HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME SECOND

 

CONCLUSION.

 

 

II. — Les habitants du pays de Galles.

 

Le reproche d'inconstance et de perfidie que les populations libres du midi de la Gaule reçurent longtemps de leurs ennemis nationaux, les Français et les Anglo-Normands, fut constamment adressé par ces derniers aux indigènes de la Cambrie[1]. Si en effet c'était perfidie de ne tenir aucun compte du droit de conquête et de faire de continuels efforts pour secouer le joug étranger, les Gallois seraient véritablement le plus déloyal de tous les peuples ; car leur résistance contre les Normands, par la force et par la ruse, fut aussi opiniâtre que l'avait été celle de leurs aïeux contre les Anglo-Saxons. Ils faisaient une guerre perpétuelle d'escarmouches et de stratagèmes, se retranchant dans les forêts et les marécages, et ne se hasardant guère en plaine contre des cavaliers armés de toutes pièces. La saison humide. et pluvieuse était celle où les Cambriens étaient invincibles[2] : alors ils renvoyaient leurs femmes, et chassaient leurs troupeaux dans les montagnes, coupaient les ponts, faisaient des tranchées dans les étangs, et voyaient avec joie la brillante chevalerie de leurs ennemis s'engloutir dans l'eau et la fange de leurs marais[3]. En général, les premiers combats leur étaient favorables ; mais, à la longue, la plus grande force l'emportait, et une nouvelle portion du pays de Galles se trouvait conquise.

Les chefs de l'armée victorieuse prenaient des otages, désarmaient les habitants, et les forçaient de jurer obéissance au roi et aux justiciers d'Angleterre ; ce serment prêté de force était bientôt violé[4], et le peuple gallois assiégeait les châteaux des barons et des juges étrangers. A la nouvelle de cette reprise d'hostilités, les otages emprisonnés en Angleterre, dans les forteresses royales, étaient ordinairement mis à mort, et quelquefois le roi lui-même les faisait exécuter en sa présence. Jean, fils de Henri II, en fit pendre un jour vingt-huit, tous en bas âge, avant de se mettre à table[5].

Telles sont les scènes que présente la lutte des Gallois contre les Anglo-Normands, jusqu'à l'époque où le roi Édouard, premier du nom depuis la conquête, franchit les hautes montagnes de la Cambrie septentrionale, qu'aucun roi d'Angleterre n'avait passées avant lui. Le plus haut sommet de ces montagnes, appelé en gallois Craigeirï, ou le pic neigeux, et en anglais Snowdon, était regardé comme sacré pour la poésie, et l'on croyait que quiconque s'y endormait devait se réveiller inspiré[6]. Ce dernier boulevard de l'indépendance cambrienne ne fut point forcé par des troupes anglaises, mais par une armée venue de la Guyenne, et en grande partie composée de mercenaires basques[7]. Formés dans leurs montagnes à une tactique militaire presque en tout semblable à celle des Gallois, ils étaient plus propres à surmonter les difficultés du pays, que la cavalerie pesante et l'infanterie régulière qu'on y avait menées jusque-là.

Dans cette grande défaite périt un homme que ses compatriotes, suivant leur ancien esprit de superstition patriotique, regardaient comme prédestiné à rétablir l'antique liberté bretonne. C'était Lewellyn, fils de Griffith, chef de tout le nord du pays de Galles, qui avait remporté plus de victoires sur les Anglais qu'aucun de ses prédécesseurs. Il existait une vieille prédiction, d'après laquelle un prince de Galles devait être couronné à Londres ; pour accomplir en dérision, cette prophétie, le roi Édouard fit placer sur une pique, au sommet de la Tour de Londres, la tête de Lewellyn, coiffée d'une couronne de lierre[8]. David, frère de ce malheureux prince, tenta de recommencer la guerre ; mais, pris vivant par les soldats du roi d'Angleterre, il fut pendu et coupé par quartiers, et sa tête fût mise à côté de celle de son frère, sur les créneaux de la Tour, où le vent et la pluie les firent blanchir ensemble[9].

On dit qu'après sa victoire complète, Édouard lei assembla les principaux d'entre les vaincus, et leur annonça que, par égard pour leur esprit de nationalité, il voulait leur donner un chef né dans leur pays, et n'ayant jamais prononcé un seul mot de français ni d'anglais. Tous furent en grande joie, et firent de grandes acclamations[10]. Eh bien donc, reprit le roi, vous aurez pour chef et pour prince mon fils Édouard, qui vient de naître à Caërnarvon, et que j'appelle Édouard de Caërnarvon. De là vint l'usage de donner le titre de prince de Galles aux fils aînés des rois d'Angleterre.

Édouard Ier fit bâtir un grand nombre de châteaux forts sur les côtés[11], afin de pouvoir en tout temps envoyer des troupes par mer ; il fit aussi abattre les forêts de l'intérieur qui pouvaient servir de refuge à des bandes de partisans[12]. S'il n'est pas vrai qu'il ait ordonné le massacre de tous les bardes gallois ce fut lui du moins qui commença le système de persécutions politiques dont cette classe d'hommes fut constamment l'objet de la part des rois d'Angleterre[13]. Les principaux d'entre les bardes avaient péri en grand nombre dans les combats et les insurrections : ceux qui survivaient, privés de leurs protecteurs, après la ruine des riches du pays, et obligés d'aller chanter leurs vers de ville en ville, furent mis sur la ligne des gens sans aveu par les justiciers anglo-normands. Que nuls ménestrels, bardes et rymours, ni autres vagabonds galeys, disaient leurs ordonnances, en langue française, ne soient désormés soeffrez de surcharger le pays, corne ad esté devant[14]. Aucun Gallois d'origine, ne pouvait, selon les mêmes ordonnances, occuper le plus petit emploi public dans son pays, et pour être vicomte, sénéchal, chancelier, juge, connétable de château, gardien des rôles, forestier, etc., il fallait être né en Angleterre ou dans tout autre pays étranger[15]. Les villes et les châteaux étaient occupés par des garnisons étrangères ; et les indigènes imposés arbitrairement, ou, comme disaient les décrets royaux, selon la discrétion de leurs seigneurs, pour la substinance des garnitures dez ditz chastelx[16].

