ce qui dépend de moi pour aller auprès de lui. Le conseil des ministres n'ayant pas cru qu'il fût de sa compétence d'accepter la demande que j'avais faite d'aller à Florence, en m'engageant à revenir me constituer prisonnier dès que le gouvernement m'en témoignerait le désir, je viens, Sire, avec confiance, faire appel aux sentiments d'humanité de Votre Majesté et renouveler ma demande en la soumettant, Sire, à votre haute et généreuse intervention. Votre Majesté, j'en suis convaincu, appréciera, comme elle le mérite, une démarche qui engage d'avance ma reconnaissance, et touchée de la position isolée sur une terre étrangère d'un homme qui mérita sur le trône l'estime de l'Europe, elle exaucera les vœux de mon père et les miens propres. — Je prie, Sire, Votre Majesté de recevoir l'expression de mon profond respect...

N.-L. B.

Fort de Ham, le 14 janvier 1846.

 

Cette lettre fut transmise par le prince de la Moskowa. Le ministère s'opposa à une réponse favorable du Roi, par le motif que c'eût été la grâce par voie indirecte, et que la grâce, après avoir été méritée, devait être franchement demandée.

Le prince fait alors appel à l'historien du Consulat et de l'Empire ; M. Thiers lui répond que le désir d'embrasser un père mourant, appuyé de la promesse de revenir en prison à la première sommation du ministre de l'intérieur, aurait dû être un gage suffisant pour le gouvernement ; qu'il est désolé de ne pouvoir lui être utile ; qu'il n'a aucune influence dans le Conseil, mais qu'en toute occasion où il pourra soulager son infortune, sans manquer à son devoir, il sera heureux de le faire et de lui prouver sa sympathie pour le nom glorieux qu'il porte.

Il s'adresse à M. Odilon Barrot, qui parvient à obtenir du ministre de l'intérieur, M. Duchâtel, que le prince sera mis en liberté provisoire sous la condition qu'il écrira au gouvernement la lettre suivante :

Sire, mon père a fait parvenir à Votre Majesté un vœu que recommandent l'état de sa santé et les infortunes qui ont rempli et honoré sa vie. J'avais cru faciliter la réalisation de ce vœu en prenant l'engagement de me reconstituer prisonnier aussitôt que le désir m'en serait manifesté. J'espérais que le gouvernement de Votre Majesté verrait dans mon engagement une garantie de plus et une obligation nouvelle à ajouter à celle que devra m'imposer la reconnaissance. Cet engagement a soulevé des objections ; je le retire pour me réunir purement et simplement au vœu de mon père et me confier aux généreuses inspirations de Votre Majesté. Lorsqu'en vous transmettant ma prière, Sire, je vous parlais de reconnaissance, c'est spontanément et avec la conscience du devoir qu'elle impose. Je prie Votre Majesté, etc.

Le 2 février 1846, le prince répondait à Odilon Barrot :

Je ne crois pas pouvoir mettre mon nom au bas de la lettre dont vous m'avez envoyé le modèle... Si je signais... je demanderais réellement grâce sans oser l'avouer, je me cacherais derrière la demande de mon père comme un poltron qui s'abrite derrière un arbre pour éviter le boulet. Je trouve cette conduite peu digne de moi. Si je croyais honorable et convenable d'invoquer purement et simplement la clémence royale, j'écrirais au Roi : Sire, je demande grâce ; mais telle n'est pas mon intention... Je souffre, mais, tous les jours, je me dis : Je suis en France, j'ai gardé mon honneur intact, je vis sans joies, mais aussi sans remords, et tous les soirs je m'endors satisfait. Rien de mon côté ne serait venu troubler le calme de ma conscience, le silence de ma vie, si mon père ne m'eût manifesté le désir de me revoir auprès de lui pendant ses vieux jours. Mon devoir de fils vint m'arracher à cette résignation, et je me décidai à une démarche dont je pesai toute la gravité, mais qui portait en elle ce caractère de franchise et de loyauté que je désire mettre dans toutes mes actions... Les ministres... m'ont fait transmettre une réponse qui prouve un grand mépris pour le malheur. Sous le coup d'un pareil refus, ne connaissant même pas encore la décision du Roi, mon devoir est de m'abstenir de toute démarche et surtout de ne pas souscrire à une demande en grâce déguisée en piété filiale... Je n'avancerai pas d'une ligne. Le chemin de l'honneur est étroit et mouvant : il n'y a qu'un travers de main entre la terre ferme et l'abîme... J'attends avec calme la décision du Roi, de cet homme qui a comme moi traversé trente années de malheur... Du reste, je m'en remets à la destinée et je m'enveloppe d'avance dans ma résignation.

