NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE III. — L'ÉCHAUFFOURÉE DE STRASBOURG - 30 OCTOBRE 1836.

 

 

La pensée politique du prince. — Ce qu'il disait à ses amis. — Son plan. — Juin 1836, il se rencontre soit à Bade, soit sur la frontière, avec des officiers de la garnison de Strasbourg ; le capitaine Raindre ; le commandant de Franqueville ; le colonel Vaudrey ; Eléonore Brault, femme Gordon. — Le prince et Vaudrey se rencontrent à Bade ; ce que dit le prince ; sentiments de Vaudrey. — Lettre de Louise Wernert ; de Mine Gordon ; du prince au général Voirol ; de celui-ci au ministre de la guerre. — Le prince vient une première fois à Strasbourg ; son entrevue avec des officiers. — Tentative d'embauchage du général Exelmans. — 29 octobre, réunion des conjurés et lecture des proclamations du prince. — 30 octobre : les deux lettres du prince à la reine Hortense ; les conjurés ; le départ pour le quartier d'Austerlitz ; le costume du prince ; distribution d'argent par le colonel Vaudrey, son allocution ; discours du prince ; le colonel enlève son régiment ; mesures prises par les révoltés ; luttes chez le général Voirol ; les conjurés à la caserne Finckmatt ; arrestation du prince et de ses amis ; durée de l'échauffourée. — Dépêche du général Voirol ; son ordre du jour. — Affolement de la cour. — La presse française et étrangère condamne le prince. — Le prince de Metternich à M. de Sainte-Aulaire. Lettres du prince à sa mère. — Devant quelle juridiction doit-on poursuivre les révoltés ? — Poursuivra-t-on le prince ? — 9 novembre, transfert du prince à Paris ; son entrevue avec le préfet de police ; ses lettres à sa mère, à Odilon Barrot, à son oncle Joseph. — Son arrivée à Lorient, où le sous-préfet lui remet 15.000 francs. — Lettre à un ami, où il se défend de toute relation intime avec Mme Gordon. — Son transport en Amérique ; ses lettres à sa mère durant la traversée. — Le journal la Charte de 1830 sur la grâce accordée au prince. — Il devait être poursuivi et condamné. — Les Débats approuvent le gouvernement. — Le National le blâme. — Arrêt de renvoi de la cour de Colmar. — Cour d'assises de Strasbourg ; les accusés ; les pièces à conviction ; interrogatoires ; réquisitoire ; plaidoiries ; acquittement. — Manifestations. — Le Courrier du Bas-Rhin ; le National ; le Moniteur. — Les journaux anglais approuvent le verdict. — Le prince de Metternich au comte Apponyi. — Lettres de Persigny au Sun ; du prince (30 avril 1837) à M. Vieillard. — Le prince revient en Suisse au milieu de 1837. — Avait-il donné sa parole d'honneur de rester en Amérique ? Avait-il au moins l'obligation morale de ne pas rentrer en Europe ? — Assertion de M. Capefigue et réponse du prince. — L'état de sa mère ne justifiait-il pas son retour ? — 3 octobre 1837, mort de la reine Hortense.

 

Depuis la révolution de Juillet qui avait changé la base du gouvernement monarchique en France, le prince Louis-Napoléon avait la conviction profonde que tant qu'un vote général n'aurait pas sanctionné un gouvernement quelconque, les diverses factions agiteraient constamment la France...[1] C'est alors qu'étant survenue la mort du duc de Reichstadt qui faisait de lui l'héritier de l'Empereur, il se considéra comme ayant charge des destinées de l'Empire et ne cessa de songer à une restauration impériale.

Après avoir préparé le terrain par ses écrits, après avoir montré qu'il n'y avait de salut, de grandeur et d'avenir pour la nation française que dans une alliance de la démocratie et de l'autorité trouvant sa formule dans le système napoléonien, il pensa qu'il ne suffisait pas de semer la bonne parole, qu'il fallait passer à l'action, entraîner l'armée, soulever le pays et culbuter le trône de Louis-Philippe qui ne reposait ni sur le droit divin ni sur le droit populaire ; qu'avec le nom prestigieux de Napoléon rien n'était impossible ; en un mot, que les temps étaient venus.

Il disait alors à ses amis[2] :

Le temps des préjugés est passé, le prestige du droit divin s'est évanoui en France avec les vieilles institutions féodales ; une ère nouvelle a commencé. Les peuples, désormais, sont appelés au libre développement de leurs facultés, mais qui préservera le peuple des dangers de sa propre activité ? Quel gouvernement sera assez puissant, assez respecté pour assurer à la nation la jouissance des grandes libertés sans agitations, sans désordres ? Il faut à un peuple libre un gouvernement revêtu d'une immense force morale, et que cette force soit proportionnée à la masse des libertés populaires. Sans cette condition, le pouvoir, privé d'un état moral suffisant, forcé pour le besoin de sa conservation, ne recule alors pour se maintenir devant aucun expédient, aucune illégalité.

Comment donc recréer la majesté du pouvoir ? Où trouver un principe de force morale devant lequel s'inclinent les partis et s'annulent les résistances individuelles ? Où chercher enfin le prestige du droit qui n'existe plus en France dans la personne d'un roi, d'un seul, si ce n'est dans le droit, dans la volonté de tous ? C'est qu'il n'y a de force que là...

 

Le prince, résolu à tenter la fortune d'un soulèvement militaire et populaire, fut amené tout naturellement, étant réfugié en Suisse, à choisir, comme point de départ de son entreprise, la ville de Strasbourg, qui comptait une importante garnison composée de deux régiments d'artillerie, le 3e et le 4e[3], de trois régiments d'infanterie, le 14e léger, le 16e[4] et le 46e[5] de ligne, et d'un bataillon de pontonniers à douze compagnies[6]. Ces troupes, une fois enlevées, formeraient tout de suite une petite armée que viendraient bientôt grossir les garnisons rencontrées sur la route, et qu'augmenteraient encore de forts contingents de gardes nationaux. C'était, comme par une traînée de poudre, la France conquise jusqu'à Paris, dont les portes s'ouvriraient d'elles-mêmes devant cette marche triomphale, renouvelant le prodige du retour de l'île d'Elbe.

Le plan du prince[7] consistait à se jeter inopinément au milieu d'une grande place de guerre, à y rallier le peuple et la garnison par le prestige de son nom, l'ascendant de son audace, et à se porter aussitôt, à marches forcées, sur Paris, avec toutes les forces disponibles, entraînant sur sa route troupes et gardes nationales, peuples des villes et des campagnes, enfin tout ce qui serait électrisé par la magie d'un grand spectacle et le triomphe d'une grande cause. Strasbourg était bien la ville la plus favorable à l'exécution de ce projet. Une population patriote, ennemie d'un gouvernement qui s'est vu contraint de licencier sa garde nationale, une garnison de huit à dix mille hommes, une artillerie considérable, un arsenal immense, des ressources de toute espèce, faisant, de cette place importante, une base d'opérations, qui, une fois acquise à la cause populaire, pouvait amener les plus grands résultats. La nouvelle d'une révolution faite à Strasbourg par le neveu de l'Empereur, au nom de la liberté et de la souveraineté du peuple, eût embrasé toutes les têtes... Le jour même où cette grande révolution s'accomplissait, tout s'organisait de manière à partir le lendemain pour marcher sur Paris avec plus de douze mille hommes, près de cent pièces de canon, dix à douze millions de numéraire et un convoi d'armes considérable pour armer les populations sur la route. On savait que l'exemple de Strasbourg aurait entraîné toute l'Alsace et ses garnisons. La ligne à parcourir traversait les Vosges, la Lorraine, la Champagne. Que de grands souvenirs réveillés ! que de ressources dans le patriotisme de ces provinces ! Metz suivait l'impulsion de Strasbourg ; Nancy et les garnisons qui l'entourent se trouvaient occupés dès le quatrième jour pendant que le gouvernement aurait à peine pris un parti. Ainsi le prince Napoléon pouvait entrer en Champagne le sixième ou le septième jour à la tête de plus de cinquante mille hommes. La crise nationale grandissait d'heure en heure ; les proclamations faites pour réveiller toutes les sympathies populaires pénétraient partout et inondaient le nord, l'est, le centre et le midi de la France. Besançon, Lyon, Grenoble, recevaient le contre-coup électrique de cette grande révolution...

 

Ce plan, dit Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, était hardi et bien entendu[8].

Le prince était imbu de l'idée, peut-être juste, que le gouvernement de Juillet n'était pas très populaire dans l'armée, et il nourrissait l'espérance qu'au nom de Napoléon et qu'en présence de l'héritier de l'Empereur, les soldats, séduits, subjugués, animés des sentiments d'enthousiasme et d'adoration de la vieille garde, céderaient à un irrésistible entraînement et le salueraient d'une longue acclamation[9].

Sachant que des officiers de la garnison de Strasbourg allaient souvent à Bade, il s'y rendit lui-même au mois de juin 1836, et réussit à nouer des relations avec un certain nombre d'entre eux[10]. Il venait aussi dans les principales localités de la frontière, et c'est ainsi qu'il rencontra à Offenbourg, puis à Kehl, le capitaine Raindre[11], du 16e régiment d'infanterie, le commandant de Franqueville[12].

Ayant appris que le colonel Vaudrey, commandant le 4e régiment d'artillerie, avait été doublement blessé par le gouvernement, une première fois parce qu'il n'avait pas obtenu la situation d'aide de camp du duc d'Orléans, et une seconde fois parce qu'on lui avait refusé une bourse pour son fils aîné[13], il vit immédiatement dans cet officier supérieur, dans ce militaire de haut rang, l'homme qui pouvait le servir dans des conditions inespérées et qu'à tout prix il fallait s'attacher. Par un surcroît de chance pour la tentative de corruption et d'embauchage, le colonel n'était pas seulement un mécontent, c'était aussi un homme de plaisir et réputé assez faible pour, une fois épris, subir aveuglément l'influence des femmes. Si, en effet, on s'en rapporte à l'acte d'accusation dressé dans le procès qui suivit l'échauffourée, le colonel Vaudrey, quoique marié à une femme digne de l'estime de tous, et père d'une famille intéressante, trouvait encore place pour d'autres penchants. Ses mœurs n'étaient surtout ni de son âge, ni de sa position[14]... Il ne s'agissait donc que de trouver une femme qui pût et voulût compléter l'œuvre qu'avaient commencée la vanité et une insatiable ambition. La femme fut trouvée. C'était une cantatrice, Éléonore Brault[15], remarquable par les charmes de sa personne, et de mœurs équivoques[16]. Son père avait été capitaine dans la garde impériale, et elle avait dû concevoir au foyer paternel un véritable culte pour le nom de Napoléon. Et puis, elle était sans argent[17].

Elle arriva à Strasbourg au commencement du mois de juin 1836, et elle chanta dans plusieurs maisons, notamment chez le général Voirol, où elle produisit une profonde impression sur le colonel Vaudrey. Quelque temps après, il la rencontre au casino de Bade en compagnie du prince, auquel il se fait alors présenter par un ancien camarade, le colonel d'artillerie en retraite Eggerlé. La conversation s'engage, et Louis-Napoléon, après avoir pris à part Vaudrey, lui tient le langage suivant :

Une révolution n'est excusable, n'est légitime que lorsqu'elle se fait dans l'intérêt de la majorité de la nation. Or, on est sûr que l'on agit dans ce sens lorsqu'on ne se sert que d'une influence morale pour la faire réussir. Si le gouvernement a commis assez de fautes pour rendre une révolution encore désirable au peuple, si la cause napoléonienne a laissé d'assez profonds souvenirs dans les cœurs français, il suffira de me montrer seul aux soldats et au peuple, et de leur rappeler les griefs récents et la gloire passée pour qu'on accoure sous mon drapeau. Si je voulais, au contraire, intriguer et tâcher de corrompre tous les officiers et tous les soldats d'un régiment, je ne serais sûr que d'individus qui ne me donneraient aucune garantie de réussir auprès d'un autre régiment où les mêmes moyens de séduction n'auraient pas été employés. Je n'ai jamais conspiré dans l'acception habituelle du mot, car les hommes sur lesquels je compte ne sont pas liés à moi par des serments, mais par un lien plus solide, une sympathie mutuelle pour tout ce qui peut concourir au bonheur et à la gloire du peuple français.

L'homme de l'antiquité que je hais le plus, c'est Brutus, non seulement parce qu'il a commis un lâche assassinat, non seulement parce qu'il a tué le seul homme qui eût pu régénérer Rome, mais parce qu'il a pris sur lui une responsabilité qu'il n'est donné à personne de prendre, celle de changer le gouvernement de son pays par un seul fait indépendant de la volonté du peuple.

Si je réussis à entraîner un régiment, si des soldats qui ne me connaissent pas s'enflamment à la vue de l'aigle impériale, alors toutes les chances seront pour moi... Croyez que je connais bien la France... le peuple cherche !... la France est démocratique, mais elle n'est pas républicaine ; or j'entends par démocratie le gouvernement d'un seul par la volonté de tous, et par république le gouvernement de plusieurs obéissant à un système. La France veut des institutions nationales comme représentant de ses droits ; un homme ou une famille comme représentant de ses intérêts ; c'est-à-dire qu'elle veut de la république ses principes populaires, plus, la stabilité de l'Empire, sa dignité nationale, son ordre et sa prospérité intérieure, moins ses conquêtes...

Mon but est de venir avec un drapeau populaire, le plus populaire et le plus glorieux de tous, de servir de point de ralliement à tout ce qu'il y a de généreux et de national dans tous les partis, de rendre à la France sa dignité, sans guerre universelle, sa liberté sans licence, sa stabilité sans despotisme ; et pour arriver à un pareil résultat que faut-il faire ? Puiser entièrement dans les masses toute sa force et tous ses droits, car les masses appartiennent à la raison et à la justice[18].

 

Ces paroles enflammées, ce lyrisme politique, cette foi napoléonienne ébranlèrent profondément le colonel Vaudrey. Pourquoi n'aurait-il pas écouté le prince ? Quels scrupules pour l'arrêter ? Le gouvernement de Juillet n'était-il pas doublement usurpateur, doublement sacrilège, doublement criminel, et au regard de la légitimité et au regard de la volonté du peuple ? Est-ce qu'ensuite le prince voulait entamer une lutte, employer la force, faire appel à la guerre civile, répandre le sang français ? La marche sur Paris ne devait-elle pas être toute d'acclamations et de triomphes ? Au fond, la France ne voulait qu'un Napoléon, et il ne s'agissait que de dégager la vérité politique et d'extérioriser le sentiment populaire, de travailler ainsi à la grandeur et à la gloire de la patrie. Enfin le gouvernement de Juillet, au lieu de reconnaître et de récompenser ses services, ne lui avait-il pas refusé tout ce qu'il avait demandé ?

