HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME SECOND

 

LIVRE ONZIÈME.

 

 

Depuis l'avènement du roi Richard Ier jusqu'à l'exécution du Saxon William surnommé Longue-Barbe.

1190-1196

 

L'impossibilité de réunir tous les faits dans un même récit force maintenant l'historien de rétrograder jusqu'à l'époque où Henri II reçut du pape Alexandre III une bulle qui l'investissait de la seigneurie de toute l'Irlande[1]. Le roi fit partir aussitôt les Normands Guillaume, fils d'Elme, et Nicolas, doyen de Wallingford, qui, à leur arrivée en Irlande, convoquèrent un synode de tout le haut clergé des provinces nouvellement conquises[2]. Le diplôme d'Alexandre III et l'ancienne bulle d'Adrien IV furent lus solennellement dans cette assemblée, et ratifiés par les évêques irlandais, engagés, par leur première soumission, à de nouveaux actes de faiblesse. Cependant plusieurs ne tardèrent pas à se repentir et prirent part aux complots qui se tramaient secrètement dans les lieux occupés par des garnisons normandes, ou même à la résistance ouverte des provinces encore libres vers les bords du Shannon et de la Boyne. Laurent, archevêque de Dublin, l'un des premiers qui avaient juré fidélité au vainqueur, entra dans plusieurs insurrections patriotiques, et d'ami des étrangers devint l'objet de leur haine et de leurs persécutions[3]. Ils lui donnèrent pour successeur un Normand appelé Jean Comine, qui, pour accomplir sa nouvelle mission, se conduisit de telle manière à l'égard des indigènes, que ses compatriotes lui donnaient, par plaisanterie, le surnom d'Écorche-villain[4].

En peu d'années, la conquête s'étendit jusqu'à la frontière orientale et méridionale des royaumes de Connaught et d'Ulster. Une ligne de châteaux forts et de redoutes palissadées, se prolongeant autour du territoire envahi, lui faisait donner en langue normande le nom de Pal[5]. Chaque baron, chevalier ou écuyer d'outre-mer, cantonné dans l'enceinte du pal, avait pris grand soin de bien fortifier son domaine : tous avaient des châteaux, grands ou petits, selon leur grade et leur richesse. La dernière classe de l'armée conquérante, et en particulier les Anglais, soit soldats, soit travailleurs, soit marchands, habitaient en masse dans des camps retranchés autour des châteaux de leurs chefs, ou dans les villes que les indigènes avaient en partie abandonnées. La langue anglaise était parlée dans les rues et les marchés de ces villes, et le français dans les donjons nouvellement bâtis par les seigneurs de la conquête. Tous les noms de ces chefs que l'histoire a conservés sont français, comme Raymond de Caen, Guillaume Ferrand, Guillaume Maquerel, Robert Digarre, Henri Bluet, Jean de Courcy, Hugues le Petit, et la nombreuse famille des fils de Gérauld, qu'on appelait aussi Gérauldins[6]. Ainsi, les Anglais de race venus en Irlande à la suite des Anglo-Normands se trouvaient placés dans une condition moyenne entre ces derniers et les indigènes, et leur langue, la plus méprisée dans leur propre pays, tenait dans l'île d'Érin un rang intermédiaire entre celle du nouveau gouvernement et l'idiome gallique des vaincus.

Ce qui restait de la population irlandaise dans l'enceinte du pal, ou du territoire anglo-normand, fut bientôt confondu sous la même servitude, et il n'y eut plus de distinction entre l'ami des étrangers et l'homme qui leur avait résisté ; tout devint égal aux yeux des conquérants dès qu'ils n'eurent plus besoin de personne. Dans le royaume de Linster, aussi bien qu'ailleurs, on ne laissa aux habitants, en terres et en propriétés, que ce qui ne valait pas la peine d'être pris. Ceux qui avaient appelé les Normands et combattu avec eux se repentirent et s'insurgèrent[7] ; mais manquant d'organisation, ils ne soutinrent pas leur révolte, et les étrangers les accusèrent d'inconstance et de perfidie. Ces reproches intéressés ont passé dans l'histoire contemporaine, qui en charge avec profusion tous les hommes de race irlandaise[8].

Vers l'année 1177, les gens de Connaught et d'Ulster, non contents de défendre l'entrée de leur propre pays, résolurent de tenter l'affranchissement de tout le territoire 'envahi. Ils s'avancèrent jusqu'à Dublin ; mais, comme ils étaient peu habiles dans l'art des sièges, ils ne réussirent point à s'emparer de cette ville, nouvellement fortifiée, et furent ainsi arrêtés dans leur marche[9]. Alors les Normands, pour les obliger à la retraite par une division puissante, entrèrent en Ulster, sous la conduite de Jean de Courcy. Cette manœuvre contraignit le roi de Connaught à quitter la contrée du sud-est et à se porter vers le nord : beaucoup d'anciens chefs, et Même des évêques irlandais du territoire anglo-normand, se réunirent à lui et suivirent son armée[10].

Dans ce temps, un cardinal nommé Vivien, envoyé par le pape en Écosse pour y faire une quête d'argent, ayant réussi dans sa mission, débarqua au nord de l'Irlande, dans le pays où la guerre venait d'être nouvellement transportée. Malgré tout le mal que l'Église romaine avait fait à l'Irlande, le légat fut accueilli avec de grands honneurs par les chefs de l'armée irlandaise ; ils le prièrent avec déférence de les conseiller et de leur dire s'il n'était pas légitime pour eux de s'opposer de toutes leurs forces à l'usurpation du roi d'Angleterre. Soit par crainte, soit par calcul, l'envoyé pontifical leur fit la réponse qu'ils désiraient, et les exhorta même à combattre jusqu'à la mort pour la défense de leur pays[11]. Ces paroles excitèrent une joie universelle et une vive amitié pour le cardinal, qui, sans perdre de temps, annonça qu'il voulait faire une collecte pour l'Église de Rome. Dans leur contentement, les chefs de l'armée et le peuple donnèrent autant qu'ils purent, et le légat, continuant sa route, entra sur le territoire anglo-normand[12].

Arrivé, à Dublin, il y fut mal reçu par les barons et les justiciers du roi, qui lui reprochèrent vivement d'avoir encouragé les Irlandais à la résistance ; ils lui signifièrent l'ordre de partir aussitôt ou de se rétracter publiquement[13]. Le cardinal, sans hésiter, proclama le roi Henri II maître souverain et légitime de l'Irlande, et fulmina, au nom de l'Église, un arrêt d'excommunication contre tout indigène qui ne le reconnaîtrait point[14]. Les Normands furent aussi joyeux de cette sentence que leurs adversaires l'avaient été de l'approbation accordée à leur dévouement patriotique, et le légat remplit à loisir ses coffres dans toute la partie conquise de l'île[15]. Ensuite il alla visiter l'armée normande qui venait d'envahir la province d'Ulster. Cette armée souffrait beaucoup du défaut de vivres, parce que, à son approche, les habitants cachaient ou brûlaient leurs provisions, ou bien les entassaient dans les églises, afin d'arrêter le pillage des étrangers par la crainte du sacrilège[16]. Si de pareils scrupules ne retenaient pas entièrement les soldats, ils produisaient en eux une certaine gêne morale, qui, s'ajoutant aux privations physiques, retardait les progrès de la campagne. Le chef de l'expédition, Jean de Courcy, demanda au cardinal si ceux qui combattaient pour les droits du roi Henri ne pouvaient point, sans péché, forcer les portes des églises pour y prendre des vivres. Dans ce cas, répondit le Romain, les seuls coupables de sacrilège sont les Irlandais, qui, pour soutenir leur rébellion, osent transformer la maison de Dieu en grenier et en magasin[17].

L'invasion de l'Ulster réussit, quoique incomplètement : les villes maritimes et les plaines tombèrent au pouvoir des étrangers ; mais la contrée montagneuse resta libre, et les indigènes s'y réunirent pour continuer la guerre en partisans[18]. Pendant que Jean de Courcy travaillait à se fortifier dans sa nouvelle conquête, le Normand Mile, ou Milon, qui se faisait appeler Mile de Cogham parce qu'il possédait en Angleterre un domaine de ce nom, passa le fleuve du Shannon avec six cents chevaliers, et entra dans le royaume de Connaught. Il y fut suivi par Hugues de Lacy, qui vint avec de plus grandes forces. A leur approche, les habitants se retirèrent dans les forêts, chassant devant eux leur bétail, enlevant tout ce qu'ils pouvaient, et brûlant le reste, ainsi que leurs propres maisons. Ce système de défense eût réussi probablement, si le roi de Connaught, qui jusqu'alors s'était montré le plus brave de toute l'Irlande, n'eût demandé à capituler et consenti à s'avouer homme lige du roi d'Angleterre[19]. Sa défection énerva l'esprit d'indépendance des habitants du Connaught ; mais la nature de ce territoire, entrecoupé de lacs et de marais, et le plus montagneux de toute l'ile, empêcha les Anglo-Normands d'en faire entièrement la conquête. Ils y prirent peu de terres, s'y établirent en petit nombre, et le seul lien de sujétion par lequel ils retinrent sous leur autorité cette partie de l'Irlande, fut le serment de vasselage du chef qui s'était fait leur ami.

Hugues de Lacy épousa l'une des filles de ce chef, et ses compagnons de victoire, clairsemés en quelque sorte au milieu de la population indigène, se marièrent, comme lui, à des femmes du pays[20]. Soit par le penchant à l'imitation qui est naturel aux hommes, soit par politique et pour exciter moins de haine, ils quittèrent peu à peu les modes et les manières normandes pour celles des Irlandais, ne donnant point de festin sans qu'il y eût un joueur de harpe, et préférant la musique et la poésie aux tournois et aux joutes guerrières[21]. Ce changement de mœurs déplaisait singulièrement aux barons établis dans les provinces du midi et de l'est, où les indigènes, réduits en servitude et méprisés de leurs seigneurs, ne pouvaient inspirer à ceux-ci aucune envie de les imiter. Ils traitaient de dégénérés et de mésalliés ceux qui adoptaient les usages ou épousaient des femmes du pays, et les fils nés de ces mariages étaient regardés comme très-inférieurs en noblesse aux hommes de pure race normande. Bien plus, on se défiait d'eux ; on craignait que le lien de parenté ne les attachât quelque jour à la cause du peuple vaincu ; ce qui pourtant n'arriva que bien des siècles après.