Recevez, etc.

NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE.

 

Odilon Barrot voit le Roi, plaide la cause du prince, mais il échoue et lui écrit, à la date du 25 février, qu'il n'y a rien à espérer dès l'instant qu'une garantie explicite n'a pas été donnée[34]. C'est en vain aussi que s'entremet un membre de la Chambre des pairs d'Angleterre, lord Londonderry, déclarant au nom de Louis-Napoléon que si les portes de Ham s'ouvraient devant lui, il s'engageait à partir pour l'Amérique après avoir passé près de son père une seule année en Italie[35].

Le prince, voulant à tout prix sortir de prison, se décide alors à tenter une évasion. Il lui répugnait de se sauver comme un malfaiteur, mais il n'avait pas le choix des moyens pour recouvrer sa liberté. En cas d'insuccès, il avait pris la résolution de se brûler la cervelle[36].

Vers le 15 mai (1846), il fait part au docteur Conneau de son projet d'évasion. Celui-ci s'en étonne et le combat. Il le considère comme presque impraticable[37], la surveillance étant fort active, les consignes étant aussi sévères que multipliées, et le commandant Demarle ne manquant jamais de mettre lui-même le prince sous clef la nuit et ne le perdant pour ainsi dire pas de vue le jour. Mais Louis-Napoléon était un homme qui ne subissait aucune influence ; c'était un VOYANT, il avait vu son évasion, et il n'y avait rien à dire ; jamais il ne fut donné à personne de le faire revenir d'une résolution. Il faut reconnaître que son projet était opportunément et bien conçu. On faisait des réparations dans le corps de logis qu'il occupait, et précisément dans l'escalier qui menait de son appartement à la cour. De nombreux ouvriers allaient et venaient. L'idée de se déguiser en ouvrier et de sortir comme tel du fort lui vint immédiatement à l'esprit. Et cette idée — c'est là, pourrait-on dire, le trait de génie — il résolut de la réaliser avec une audace et une simplicité invraisemblables qui devaient dérouter toutes les précautions. L'administration du fort avait bien pris des mesures pour que la venue des ouvriers ne permît pas au prince de tenter une évasion. A leur entrée et à leur sortie, qui se faisaient par groupes, ils étaient soigneusement examinés un à un. Mais que le prince s'en allât, seul, par la grande porte, en plein jour, et devant tout le monde, c'était une éventualité à laquelle personne n'avait pu songer. D'autre part, le commandant Demarle étant indisposé depuis quelques jours, au lieu d'être debout dès l'aube, ne paraissait plus qu'après sept heures, lorsque les portes du fort étaient déjà ouvertes et lorsque les ouvriers étaient déjà au travail. Jamais l'occasion de fuir ne pourrait être plus favorable. Thélin alla à Ham faire les acquisitions nécessaires[38] pour le déguisement du prince, et l'évasion fut fixée au 25 mai.

Le 24, le prince écrivit d'abord un billet ainsi conçu : Je déclare que tout ce que je laisse en partant dans ma chambre et mon salon appartient en toute propriété à M. le docteur Conneau, qui pourra en disposer comme bon lui semblera — puis les deux lettres suivantes, l'une datée du 25 et adressée à l'aumônier du fort de Ham : Monsieur le doyen[39], je voudrais bien que vous eussiez la bonté de remettre à demain ou à après-demain la messe que vous vouliez célébrer aujourd'hui au château, car, m'étant levé avec de vives douleurs, je suis obligé de prendre un bain pour les calmer ; — l'autre, au général Montholon : Mon cher général, vous serez bien étonné de la décision que je viens de prendre, et encore plus que, l'ayant prise, je ne vous aie pas prévenu d'avance. Mais je crois qu'il valait mieux pour vous vous laisser ignorer mes projets qui ne datent que de peu de jours ; et puis j'ai la conviction que mon évasion ne peut qu'être avantageuse à vous et aux autres amis que je laisserai en prison. Le gouvernement ne vous retient prisonnier qu'à cause de moi, et lorsqu'il verra[40] que je ne compte nullement user contre lui de ma liberté, il ouvrira, je l'espère, les portes de toutes les prisons. — Mon père est très malade, mon devoir est d'aller le rejoindre. Croyez, général, que je regrette bien de ne pas avoir été vous serrer la main avant de partir ; mais cela m'eût été impossible, mon émotion eût trahi mon secret que je voulais garder. J'ai pris des mesures pour que la pension que je vous fais vous soit payée. Comme vous pouvez d'avance avoir besoin d'argent, j'ai remis à Conneau 2.000 francs qu'il vous donnera ; ce sera les mois de la pension payés jusqu'à la fin de septembre. Je vous écrirai dès que je serai arrivé en lieu de sûreté. Adieu, mon cher général ; recevez l'assurance de mon amitié...