Le colonel revint à Strasbourg, et quelque temps après il recevait la lettre suivante[19] :

MONSIEUR,

Je ne vous ai pas écrit depuis que je vous ai quitté parce qu'au commencement j'attendais une lettre où vous m'auriez donné votre adresse. Cependant aujourd'hui que vous vous occupez de mon mariage je ne puis m'empêcher de vous adresser personnellement une phrase d'amitié. Vous devez assez me connaître pour savoir à quoi vous en tenir sur les sentiments que je vous porte, mais pour moi j'éprouve trop de plaisir à vous les exprimer pour que je garde le silence plus longtemps, car vous réunissez, Monsieur, à vous seul tout ce qui peut faire vibrer un cœur : passé, présent, avenir. Avant de vous connaître j'errais sans guide certain ; semblable au hardi navigateur qui cherchait un nouveau monde, je n'avais comme lui que dans ma conscience et mon courage la persuasion de la réussite ; j'avais beaucoup d'espoir et peu de certitude ; mais lorsque je vous ai vu, Monsieur, l'horizon m'a paru s'éclaircir et j'ai crié : Terre ! Terre ! — Je crois de mon devoir, dans les circonstances actuelles où mon mariage dépend de vous, de vous renouveler l'expression de mon amitié et de vous dire que, quelle que soit votre décision, cela ne peut influer en rien sur les sentiments que je vous porte. Je désire que vous agissiez entièrement d'après vos convictions et que vous soyez sûr que tant que je vivrai, je me rappellerai avec attendrissement vos procédés à mon égard. Heureuse si je puis un jour vous donner des preuves de ma reconnaissance. En attendant que je sache si je me marierai ou si je resterai vieille fille, je vous prie de compter toujours sur ma sincère affection.

Louise WERNERT[20].

 

En même temps Mme Gordon lui écrivait qu'elle ne pouvait appartenir qu'à l'homme qui se dévouerait corps et âme au succès de la cause napoléonienne[21].

Les autorités de Strasbourg connaissaient la présence du prince à la frontière et même soupçonnaient de sa part quelques menées. C'est pour cela que le colonel Vaudrey, à son retour de Bade, fut interrogé par le général Voirol qui lui demanda s'il avait vu le prince et s'il ne lui avait pas été fait d'ouvertures. — Oui, avait répondu le colonel, je l'ai rencontré, mais il ne m'a rien dit[22].

Le prince, continuant à préparer son entreprise, essaya quelque temps après de gagner à sa cause le général Voirol lui-même, commandant de la place de Strasbourg, et à cette fin il lui écrivit, de Bade, à la date du 14 août 1836, la lettre suivante :

GÉNÉRAL,

Comptant partir bientôt pour retourner en Suisse, je serais désolé de quitter la frontière de France sans avoir vu un des anciens chefs militaires que j'honore le plus. Je sais bien, général, que les lois et la politique voudraient vous jeter, vous et moi, dans deux camps différents, mais cela est impossible ; un vieux militaire sera toujours pour moi un ami, de même que mon nom lui rappellera sans cesse sa glorieuse jeunesse.

Général, j'ai le cœur déchiré en ayant depuis un mois la France devant les yeux sans pouvoir y poser les pieds ; c'est demain la fête de l'Empereur, et je la passerai avec des étrangers. Si vous pouvez me donner un rendez-vous dans quelques jours dans les environs de Bade, vous effacerez par votre présence les tristes impressions qui m'oppriment. En vous embrassant j'oublierai l'ingratitude des hommes et la cruauté du sort. Je vous demande pardon, général, de m'exprimer aussi amicalement envers quelqu'un que je ne connais pas, mais je sais que votre cœur n'a pas vieilli.

Recevez, général, avec l'expression du bonheur que j'aurais à vous voir, l'assurance de mon estime et de mes sentiments distingués.

Napoléon-Louis BONAPARTE.

Je vous prie de remettre la réponse à la personne qui vous portera ma lettre.

 

Au lieu de répondre, le général s'empressa de se rendre chez le préfet, lui donna communication de cette lettre et lui déclara qu'il fallait redoubler de surveillance, que le prince avait des émissaires, et qu'un officier[23] avait même reçu des propositions. Puis, en envoyant la lettre de Louis-Napoléon au ministre de la guerre, il lui écrivait, à la date du 18 août 1836 :

MONSIEUR LE MARÉCHAL,

J'ai reçu du prince Louis-Napoléon la lettre ci-jointe, que je m'empresse de vous adresser... Cette lettre acquiert une véritable importance par les démarches qui ont été faites auprès du capitaine Raindre, démarches dont il vous rendra compte lui-même. Il vous dira que le prince est nourri de la pensée que son retour en France peut s'opérer, et que le pays l'attend avec impatience. M. Raindre va plus loin, il prétend même qu'un mouvement militaire doit avoir lieu, que l'armée est travaillée et que des propositions directes lui ont été faites. L'incertitude de cette démarche m'a décidé à vous envoyer la lettre du prince. Voici la réponse verbale que j'ai faite : Avant toute chose je respecte les lois de mon pays ; une de ces lois bannit à perpétuité la branche des Bonaparte, le prince ne peut remettre le pied en France, et je ne puis moi-même aller le voir. M. le capitaine Raindre n'a pu me faire connaître son entrevue avec le prince qu'au retour d'une mission qu'il a remplie à Neufbrisach. M. Raindre s'est conduit de la manière la plus noble, et ses réponses au prince Louis ont dû bien le détromper de ses projets insensés. D'ailleurs, Monsieur le maréchal, vous entendrez cet officier. C'est un homme plein d'honneur, c'est le digne fils du commandant de l'école d'artillerie de Nantes. Vous penserez sans doute que ce rapport sera resté confidentiel ; je connais les sentiments de l'armée, toute entreprise contre le gouvernement viendrait se briser contre le bon esprit des troupes.

 

Presque en même temps, le prince venait secrètement à Strasbourg, une nuit, et rencontrait dans une maison amie une vingtaine d'officiers[24]. On leur avait annoncé que le neveu de l'Empereur allait se présenter. Tous s'écrièrent : Le neveu de l'Empereur est le bienvenu parmi nous ; il est sous la protection de l'honneur français. Que peut-il craindre ? Nous le défendrons tous au péril de notre vie. — Quand le prince eut été introduit, il leur dit : Messieurs, c'est avec confiance que le neveu de l'Empereur se livre à votre honneur ; il se présente à vous pour savoir de votre bouche vos sentiments et vos opinions ; si l'armée se souvient de ses grandes destinées, si elle sent les misères de la patrie, alors j'ai un nom qui peut vous servir, il est plébéien comme notre gloire passée, il est glorieux comme le peuple. Aujourd'hui, le grand homme n'existe plus, il est vrai, mais la cause est la même ; l'aigle, cet emblème sacré, illustrée par cent batailles, représente, comme en 1815, les droits du peuple méconnus et la gloire nationale. Messieurs, l'exil a accumulé sur moi bien des chagrins et des soucis ; mais comme ce n'est pas une ambition personnelle qui me fait agir, dites-moi si je me suis trompé sur les sentiments de l'armée, et, s'il le faut, je me résignerai à vivre sur la terre étrangère, en attendant un meilleur avenir...

Les officiers s'écrièrent : Non, vous ne languirez pas dans l'exil ; c'est nous qui vous rendrons votre patrie ; toutes nos sympathies vous étaient acquises depuis longtemps ; nous sommes las, comme vous, de l'inaction où on laisse notre jeunesse ; nous sommes honteux du rôle que l'on fait jouer à l'armée.

Quelque confiant que fût le prince dans son étoile, et quelque foi qu'il eût dans son nom, il désirait vivement avoir à ses côtés, dans l'exécution de son entreprise, un militaire du grade le plus élevé. Le général Voirol ayant décliné ses offres, il pensa au général Exelmans qui avait brillamment servi sous l'Empire, et qu'on disait avoir gardé un véritable culte pour la mémoire de l'Empereur. Dans le courant du mois d'octobre, le prince lui fit porter à Paris par le comte de Bruc la lettre suivante :

GÉNÉRAL,

Je profite d'une occasion sûre pour vous dire combien je serais heureux de pouvoir vous parler. Vos honorables antécédents, votre réputation civile et militaire me font espérer que, dans une occasion difficile, vous voudrez bien m'aider de vos conseils. Le neveu de l'Empereur s'adresse avec confiance à un vieux militaire et à un vieil ami. Aussi espère-t-il que vous excuserez la démarche qui pourrait paraître intempestive à tout autre qu'à vous, général, qui êtes digne de comprendre tout noble sentiment. Le lieutenant-colonel de Bruc, qui mérite toute confiance, veut bien se charger de décider avec vous du lieu où je pourrais vous voir.

En attendant, général, veuillez recevoir l'expression de mes sentiments et de ma considération.

N.-L. B.

 

L'accueil que reçut M. de Bruc fut assez froid. L'envoyé du prince, surpris, interloqué, ne put pas préciser et se contenta forcément de rester sur le terrain des généralités. Le vieux soldat finit par lui dire brusquement[25] : Enfin, que me veut le prince ?... Je ne saurais avoir avec lui des relations qui ne pourraient s'allier avec mon caractère et ma position... ; qu'il ne se compromette pas ; qu'il ne compromette pas sa famille. S'il nourrit quelque projet sur la France, dites-lui bien qu'on le trompe ou qu'il se trompe. Il n'a pas de parti en France... Il y a chez nous une grande vénération, une profonde admiration pour la mémoire de l'Empereur, mais voilà tout, et c'est folie que de songer au renversement de ce qui est[26]...

Mme Gordon avait triomphé. Dans la seconde quinzaine d'octobre, elle revenait des environs de Dijon, où elle avait passé quelque temps avec le colonel Vaudrey. Après avoir séjourné à Colmar à l'hôtel de l'Ange[27], ils arrivèrent à Fribourg, voyageant sous le nom de M. et Mme de Cessay[28]. Le jour même, M. de Persigny venait les y rejoindre.

De son côté, le prince quittait le château d'Arenenberg le 25 octobre, s'arrêtait à l'auberge de l'Étoile à quatre lieues de Fribourg, descendait ensuite à l'hôtel du Sauvage de cette ville, pernoctait à Lac[29], puis à Bade, et enfin arrivait à Strasbourg le 28 au soir. Après s'être arrêté à l'hôtel de la Fleur, il alla loger chez M. de Persigny, 17, rue de la Fontaine, qui habitait là sous le nom de Manuel. Le 29 au soir, accompagné de celui-ci, auquel, chemin faisant, il disait que la beauté de la nuit était d'un favorable augure pour le lendemain[30], il se rendait rue des Orphelins, dans un appartement loué par M. de Querelles et composé de deux pièces au rez-de-chaussée. C'est là que les conjurés arrivèrent bientôt pour tenir un conseil suprême dans lequel l'exécution de l'entreprise fut réglée dans ses détails et fixée au lendemain, quatre heures du matin. Un certain nombre d'officiers étaient présents, notamment le colonel Vaudrey, les lieutenants Laity, Couard, Poggi, Gros, Pétry, Dupenhoat, de Schaller. Nous ne connaissons que les noms de ceux qui se compromirent irrémédiablement, le gouvernement ayant tenu[31] à amoindrir le plus possible l'importance de la propagande napoléonienne. On ne poursuivit pas tous les officiers qui avaient assisté aux réunions bonapartistes et participé à la préparation du complot, on n'arrêta ou on ne signala que ceux qui furent pris ou qui se montrèrent les armes à la main en état de rébellion ouverte et déclarée.

Le prince, après avoir passé en revue tous les griefs de la nation contre le gouvernement de Juillet, et soutenu que la légitimité comme l'orléanisme ne représentaient, en définitive, que les intérêts d'une seule classe de la société française[32], donna lecture des différentes proclamations qu'il avait préparées. La première était adressée au peuple :

FRANÇAIS !

On vous trahit ! vos intérêts politiques, vos intérêts commerciaux, votre honneur, votre gloire, sont vendus à l'étranger.

Et par qui ! par les hommes qui ont profité de notre belle Révolution et qui en renient les principes. Est-ce donc pour avoir un gouvernement sans parole, sans honneur, sans générosité, des institutions sans force, des lois sans liberté, une paix sans prospérité et sans calme, enfin, un présent sans avenir, que nous avons combattu depuis quarante ans ? En 1830 on imposa un gouvernement à la France sans consulter ni le peuple de Paris, ni le peuple des provinces, ni l'armée française ; tout ce qui a été fait sans vous est illégitime.

Un congrès national[33], élu par tous les citoyens, peut seul avoir le droit de choisir ce qui convient le mieux à la France.

Fier de mon origine populaire, fort de quatre millions de votes qui me destinaient au trône, je m'avance devant vous comme représentant de la souveraineté du peuple.

Il est temps qu'au milieu du chaos des partis une voix nationale se fasse entendre ; il est temps qu'aux cris de la liberté trahie vous renversiez le joug honteux qui pèse sur notre belle France ; ne voyez-vous pas que les hommes qui règlent nos destinées sont encore les traîtres de 1814 et de 1815, les bourreaux du maréchal Ney ?

Pouvez-vous avoir confiance en eux ? Ils font tout pour complaire à la Sainte-Alliance ; pour lui obéir ils ont abandonné les peuples, nos alliés ; pour se soutenir ils ont armé le frère contre le frère ; ils ont ensanglanté nos villes, ils ont foulé aux pieds nos sympathies, nos volontés, nos droits. Les ingrats ! ils ne se souviennent des barricades que pour préparer les forts détachés. Méconnaissant la grande nation, ils rampent devant les puissants et insultent les faibles. Notre vieux drapeau tricolore s'indigne d'être plus longtemps entre leurs mains ! Français ! que le souvenir du grand homme qui fit tant pour la gloire et la prospérité de la patrie vous ranime. Confiant dans la sainteté de ma cause, je me présente à vous, le testament de l'empereur Napoléon d'une main, l'épée d'Austerlitz de l'autre. Lorsqu'à Rome le peuple vit les dépouilles ensanglantées de César, il renversa ses hypocrites oppresseurs. Français ! Napoléon est plus grand que César ; il est l'emblème de la civilisation du dix-neuvième siècle !

Fidèle aux maximes de l'Empereur, je ne connais d'intérêts que les vôtres, d'autre gloire que celle d'être utile à la France et à l'humanité. Sans haine, sans rancune, exempt de l'esprit de parti, j'appelle sous l'aigle de l'Empire tous ceux qui sentent un cœur français battre dans leur poitrine !

J'ai voué mon existence à l'accomplissement d'une grande mission. Du rocher de Sainte-Hélène un rayon du soleil mourant a passé dans mon âme. Je saurai garder ce feu sacré ; je saurai vaincre ou mourir pour la cause du peuple.

Hommes de 1789, hommes du 20 mars 1815, hommes de 1830, levez-vous ! Voyez qui vous gouverne ; voyez l'aigle, emblème de gloire, symbole de liberté, et choisissez. Vive la France ! Vive la liberté !

NAPOLÉON.