D'un autre côté, le roi d'Angleterre redoutait la puissance des seigneurs établis en Irlande, et s'alarmait de la pensée que, tôt ou tard, l'un d'entre eux pourrait entreprendre de fonder dans cette île un nouvel empire. Afin d'éloigner ce péril, Henri II résolut d'envoyer un de ses fils pour le représenter sous le titre de roi d'Irlande ; mais les trois aînés, seuls capables de bien remplir cette mission, lui inspiraient tant de défiance, qu'il choisit Jean, le plus jeune de tous, à peine âgé de quinze ans[22]. Le jour où ce prince reçut à Westminster ses premières armes de chevalerie, son père lui fit prêter le serment de vasselage par tous les conquérants de l'île d'Érin. Hugues de Lacy et Mile de Cogham lui firent hommage pour le Connaught, et Jean de Courcy pour l'Ulster[23]. La partie sud-ouest de l'île n'était pas encore soumise ; on la proposa en fief à deux frères, Herbert et Josselin de La Pommeraye, sous la seule condition de s'en emparer ; ils refusèrent ce don qui leur semblait trop onéreux[24]. Mais Philippe de Brause l'accepta, et en fit hommage au nouveau roi d'Irlande, déclarant tenir de lui, moyennant le service de soixante hommes d'armes, ce pays où aucun Normand n'avait pénétré[25].

Le quatrième fils de Henri II s'embarqua au mois d'avril de l'année 1185, et aborda à Waterford, accompagné de Robert le Pauvre, son maréchal, et d'un grand nombre de jeunes gens élevés la cour d'Angleterre, qui n'avaient jamais vu l'Irlande, et qui, aussi étrangers aux conquérants de ce pays qu'aux indigènes, suivaient le nouveau roi, dans l'espoir de faire une prompte fortune aux dépens des uns et des autres[26]. Du lieu de son débarquement, Jean se rendit à Dublin, où il fut reçu en grande pompe par l'archevêque et par tous les Anglo-Normands de la contrée. Plusieurs des chefs irlandais qui avaient juré fidélité au roi Henri et aux barons étrangers vinrent pour saluer le jeune prince suivant le cérémonial usité dans leur pays[27].

Ce cérémonial était beaucoup moins raffiné que celui de la cour normande ; il laissait chacun libre de donner, selon sa fantaisie, à l'homme revêtu du souverain pouvoir, un témoignage d'affection quelconque, et tel que son premier mouvement ou ses habitudes le lui suggéraient. Les Irlandais ne se doutant pas qu'il y eût pour eux autre chose à faire que de suivre les anciens usages, l'un s'inclina simplement devant le fils du roi Henri, l'autre lui prit la main, un troisième voulut l'embrasser ; mais les Normands trouvèrent cette familiarité inconvenante, et traitèrent les chefs indigènes de gens grossiers et malappris[28]. Se faisant un jeu de les insulter, ils les tiraient par leurs longues barbes ou par les tresses de cheveux qui leur pendaient de chaque côté de la tête, touchaient leurs habits d'un air méprisant ou les poussaient vers la porte[29]. Ces outrages ne restèrent pas sans vengeance, et le même jour tous les chefs irlandais sortirent à la fois de Dublin. Un grand nombre d'habitants de la contrée voisine, prenant avec eux leurs femmes, leurs enfants et leurs meubles, les suivirent et se réfugièrent, les uns vers le sud, auprès du roi de Limerick, qui luttait encore contre la conquête, les autres auprès de celui de Connaught, qui bientôt se mit à la tête d'un nouveau soulèvement patriotique[30].

Dans fa guerre presque générale qui s'éleva dès lors entre les Irlandais et leurs vainqueurs, une circonstance favorable aux premiers fut l'esprit de jalousie des courtisans du jeune roi envers les barons et les chevaliers de la conquête. N'ayant rien à perdre à cette guerre, ils la regardaient comme une occasion qui s'offrait à eux de supplanter les anciens colons dans leurs commandements et dans leurs grades[31]. Ils les accusaient et les calomniaient de mille manières auprès du fils de Henri II ; et celui-ci, léger, imprudent et dévoué à ses compagnons de plaisir, dépouillait pour eux les fondateurs et les Soutiens de la puissance normande en Hibernie. Il dépensait en frivolités tout l'argent qu'il recevait d'Angleterre pour la solde de ses troupes ; son armée, mal commandée et mécontente, obtint peu de succès contre les révoltés, et la cause des conquérants commença à être en péril[32]. Dès que ce péril se fit sentir, le jeune roi et ses gens de cour s'enfuirent et quittèrent file, emportant avec eux tout l'argent qu'ils purent enlever, et laissant se débattre ensemble les deux populations vraiment intéressées à la guerre[33].

La lutte de ces deux races d'hommes continua longtemps, sous à toutes les formes, en rase campagne et au sein des villes, par la force et par la ruse, l'attaque ouverte et l'assassinat. Le même esprit de haine pour le pouvoir étranger qui, en Angleterre, avait jonché de cadavres normands les forêts de l'Yorkshire et du Northumberland, en remplit les lacs et les marais d'Érin. Mais un fait qui donne à la conquête de ce dernier pays un caractère tout particulier, c'est que les conquérants de l'Irlande, placés au rang d'oppresseurs à l'égard du peuple indigène, furent abaissés à celui d'opprimés à l'égard de leurs compatriotes demeurés en Angleterre. Le mal que les fils des vainqueurs faisaient à la nation subjuguée leur fut en partie rendu par les rois dont ils relevaient, et qui, doutant de leur fidélité, les regardaient presque comme une race étrangère. Il y eut loin, toutefois, des tyrannies que subirent, de la part du gouvernement d'Angleterre, les Anglais établis en Irlande, à celles qu'eux-mêmes, durant une longue suite de siècles, firent éprouver aux indigènes. Un document du quatorzième siècle pourra tenir lieu de beaucoup de détails à cet égard, et compléter pour le lecteur l'idée d'une conquête au moyen âge.

A Jean, pape, Donald O'Neyl, roi d'Ulster, ainsi que les rois inférieurs de ce territoire, et toute la population de race irlandaise[34].

Très-saint Père, nous vous transmettons quelques renseignements exacts et sincères sur l'état de notre nation et sur les injustices que nous subissons et qu'ont subies nos ancêtres de la part des rois d'Angleterre, de leurs agents et des barons anglais nés en Irlande. Après nous avoir chassés, par la violence, de nos habitations, de nos champs, de nos héritages paternels ; nous avoir contraints, pour sauver notre vie, de gagner les montagnes, les marais, les bois et les creux des rochers, ils nous harcèlent incessamment dans ces misérables refuges pour nous en expulser et s'approprier notre pays dans toute son étendue. De là résulte entre eux et nous une inimitié implacable, et c'est un ancien pape qui nous a placés originairement dans ce déplorable état. Ils avaient promis à ce pape de façonner le peuple d'Hibernie aux bonnes mœurs et de lui donner de bonnes lois ; bien loin de là ils ont anéanti toutes les lois écrites qui anciennement nous régissaient ; ils nous ont laissés sans loi pour mieux accomplir notre ruine, ou en ont établi parmi nous de détestables, dont voici quelques exemples[35] :

Il est de règle, dans les cours de justice du roi d'Angleterre en Irlande, que tout homme qui n'est pas de race irlandaise puisse a intenter à un Irlandais toute espèce d'action judiciaire, et que cette faculté soit interdite aux Irlandais, soit clercs, soit laïques. Si, comme il arrive trop souvent, quelque Anglais assassine un Irlandais, clerc ou laïque, l'assassin n'est ni puni corporellement, ni même condamné à l'amende ; au contraire, plus la personne assassinée était considérable parmi nous, plus son meurtrier est excusé, honoré, récompensé des siens, même des gens de religion et des évêques. Nul Irlandais ne peut disposer de ses biens au lit de mort, et les Anglais se les approprient. Il est interdit à tous les ordres religieux, établis en Irlande sur le territoire anglais, de recevoir dans leurs maisons des hommes de nation irlandaise[36].

Les Anglais qui habitent parmi nous depuis longues années, et qu'on appelle gens de race mêlée, ne sont pas pour cela moins cruels envers nous que les autres. Quelquefois ils invitent à leur table les premiers de notre nation, et les tuent par trahison au milieu du festin ou dans leur sommeil 8. C'est ainsi que Thomas de Clare, ayant attiré dans sa maison Brien le Roux de Thomond ; son beau-frère, l'a mis à mort par surprise, après avoir communié avec lui de la même hostie consacrée et divisée en deux parts. Ces crimes leur paraissent à eux honorables et dignes de louanges ; et c'est la croyance de tous leurs laïques et de beaucoup de leurs hommes d'église, qu'il n'y a pas plus de péché à tuer un Irlandais qu'un chien Leurs moines disent avec assurance que, pour avoir tué un homme de notre nation — ce qui trop souvent leur arrive —, ils ne s'abstiendraient pas un seul jour de célébrer la messe. En preuve de cela, les religieux de l'ordre de Cîteaux, établis à Granard, dans le diocèse d'Armagh, et ceux du même ordre qui sont à Ynes, en Ulster, attaquent journellement en armes, blessent et tuent les Irlandais, et n'en disent pas moins leurs messes. Frère Simon, de l'ordre des Mineurs, parent de l'évêque de Coventry, a prêché publiquement qu'il n'y a pas le moindre mal à tuer ou à voler un Irlandais. Tous, en un mot, soutiennent qu'il leur est permis de nous enlever, s'ils le peuvent, nos terres et nos biens, et ne s'en font nul reproche de conscience, pas même à l'article de la mort[37].

Ces griefs, joints à la différence de langage et de mœurs qui existe, entre eux et nous, font qu'il n'y a nul espoir que jamais nous ayons paix ou trêve en cette vie, si grande de leur part est l'envie de dominer, si vif de la nôtre est le désir légitime et naturel de sortir d'une servitude insupportable, et de recouvrer l'héritage de nos ancêtres. Nous gardons au fond de nos cœurs une haine invétérée, produite par de longs souvenirs d'injustices, par le meurtre de nos pères, de nos frères, de nos proches, et qui ne s'éteindra ni de notre temps ni du temps de nos fils. Ainsi donc, sans regret ni remords, tant que nous serons en vie, nous les combattrons pour la défense de nos droits, et ne cesserons de les combattre et de leur nuire que le jour où eux-mêmes, par défaut de puissance, auront cessé de nous faire du mal, et où le Juge suprême aura tiré vengeance de leurs crimes, ce qui arrivera tôt ou tard, nous en avons le ferme espoir. Jusque-là nous leur ferons guerre à mort pour recouvrer l'indépendance, qui est notre droit naturel, contraints que nous y sommes par la nécessité même, et aimant mieux affronter le péril en hommes de cœur que de languir au milieu des outrages[38].

Cette promesse de guerre à mort, faite il y a plus de quatre cents ans, n'est pas encore oubliée ; et, chose triste, mais digne de remarque, le sang a coulé de nos jours en Irlande pour la vieille querelle de la conquête[39]. L'heure où cette querelle sera terminée est dans un avenir qu'on ne peut encore prévoir ; car, malgré le mélange des races et les transactions de toute espèce amenées par le cours des siècles, la haine du gouvernement anglais subsiste, comme une passion native, dans la masse de la nation irlandaise. Depuis le jour de l'invasion, cette race d'hommes a constamment voulu ce que ne voulaient pas ses conquérants, détesté ce qu'ils aimaient, et aimé ce qu'ils détestaient. Elle dont les malheurs avaient été en partie causés par l'ambition des papes, elle s'est attachée aux doctrines du papisme avec une sorte de fureur dès que l'Angleterre s'en est affranchie. Cette opiniâtreté indomptable, cette faculté de conserver, à travers des siècles de misère, le souvenir de la liberté perdue et de ne point désespérer d'une cause toujours vaincue, toujours fatale à ceux qui osèrent la défendre, est peut-être le plus étrange et le plus grand exemple qu'un peuple ait jamais donné.