Beaucoup d'hommes, forcés par la conquête à s'expatrier, passèrent en France ; ils y furent bien accueillis, et l'émigration continua durant totale quatorzième siècle : c'est de ces réfugiés que descend dent les familles françaises qui portent les noms aujourd'hui si communs de Gallois et Le Gallois. Le plus considérable de ceux qui vinrent sous le règne de Philippe VI, fut un jeune homme appelé Owen, que le roi retint près de lui et fit élever parmi les pages de sa chambre. Cet Owen était de la famille de Lewellyn, selon toutes les vraisemblances son petit-neveu, peut-être son petit-fils ; et les Français, qui le regardaient comme l'héritier légitime de la principauté de Galles, lui donnaient le nom d'Evain ou Yvain de Galles[17]. Après la mort de Philippe de Valois, le jeune émigré continua de vivre à la cour de France, très-aimé du roi Jean, auprès duquel il combattit à la fatale journée de Poitiers. Plus tard, sous le règne de Charles V, la guerre s'étant renouvelée contre les Anglais, Owen fut chargé de divers commandements militaires, et, entre autres, d'une descente dans l'île de Guernesey, qui était anglaise depuis la conquête de l'Angleterre par les Normands. Quoique simple écuyer, il eut plus d'une fois sous ses ordres des chevaliers de renom ; sa compagnie, comme on disait alors, était de cent hommes d'armes, tous Gallois, a la tête desquels il fit plusieurs campagnes en Limousin, en Périgord et en Saintonge, contre les capitaines du roi d'Angleterre. Un de ses parents, Jean Win, célèbre pour sa courtoisie, et qu'on surnommait le Poursuivant d'amours, servit avec lui dans cette guerre, ayant de même sous sa bannière une petite troupe de réfugiés gallois[18].

Le petit-neveu de Lewellyn nourrissait dans l'exil la pensée d'affranchir son pays de la domination anglaise, et de recouvrer, comme lui-même le dit dans une charte, l'héritage des rois de Galles, ses prédécesseurs[19]. Il reçut du roi Charles V des secours en argent, en munitions et en navires ; mais, malgré cet appui, son ambition et son courage, il ne parvint pas à revoir la terre de Cambrie, et ne rencontra des Anglais que sur des champs de bataille étrangers. Il suivit Duguesclin en Espagne, où pendant deux ans les rois de France et d'Angleterre se firent la guerre au nom de la rivalité de deux prétendants au trône de Castille, Pierre le Cruel et Henri de Transtamare.

A l'un des combats livrés dans cette guerre, le comte de Pembroke et d'autres chevaliers anglais d'origine normande furent faits prisonniers par les Français, et comme on les emmenait à Saint-André, en Galice, Owen, qui s'y trouvait alors, alla les voir, et, s'adressant au comte de Pembroke, en langue française : Comte, dit-il, venez-vous en ce pays pour me faire hommage des terres que vous tenez dans la principauté de Galles, dont je suis héritier, et que votre roi m'ôte et m'enlève contre tout droit ?[20]

Le comte de Pembroke fut étonné de voir un homme qu'il ne connaissait nullement l'aborder dé cette manière : Qui êtes-vous, répondit-il, vous qui m'accueillez de telles paroles ?Je suis Owen, fils du prince de Galles, que votre roi d'Angleterre a fait mourir en me déshéritant ; mais quand je pourrai, à l'aide de Dieu et de mon très-cher seigneur le roi de France, j'y porterai remède ; et sachez que si je me trouvais en lieu et place où je pusse combattre avec vous, je vous montrerais ce que vous et vos pères et ceux du comte de Hereford avez fait aux miens en trahison et en injustices. Alors un chevalier du comte de Pembroke, nominé Thomas de Saint-Aubin, s'avance vers le Gallois et lui dit : Yvain, a si vous voulez soutenir qu'en monseigneur, ou en son père, soit ou ait été aucune trahison, ou qu'il vous doive hommage, ou autre chose, jetez votre gage, et vous trouverez qui le relèvera. — Vous êtes prisonnier, répliqua le Gallois, je ne pourrais avec honneur vous appeler maintenant, car vous n'êtes pas à vous, mais à ceux qui vous ont pris ; quand vous serez libre, je parlerai plus avant ; et la chose n'en demeurera pas là[21]... Malgré cette parole donnée, la dispute n'eut pas d'autres suites, car avant que le comte de Pembroke et Thomas de Saint-Aubin eussent recouvré leur liberté, Yvain de Galles mourut, frappé d'un coup de stylet par un homme de sa nation à qui il donnait toute sa confiance, et qui était secrètement vendu au roi d'Angleterre. Ce meurtre fut commis en l'année 1378, près la ville de Mortagne en Saintonge, assiégée alors par les Français. L'assassin, poursuivi, parvint à s'évader et alla en Guyenne, où il fut très-bien accueilli par le sénéchal des Landes et les autres commandants anglais[22].