 

C'était ensuite une proclamation à l'armée :

SOLDATS !

Le moment est venu de recouvrer votre ancienne splendeur. Faits pour la gloire, vous pouvez moins que d'autres supporter plus longtemps le rôle honteux qu'on vous fait jouer. Le gouvernement qui trahit nos intérêts civils voudrait aussi ternir notre honneur militaire. L'insensé ! Croit-il que la race des héros d'Arcole, d'Austerlitz, de Wagram soit éteinte ?

Voyez le lion de Waterloo encore debout sur nos frontières ; voyez Hunningue privé de ses défenses ; voyez les grades de 1815 méconnus ; voyez la Légion d'honneur prodiguée aux intrigants et refusée aux braves ; voyez notre drapeau... il ne flotte nulle part où nos armes ont triomphé ! Voyez enfin partout trahison, lâcheté, influence étrangère, et écriez-vous avec moi : Chassons les barbares du Capitole ! Soldats, reprenez ces aigles que nous avions dans nos grandes journées : les ennemis de la France ne peuvent en soutenir les regards ; ceux qui vous gouvernent ont déjà fui devant elles ! Délivrer la patrie des traîtres et des oppresseurs, protéger les droits du peuple, défendre la France et ses alliés contre l'invasion, voilà la route où l'honneur vous appelle, voilà quelle est votre sublime mission !

Soldats français, quels que soient vos antécédents, venez tous vous ranger sous le drapeau tricolore régénéré, il est l'emblème de vos intérêts et de votre gloire. La patrie divisée, la liberté trahie, l'humanité souffrante, la gloire en deuil comptent sur vous : vous serez à la hauteur des destinées qui vous attendent.

Soldats de la République ! soldats de l'Empire ! que mon nom réveille en vous votre ancienne ardeur. Et vous, jeunes soldats qui êtes nés comme moi au bruit du canon de Wagram, souvenez-vous que vous êtes les enfants des soldats de la grande armée. Le soleil de cent victoires a éclairé votre berceau. Que nos hauts faits ou notre trépas soient dignes de notre naissance ! Du haut du ciel la grande ombre de Napoléon guidera nos bras, et, content de nos efforts, elle s'écriera : Ils étaient dignes de leurs pères.

Vive la France ! Vive la liberté !

NAPOLÉON.

 

Enfin, venait une proclamation aux habitants de Strasbourg

Le 30 octobre, le prince se lève au point du jour et écrit à sa mère deux lettres où il annonçait dans l'une sa victoire et dans l'autre sa défaite[34]. Puis il reçoit les conjurés qui étaient, outre les huit officiers ci-dessus désignés :

Parquin, chef de bataillon à la garde municipale de Paris

De Querelles, lieutenant en disponibilité.

De Gricourt (2)[35].

De Persigny[36].

Lombard, ancien chirurgien de l'hôpital militaire de Strasbourg.

Thelin, valet de chambre du prince.

Six heures sonnent. Jamais les sons d'une horloge n'avaient retenti si violemment dans le cœur de Louis-Napoléon[37]. Un instant après la trompette du quartier d'Austerlitz vient en accélérer les battements[38]. Le colonel Vaudrey est déjà à la caserne. On vient prévenir le prince. Messieurs, s'écrie-t-il[39], le moment est arrivé ! Nous allons voir si la France se souvient encore de vingt années de gloire !Oui ! oui ! la France vous suit ! lui répond-on[40].

La petite troupe se met en marche. Il fait froid ; la neige tombe. En avant il y a de Querelles en chef d'escadron, portant un drapeau surmonté d'une aigle, et de Gricourt en officier d'état-major. Le prince vient ensuite. Il est vêtu de l'uniforme de l'artillerie : habit bleu, collet, revers et passepoils rouges avec les épaulettes de colonel et les insignes de la Légion d'honneur ; le chapeau d'état-major[41] et le sabre droit de grosse cavalerie. Parquin est en général[42], et de Persigny en officier d'état-major[43].

Le colonel Vaudrey était arrivé au quartier un peu après cinq heures. Il avait mandé[44] le maréchal des logis de garde et lui avait donné l'ordre de faire sonner aux maréchaux de logis chefs, ainsi que l'assemblée du régiment. Dès que les artilleurs furent descendus, il distribua 40 francs dans chaque batterie et remit 200 francs aux sous-officiers[45], puis il forma le régiment en carré, plaça à la porte de la caserne trente-cinq hommes à cheval et fit donner dix cartouches à chaque homme armé du mousqueton.

Dès que le colonel aperçut le prince, il tira son sabre, se porta à sa rencontre et l'amena jusqu'au centre du carré. Soldats[46], dit-il alors, une grande révolution s'accomplit en ce moment. Vous voyez ici devant vous le neveu de l'empereur Napoléon. Il vient pour se mettre à votre tête, pour rendre au peuple ses droits usurpés, à l'armée la gloire que son nom rappelle, à la France les libertés que l'on méconnaît. Il compte sur votre courage, votre dévouement et votre patriotisme pour accomplir cette grande et glorieuse mission. C'est autour de lui que doit venir se grouper tout ce qui aime la gloire et la liberté de la France. Soldats ! vous sentirez comme votre chef toute la grandeur de l'entreprise que vous allez tenter, toute la sainteté de la cause que vous allez défendre. Soldats ! votre colonel a répondu de vous. Répétez donc avec lui : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! Et, d'une voix unanime, le régiment répéta ces cris[47].

Le prince alors prit la parole :

Soldats, dit-il, appelé en France par une dépuration des villes et des garnisons de l'Est[48], et résolu à vaincre ou à mourir pour la gloire et la liberté du peuple français, c'est à vous les premiers que j'ai voulu me présenter, parce que, entre vous et moi, il existe de grands souvenirs ; c'est dans votre régiment que l'empereur Napoléon mon oncle servit comme capitaine ; c'est avec vous qu'il s'est illustré au siège de Toulon, et c'est encore votre brave régiment qui lui ouvrit les portes de Grenoble au retour de l'île d'Elbe.

Soldats, de nouvelles destinées vous sont réservées ; à vous la gloire de. commencer une grande entreprise, à vous l'honneur de saluer les premiers l'aigle d'Austerlitz et de Wagram. (Il saisit l'aigle.) Soldats, voici le symbole de la gloire française destiné désormais à devenir aussi l'emblème de la liberté. Pendant quinze ans il a conduit nos pères à la victoire ; il a brillé sur tous les champs de bataille ; il a traversé toutes les capitales de l'Europe. Soldats ! ralliez-vous à ce noble étendard ; je le confie à votre honneur, à votre courage. Marchons ensemble contre les traîtres et les oppresseurs de la patrie, aux cris de : Vive la France ! Vive la liberté ![49]

 

On l'acclame et on crie à nouveau : Vive l'Empereur !

Le prince alors va vivement à un officier qui se trouve près de lui et l'embrasse presque convulsivement[50]. Puis il se dirige vers le colonel et lui remet l'aigle en disant : Je la confie au brave colonel Vaudrey qui, comme moi, saura la défendre[51].

Il prend le commandement, ordonne à la musique de jouer, et, suivi de son état-major et du colonel Vaudrey, sort de la caserne à la tête du régiment. Cinq détachements sont formés. Le premier, sous les ordres des lieutenants Poggi et Couard, est chargé de soulever le 3e d'artillerie. Le second, commandé par le lieutenant Schaller, a pour mission de garder à vue le colonel Leboul, commandant ce régiment, ainsi que le général de brigade Lalande. Le troisième, avec Lombard, va à l'imprimerie Silbermann et y fait imprimer les proclamations du prince. Le quatrième, ayant à sa tête Laity, Dupenhoat, Petry et Gros, se rend à la caserne des Pêcheurs pour entraîner les six compagnies de pontonniers qui s'y trouvent et faire ensuite de même au quartier des Juifs. Le cinquième, avec Persigny, doit arrêter le préfet.

Le premier et le quatrième détachement échouent dans leur tentative. Quant au cinquième, il finit, non sans peine, par pénétrer dans la Préfecture. On avait sonné jusqu'à trois fois, et le concierge[52] refusait d'ouvrir. La peur le fait céder, mais il faut pourtant employer la force pour qu'il indique la chambre à coucher du préfet[53], dont le domestique n'oppose aucune résistance. Persigny entre suivi de ses hommes ayant le sabre nu. Le préfet était encore au lit. Je vous arrête au nom de l'empereur Napoléon ! lui dit Persigny. Le malheureux fonctionnaire, les yeux encore gros de sommeil, se lève, s'habille sans souffler mot. Puis on l'emmène. Deux artilleurs le tiennent par les bras, et, comme il ne marche pas assez vite, quatre autres le poussent par derrière[54]. Il était six heures et demie du matin. On le mène à la caserne du 4e régiment d'artillerie, et Persigny donne l'ordre à l'adjudant Jacquet de l'enfermer dans le cachot servant de salle de police. Mais comme le préfet, anéanti[55], fait observer que, dans l'état de santé où il est, il trouve ce lieu humide bien malsain, le sous-officier prend sur lui[56] de l'enfermer dans une chambre du premier étage, sous la garde d'un canonnier et d'un maréchal des logis.

Pendant que ces cinq détachements opéraient chacun de son côté, le gros du régiment avec le prince et le colonel Vaudrey se rendait d'abord chez le général Voirol, commandant la division militaire de Strasbourg. A la sortie de la caserne[57], les démonstrations des gens qui avaient été attirés par le bruit étaient si enthousiastes que le colonel dut faire ouvrir la marche par des canonniers à cheval. A chaque pas des hommes du peuple venaient baiser l'aigle portée par de Querelles.

Le général Voirol était, lui aussi, encore au lit, lorsque le 4e d'artillerie arriva devant son hôtel. Réveillé par son cocher qui lui annonce que le colonel Vaudrey était là à la tête de son régiment qui crie : Vive l'Empereur ! il avait passé un caleçon[58] et n'avait pas achevé de s'habiller lorsqu'un jeune homme[59] vient à lui et lui dit : Général, je viens vers vous en ami ; je serais désolé de relever notre vieux drapeau tricolore sans un brave militaire comme vous ; la garnison est pour moi, décidez-vous et suivez-moi ![60]Non ! non ! s'écrie le général, vous vous trompez, la garnison n'est pas à vous ; elle saura bientôt reconnaître son erreur ! Le prince insiste et lui dit : Venez, brave général Voirol, que je vous embrasse, et reconnaissez en moi Napoléon II. Le général le repousse, lui répond qu'il s'abuse étrangement sur sa popularité, et que, quant à lui, il est décidé à accomplir son devoir[61]. Parquin intervient alors et s'écrie : Retirez-vous, vous ne commandez plus, vous n'avez plus rien à faire ici ! Le général, seulement alors, peut revêtir son uniforme, et, mettant l'épée à la main, il ordonne aux canonniers d'arrêter Parquin. Ils répondent par un cri de : Vive l'Empereur ! et Parquin pousse le général dans une pièce voisine qu'il ferme à clef. Mais celui-ci peut s'échapper par une autre porte et gagner l'escalier, où il rencontre quelques officiers venus à son secours[62]. Poursuivi par Parquin qui ordonne de le saisir, il engage une lutte de corps à corps, soutenu par ces officiers[63] ; sa femme et sa belle-mère[64] interviennent et se jettent dans la mêlée ; les sabres sortent des fourreaux[65] ; enfin, grâce à la défection de dix canonniers[66] qui abandonnent le colonel Vaudrey[67], il parvient à se dégager et à se rendre à la caserne du 16e de ligne, comptant sur la fidélité de ce régiment qui avait fait partie du camp de Compiègne et où avaient servi les fils du Roi[68]. Il ne se trompait pas. Il est acclamé[69]. Il en prend le commandement et se rend à la Préfecture.

Pendant ce temps-là, Louis-Napoléon et le colonel Vaudrey avaient pénétré dans la caserne Finckmatt, occupée par le 46e de ligne. Le prince aperçoit près de la grille d'entrée le sergent Régulus Debarre[70] et lui dit : Tu sers depuis longtemps, mon brave ? — Oui, vingt-cinq ans de services et avec honneur ! — Je suis le fils de l'Empereur ! — Le fils est mort, je ne connais que le Roi !

Les artilleurs envahissent la cour en criant : Vive l'Empereur ! Le sous-lieutenant Pleignier[71], qui se trouvait là, demande au colonel Vaudrey ce que tout cela signifie et refuse d'exécuter l'ordre que celui-ci lui donne de faire descendre le régiment en armes. De Querelles s'adresse au lieutenant Hornet et lui dit[72] : Embrassez l'aigle, et vous serez commandant demain. Et comme il refuse, le prince s'écrie : Cet officier méconnaît sa position ! Vaudrey ordonne son arrestation. De Querelles continue sa propagande, aborde le sergent Kubler et lui présente l'aigle[73] : Voici notre patrie ! Voici notre sauveur ! Vous êtes un vieux brave ; camarade, vive l'Empereur ! On entend ces cris : Soldats, on vous trompe, celui qu'on vous donne pour le fils de l'Empereur n'est qu'un mannequin déguisé ! — ... C'est le neveu du colonel Vaudrey ![74] Ce mensonge vole de bouche en bouche et change les dispositions d'abord indécises des soldats du régiment d'infanterie[75]. Le colonel Vaudrey s'adresse au major Salleix[76] du 46e et lui dit : Major, nous proclamons l'empereur Napoléon II ; joignez-vous à nous et criez : Vive l'Empereur ![77] C'est alors qu'intervient le lieutenant-colonel du 46e, Taillandier. Il rassemble ses soldats et ses officiers, et refoule les insurgés qui sont acculés contre un des murs de la caserne. Les sabres sortent du fourreau. La lutte s'engage. La mêlée devient générale[78]. Le capitaine Morin du 46e arrête Parquin. Laity lui crie : Quoi ! vous n'êtes pas des nôtres, vous qui portez une croix que vous a peut-être donnée l'Empereur !Moi, répondit l'officier, renier l'Empereur ! Je le chéris, je le vénère ! J'étais à Waterloo et j'ai versé mon sang pour l'Empereur ; mais ce n'est pas ce jeune homme-là[79]. Et comme[80] Parquin veut se dégager, le tambour-major Kern arrive à la rescousse, le prend sous son bras (sic) et l'amène au lieutenant-colonel Taillandier[81], qui lui arrache ses épaulettes, et lui dit : Vous ne devez pas porter les épaulettes de général, vous êtes un traître et un infâme ! et le fait conduire au corps de garde. A la vue du colonel Paillot du 46e, qui survient avec des officiers, le colonel Vaudrey s'écrie : Canonniers, défendez-moi ![82] Et le prince appelle aux armes[83], mais la lutte est impossible. Le lieutenant-colonel Taillandier[84] met la main au collet du colonel Vaudrey et lui dit : Rendez-vous, ou vous êtes mort !Non ! je ne me rends pas ! répond celui-ci ; mes canonniers ne le souffriront pas !Rendez-vous donc !Non, non, je ne me rendrai pas !Vous ne pouvez échapper maintenant, on croit dans la ville que le mouvement a été tenté en faveur de Charles X (sic), et l'on est furieux contre vous ! Qu'il crût le lieutenant-colonel ou qu'il ne le crût pas[85], le colonel se rendit alors en disant aux artilleurs : Canonniers ! retirez-vous !... Obéissance à la loi !...