Quelque chose de la ténacité de mémoire et d'esprit national qui caractérise la race irlandaise se retrouve, aux mêmes époques, chez les indigènes du pays de Galles. Tout faibles qu'ils étaient vers la fin du douzième siècle, ils espéraient encore non-seulement recouvrer la portion conquise de leur terre natale, mais voir revenir le temps où ils avaient possédé l'île de Bretagne. Leur confiance imperturbable dans cet espoir chimérique faisait une telle impression sur ceux qui l'observaient, qu'en Angleterre et rame en France les Gallois passaient pour avoir le don de prophétiser[40]. Les vers où d'anciens poètes cambriens avaient exprimé avec effusion d'âme leurs vœux et leur attente patriotique étaient regardés comme des prédictions mystérieuses, dont on cherchait à trouver le sens dans les grands événements du jour[41]. De là vint la célébrité bizarre dont Myrdhin, barde du septième siècle, jouit cinq cents ans après sa mort, sous le nom de l'Enchanteur Merlin. De là vint aussi le renom extraordinaire du roi Arthur, héros d'un petit peuple dont l'existence était presque ignorée sur le continent. Mais les livres de ce petit peuple étaient si rein-plis de poésie, ils avaient une si forte teinte d'enthousiasme et de conviction, qu'une fois traduits dans les autres langues, ils devinrent pour les étrangers la lecture la plus attachante et le thème sur lequel les romanciers du moyen âge bâtirent le plus volontiers leurs fictions. C'est ainsi que le vieux chef de guerre des Cambriens parut, dans les récits fabuleux des trouvères normands et français, l'idéal du chevalier accompli et le plus grand roi qui eût porté couronne.

Mais on ne se contentait pas d'orner ce personnage de toutes les perfections chevaleresques, et bien des gens croyaient à son retour presque aussi fermement que les Gallois ; cette opinion gagna male les conquérants du pays de Galles, à qui elle faisait peur, et qui ne pouvaient s'en défendre. Différents bruits, plus bizarres les uns que les autres, nourrissaient cette persuasion. Tantôt l'on disait que des pèlerins, venant de la Terre Sainte, avaient rencontré Arthur en Sicile, au pied du mont Etna[42] ; tantôt qu'il avait paru dans un bois en Basse-Bretagne, ou bien que les forestiers du roi d'Angleterre, en faisant leur ronde au clair de la lune, entendaient souvent un grand bruit de cors, et rencontraient des troupes de chasseurs qui disaient faire partie de la suite du roi Arthur[43]. Enfin, le tombeau d'Arthur ne se voyait nulle part ; on l'avait souvent cherché sans jamais pouvoir le découvrir, et ce hasard semblait une confirmation de tous les bruits qui se répandaient[44].

Les historiens contemporains du règne de Henri II avouent que toutes ces choses étaient pour les Gallois de grands motifs d'orgueil national, et un encouragement dans leur résistance à la domination étrangère[45]. Les esprits les plus fermes parmi les Anglo-Normands tournaient en ridicule ce qu'ils appelaient l'espérance bretonne ; mais cette espérance, si vive qu'elle pénétrait par contagion chez les ennemis mêmes des Cambriens, portait ombrage aux politiques de la cour du roi d'Angleterre[46]. Pour lui donner un coup mortel, ils résolurent de faire la découverte du tombeau d'Arthur, et la firent en effet de la manière suivante. Vers l'année 1189, un neveu du roi, nommé Henri de Sully, gouvernait le couvent de Glastonbury, situé au lieu même où la tradition populaire racontait que le grand chef cambrien s'était retiré pour y attendre la guérison de ses blessures[47]. Cet abbé publia tout à coup qu'un barde du pays de Pembroke avait eu des révélations sur la sépulture du roi Arthur, et l'on commença des fouilles profondes dans l'intérieur du monastère, en ayant soin d'enclore le terrain où se faisaient les recherches, pour écarter les témoins suspects[48]. La découverte ne manqua pas, et l'on trouva, disent les contemporains, une inscription latine gravée sur une plaque de métal, et des ossements d'une grandeur extraordinaire. On enleva ces restes précieux avec de grandes marques de respect[49], et Henri II les fit placer dans un cercueil magnifique, dont il ne plaignit pas la dépense, car il se croyait amplement dédommagé par le tort que devait faire aux Gallois la perte de leur rave le plus cher, de la superstition qui animait leur courage et ébranlait celui de leurs conquérants[50].

Toutefois, l'obstination patriotique des Cambriens survécut à l'espérance du retour de leur roi Arthur, et ils furent loin encore de se résigner à la domination étrangère. Cette disposition d'esprit leur donnait une confiance en eux-mêmes tellement naïve qu'elle semblait presque de la folie. Dans une expédition que le roi Henri II fit en personne au sud du pays de Galles, un chef gallois, poussé par quelqu'une de ces vengeances de famille qui étaient le vice capital de la nation, vint le trouver à son camp et se joindre à lui. Le roi accueillit ce transfuge comme un auxiliaire précieux, et le questionnant sur les chances probables de la guerre : Penses-tu, lui dit-il, que les gens de ton pays puissent tenir contre mon armée ?[51] A une pareille demande l'orgueil patriotique se réveilla dans le cœur du Gallois. Regardant son interlocuteur d'un air calme et assuré, il répondit : Roi, vos forces ou celles d'un autre pourront bien affaiblir et, en partie, ruiner cette nation, mais pour la détruire entièrement il faudrait la colère de Dieu. Au jour du jugement dernier, pas une autre race, ni une autre langue que celle des Kymrys ne répondra pour ce coin de terre devant le souverain Juge[52].

Les historiens ne disent pas quelle réplique Henri II fit à ces paroles, empreintes d'une si imperturbable conviction ; mais l'idée de a science prophétique des Gallois n'était pas sans pouvoir sur lui-même ; du moins ses flatteurs le crurent, car son nom se trouve, par interpolation, dans plusieurs des vieux poèmes attribués au barde Myrdhin[53].

Un jour que le même roi, revenant d'Irlande, passait par le comté de Pembroke, un homme du pays l'aborda pour lui faire une prédiction toute religieuse et remarquable seulement par les circonstances dont elle fut accompagnée. Le Gallois., pensant qu'un roi d'Angleterre devait entendre l'anglais, adressa à Henri II la parole en cette langue, et lui dit : God holde ye, king ! Dieu vous garde, roi[54]. Ce salut fut suivi d'un discours dont le roi comprit à peine quelques mots : voulant répondre et ne le pouvant pas, il dit en français à son écuyer : Demande à ce paysan s'il nous conte ses rêves. L'écuyer, que sa situation moins élevée avait mis à même de converser avec des Saxons, servit d'interprète entre son maitre et le Cambrien[55]. Ainsi, pour le cinquième roi d'Angleterre depuis la conquête, la langue anglaise était une langue à peu près étrangère. Le fils et le successeur de Henri II, Richard, dans le règne duquel entre maintenant cette histoire, n'était pas plus que lui capable de tenir conversation en anglais ; mais, en revanche, il parlait et écrivait également bien les deux langues romanes de la Gaule, celle du nord et celle du midi, la langue d'oui et la langue d'oc.

Le premier acte administratif de Richard Ier, quand son père — comme on l'a vu précédemment — eut été enseveli dans l'église de Fontevrault, fut de faire saisir Étienne de Tours, sénéchal de l'Anjou et trésorier de Henri II[56]. On l'enferma, les fers aux pieds et aux mains, dans un cachot d'où il ne sortit qu'après avoir livré au nouveau roi tout l'argent du roi défunt et le sien propre[57]. Ensuite Richard passa le détroit, accompagné de Jean son frère, et, dès son arrivée en Angleterre, il s'occupa des mêmes soins que sur le continent ; il courut aux différents trésors royaux conservés dans plusieurs villes, et les fit rassembler, inventorier et peser[58]. L'amour de l'or fut la première passion que manifesta le nouveau souverain, et aussitôt qu'il eut été sacré et couronné selon l'ancien usage, il commença à mettre en vente tout ce qu'il possédait en terres, ses châteaux, ses villes, tout son domaine, et en certains lieux, le domaine d'autrui, si l'on en croit un historien de l'époque[59].

Beaucoup de riches Normands, clercs et laïques, profitèrent de l'occasion et acquirent à bon marché quelques portions du grand lot de conquête que Guillaume le Bâtard avait réservé pour lui-même et pour ses successeurs[60]. Les bourgeois saxons de plusieurs villes, qui étaient la propriété du roi, se cotisèrent alors pour racheter leurs maisons et devenir, à charge de rente annuelle, propriétaires du lieu qu'ils habitaient[61]. Par le seul fait d'un pareil traité, la ville qui l'avait conclu devenait une corporation et s'organisait sous des syndics responsables envers le roi pour le payement de la dette municipale, et envers les bourgeois pour l'emploi des sommes levées par contribution personnelle. Les règnes des successeurs de Richard Ier offrent un grand nombre de ces conventions par lesquelles les cités d'Angleterre sortirent graduellement de la condition où la conquête normande les avait fait descendre[62]. Il est probable que Richard mit en usage ce moyen de remplir ses coffres, dans un temps où il semblait attentif à n'en négliger aucun. Je vendrais Londres, disait-il à ses courtisans, si je trouvais un acheteur[63].

L'argent que le roi d'Angleterre accumula de cette manière, dans les premiers mois de son règne, paraissait destiné aux frais de l'expédition en Terre-Sainte qu'il avait juré d'accomplir en commun avec Philippe, roi de France[64]. Néanmoins, Richard montrait peu d'empressement à se mettre en route ; son compagnon de pèlerinage fut obligé d'envoyer des ambassadeurs en Angleterre pour le sommer de tenir sa parole, et lui dire que le rendez-vous de départ était fixé définitivement aux fêtes de Pâques[65]. Richard ne jugea pas à propos de tarder plus longtemps, et, à l'arrivée des messagers de France, il convoqua une assemblée générale de ses comtes et de ses barons, où tous ceux qui, avec lui, avaient fait vœu de prendre la croix, jurèrent de se trouver sans faute au rendez-vous[66]. Les ambassadeurs firent ce serment sur l'âme du roi de France, et les barons d'Angleterre sur l'âme de leur roi[67]. Des vaisseaux furent rassemblés à Douvres, et Richard traversa la mer.

