ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA FORMATION ET DES PROGRÈS DU TIERS ÉTAT

 

CHAPITRE IX. — LOUIS XIV ET COLBERT.

 

 

SOMMAIRE : Développement de notre histoire sociale du XIIe siècle au XVIIe. — Louis XIV gouverne personnellement, son caractère, deux parts dans son règne. — Ministère de Colbert, sa naissance roturière, son génie. — Universalité de ses plans d'administration. — Grandes ordonnances : besoin d'une longue paix. — Passion du roi pour la guerre, ses conquêtes. — Faveur croissante de Louvois, disgrâce de Colbert. — Il meurt consumé d'ennuis et impopulaire. — Révocation de l'édit de Nantes. — Fautes du règne de Louis XIV. — Elles venaient toutes d'une même source. — Impression des malheurs publics. — Changement qu'elle amène dans les esprits. — Nature et portée de cette réaction.

 

Le règne de Louis XIV marque dans notre histoire le dernier terme du long travail social accompli en commun par la royauté et par les classes non nobles de la nation, travail de fusion et de subordination universelle, d'unité nationale, d'unité de pouvoir et d'uniformité administrative. Si de ce point culminant ou porte le regard en arrière jusqu'aux règnes de saint Louis et de Philippe-Auguste, il semble qu'on voie se dérouler un même plan, formé dès l'abord, et à l'exécution duquel chaque siècle, depuis le XIIe, a contribué pour sa part. La succession des temps fait apparaître une suite de rois et de ministres s'employant à cette grande œuvre, et mettant au service de la même cause tout ce qu'ils ont d'âme et de génie. On voit le peuple, pour qui ils travaillent et d'où ils tirent les éléments de leur puissance réformatrice, les devancer quelquefois de ses propres efforts, les suivre toujours, et les stimuler sans cesse par sa vois dans les états généraux, par l'opposition des compagnies judiciaires, par tout ce qu'il y avait d'organes du droit commun et de la pensée publique. C'est ainsi qu'à force de mutations progressives s'est élevée la royauté absolue, symbole de l'unité française, représentation de l'état facilement confondue avec lui. Ce régime, ennemi de la liberté aussi bien que du privilège, et dont la seconde moitié du XVIIe siècle nous montre l'épanouissement splendide, la nation ne l'avait point subi, elle-même l'avait voulu résolument et avec persévérance ; quelques reproches qu'on pet lui faire au nom des droits naturels ou du droit historique, il n'était point fondé sur la force ni sur la fraude, mais accepté par la conscience de tous.

Tel était le pouvoir qui, après deux ministères qu'on peut nommer de véritables règnes[1], fut pris en main par le fils de Louis XIII, à peine âgé de vingt-trois ans. Le jeune prince, jusque là étranger aux affaires, adressa, dans le premier conseil tenu par lui, ces paroles au chancelier et à ses collègues : J'ai résolu d'être à l'avenir mon premier ministre... Vous m'aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai... Je vous prie et vous ordonne, M. le chancelier, de ne rien sceller que par mes ordres... et vous, mes secrétaires d'État, et vous, M. le surintendant des finances, je vous ordonne de ne rien signer sans mon commandement[2]. Celte déclaration renfermait une promesse de travail personnel, de travail effectif pour chaque jour ; Louis XIV s'y montra fidèle durant toute sa vie, et c'est là un des traits caractéristiques et l'une des gloires de son règne[3]. Jamais chef de nation n'eut une idée plus haute et plus sérieuse de ce que lui-même appelait énergiquement le métier de roi[4]. Ainsi l'exercice du pouvoir, qui, depuis la mort de Henri IV, n'avait eu lieu que par délégation, se trouva réuni à son principe, et la royauté, réduite durant un demi-siècle à l'état de pure idée, redevint pour ainsi dire une personne. Cette révolution, qui simplifiait logiquement l'autorité souveraine, fut saluée avec joie par la sympathie et l'espérance populaire ; on y voyait le terme de ces maux que les peuples imputent toujours aux intermédiaires placés entre le trône et la nation, personne alors n'en pressentait les vastes et singulières conséquences.

Louis XIV, avec une rare dignité de caractère, possédait un sens droit, l'instinct du pouvoir et de l'ordre, l'esprit des affaires jusque dans le détail, une grande faculté d'application et une remarquable puissance de volonté ; mais il lui manquait la haute portée de vue et la liberté d'intelligence qui avaient mis au premier rang des hommes d'État Richelieu et Mazarin. Sa résolution d'agir en tout selon la règle du devoir et de n'avoir pour but que le bien public était profonde et sincère, les mémoires qui nous restent de lui l'expriment avec une effusion quelquefois touchante[5], mais il n'eut pas la force de suivre toujours la loi morale qu'il s'imposait. En voulant ne faire qu'une même chose de son propre bonheur et du bien de l'État, il inclina trop à confondre l'État avec lui-même, à l'absorber dans sa personne[6].Trop souvent il prit la voix de ses passions pour celle de ses devoirs, et ce qu'il se vantait d'aimer le plus, l'intérêt général, fut sacrifié par lui à son intérêt de famille, à une ambition sans bornes, à un amour déréglé pour l'éclat et pour la gloire[7]. Sa longue vie le montre de plus en plus entraîné sur cette pente périlleuse. On le voit d'abord modeste et en même temps ferme d'esprit, aimant les hommes supérieurs et cherchant les meilleurs conseils[8] ; puis, préférant qui le flatte à qui l'éclaire, accueillant, non l'avis le plus solide, mais l'avis le plus conforme à ses goûts ; puis, enfin, n'écoutant que lui-même, et prenant pour ministres des hommes sans talent ou sans expérience qu'il se charge de former. Ce règne, glorieux à juste titre, offre ainsi des phases très-diverses ; on peut le diviser en deux parts presque égales pour la durée, l'une de grandeur, l'autre de décadence : et, dans la première, on peut de même distinguer deux périodes, celle des années fécondes où tout prospère par une volonté puissante que la saine raison dirige, et celle où le déclin commence, parce que la passion prend de l'empire aux dépens de la raison.

C'est le génie d'un homme du tiers état, du fils d'un commerçant, de Jean-Baptiste Colbert, qui donna l'inspiration créatrice au gouvernement de Louis XIV[9]. Colbert fut ministre vingt-deux ans[10], et, durant ce temps le plus beau du règne, la prospérité publique eut pour mesure le degré d'influence de sa pensée sur la volonté du roi. Cette pensée, dans sa nature intime, se rattachait à celle de Richelieu, pour la mémoire duquel Colbert professait un véritable culte[11]. Dès son entrée au conseil, il fit reparaître les plans du grand ministre et se proposa pour but l'exécution de tout ce que cet homme extraordinaire n'avait pu qu'ébaucher, indiquer ou entrevoir. L'œuvre de Richelieu s'était accomplie dans la sphère des relations extérieures ; mais il n'avait pu que déblayer le terrain et tracer les voies pour la réorganisation intérieure du royaume. Par la diplomatie et par la guerre, lui et son habile successeur avaient assuré à la France une situation prépondérante parmi les États européens ; il s'agissait de lui donner un degré de richesse et de bien-être égal à sa grandeur au dehors, de créer et de développer en elle tous les éléments de la puissance financière, industrielle et commerciale. C'est ce qu'entreprit un homme qui n'avait ni le titre ni les droits de premier ministre, serviteur d'un monarque jaloux de son autorité personnelle, et ombrageux en ce point jusqu'à la manie[12]. Richelieu avait fait de grandes choses dans sa pleine liberté d'action ; Colbert en fit de non moins grandes sous la dépendance la plus étroite, avec la nécessité de plaire dans tout ce qu'il lui fallait résoudre, et avec la condition de ne jamais jouir extérieurement du mérite de ses propres actes, de prendre pour soi dans le pouvoir les soucis, les mécomptes, les injustices populaires, et de porter sur autrui le succès, la gloire et la reconnaissance publique.