Le prince Louis-Napoléon et ses compagnons sont arrêtés[86]. On mène le prince et Parquin au corps de garde. Prince, dit alors Parquin, nous serons fusillés, mais nous mourrons bien. — Oui, répond celui-ci, nous avons échoué dans une belle et noble entreprise. (Œuvres de Napoléon III, tome II.) Arrive le général Voirol : Prince, dit-il, vous n'avez trouvé qu'un traître dans l'armée française. — Dites plutôt, général, répondit-il, que j'avais trouvé un Labédoyère. (Id.) On enferme de Persigny, de Gricourt et de Querelles dans une cuisine. De Querelles s'écrie[87] : Hier, j'étais lieutenant, ce matin commandant, et dans deux jours j'aurais pu être général ; maintenant, je ne suis plus rien ! De Gricourt lui répond : Ne nous repentons pas ; ce n'est pas fini ; ce ne sera fini que si nous sommes fusillés.

Quelques heures après, les prisonniers étaient conduits par le 46e de ligne[88] à la prison de la ville, sauf de Persigny qui avait trouvé le moyen de s'échapper. En arrivant au greffe, le prince tend la main à Vaudrey : Colonel, me pardonnerez-vous de vous avoir entraîné et conduit à votre perte ?Oui, répond celui-ci, en poussant un profond soupir[89].

A huit heures, tout était terminé. L'affaire avait duré à peine trois heures. C'est pour cela qu'à huit heures et demie, le général Voirol put envoyer au ministre de la guerre une dépêche[90], qui n'arriva à Paris que dans la soirée du 31 octobre, c'est-à-dire trente heures environ après l'attentat. Encore ne parvint-elle que tronquée et comme suit :

Strasbourg, 30 octobre 1836.

Ce matin, vers six heures, Louis-Napoléon, fils de la duchesse de Saint-Leu, qui avait dans sa confidence le colonel d'artillerie Vaudrey, a parcouru les rues de Strasbourg avec une partie de .....

 

L'administrateur des lignes télégraphiques, M. Alphonse Foy, en transmettant la dépêche au gouvernement, écrivait : Les mots soulignés laissent des doutes, le brumaire survenu sur la ligne ne permet ni de recevoir la fin de la dépêche ni d'éclaircir le passage douteux.

Le gouvernement, dans ces conditions, garde le silence et ne fait rien insérer au Moniteur du 1er novembre. Mais dans la matinée, le commandant de Franqueville, aide de camp du général Voirol, arrive avec un rapport détaillé de l'affaire que publie un supplément du Moniteur avec le complément ainsi conçu de la dépêche : ..... de son régiment aux cris de : Vive Napoléon ! Ils se sont présentés à la caserne occupée par le 46e de ligne pour le soulever. Moi-même, j'étais bloqué chez moi par un piquet d'artillerie ; mais grâce à la fidélité et au dévouement sincère de mes troupes, ce jeune imprudent a été arrêté, ainsi que son complice. Le 3e d'artillerie mérite des éloges, ainsi que tous les régiments d'infanterie et plusieurs officiers du 4e d'artillerie.

L'attentat de Strasbourg produisit une profonde impression à la Cour[91]. Pendant la nuit du 31 octobre au 1er novembre, tout le monde fut sur pied. Aussitôt après l'arrivée du commandant de Franqueville, un conseil extraordinaire des ministres eut lieu, dans lequel le lieutenant général Voirol fut élevé à la dignité de pair de France. Celui-ci, après avoir envoyé sa dépêche, avait adressé à la garnison de Strasbourg l'ordre du jour suivant : Ce matin, au point du jour, quelques insensés, au nombre desquels doit malheureusement être compté le colonel Vaudrey du 4e régiment d'artillerie, ont tenté de proclamer roi un neveu de l'empereur Napoléon, qui, profanant ce grand nom et se flattant d'en ramener sur lui les sympathies, était venu se placer à la tête de ce mouvement et recevoir cette criminelle et ridicule ovation.

La presse française et étrangère fut unanime pour condamner l'entreprise et pour accabler le prince.

La France, disait le Journal des Débats (2 novembre 1836), ne lira pas sans indignation et sans tristesse la nouvelle de la déplorable tentative... mais le sentiment qui dominera chez elle, c'est celui d'une profonde surprise, disons-mieux, d'une sorte de stupéfaction au récit de l'incroyable démence de quelques hommes... Oui, la France s'étonnera qu'on ait osé... au milieu de la satisfaction générale des intérêts... quand le trône... a poussé de si profondes racines dans l'affection et dans la confiance du peuple... avec de folles illusions et une présomption insensée, s'attaquer au gouvernement du Roi... La France s'étonnera qu'un jeune homme porteur d'un nom illustre se soit montré... assez ignorant de notre état politique, assez infatué de son importance personnelle pour entreprendre la guerre avec son nom seul contre le gouvernement de son pays, pour accepter de quelques aventuriers... l'investiture de la couronne de France que la révolution de Juillet a placée sur une tête si auguste et si digne de la porter ! Oui, c'est là un degré de folie fait pour déconcerter ceux mêmes qui ont le plus longtemps vécu au milieu des révolutions politiques.

La ridicule tentative, écrivait le Standard, dont Strasbourg a été le théâtre n'aura d'autre effet que de fortifier le gouvernement de Louis-Philippe.

Le Times traitait l'échauffourée d'insurrection aussi ridicule qu'imprudente.

Le 2 novembre, le Journal de Francfort écrivait : ... un jeune insensé, sans génie, sans talent, sans renommée, qu'aucun souvenir de gloire n'accompagne, qu'aucun titre n'a jamais décoré... que veut-il ? que 30 millions d'hommes s'inclinent devant lui ? que ce qui fut conquis par l'épée de son parent lui soit offert, porté en hommage comme un héritage légitime dû à sa nullité politique, à sa profonde obscurité ? — Mais j'ai eu Napoléon dans ma famille. — Voilà tous vos titres auprès d'une nation qui a jeté dans la balance des dynasties entières et qui a compté pour peu les gloires accumulées depuis Henri IV jusqu'à Louis XIV et au dernier des Bourbons. Venir régner par droit de famille, quand on s'appelle Bonaparte ! En vérité, autant la gloire militaire de ce nom est imposante, autant sa prétendue légitimité fait sourire de pitié...

Le prince de Metternich écrivait[92] (6 novembre 1836) à M. de Sainte-Aulaire : Strasbourg a présenté une échauffourée ridicule jusqu'à l'absurde... ce qui ressort de l'événement, quelque plat qu'il soit, c'est que les factieux travaillent des corps militaires... Tout cela, au reste, est détestable, ou heureux, si le peuple et les hommes de bien se remuent enfin contre de pareilles folies... (9 novembre 1836) ; ... L'action inqualifiable du jeune Bonaparte a été jugée de prime abord ici à sa valeur véritable... Comment un colonel, homme sérieux, ne fût-ce que parce qu'il a passé l'âge d'une effervescence puérile, a-t-il pu se joindre à une entreprise aussi imprudente ? Parmi ceux qui ne reviennent pas de leur étonnement se trouve le prince de Salerne. Le colonel Vaudrey avait fait les honneurs des établissements d'artillerie de Strasbourg au roi de Naples, et il n'avait en aucune manière fait sur ce prince et sur son oncle l'impression d'un conspirateur...

Le prince dans sa prison montrait le plus grand calme[93]. Le surlendemain de l'échauffourée, le 1er novembre, il écrivait à la reine Hortense :

MA CHÈRE MÈRE,

Vous avez dû être bien inquiète de ne pas recevoir de mes nouvelles, vous qui me croyiez chez ma cousine ; mais votre inquiétude redoublera lorsque vous apprendrez que j'ai tenté à Strasbourg un mouvement qui a échoué. Je suis en prison, ainsi que d'autres officiers. C'est pour eux seuls que je suis en peine, car moi, en commençant une pareille entreprise, j'étais préparé à tout. Ne pleurez pas, ma mère, je suis victime d'une belle cause, d'une cause toute française ; plus tard on me rendra justice et l'on me plaindra.

Hier dimanche, à six heures, je me suis présenté devant le 4e d'artillerie, qui m'a reçu aux cris de : Vive l'Empereur ! Nous avons détaché du monde. Le 46e a résisté. Nous nous sommes trouvés pris dans la cour de la caserne. Heureusement il n'y a pas eu de sang français répandu, c'est ma consolation dans mon malheur. Courage, ma mère ; je saurai soutenir jusqu'au bout l'honneur du nom que je porte.

M. Parquin est aussi arrêté. Faites copier cette lettre pour mon père et contribuez à calmer son inquiétude. Charles (Parquin) a demandé à partager ma captivité ; on le lui a accordé. Adieu, ma chère mère ; ne vous attendrissez pas inutilement sur mon sort. La vie est peu de chose ; l'honneur et la France sont tout pour moi[94].

 

Il écrivait encore à sa mère[95] : Fort de ma conviction qui me fait envisager la cause napoléonienne comme la seule cause nationale en France, comme la seule cause civilisatrice en Europe, fier de la noblesse et de la pureté de mes intentions, j'étais bien décidé à relever l'aigle impériale ou à tomber victime de ma foi politique... Une voix secrète m'entraînait... et pour rien au monde je n'aurais voulu remettre à une autre époque une tentative qui me semblait présenter tant de chances de succès... Que m'importent les cris du vulgaire qui m'appellera insensé parce que je n'aurai pas réussi, et qui aurait exagéré mon mérite si j'avais triomphé !...

Devant quelle juridiction allait-on traduire le prince et ses complices ? Serait-ce devant la cour de Paris ? ou devant le jury ? Et même poursuivrait-on Louis-Napoléon ? Telles étaient les graves questions qui se posaient et qui s'agitaient dans le gouvernement, dans le public et dans la presse.

Le Moniteur du 3 novembre publiait un article dans lequel on exposait que, d'après la jurisprudence en vigueur depuis 1830, la juridiction des conseils de guerre devait céder devant la juridiction ordinaire des cours d'assises, lorsque des personnes non militaires se trouvaient comprises dans les poursuites. Ce n'est pas ici, ajoutait-on, le lieu de discuter au fond cette jurisprudence et ses motifs ; elle est en vigueur, le gouvernement la respecte et y conforme sa conduite. Toutes les mesures seront prises pour qu'une justice aussi prompte que l'autorisent les lois soit rendue et pour que, sans rien sacrifier des droits de la défense, la société reçoive la satisfaction qu'elle attend. En toute occasion le gouvernement fera son devoir. Il a la confiance que personne ne manquera au sien.

Le 9 novembre, à sept heures du soir, le général Voirol et le préfet se rendent à la maison d'arrêt et font connaître au directeur de la prison qu'ils sont porteurs d'un ordre ministériel qui leur enjoint d'emmener le prisonnier Le prince obéit sans faire une observation et sans rien demander[96] ; mais il éprouve une véritable douleur en se voyant forcé d'abandonner des hommes qui s'étaient dévoués pour lui[97]. On le mène à la préfecture et on le remet entre les mains du chef d'escadron de gendarmerie Cuynat, venu de Paris avec le lieutenant Thiboutot de la même arme. Il monte avec eux dans une chaise de poste, suivie d'une autre voiture contenant quatre sous-officiers. Il arrive le lendemain soir à la préfecture de police. Reçu par le préfet, M. Delessert, il lui dit son désespoir de ne pas partager le sort de ses compagnons d'infortune[98] et proteste contre son enlèvement. Puis, sans perdre un instant, il écrit au Roi pour lui exprimer tout son chagrin d'être traité d'une manière exceptionnelle et la reconnaissance qu'il éprouverait du pardon accordé à d'anciens soldats entraînés par lui et séduits par d'anciens souvenirs[99]... Enfin, comme il apprend que la reine Hortense est venue à Paris et a sollicité la clémence royale[100], il lui adresse la lettre suivante :

MA CHÈRE MÈRE,

Je reconnais à votre démarche toute votre tendresse pour moi ; vous avez pensé au danger que je courais, mais vous n'avez pas pensé à mon honneur qui m'obligeait à partager le sort de mes compagnons d'infortune. J'éprouve une douleur bien vive en me voyant séparé des hommes que j'ai entraînés à leur perte, lorsque ma présence et mes dépositions auraient pu influencer le jury en leur faveur. J'écris au Roi pour qu'il jette sur eux un regard de bonté. C'est la seule grâce qui puisse me toucher Je pars pour l'Amérique, mais, ma chère mère, si vous ne voulez pas augmenter ma douleur, je vous en conjure, ne me suivez pas. L'idée de faire partager à ma mère mon exil de l'Europe serait aux yeux du monde une tache indélébile pour moi, et pour mon cœur cela serait un chagrin cuisant. Je vais en Amérique faire comme Achille Murat, me créer moi-même mon existence ; il me faut un intérêt nouveau pour pouvoir m'y plaire.

Je vous prie, ma chère maman, de veiller à ce qu'il ne manque rien aux prisonniers de Strasbourg. Prenez soin des deux fils du colonel Vaudrey, qui sont à Paris avec leur mère. Je prendrais bien facilement mon parti si je savais que mes autres compagnons d'infortune auront la vie sauve ; mais avoir sur la conscience la mort de braves soldats, c'est une douleur amère qui ne peut jamais s'effacer... Adieu, ma chère maman ; recevez mes remerciements pour toutes les marques de tendresse que vous me donnez ; retournez à Arenenberg, mais ne venez pas me rejoindre en Amérique, j'en serais trop malheureux. Adieu, recevez mes tendres embrassements ; je vous aimerai toujours de tout mon cœur. Votre tendre et respectueux fils,

NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE[101].