Sur le point de partir pour la nouvelle croisade, les rois d'Angleterre et de France firent ensemble un pacte d'alliance et de fraternité d'armes, jurant que chacun d'eux maintiendrait la vie et l'honneur de l'autre ; qu'aucun ne manquerait à l'autre dans ses périls ; que le roi de France défendrait les droits du roi d'Angleterre comme sa propre ville de Paris, et le roi d'Angleterre ceux de l'autre roi comme sa propre ville de Rouen[68]. Richard s'embarqua dans un des ports du midi de la Gaule, qui tous, depuis la frontière d'Espagne jusqu'à la côte d'Italie, entre Nice et Vintimille, étaient libres, et relevaient nominalement de la royauté d'Aragon[69]. Le roi Philippe, qui n'avait point de ville maritime sur la Méditerranée, se dirigea vers Gênes, et s'embarqua sur des vaisseaux que lui fournit cette riche et puissante commune[70]. La flotte du roi d'Angleterre le rejoignit parle détroit de Gibraltar, et les deux rois, ayant côtoyé l'un après l'autre l'Italie dans toute sa longueur, firent halte en Sicile pour y prendre leurs quartiers d'hiver[71].

Cette île, conquise un siècle auparavant par les Normands seigneurs de l'Apulie et de la Calabre, formait, avec le territoire situé en face de l'autre côté du détroit, un royaume qui reconnaissait la suzeraineté du Saint-Siège. En l'année 1139, Roger, premier roi de Sicile et de Naples, avait reçu du pape Innocent II l'investiture par l'étendard. Après le règne de son fils et celui de son petit-fils, la couronne échut à l'un de ses bâtards nommé Tancrède ; qui gouvernait depuis peu de temps lorsque les deux rois abordèrent à Messine. Tous deux furent accueillis avec de grandes marques de respect et d'amitié ; Philippe reçut des logements pour lui et pour ses barons dans l'intérieur de la ville ; et Richard s'établit hors des murs, dans une maison entourée de vignes.

Un jour qu'il se promenait aux environs de Messine, accompagné d'un seul chevalier, il entendit le cri d'un épervier sortir de la maison d'un paysan[72]. L'épervier et tous les oiseaux de chasse étaient alors en Angleterre, et même en Normandie, une propriété noble, interdite aux vilains et aux bourgeois, et réservée pour les plaisirs des barons et des chevaliers. Richard, oubliant qu'en Sicile il n'en était pas tout à fait comme dans son propre royaume, entra dans la maison, prit l'oiseau, et voulut l'emporter[73] ; mais le paysan sicilien, quoique sujet d'un roi de race normande, n'était pas habitué à souffrir ce que supportaient les Anglais ; il résista, et appelant ses voisins au secours, il tira contre le roi un couteau qu'il portait à la ceinture[74]. Richard voulut se servir de son épée et faire face aux paysans qui s'amassaient autour de lui ; mais, l'épée s'étant brisée entre ses mains, il fut contraint de prendre la fuite, poursuivi à coups de bâtons et de pierres[75].

Peu de temps après cette aventure, l'habitude de tout oser en Angleterre à l'égard des vilains et des bourgeois lui en attira une plus fâcheuse. Il y avait près de Messine, sur le bord du détroit, un couvent de moines grecs, très-fort par sa position : Richard, ayant trouvé ce lieu convenable pour y' placer ses magasins, en chassa les moines et y mit garnison[76]. Mais les habitants de Messine voulurent montrer au prince étranger combien cet acte d'arrogance et de mépris pour eux leur déplaisait ; ils fermèrent leurs portés et refusèrent l'entrée de la ville aux gens du roi d'Angleterre[77]. En apprenant cette nouvelle, Richard, outré de colère, se rendit au palais de Tancrède ; il le requit de châtier, sans nul retard, ses bourgeois, qui osaient tenir tête à un roi[78]. Tancrède fit enjoindre aux Messinois de cesser toute démonstration hostile[79]. La paix sembla rétablie ; mais la rancune sicilienne ne s'éteignit pas au gré des ménagements politiques. Quelques jours après, une troupe des plus irrités et des plus braves d'entre les bourgeois de Messine se rassembla sur les hauteurs voisines du quartier du roi d'Angleterre, pour tomber sur lui à l'improviste, lorsqu'il passerait avec peu de monde[80]. Lassés d'attendre, ils livrèrent l'assaut à la maison d'un officier normand, appelé Hugues le Brun ; il y eut combat et grand tumulte, et Richard, qui était alors en conférence avec le roi Philippe sur les affaires de la guerre sainte, accourut, s'arma, et fit armer tous ses gens[81]. Avec des forces supérieures, il poursuivit les bourgeois jusqu'à la porte de la ville : ceux-ci entrèrent ; mais le passage fut fermé aux Normands, sur lesquels on fit pleuvoir du haut des murs une grêle de flèches et de pierres[82]. Cinq chevaliers et vingt sergents du roi d'Angleterre furent tués ; enfin son armée tout entière arriva, brisa une des portes, et, s'emparant de la ville, y planta la bannière de Normandie sur toutes les tours[83].

Pendant ce combat, le roi de France était resté tranquille spectateur, sans offrir, disent les historiens, aucun secours à son frère de pèlerinage[84] ; mais quand il vit l'étendard du roi d'Angleterre flotter sur les remparts de Messine, il demanda que ce drapeau fût enlevé et remplacé par le sien propre. Ce fut entre les deux frères d'armes le commencement d'une querelle qui ne fit que s'envenimer par la suite[85]. Richard ne voulut point consentir aux prétentions du roi de France ; seulement il fit descendre sa bannière, et remit la ville en garde aux chevaliers du Temple, jusqu'à ce qu'il eût obtenu satisfaction du roi Tancrède pour la conduite des Messinois[86]. Le roi de Sicile accorda tout, et, plus timide que ne l'avait été une poignée de simples bourgeois, il fit jurer par ses grands officiers, sur son Arne et sur la leur, que lui et les siens, sur terre et sur mer, garderaient en tout temps fidèle paix au roi d'Angleterre et à tous les siens[87].

Pour preuve de sa fidélité à ce serment, Tancrède remit à Richard mie lettre qu'il assurait lui avoir été envoyée par le roi Philippe, et dans laquelle celui-ci disait que le roi d'Angleterre était un traître qui n'avait point observé les conditions de la dernière paix faite avec lui, et que si Tancrède et ses gens voulaient lui faire la guerre ouverte, ou l'attaquer de nuit par surprise, l'armée de France serait toute prête à les aider[88]. Richard garda quelque temps le secret sur cette confidence ; mais dans une des disputes fréquentes qu'occasionnait entre lui et son frère d'armes leur séjour prolongé dans le même lieu, il présenta subitement la lettre au roi de France, lui demandant s'il la reconnaissait[89]. Sans répondre à cette question, Philippe attaqua de paroles le roi d'Angleterre : Je vois ce que c'est, lui dit-il ; vous me cherchez malice pour avoir prétexte de ne point épouser ma sœur Aliz, que vous avez juré d'épouser ; mais tenez pour certain que si vous l'abandonnez et prenez une autre femme, je serai toute ma vie ennemi de vous et des vôtres[90]. — Votre sœur, reprit tranquillement Richard, je ne puis l'épouser ; car il est certain que mon père l'a connue, et qu'il a eu d'elle un enfant ; ce que je puis prouver, si vous l'exigez, par de bons et nombreux témoignages[91].

Ce n'était pas une découverte que Richard venait de faire sur le compte de sa fiancée ; il y avait longtemps qu'il savait cela, et même il ne l'avait pas ignoré dans le temps où, pour faire tort à son père, il montrait, comme on l'a vu plus haut, tant d'envie d'accomplir ce mariage[92]. Mais tout ce qu'il avait promis alors par ambition de régner, se voyant roi il ne jugea plus à propos de le tenir ; et il obligea Philippe à subir la preuve testimoniale de la honte de sa propre sœur[93]. Les faits, à ce qu'il semble, étaient incontestables, et le roi de France, ne pouvant persister dans sa demande, dispensa Richard de sa promesse de mariage, moyennant la somme de dix mille marcs d'argent payables en quatre années. A cette condition, dit le narrateur contemporain, il lui donna licence d'épouser la femme qu'il voudrait[94].

Redevenus amis par ce traité, les deux rois mirent à la voile pour la Terre-Sainte, après avoir de nouveau juré sur les reliques et sur l'Évangile de se soutenir de bonne foi l'un et l'autre dans ce voyage et au retour[95]. Sur le point de partir, on publia dans les deux camps l'ordonnance suivante :

Sachez qu'il est défendu à toute personne de l'armée, à l'exception des chevaliers et des clercs, de jouer de l'argent à quelque jeu que ce soit durant le passage. Mais les clercs et les chevaliers pourront jouer jusqu'à perdre vingt sous en un jour et une nuit ; et les rois joueront selon leur bon plaisir[96].

En la compagnie ou sur le vaisseau des rois, et avec leur permission, les sergents d'armes royaux pourront jouer jusqu'à vingt sous et pareillement en la compagnie des archevêques, évêques, comtes et barons, et avec leur permission, leurs sergents pourront jouer la même somme[97].

Mais, si l'on prend à jouer, de leur autorité privée, des sergents d'armes, des travailleurs ou des matelots, les premiers passeront aux verges, durant trois jours, une fois par jour, et les derniers seront plongés trois fois en nier du haut du grand mât[98].

Dieu bénit, disent les historiens du temps, le saint pèlerinage de ces pieux et sages rois. Philippe arriva le premier devant la ville de Ptolémaïs ou Saint-Jean-d'Acre, alors assiégée par les chrétiens que Salah-Eddin avait chassés de Jérusalem et de la Palestine ; Richard l'y joignit après un assez long retard, durant lequel il avait conquis l'île de Chypre sur un prince de la race des Comnènes. Dès que les deux rois furent réunis, le siège d'Acre avança rapidement ; leurs pierriers, leurs mangonneaux et leurs trébuchets battirent si bien les murs, que la brèche fut ouverte en peu de jours, et la garnison obligée de capituler[99]. Cette victoire, qui produisit chez les chrétiens d'Orient le plus vif enthousiasme, n'assura point cependant la concorde  parmi les princes croisés. Malgré le serment prêté par les deux rois sur l'Évangile, eux et leurs soldats se haïssaient, s'injuriaient et se calomniaient mutuellement[100].