Le 25 mai, de bon matin, le prince se déguise. Sur ses vêtements[41] il passe une chemise de grosse toile, coupée à la ceinture, un pantalon et une blouse bleus ; il se met une forte couche de rouge au visage, sur la tête une perruque noire à longs cheveux, puis une casquette usée avec de la pierre ponce ; il chausse des sabots qui le grandissent ; et enfin il coupe ses moustaches, ce qui achève de le rendre méconnaissable[42]. Il était alors sept heures moins un quart. Thélin appelle les ouvriers[43] qui se trouvaient dans l'escalier et les introduit dans la salle à manger, où il leur offre un petit verre ; puis il revient près du prince et lui dit : c'est le moment ! Le docteur Conneau regarde par la fenêtre et aperçoit près de la porte donnant accès à la cour les jambes d'un des deux gardiens[44] qui se trouvaient là en faction ; il en avise le prince, mais il lui dit : Ne craignez rien, on ne vous reconnaîtra pas ! Thélin descend le premier, prend à part Issali, l'un des deux gardiens, et lui parle, en ayant soin de lui faire tourner le dos à la porte. Le prince, la pipe à la bouche et un rayon de bibliothèque sur son épaule, descend à son tour. Il avait la figure complètement cachée par la planche en arrivant près de l'autre gardien, Dupin-Saint-André[45]. Il passe ! Il rencontre presque immédiatement, au milieu de la cour, un garde du génie et l'entrepreneur des travaux qui examinaient un plan. Il passe ! Un tambour vient de son côté, il l'évite ! Le voilà au pont-levis ; il passe devant le sous-officier de planton qui lisait une lettre ! il passe devant le portier-consigne ! il passe devant le factionnaire[46] ! Le prince est dehors, mais il n'a pas fait quelques pas qu'il croise deux ouvriers qui le regardent et qui disent : Oh ! c'est Berthoud ! Il ne bronche pas et continue sa route.

Thélin avait suivi le prince. Bientôt il le rattrape pour le dépasser et courir à Ham. Au bout d'une demi-heure, il en revient avec une voiture[47], où le prince, après avoir abandonné sa fameuse planche sur la route[48], monte à côté de lui pour gagner Saint-Quentin. Avant d'arriver à cette ville, il jette dans un fossé une partie de son déguisement[49], notamment sa blouse, son pantalon et ses sabots, et il met pied à terre pour faire le tour de la ville extra muros pendant que Thélin va changer de chevaux : il doit le retrouver sur la route de Valenciennes. Le maître et le serviteur se séparent. Le prince marche fort vite et atteint bientôt la route de Valenciennes. Le temps passe[50], et Thélin ne paraît pas. Le prince s'inquiète. Thélin ne l'aurait-il pas distancé ? Il aperçoit un cabriolet qui arrive en sens inverse. Il l'arrête et demande au voyageur qui l'occupe s'il n'a pas croisé une voiture venant de Saint-Quentin. C'était le procureur du Roi, en personne, qu'il interrogeait, et qui lui répondit fort gracieusement d'une façon négative. Quelques moments après, Thélin rejoignait le prince, et l'on filait, bride abattue, vers Valenciennes[51], où l'on était rendu vers deux heures. Ils descendent à la gare du chemin de fer, où ils attendent jusqu'à quatre heures le train de Bruxelles. Durant ces deux mortelles heures il y eut un instant critique. Thélin s'entend appeler par son nom à haute et intelligible voix, et par qui ? par un employé de la gare, un habitant de Ham[52], qui lui demande des nouvelles du prince ! Enfin les deux fugitifs montent en wagon et franchissent la frontière sans encombre. Après s'être arrêté à Bruxelles, le prince s'embarquait à Ostende pour l'Angleterre[53].