Rien de plus étrange que le contraste des figures et des caractères dans cette association au même travail qui liait l'un à l'autre Louis XIV et Colbert. Le roi, jeune et brillant, fastueux, prodigue, emporté vers le plaisir, ayant au plus haut degré l'air et les goûts d'un gentilhomme ; le ministre joignant aux fortes qualités de la classe moyenne, à l'esprit d'ordre, de prévoyance et d'économie, le ton et les manières d'un bourgeois. Vieilli avant l'âge dans des devoirs subalternes et des travaux assidus, Colbert en avait gardé l'empreinte ; son abord était difficile, sa personne sans grâce, ses traits austères jusqu'à la dureté. Cette rude enveloppe couvrait en lui une âme ardente pour le bien public, avide d'action et de pouvoir, mais encore plus dévouée qu'ambitieuse[13]. Glacial pour les solliciteurs et peu sympathique aux plaintes de l'intérêt privé, il s'animait de tendresse et d'enthousiasme à l'idée du bonheur du peuple et de la gloire de la France[14]. Aussi tout ce qui constitue le bien-être, tout ce qui fait la splendeur d'un pays, fut-il embrassé par lui dans ses méditations patriotiques. Heureuse la France, de tout le bonheur où alors elle pouvait aspirer, si le roi qui avait cru à Colbert sur la parole de Mazarin mourant[15] eût toujours suivi l'admirable guide que la Providence lui donnait. Du moins, dans les vingt-deux ans de ce ministère mêlés de confiance et de défaveur, il lui permit de mettre la main à presque toutes les parties du gouvernement, et tout ce que toucha Colbert fut transformé par son génie. On est saisi d'étonnement et de respect à la vue de cette administration colossale qui semble avoir concentré dans quelques années le travail et le progrès de tout un siècle.

S'il y a une science de la gestion des intérêts publics, Colbert en est chez nous le fondateur. Ses actes et ses tentatives, les mesures qu'il prit et les conseils qu'il donna prouvent de sa part le dessein de faire entrer dans un même ordre toutes les institutions administratives jusque-là incohérentes, et de les rattacher à une pensée supérieure comme à leur principe commun. Cette pensée, dont Louis XIV eut le mérite de sentir et d'aimer la grandeur, peut se formuler ainsi : donner l'essor au génie national dans toutes les voies de la civilisation, développer à la fois toutes les activités, l'énergie intellectuelle et les forces productives de la France. Colbert a posé lui-même, dans des termes qu'on croirait tout modernes, la règle de gouvernement qu'il voulait suivre pour aller à son but : c'était de distinguer en deux classes les conditions des hommes, celles qui tendent à se soustraire au travail, source de la prospérité de l'Etat, et celles qui, par la vie laborieuse, tendent au bien public ; de rendre difficiles les premières et de faciliter les autres en les rendant, le plus possible, avantageuses et honorables[16]. Il réduisait le nombre et la valeur des offices, afin que la bourgeoisie, moins empressée à leur poursuite, tournât son ambition et ses capitaux vers le commerce, et il attirait du même côté la noblesse, en combattant le préjugé qui, hors du service militaire et des hauts emplois de l'État, lui faisait un point d'honneur de la vie oisive[17]. L'émulation du travail, tel était l'esprit nouveau qu'il se proposa d'infuser à la société française, et selon lequel fut conçu par lui l'immense projet de remanier la législation tout entière, et de la fondre en un seul corps pareil au code de Justinien[18].

C'est à ce dessein qu'il faut rapporter, comme des fragments d'un même ouvrage, les grandes ordonnances du règne de Louis XIV, si admirables pour l'époque, et dont tant de dispositions subsistent encore aujourd'hui, l'ordonnance civile, l'ordonnance criminelle, l'ordonnance du commerce, celle des eaux et forêts et celle de la marine[19]. Colbert, d'abord simple intendant, puis contrôleur général des finances, avait, par l'ascendant du génie, contraint le roi à élever ses fonctions dans le conseil jusqu'à celles de régulateur de tous les intérêts économiques de l'État. De la sphère spéciale où son titre d'emploi semblait devoir le renfermer, il porta du premier coup la vue aux plus hautes régions de la pensée politique, et, enveloppant toutes choses dans cette synthèse, il les considéra, non en elles-mêmes, mais dans leur accord avec l'idéal d'ordre fécond et de prospérité croissante qu'il se formait. Il lui parut qu'une grande nation, une société vraiment complète devait être à la fois agricole, manufacturière et navigatrice, et que la France, avec son peuple né pour l'action en tout genre, avec son vaste sol et ses deux mers, était destinée au succès dans ces trois branches du travail humain. Ce succès, général ou partiel, fut à ses yeux le but suprême et le seul fondement légitime des combinaisons financières. Il s'imposa la tâche d'asseoir l'impôt, non sur les privations du peuple, mais sur un accroissement de la richesse commune, et il réussit, malgré d'énormes obstacles, à augmenter le revenu de l'État en réduisant les charges des contribuables[20].

Dans ses plans formés surtout en vue de la prospérité matérielle, Colbert fit entrer pour une large part le soin des choses de l'intelligence. Il sentit qu'au point de vue de l'économie nationale, des liens existent entre tous les travaux, entre toutes les facultés d'un peuple ; il comprit le pouvoir de la science dans la production des richesses, l'influence du goût sur l'industrie, des arts de l'esprit sur ceux de la main. Parmi ses créations célèbres on voit l'Académie des sciences, l'Académie des inscriptions et belles-lettres, les académies de peinture, de sculpture et d'architecture, l'école de France à Rome, l'école des langues orientales, l'Observatoire, l'enseignement du droit à Paris. Il institua, comme partie du service public et de la dépense ordinaire, des pensions pour les littérateurs, les savants et les artistes, et ses bienfaits envers eux ne s'arrêtèrent pas aux limites du royaume. Quant aux mesures spéciales de ce grand ministre pour la régénération industrielle de la France, leur détail dépasserait les bornes où je suis tenu de me renfermer. Les changements qu'il opéra dans toutes les branches de l'administration financière, ses travaux pour accroître ou pour créer le capital national sous toutes ses formes[21], ses encouragements de tout genre distribués à toutes les classes d'hommes concourant à l'œuvre de la production, depuis le chef d'entreprise jusqu'au simple ouvrier, ce vaste et harmonieux ensemble de lois, de règlements, de statuts, de préceptes de fondations, de projets, se trouve habilement exposé dans des publications récentes[22]. Il me suffira d'y renvoyer le lecteur et de dire que c'est à l'impulsion donnée par Colbert à ce principe de vie nouvelle répandu en nous il y a près de deux siècles, que nous devons de compter dans le monde comme puissance maritime et commerciale.

Colbert eut cela de commun avec d'autres hommes doués du génie organisateur qu'il fit des choses nouvelles par des moyens qui ne l'étaient pas, et se servit comme instrument de tout ce qu'il avait sous la main. Loin de lutter contre les habitudes et les pratiques anciennes, il eut l'art d'en tirer des forces, vivifiant par une volonté inspirée et par des méthodes d'application originales ce qui semblait inerte et usé. C'est ainsi que, pour les finances et le commerce, il transforma une accumulation de procédés empiriques en un système profondément rationnel. De là sa puissance et ses merveilleux succès dans son temps, dont il ne choqua point les doctrines ; de là aussi la faiblesse de quelques parties de son ouvrage aux yeux de l'expérience acquise et de la science formée après lui. A-t-il eu tort de rte tenir aucun compte du vœu des états généraux de 1614 pour l'adoucissement du régime des jurandes, et de marcher, dans ses règlements, au rebours de cette première aspiration de la France vers la liberté du travail[23] ? La réponse à cette question et à d'autres du même genre que soulève l'administration de Colbert[24] ne peut se faire isolément. Tout est lié dans les actes du grand ministre de Louis XIV, et, sur cet ensemble systématique, deux faits dominent : le premier, c'est qu'il fit découler tout du principe de l'autorité, qu'il ne vit dans la France industrielle qu'une vaste école à former sous la discipline de l'État[25] ; le second, c'est que les résultats immédiats lui donnèrent pleinement raison, et qu'il parvint à pousser la nation en avant d'un demi-siècle[26].