La plupart des chefs de l'armée, quels que fussent leur rang et leur pays, étaient divisés par des rivalités d'ambition, d'avarice ou d'orgueil. Le jour de la prise d'Acre, le roi d'Angleterre, trouvant la bannière du duc d'Autriche arborée sur les murs à côté de la sienne, la fit aussitôt enlever, déchirer et jeter dans une fosse d'ordures[101]. Peu de temps après, le marquis de Montferrat, qui disputait à Gui de Lusignan le vain titre de roi de Jérusalem, fut assassiné à Tyr par deux Arabes fanatiques, et ce fut le roi d'Angleterre qu'on accusa de les avoir soudoyés. Enfin, au bout de quelques mois, le roi de France, tombé malade, crut ou feignit de croire qu'il venait d'être empoisonné par quelque agent secret du roi d'Angleterre[102]. Sous ce prétexte, il abandonna l'entreprise qu'il avait fait vœu d'achever, et laissa ses compagnons de pèlerinage se débattre seuls contre les Sarrasins[103]. Richard, plus obstiné que lui, continua de tous ses efforts la tentative difficile de reconquérir la ville sainte et le bois de la vraie croix. Pendant qu'il poursuivait, avec assez peu de fruit, des exploits qui rendirent son nom un objet de terreur dans tout l'Orient, l'Angleterre était le théâtre de grands troubles causés par son absence. Ce n'était pas que les Anglais d'origine eussent entrepris de se révolter contre leurs seigneurs de race normande, mais il y avait mésintelligence entre ces derniers. A son départ pour la croisade, le roi Richard n'avait confié aucune autorité à son frère Jean, qui ne portait alors d'autre titre que celui de comte de Mortain. Fidèle à ce vieil instinct de discorde, que lui-même attribuait à tous les membres de sa famille[104], Richard se défiait de lui et l'aimait peu. Un homme étranger à cette famille, étranger même à l'Anjou et à la Normandie, Guillaume de Longchamp, évêque d'Ély et originaire de Beauvais[105], avait été chargé par le roi de la direction suprême des affaires, sous le titre de chancelier et de grand justicier d'Angleterre. Enfin le roi Richard avait fait jurer à Geoffroy, son frère naturel, de ne mettre le pied en Angleterre que trois ans après son départ, parce qu'il espérait être de retour avant ce terme[106].

Le chancelier Guillaume de Longchamp, maitre de toute la puissance royale, en usa pour s'enrichir, lui et sa famille ; il plaça ses parents et ses amis de naissance étrangère dans tous les postes de profit et d'honneur ; il leur donna la garde des châteaux et des villes, qu'il ôtait, sous différents prétextes, aux hommes de race normande, faisant peser sur ces derniers, aussi bien que sur les Anglais, des exactions insupportables[107]. Les auteurs du temps disent que, grâce à ses rapines, pas un chevalier ne pouvait garder son baudrier plaqué d'argent, ni un noble son anneau d'or, ni une femme son collier, ni un juif ses marchandises[108]. Il affectait de prendre les manières d'un souverain, et scellait les actes publics de son propre sceau, au lieu du sceau d'Angleterre[109] ; une garde nombreuse était postée autour de son hôtel ; partout où il allait, mille chevaux et plus l'accompagnaient, et s'il requérait son gîte dans quelque maison, trois années de revenu ne suffisaient pas à réparer la dépense que lui et sa suite y avaient causée en un seul jour[110]. Il faisait venir à grands frais des trouvères et des jongleurs de France pour chanter sur les places publiques des vers à sa louange, et l'on disait partout que le chancelier n'avait pas son pareil au monde[111].

Jean, comte de Mortain, frère du roi, homme non moins ambitieux et non moins vain que Guillaume de Longchamp, voyait avec envie cette puissance et ce faste, qu'il aurait voulu pouvoir étaler lui-même. Tous ceux- qu'indignaient les exactions du chancelier, ou qui désiraient un changement politique pour tenter la fortune, formèrent un parti autour du comte, et une lutte ouverte ne tarda pas à s'établir entre les deux rivaux. Leur inimitié éclata à l'occasion d'un certain Gérard de Camville, homme de race normande, à qui le chancelier voulut ôter le gouvernement, ou, comme on disait alors, la vicomté de Lincoln, que le roi lui avait vendue à prix d'argent[112]. Le chancelier, qui voulait donner cet office à l'un de ses amis, somma Gérard de lui rendre les clefs du château royal de Lincoln ; mais le vicomte résista à cet ordre, déclarant qu'il était homme lige du comte Jean, et qu'il ne rendrait son fief qu'après avoir été jugé et condamné pour forfaiture dans la cour de son, seigneur[113]. A ce refus, le chancelier vint, avec une armée, assiéger le château de Lincoln, le prit, et en chassa Gérard de Camville, qui demanda justice de cette violence à Jean, comme à son suzerain et à son protecteur[114]. Par une sorte de représailles du tort fait à son vassal, le comte Jean s'empara des citadelles royales de Nottingham et de Tickhil, y plaça ses chevaliers et y arbora sa bannière, protestant, dit un vieil historien, que si le chancelier ne faisait promptement droit à Gérard, son homme lige, il lui ferait visite avec une verge de fer[115]. Le chancelier eut peur, et négocia un accord par lequel le comte resta en possession des deux forteresses qu'il s'était fait livrer : ce premier pas du prince Jean vers l'autorité, que son frère avait craint de lui confier, ne tarda guère à être suivi de tentatives plus importantes.

Geoffroy, fils naturel de Henri II, élu archevêque d'York du vivant de son père, mais demeuré longtemps sans confirmation de la part du pape, obtint enfin de Rome la permission de se faire consacrer par le prélat de Tours, métropolitain de l'Anjou[116]. Aussitôt après sa consécration, il partit pour l'Angleterre, malgré le serment que son frère l'avait contraint de prêter[117]. Le chancelier en fut averti ; et, au moment où l'archevêque Geoffroy allait s'embarquer au port de Wissant, il rencontra des messagers qui lui défendirent, au nom du roi, de passer la nier. Geoffroy ne tint compte de la défense, et des gens armés furent apostés pour le saisir à son débarquement[118]. Ayant échappé à leurs recherches, en Se déguisant, il gagna un monastère de la ville de Canterbury, dont les religieux l'accueillirent et le cachèrent dans leur maison[119]. Mais bientôt le bruit Courut qu'il s'y trouvait ; le couvent fut investi par des soldats, et l'archevêque, saisi dans l'église au moment où il venait de, dire la messe, fut enfermé dans le château de la ville, sous la garde du connétable Mathieu de Clare. Cette arrestation violente fit grande rumeur par toute l'Angleterre, et le comte Jean, saisissant l'occasion, prit ouvertement le parti de son frère, et ordonna, avec menaces, au chancelier, de mettre en liberté l'archevêque. Le chancelier n'osa résister ; et alors, devenu plus audacieux, le comte de Mortain se rendit à Londres, y convoqua le grand conseil des barons et des évêques, et accusa devant eux Guillaume de Longchamp d'avoir abusé énormément du pouvoir que le roi lui avait confié[120]. Guillaume avait mécontenté trop de gens pour que son accusateur ne fut pas favorablement écouté. L'assemblée des barons le cita donc à comparaître devant elle ; il s'y refusa, et, rassemblant des hommes d'armes, il marcha sur Londres, de Windsor où il était, pour empêcher les barons de se réunir une seconde fois. Mais les hommes d'armes du comte le rencontrèrent aux portes de la ville, attaquèrent et dispersèrent son escorte, et le forcèrent de se jeter, en grande hâte, dans la Tour de Londres, où il se tint renfermé pendant que les barons et les évêques, réunis en parlement, délibéraient sur son sort[121].

La majorité d'entre eux avait dessein de frapper un grand coup, et de destituer celui à qui le roi Richard avait confié la lieutenance de son pouvoir, et qui, selon les formes légales, ne pouvait être déposé sans l'ordre exprès du souverain. Dans cette entreprise hardie, le comte de Mortain et les barons anglo-normands résolurent de compromettre les habitants saxons de Londres, afin d'avoir, pour appui, s'il fallait en venir aux mains, toute la population de cette grande ville. Le jour fixé pour leur assemblée, ils firent sonner la grosse cloche d'alarme ; et, à mesure que les bourgeois sortaient de leurs maisons, des gens apostés leur disaient de se rendre à l'église Saint-Paul[122]. Les, marchands et les gens de métier y allèrent en foule pour voir de quoi il s'agissait ; ils furent surpris d'y trouver réunis les grands du pays, les fils des hommes de la conquête, avec lesquels ils n'avaient d'autres relations que celles du vilain avec le seigneur. Contre l'ordinaire, les barons et les prélats firent bon accueil aux bourgeois, et une sorte de fraternité passagère parut, malgré les différences de conditions sociales, entre les Normands et les Saxons. Ces derniers comprirent ce qu'ils purent des discours prononcés devant eux en langue française, et, le débat fini ; on lut une prétendue lettre du roi, datée de Messine, laquelle portait que, si le chancelier se conduisait mal dans son office, on pourrait le déposer et mettre à sa place l'archevêque de Rouen[123]. Après cette lecture, on prit les voix de toute l'assemblée, sans distinction de race, et les hérauts normands proclamèrent qu'il avait plu à Jean, comte de Mortain, frère du roi, à tous les évêques, comtes et barons du royaume, et aux citoyens de Londres, que le chancelier Guillaume de Longchamp fût destitué de son office[124].

Pendant que ces choses avaient lieu dans l'église de Saint-Paul, le chancelier se tenait enfermé dans la Tour de Londres ; il aurait pu y soutenir un siège ; mais, abandonnant tout projet de se défendre, il offrit de capituler. La libre sortie lui fut accordée, sous condition de remettre à l'archevêque de Rouen, son successeur, les clefs de tous les châteaux du roi[125]. On lui fit jurer de ne point sortir d'Angleterre avant d'avoir fait cette remise, et l'on emprisonna ses deux frères comme otage de sa parole[126]. Il se retira à Canterbury ; mais, après y être demeuré quelques jours, il prit la résolution de s'enfuir, aimant mieux laisser ses frères en danger de mort que de rendre les châteaux, par la possession desquels il espérait encore recouvrer ce qu'il avait perdu[127]. Il sortit de la ville à pied et déguisé, ayant pardessus ses habits d'homme une jupe de femme et une cape à larges manches, la tête couverte d'un voile d'étoffe épaisse, tenant sous le bras un ballot de toile, et à la main une aune[128]. Dans cet attirail, qui était celui des marchandes anglaises de l'époque, le chancelier se rendit vers la mer, et fut obligé d'attendre quelque temps le navire où il devait s'embarquer[129].

Il s'assit tranquillement sur une pierre, avec son ballot sur les genoux ; des femmes de pêcheurs qui passaient l'abordèrent en lui demandant le prix de sa toile ; mais, faute de savoir un seul mot d'anglais, le chancelier ne répondit rien, ce qui étonna fort les acheteuses[130]. Elles s'éloignèrent cependant ; mais d'autres femmes survinrent, aperçurent la toile, et, l'ayant touchée pour l'examiner, firent la même demande que les premières. La prétendue marchande continua de garder le silence, et les femmes renouvelèrent leurs questions ; enfin, poussé à bout, le chancelier se mit à rire tout haut, croyant sortir d'embarras par cette espèce de réponse[131]. A ce rire hors de propos, les femmes crurent qu'elles avaient devant elles une personne idiote ou aliénée, et, soulevant son voile pour la reconnaître, découvrirent un visage d'homme fraîchement rasé[132]. Leurs cris de surprise ameutèrent les ouvriers du port ; ceux-ci, joyeux de trouver un objet de risée, se jetèrent sur le personnage déguisé, le tirant par ses habits, le faisant tomber par terre, et s'amusant de ses vains efforts pour leur échapper ou leur faire comprendre qui il était[133]. Après l'avoir traîné quelque temps à travers les cailloux et la boue, les pêcheurs et les matelots finirent par l'enfermer dans une cave, d'où il ne sortit qu'en faisant connaître sa mésaventure aux agents de l'autorité normande[134].