Pendant ce temps-là, que s'était-il passé au fort de Ham ? Immédiatement après l'évasion, le docteur Conneau s'empressa de placer dans le lit du prince un mannequin, préparé de la veille, qui, à distance, n'avait pas une trop mauvaise tournure. Néanmoins il a soin de fermer la porte de communication entre la chambre à coucher et le salon. Dans cette dernière pièce, quoiqu'il fasse au dehors une chaleur ardente (sic)[54], il allume un grand feu, afin de donner plus de vraisemblance à l'indisposition du prince. Il procède à une petite mise en scène avec des cafetières, des fioles, des verres, etc., pour bien faire croire que le prince prend des remèdes. Bientôt le commandant Demarle se présente et demande à voir son prisonnier. Le docteur lui explique que celui-ci est souffrant et qu'il n'est pas visible, attendu qu'il a pris une purgation. Le commandant n'insiste pas et se retire. Conneau, pour bien établir aux yeux de l'entourage que le prince était bien là réellement indisposé, pour en montrer les preuves, se dévoue et absorbe lui-même le remède[55]. Sacrifice inutile, le purgatif n'agit pas ; alors[56] il en simule les suites à l'aide d'un mélange de café, de pain bouilli et d'acide nitrique, qui répand une odeur des plus désagréables. L'homme de peine (sic) qui fait le service, interrogé après cela par le commandant, répond que le prince ne va pas trop mal[57]. Après le déjeuner, le commandant revient. Le docteur Conneau lui dit que le prince est très fatigué, mais qu'il va voir s'il peut être reçu. Il entre dans la chambre et en sort presque aussitôt — tout en adressant quelques mots au prince, comme s'il avait été là —, pour exprimer au commandant tous les regrets de celui-ci de ne pouvoir lui ouvrir sa porte. A l'heure du dîner, le commandant se représente, le docteur Conneau pénètre encore dans la chambre à coucher et en revient sur-le-champ en disant que le prince dort. Le commandant s'assied en disant : Le prince ne dormira pas toujours ; je vais attendre. Il fait observer que Thélin n'est pas là et s'en étonne. Le docteur Conneau lui répond qu'il avait sans doute de nombreuses commissions à faire à Ham. A un moment, le commandant s'écrie : Le prince a remué. — Non, non, dit Conneau, laissez-le dormir. — Enfin, le commandant perd patience, se lève, entre dans la chambre, va droit au lit et découvre le mannequin. Le prince est parti ! s'écrie-t-il. — Oui, répond le docteur, qui ne pouvait plus cacher la vérité. — A quelle heure ?A sept heures du matin. — Quelles étaient les personnes de garde ?Je n'en sais rien. Là-dessus, sans autres paroles, le commandant sortit[58].

Le 10 juillet suivant, le tribunal correctionnel de Péronne condamnait Thélin à six mois d'emprisonnement et Conneau[59] à trois mois, en renvoyant des fins de la prévention le commandant Demarle et les gardiens Dupin et Issali.

Le 28 mai 1846, à son arrivée à Londres, le prince avait écrit à l'ambassadeur de France, M. de Sainte-Aulaire : Monsieur, je viens déclarer avec franchise à l'homme qui a été l'ami de ma mère, qu'en m'échappant de ma prison je n'ai cédé à aucun projet de renouveler contre le gouvernement français les tentatives qui m'ont été si désastreuses. Ma seule idée a été de revoir mon vieux père. Avant de me résoudre à cet extrême parti de la fuite, j'ai épuisé tous les moyens de sollicitation pour obtenir la permission d'aller à Florence, en offrant toutes les garanties compatibles avec mon honneur. Mes démarches ayant été repoussées, j'ai fait ce que firent les ducs de Guise et de Nemours, sous le règne de Henri IV, dans des circonstances semblables. Je vous prie, Monsieur, d'informer le gouvernement français de mes intentions pacifiques, et j'espère que cette déclaration toute spontanée pourra servir à abréger la captivité de mes amis qui sont encore en prison.