Il avait fallu de longues années de guerre pour que l'œuvre de Richelieu s'accomplit ; pour que celle de Colbert, complément de l'autre, se développât librement et donnât tous ses fruits ; il fallait de longues années de paix. Après le traité de Westphalie et le traité des Pyrénées[27], un repos durable semblait assuré à l'Europe et à la France, mais ce que promettaient ces deux grands pactes, Louis XIV ne l'accorda pas. Au moment où le jeune roi paraissait livré tout entier aux soins de la prospérité intérieure[28], il rompit la paix du monde pour courir, sous un prétexte bizarre, les chances d'un agrandissement extérieur. Il entreprit, au nom des prétendus droits de sa femme, l'infante Marie-Thérèse, et contre l'avis de ses meilleurs conseillers, la guerre d'invasion que termina le traité d'Aix-la-Chapelle[29], guerre injuste, mais dont l'issue fut heureuse pour le roi et pour la France. Le roi y gagna un renom d'habileté politique et militaire ; la France, en acquérant plusieurs villes de la Belgique[30], fit un pas considérable dans les voies de son agrandissement naturel. Mais dans ce premier coup de fortune, il y eut quelque chose de funeste. Une fois éveillée pour la gloire des armes, la passion chez Louis XIV ne se reposa plus ; elle attiédit en lui le zèle pour les travaux pacifiques, elle le fit passer. de l'influence de Colbert, sous celle du conseiller le plus désastreux[31]. Et non-seulement elle le rendit moins occupé de progrès au dedans que de conquêtes au dehors, mais encore, dans les affaires extérieures, elle le détourna de la vraie politique française, de cette politique à fois nationale et libérale dont le plan avait été conçu par fleuri IV et l'édifice élevé par Richelieu[32].

Quelque embarras qu'on éprouve, comme patriote, à juger rigoureusement la politique d'un règne d'où la France sortit avec ses frontières fixées au nord et, en grande partie, à l'est[33], il faut séparer deux choses dans les guerres de Louis XIV : le résultat et l'intention ; les conquêtes raisonnables, qui à ce titre subsistèrent, et les folles entreprises qui, tendant bien au delà du véritable but, purent s'y trouver ramenées plus tard, grâce à d'heureuses nécessités. La guerre de Hollande, par l'esprit de vengeance qui l'inspira et la manière dont elle fut conduite, eut ce caractère ; si elle produisit les avantages territoriaux obtenus à la paix de Nimègue, ce fut parce que la cour de Madrid, en s'alliant aux ennemis du roi, lui fournit l'occasion d'attaquer de nouveau la Franche-Comté et les Pays-Bas espagnols[34]. Un semblable accroissement de territoire ne résulta point de la guerre d'Allemagne ; toutes les conquêtes faites durant cette guerre de neuf ans furent rendues par le traité de Ryswyk, celle, entre autres, qui donnait à la France sa frontière naturelle des Alpes[35]. Enfin, dans la crise amenée par l'extinction de la maison royale d'Espagne[36], Louis XIV, ayant à choisir, aima mieux les chances d'une couronne pour son petit-fils qu'un agrandissement de ses États consenti par l'Europe. Sa gloire personnelle et sa famille, voilà le double intérêt qu'il poursuivit de plus en plus aux dépens des intérêts nationaux, en brisant tout le système des anciennes alliances, en faisant quitter à la France le rôle de gardienne du droit public et de protectrice de petits États, pour la rendre aux yeux des peuples un objet de crainte et de haine, comme l'Espagne de Philippe II[37].

Cette fatale guerre de Hollande, qui commença le naufrage de la politique de Richelieu, frappa du même coup le système financier de Colbert et faussa toutes ses mesures. Il lui fut impossible de pourvoir pendant six ans aux dépenses d'une Insu armée contre I Europe sans se départir de l'ordre admirable qu'il avait créé, sans retourner aux expédients de ses devanciers et sans compromettre les nouveaux éléments de prospérité intérieure. De 1672 à 1678, tout fut arrêté ou recula en fait d'améliorations économiques ; et, quand la paix fut venue, quand il s'agit de réparer les pertes et de recommencer le progrès, la pensée et la faveur du roi avaient cessé d'être avec Colbert. Un homme doué d'un génie spécial pour l'administration militaire, mais esprit étroit, âme égoïste, flatteur sans mesure, conseiller dangereux et détestable politique, le marquis de Louvois s'était emparé de Louis XIV en servant et en excitant sa passion de gloire et de conquêtes. Cette confiance sans bornes qui avait fait du contrôleur général des finances presque un premier ministre, se retira de lui, et c'est au secrétaire d'État de la guerre que fut transportée, avec les bonnes grâces du roi, la prépondérance dans le conseil.

Réduit dès lors à la tâche ingrate d'opposer la voix de la raison à un parti pris d'orgueil, de violence et d'envahissement au dehors, de garder le trésor appauvri contre des demandes toujours croissantes pour les fêtes, les bâtiments de plaisance, l'état militaire en pleine paix, Colbert fléchit par degrés sous la fatigue de cette lutte sans fruit et sans espoir. On le vit triste et on l'entendit soupirer à son ancienne heure de joie, à l'heure de s'asseoir pour le travail[38] ; il se sentait à charge dans ce qu'il voulait de bien, dans ce qu'il empochait de mal, dans sa franchise de langage, dans tout ce que le roi avait jadis aimé de lui[39]. Plusieurs fois, après des signes trop certains de disgrâce, la forte trempe de son âme et le sentiment du devoir patriotique le relevèrent encore et le soutinrent contre ses dégoûts ; mais enfin il y eut un jour où l'amertume de cette situation déborda et où le cœur du grand homme fut brisé.

Telle est l'histoire douloureuse des dernières années de Colbert, années remplies, d'un côté, par des accès d'activité fébrile, et de l'autre, par ces alternatives d'éloignement et de retour, de rudesses blessantes et de froides réparations qui marquent la fin d'une grande faveur. La tristesse, qui, sans nul doute, abrégea sa vie, se nourrissait de deux sentiments, du chagrin de l'homme d'État arrêté dans son œuvre, et d'une souffrance plus intime. Colbert aimait Louis XIV d'une affection enthousiaste ; il croyait à lui comme à l'idée même du bien public ; il l'avait vu autrefois associé de cœur et d'esprit à ses travaux et à ses rêves, et, supérieur pour le rang, son égal en dévouement patriotique ; et maintenant il lui fallait se dire que tout cela n'était  qu'illusion, que l'objet de son culte, ingrat envers lui, était moins patriote que lui. C'est dans ce désenchantement qu'il mourut[40] ; au lit de la mort, l'état de son Arne se trahit par une sombre agitation et par des mots amers. Il dit en parlant du roi : Si j'avois fait pour Dieu ce que j'ai fait pour cet homme-là, je serois sauvé deux fois, et je ne sais ce que je vais devenir[41]. Une lettre de Louis XIV, alors malade, lui avant été apportée avec des paroles d'amitié, il resta silencieux comme s'il dormait. Invité par les siens à faire un mot de réponse, il dit : Je ne veux plus entendre parler du roi, qu'au  moins à présent il me laisse tranquille ; c'est au Roi des rois que je songe à répondre[42]. Et quand le vicaire de Saint-Eustache, sa paroisse, vint lui dire qu'il avertirait les fidèles de prier pour sa santé : Non pas cela, répondit brusquement Colbert, qu'ils prient Dieu de me faire miséricorde[43].