Forcé d'exécuter ses engagements envers le comte de Mortain et ses partisans, l'ex-chancelier leur rendit les clefs des châteaux, et obtint ainsi la permission de sortir librement d'Angleterre. A son arrivée en France, il s'empressa d'écrire au roi Richard que son frère Jean s'était emparé de toutes ses forteresses, et se disposait à usurper son royaume s'il ne revenait promptement[135]. D'autres nouvelles, plus alarmantes encore, ne tardèrent pas à parvenir au roi d'Angleterre en Palestine. Il apprit que Philippe de France, passant par Rome, avait prié le pape de l'exempter du serment de paix qu'il avait prêté à Richard, et que, dès son arrivée dans son château de Fontainebleau, il s'était vanté de mettre bientôt à mal les domaines du roi d'Angleterre[136]. Malgré la distance qui le séparait alors des lieux où se trouvait Richard, le roi Philippe affectait toujours de craindre quelque trahison ou quelques embûches de sa part[137]. Une fois, qu'il venait d'arriver au château de Pontoise pour s'y divertir, on le vit tout à coup prendre un air soucieux et retourner en grande hâte vers Paris. Il réunit aussitôt ses barons, et leur montra des lettres venues, à ce qu'il assurait, d'outre-mer, et dans lesquelles on l'avertissait de prendre garde à lui, parce que le roi d'Angleterre avait envoyé d'Orient des hassassis, ou assassins, pour le tuer[138].

C'était le nom, alors tout nouveau dans les langues européennes, par lequel on désignait les mahométans fanatiques de religion et de patriotisme, qui croyaient gagner le paradis en se dévouant à tuer par surprise les ennemis de leur foi. On croyait généralement qu'il existait dans les défilés du mont Liban une tribu entière de ces enthousiastes, soumise à un chef appelé le Vieux de la Montagne, et que les vassaux de ce personnage mystérieux, à son premier signal, couraient joyeusement à la mort[139]. Le nom de Haschischi, par lequel on les désignait en langue arabe, provenait de celui d'une plante enivrante dont ils faisaient un fréquent usage pour s'exalter ou s'étourdir[140].

On conçoit que le nom de ces hommes qui poignardaient à l'improviste, frappaient les généraux d'armée au milieu de leurs soldats, et mouraient en riant, pourvu qu'ils n'eussent pas manqué leur coup, devait inspirer une grande terreur aux croisés et aux pèlerins de l'Occident. Ils rapportaient un souvenir si vif de l'effroi qu'ils avaient ressenti au seul mot d'assassin, que ce mot passa bientôt dans toutes les bouches, et que les contes d'assassinat les plus absurdes purent trouver aisément en Europe des gens disposés à y croire. Cette disposition existait, à ce qu'il paraît, en France, lorsque le roi Philippe assembla ses barons en parlement à Paris. Nul d'entre eux -n'exprima de doute sur le péril du roi ; et Philippe, soit pour mieux exciter parmi ses vassaux la haine contre le roi d'Angleterre, soit pour se donner de nouvelles sûretés contre ses autres ennemis et contre ses sujets eux-mêmes, entoura sa personne de précautions extraordinaires[141]. Contre la coutume de ses aïeux, disent les contemporains, il ne marcha plus qu'escorté de gens en armes, et institua, pour plus grande sécurité, des gardes de son corps, choisis parmi les gens qui lui étaient le plus dévoués, et portant des massues de cuivre[142]. On dit que certaines personnes qui, usant de la familiarité accoutumée, s'approchèrent de lui par mégarde, coururent le danger de la vie[143]. Cette nouveauté royale étonna beaucoup de gens, et leur déplut singulièrement[144].

Le mauvais effet produit par l'institution de ces gardes du corps, alors appelés sergents à masses, obligea le roi Philippe à convoquer de nouveau l'assemblée des barons et des évêques de France[145]. Il renouvela devant elle ses premières imputations contre le roi d'Angleterre, assurant que c'était lui qui avait fait tuer à Tyr, en plein jour, le marquis de Montferrat, par les assassins qu'il tenait à sa solde[146]. Y a-t-il lieu, après tout cela, de s'émerveiller, dit le roi de France, que j'aie de moi plus de soin que de coutume ? Néanmoins, si mes précautions vous paraissent inconvenantes ou superflues, décidez, et j'y renoncerai[147]. L'assemblée ne manqua pas de répondre que tout ce que le roi jugeait à propos de faire pour sa sûreté personnelle était bon et convenable ; les gardes du corps furent maintenus, et l'institution s'en conserva bien des siècles après qu'on eut cessé de croire, en France, au pouvoir mystérieux du Vieux de la Montagne[148]. Une autre question adressée par le.roi Philippe à ses barons fut celle-ci : Dites-moi s'il n'est pas légitime que je tire prompte et bonne vengeance des torts manifestes que m'a faits ce traître de Richard ?[149] Sur ce point, la réponse fut encore plus unanime ; car les barons de France étaient tous animés d'un vieil esprit de rancune nationale contre le pouvoir des Normands[150].

Malgré l'éloignement où il se trouvait, le roi Richard fut assez promptement informé de ces nouvelles, parce que, dans la ferveur du zèle qui venait de se rallumer en Europe contre les sectateurs de Mahomet, de nouveaux pèlerins partaient chaque jour pour la Terre-Sainte. La destitution du chancelier, et l'occupation des forteresses par le comte Jean, avaient beaucoup troublé le roi d'Angleterre, et il prévoyait que tôt ou tard, son frère, suivant l'exemple que lui-même lui avait donné, unirait ses projets d'ambition aux projets d'hostilité du roi de France[151]. Ces craintes l'agitèrent bientôt au point que, malgré le serment qu'il avait fait de ne pas quitter la Terre-Sainte tant qu'il lui resterait un roussin à manger[152], il conclut une trêve de trois ans trois mois et trois jours avec les Sarrasins, et se mit en route vers l'Occident.

Parvenu en mer à la hauteur de la Sicile, il songea qu'il y aurait du danger pour lui à débarquer dans un des ports de la Gaule méridionale, parce que la plupart des seigneurs de Provence étaient parents du marquis de Montferrat et parce que le comte de Toulouse. Raymond de Saint-Gilles, suzerain des pays maritimes situés à l'ouest du Rhône, était son ennemi personnel[153]. Craignant de leur part quelques embûches, au lieu de traverser la Méditerranée, il entra dans le golfe Adriatique, après avoir congédié la plus grande partie de sa suite, afin de n'être point reconnu[154]. Son vaisseau fut attaqué par des pirates, avec lesquels, à la suite d'un combat assez vif, il trouva, moyen de faire amitié, si bien qu'il quitta son navire pour un des leurs, qui le conduisit à un petit port de la côte d'Istrie[155]. Il prit terre avec un baron normand appelé Baudouin de Béthune, maître Philippe et maître Anselme, ses chapelains, quelques templiers et quelques serviteurs[156]. Il s'agissait d'obtenir un sauf-conduit du seigneur de la province, qui résidait à Goritz, et qui, par un fâcheux hasard, était allié de près à la famille du marquis de Montferrat. Le roi envoya l'un de ses gens faire cette demande, et le chargea d'offrir au comte de Goritz un anneau orné d'un gros rubis, qu'il avait acheté en Palestine à des négociants pisans[157]. Ce rubis, alors célèbre, fut reconnu par le comte. Qui sont ceux qui t'envoient me demander passage ? dit-il au messager. — Des pèlerins revenant de Jérusalem. — Et leur nom ? — L'un s'appelle Baudouin de Béthune, et l'autre Hugues le Marchand, qui vous offre cet anneau[158]. Le comte de Goritz, examinant l'anneau avec attention, fut quelque temps sans rien dire, et reprit tout à coup : Tu ne dis pas vrai, ce n'est pas Hugues qu'il se nomme, c'est le roi Richard. Mais puisqu'il a voulu m'honorer de ses dons sans me connaître, je ne veux point l'arrêter ; je lui renvoie son présent, et je le laisse libre de partir[159].

Surpris de cet incident,- auquel il était bien loin de s'attendre, Richard partit aussitôt ; on ne chercha point à l'en empêcher. Mais le comte de Goritz envoya prévenir son frère, seigneur d'une ville peu éloignée, que le roi des Anglais était. dans le pays, et devait passer sur ses terres'. Le frère avait à son service un chevalier normand appelé Roger, natif d'Argentan, auquel il donna aussitôt commission de visiter chaque jour toutes les hôtelleries où logeaient des pèlerins, et de voir s'il ne reconnaîtrait pas le roi d'Angleterre au langage ou à quelque autre signe, lui promettant, s'il réussissait à le faire saisir, la moitié de sa ville à gouverner[160]. Le chevalier normand se mit à la recherche durant plusieurs jours, allant de maison en maison, et finit par découvrir le roi. Richard essaya d'abord de cacher qui il était ; mais, poussé à bout par les questions du Normand, il fut contraint d'en faire l'aveu[161]. Alors Roger se mit à pleurer, et le conjura de prendre sur-le-champ la fuite, lui offrant son meilleur cheval[162] ; puis il retourna vers son seigneur, lui dit que la nouvelle de l'arrivée du roi n'était qu'un faux bruit, qu'il ne l'avait point trouvé, mais seulement Baudouin de Béthune, un de ses compatriotes, qui revenait de pèlerinage. Le seigneur, furieux d'avoir manqué son coup, fit arrêter Baudouin, et le retint en prison[163].

Pendant ce temps, le roi Richard était en fuite sur le territoire allemand, ayant pour toute compagnie Guillaume de l'Étang, son ami intime, et un valet qui savait parler la langue teutonique, soit qu'il fût Anglais de naissance, soit que sa condition inférieure lui eût donné le goût d'apprendre la langue anglaise, alors fort ressemblante au dialecte saxon de la Germanie, et n'ayant ni mots français, ni locutions, ni constructions françaises[164]. Ils voyagèrent trois jours et trois nuits sans prendre de nourriture, presque sans savoir où ils allaient, et entrèrent dans la province qu'on appelait en langue tudesque Œster-reich, c'est-à-dire pays de l'Est. Ce nom était un dernier souvenir du vieil empire des Franks, dont cette contrée avait formé jadis l'extrémité orientale[165]. L'Œster-reich ou l'Autriche, comme disaient les Français et les Normands, dépendait de l'empire germanique, et était gouvernée par un seigneur qui prenait le titre de here-zog ou duc ; et, par malheur, ce duc, nommé Léopold[166], était celui que Richard avait mortellement offensé en Palestine en faisant lacérer sa bannière. Sa résidence était à Vienne, sur le Danube, où le roi et ses deux compagnons arrivèrent épuisés de fatigue et de faim[167].