Bien peu de Cambriens se prêtèrent à servir, même par des voies honnêtes, la cause des dominateurs de leur pays, et ceux qui vinrent, aux guerres de France, sous les drapeaux d'Édouard III, le firent par contrainte et malgré eux. Les Gallois qu'on levait en masse, pour former des corps d'infanterie légère, apportaient dans les armées du roi d'Angleterre leur inimitié nationale contre les Anglais, et souvent ils se prenaient de querelle avec eux jusqu'à en venir aux mains ; souvent aussi ils désertaient aux Français avec armes et bagages, ou bien se répandaient dans le pays pour y vivre en compagnies franches. C'était un métier fort à la mode dans le temps, et où devaient exceller les Cambriens, par leur longue habitude de faire la guerre en partisans dans leurs forêts et dans leurs montagnes. Aussi l'une de ces grandes compagnies, qui se rendirent alors si célèbres et si terribles, était-elle sous les ordres d'un Gallois, qu'on appelait en France le chevalier Rufin, et dont le vrai nom était probablement Riewan[23]. Ce capitaine, sous lequel s'étaient réunis des aventuriers de toute nation, avait pris pour son département de pillage le pays compris entre la Loire et la Seine, depuis les frontières de la Bourgogne jusqu'à celles de la Normandie. Son quartier général était tantôt près d'Orléans, tantôt près de Chartres ; il mettait à rançon ou prenait les petites villes et les châteaux, et était si redouté que ses gens s'éparpillaient par troupes de vingt, de trente ou de quarante, sans que personne osât mettre la main sur eux[24].

Dans la seconde moitié du quatorzième siècle, lorsque, chacun de leur côté, les rois de France et d'Angleterre épuisaient tous les moyens de se nuire, le premier, qui avait appris récemment à connaître l'esprit national des Cambriens, tâcha de mettre à profit le patriotisme de ce petit peuple, dont ses prédécesseurs du douzième siècle soupçonnaient à peine l'existence[25]. Plus d'une fois les émissaires furent envoyés au nord et au sud du pays de Galles, pour promettre aux indigènes, s'ils voulaient s'insurger contre la puissance anglaise, le secours et la protection de la France. Ces agents parcouraient le pays,. la plupart sous l'habit de moines mendiants, fort respecté alors, et le moins suspect de tous, parce qu'il était porté par des hommes de toutes nations, qui s'en faisaient un moyen d'existence. Mais l'autorité anglo-normande s'aperçut de ces manœuvres, et, à plusieurs reprises, elle chassa du pays de Galles tous les étrangers, clercs ou laïques, et surtout les religieux errants[26]. Elle interdit aussi aux Gallois de race la faculté d'acquérir des terres, soit en fief, soit à long bail, soit à ferme, sur le territoire anglais[27]. L'insurrection, devait commencer à l'arrivée d'une flotte française en vue de la côte de Galles ; durant plusieurs années les Cambriens et les Anglais attendirent cette flotte avec des sentiments bien différents. Beaucoup de proclamations des rois Édouard HI et Richard II portent ce préambule : Attendu que nos ennemis de France se proposent de débarquer dans notre principauté de Galles[28]... La suite est un ordre adressé à tous les seigneurs anglo-normands du pays et des marches de Galles, pour que, dans le plus court délai, ils fassent garnir d'hommes et de munitions leurs châteaux et leurs villes fortes, et aux justiciers pour qu'ils fassent saisir et emprisonner sous bonne garde tous les hommes suspects d'intelligence avec l'ennemi[29].

Les préparatifs de la France pour une descente dans le pays de Galles furent moins considérables et surtout moins prompts que ne le craignait le roi d'Angleterre, et que ne l'espéraient les Cambriens ; le bruit en avait couru clés l'année 1369 : il se liait alors à un projet de restauration de la famille de Lewellyn dans la personne du malheureux Yvain de Galles ; mais ce prétendant à la couronne de la Cambrie mourut ; et la fin du siècle vint sans qu'aucune tentative sérieuse de débarquement eût lieu. En faisant de grandes promesses aux Gallois, la France n'avait guère d'autre dessein que de les exciter à un soulèvement qui pût détourner utilement pour elle une partie des forces de l'Angleterre ; et, de leur côté, les Gallois, ne voulant point se hasarder témérairement, attendaient pour entrer en révolte l'arrivée des secours promis. Enfin, lassés du retard et impatients de recouvrer leur indépendance nationale, ils agirent les premiers, au risque de n'être pas soutenus. Un événement fortuit et de peu d'importance fit éclater cette rébellion.

Vers la fin de l'année 1400, un noble gallois qui, par ambition et désir de briller, était allé à la cour d'Angleterre où il avait été bien accueilli, commit contre le roi Henri IV une offense qui l'obligea de s'enfuir de Londres. Moitié par ressentiment personnel et par embarras de sa position, moitié par un élan de patriotisme, il résolut de se mettre à la tète d'un mouvement que tous ses compatriotes désiraient, mais que personne jusque-là n'osait entreprendre. Il descendait d'anciens chefs du pays, et s'appelait Owen Glendowr, nom qu'à la cour d'Angleterre, pour lui donner une tournure normande, on avait changé en celui d'Owen de Glendordy[30]. Dès qu'Owen eut arboré le vieil étendard des Kymrys dans la partie du pays de Galles récemment conquise, les gens les plus considérables de ces contrées se rangèrent autour de lui. On vit venir ; entre autres, plusieurs membres d'une famille puissante, dont le nom était Ap-Tudowr ou fils de Tudowr, et qui comptait parmi ses ancêtres un nommé Ednyfed Vychan, lequel, voulant se faire des armoiries à la mode des barons d'Angleterre, avait blasonné son écusson de trois tètes de Normands coupées[31]. Au bruit de ce mouvement national, les restes dispersés des bardes gallois s'animèrent d'un nouvel enthousiasme, et annoncèrent Owen Glendowr comme celui qui devait accomplir les anciennes prédictions, et rendre aux enfants des Kymrys la couronne de la Bretagne. Plusieurs pièces de vers, composées à cette occasion, nous ont été conservées[32]. Elles produisirent alors un tel effet que, dans une grande assemblée des insurgés, Owen Glendowr fut proclamé et inauguré solennellement chef et prince de tout le pays de Galles. Il envoya des messagers dans la contrée du sud pour y propager l'insurrection, pendant que le roi d'Angleterre, Henri IV, ordonnait à tous ses loyaux sujets du pays de Galles, Français, Flamands, Anglais et Gallois, de s'armer contre Owen de Glendordy, soi-disant prince dé Galles, coupable de haute trahison envers la majesté royale[33].