Ce qu'il y eut de fatalement triste dans cette noble destinée ne s'arrêta point à la mort. Chose étrange ! le ministre qui anticipait dans ses plans toute une révolution à venir, le règne de l'industrie et du commerce, celui qui voulait l'abolition des privilèges en matière d'impôt, une juste proportion dans les charges publiques, la diffusion des capitaux par l'abaissement de l'intérêt, plus de richesse et d'honneur pour le travail et une large assistance pour la pauvreté[44], celui-là fut impopulaire jusqu'à la haine. Son convoi, devant passer près des halles, ne sortit qu'à la nuit et sous escorte, de peur de quelque insulte du peuple. Le peuple, et surtout celui de Paris, baissait Colbert à cause des taxes onéreuses établies depuis la guerre de Hollande ; on lui imputait la nécessité contre laquelle il s'était débattu en vain, et l'on oubliait d'immenses services pour le rendre responsable de mesures qu'il déplorait lui-même et qu'il avait prises malgré lui. Le roi fut ingrat, le peuple fut ingrat ; la postérité seule a été juste.

La mort de Colbert et la révocation de l'édit de Nantes, une perte irréparable et un coup d'État funeste, marquent dans le règne de Louis XIV le point de partage des années de grandeur et des années de décadence. De ces deux événements séparés par un court intervalle, on peut dire que le second ne fut pas sans liaison avec le premier. Il faut ajouter aux mérites du grand ministre celui d'avoir été le défenseur des protestants, d'avoir combattu sans relâche les atteintes portées par l'esprit d'unité religieuse à la charte de liberté de Henri IV[45]. C'était encore la politique de Richelieu qu'il suivait en maintenant les droits inoffensifs garantis deux fois aux réformés[46]. Moins par philosophie que par instinct patriotique, il protégeait en eux toute une population d'hommes tels qu'il les voulait pour ses plans, d'hommes actifs, probes, instruits, versés dans l'industrie et le commerce, et attachés à ces professions par la malveillance même qui les écartait graduellement des fonctions publiques. Tant que dura l'influence de Colbert dans les conseils de Louis XIV, la raison du roi fut tenue en garde contre les suggestions du clergé catholique et contre ses propres désirs[47] ; mais, sur ce point comme sur bien d'autres, le vertige du pouvoir absolu commença dès que la faveur se fut détournée de l'homme de génie. C'est ainsi qu'à la captation exercée pour ramener les dissidents succéda l'emploi de la contrainte, et qu'après les peines portées contre le repentir des nouveaux convertis vint l'entière abolition de la liberté de culte et de conscience. L'immortel édit de Henri IV, confirmé et juré par Louis XIII en 1629, fut révoqué par Louis XIV le 17 octobre 1685[48], date qui reste au nombre des plus tristes souvenirs de notre histoire. On sait quel effroyable coup cet acte violent et ses suites portèrent à la civilisation et à la fortune de la France, par quelle émigration d'ouvriers, d'inventeurs, de négociants, de marins, de capitalistes, l'avantage que nous avaient donné sur nos rivaux d'industrie les établissements de Colbert fut presque entièrement perdu[49].

En 1685, il y avait déjà près d'un siècle que la France, devançant à cet égard les autres peuples chrétiens, était entrée dans les voies de la société nouvelle qui sépare l'Église de l'État, le devoir social des choses de la conscience, et le croyant du citoyen. Sous le régime de l'édit de Nantes, le principe légal en matière de religion, ce n'était pas la simple tolérance, mais l'égalité de droits civils entre catholiques et réformés ; mais la reconnaissance, et, sauf quelques réserves, la pleine liberté des deux cultes. Nous étions en cela supérieurs à l'Europe soit catholique soit protestante, supériorité acquise au prix de quarante ans de malheurs, et peut-être à l'aide d'un sens plus prompt de la justice et du droit[50]. C'est de la hauteur de ce principe déposé dans la loi et qui subsistait en dépit d'infractions plus ou moins directes, plus ou moins graves, que l'édit de révocation fit tomber le pays sous un régime de violences et de contradictions qui, pour devenir simple, aboutit à la mort civile des protestants[51]. Tel est le point de vue d'où l'historien doit juger l'acte d'autorité qui fut pour Louis XIV, sinon un crime, du moins la plus grande des fautes. A ce point de vue, ni les idées ni les pratiques des autres États de l'Europe en fait de tolérance civile ne peuvent servir d'excuse à la conduite du roi de France ; la France, depuis un siècle, avait élevé son droit public au-dessus des idées du temps.

Quant à la réaction du catholicisme à l'intérieur, on ne peut pas en faire davantage un moyen d'apologie, car elle n'était pas nouvelle, et deux grands ministres avaient su y résister durant trente ans ; quoique hommes d'Église tous les deux, ils s'étaient tenus dans les limites tracées par la bonne foi publique et par la raison d'État[52]. Louis XIV fut pleinement libre de sentir et d'agir comme eux ; sous lui, les protestants n'inspirèrent pas plus de crainte, et la pression de l'intolérance catholique ne devint pas plus embarrassante. Il n'a tenu qu'à lui de laisser les choses dans l'état où il les avait prises[53], de n'être pas dupe des fausses conversions qu'on provoquait pour lui plaire, de ne pas devenir, sans l'avoir voulu, persécuteur atroce ; enfin, dette pas léguer en mourant à la France du XVIIIe siècle tout un code de proscriptions plus odieuses que celles du XVIe[54].

Le grand fait, le fait imprévu alors, qui domine tout le règne de Louis XIV, c'est que dans ce règne, dernier terme du mouvement de la France vers l'unité monarchique, on vit le pouvoir absolu, exercé personnellement par le roi, tomber, pour la satisfaction des vrais intérêts nationaux, au-dessous de ce qu'avait été précédemment le même pouvoir délégué à un premier ministre. Richelieu, et après lui Mazarin, gouvernant comme s'ils eussent été dictateurs d'une république, avaient, pour ainsi dire, éteint leur personnalité dans l'idée et le service de l'État. Ne possédant que l'autorité de fait, ils s'étaient conduits tous les deux en mandataires responsables envers le souverain et devant la conscience du pays, tandis que Louis XIV, réunissant le fait et le droit, se crut exempt de toute règle extérieure à lui-même, et n'admit pour ses actes de responsabilité que devant sa propre conscience. Ce fut cette conviction de sa toute-puissance, conviction naïve et sincère, excluant les scrupules et les remords, qui lui fit renverser coup sur coup le double système fondé par Henri IV, au dedans pour la liberté de religion[55], au dehors pour la prépondérance nationale assise sur une tutelle généreuse de l'indépendance des États et de la civilisation européenne.

A l'avènement personnel de Louis XIV, il y avait plus de cinquante ans que la politique française suivait son œuvre en Europe, impartiale devant les diverses communions chrétiennes, les différentes formes de gouvernement et les révolutions intérieures des États. Quoique la France fût catholique et monarchique, ses alliances étaient, en premier lieu, les États protestants d'Allemagne et la Hollande républicaine ; elle avait même fait amitié avec l'Angleterre régicide[56]. Aucun intérêt autre que celui du développement bien compris de la puissance nationale ne pesait dans les conseils et ne dirigeait Faction extérieure du gouvernement. Mais avec Louis XIV tout changea, et des intérêts spéciaux, nés de la personnalité royale, du principe de la monarchie héréditaire ou de celui de la religion de l'État, entrèrent en balance pour prendre bientôt le dessus.

De là vint le bouleversement du système d'équilibre européen, qu'on eût pu nommer le système français, et son abandon pour des rêves de monarchie universelle renouvelés de Charles-Quint et de Philippe II. De là une suite d'entreprises formées au rebours de la politique du pays, telles que la guerre de Hollande, les brigues faites en vue de la couronne impériale, l'appui donné à Jacques Il et à la contre-révolution anglaise l'acceptation du trône d'Espagne pour un fils de France gardant ses droits à la couronne[57]. Ces causes des malheurs sous lesquels faillit succomber le royaume sortirent toutes de l'événement, applaudi par la nation, conforme à l'esprit de ses tendances, qui, après que la royauté eut atteint, sous deux ministres, sou plus haut degré de puissance, la remit absolue aux mains d'un prince doué de qualités à la fois brillantes et solides, objet d'affection enthousiaste et de légitime admiration.