 

Il écrit[102] aussi à Odilon Barrot pour le prier de défendre le colonel Vaudrey :

Malgré mon désir, lui dit-il, de rester avec mes compagnons d'infortune et de partager leur sort, malgré mes réclamations à ce sujet, le Roi dans sa clémence a ordonné que je fusse conduit à Lorient pour de là passer en Amérique. Touché, comme je le dois, de la générosité du Roi, je suis profondément affligé de quitter mes coaccusés... De leur part il n'y a pas eu complot, il n'y a eu que l'entraînement du moment. Moi seul ai tout combiné, moi seul ai fait les préparatifs nécessaires... Certes nous sommes tous coupables, aux yeux du gouvernement établi, d'avoir pris les armes contre lui ; mais le plus coupable, c'est moi, c'est celui qui, méditant depuis longtemps une révolution, est venu tout à coup arracher ces hommes à une position honorable pour les livrer à tous les hasards d'une révolution populaire. Je tins au colonel Vaudrey lorsque je le vis et aux autres personnes le langage suivant : Vous connaissez tous les griefs de la nation envers le gouvernement du 9 août, mais vous savez aussi qu'aucun parti existant aujourd'hui n'est assez fort pour le renverser, aucun assez puissant pour réunir tous les Français, si l'un d'eux parvenait à s'emparer du pouvoir. Cette faiblesse du gouvernement, comme cette faiblesse des partis, vient de ce que chacun ne représente que les intérêts d'une seule classe de la société. Les uns s'appuient sur le clergé et la noblesse, les autres sur l'aristocratie bourgeoise, d'autres enfin sur les prolétaires seuls. Dans cet état de choses il n'y a qu'un seul drapeau qui puisse rallier tous les partis, parce qu'il est le drapeau de la France et non celui d'une faction : c'est l'aigle de l'Empire. Sous cette bannière qui rappelle tant de souvenirs glorieux il n'y a aucune classe expulsée, elle représente les intérêts et les droits de tous. L'empereur Napoléon tenait son pouvoir du peuple français ; quatre fois son autorité reçut la sanction populaire ; en 1804 l'hérédité fut reconnue dans la famille de l'Empereur par quatre millions de votes ; depuis, le peuple n'a pas été consulté... Comme l'aîné des neveux de Napoléon, je puis donc me considérer comme le représentant de l'élection populaire, je ne dirai pas de l'Empire, parce que depuis vingt-trois ans les idées et les besoins de la France ont dû changer. Mais un principe ne peut être annulé par des faits, il ne peut l'être que par un autre principe ; or ce ne sont pas les douze cent mille étrangers de 1815, ce n'est pas la Chambre des 221 de 1830 qui peuvent rendre nul le principe de l'élection de 1804. Le système napoléonien consiste à faire marcher la civilisation sans discorde et sans excès, à donner l'élan aux idées tout en développant les intérêts matériels, à raffermir le pouvoir en le rendant respectable, à discipliner les masses d'après leurs facultés intellectuelles, enfin à réunir autour de l'autel de la patrie les Français de tous les partis en leur donnant pour mobiles l'honneur et la gloire. Remettons, leur dis-je, le peuple dans ses droits, l'aigle sur nos drapeaux et la stabilité dans nos institutions. Eh quoi ! m'écriais-je enfin, les princes de droit divin trouvent bien des hommes qui meurent pour eux dans le but de rétablir les abus et les privilèges, et moi dont le nom représente la gloire, l'honneur et les droits du peuple, mourrai-je donc seul dans l'exil ? — Non ! ont répondu mes braves compagnons d'infortune, vous ne mourrez pas seul, nous mourrons avec vous ou nous vaincrons ensemble, pour la cause du peuple français !

Vous voyez donc, Monsieur, que c'est moi qui les ai entraînés en leur parlant de tout ce qui pouvait le plus émouvoir des cœurs français. Ils me parlèrent de leurs serments, mais je leur rappelai qu'en 1815 ils avaient prêté serment à Napoléon II et à sa dynastie. L'invasion seule, leur dis-je, vous a déliés de ce serment. Eh bien ! la force peut rétablir ce que la force seule a pu détruire. J'allai même jusqu'à leur dire qu'on parlait de la mort du Roi... Vous voyez combien j'étais coupable aux yeux du gouvernement. Eh bien ! le gouvernement a été généreux envers moi ; il a compris que ma position d'exilé, que mon amour profond pour mon pays, que ma parenté avec le grand homme étaient des causes atténuantes. Le jury restera-t-il en arrière de la marche indiquée par le gouvernement ? Ne trouvera-t-il pas des causes atténuantes bien plus fortes en faveur de mes complices, dans le souvenir de l'Empire, dans les relations intimes de plusieurs d'entre eux avec moi, dans l'entraînement du moment, dans l'exemple de Labédoyère, enfin dans ce sentiment de générosité qui fit que, soldats de l'Empire, ils n'ont pu voir l'aigle sans émotion, que, soldats de l'Empire, ils ont préféré sacrifier leur existence plutôt que d'abandonner le neveu de l'empereur Napoléon, que de le livrer à des bourreaux ? car nous étions loin de penser à une grâce, en cas de non-réussite. Il écrivait aussi alors à son oncle Joseph Bonaparte : Je pars demain pour l'Amérique. En quittant l'Europe peut-être pour toujours, j'éprouve le plus grand chagrin, celui de penser que même dans ma famille je ne trouverai personne qui plaigne mon sort... Lorsqu'on ne réussit pas... on est sûr d'être blâmé même par les siens.

NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE.

P. S. — Ayez la bonté de dire à votre chargé d'affaires en Amérique quelles seraient les terres que vous consentirez à me vendre.

 

Le lendemain matin le prince partait pour Lorient, où il arrivait le 15 novembre au soir, et, quelques jours après, le départ ayant été retardé[103] par suite de vents contraires, il était embarqué pour l'Amérique sur la frégate à voiles l'Andromède[104]. En montant à bord, le prince dit au sous-préfet, M. Villemain : Je ne pourrai revenir en France que lorsque le lion de Waterloo ne sera plus debout sur la frontière.

Celui-ci lui demanda s'il trouverait en arrivant aux États-Unis quelques ressources : Aucune, lui dit le prince. — Eh bien, mon prince, le Roi m'a chargé de vous remettre quinze mille francs qui sont en or dans cette petite cassette. Le prince prit la cassette[105].

Avant de quitter la citadelle de Port-Louis, où il avait été enfermé, il écrivait à un ami la lettre suivante[106] :

MON CHER M***,

Je pars le cœur déchiré de n'avoir pu partager le sort de mes compagnons d'infortune, j'aurais voulu être traité comme eux. Mon entreprise ayant échoué, mes intentions ayant été ignorées, mon sort ayant été, malgré moi, différent de celui des hommes dont j'avais compromis l'existence, je passerai aux yeux de tout le monde pour un fou, un ambitieux et un lâche... Je saurai supporter ce nouvel exil avec résignation ; mais ce qui me désespère, c'est de laisser dans les fers des hommes auxquels le dévouement à la cause impériale a été si fatal. J'aurais voulu être la seule victime.

NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE.

P. S. — Il est faux que j'aie eu la moindre relation intime avec Mme G*** ; il est faux que j'aie cherché à emprunter de l'argent ; il est faux qu'on m'ait demandé le moindre serment de ne plus revenir en Europe.

 

Durant les longues heures de la traversée il écrit souvent à sa mère ; il lui raconte entre autres choses qu'un passager est venu à lui pour lui apprendre qu'une somnambule lui avait prédit qu'un membre de la famille de l'Empereur... détrônerait Louis-Philippe[107]. — Ce fait nous révèle le fataliste, ainsi que les deux autres que voici. — Le 14 décembre, en vue des Canaries, il lui narre ceci : Lorsque je revenais il y a quelques mois de reconduire Mathilde, en rentrant dans le parc, j'ai trouvé un arbre rompu par l'orage, et je me suis dit à moi-même : Notre mariage sera rompu par le sort... Ce que je supposais vaguement s'est réalisé. Ai-je donc épuisé, en 1836, toute la part de bonheur qui m'était échue ? Lui faisant le récit de l'échauffourée de Strasbourg, il relate cet incident : Lorsque nous quittâmes la caserne d'Austerlitz, un tourbillon de neige vint fondre sur nous ; le colonel Vaudrey, auquel je le fis remarquer, me dit : Malgré cette bourrasque, ce jour-ci sera un beau jour[108]. Le 1er janvier 1837, toujours en mer, il lui écrit :

MA CHÈRE MAMAN,

C'est aujourd'hui le premier jour de l'an ; je suis à quinze cents lieues de vous dans un autre hémisphère ; heureusement la pensée parcourt tout cet espace en moins d'une seconde. Je suis près de vous, je vous exprime tous mes regrets de tous les tourments que je vous ai occasionnés ; je vous renouvelle l'expression de ma tendresse et de ma reconnaissance... A quatre heures et demie nous étions à table ; il était en même temps sept heures à Arenenberg ; vous étiez probablement à dîner ; j'ai bu en pensée à votre santé ; vous en avez fait peut-être autant pour moi, du moins je me suis plu à le croire ; dans ce moment-là j'ai songé aussi à mes compagnons d'infortune ; hélas ! je songe toujours à eux ! J'ai pensé qu'ils étaient plus malheureux que moi, et cette idée m'a rendu bien plus malheureux qu'eux[109]...

 

Lettre d'un tour simple, d'une écriture charmante, d'une note émue et tendre qui nous découvre tout un côté de la nature de cet homme.

La mesure prise à l'égard du prince fut diversement jugée par la presse. Le journal la Charte de 1830, que citait le Moniteur, disait : Une peine, en quelque sorte préalable, celle du bannissement, l'avait déjà atteint avant son entreprise. De là une position particulière et dont le reflet ne saurait s'étendre, car à côté de lui se rencontraient des devoirs et des serments qui n'étaient pas les siens.

Déjà le Journal des Débats avait, dès l'origine, soutenu cette thèse spécieuse, cette thèse contraire au droit et contraire à l'équité — car le prince coupable devait être poursuivi et condamné — et qui ne fut adoptée par le gouvernement qu'en vertu d'un motif purement politique, celui de ménager, de caresser, d'attirer à lui le sentiment bonapartiste, assez vivace à cette époque. Si, en effet, cette thèse était vraie en 1836, pourquoi ne le fut-elle pas en 1840 ?

L'état de notre législation, disait ce journal (5 novembre 1836), en ce qui concerne cette famille impériale que son ancienne grandeur exclut du territoire et prive des droits accordés aux moindres citoyens, la gloire, le nom, le souvenir du chef de cette famille, l'honneur du Roi et de la France, la conscience et la délicatesse publiques, en un mot, qu'il faut consulter avant tout, ne permettent pas que le prince Louis Bonaparte soit renvoyé devant la cour d'assises. Les jurés s'étonneraient, s'effrayeraient d'avoir à juger le neveu de l'empereur Napoléon, quoi qu'il ait fait. Nous le disons sans hésiter, et nous félicitons notre pays de ce sentiment qui l'honore, de cette pudeur religieuse qui respecte les restes d'une grandeur déchue. Malheur au pays, malheur aux royaumes où l'empreinte d'une couronne ne demeure pas éternellement sur la tête qui l'a portée... Il serait aussi peu juste qu'impolitique de les traiter en citoyens soumis aux lois ordinaires, justiciables des tribunaux ordinaires. La loi qui les exile les marque d'un caractère qui ne permet pas qu'on y touche ; la loi qui les proscrit, eux seuls entre tous les enfants de la même patrie, les met, par cela même, au-dessus des autres hommes.

Le National (10 janvier 1837), au contraire, fulminait : L'absence du principal accusé imprime à ces débats le caractère d'une affaire impossible à juger... Les hommes du pouvoir n'ont pas assez réfléchi qu'ils s'attaquaient ici au sentiment le plus vrai et le plus positif du cœur de l'homme, le sentiment de la justice, dont il faut toujours, quoi qu'on en ait, tenir compte... Pour quel principe la France a-t-elle fait deux révolutions ? N'est-ce pas qu'au fond de tous ses griefs le plus réel était l'inégalité dans la répartition de la justice ?... C'est pour le principe de la justice que la nation a consenti aux plus cruels sacrifices. Et maintenant que ce principe parait acquis, on viendrait le remettre impunément en question. Cela n'est pas possible. Il faut une leçon à ces esprits aventureux qui se croient si sûrs d'eux-mêmes. Cette leçon, nous en avons l'espoir, leur sera donnée par un jury alsacien.

Le même sentiment avait été courageusement exprimé par la cour royale de Colmar, présidée par M. Millet de Chevreux, quand, dans son audience du 5 décembre 1836, elle avait renvoyé l'affaire devant la cour d'assises du Bas-Rhin :

Attendu que la procédure dirigée contre Napoléon-Louis Bonaparte n'a pas été continuée, qu'il n'a pas même subi d'interrogatoire devant M. le commissaire délégué par la cour ; qu'ainsi, en fait, il ne peut être statué à son égard sur la mise en prévention ; attendu, en droit, que les magistrats ne peuvent s'écarter du principe fondamental de l'égalité devant la loi, ni s'abstenir d'y rendre hommage ; mais que l'extraction de Napoléon-Louis Bonaparte de la maison d'arrêt de Strasbourg est un acte exceptionnel de haute politique gouvernementale sur lequel la cour ne saurait être appelée à se prononcer en présence des pouvoirs politiques de l'État.

Étaient renvoyés de toutes poursuites : Thélin, valet de chambre du prince ; les lieutenants d'artillerie Couard et Poggi, d'ailleurs fugitifs ; Caroline-Valentine de Querecque, femme de Bruc, ainsi que les sieurs Lafond, employé au ministère des affaires étrangères, Cavel, propriétaire à Paris, de Geslin, ancien militaire, qui avaient été compris par l'instruction comme complices dans la préparation de l'échauffourée.

Étaient mis en accusation : le colonel Vaudrey (52 ans) ; Laity (27 ans) ; Parquin (49 ans) ; de Querelles (25 ans) ; de Gricourt (23 ans) ; de Persigny (25 ans) ; Lombard (27 ans) ; Gros (26 ans) ; Petry (25 ans) ; Dupenhoat (24 ans) ; de Schaller (26 ans) ; Eléonore Brault, veuve Gordon-Archer (28 ans) ; comte de Bruc.

La cour d'assises tint sa première audience, le 6 janvier 1837, dans le palais de justice de Strasbourg, sous la présidence de M. Gloxin. Sept accusés seulement parurent devant elle : Vaudrey[110], Laity[111], Parquin[112], de Gricourt[113], de Bruc[114], de Querelles[115], Mme Gordon[116]. Les autres étaient en fuite. Le siège du ministère public était occupé par M. Rossée, procureur général, assisté de M. Devaux, avocat général. Au banc des avocats se trouvaient MM. Ferdinand Barrot, Thiéret, Parquin, Chauvin-Beillard, Martin, Leichtenberger.

Sur deux tables étaient placées les pièces à conviction[117] : deux uniformes de lieutenant général ; des paires d'épaulettes dont deux à graines d'épinards, des sabres, une épée à poignée d'or[118], une aigle impériale dorée[119], des ceinturons et des hausse-cols, des chapeaux[120], etc.

L'avocat général expose l'affaire, après la lecture de l'acte d'accusation. La révolte, s'écrie-t-il, l'anarchie bouleversant le royaume, l'appel au trône d'un homme qui n'est pas même Français[121] malgré le nom qu'il porte : voilà quels étaient les projets des accusés !

Le président procède à l'interrogatoire des accusés.