Le serviteur, qui parlait anglais, alla au change de la ville échanger des besants d'or contre de la monnaie du pays[168]. Il fit devant les marchands beaucoup d'étalage de son or et de sa personne, prenant un air d'importance et des manières d'homme de cour[169]. Les bourgeois, soupçonneux, le menèrent à leur magistrat, pour savoir qui il était. Il se donna pour le domestique d'un riche marchand qui devait arriver dans trois jours, et il fut mis en liberté sur cette réponse[170]. A son retour au logis du roi, il lui raconta son aventure, et lui conseilla de partir au plus vite ; mais Richard, désirant prendre du repos, demeura encore quelques jours[171]. Durant cet intervalle, le bruit de son débarquement se répandit en Autriche ; et le duc Léopold, qui désirait à la fois se venger et s'enrichir par la rançon d'un pareil prisonnier, envoya de tous côtés à sa recherche des espions et des gens armés[172]. Ils parcoururent la contrée sans rien découvrir ; mais un jour, le même serviteur, qui avait déjà été arrêté une fois, se trouvant au marché de la ville, où il achetait des provisions, on remarqua à sa ceinture des gants richement brodés, tels qu'en portaient, avec leurs habits de cour, les grands seigneurs de l'époque[173]. On le saisit de nouveau, et, pour lui arracher des aveux, on le mit à la torture[174] ; il révéla tout, et indiqua l'hôtellerie où se trouvait le roi Richard. Cette maison fut aussitôt cernée par les hommes d'armes du duc d'Autriche, qui, surprenant le roi, l'obligèrent à se rendre. Le duc lui témoigna du respect ; mais il le fit enfermer dans une prison, où des soldats d'élite le gardaient, jour et nuit, l'épée nue[175].

Dès que le bruit de l'arrestation du roi d'Angleterre se fut répandu, l'Empereur ou César de toute l'Allemagne[176] somma le duc d'Autriche, son vassal, de lui remettre le prisonnier, sous prétexte qu'il ne con- venait qu'à un empereur de tenir un roi en prison[177]. Le duc Léopold se rendit à cette raison bizarre avec une bonne grâce apparente, mais non sans stipuler qu'il lui reviendrait au moins une certaine part de la rançon[178]. Le roi d'Angleterre fut alors transféré de Vienne sur les bords du Rhin, dans l'une des forteresses impériales ; et l'Empereur, tout joyeux, envoya au roi de France un message, plus agréable pour lui, dit un historien du temps, qu'un présent d'or et de pierreries[179]. Philippe écrivit aussitôt à l'Empereur pour le féliciter de sa prise, et l'engager à la garder avec soin, parce que, disait-il, le monde ne serait jamais en paix si un pareil brouillon réussissait à s'évader[180]. En conséquence, il proposait de payer une somme égale ou même supérieure à la rançon du roi d'Angleterre, si l'Empereur voulait le lui donner en garde[181].

L'Empereur soumit, selon l'usage, cette proposition à la diète ou assemblée générale des seigneurs et des évêques d'Allemagne. Il exposa devant eux les motifs de la demande du roi de France, et justifia l'emprisonnement de Richard par le prétendu crime de meurtre commis sur le marquis de Montferrat, l'insulte faite à la bannière du duc d'Autriche, et la trêve de trois ans conclue avec les Sarrasins. Pour ces méfaits, le roi d'Angleterre devait, selon lui, être déclaré ennemi capital de l'Empire[182]. L'assemblée décida que Richard serait jugé par elle sur les griefs qu'on lui imputait ; mais elle refusa de le livrer au roi de France[183]. Celui-ci n'attendit pas le jugement du prisonnier pour lui envoyer dire, par un message exprès, qu'il le renonçait pour son vassal, le défiait et lui déclarait la guerre à outrance[184]. En même temps, il fit faire au comte de Mortain les mêmes offres qu'autrefois il avait faites à Richard pour l'exciter contre son père. Il promit de garantir au comte Jean la possession de la Normandie, de l'Anjou et de l'Aquitaine, et de l'aider à s'emparer de la royauté en Angleterre ; il ne lui demandait en retour que d'être fidèlement son allié, et d'épouser cette malheureuse Aliz dont il a été fait mention plus haut[185]. Sans conclure d'alliance positive avec le roi Philippe, Jean commença des intrigues dans tous les pays soumis à son frère ; et, sous prétexte que Richard était mort ou devait être regardé comme tel, il exigea le serment de fidélité des officiers publics, et des gouverneurs des châteaux et des villes[186].

Le roi d'Angleterre fut averti de ces manœuvres par plusieurs abbés de Normandie, qui obtinrent la permission de le visiter dans sa prison, et surtout par son ancien chancelier, Guillaume de Longchamp, l'ennemi personnel du comte de Mortain[187]. Richard le reçut comme un ami persécuté pour son service, et l'employa dans plusieurs négociations. Le jour fixé pour le jugement du roi arriva ; il comparut, comme accusé, devant la diète germanique assemblée à Worms ; il n'eut besoin que de promettre pour sa rançon, cent mille marcs d'argent, et de s'avouer vassal de l'Empereur, pour être absous sur tous les points[188]. Cet aveu de vasselage, qui n'était qu'une simple formalité, avait de l'importance aux yeux de l'Empereur à cause de ses prétentions à la domination universelle des Césars de Rome, dont il se disait l'héritier. La sujétion féodale du royaume d'Angleterre à l'empire germanique n'était pas de nature à durer longtemps, et néanmoins l'aveu et la déclaration s'en firent alors avec toute la pompe et l'appareil commandés par les usages du siècle. Le roi Richard, dit un contemporain, se destitua du royaume et le remit à l'Empereur, comme au suzerain universel, l'en investissant par son chaperon ; et aussitôt l'Empereur le lui rendit pour le tenir en fief, sous la condition d'un cens annuel de cinq mille livres sterling, et l'en investit par une double croix d'or[189]. Après cette cérémonie, l'Empereur, les évêques et les seigneurs d'Allemagne promirent par serment, sur leur âme, que le roi d'Angleterre serait mis en liberté aussitôt qu'il aurait payé cent mille marcs d'argent ; et dès ce jour, la captivité de Richard devint moins étroite[190].

Pendant ce temps, le comte de Mortain, poursuivant ses intrigues et ses manœuvres, sollicitait les justiciers d'Angleterre, l'archevêque de Rouen et les barons de Normandie, de lui jurer fidélité et de le reconnaître pour roi. La plupart refusèrent ; et le comte, se sentant trop faible pour les contraindre à faire ce qu'il souhaitait, passa. en France, et conclut un traité formel avec le roi Philippe[191]. Il s'avoua vassal et homme lige de ce roi pour l'Angleterre et tous les autres États de son frère, jura d'épouser sa sœur, et de lui abandonner une partie considérable de la Normandie, Tours, Loches, Amboise et Montrichard, aussitôt que, par son secours, il serait devenu roi d'Angleterre[192]. Enfin il souscrivit à la clause suivante : Et si mon frère Richard m'offrait la paix, je ne l'accepterais point sans l'aveu de mon allié de France, même dans le cas où mon allié la ferait pour son propre compte avec mon dit frère Richard[193].

Après la conclusion de ce traité, le roi Philippe passa la frontière de Normandie avec une armée nombreuse, et le comte Jean fit semer de l'argent parmi les tribus galloises encore libres pour les engager à seconder par une invasion les manœuvres de ses partisans en Angleterre[194]. Ce peuple, opprimé par les Normands, mit avec joie sa haine nationale au service de l'une des deux factions qui déchiraient ses ennemis ; mais, incapable de grands efforts hors du petit pays où il défendait si opiniâtrement son indépendance, il fut peu utile aux adversaires du roi Richard. Ces derniers obtinrent d'ailleurs peu de succès en Angleterre ; et cette circonstance détermina le comte Jean à demeurer près du roi de France, et à tourner toutes ses vues du côté de la Normandie[195]. Ainsi exemptée du fléau de la guerre, l'Angleterre n'en fut pas plus heureuse, car elle avait à subir d'énormes tributs levés pour la rançon du roi. Les collecteurs royaux parcouraient le pays dans tous les sens, et faisaient contribuer toutes les classes d'hommes, clercs ou laïques, Saxons ou Normands[196]. Toutes les sommes levées partiellement dans les provinces furent réunies à Londres ; l'on avait calculé que le total devait s'élever au montant de la rançon ; mais on trouva un énorme déficit causé par la fraude des employés[197]. Cette première levée se trouvant insuffisante, les officiers royaux en firent commencer une nouvelle, se servant, disent les historiens, du nom plausible de rançon du roi pour couvrir leurs honteuses rapines[198].

Il y avait près de deux ans que Richard était en prison ; il s'ennuyait de sa captivité, et envoyait message sur message à ses officiers et à ses amis d'Angleterre et du continent, pour les presser de le délivrer en payant sa rançon[199]. Il se plaignait amèrement d'être négligé par les siens, et de ce qu'on ne faisait pas pour lui ce que lui-même eût fait pour tout autre. Il exprima ses plaintes dans une chanson composée en langue romane méridionale, idiome qu'il préférait au dialecte moins poli de la Normandie, de l'Anjou et de la France.

J'ai assez d'amis, mais ils donnent pauvrement ; c'est honte à eux si, faute de rançon, depuis deux hivers je suis prisonnier[200].

Qu'ils sachent bien, mes hommes et mes barons, anglais, normands, poitevins et gascons, que je n'ai pas si pauvre compagnon que pour argent je laissasse en prison : je ne dis pas cela par reproche ; mais je suis encore prisonnier !...

Pendant que la seconde collecte pour la rançon du roi Richard se faisait par toute l'Angleterre, les messagers de l'Empereur vinrent à Londres recevoir, comme à-compte sur la somme totale, l'argent, qu'on avait déjà réuni[201]. Ils en vérifièrent la qualité par poids et par mesure, et mirent leur sceau sur des sacs, que les marins anglais transportèrent jusqu'au territoire de l'Empire, aux risques et périls du roi d'Angleterre[202]. L'argent arriva sain et sauf entre les mains du César d'Allemagne qui en fit passer le tiers au duc d'Autriche, pour sa part de prise[203] ; ensuite, il y eut une nouvelle diète assemblée pour décider du sort du prisonnier, dont la délivrance fut fixée à la troisième semaine après Noël, à condition qu'il laisserait un certain nombre d'otages pour garantie du payement qui lui restait à faire[204]. Le roi Richard accorda tout, et l'Empereur, ravi de sa bonne grâce, voulut lui faire un don en récompense. Il lui octroya par charte authentique, pour les tenir de lui en fief, des pays dont il n'était souverain que de nom, une partie de la Bourgogne, le Lyonnais, le Viennois et la Provence[205]. Or, il faut savoir, dit un contemporain, que ces terres, données au roi par l'Empereur, contiennent cinq archevêchés et trente-trois évêchés ; mais il faut savoir aussi que ledit Empereur n'y a jamais pu exercer aucune autorité, et que les habitants n'ont jamais voulu reconnaître aucun seigneur présenté par lui[206].