Lorsque le règne qui venait sous de tels auspices couronner la marche ascendante de la monarchie française eut démenti l'immense espoir que ses commencements avaient fait naître, lorsqu'on eut vu, au milieu de victoires stériles et de revers toujours croissants, le progrès dans toutes les branches de l'économie publique changé en détresse, la ruine des finances, de l'industrie et de l'agriculture, l'épuisement de toutes les forces du pays, l'appauvrissement de toutes les classes de la nation, la misère effroyable du peuple, un amer dégoût s'empara des âmes, et y remplaça l'enthousiasme de la confiance et de l'amour[58]. Qu'y avait-il sous ce grand et douloureux mécompte dont l'empreinte se montre si vive dans les documents contemporains ? Ce n'était pas simplement l'espérance humaine trompée par un homme, c'était l'épreuve décisive d'une forme d'État préparée de loin par le travail des siècles, au profit de laquelle toute garantie de liberté politique avait été détruite ou abandonnée, et dont la masse nationale avait favorisé le progrès comme étant le sien propre.

Que la société française eût conscience de la nature et des profondeurs de la crise dont son affaissement actuel n'était qu'un prélude, qu'elle sentit des choses que les générations postérieures n'ont comprises que par la suite des faits et par l'enseignement de l'histoire, c'est ce que je ne veux point dire ici. Quelque signification qu'il eût alors pour ceux qui en souffraient, l'étrange contraste entre les premières et les dernières années de Louis XIV répondait à l'un de ces moments solennels dans la vie des nations où un grand mouvement social, épuisé dans ses résultats, s'arrête, et où commence un autre mouvement qui, plus ou moins secret, plus ou moins rapide, saisira l'esprit public, pour le transformer, et entrainer tout vers un avenir inconnu.

 

 

 



[1] Le ministère de Richelieu occupe dix-huit ans, de 1624 à 1642 ; et celui de Mazarin, dix neuf ans, de 1642 à 1661.

[2] Mémoires de Henri-Louis de Brienne, édit. Barrière, 1828, t. II, p. 153 ; Mémoires de l'abbé de Choisy, collection Michaud, 3e série, t. VI, p. 577, et Mémoires de madame de Motteville, ibid., p. 586.

[3] Je m'imposai pour loi de travailler régulièrement deux fois par jour, et deux ou trois heures chaque fois avec diverses personnes, sans compter les heures que je passois seul en particulier, ni le temps que je pourrois donner extraordinairement aux affaires extraordinaires, s'il en survenoit, n'y ayant pas un moment où il ne fa permis de m'en parler, pour peu qu'elles fussent pressées. (Mémoires de Louis XIV adressés à son fils ; Œuvres de Louis XIV, t. I, p. 20.) — Ibid., p. 19.

[4] Un écrit de Louis XIV, tout entier de sa main, est intitulé : Réflexions sur le métier de roi ; on y trouve comme tètes d'articles les maximes suivantes : Tout rapporter au bien de l'État. — L'intérêt de l'État doit marcher le premier. — Penser à tout. — Se garder de soi-même. (Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 456.) — Ici je ne vous dirai pas seulement que c'est toutefois par là (par le travail) que l'on règne, pour cela qu'on règne, et qu'il y a de l'ingratitude et de l'audace à l'égard de Dieu, de l'injure et de la tyrannie à l'égard des hommes, de vouloir l'un sans l'autre. (Mémoires de Louis XIV, ibid., t. I, p. 19.)

[5] J'ai toujours considéré comme le plus doux plaisir du monde la satisfaction qu'on trouve à faire son devoir. J'ai même souvent admiré comment il se pouvoit faire que l'amour du travail, étant une qualité si nécessaire aux conversion, fût pourtant une de celles qu'on trouve plus rarement en eux. (Œuvres de Louis XIV, t. I, p. 105.) — Quand j'ai pris le gouvernement de mon royaume, j'ai bien vu que ma réputation doit être à la merci de tout le monde, qui peut-être ne me rendroit pas toujours justice. Mais, comme je ne songe qu'à me bien acquitter de tout ce que je dois à mea peuples et à ma dignité, j'ai méprisé, pour faire mon devoir, toutes les autres gloires. J'ai cru que la première qualité d'un roi étoit la fermeté, et qu'il ne devoit jamais laisser ébranler sa vertu par le blême ou par les louanges : que, pour bien gouverner son État, le bonheur de ses sujets étoit le seul pôle qu'il devoit regarder, sans se soucier des tempêtes et des vents différents qui agiteroient continuellement son vaisseau. (Ibid., t. II, p. 422.)

[6] Enfin, mon fils, nous devons considérer le bien de nos sujets bien plus que le nôtre propre. Il semble qu'ils fassent une partie de nous-mêmes, puisque nous sommes à la tête d'un corps dont ils sont membres. Ce n'est que pour leurs propres avantages que nous devons leur donner des lois, et ce pouvoir que nous avons sur eux ne nous doit servir qu'à travailler plus efficacement à leur bonheur. (Ibid., t. I, p. 116.) — Quand on a l'État es vue, on travaille pour soi. Le bien de l'un fait la gloire de l'autre. Quand le premier est heureux, élevé et puissant, celui qui en est cause est glorieux, et par conséquent doit plus goûter que ses sujets, par rapport à lui et à eux, tout ce qu'il y a de plus agréable dans la vie. (Ibid., t. II, p. 457.)

[7] Voyez l'introduction du bel ouvrage de M. Mignet : Négociations relatives à la succession d'Espagne sous Louis XIV.

[8] Délibérer à loisir sur toutes les choses importantes et en prendre conseil de divers gens n'est pas, comme les sots se l'imaginent, un témoignage de foiblesse ou de dépendance, mais plutôt une marque de prudence et de solidité. C'est une maxime surprenante, mais véritable pourtant, que ceux qui, pour se montrer plus maîtres de leur propre conduite, ne veulent prendre conseil en rien de ce qu'ils font, ne font presque jamais rien de es qu'ils veulent. (Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 113.)

[9] Le père de Colbert, marchand de drap à Reims, y tenait boutique à l'enseigne du Long vêtu, et joignait à ce commerce celui des toiles, du vin et du blé. Sa famille avait plusieurs branches également vouées au négoce dont lui-même fit l'apprentissage à Paris d'abord, et ensuite à Lyon. Revenu à Paris, il quitta la vie de comptoir, et fut successivement clerc de notaire, clerc chez un procureur au Châtelet, commis au bureau de recette financière qu'on nommait des parties casuelles, secrétaire particulier du cardinal Mazarin, et enfin intendant de sa maison. Mazarin, à son lit de mort, le recommanda vivement au roi. On trouve cette phrase dans les instructions qu'il écrivit de sa propre main pour son fils aîné : Mon fils doit bien penser et faire souvent réflexion sur ce que sa naissance l'aurait fait être, si Dieu n'avait pas béni mon travail, et si ce travail n'avait pus été extrême. Voyez l'Histoire de la vie et de l'administration de Colbert, par M. Pierre Clément, Pièces justificatives, n° VI et XII.

[10] De 1661 à 1663.

[11] Colbert, fidèle observateur des maximes de Richelieu jusqu'à s'en attirer des plaisanteries de la part du feu roi... Quand il s'agissait d'une affaire importante, le feu roi disait souvent : Voilà Colbert qui va nous dire : Sire, ce grand cardinal de Richelieu, etc. (Mém. de M. de Valincourt, sur la marine, joint au Mém. du marquis de Villette, publié par M. de Monmerqué pour la Société de l'Histoire de France, p. LII.)