 

 

 



[1] En forme de grand carré flanqué de quatre tours rondes liées ensemble par trois remparts. La plus grosse tour fut construite par Louis de Luxembourg, connétable de Saint-Pol, sous Louis XI. Une seule porte ouvre du côté de la ville par un pont-levis jeté sur un fossé desséché. Au sud et à l'est, les murs de la forteresse sont baignés par le canal de Saint-Quentin. Au milieu de cette vieille enceinte s'élèvent deux constructions en briques qui servent de casernes ; c'est a l'extrémité de l'une d'elles qu'est située la prison d'État. Au milieu de la cour, un arbre planté en 1793 par Bourdon (de l'Oise). (Extrait du Moniteur du 24 juillet 1849.)

[2] Ce détail a son importance, à cause de l'évasion du prince.

[3] Voir Moniteur du 19 février 1849, article Variétés ; Étude sur Napoléon III, par FOURMESTRAUX. — Voir aussi, dans la Revue de l'Empire (1845), les lettres de Ham, p. 251 et suiv.

[4] Voir Moniteur du 19 février 1849, article Variétés ; Étude sur Napoléon III, par FOURMESTRAUX. — Voir aussi, dans la Revue de l'Empire (1845), les lettres de Ham, p. 251 et suiv.

[5] Gazette des Tribunaux, juillet 1846, Tribunal correctionnel de Péronne, évasion du prince.

[6] Étude sur Napoléon III, par FOURMESTRAUX.

[7] Étude sur Napoléon III, par FOURMESTRAUX.

[8] L'appartement occupé par le prince était large, bien meublé et pourvu de tout ce que le confort domestique réclame. Il ne me fallut qu'un coup d'œil pour juger que le prisonnier était traité avec bonté. (Louis BLANC, Révélations historiques, t. II, p. 220.) — Pour le prince, le général Montholon et le docteur Conneau, l'allocation mensuelle pour la table était de 600 francs, soit 20 francs par jour. On dînait à cinq heures et demie. Les repas étaient faits par la cantinière. (Ch.-Ed. TEMBLAIRE, Revue de l'Empire, p. 260, 261, 262. 1845.)

[9] Thélin avait la libre sortie en 1841.

[10] Voir la déposition du docteur Conneau devant le tribunal correctionnel de Péronne, audience du 9 juillet 1836, Gazette des Tribunaux du 10 : La reine Hortense a eu la bonté, dans son testament, d'exprimer le désir que je restasse auprès de son fils. C'était pour moi un ordre, je n'y ai pas manqué un seul moment. Il signa alors la déclaration suivante : Ayant obtenu de M. le ministre de l'intérieur la faveur que j'avais demandée dans ma lettre du 24 octobre de continuer à partager la captivité du prince Napoléon tant qu'elle durera, et persistant aujourd'hui dans la même détermination, je déclare avoir élu mon domicile dans la prison de Ham et me soumettre sans restriction à toutes les conditions que l'autorité a cru devoir m'imposer. Château de Ham, le 28 novembre 1844.

[11] C'est ainsi que Louis Blanc, à la fin de l'année 1840, obtint la permission de le voir. C'est un socialiste qui venait en voir un autre. Mon Credo, lui dit le prince, c'est l'Empire. L'Empire n'a-t-il pas élevé la France au sommet de la grandeur ? Ne lui a-t-il pas rendu l'ordre ? Ne lui a-t-il pas donné la gloire ? Pour moi, je suis convaincu que la volonté de la nation, c'est l'Empire. — Mais l'Empire, c'est le principe héréditaire ? — Sans doute... l'important, c'est que le gouvernement, quelle que soit sa forme, s'occupe du bonheur du peuple... — Alors, continue Louis Blanc dans son récit, il se mit à parler de l'urgence des réformes sociales... Autant ses opinions politiques m'avaient déplu, autant je fus étonné de son empressement à admettre les principes du socialisme dont, plus tard, il devait si bien faire usage pour se frayer une route à l'Empire... Souvenez-vous, lui dis-je, que l'Empire, c'était l'Empereur. L'Empereur peut-il sortir du tombeau ?... Comment accompliriez-vous avec son nom ce qu'il ne lui serait pas donné à lui d'accomplir de nos jours avec son génie ? L'Empire ressuscité ne serait possible que sous la forme d'un météore sanglant... — Quand je pris congé de lui... il me serra dans ses bras avec un élan dont je ne pus me défendre de rester ému. Et ses dernières paroles furent : N'oubliez pas d'embrasser pour moi Mme Gordon. (Révélations historiques, t. II, p. 221.) — M. Belmontet, autorisé par M. de Rémusat, ministre de l'intérieur, se rend à Ham, où il est reçu par le commissaire de police, qui lui propose de faire évader le prince sous l'uniforme d'un soldat. M. Belmontet en parle au prince, qui réfléchit pendant quelques instants-, puis qui s'écrie : Non ! le peuple français ne s'occuperait plus de moi... Je ne veux pas qu'il m'oublie. (Voir les Nouveaux Mémoires d'un bourgeois de Paris, par le docteur L. VÉRON, p. 54. 1866.)