Les premiers combats furent heureux pour les insurgés. Ils défirent les milices anglaises de la province de Hereford et les Flamands de Ross et de Pembroke. Ils allaient passer la frontière d'Angleterre, lorsque le roi Henri s'avança contre eux en personne, avec des forces considérables. Il les contraignit à rétrograder ; mais à peine eut-il mis le pied sur le territoire gallois, que des pluies continuelles, détrempant les routes et enflant les rivières, l'empêchèrent d'aller plus loin, et l'obligèrent de tenir, pendant plusieurs mois, son armée campée dans des lieux malsains, où elle souffrait à la fois des maladies et de la disette. Les soldats, dont l'imagination était échauffée par les fatigues et l'inaction, se rappelèrent avec effroi de vieux contes populaires sur la sorcellerie des Gallois[34], et crurent que le mauvais temps qu'ils éprouvaient était l'ouvrage de puissances surnaturelles aux ordres d'Owen Glendowr[35]. Saisis d'une sorte de terreur panique, ils refusèrent de marcher plus avant contre un homme qui disposait de la tempête et de la pluie. Cette opinion eut alors un grand crédit parmi le peuple en Angleterre ; mais toute la magie d'Owen était son activité et son habileté aux affaires. Il y avait alors parmi l'aristocratie anglo-normande un parti de mécontents qui voulait détrôner le roi Henri IV, et à la tète duquel se trouvaient Henri de Percy, fils du comte de Northumberland[36], d'une famille qui dominait dans ce pays depuis la conquête, et Thomas de Percy, son frère, comte de Worcester. Le nouveau prince de Galles établit des intelligences avec eux, et l'alliance qu'ils conclurent attacha pour un moment à la cause de l'indépendance galloise tout le nord des marches de Galles, entre la Dee et la Saverne, surtout la province de Chester, dont les habitants, de pure race anglaise, étaient naturellement moins hostiles pour les Cambriens que les Normands et les Flamands établis au sud. Mais la défaite complète des deux Percy, dans une bataille livrée près de Shrewsbury, rompit les relations amicales des insurgés gallois avec leurs voisins de race anglaise, et ne leur laissa d'autres ressources que leurs propres forces et leur espoir dans l'appui du roi de France.

Ce roi, Charles sixième du nom, qui n'était pas encore entièrement tombé en démence, voyant les Cambriens en hostilité ouverte avec le roi d'Angleterre, se décida à remplir envers eux ses promesses et celles de ses prédécesseurs. Il conclut avec Owen Glendowr un traité, dont le premier article portait que Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, et Owen, par la même grâce, prince de Galles, seraient unis, confédérés et liés entre eux par les liens de vraie alliance, vraie amitié, et bonne et solide union, spécialement contre Henri de Lancaster, ennemi desdits seigneurs, roi et prince, et contre ses fauteurs ou adhérents[37]. Beaucoup de Gallois se rendirent en France pour accompagner les troupes que le roi Charles devait envoyer ; et plusieurs d'entre eux furent pris dans divers débarquements que les Français tentèrent d'abord sur la côte d'Angleterre, aimant mieux s'enrichir au pillage de quelque grande ville ou port de mer, que d'aller faire la guerre dans le pauvre pays de Galles[38], au milieu des Montagnes et des marais.

A la fin pourtant une assez grande flotte partit de Brest, pour aller au secours des Cambriens ; elle portait six cents hommes d'armes et dix-huit cents fantassins commandés par Jean de Rieux, maréchal de France, et Jean de Hangest, grand maitre dei arbalétriers. Ils abordèrent à Milford, dans le comté de Pembroke, et s'emparèrent de cette ville et de celle de Haverford, fondées toutes les deux, comme leurs noms l'indiquent, par les Flamands qui, sous le règne de Henri Ier, s'étaient emparés du pays. Les Français se dirigèrent ensuite vers l'est, et, à la première ville purement galloise qu'ils rencontrèrent, ils trouvèrent dix mille insurgés sous la conduite d'un chef que les historiens du temps ne nomment pas. Tous ensemble marchèrent sur Caermarthen ; de là ils allèrent à Llandovery, et prirent la route de Worcester, attaquant et détruisant sur leur passage les châteaux des barons et des chevaliers anglo-normands[39]. A quelques lieues de Worcester, une forte armée anglaise se présenta devant eux ; mais, au lieu de leur offrir le combat, elle prit position et se retrancha sur des collines. Les Français et les Gallois firent de même, et les deux troupes ennemies restèrent ainsi huit jours en présence, séparées par un grand vallon. Chaque jour, de part et d'autre, on se formait en bataille pour attaquer ; mais tout se bornait à des escarmouches, où furent tués quelques centaines d'hommes.

L'armée française et galloise souffrit bientôt du manque de vivres, parce que les Anglais occupaient la plaine aux environs de ses cantonnements. Suivant leur tactique accoutumée, les Gallois se jetèrent de nuit sur les bagages de l'ennemi, et, s'emparant de la plus grande partie des provisions de bouche, ils déterminèrent à la retraite Farinée anglaise, qui, à ce qu'il parait, ne voulait pas engager le combat la première[40]. Les gens d'armes français, peu habitués à la famine, et à qui le grand attirail d'armes, de chevaux et de valets qu'ils traînaient avec eux, ne rendait ni aisée ni agréable la guerre dans un pays montagneux et pauvre, s'ennuyèrent de cette entreprise, où il y avait beaucoup de dangers obscurs à essuyer, et peu de renom à acquérir par de brillants faits d'armes en plaine ou en champ clos. Laissant donc le peuple cambrien se débattre avec ses ennemis nationaux, ils traversèrent de nouveau le pays de Galles, et allèrent débarquer à Saint-Pol-de-Léon, racontant qu'ils venaient de faire une campagne que, de mémoire d'homme, aucun roi de France n'avait osé entreprendre[41], et qu'ils avaient ravagé plus de soixante lieues de pays dans les domaines du roi d'Angleterre. Ainsi ils ne se vantaient que du mal fait aux Anglais, et nullement du secours qu'ils avaient prêté à la nation galloise, à laquelle personne en France ne s'intéressait pour elle-même.