[12] Quant aux personnes qui devoient seconder mon travail, je résolus, sur tontes choses, de ne point prendre de premier ministre ; et, si vous m'en croyez, mon fils, et tous vos successeurs après vous, le nom en sera pour jamais aboli en France, rien n'étant plus indigne que de voir d'un côté toute la fonction, et de l'autre le seul titre de roi. Pour ce dessein, il était absolument nécessaire de partager ma confiance et l'exécution de mes ordres, sans la donner tout entière à pas un. (Œuvres de Louis XIV, t. I, p. 27.) — Nul ne partage votre travail sans avoir un peu de part à votre puissance. N'en laissez à autrui que ce qu'il vous sera impossible de retenir ; car quelque soin que vous puissiez prendre, il vous en échappera toujours beaucoup plus qu'il ne serait à souhaiter. (Ibid., p. 150.) — L'ambassadeur de Portugal lui dit un jour : Sire, raccommoderay cette affaire avec vos ministres. — Monsieur l'ambassadeur, répliqua le roy, vous voulez dire nos gens d'affaires. (Les Portraits de la cour, Archives curieuses de l'histoire de France, 3e série, t. VIII, p. 371.)

[13] Il est homme sans fastidie, sans luxe, d'une médiocre dépense, qui sacrifie volontiers tous ses plaisirs et ses divertissements aux intérêts de l'Etat et aux soins des affaires, Il est actif et vigilant, ferme et inviolable du costé de son devoir ; qui fuit les partis, et ne veut entrer en aucun traille sans en donner connaissance au roy et sans un exprès commandement de Sa Majesté ; qui témoigne n'avoir pus grande avidité pour les richesses, mais une forte passion d'amasser et de conserver les biens du roy. (Les Portraits de la cour, Archives curieuses de l'histoire de France, 3e série, t. VIII, p. 371.) — Voyez l'Histoire de la vie et de l'administration de Colbert, par M. Pierre Clément, la Notice sur Colbert, par Lemontey, et le rapport lu par M. Villemain à la séance annuelle de l'Académie française, le 17 août 1848.

[14] Je voudrois que mes projets eussent une fin heureuse, que l'abondance régnât dans le royaume, que tout le monde y fût content, et que, sans emplois, sans dignités, éloigné de la cour et des affaires, l'herbe crût dans ma cour. (Paroles de Colbert citées par d'Auvigny, Vies des hommes illustres de la France, t. V, p. 376.) — Je déclare en mon particulier à Votre Majesté qu'un repas inutile de 3.000 livres me fait une peine incroyable, et lorsqu'il est question de millions d'or pour In Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerois ma femme et mes enfants, et j'irois à pied toute ma vie pour y fournir, s'il étoit nécessaire. (Lettre de Colbert à Louis XIV, Particularités sur les ministres des finances, par M. de Monthyon, p. 41.)

[15] On dit que le cardinal mourant lui avoit conseillé de se défaire de Fouquet comme d'un homme sujet à ses passions, dissipateur, hautain, qui von-droit prendre ascendant sur lui ; au lieu que Colbert, plus modeste et moins accrédité, seroit prêt à tout et régleroit l'État comme une maison particulière. On dit même qu'il ajouta ces mots (et M. Colbert s'en vantoit avec ses amis) : Je vous dois tout, sire, mais je crois m'acquitter en quelque manière en vous donnant Colbert. (Mémoires de l'abbé de Choisy, coll. Michaud et Poujoulat, 3e série, t. VI, p. 579.)

[16] Il faut aussi prendre garde que tous ceux qui seront nommés pour cette matière aient plus de force et de probité qu'aucuns... Il sera bien nécessaire qu'ils observent de rendre difficiles toutes les conditions des hommes qui tendent à se soustraire du travail qui va au bien général de tout l'État ; ces conditions sont le trop grand nombre d'officiers de Justice, le trop grand nombre de prêtres, de moines et religieuses. Et ces deux derniers, non-seulement se soulagent du travail qui iroit au bien commun, mais même privent le public de tous les enfants qu'ils pourraient produire pour servir aux fonctions nécessaires et utiles : pour cet effet, il seroit peut-être bon de rendre les vœux de religion un peu plus difficiles, et de reculer l'âge pour les rendre valables, même retrancher l'usage des dots et des pensions des religieuses, et de faciliter et rendre honorables et avantageuses, autant qu'il se pourra, toutes les conditions des hommes qui tendent au bien public, c'est-à-dire les soldats, les marchands, les laboureurs et gens de journée. (Projet d'une révision générale des ordonnances, discours prononcé par Colbert dans le conseil du 10 octobre 1665, Revue rétrospective, 2e série, t. IV, p. 257 et suivantes.)

[17] Comme le commerce, et particulièrement celui qui se fait sur mer, est la source féconde qui apporte l'abondance dans les États et la répand sur les sujets à proportion de leur industrie et de leur travail, qu'il n'y a point de moyen pour acquérir du bien qui soit plus innocent et plus légitime ; aussi a-t-il toujours été en grande considération parmi les nations les mieux policées... Comme il importe au bien de nos sujets et à notre propre satisfaction d'effacer entièrement les restes d'une opinion qui s'est universellement répandue que le commerce maritime est incompatible avec la noblesse, et qu'il en détruit les privilèges, nous avons estimé à propos de faire entendre notre intention sur ce sujet, et de déclarer le commerce de mer ne pas déroger à noblesse, par une loi qui fût rendue publique et généralement reçue dans toute l'étendue de notre royaume (Édit d'août 1669, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, p. 217.) — Voyez Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de France, t. II, p. 130 et 362 ; t. III, p. 257.

[18] Mais si Votre Majesté s'est proposé quelque plus grand dessein, comme seroit celui de réduire tout son royaume sous une même loi, même mesure et même poids, qui seroit assurément un dessein digne de la grandeur de Votre Majesté, digne de son esprit et de son fige, et qui lui attireroit sa abîme de bénédictions et de gloire, dont toutefois Votre Majesté n'aurait que l'honneur de l'exécution, vu que le dessein en auroit été formé par Louis Xl', qui a été, sans contredit, le plus habile de tous nos rois. (Projet d'use révision générale des ordonnances, Revue rétrospective, 2e série, t. IV, p. 248.) — Après avoir avancé ce travail, peut-être que Sa Majesté voudra que l'on poursuive pour achever le corps entier de ses ordonnances, et que l'on examine de même celles qui concernent les domaines de la couronne, les finances, les eaux et forêts, l'amirauté, la connétablie, les fonctions de toutes les charges et offices du royaume, — et généralement, afin de rendre ce corps d'ordonnances aussi complet que celui de Justinien pour le droit romain. (Ibid., p. 258.)

[19] Ordonnance civile touchant la réformation de la justice (avril 1667) ; ordonnance pour la réformation de la justice, faisant continuation de celle d'avril 1667 (août 1669) ; édit portant règlement général pour les eaux et forêts (amis 1669) ; ordonnance criminelle (août 1670) ; ordonnance du commerce (mars 1673) ; ordonnance de la marine (août 1681). Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, p. 103, 341, 219 et 371 ; t. XIX, p. 92 et 282.

[20] Voyez les Recherches de Forbonnais sur les finances de la France et l'ouvrage de M. Pierre Clément sur l'administration de Colbert.

[21] Les routes, les canaux, les bâtiments civils et militaires, les arsenaux, la marine marchande et la marine de l'État.

[22] Voyez le tome XIV de l'Histoire de France, de M. Henri Martin ; l'ouvrage de M. Pierre Clément, cité plus haut ; et l'Histoire de l'administration en France, depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu'en la mort de Louis XIV, par M. Dareste de la Chevenne.

[23] Voyez plus haut, chap. VII. — Édit de mars 1673, portant que ceux qui font profession du commerce, denrées ou arts, qui ne sont d'aucune communauté, seront établis en corps, communautés et jurandes, et qu'il leur sera accordé des statuts. Recueil des anciennes lois françaises, t. XIX, p. 91.