[12] Il recevait fréquemment un pharmacien de Ham, M. Acar. (Louis BLANC, Révélations historiques, t. II, p. 220.)

[13] Ce qui m'occupe beaucoup maintenant, c'est le jardinage... Notre nature a des consolations inconnues à ceux qui furent toujours heureux... (Lettre du prince à M. Vieillard, 20 février 1841. — Voir Georges DUVAL, p. 262.)

[14] Moniteur du 19 février 1849 (article Variétés).

[15] Voir la Revue de l'Empire, t. V.

[16] On a surnommé Louis-Napoléon Badinguet. D'où vient ce surnom ? Il voudrait dire, en picard, badaud, étourdi, et, d'après la version la plus plausible, l'invention en devrait être attribuée aux militaires du fort de Ham, alors qu'ils voyaient le prince monter à cheval dans la cour du château, cultiver des fleurs, etc. La vérité est qu'on ne peut rien affirmer de positif à cet égard.

[17] On lui écrivait beaucoup sous le couvert de M. Ancelin, bijoutier à Ham. (V. Lettre du prince à M. Peauger, 4 février 1844, numéro du 1er août 1894 de la Nouvelle Revue.)

[18] 13 janvier 1841. (Voir Portraits politiques contemporains : Louis-Napoléon Bonaparte, par A. DE LA GUÉRONNIERE. 1851.)

[19] 14 août 1841. (Voir Portraits politiques contemporains : Louis-Napoléon Bonaparte, par A. DE LA GUÉRONNIERE. 1851.)

[20] Cependant on raconte que le gouvernement, qui avait certainement le plus vif désir d'adoucir autant que possible les rigueurs de l'emprisonnement, ferma les yeux sur les relations intimes du prince avec une jeune blanchisseuse, Eléonore Vergeot, dite Alexandrine la Belle Sabotière, qui, plus tard, épousa Bure, le frère de lait de Louis-Napoléon. On prétend qu'il en aurait eu deux enfants.

[21] Voir la Nouvelle Revue, livraisons du 1er et du 25 août 1894. — On voit par ces lettres combien la question d'argent le préoccupait. A cet égard on a raconté (voir le Galignani's Messenger, 1873) que l'année suivante, en 1845, il y aurait eu une convention passée entre le prince et le duc de Brunswick pour s'aider réciproquement dans la revendication de leurs droits et l'accomplissement de leurs projets respectifs.

[22] C'est pour cela que le 6 juin 1844 il écrit à Ledru-Rollin : Je serais heureux d'avoir comme représentant un homme dont les convictions politiques se rapprochent si intimement des miennes... (Voir le Temps du 12 janvier 1895.)

[23] 6 mai 1844. (Voir la Revue de Paris, numéro du 15 avril 1894.)

[24] 28 septembre 1844. (Voir la Revue de Paris.)

[25] 15 février 1845. (Voir la Revue de Paris.)

[26] 2 novembre 1845. (Voir la Revue de Paris.)

[27] Voir (G. DUVAL, Napoléon III, p. 282 à 290) plusieurs lettres à Mme Cornu, sa filleule, fille d'une femme de chambre de la reine Hortense, relativement à des recherches par elle faites à la Bibliothèque royale, notamment pour son Manuel d'artillerie.

[28] Le prince Louis-Napoléon a envoyé à l'Académie une note intéressante sur la théorie de la pile. Les recherches du prisonnier de Ham ont été dirigées vers le point obscur et délicat qui sépare l'hypothèse de Volta de la théorie chimique qui lui a succédé. L'auteur a cherché à démontrer que la présence de deux métaux différents dans le circuit n'est pas une condition nécessaire de la production du courant, etc. L'examen fait de cette note par M. Arago et M. Becquerel lui a été très favorable et prouve encore une fois que son auteur sait user honorablement des loisirs que lui a faits la politique. (Voir le feuilleton du National, numéro du 31 mai 1843.)

[29] Déjà en 1841, il avait correspondu à ce sujet avec Mme Cornu. (Voir G. DUVAL, Napoléon III, p. 269, 270.)