Les insurgés du sud du pays de Galles furent défaits pour la première fois en 1407, sur les bords de la rivière d'Usé, par une armée anglaise, sous le commandement de Henri, fils du roi Henri IV, qui, portant en Angleterre le titre de prince de Galles, était chargé du soin de la guerre contre le chef élu par les Gallois. Une lettre qu'il écrivit à son père pour lui annoncer cette victoire s'est conservée parmi les anciens actes publics d'Angleterre. Elle est en français, langue de l'aristocratie anglo-normande, mais en français un peu différent pour l'orthographe, la grammaire, et, autant qu'on en peut juger, pour la prononciation, de celui de la cour de France vers la même époque. Il parait qu'à l'accent de Normandie, gardé en Angleterre par les hommes de descendance normande, s'était graduellement joint un autre accent étranger à tous les dialectes de la langue française, et que les fils des Normands avaient contracté à force d'entendre autour d'eux parler anglais, ou bien de parler eux-mêmes le jargon anglo-français, qui leur servait à communiquer avec les gens de basse condition. C'est du moins ce qu'on est tenté de croire en lisant les passages suivants, pris au hasard dans la lettre du fils de Henri IV : Mon très-redouté et très-soverein seigneur et peire... le onzième jour de cest présent moys de mars, vos rebelx des parties de Glamorgan, Uske, Netherwent et Overwent feurent assembléz à la nombre de oyt mille gents... A eux assemblèrent vos foialx et vaillants chivalers... vos gentz avoient le champe ; nient meins[42].

La fortune des insurgés gallois ne fit que décliner depuis leur première défaite, se soit encore écoulé dix années entre cette défaite et l'entière réduction du pays. Déjà réduits une fois à l'état de peuple conquis, ils ne pouvaient plus retrouver cette énergie et, cette confiance en eux-mêmes qui avaient soutenu si' longtemps leur indépendance. Peut-être aussi leur espoir dans le secours des Français, espoir toujours déçu et toujours conservé par eux, leur causa-t-il une sorte de découragement que n'avaient point éprouvé leurs aïeux, qui ne comptèrent jamais que sur eux-mêmes. Owen Glendowr, le dernier homme qui ait été investi du titre de prince de Galles par l'élection du peuple gallois, survécut à la ruine de son parti, et mourut obscurément. Son fils Meredith capitula, se rendit en Angleterre, et y reçut du roi son pardon[43]. Les autres chefs de l'insurrection l'obtinrent aussi, et l'on donna même à plusieurs d'entre eux des emplois à la cour de Londres, pour qu'ils n'habitassent plus le pays de Galles, qui d'ailleurs avait cessé d'être un séjour habitable pour les Gallois, à cause du redoublement de vexations des agents de l'autorité anglaise. Parmi ces Cambriens émigrés par nécessité ou par ambition, se trouvait un membre de la famille des fils de Tudowr, nommé Owen ap Meredith ap Tudowr, qui, durant tout le règne de Henri V, vécut auprès de lui comme écuyer de son palais, plaisant fort au roi, qui lui accordait beaucoup de faveurs, et daignait l'appeler nostre chier et foyal. Ses manières et sa belle figure firent une vive impression sur la reine Catherine de France, qui, étant devenue veuve de Henri V, épousa secrètement Owen ap Tudowr ou Oven Tudor, comme on l'appelait en Angleterre. Il eut d'elle deux fils, Jasper et Edmund, dont le second, parvenu à l'âge d'homme, épousa Marguerite, fille de Jean de Beaufort, comte de Somerset, issu de la famille royale des Plante-Genest.

C'était le temps où les rejetons de cette famille s'entr'égorgeaient pour la possession de la royauté conquise par Guillaume le Bâtard. Le droit de succession héréditaire avait par degrés prévalu contre l'élection, conservée, quoique imparfaitement, dans les premiers temps qui suivirent la conquête. Au lieu d'intervenir pour déférer la couronne au plus digne de la parier, l'aristocratie anglo-normande se bornait à examiner lequel des prétendants se rapprochait le plus par son lignage de la souche originelle du Conquérant. Tout se décidait par la simple comparaison de ces arbres généalogiques dont les familles de race normande se montraient si fières, et qu'on désignait, à cause de leur forme, par le nom de pé-de-gru[44], ou pieds de grue. L'ordre de succession héréditaire fut assez paisible tant que dura la ligne directe des descendants de Henri II ; mais quand l'héritage passa aux branches collatérales, il s'éleva plus de prétendants en vertu du droit héréditaire, il y eut plus de factions, de troubles et de discordes que jamais n'en avait occasionné nulle part la pratique de l'élection. On vit éclater la plus hideuse des guerres civiles, celle des parents contre les parents, et des hommes faits contre les enfants au berceau. Durant plusieurs générations, deux familles nombreuses s'entre-tuèrent, soit en bataille rangée, soit par l'assassinat, pour soutenir leur légitimité, sans qu'aucune des deux pût décidément anéantir l'autre, dont quelque membre se relevait toujours pour combattre, détrôner son rival, et régner jusqu'à ce qu'il fût détrôné lui-même. Il périt dans ces querelles, suivant les historiens du temps, soixante ou quatre-vingts princes de la maison royale[45], presque tous jeunes, car la vie des mâles n'était pas longue dans ces familles. Les femmes, qui vivaient davantage, eurent le temps de voir leurs fils massacrés par leurs neveux, et ces derniers par d'autres neveux ou des oncles, assassiné bientôt eux-mêmes par quelque parent aussi proche.