[24] Notamment celle des tarifs des douanes. Voyez l'édit de septembre 1664, portant réduction et diminution des droits de sortie et d'entrée, avec la suppression de plusieurs droits (Recherches de Forbonnais sous cette date), et l'analyse faite par M. Pierre Clément, de l'ordonnance de septembre 1667, Histoire de la vie et de l'administration de Colbert. p. 231 et 315.

[25] Les arts étaient nouveaux ou presque totalement oubliés par l'interruption du commerce. Nous ignorions les goûts du consommateur étranger ; nos manufacturiers, pauvres, écrasés sous les taxes et la honte de leur état, n'avaient ni les moyens ni le courage d'aller puiser au loin les lumières ; il s'agissait d'imiter et non d'inventer. Le ministre donna aux ouvriers des instructions, et la plupart furent bonnes, parce qu'elles étaient rédigées par des négociants on des personnes expérimentées soit dans l'art, soit dans le commerce étranger. Chaque règle était appuyée de son motif. (Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de France, t. II, p. 366.)

[26] Voyez, dans l'ouvrage de M. Dareste de la Chevenne, Histoire de l'administration en France, etc., t. II, p. 221, un tableau des manufactures créées par Colbert.

[27] 1648 et 1659.

[28] L'affection que nous portons à nos sujets nous ayant fait préférer à notre gloire et à l'agrandissement de nos États la satisfaction de leur donner la paix, nous avons en même temps employé nos principaux soins pour leur faire recueillir les fruits d'une perfidie tranquillité ; et comme le commerce, les manufactures et l'agriculture sont les moyens les plus prompts, les plus sûrs et les plus légitimes pour mettre l'abondance dans notre royaume, amusai nous n'avons rien oublié de toutes les choses qui pourraient obliger nos sujets de s'y appliquer. (Édit de décembre 1665, portant réduction des rentes du denier dix-huit au denier vingt, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, p. 69.)

[29] Ce traité fut signé le 2 mai 1668. — Voyez sur le droit de dévolution invoqué par Louis XIV à la mort de Philippe IV, roi d'Espagne, et sur les événements de la guerre de 1667, l'ouvrage de M. Mignet, Négociations relatives à la succession d'Espagne, t. Ier, 2e partie, sect. I et 2 ; t. II, 3e partie, sect. 2. — Les opposants à cette guerre, dans le conseil du roi, furent Colbert et le ministre des affaires étrangères, de Lionne, l'un des plus grands diplomates qu'ait eus la France, négociateur du traité de Westphalie, de la ligue du Rhin et du traité des Pyrénées. Si, avant la guerre de Flandre, on mit donné au roi Cambrai, ou même Bergues, il se serait peut-être contesté. Lionne, surtout, étoit au désespoir de la guerre. (Œuvres de Racine, t. VI, p. 338.)

[30] Charleroi, Binche, Ath, Douai, Tournai, Audenarde, Lille, Armentières, Courtrai, Bergues et Furnes.

[31] Le marquis de Louvois, fils du ministre Letellier, d'abord associé à son père dans le département de la guerre, puis chargé seul de ce portefeuille en 1666.

[32] Voyez plus haut, chapitres VI et VIII.

[33] Pour les compléter, il ne manquait plus que la Lorraine qui fut réunie sous Louis XV.

[34] Le traité de Nimègue fut signé le 10 août 1678 ; la guerre avait commencé en 1672. Par ce traité, la France rendit plusieurs villes qui lui donnaient dans les Pays-Bas une position offensive, notamment Charleroi, Ath, Binche, Audenarde et Courtrai, qu'elle possédait depuis 1668 ; elle acquit, avec la Franche-Comté, des territoires et des villes importantes dans l'Artois, la Flandre et le Hainaut, qui régularisèrent ses limites au nord et lui tirent, à l'aide da génie de Vauban, une puissante ligne de défense. — Voyez, sur l'invasion des Provinces-Unies et sur les traités qui la suivirent, le tome IV des Négociations relatives à la succession d'Espagne.

[35] Le traité de Ryswyk fut signé le 20 septembre 1697. La Savoie et Nice avaient été occupées par suite de l'adhésion du duc Victor-Amédée à la ligue d'Augsbourg.

[36] A la mort de Charles II, en 1700.

[37] Louis XIV eut l'ambition d'être élu empereur ou de faire nommer son fils roi des Romains. Il négocia dans cette vue avec plusieurs des princes d'Allemagne ; des traités secrets furent conclus par lui, en 1670 avec l'électeur de Bavière, en 1679 avec l'électeur de Brandebourg, et dans la même année avec l'électeur de Saxe. — Voyez, sur ces négociations, une notice de Lemontey, dans ses Œuvres, t. V, p. 223 et suivantes.

[38] Nous remarquons que jusqu'à ce temps, quand M. Colbert entrait dans son cabinet, on le voyait se mettre au travail avec un air content et en se frottant les mains de joie, mais que depuis il ne se mettait guère sur son siège pour travailler qu'avec un air chagrin et en soupirant. M. Colbert, de facile et aisé qu'il était, devint difficile et difficultueux, en sorte qu'on n'expédiait pas alors tant d'affaires, à beaucoup près, que dans les premières années de sa surintendance. (Mémoires de Charles Perrault, liv. IV, p. 84, édit. de M. Paul Lacroix [1842].)

[39] M. Mansard prétend qu'il y a trois ans que Colbert étoit à charge au roi pour les bâtiments ; jusque-là, que le roi lui dit une fois : Mansard, on me donne trop de dégoûts, je ne veux plus songer à bâtir. (Œuvres de Racine. t. VI, p. 535.) — Voici, Sire, un métier fort difficile que je vais entreprendre ; il y a près de six mois que je balance à dire les choses fortes à Votre Majesté que je lui dia hier et celles que je vais encore lui dire... Je me confie en la bonté de Votre Majesté, en sa haute vertu, en l'ordre qu'elle nous a souvent donné et réitéré de l'avertir au cas qu'elle allât trop vite, et en la liberté qu'elle m'a souvent donnée de lui dire mes sentiments. (Mémoires de Colbert au roi [1666], cité par Monthyon, Particularités sur les ministres des finances, p. 73.)

[40] Le 6 septembre 1683.

[41] Monthyon, Particularités sur les ministres des finances, p. 79, note.

[42] Monthyon, Particularités sur les ministres des finances, p. 79, note. — Œuvres de Racine, t. VI, p. 334. — Lettres de madame de Maintenon, 10 sept. 1685, t. II, p. 103.

[43] Œuvres de Racine, t. VI, p. 534. — L'hôtel Colbert était situé dans la rue Neuve-des-Petits-Champs.

[44] Voyez, dans les histoires de l'administration de Colbert, ses efforts constants pour réduire l'impôt de la taille, et ses tentatives pour substituer la taille réelle à la taille personnelle, établir le cadastre et fonder le régime hypothécaire. Voyez aussi le règlement général sur les tailles, donné le 12 février 1663, l'ordonnance d'avril 1667 sur les biens communaux, l'édit de décembre 1665 portant réduction de Pintera légal au denier vingt, l'édit de mars 1673 pour la publicité des hypothèques, et l'édit de juin 1662 portant qu'il sera établi dans chaque ville et bourg du royaume un hôpital pour les pauvres, les malades et les orphelins. Recueil des anciennes loir françaises, t. XVIII, p. 18, 22, 69 et 187, et t. XIX, p. 73.

[45] Voyez plus haut, chapitre VI.

[46] D'abord par l'édit de Nantes, 13 avril 1598, et ensuite par l'édit donné à Nîmes, en juillet 1629.

[47] Quant à ce grand nombre de mes sujets de la religion prétendue réformée, qui étoit un mal que je regarde avec douleur... il me sembla, mon fils, que ceux qui vouloient employer des remèdes violents ne connoissoient pas la nature de ce mal, causé en partie par la chaleur des esprits qu'il faut laisser passer et s'éteindre insensiblement, au lieu de l'exciter de nouveau par des contradictions aussi fortes... Je crus que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume étoit en premier lieu de ne les point presser du tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu'ils avoient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà, et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvaient permettre. Quant aux grâces qui dépendoient de moi seul... (Mémoires de Louis XIV, écrits vers l'année 1670, Œuvres, t. Ier, p. 84 et suivantes.)

