ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DES PROGRÈS DU TIERS ÉTAT

 

APPENDICES.

 

 

APPENDICE III. — CAHIER DU VILLAGE DE BLAIGNY POUR LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1576[1].

 

En cette convocation des états, se sont proposées les doléances et plaintes d'un chacun, afin que puisqu'il a plu à Dieu inspirer le roy à ouïr son peuple, il lui donnât le remède que le mal requerre, parce que le propre office du roy est de faire jugement et justice, et de régner avec le contentement de son peuple.

Et l'un des moyens plus nécessaires est de le maintenir en paix et union de religion, qui sont les plus fortes murailles du monde, et un lien indissoluble d'amitié, par quoi toutes choses crotteront, et à cette fin établir concile général.

Dès à présent, comme étant la nourriture spirituelle recommandable sur toute chose, est de besoin pourvoir par élection de prêtres et ministres d'église capables, curés, et autres prélats qui résideront sur les lieux pour prêcher et enseigner le peuple sans espérance de dispense.

Par cette voie, seront ôtés tous moyens d'abuser des bénéfices comme il a été fait par cy-devant, et a été reconnu à vue d'œil, contre toutes les saintes constitutions.

De même, pour couper chemin aux involutions des procès, et réduire la justice en son premier état, que les offices de judicature royale se donneront par élection aux anciens avocats des lieux, pour être triennaux, et y demeurer suivant l'élection, sauf à les continuer s'il y échet ; et, par même moyen, les avocats seront tenus à garder les ordonnances sur l'abréviation des procès, à peine de tous dépens, dommages et intérêts en leur propre et privé nom, et les avocats reçus à plaider en toutes cours pour le soulagement du droit des parties, et l'édit érigé de nouvel pour les procureurs, supprimé comme fait à la foule du peuple.

Que les seigneurs ayant justice auront juges capables et gardes de justice, comme il avoit été ordonné par les ordonnances, et deffenses d'avoir juges fermiers, à peine de réunion de leur justice au domaine du roy.

Que ceux qui seront trouvés forcer la main de justice, seront punis corporellement, et leurs biens acquis et confisqués au roy, et leurs procès instruits par les juges du territoire où ils auront délinqué, sans préjudice d'opposition ou appellation quelconque, et l'exécution différée.

Et comme il ne peut pis advenir au pauvre laboureur que la mort, qui ne mettra fin aux malheurs, oppressions et tyrannies que les gens de guerre ont exercé envers eux, remontre le pauvre peuple :

Qu'il est très-nécessaire, se présentant la guerre à l'avenir, que les gens de guerre soient élus par les provinces, et que les chefs qui en auront charge enrôleront les soldats par leurs noms, surnoms et demeurance, dont ils délivreront acte signé de leurs mains ou autrement approuvé aux gouverneurs des pays, sans que allants par pays, ils puissent changer leurs noms, à peine d'être de même tous condamnables à mort.

Pareillement que ils paieront de gré à gré, moyennant leur soulte qu'ils auront, et que le roy leur ordonnera, des deniers provenant des tailles ordinaires établies pour ce faire ; et, en tous lieux où ils logeront, inscriront sur les registres les capitaines ou conducteurs, leurs noms, pour en cas de malversations en répondre, et être contre les délinquants les procès faits par les juges des lieux, sans préjudice d'opposition ou appellation quelconque.

Que les anciennes ordonnances sur le fait de la gendarmerie seront observées ; et les seigneurs et les gentilshommes honorés des places que plusieurs autres occupent par faveur, et appetent lesdites places pour ruiner le pauvre peuple, allant et venant par le pays, sans qu'en temps de nécessité ils ayent moyen de faire un service au roy, et se mettre en tel équipage qu'il est requis.

Et que auxdittes charges ne seront reçus les étrangers, ni en autres états du royaume, mais tenus de les vuider incessamment, à peine d'en être expulsés par force, et leurs biens acquis au roy.

Que les surcharges extraordinaires imposées sur le peuple, mêmement les huitièmes, vingtièmes et impositions, vins entrants, gabelles de sel, et autres subsides, seront abolis, et le pauvre peuple remis en l'état et liberté qu'il étoit au temps de ce grand roy Louis XII, sans que à l'avenir il s'en puisse donner, ni faire emprunt sans le consentement du peuple.

Que ceux qui ont manié les finances du roy, en rendront compte ; et à l'avenir ceux qui seront introduits en telles charges, seront élus avec le peuple pour éviter à tous concussions.

Et à ce que toutes marchandises puissent être à meilleur prix, et connoitre la qualité des personnes, éviter toute superfluité de luxe, seront les ordonnances sur le fait des habits gardées et observées sous peine de la vie.

Aussi toutes personnes non nobles seront contribuables aux tailles ordinaires, et encore les nobles qui tiendront en roture, à ce que le pauvre peuple soit soulagé.

Toutes autres ordonnances inviolablement observées tant sur le fait de la justice que police ; et que à l'avenir celles que le roy fera, passeront par les cours souveraines, pour être publiées si faire se doit, nonobstant toutes jussions ou exprès commandements à ce contraires, selon qu'il s'est de toute ancienneté observé.

Signé : LE FEBVRE.

 

 

 



[1] Forme générale et particulière de la convocation et de la tenue des assemblées nationales ou États généraux de France, justifiée par pièces authentiques, 1789, 1re partie ; Pièces justificatives, n° 45. — Ce village est probablement Bleigny-le-Carreau, département de l'Yonne.