Sous le règne de Richard III, de la maison d'York, qui devait la couronne à plusieurs assassinats, un fils d'Edmund Tudor et de Marguerite de Beaufort, nommé Henri, se trouvait en France, oui il avait été obligé de fuir comme antagoniste du parti d'York. Ennuyé de vivre en exil, et se fiant à la haine universelle excitée par le roi Richard, il résolut de tenter la fortune en Angleterre, comme prétendant à la royauté par le droit de sa mère, issue d'Édouard III. N'ayant ni croix ni pile, dit un vieil historien[46], il s'adressa au roi de France, Louis XI, qui lui donna quelque argent, à l'aide duquel il enrôla trois mille hommes en Normandie et en Bretagne. Il partit du port de Harfleur, et, après six jours de traversée, débarqua, dans le pays de Galles, patrie de ses aïeux paternels. A son débarquement, il déploya un drapeau rouge, l'ancien drapeau des Cambriens, comme si son projet eût été de soulever la nation pour la rendre indépendante des Anglais[47]. Cette nation enthousiaste, sur laquelle la puissance des signes fut toujours très-grande, sans examiner si la querelle de Henri Tudor et de Richard III ne, lui était pas étrangère, se rangea, par une sorte d'instinct, autour de son vieil étendard.

Le drapeau rouge[48] fut arboré sur la montagne de Snowdon, que le Prétendant désigna pour rendez-vous à ceux des Gallois qui lui avaient promis de s'armer pour sa cause ; pas un ne manqua au jour fixé[49]. Les bardes mêmes, retrouvant leur ancien esprit, chantèrent et prophétisèrent clans le style d'autrefois la victoire des Kymrys sur l'ennemi saxon et normand. Mais il ne s'agissait pas d'affranchir les Cambriens du joug de l'étranger, et tout le fruit de la victoire devait être de placer un homme qui avait dans les veines un peu de sang gallois sur le trône des conquérants du pays de Galles. Lorsque Henri Tudor arriva sur la frontière d'Angleterre, il trouva un renfort de plusieurs milliers d'hommes que lui amenait sir Thomas Boucher, Normand de nom et d'origine ; d'autres gentilshommes des provinces de l'ouest vinrent avec leurs vassaux et leurs fermiers se joindre à l'armée du Prétendant. Il pénétra sur le territoire anglais, sans rencontrer aucun obstacle, jusqu'à Bosworth, dans la province de Leicester, où il livra bataille à Richard III, le défit, le tua ; et fut couronné à sa place sous le nom de Henri VII.

Henri VII plaça dans ses armoiries le dragon cambrien à côté des trois lions de Normandie. Il créa un nouvel office de poursuivant d'armes, sous le nom de rouge dragon[50] ; et, à l'aide des archives authentiques ou fabuleuses du pays de Galles, il fit remonter sa généalogie jusqu'à Cadwallader, dernier roi de toute la Bretagne, et de là jusqu'à Brutus, fils d'Énée, prétendu père des Bretons[51]. Mais ce fut à de pareils actes de vanité personnelle que se borna toute la reconnaissance du roi pour le peuple dont le dévouement lui avait procuré la victoire et la couronne. Son fils, Henri VIII, tout en conservant à ceux des Gallois que Henri VII avait anoblis pour les services rendus à sa personne, leurs titres normands de comtes, de barons et de baronnets, traita, comme tous ses prédécesseurs, la masse du peuple en nation conquise, dont on se défie et qu'on n'aime pas. Il entreprit de détruire les anciennes coutumes des habitants de la Cambrie, les restes de leur état social et jusqu'à leur langage[52].

Lorsque la suprématie religieuse du pape eut été abolie en Angleterre, les Gallois, à qui l'Église romaine n'avait jamais voulu prêter aucun secours pour le maintien de leur 'indépendance nationale, suivirent sans répugnance les changements religieux décrétés par le gouvernement anglais. Mais ce gouvernement, qui encourageait de tous ses efforts la traduction de la Bible, ne la fit point traduire en langue galloise ; au contraire, quelques personnes du pays, zélées pour la nouvelle réforme, ayant publié à leurs propres frais une version des Écritures, loin de les en louer, comme on l'eût fait en Angleterre, on ordonna la destruction de tous les exemplaires, qui furent enlevés des églises et brûlés publiquement[53]. L'autorité anglaise s'attaqua, vers le même temps, aux manuscrits et documents historiques, plus nombreux alors dans le pays de Galles que dans aucune autre contrée de l'Europe. Les familles considérables qui avaient des archives commencèrent à les tenir secrètes, soit pour faire leur cour, soit pour les garantir du danger d'une perquisition[54]. Ce fut même pour quelques-unes de ces familles un titre de défaveur que d'avoir communiqué des renseignements curieux aux érudits qui, à la fin du seizième siècle, s'occupèrent des antiquités et curiosités de la Cambrie. Ce genre de savoir et de travail rendait suspect, et on le devenait encore plus en transportant son domicile, de l'Angleterre proprement dite, dans l'un des comtés du pays de Galles : ce fut le motif d'une accusation judiciaire intentée sous le règne d'Élisabeth, dernière descendante de Henri Tudor.