Après Vaudrey et Laity, vient le tour de Parquin[122]. Je vis le prince, dit-il, qui me reçut par ces mots : Parquin, j'ai rompu mon banc, je vais arborer l'aigle impériale ; j'apporte ici ma tête ; je vais marcher à la tête de la garnison, me suivrez-vous ? Je lui répondis : Prince, partout où vous courrez des dangers, je serai près de vous. La nuit, le prince nous dicta ses proclamations. Si elles sont ici, vous pouvez les lire. Oui, oui, elles sont admirables, ces proclamations ! Il y a là dedans du style de l'autre. Oh ! les heures nous semblaient bien lentes ! l'horloge était de plomb ! Elles sont longues, les heures de l'attente ! Oui ! mille francs ! mille francs ! Nous les aurions payées mille francs !

Et comme le président l'interrompt pour lui dire : Mais vos serments ?

Il y a trente-trois ans, s'écrie Parquin, comme citoyen et comme soldat, j'ai prêté serment à Napoléon et à sa dynastie ; je ne suis pas comme ce grand diplomate qui en a prêté treize. Le jour où le neveu de Napoléon vint me rappeler celui que j'avais fait à son oncle, je me crus lié et je me dévouai à lui corps et âme. Les serments que j'ai pu prêter depuis, je ne les ai considérés que comme des serments de forme, et le jour où l'un des héritiers de la dynastie à laquelle j'avais juré fidélité est venu me le rappeler, je ne me suis plus souvenu que de mon serment de 1804[123].

De Querelles déclare qu'on ne leur a rien promis[124].

Le président dit à de Gricourt : Vous aimiez le prince ?Oui, répondit-il, le prince n'avait pas d'ambition, l'amour de son pays était le seul sentiment qui le dominât, et, quand je le chérissais, je ne faisais que lui rendre justice, comme l'auraient fait tous ceux qui auraient pu le connaître.

Dans l'audience du 13 janvier le procureur général prononce son réquisitoire. Le Roi, dit-il, a fait grâce au prince, il en avait le droit ; il y a plus, tous les citoyens n'ont pu que louer cet acte de haute sagesse. Cependant, quelques jours après l'attentat, la presse a fait entendre des plaintes, elle a accusé d'illégalité, de partialité l'action du souverain. Dans cette action le Roi s'est montré digne du beau titre de roi des Français... Si plusieurs personnes sont frappées par un arrêt, le Roi peut gracier l'une d'elles, et laisser les autres sous le coup de l'arrêt... Le prince n'était pas obligé envers l'État, il n'avait pas reçu comme eux (les autres accusés) des honneurs, des grades, pour protéger la patrie. Quelle parité dans les positions ? Aucune... Le Roi, qui comprend tout ce qui est noble et généreux, a compris que la présence du prince en ce lieu ferait rejaillir sa honte sur le grand nom de l'Empereur, et, méprisant les conseils d'une étroite politique, il a usé noblement des prérogatives de la couronne... Si le prince s'était évadé, s'il était mort, il n'en faudrait pas moins juger les autres accusés ; ainsi vous n'avez pas à vous occuper d'un acte de clémence sur lequel, d'ailleurs, il n'y a qu'une voix. S'il s'agissait d'une bande de malfaiteurs, acquitteriez-vous parce que le chef serait absent ?...[125]

A l'audience du 14 janvier, Me Ferdinand Barrot présenta la défense du colonel Vaudrey : Jamais, dit-il, le droit de grâce ne doit intervenir au milieu des poursuites de la justice et faire fléchir son action : on ne peut faire grâce qu'à celui qui est légalement déclaré coupable et soumis à une peine. La grâce accordée avant condamnation établit une présomption de culpabilité contraire à tous les principes qui veulent que l'innocence d'un accusé ne disparaisse définitivement que sous le fait légal d'une condamnation. Il n'y a pas eu, à l'égard du prince, l'exercice du droit de grâce royale ; il n'y a eu qu'un enlèvement frauduleux, consommé par ordonnance ministérielle. Je dis qu'il y a là arbitraire et violation flagrante du droit. Tout a procédé de lui ; il était la raison et la fin de ce procès ; il en était le chef. D'où vient qu'il est absent ? Est-ce donc qu'il a fui ? Est-ce donc qu'il a voulu se soustraire à votre justice, laissant pour otages à la vindicte publique ceux qui s'étaient jetés à sa suite dans une aventureuse entreprise ? Non, non, mille fois non, votre justice, il la demandait, il la voulait. Né prince, il sentait couler dans ses veines un sang impérial, le plus illustre sang des temps modernes, et cependant il n'avait point songé que sa tête lût placée au-dessus des lois. Il était résolu à subir la destinée commune. Mais d'autres se sont trouvés qui se sont empressés de soustraire à la justice humaine comme à une souillure ce neveu de l'Empereur auquel ils ont livré passage. Il n'y a point de loi qui puisse prévaloir sur l'égalité devant la loi, et le prince Louis repousse aujourd'hui, avec l'énergie d'un cœur généreux, le principe d'illégalité qu'on veut lui infliger. La justice ne saurait s'appliquer d'une manière différente à des faits et à des intentions identiques. Un pouvoir sans juridiction et sans droit, violant la mainmise de la justice, délivre celui qui ne pouvait plus l'être que par mandat du juge ou par votre décision souveraine. Et c'est au profit de l'auteur principal que se consomme cette violation de toutes les garanties judiciaires, de la sainteté des ordres de la justice ; c'est-à-dire qu'il y a un homme qui a voulu le crime, qui l'a inspiré, un homme pour qui et par qui le crime a été commis ; celui-là, c'est le plus coupable, et on l'affranchit ! D'autres n'ont fait que se jeter dans les voies ouvertes par le premier, suivre ses inspirations, obéir à sa volonté ; ils étaient les serviteurs plutôt que les complices de ce maître. Ceux-là, messieurs les jurés, on les déclare responsables, ce sont eux qui devront répondre aux menaces de la loi. Le pouvoir a séparé de force ceux qu'une destinée commune unissait devant la loi, il a fait deux parts de justice pour le même crime. En 1830, le colonel Vaudrey[126] organisa l'insurrection ; c'est alors qu'il fut nommé colonel ; à cette époque aussi il était un traître et un félon ; alors il y avait beaucoup de traîtres. Aussi faut-il en conclure que le succès absout et que les serments ne se gardent que lorsqu'on peut les faire servir aux intérêts du pays. Le prince, lorsque le colonel lui fit sa promesse, lui montra un papier par lequel il assurait 10,000 francs de rente à chacun de ses deux enfants. Le colonel le déchira en disant : Je donne ma vie, mon sang, je ne les vends pas ! Vous acquitterez, car il est un principe dont nous invoquons la protection et que veulent votre raison et votre cœur, c'est celui-ci : Justice égale pour tous.

Parquin fut défendu par son frère. ... L'éloignement du prince, dit-il, doit-il être sans action et sans influence sur le sort des accusés ? Dites si on a pu le transporter en Amérique impunément, si sa présence, ses déclarations, ses explications, indifférentes au procès, n'eussent pas servi à répandre la moindre lumière ; en un mot, si chacun de vous peut, dans la sincérité de son âme, affirmer que le prince présent ou le prince absent, son verdict, au regard de tous les complices, aurait été le même. Prononcez ! prononcez ! De bonne foi, est-ce que cette prétention a quelque chose de raisonnable ? Est-ce que l'on peut soutenir sérieusement que l'éloignement du prince est sans inconvénient, sans dommage pour les accusés ? Par le seul fait de cet éloignement l'instruction est incomplète, les débats sont inutiles, tronqués... S'il est un témoin dont la présence doit être envisagée comme nécessaire, indispensable, c'est le prince : sans lui tout est vague, mystère, incertitude... En thèse générale l'absence du principal accusé ne peut devenir la cause déterminante de l'absolution des autres. A ce compte, le crime obtiendrait trop souvent l'impunité. Le chef se dérobant à toutes les recherches de la justice, il s'ensuivrait que ses complices ne pourraient plus être poursuivis ni condamnés... Mais[127] nous sommes ici dans une sphère particulière, car en fait par la volonté de qui le prince a-t-il disparu ? par la volonté du gouvernement. — Eh quoi ! l'on arrache à des malheureux l'imposant témoignage qui devait les couvrir et les protéger, et l'on se croit encore le droit de poursuivre leur jugement et leur condamnation !... Par l'éloignement du prince il ne. vous est pas permis de tout savoir. La vérité ne peut arriver jusqu'à vous que mutilée, incomplète... Il a convenu au gouvernement d'enlever aux accusés le bienfait des déclarations du prince, les en priverez-vous ? Il ne convient pas aux accusés de se disculper en accusant le prince, les en punirez-vous ?... Il n'y a plus qu'un seul verdict possible : l'acquittement... La morale publique recevrait le plus sanglant outrage de l'inégalité des conditions entre les artisans d'un même complot :... le prince mis en dehors du procès parce qu'il est de sang illustre, ...les accusés traduits et condamnés parce qu'ils sont de sang vulgaire ! Ah ! vous ne le voudrez pas !...

Me Thierret, professeur à la Faculté de droit de Strasbourg, achève par ces mots sa plaidoirie pour Laity : ... Je vous en conjure au nom de vos enfants !... Songez à cette pauvre mère qui me dirait : Je vous ai confié mon fils, qu'en avez-vous fait ?... Messieurs, rendez-le-moi, car je déchirerais ma toge, et il me faudrait fuir le barreau !...

C'est Me Parquin qui réplique au procureur général et qui termine ainsi le rôle de la défense : ... Et toi, ma vénérable mère qui, à quatre-vingt-deux ans, as retrouvé des jours sans repos et des nuits sans sommeil, toi qui accuses le Ciel de ne t'avoir pas enlevée plus tôt à la terre ; toi dont les mains suppliantes redemandent un fils, je t'entends, je te vois !... tu m'appelles !... Parquin !... qu'as-tu fait de ton frère ?... Ah ! ma bonne mère, ma vénérée mère, sèche tes pleurs... ton fils, un jury d'Alsace te le rendra !...

Tout l'auditoire est en larmes, dit le Moniteur (20 et 21 janvier 1837), qui ajoute : C'est d'une voix émue que le président lui-même ordonne la traduction de cette réplique.

Le lendemain, à l'audience du 18 janvier, après vingt minutes de délibération, le jury rentre en séance. M. Vaiss, chef du jury, lit la déclaration suivante : Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, sur toutes les questions, la réponse du jury est : Non, les accusés ne sont point coupables.

Aussitôt un grand mouvement de joie se manifeste dans toutes les parties de la salle. Les accusés embrassent leurs défenseurs. Toute la salle est émue, et chacun veut serrer dans ses bras les auteurs de l'échauffourée. Tous les yeux sont mouillés de larmes. On crie : Vive le jury ! Vive l'Alsace ! — Les mêmes transports recommencent dans la cour extérieure du Palais de justice. On entoure les jurés, on les félicite. — Les accusés montent en voiture, suivis par le peuple qui les salue des acclamations les plus vives. Pendant tout l'après-midi Strasbourg a un air de fête, et la garnison elle-même partage la satisfaction générale[128].

Le soir, les défenseurs et les accusés se réunissaient dans un grand banquet avec sérénade à l'hôtel de la Ville de Paris[129].

Le 19, à cinq heures du soir, M. Molé recevait à la Chambre la nouvelle de l'acquittement des accusés de Strasbourg[130].

Le Courrier du Bas-Rhin écrivait aussitôt : ... Le jury a donné la victoire à un grand principe, le principe de l'égalité de tous devant la loi.

Rien de plus juste, s'écriait le National du 21 janvier 1837, rien de plus équitable que le verdict qui vient d'être rendu.

Le Moniteur du 23 janvier cite le journal la Charte de 1830 : C'est un enthousiasme universel chez tous les organes de l'opposition, c'est un chant de victoire... Si le gouvernement a violé le texte de la législation ordinaire — et le gouvernement l'avoue et il prend le fait sous sa responsabilité —, il s'est conformé aux prescriptions de la justice immuable et éternelle. Si le prince Louis avait été mis en jugement, l'opposition n'aurait pas manqué de protester, de réveiller à la fois les grands souvenirs de quinze années de gloire, de dire que celui qui est en dehors du droit commun ne peut être soumis au droit commun...

Les journaux anglais, le Constitutional, le Globe, approuvent le verdict. Il en est de même du Morning Chronicle : Les prévenus de Strasbourg, dit-il, ont été acquittés. Cela devait être. Dès l'instant où l'on avait laissé partir le principal coupable, ses dupes n'auraient jamais dû être mises en jugement. Ce doit être une consolation pour le gouvernement miséricordieux de la France de voir un jury d'Alsace interpréter si bien sa pensée et imiter son exemple... Rien n'est plus monstrueux que la mise en jugement des complices de Louis Bonaparte en son absence. Supposons qu'ils eussent été condamnés et exécutés, n'aurait-ce pas été là un meurtre judiciaire ? Comment le jury pouvait-il apprécier le plus ou moins grand degré de criminalité en l'absence du principal moteur du complot ? Nul ne songe à nier la culpabilité des accusés. Le verdict du jury n'établit pas leur innocence, il ne dit pas que ces hommes n'ont pas participé à la coupable tentative... Mais il déclare, il proclame que la loi doit primer la volonté du gouvernement, qu'elle ne reconnaît pas de distinction de rang qui puisse exempter inconstitutionnellement un coupable du châtiment légal.

Le prince de Metternich écrivait à M. Apponyi, à la date du 26 janvier[131] : L'acquittement des conjurés de Strasbourg est un événement déplorable... L'éloignement du chef de la conspiration a pu prêter des armes à la défense des complices ; il n'a rien de commun avec la culpabilité des individus. Que ressort-il du fait, si ce n'est une preuve nouvelle que l'institution du jury est antisociale ? et cette vérité, pour me frapper, n'a pas eu besoin de cette démonstration nouvelle. Cette institution peut-elle être abolie là où elle s'est une fois établie ? Non certes ; il en est du jury comme de la liberté de la presse. Mais qu'en adviendra-t-il ? La dissolution des États, l'impossibilité que la monarchie se soutienne, un désordre sans fin, et à la suite du désordre le despotisme, soit celui des masses, soit celui de quelques individualités.