[48] Savoir faisons que nous... avons, par ce présent édit perpétuel et irrévocable, supprimé et révoqué, supprimons et révoquons l'édit du roi notre-dit aïeul, donné à Nantes au mois d'avril 1598, en toute son étendue, ensemble les articles particuliers arrêtés le 2 mai ensuivant, et les lettres patentes expédiées en iceux, et l'édit donné à Nîmes au mois de juillet 1639 ; les déclarons nuls et comme non avenus, ensemble toutes les concessions faites, tant par iceux que par d'autres édits, déclarations et arrêts, aux gens de ladite religion prétendue réformée, de quelque nature qu'elles puissent être. (Édit portant révocation de l'édit de Nantes, Recueil des anciennes lois françaises, t. XIX, p. 550.)

[49] ) Voyez l'ouvrage de Rulhières, intitulé : Éclaircissements historiques sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes ; le tome II de l'Histoire de madame de Maintenon, par M. le duc de Noailles ; et les tomes XV et XVI de l'Histoire de France de M. Henri Martin.

[50] La jurisprudence française fut la première à condamner le principe de l'esclavage, en déclarant libre tout esclave qui mettait le pied dans le royaume. Voyez le Glossaire du droit français, par Laurière, au mot Esclave.

[51] Voyez ce que dit Rulhières de la déclaration du 14 mai 1724 et de l'affreuse jurisprudence qui en résulta. Eclaircissements sur la révocation de l'édit de Nantes, édit. Auguis, p. 269, 282, 463 et 481.

[52] Richelieu maintint scrupuleusement la liberté pour les catholiques de changer de religion, et pour les protestants convertis de retourner à leur ancien culte. Mazarin, sollicité par le clergé de prendre des mesures contre ceux que l'Église qualifiait d'apostats et de relaps, ne céda point à ces instances. Il disait en parlant des calvinistes : Je n'ai point à m'inquiéter du petit troupeau s'il broute de mauvaises herbes, du moins il ne s'écarte pas. Voyez Rulhières, Éclaircissements historiques sur la révocation de l'édit de Nantes, p. 19 et suivantes, et l'Histoire de France de M. Henri Martin, t. XV, p. 589 et suivantes.

[53] Le préambule de l'édit de juillet 1679, qui supprime les tribunaux mi-partis de catholiques et de protestants, offre ce passage curieux : Considérant qu'il y a cinquante années qu'il n'est point survenu de nouveau trouble causé par ladite religion, et que par ce long temps les animosités qui pouvoient être entre nos sujets de l'une et de l'autre religion sont éteintes, nous avons cru pouvoir ne rien faire de mieux que de supprimer lesdites chambres, et les réunir auxdits parlements, tant pour effacer entièrement la mémoire des guerres passées, que pour faciliter l'administration de la justice, en Ôtant le prétexte à nos sujets catholiques de se servir du nom et des privilèges desdits de la religion prétendue réformée pour perpétuer les procès dans les familles par des évocations ou par des règlements de juges. (Recueil des anciennes lois françaises, t. XIX, p. 205.)

[54] Conférez les Éclaircissements de Rulhières sur la révocation de l'édit de Nantes avec le tome II de l'Histoire de madame de Maintenon par M. le duc de Noailles. — L'une des premières pensées du régent fut de retirer tous les édits de Louis XIV Contre les protestants ; mais la violence même des faits accomplis parut opposer à cette mesure un obstacle insurmontable. Le régent me parla à ce propos de toutes les contradictions et de toutes les difficultés dont les édits et déclarations du feu roi sur les huguenots étoffent remplis, sur lesquels on ne pouvoir statuer par impossibilité de les concilier, et, d'autre part, de les exécuter à l'égard de leurs mariages, testaments... De la plainte de ces embarras, le régent vint à celte de la cruauté avec laquelle le feu roi avoit traité les huguenots, à la faute même de la révocation de l'édit de Nantes, au préjudice immense que l'Etat en avoit souffert et en souffroit encore dans sa dépopulation, dans son commerce, dans la haine que ce traitement avoit allumée chez tous les protestants de l'Europe... Le régent se mit sur les réflexions de l'état ruiné où le roi avoit réduit et laissé la France, et de là sur celles du gain de peuple, d'arts, d'argent et de commerce qu'elle feroit en un moment par le rappel si désiré des huguenots dans leur patrie, et finalement me le proposa. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 153 et suivantes.)

[55] Spécieuse raison d'État : en vain vous opposâtes à Louis les vues timides de la sagesse humaine ; les temples profanes sont détruits ; les chaires de séduction sont abattues ; le mur de séparation est ôté ; le temps, la grâce, l'instruction, achèvent peu à peu un changement dont la force n'obtient que les apparences. (Oraison funèbre de Louis XIV, Massillon, Œuvres, t. VIII, p. 229.) — Il n'entendoit que des éloges, tandis que les bons et vrais catholiques et les saints évêques gémissoient de tout leur cœur de soir :les orthodoxes imiter, contre les erreurs et les hérétiques, ce que les tyrans hérétiques et païens avaient fait contre la vérité, contre les confesseurs et coutre les martyrs. Ils ne se pouvaient surtout consoler de cette immensité de parjures et de sacrilèges. Ils pleuroient amèrement l'odieux durable et irrémédiable que de détestables moyens répandaient sur la véritable religion, tandis que nos voisins exultoient de nous voir ainsi nous affaiblir et nous détruire nous-mêmes, profilaient de notre folie, et bâtissoient des desseins sur la haine que nous nous attirions de toutes les puissances protestantes. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 117.)

[56] Voyez, dans le Corps diplomatique de Dumont, t. VI, 2e part., p. 121, le traité de paix et de commerce entre l'Angleterre et la France, signé le 5 novembre 1655. Un article secret de ce traite stipulait, d'une part, l'interdiction aux Stuarts et à leurs principaux adhérents de séjourner en France, de l'autre, le renvoi des agents de Condé, alors ennemi de son pays, hors du territoire britannique.

[57] Par des lettres patentes données en décembre 1700, Louis XIV conserva au duc d'Anjou, devenu roi d'Espagne 'nuis le nom de Philippe V, son rang d'héritage entre les ducs de Bourgogne et de Berri. Voyez, sur cet acte et sur l'acceptation du testament de Charles II, l'ouvrage de M. Mignet : Négociations relatives a la succession d'Espagne, Introduction, p. LXXVI et suivantes.

[58] Cependant vos peuples que vous deviez aimer comme vos enfants, et qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée ; les villes et la campagne se dépeuplent ; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent, vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre État, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au dehors. (Lettres de Fénelon à Louis XIV, 1692 ou 93, Œuvres choisies, t. II, p. 417.) — Par toutes les recherches que j'ai pu faire, depuis plusieurs années que je m'y applique, j'ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement ; que des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en étal de faire l'aumône à celle-là, parce qu'eux-mêmes sont réduits, à très-peu de chose prés, à cette malheureuse condition ; que, des quatre autres parties qui restent, les trois sont fort malaisées et embarrassés de dettes et de procès ; et que, dans la dixième, où je mets tous les gens d'épée, de robe, ecclésiastiques et talques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée et les gens en charge militaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles. (Vauban, Dîme royale, collect. des principaux économistes, t. I, p. 34.) — Le peuple même (il faut tout dire) qui vous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous, commence à perdre l'amitié, la confiance, et même le respect. Vos victoires et vos conquêtes ne le réjouissent plus : il est plein d'aigreur et de désespoir. La sédition s'allume peu à peu de toutes parts. Ils croient que vous n'avez aucune pitié de leurs maux, que vous n'aimez que votre autorité et votre gloire. (Lettres de Fénelon à Louis XIV, p. 418.)