La famille écossaise des Stuarts ne montra pas plus de bienveillance pour la nation galloise ; et cependant, lorsque les habitants de l'Angleterre se furent soulevés contre cette famille, les Gallois se rangèrent en majorité dans son parti par une sorte d'opposition nationale à ce que le peuple anglais désirait. Peut-être aussi espéraient-ils s'affranchir quelque peu, à la faveur des troubles d'Angleterre, et au moyen d'un pacte avec la famille royale qu'ils avaient soutenue centre les Anglais :Il n'en fut rien ; la royauté succomba, et le pays de Galles eut à subir, comme royaliste, un nouveau surcroît d'oppression. Depuis ce temps, les Cambriens ont souffert en repos tous les changements politiques arrivés en Angleterre, ne s'insurgeant plus, mais n'oubliant pas quels motifs ils auraient pour s'insurger. Nous savons, dit un de leurs écrivains, que les seigneuries et les meilleures terres du pays se trouvent en la possession d'hommes de race étrangère, qui les ont enlevées par violence à d'anciens propriétaires légitimes, dont les noms et les vrais héritiers sont connus.

En général, les possesseurs de grandes terres et de seigneuries dans le pays de Galles étaient, il n'y a pas longtemps, plus durs qu en Angleterre pour les fermiers et les paysans de leurs domaines. Cela vient sans doute de ce que, la conquête des provinces galloises n'ayant été achevée que vers le quatorzième siècle, les nobles y sont plus nouveau-venus, et de ce que la langue du peuple indigène est toujours restée entièrement distincte de celle des conquérants. L'espèce d'hostilité nationale qui régnait entre les seigneurs et les paysans a contribué à rendre plus nombreuse émigration de pauvres familles galloises aux États-Unis d'Amérique. Là, ces descendants des anciens Kymrys ont perdu leurs m.ceurs.et leur langage, et oublié, au sein -de la liberté la plus complète dont un homme civilisé puisse jouir, les vains rêves de l'indépendance bretonne. Ceux qui sont demeurés dans la patrie de leurs ancêtres y gardent, au milieu de la pauvreté ou de la médiocrité de fortune qui de tout temps fut leur partage, un caractère de fierté qui tient à de grands souvenirs et à de longues espérances, toujours déçues, mais jamais abandonnées. Ils tiennent le front levé devant les puissants et les riches d'Angleterre et de leur pays, et se croient de meilleure et de plus noble race, disait un Gallois du siècle dernier, que cette noblesse d'hier, issue de bâtards, d'aventuriers et d'assassins[55].

Tel est l'esprit national des hommes les plus énergiques parmi les Cambriens, actuels, et. ils le poussent quelquefois à un tel degré d'emportement, qu'on leur donne en Anglais un surnom qui ne peut se traduire que par les mots de cerveau brûlé[56]. Depuis les révolutions d'Amérique et de France, cet esprit s'est allié chez eux à toutes les grandes idées de liberté naturelle et sociale que ces révolutions ont partout éveillées. Mais, en se passionnant pour les progrès de la haute civilisation moderne, les habitants éclairés du pays de Galles n'ont pas perdu leur antique passion pour leur histoire, leur langue et leur littérature nationales. Les plus riches d'entre eux ont formé des associations libres dans le but de favoriser la publication de leurs nombreuses collections de documents historiques, et pour ranimer, s'il est possible, la culture du vieux talent poétique des bardes. Ces sociétés ont établi des concours annuels de poésie et de musique ; car ces deux arts, dans le pays de Galles, ne vont point l'un sans l'autre ; et, par un respect peut-être un peu superstitieux pour les anciennes coutumes, les assemblées littéraires et philosophiques des nouveaux bardes'[57] se tiennent en plein air sur des collines. Dans le temps où la révolution de France faisait encore peur au gouvernement anglais, ces réunions, toujours extrêmement nombreuses, furent interdites par l'autorité locale, à cause des principes démocratiques qui y régnaient[58]. Aujourd'hui, elles sont pleinement libres, et l'on y décerne chaque année le prix de l'inspiration poétique, faculté que la langue cambrienne exprime en un seul mot, awen.

L'awen se trouve aujourd'hui principalement chez les Gallois du nord, les derniers qui aient maintenu leur ancien état social contre l'invasion da Anglo-Normands[59]. C'est aussi chez eux que la langue indigène est parlée avec le plus de pureté et sur la plus grande étendue de payé. Dans les provinces du sud, plus anciennement conquises, l'idiome gallois est mélangé de mots 'et d'idiotismes français et anglais. Il y a même des districts entiers d'où il a complètement disparu, et souvent un ruisseau ou un simple chemin de traverse marque la séparation des deux langues, qui sont, d'un côté, du cambrien corrompu, de l'autre un anglais barbare parlé par la postérité mélangée des soldats flamands, normands et saxons qui conquirent le pays au douzième siècle. Ces hommes, quoique, pour la plupart, d'une condition égale à celle de la population vaincue, ont conservé pour elle une sorte de mépris héréditaire. Ils affectent, par exemple, de ne pas savoir le nom d'un seul individu habitant la partie du canton ou de la paroisse où l'on parle gallois. Je ne connais pas cela, répondent-ils aux étrangers ; cela demeure quelque part dans la Welcherie[60].

Voilà quel est maintenant l'état de cette population et de cette langue dont les bardes du sixième siècle ont audacieusement prédit l'éternité ; si leur prédiction doit être démentie, du moins ne sera-ce pas de nos jours. L'idiome cambrien est parlé encore par un assez grand nombre d'hommes pour que son extinction totale soit dans un avenir impossible à prévoir. Il a survécu à tous les autres dialectes de l'ancienne langue bretonne ; car celui des indigènes de la province de Cornouailles vient de tomber à l'état de langue morte, vers la fin du siècle dernier. Il est vrai que depuis le dixième siècle, où elle fut refoulée par 'les Anglo-Saxons au delà de la rivière de Tamer[61], la population de Cornouailles n'a jamais joué aucun rôle politique. Au moment de la conquête normande, elle soutint les Anglais des provinces voisines dans leur résistance aux étrangers ; mais, vaincue avec eux, elle subit toutes les chances de leur destinée ultérieure. A mesure que de proche en proche elle se fondait avec les populations de race anglaise, son langage originel perdait du terrain dans la direction du nord au sud : de sorte qu'il y a cent ans l'on ne trouvait plus que quelques villages, à l'extrémité du promontoire, où l'ancien idiome du pays fût encore parlé. En 1776, des voyageurs questionnèrent, sur ce sujet, un vieux pécheur de l'un de ces villages, qui leur répondit : Je ne connais guère que quatre ou cinq personnes qui parlent breton, et ce sont de vieilles gens comme moi, de soixante à quatre-vingts ans ; tout ce qui est jeune n'en sait plus un mot[62].