A la fin de l'année 1836, le 24 décembre, M. de Persigny, réfugié à Londres, écrivait au journal anglais le Sun une lettre pour expliquer la pensée et le but de l'entreprise de Strasbourg, ainsi que pour rectifier certains faits. Après avoir déclaré que le prince ne s'était point présenté au peuple et à l'armée sous le titre d'Empereur, il continue ainsi : Fidèle à la mémoire de l'empereur Napoléon, son oncle et son aïeul par adoption, prenant comme lui pour devise : Tout pour le peuple français, le prince avait compris que son nom appartenait à la France, et que son nom lui donnait mission de réintégrer le peuple français dans ses droits légitimes. Toutes ses proclamations reposent sur cette idée. Il s'agissait de faire un appel au peuple, de l'inviter à reprendre sa souveraineté et à déterminer dans une assemblée nationale la forme de son gouvernement. C'est sous le titre de prince Napoléon-Louis Bonaparte qu'il a été reconnu par le 4e régiment d'artillerie, et lorsque le colonel Vaudrey, en le présentant à son régiment, demanda aux soldats s'ils voulaient commencer une grande et glorieuse révolution avec le neveu de l'Empereur, s'ils voulaient vivre ou mourir pour la cause du peuple, les cris de : Vive la liberté ! Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! ne furent que l'expression d'un enthousiasme réveillé par les souvenirs de deux grandes époques de l'histoire du pays. — Tout ce qui a été publié jusqu'à ce moment sur cet événement est faux. Ainsi, il n'est pas vrai que le prince ait pris le costume de l'Empereur ; il portait l'uniforme d'un officier d'artillerie, un habit bleu, comme celui des élèves de l'École polytechnique, et non un frac vert ; de même que les officiers de sa suite, il portait le chapeau d'officier d'état-major. — Le prince se soumettra à son sort avec ce calme et cette dignité qui caractérisaient son oncle, car son esprit était préparé aux revers comme aux succès, et quand l'impression du moment aura disparu et que tous les faits seront connus, le monde s'intéressera à un prince qui a montré un si noble courage et ne refusera pas ses sympathies à des qualités qu'il ne peut apprécier en ce moment.

Dans le cours de l'année 1837, à la date du 30 avril, écrivant de New-York à M. Vieillard, le prince revenait sur l'échauffourée de Strasbourg : ... Je faisais, par un coup de main, en un jour, l'ouvrage de dix années peut-être ; réussissant, j'épargnais à la France les luttes, les troubles, les désordres d'un bouleversement qui arrivera, je crois, tôt ou tard... Ma position était claire, nette, partant facile. Faisant une révolution avec quinze personnes, si j'arrivais à Paris, je ne devais ma réussite qu'au peuple, et non à un parti ; arrivant en vainqueur, je déposais, de plein gré, sans y être forcé, mon épée sur l'autel de la patrie ; on pouvait alors avoir foi en moi ; car ce n'était plus seulement mon nom, c'était ma personne qui devenait une garantie. Dans le cas contraire, je ne pouvais être appelé que par une fraction du peuple... D'ailleurs, empêcher l'anarchie est plus facile que de suivre leurs passions. Arrivant comme ressource, je n'étais qu'un drapeau de plus jeté dans la mêlée, dont l'influence immense dans l'agression eût peut-être été impuissante pour rallier. Enfin, dans le premier cas, j'étais au gouvernail sur un vaisseau qui n'a qu'une seule résistance à vaincre ; dans le second cas, au contraire, j'étais sur un navire battu par tous les vents et qui, au milieu de l'orage, ne sait plus quelle route il doit suivre. Il est vrai qu'autant la réussite de ce premier plan m'offrait d'avantages, autant le non-succès prêtait au blâme. Mais, en entrant en France, je n'ai pas pensé au rôle que me ferait une défaite ; je comptais, en cas de malheur, sur mes proclamations comme testament, et sur la mort comme un bienfait. Telle était ma manière de voir...[132]

Le prince, arrivé en Amérique à la fin de 1836[133], revenait en Suisse vers le milieu de 1837. On a prétendu qu'il avait donné sa parole d'honneur de ne pas remettre le pied en Europe. Jamais le prince n'a pris un engagement pareil. Le procureur général M. Franck-Carré, dans son réquisitoire sur l'affaire de Boulogne, a déclaré qu'il avait été pardonné sans conditions[134]. Reste à savoir si, ayant pu être très justement fusillé, il n'y avait point, de sa part, une obligation morale de rester dans le nouveau monde. Mais, pour revenir, il avait une raison impérieuse, à laquelle son cœur aimant et son incontestable piété filiale ne pouvaient pas résister, c'était l'état désespéré dans lequel se trouvait alors la reine Hortense. Elle lui écrivait à la date du 3 avril 1837 cette lettre à la fois si simple et si touchante qu'on ne peut lire sans émotion :

MON CHER FILS,

On doit me faire une opération douloureuse ; si elle ne réussissait pas, je t'envoie par cette lettre ma bénédiction. Nous nous retrouverons, n'est-ce pas ? dans un meilleur monde, où tu ne viendras me rejoindre que le plus tard possible ; et tu penseras qu'en quittant celui-ci je ne regrette que toi, que ta bonne tendresse qui seule m'y fait trouver quelque charme. Cela sera une consolation, mon cher enfant, de penser que par tes soins tu as rendu ta mère heureuse autant qu'elle pouvait l'être... Bien sur, on se retrouve... Crois à cette douce idée ; elle est trop nécessaire pour ne pas être vraie...

Ta tendre mère,

HORTENSE.

 

Louis Bonaparte partit immédiatement[135]. Qui n'en eût fait autant ? — La reine Hortense mourait le 3 octobre suivant[136].

 

 

 



[1] Relation de l'entreprise du prince Napoléon-Louis (sic), brochure de M F. PERSIGNY, aide de camp du prince pendant la journée du 30 (sic). Londres.

[2] Relation historique des événements du 30 octobre 1836, par M. Armand LAITY, ex-lieutenant d'artillerie, ancien élève de l'Ecole polytechnique. Paris, librairie Thomassin et Cie, 1838.

[3] Caserne d'Austerlitz.

[4] Caserne de la citadelle.

[5] Caserne de Finckmatt.

[6] Quartier des Pêcheurs et quartier des Juifs.

[7] Brochures de LAITY et de PERSIGNY.

[8] Tome V, p. 116.

[9] Sur quelles bases, dit le président de la cour d'assises de Strasbourg au lieutenant de Querelles, aviez-vous placé l'espoir de la réussite, vous et les autres adhérents ? Réponse : D'abord sur le mécontentement général qui règne évidemment dans tous les corps de l'armée, et puis sur l'effet que produirait sur l'armée la vue du prince.

[10] Brochure de LAITY.

[11] Déposition du capitaine Plaindre devant la cour d'assises. A Kehl, le prince dit à Raindre : Capitaine, vous avez du courage et de la loyauté, et je crois pouvoir me confier à vous. Vous aimez trop l'Empereur pour ne pas aimer sa famille. Un mouvement est près d'éclater, j'ai compté sur vous et je me mettrai moi-même à votre tête.

[12] Déposition du commandant de Franqueville.

[13] Audience du 10 janvier 1837, Moniteur du 13.

[14] Et l'acte d'accusation ajoute : ... On ne viole jamais impunément les lois de la morale... Le mépris de la décence publique aboutit souvent au crime...

[15] Acte d’accusation. — Née à Paris le 6 septembre 1808, elle avait donc alors vingt-huit ans. Elève du Conservatoire de Paris et de Milan, elle avait chanté à Venise, puis elle avait débuté aux Italiens de Paris en 1831. De là elle était passée à Londres, où elle avait donné des concerts, notamment dans la famille Bonaparte, et c'est ainsi qu'elle avait fait la connaissance du prince et de Persigny. Elle avait épousé alors sir Gordon-Archer, commissaire des guerres à la légion franco-espagnole, commandée par le général Évans. Elle devint veuve au bout de quelques années de mariage. On prétend que pour développer sa voix de contralto elle faisait des armes et qu'elle s'y montrait de première force. On raconte encore que M. Wolbert, conseiller à la cour de Colmar, qui lui avait fait subir plusieurs interrogatoires, répétait souvent : Vingt femmes comme celle-là par an, et j'en perdrais la tête. — Mme Gordon, dit Louis BLANC dans ses Révélations historiques (t. II, p. 220), avec le lieutenant Laity, avait été l'âme de la conspiration de Strasbourg.

[16] Acte d’accusation.

[17] Acte d’accusation.

[18] Brochure de LAITY, p 28, 29, 30, 31.

[19] Voir la Gazette des tribunaux du 3 novembre 1836.

[20] Lettre du prince.

[21] Acte d'accusation. — ... C'est la femme froide et réfléchie, y lit-on encore, qui... entraîne à sa ruine l'homme qui l’aimait... — Le culte de Mme Gordon pour la mémoire de Napoléon était volontairement aveugle, superstitieux, sans bornes... (Louis BLANC, Révélations politiques, t. II, p 220.) — Quant au prince, elle paraissait le priser fort peu. Un jour que je lui demandais si elle l'aimait : Je l'aime politiquement, répondit-elle. Et elle ajouta : A dire vrai, il me fait l'effet d'une femme. (Ibid.)

[22] Audience du 11 janvier 1837, Moniteur du 14.

[23] Le capitaine Raindre.

[24] Brochure de LAITY.

[25] Voir audience du 9 janvier 1837.

[26] Si M. de Bruc, dit le général dans sa déposition, m'eût parlé d'un complot, je l'aurais fait arrêter, ou plutôt je l’aurais traité comme un fou.

[27] Acte d'accusation.

[28] Le président à Mme Gordon (audience du 7 janvier) : Vous prétendez que vos relations avec le colonel Vaudrey n’étaient point intimes ; cependant il est constant que vous avez logé dans son appartement. — Une assez vive rougeur, dit le compte rendu, couvre les joues de Mme Gordon, qui répond qu'elle s'était démis l’épaule.

[29] Expression du procureur général.

[30] Voir les Œuvres de Napoléon III (édit. Plon).

[31] Le colonel Talandier, commandant le 18° de ligne, causant, quelque temps après, avec le duc d'Orléans, de l'affaire de Strasbourg, s'étonnait de l'indulgence extrême dont on avait usé avec les officiers ayant participé au complot ; le prince royal s'écria : Il y aurait eu trop à punir ! (Voir Jules RICHARD, Comment on a restauré l'Empire, p. 17.)

[32] Lettre du prince à Odilon Barrot, du 15 novembre 1836.

[33] Que ce respect pour le principe de la souveraineté populaire fût, de la part du jeune prince, parfaitement sincère et loyal, rien de plus certain ; mais la part que, dans son désir, il faisait à son ambition, n'en était point pour cela moins grande. Héritier de la tradition impériale, pourrait-il n'être pas désigné par le peuple, surtout lorsqu'il lui apparaîtrait entouré de l'éclat d'une révolte heureuse ?... Mieux inspiré, plus magnanime, il eût cherché la gloire dans un désintéressement absolu, et peut-être y eût-il trouvé le succès. Mais l'éducation que reçoivent les princes ne les porte pas à d'aussi hautes pensées !... Qu eût-il apporté ?... La continuation de l'œuvre de Napoléon, moins la guerre ; c'eût été, — il est permis de le craindre, — le despotisme moins les triomphes, les courtisans sur nos têtes moins l'Europe à nos pieds, un grand nom moins un grand homme, l'empire, enfin, moins l'Empereur. (Louis BLANC, Histoire de dix ans, t. V, p. 113, 115.)

[34] Au bruit des vivats du 4e régiment d'artillerie, la première lettre fut envoyée et la seconde déchirée. (Brochure de PERSIGNY.)

[35] Allié a la famille de Beauharnais. La terre de Saint-Leu avait été vendue à la reine Hortense par sa grand'mère.

[36] Esprit fin, délié, adroit, caractère énergique et audacieux, volonté pleine de ressources Il était en même temps la conception et l'exécution, l'intelligence et la main de l'aventure. Diplomate d'instinct et non d'éducation, il nouait les fils du complot avec une habileté consommée Conspirateur par tempérament et par calcul, les aventures l'attiraient irrésistiblement. Impassible et froid devant le péril, aucun obstacle ne pouvait ni l'effrayer ni l'arrêter. La prévoyance qui combine tout et l'audace qui ne redoute rien, tel était M. de Persigny. (A. DE LA GUÉRONNIÈRE, Portraits politiques contemporains, 1851.)

[37] Voir lettre du prince à sa mère. (Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.)

[38] Lettre du prince à sa mère. (Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.)

[39] Relation de LAITY.

[40] Relation de LAITY.

[41] Voir la lettre susdite du prince, dont la déclaration est confirmée et par de Persigny et par Laity C’est donc à tort que le Journal des Débats revêt le prince d'un habit vert, et que le procureur général déclare dans l'acte d'accusation que Louis Bonaparte était revêtu d'un costume qui rappelait celui du grand homme, la tête couverte du chapeau historique. A l'audience du il janvier, le canonnier Marcot, du 4e d'artillerie, dépose qu'il a vu arriver dans la cour de la caserne un jeune homme qui avait le petit chapeau ; à l'audience du 12, le sous-lieutenant Pleignier, du 46e de ligne, dit : Je vis s'avancer un jeune homme revêtu de l'uniforme de Napoléon Mais, nous le répétons, le prince, de Persigny et Laity affirment que l'habit était bleu, et que la coiffure était le chapeau d'état-major. Il y a donc là une légende, comme dans l'affaire de Boulogne il y a celle de l'aigle. Ce qu’il y a de vrai, c'est que le chapeau d'état-major avait une vague ressemblance avec le petit chapeau de l'Empereur.

[42] Moniteur. Audience du 12 janvier 1837.

[43] Moniteur du 24 décembre 1836.

[44] Audience du 10 janvier, déposition de Victor Jacquet, adjudant au 4e d'artillerie.

[45] Voir lettre adressée au Journal du Haut et Bas-Rhin par le capitaine d'artillerie E. Donnat, faisant fonction de major au 4e régiment.

[46] Allocution reconstituée tant avec la version tirée de la relation de Laity qu'avec celle des Œuvres de Napoléon III, édit. Plon, t. III.

[47] Déposition de Marcot, canonnier au 4e d'artillerie : On a crié : Vive l'Empereur ! Vive Napoléon !... J'ai demandé : Quel Empereur ? quel Napoléon ? Les uns m'ont répondu que c'était le fils, d'autres le neveu, d'autres que c'était l'Empereur lui-même...

Déposition de Gaudoin, soldat : On criait : Vive le Roi ! ou : Vive l'Empereur ! je ne savais pas trop... ; je me mis à crier : Vive le Roi !... Le colonel Vaudrey s'approcha de moi et me dit : Crie : Vive l'Empereur ! f.... Alors j'ai crié : Vive l'Empereur !

[48] Il y a là une assertion dont nous n'avons trouvé nulle part la justification, et qui, d'ailleurs, ne se trouve pas dans l'édition Plon des Œuvres de Napoléon III.

[49] LAITY (brochure).

[50] Déposition du lieutenant Jacques Bocave.

[51] Déposition du lieutenant Jacquet.

[52] Déposition du portier Chrétien-Aloïse Woltz.

[53] Déposition du valet de chambre Antide Cantel

[54] Déposition du préfet.

[55] Déposition de Victor Jacquet, adjudant.

[56] Déposition de Victor Jacquet, adjudant.

[57] Relation de LAITY.

[58] Déposition du général Voirol.

[59] Déposition du général Voirol.

[60] Œuvres de Napoléon III, t. II.

[61] Déposition du général Voirol.

[62] Les capitaines de Vercly, Petit-Grand, Labastie, Chausson.