[30] La Bibliothèque royale avait reçu l'ordre de mettre à sa disposition tous les livres qu'il demanderait. (Lettre de Louis-Napoléon à M. Peauger, 9 mars 1844. — Voir la Nouvelle Revue du 1er août 1894.)

[31] Cependant il laissait écrire dans le Moniteur du 29 février 1849, alors qu'il était président de la République : ... On le saluait, on lui parlait à voix basse et on lui présentait les armes ; il n'était jamais suivi, malgré la consigne, qu'a cinquante ou cent pas ; les gardiens mêmes étaient polis ; on les eût pris pour des soldats... Voilà comment se manifestaient, à l'égard d'un jeune homme inconnu, mais portant un nom couvert des plus grandes gloires, les derniers mouvements de l'affection populaire...

[32] Cependant il écrivait encore le 6 janvier 1845 : ... Les années s'écoulent avec une désespérante uniformité, et ce n'est que dans ma conscience et mon cœur que je trouve la force de résister à cette atmosphère de plomb qui m'entoure et m'étouffe. Cependant l'espoir d'un meilleur avenir ne m'abandonne pas, et j'espère qu'un jour je pourrai encore vous revoir... (Voir Portraits politiques contemporains, par A. DE LA GUÉRONNIÈRE. 1851.)

[33] ... Combien je suis heureux de savoir que vous me conservez toujours votre tendresse... Le seul bonheur dans ce monde consiste dans l'affection réciproque des êtres créés pour s'aimer... Le désir que vous manifestez de me revoir... est pour moi un ordre... Un nouveau but s'offre à mes efforts, c'est d'aller vous entourer de mes soins et de vous prouver que si depuis quinze ans il a passé bien des choses à travers ma tête et mon cœur, rien n'a pu en déraciner la piété filiale, base première de toutes les vertus... (G. DUVAL, p. 294, lettre au roi Louis, 19 septembre 1845.)

[34] Odilon Barrot raconte dans ses Mémoires (t. III, p. 34) qu'il eut avec le Roi une longue et vive conversation, dans laquelle il chercha à lui persuader qu'il était d'une bonne politique pour lui de faire cesser un emprisonnement qui, en se prolongeant indéfiniment, finirait par attirer l'attention et l'intérêt sur celui qui en était l'objet ; qu'il était préférable d'écraser de nouveau ce jeune ambitieux sous le poids de la générosité royale ; que la circonstance de la mort prochaine du roi Louis était favorable, et que la grâce paraîtrait être accordée plutôt au père qu'au fils... Je trouvai, dit-il, le Roi inflexible...

[35] M. Vatout intervient aussi.

[36] Le désir de revoir encore mon père sur cette terre m'a fait tenter l'entreprise la plus audacieuse que j'aie jamais exécutée et pour laquelle il m'a fallu plus de résolution et de courage qu'à Strasbourg et à Boulogne, car j'étais décidé à ne pas supporter le ridicule qui s'attache à ceux qu'on arrête sous un déguisement. (Lettre à M. Degeorge, rédacteur en chef du Progrès du Pas-de-Calais. Voir la Gazette des Tribunaux de juillet 1846.)

[37] Dans le courant de mai, le prince avait demandé à Robert Peel et à lady Cramford, qui étaient venus le voir, de lui céder, prétextant un voyage prochain de son valet de chambre en Belgique, le passeport d'un de leurs domestiques, ce qui fut fait. (Voir Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham, par Pierre HACHET-SOUPLET, p. 211.)

[38] On trouve dans une publication intitulée : Papiers et correspondance de la famille impériale, et faite sous le gouvernement de la Défense nationale, édition collationnée sur le texte de l'Imprimerie nationale, t. II, Garnier frères, 1871, les mentions suivantes :

Achat de fd (foulard) 3 fr.

Une be (blouse) : 5 fr. 25

Une (idem) : 3 fr. 75

Un bon (bâton ou bourgeron) : 3 fr. 50

Un pon (pantalon) : 2 fr. 75

Une chemise : 3 fr. 75

Tablier et cravate : 2 fr. 50

Potasse, braise : 0 fr. 75

Au total : 25 fr. 25

Le 29 avril, Bure envoyait 2,025 francs à M. Conneau ; même source.

[39] L'abbé Tirmarche, sous l'Empire évêque d'Adras et aumônier des Tuileries.