Ainsi le dix-huitième siècle a vu finir la langue du pays de Cornouailles, laquelle n'existe plus aujourd'hui que dans un petit nombre de livres. Elle différait d'une manière assez remarquable du dialecte gallois, et avait probablement été parlée dans l'ancien temps par toutes les tribus bretonnes du sud et de l'est, par les hommes que les vieilles annales appellent Loëgris, et qui, avant d'aller rejoindre. les Kymrys dans l'île de Bretagne, avaient séjourné plus ou moins longtemps au sud-ouest de la Gaule[63].

 

 

 



[1] Matth. Paris, t. II, p. 437.

[2] Matth. Paris, t. II, p. 933.

[3] Matth. Paris, t. II, p. 933.

[4] Matth. Paris, t. II, p. 638.

[5] Matth. Paris, t. II, p. 231.

[6] Pennant's Tour in Wales ; the journey to Snowdon, vol. II, p. 179.

[7] Matth. Wesmonast., Flor. histor., p. 411.

[8] Matth. Wesmonast., Flor. histor., p. 411.

[9] Matth. Wesmonast., Flor, histor., p. 411.

[10] Matth. Wesmonast., Flor, histor., p. 433.

[11] Ranulf. Hygden., Polychron., lib. I, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 188, ed Gale.

[12] Ranulf. Hygden., Polychron., lib. I, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 188, ed Gale.

[13] Cambrian Register for 1796, p. 463 et suivantes.

[14] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars IV, p. 200, ed. de La Haye.

[15] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars IV, p. 200, ed. de La Haye.

[16] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars IV, p. 199, ed. de La Haye.

[17] Froissart, vol. I, chap. CCIII, p. 551, et chap. CCCV, p. 420.

[18] Les noms des trois autres Gallois de distinction, Edward-ap-Owen, Owen-ap-Griffith et Robin-ap-Llwydin, figurant dans les montres ou revues d'hommes d'armes, vers la fin du quatorzième siècle. Voyez ci-après ; Pièces justificatives, Conclusion, n° 2, 3, 4, 5 et 6. — Je suis redevable de ces nouveaux documents à l'obligeance de M. Lacabane. Ils font partie des nombreux matériaux recueillis par lui pour sa grande édition de Froissart.

[19] Voyez les Pièces justificatives, Conclusion, n° 7.

[20] Froissart, vol. I, chap. CCCVI, p. 421 et suivantes.

[21] Froissart, vol. I, chap. CCCVI, P. 421 et suivantes.

[22] Froissart, vol. II, chap. XVII, p. 28 et 29.

[23] Froissart, vol. I, chap. CLXXVIII, p. 206.

[24] Froissart, vol. I, chap. CLXXVIII, p. 206.

[25] Voyez plus haut, livre VIII.

[26] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. II, pars III, p. 72, ed. de la Haye.

[27] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars III, p. 97.

[28] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. II, pars II, p. 165 et 173.

[29] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. II, pars II, p. 173.

[30] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars IV, p. 191-199, ed. de La Haye.

[31] Pennant's Tour in Wales, vol. II, p. 260.

[32] Cambrian. biography, p. 273.

[33] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. III, pars IV, p. 191, et t. IV, pars I, p. 15, ed. de La Have.

[34] Voyez plus haut, livre XI.

[35] Hardyng's Chronicle, chap. CCII, au mot Henry the fourth.

[36] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. IV, pars I, p. 45, ed. de La Haye.

[37] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. IV, pars I, p. 69.

[38] Monstrelet, t. I, fol. 14.

[39] Chron. britann. ; D. Lobineau, Hist. de Bretagne, t. II, p. 366.

[40] Monstrelet, t. I, fol. 17.

[41] Chron. britann. ; D. Lobineau, Hist. de Bretagne, t. II, p. 366.

[42] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. IV, pars I, p. 79, ed. de La Haye.

[43] Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. IV, pars II, p. 153.

[44] En anglais moderne, et par corruption, pedigree.

[45] Philippe de Comines, éd. de Denis Godefroy, 1649, p. 97.

[46] Philippe de Comines, p. 256.

[47] Pennant's Tour in Wales, vol. I, p. 31.

[48] Voyez plus haut, livre I, t. I.

[49] Pennant's Tour in Wales, vol. II, p. 373.

[50] Pennant's Tour in Wales, vol. I, p. 31. — Rymer, Fœdera, conventiones, litteræ, t. IV, passim.

[51] Cambro-Briton, vol. I, p. 456.

[52] Archaiology of Wales, vol. I, préface, p. X.

[53] Archaiology of Wales, vol. I, préface, p. X.

[54] Archaiology of Wales, vol. I, préface, p. X.

[55] Cambrian Register for 1796, p. 241 et 242.

[56] Red hot welshman.

[57] New-bardism. — Voyez le Cambro-Briton.

[58] Cambrien Register for 1796, p. 465, à la note.

[59] Cambrian Register for 1796, p. 438.

[60] Cambrian Register for 1796, p. 438.

[61] Voyez plus haut, livre II, t. I.

[62] Micellaneous tracts, published by Society of Antiquaries of London, vol. V, p. 83.

[63] Voyez plus haut, livre I, t. I.