[63] Ce général, s'écrie Voirol en désignant Parquin, c'est un traître, un misérable, tuez-le ! (Déposition de Chausson, capitaine au 3e d'artillerie.)

[64] Déposition du général Voirol.

[65] Déposition du général Voirol.

[66] Déposition du général Voirol.

[67] Déposition du général Voirol.

[68] Rapport du général Voirol au ministre de la guerre.

[69] Rapport du général Voirol au ministre de la guerre.

[70] Déposition du sergent Debarre.

[71] Déposition de Pleignier.

[72] Déposition de Hornet.

[73] Déposition de Kubler.

[74] Déposition de Gricourt et brochure de PERSIGNY.

[75] Déposition de Gricourt. — Ah ! quelle horrible position a été la mienne, au milieu du 46e de ligne ! J'étais venu consulter un sentiment national et je pouvais voir la force de ce sentiment dans la fureur même des soldats dont les baïonnettes étincelaient sur ma poitrine, déchiraient mes habits et glissaient comme par miracle sur mon corps, car, exaspérés par la croyance que je n'étais pas le neveu de l'Empereur, ils me reprochaient dans les termes les plus violents d'avoir usurpé le grand nom de Napoléon. (Lettres de Londres, PERSIGNY, p. 87.)

[76] Déposition du major Salleix.

[77] Déposition du major Salleix.

[78] Déposition du sergent André-Régulus Debarre, qui ajoute : Le commandant Parquin faisait voltiger son sabre de tierce et de quarte, tous les tremblements, quoi ! — Déposition du fusilier du 46e Jean Morvan : Je vis un canonnier qui couchait en joue le sergent-major Delabarre ; alors je lui communiquai un coup de baïonnette dans la joue...

[79] Déposition du capitaine Morin.

[80] Déposition du sergent Kubler.

[81] Déposition du lieutenant-colonel Taillandier.

[82] Déposition du sergent Kubler.

[83] Déposition du fusilier au 46e Jean Morvan. Le président demande: Est-ce le colonel Vaudrey qui a crié aux armes ? — Non, répond-il, c'est l'Emp... ; s'entend, c'était le petit jeune homme.

[84] Déposition du lieutenant-colonel Taillandier.

[85] Déposition du lieutenant-colonel Taillandier.

[86] Toute cette échauffourée dans la caserne même ne dura que très peu de temps. Le général Voirol, dans son rapport, dit : Dans une minute, Louis-Napoléon et les misérables qui avaient pris parti pour lui ont été arrêtés...

[87] Rapport du général Voirol.

[88] Rapport du général Voirol.

[89] Déposition de M. Lespiaux, chirurgien des pontonniers.

[90] Télégraphe aérien.

[91] Le duc d'Orléans écrit au duc de Nemours : Tuileries, 1er novembre 1836, 5 heures du soir. Je pense avec bonheur que tu apprendras tout à la fois et que loin de nous tu n'auras pas a subir les AFFREUSES incertitudes que nous avons éprouvées. Toute la nuit dernière s'est passée à veiller sans nouvelles, et lorsque M. de Franqueville est arrivé, j'étais décidé à partir pour Strasbourg. (V. Mémoires de Véron, t. IV, p. 18, 19.)

Les ministres passent toute la nuit auprès du Roi, attendant des nouvelles. Les princes allaient et venaient, demandant si l'on savait quelque chose de plus. (GUIZOT, Mémoires pour servir a l'histoire de mon temps, t IV, p. 198.)

[92] Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d'État, publiés par son fils, le prince Richard DE METTERNICH, t VI, p. 158, 159. Plon, édit., 1883.

[93] Voir le Courrier du Bas-Rhin. — ... Il entend chanter à voix basse derrière sa porte une chanson napoléonienne. Il trouve un soldat. Tous vos camarades, lui dit-il, ne vous ressemblent pas... — Ah ! mon prince, tous aiment l'Empereur et donneraient leur sang pour qu'il ne vous arrive rien... (PERSIGNY, Lettres de Londres, p. 88.)

Revenant de subir un interrogatoire, il passe entre deux haies de soldats. L'un d'eux lui présente les armes, la figure couverte de larmes. (Ibid.)

Par une de ces presciences maternelles qu'on ne peut définir, dit encore l'auteur des Lettres de Londres, car elle ne savait rien, sa mère, lorsqu'il partit d'Arenenberg pour Strasbourg, lui donna la bague de mariage de Napoléon et de Joséphine, simple alliance en or portant en inscriptions, d'un côté : Napoléon Bonaparte, et de l'autre : Joséphine Tascher. C'était un don de l'Empereur. Il la portait à la caserne Finckmatt. Une fois dans la prison, il ne put s'empêcher, — c'est lui-même qui le raconte à Persigny, — de jeter les yeux sur ce talisman, de le baiser avec effusion en pensant à l'Empereur, et il lui sembla voir, dans un de ces moments d'hallucination qu'on éprouve toujours dans les grandes infortunes, l'ombre de son oncle tracer sur sa bague le mot ESPÉRANCE.

[94] Brochure de LAITY.

[95] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[96] Déclaration du directeur de la prison. Gazette des Tribunaux.

[97] V. le Prisonnier de Ham, par F. BRIFFAULT. Paris, Plon, 1849.

[98] V. le Prisonnier de Ham, par F. BRIFFAULT. Paris, Plon, 1849.

[99] Voir le Prisonnier de Ham, par F. BRIFFAULT. Paris, Plon, 1849. — On a trouvé qu'il se comportait avec beaucoup de convenance et de dignité. Il a écrit au Roi pour lui témoigner sa reconnaissance et lui recommander les complices de sa folle entreprise. La lettre était, dit-on, parfaitement bien et d'un ton juste. (16 novembre 1836, Lettres de M. Ximenès Doudan.)

[100] La reine Hortense accourut en France sous un nom supposé, s'arrêta à Viry, près de Paris, chez la duchesse de Raguse, et de là s'adressa à M. Molé et au Roi. (Mémoires de Guizot, t. IV, p. 298.)

[101] Brochure de LAITY.

[102] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[103] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[104] Commandée par le capitaine de vaisseau Henri de Villeneuve. Je suis bien pauvre et bien malheureux, lui dit le prince, reconnaissant de ce que cet officier lui donnait une partie de sa garde-robe, mais souvenez-vous que celui que vous obligez sera un jour empereur des Français. Ces paroles, dont l'authenticité n'est nullement certaine, sont rapportées par la Gazette de France du 11 mars 1851, au sujet de la nomination de M. de Villeneuve au grade de commandeur de la Légion d'honneur.

[105] GUIZOT, Mémoires pour servir a l'histoire de mon temps, t. IV, p. 298.

[106] Brochure de LAITY.

[107] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[108] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[109] Œuvres de Napoléon III, t. II, édit. Plon.

[110] En grand uniforme, avec la décoration d'officier de la Légion d'honneur ; haute taille, cheveux noirs et courts, moustache avec longue royale.

[111] En lieutenant d'artillerie ; petit, blond.

[112] En redingote bleue, ornée de la rosette d'officier ; très grand.

[113] Petit ; en habit bleu, à boutons dorés et ciselés ; gilet noir à grandes fleurs bleues ; jabot artistement plissé ; longues moustaches blondes retroussées.

[114] Ancien chef d'escadron. A dix-sept ans, à Montereau, il s'élance sur un escadron de uhlans, tue le colonel, s'empare de son cheval et le ramène sur le champ de bataille, où il est décoré. A Breslau, il reçoit deux coups de lance. A Hanau, il a le cou traversé par une balle. Il n'avait pas participé à l'attentat même et n'avait été arrêté que quelques jours après, comme ayant pris part à la préparation du complot.

[115] Il meurt à Paris en 1847, à l'âge de trente-cinq ans ; sa veuve, fille du marquis de Beauharnais, épousa Laity. — En habit bleu, boutonné jusqu'au col et orné du ruban rouge ; moustaches.

[116] Chapeau de satin blanc, robe de soie noire, collet à grandes broderies ; deux boucles de cheveux noirs lui encadrent le visage ; œil noir et vif ; teint clairet rosé.

[117] Voir le Moniteur du 10 janvier 1837.

[118] Moniteur du 10 janvier 1837.

[119] Moniteur du 10 janvier 1837.

[120] Cinq chapeaux à trois cornes, dit le Moniteur, dont un petit chapeau semblable à celui de Napoléon Ier, orné de riches galons d'or. — Voir plus haut ce que nous disons au sujet du chapeau.

[121] On prétendait qu'il était Suisse. — Audience du 6 janvier. Moniteur du 10 janvier 1837.

[122] Connaissait le prince depuis 1822 ; avait acheté, en 1824, le château de Wolberg, sis auprès du château d'Arenenberg ; avait épousé une demoiselle d'honneur de la reine Hortense, Mlle Cochelet, fille d'un membre de l'Assemblée constituante et élevée dans le pensionnat de Mme Campan, avec Mlle de Beauharnais.

[123] Audience du 6 janvier 1837.

[124] On saisit sur de Querelles un carnet où on lisait : Il me faut des croix, des titres, des grades, des cordons, et mon sabre saura les conquérir... Nous vivrons bien ; 20,000 livres de rente suffisent. Nous aurons des titres, des honneurs, un chapeau à plumes. (Moniteur du 14 janvier 1837.)

[125] Dans son réquisitoire, le procureur général dit qu'on a trouvé sur le carnet du prince en brouillon (sic) ces mots : Que chacun reste à son rang ; demain les sous-officiers seront officiers, et les officiers seront augmentés d'un grade.

[126] Dans le cours de sa plaidoirie, l'avocat avait rappelé les brillants états de services du colonel Vaudrey.

[127] Cette thèse, à notre sens, n'est pas juste. De ce que le prince n'était pas poursuivi, la culpabilité des autres n'en était pas moins évidente, et de ce qu'il était absent, non moins certaine. De ce que le gouvernement violait le droit en laissant impuni Louis-Napoléon (le violait-il ? le laissait-il impuni ? ne maintenait-il pas contre lui la peine du bannissement ?), était-ce une raison pour que la justice renvoyât indemnes tous les coupables ? A moi, juré, vous ne livrez pas l'auteur principal ; vous avez tort : je n'y puis rien ; mais le complice est là, je le condamne, c'est mon devoir. Ce qu'il faut ajouter, c'est que le jury ne juge pas toujours suivant le droit et la raison, et que souvent il se laisse déterminer par le seul sentiment. Dans ces conditions, l'acquittement des complices du prince était inévitable.

[128] Voir le Siècle du 21 janvier 1837.

[129] Voir le Courrier du Bas-Rhin.

[130] Voir la Nouvelle Minerve.

[131] Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, t. VI, p. 190, édit. Plon, 1883.

[132] Brochure de LAITY.

[133] A New-York il rencontra d'anciens bonapartistes : le lieutenant Lacoste, qui y avait suivi le roi Joseph en 1815, les frères Peugnier, jadis compromis dans la conspiration de Belfort, ses cousins Achille et Lucien Murat, celui-ci employé des postes, celui-là tenant une école de jeunes filles avec sa femme Carolina-Georgina Fraser.

[134] En 1846 paraissait un ouvrage intitulé : Histoire de l'Europe depuis l'avènement de Louis-Philippe, par CAPEFIGUE, où il était dit que le prince avait donné sa parole de ne pas rompre son ban. De Londres, à la date du 10 novembre, le prince adressa à l'auteur la lettre suivante : La grave accusation formulée contre moi dans le deuxième volume de votre histoire... me force à m'adresser à vous pour réfuter une calomnie déjà vieille... Vous croyez que, lorsque je fais expulsé de France, en 1836, malgré mes protestations, j'ai donné ma parole de rester perpétuellement exilé en Amérique, et que cette parole a été violée par mon retour en Europe. Je renouvelle ici le démenti formel que j'ai si souvent donné à cette fausse allégation En 1836, le gouvernement français n'a pas même cherché à prendre ses sûretés avec moi, parce qu'il savait trop bien que je préférais de beaucoup un jugement solennel à ma mise en liberté. Il n'a donc rien exigé de moi, parce qu'il ne pouvait le faire, et je n'ai rien promis, parce que je n'ai rien demandé. En 1840, veuillez vous en souvenir, M. Franck-Carré, remplissant les fonctions de procureur général, fut forcé de déclarer lui-même que j'avais été mis en liberté sans conditions. Vous trouverez ces propres paroles dans le Moniteur du mois de septembre. Vous vous en rapporterez, je l'espère, à un homme qui s'exprimait ainsi en lisant mon acte d'accusation. Je pus donc, avec une conscience très libre, repartir pour l'Europe en 1837 et y venir fermer les yeux de ma mère. Si la préoccupation de ce pieux devoir m'avait fait oublier une promesse jurée, le gouvernement français n'aurait pas eu besoin, après la mort de ma mère, de réunir un corps d'armée sur la frontière suisse pour décider mon expulsion, il n'aurait eu besoin que de me rappeler ma parole. Si, d'ailleurs, j'y avais manqué une première fois, on ne me l'eût pas demandée une seconde, comme on l'a fait pendant mon séjour à Ham, lorsqu'on discutait les conditions de mon élargissement. Si je m'étais fait, comme vous semblez le croire, un jeu de ma parole, j'aurais souscrit à cette exigence, tandis que j'ai mieux aimé rester six ans captif et courir les risques d'une évasion que de me soumettre à des conditions que mon honneur repoussait. Permis à vous, Monsieur, de blâmer ma conduite, de torturer mes actes et de fausser mes intentions ; je ne m'en plaindrai pas, vous usez de votre droit de juge ; mais je ne permettrai jamais à personne d'attaquer ma loyauté, que j'ai su, grâce à Dieu, garder intacte au milieu de tant de cruelles épreuves...

[135] Dès son arrivée à Londres, il écrit (10 juillet) au roi Louis : ... Si vous saviez, mon cher père, combien je suis triste, seul au milieu de ce tumulte de Londres et au milieu de parents qui me fuient ou d'ennemis qui me redoutent. Ma mère est mourante, et je ne puis aller lui porter les consolations d'un fils ; mon père est malade, et je ne puis espérer d'aller le trouver. Qu'ai-je donc fait pour être ainsi le paria de l'Europe et de ma famille ? J'ai promené un moment dans une ville française le drapeau d'Austerlitz et je me suis offert en holocauste au souvenir du captif de Sainte-Hélène. Ah. oui, que vous blâmiez ma conduite, cela peut être, mais ne me refusez jamais votre tendresse. C'est, hélas ! la seule chose qui me reste. (Voir Napoléon III, par M. G. DUVAL.)

[136] A la fin de l'année 1837, il lui écrit encore : ... Après le malheur que j'ai éprouvé, il n'y avait que vous qui puissiez adoucir ma douleur, en me rappelant que je n'avais pas tout perdu, puisqu'il me restait encore un père qui me rendait sa tendresse. Oh ! je vous assure que l'idée de vous revoir fait bien battre mon cœur. (M. G. DUVAL, Napoléon III.)