[40] Le prince ne se trompait pas. Le 1er juin 1846, le général Montholon recevait la lettre suivante :

GÉNÉRAL,

Je me suis empressé de mettre sous les yeux du Roi la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Sa Majesté, toujours disposée à oublier les torts et toujours heureuse de donner des preuves de sa clémence, a accueilli avec intérêt votre demande et a consenti aussitôt à votre mise en liberté. Vous sortirez, général, du château où vous êtes détenu en ce moment dès que l'instruction relative à l'évasion du prince Louis-Napoléon sera terminée et que la justice aura prononcé sur cette affaire. Je me félicite d'avoir été l'intermédiaire d'une grâce qui, je n'eu doute pas, sera appréciée par vous comme elle mérite de l'être.

Recevez...

Le pair de France, Ministre secrétaire d'État de la guerre,

B. DE SAINT-YON.

[41] Voir la Gazette des Tribunaux.

[42] Moi-même, dit le docteur Conneau dans sa déposition devant le tribunal de Péronne, je l'aurais rencontré, que je n'aurais pas reconnu le prince dans cet ouvrier ainsi accoutré.

[43] Déposition de l'entrepreneur J.-B. Destoulet.

[44] Déposition de Conneau.

[45] Je n'ai cessé d'être à mon poste avec mon camarade, nous avons sans doute vu le prince, mais nous ne l'avons pas reconnu ; nous étions la tous les deux, il a fallu absolument que le prince passât entre nous. (Déposition du gardien Dupin-Saint-André.)

[46] Déposition de Conneau. — On raconte qu'alors il laissait tomber sa pipe et qu'il se baissa pour la ramasser.

[47] Louée la veille chez le loueur Fontaine.

[48] Trouvée par la bergère Deschassaing, sur la droite, en face du cimetière, au delà du faubourg de Ham. (Voir lettre du prince à M Souplet, ouvrage de M. P. HACHET-SOUPLET, p. 219.)

[49] Trouvée dans un fossé par le cantonnier Auguste Camus.

[50] On devient superstitieux quand on a éprouvé d'aussi fortes émotions, et quand, à une demi-heure de Ham, je me trouvai sur la route en attendant Charles, en face de la croix du cimetière, je tombai à genoux devant la croix et remerciai Dieu . Ah ! n'en riez pas ! Il y a des instincts plus forts que tous les raisonnements philosophiques... (6 juin 1846, lettre à M. Vieillard.)

[51] Déposition d'Annet Chopinot, postillon à Saint-Quentin : Il y en a un qui ma dit : Postillon, cent sous de pourboire .. Ils m'embêtaient toujours pour la marche, je leur ni dit : Vous m'embêtez, à la fin !

[52] Un ancien gendarme de Ham. (Voir la Gazette de Tribunaux.)

[53] Lettre de Louis-Napoléon à M Degeorge, rédacteur en chef du Progrès du Pas-de-Calais : ... Mais, mon cher Degeorge, si j'ai éprouvé un vif sentiment de joie lorsque je me sentis hors de la forteresse, j'éprouvai une bien triste impression en passant la frontière ; il fallait, pour me décider à quitter la France, la certitude que jamais le gouvernement ne me mettrait en liberté, si je ne consentais pas à me déshonorer ; il fallait enfin que j'y fusse poussé par le désir de tenter tous les moyens pour consoler mon père dans sa vieillesse... Quoique libre, je me sens bien malheureux... Si vous le pouvez, tâchez d'être utile à mon bon Conneau...

[54] Déposition de Conneau.

[55] J'avais dit que le prince avait pris un remède, il fallait nécessairement que ce remède fût pris ; alors je me suis exécuté. (Déposition de Conneau.)

[56] L'homme de peine qui a senti cela a dû avoir la pensée que le prince s'était réellement purgé. (Ibid.)

[57] Il me parlait comme s'il venait de le voir ; je suis resté toute la journée sous cette influence qu'il l'avait vu, qu'il venait de le quitter... (Déposition du commandant Demarle.)

[58] Déposition du commandant : ... Tout ce qu'il était possible de faire, je l'ai fait ; si j'ai péché, c'est par excès de délicatesse, parce que je pensais que le gouvernement voulait que j'eusse tous les égards possibles. C'est ce que m'avait recommandé M. le maréchal avant mon départ pour Ham....

[59] Défendu par Me Nogent-Saint-Laurens.