Lorsque le roi de France et le comte Jean, son allié, apprirent ce qui venait d'être résolu dans la diète impériale, ils craignirent de n'avoir pas le temps d'exécuter leur dessein avant la délivrance du roi. Ils envoyèrent donc en grande hâte des-messagers à l'Empereur pour lui offrir soixante-dix mille marcs d'argent s'il voulait prolonger d'une seule année l'emprisonnement de Richard, ou, s'il l'aimait mieux, mille livres d'argent pour chaque nouveau mois de captivité, ou bien encore cent cinquante mille marcs pour que le prisonnier fût remis à la garde du roi de France et du comte[207]. Tenté par ces brillantes propositions, l'Empereur eut envie de manquer à sa parole ; mais les membres de la diète, qui avaient juré de la tenir fidèlement, s'y opposèrent, et, usant de leur puissance, ils firent relâcher le captif vers la fin de janvier 1194[208]. Richard ne pouvait se diriger vers la France, ni vers la Normandie, envahie alors par les Français ; et ce qu'il y avait de plus sûr pour lui, c'était de s'embarquer dans un port d'Allemagne pour aller directement en Angleterre. Mais on était dans la saison des mauvais temps ; il fut obligé d'attendre plus d'un mois à Anvers ; et pendant cet intervalle, l'Empereur fut de nouveau tenté par l'avarice ; l'espoir de doubler ses profits l'emporta sur la crainte de déplaire à des chefs moins puissants que lui, et qu'en qualité de seigneur paramont il avait mille moyens de réduire au silence[209]. Il résolut donc de s'emparer une seconde fois du prisonnier qu'il avait laissé partir ; mais le secret de cette trahison ne. fut pas assez bien gardé, et l'un des otages restés entre les mains de l'Empereur trouva moyen d'en avertir le roi[210]. Richard s'embarqua aussitôt dans la galiote d'un marchand de Normandie, appelé Alain Tranchemer ; et ayant ainsi échappé aux hommes d'armes envoyés pour le prendre, il aborda heureusement au port de Sandwich[211].

Accueilli avec de grandes marques de joie, il trouva la majorité des comtes et des barons anglo-normands fidèle et dévouée à sa cause. Peu de temps auparavant, le grand conseil ou parlement du royaume avait déclaré le comte de Mortain ennemi public, et ordonné que toutes ses terres seraient saisies, et qu'on assiégerait ses châteaux[212]. Au moment où le roi arriva, cet ordre s'exécutait, et dans toutes les églises, on prononçait, au nom des archevêques et des évêques, au son des cloches et à la lueur des cierges, l'arrêt d'excommunication contre le comte et ses adhérents[213]. Le bruit de la délivrance du Cœur de lion — c'est le surnom que les Normands donnaient au roi Richard — mit fin à la résistance des garnisons qui tenaient encore pour le comte Jean. Toutes se rendirent, à l'exception de celle de Nottingham, qui ne voulut pas croire à la nouvelle ; le roi, irrité et prompt dans sa colère, marcha sur cette ville pour en faire le siège en personne, avant même d'entrer dans Londres[214].

Sa présence au camp devant Nottingham fut annoncée aux gens d'armes enfermés dans la place par un bruit extraordinaire de trompettes, de cors, de clairons et d'autres instruments de musique militaire ; mais, pensant que ce n'était qu'une ruse des assiégeants pour les tromper, ils continuèrent à se défendre[215]. Le roi fit un serment terrible contre ceux qui osaient lui résister, et livra l'assaut à la ville, qui fut prise ; mais la garnison se retira dans le château, l'un des plus forts que les Normands eussent bâtis en Angleterre. Avant de battre les murs du château avec ses pierriers et ses autres machines, Richard fit dresser un gibet, haut comme un grand arbre, où l'on pendit, par son ordre, à la vue de la garnison, quelques hommes pris dans le premier assaut[216]. Ce spectacle parut aux assiégés un signe de la présence du roi plus certain que tout ce qu'ils avaient vu jusque-là et ils se rendirent à merci[217].

Après sa victoire, le roi Richard, voulant se délasser, fit un voyage de plaisir dans la plus grande forêt de l'Angleterre, qui s'étendait depuis Nottingham jusqu'au centre du comté d'York, sur un espace de plusieurs centaines de milles ; les Saxons l'appelaient Sire-Wode, nom qui, dans la suite des temps, s'est changé en celui de Sherwood. Jamais de sa vie il n'avait vu ces forêts, dit un narrateur contemporain, et elles lui plurent extrêmement[218]. Au sortir d'une longue captivité, on est toujours sensible au charme des sites pittoresques ; et, d'ailleurs, à cet attrait naturel pouvait s'en joindre un autre tout particulier, et plus piquant peut-être pour l'esprit aventureux de Richard Cœur de lion. Sherwood était alors une forêt redoutable aux Normands ; c'était l'habitation des derniers restes des bandes de Saxons armés qui, reniant encore la conquête, persistaient volontairement à vivre hors de la loi de l'étranger[219]. Partout chassés, poursuivis, traqués comme des bêtes fauves, c'est là seulement qu'à la faveur des lieux ils avaient pu se maintenir en nombre, et sous une sorte d'organisation militaire qui leur donnait un caractère plus respectable que celui de voleurs de grands chemins.

Vers le temps où le héros du baronnage anglo-normand visita la forêt de Sherwood, dans cette même forêt vivait un homme qui était le héros des serfs, des pauvres et des petits, en un mot de la race anglo-saxonne. Parmi les déshérités, dit un ancien chroniqueur, on remarquait alors le fameux brigand Robert Hode, que le bas peuple aime tant à fêter par des jeux et des comédies, et dont l'histoire, chantée par les ménétriers, l'intéresse plus qu'aucune autre[220]. A ce peu de mots se réduisent toutes nos données historiques sur l'existence du.dernier Anglais qui ait suivi l'exemple de Hereward[221] ; et pour retrouver quelques traits de sa vie et de son caractère, c'est aux vieilles romances et aux ballades populaires qu'il faut, de nécessité, avoir recours. Si l'on ne peut ajouter foi aux faits bizarres et souvent contradictoires rapportés dans ces poésies, elles sont du moins un témoignage incontestable de l'ardente amitié du peuple anglais pour le chef de bande qu'elles Célèbrent, et pour ses compagnons, qui, au lieu de labourer pour des maîtres, couraient la forêt gais et libres, comme s'expriment de vieux refrains[222].

On ne. peut guère douter que Robert, ou plus vulgairement Robin Hood, n'ait été d'origine saxonne ; son prénom français ne prouve rien contre cette opinion, parce que, dès la seconde génération après la conquête, l'influence du clergé normand fit tomber en désuétude les anciens noms de baptême, remplacés dès lors par des noms de saints ou d'autres, usités en Normandie. Le nom de Hood est saxon, et les ballades les plus anciennes, et par conséquent les plus dignes d'attention, rangent les aïeux de celui qui le porta dans la classe des paysans[223]. Plus tard, quand s'affaiblit le souvenir de la révolution opérée par la conquête, les poètes de village imaginèrent d'embellir leur personnage favori de la pompe des grandeurs et des richesses : ils en firent un comte, ou tout au moins le petit-fils d'un comte, dont la fille, ayant été séduite, s'enfuit et accoucha dans un bois. Cette dernière supposition a donné lieu à une romance populaire pleine d'intérêt et d'idées gracieuses ; mais rien de probable ne l'autorise[224].

Qu'il soit vrai ou faux que Robin Hood soit né, comme le dit cette romance, dans le bois verdoyant, au milieu des lis en fleur, c'est dans les bois qu'il passa sa vie à la tête d'une centaine d'excellents archers, redoutable aux comtes, aux vicomtes, aux évêques et aux riches abbés d'Angleterre, mais chéri des fermiers, de laboureurs, des veuves et des pauvres gens[225]. Ils accordaient paix et protection à tout ce qui était faible et opprimé, partageaient avec ceux qui n'avaient rien les dépouilles de ceux qui s'engraissaient de la moisson d'autrui, et, selon la vieille tradition, faisaient du bien à toute personne honnête et laborieuse[226]. Robin Hood était le meilleur cœur et le plus habile tireur d'arc de toute la bande ; et après lui on citait Petit-Jean, son lieutenant et son frère d'armes, dont il ne se séparait jamais, dans le péril comme dans la joie, et dont les chroniques, les ballades et les proverbes anglais ne le séparent pas non plus[227]. La tradition nomme encore quelques-uns de ses compagnons, tels que Mutch, le fils du meunier, le vieux Scathlocke, et un moine appelé frère Tuck, qui combattait en froc, et pour toute arme se contentait d'un lourd bâton[228]. Ils étaient tous d'humeur joyeuse, ne visant point à s'enrichir, mais seulement à vivre de leur butin, et distribuant tout ce qu'ils avaient de superflu aux familles expropriées dans le grand pillage de la conquête. Quoique ennemis des riches et des puissants, ils ne tuaient point ceux qui tombaient entre leurs mains, et ne versaient le sang que pour leur propre défense[229]. Leurs coups ne tombaient guère que sur les agents de la police royale et les gouverneurs des villes ou des provinces, que les Normands appelaient vicomtes, et que les Anglais appelaient sheriffs. Bandez vos arcs, dit Robin Hood, et essayez-en les cordes ; dressez une potence ici près ; et malédiction sur la tête de celui qui fera grâce au sheriff et aux sergents[230].

Le sheriff de Nottingham fut celui contre lequel Robin Hood eut le plus souvent à combattre, et celui qui le pourchassa le plus vivement à cheval et à pied, mettant sa tête à prix et excitant ses compagnons et ses amis à le trahir. Mais aucun homme ne le trahit, et plusieurs l'aidèrent à se retirer du péril où sa hardiesse l'entraînait souvent. J'aimerais mieux mourir, lui disait un jour une pauvre femme, que de ne pas tout faire pour te sauver ; car qui m'a nourrie et vêtue, moi et mes enfants ? n'est-ce pas toi et Petit-Jean ?[231]

Les aventures surprenantes do ce chef de bandits du douzième siècle, ses victoires sur les hommes de race normande, ses stratagèmes et ses évasions, furent longtemps le seul fond d'histoire nationale qu'un homme du peuple en Angleterre transmit à ses fils après avoir reçu de ses aïeux. L'imagination populaire prêtait au personnage de Robin Hood toutes les qualités et toutes les vertus du moyen âge. Il passe pour avoir été aussi dévot à l'église que brave an combat, et l'on disait de lui qu'une fois entré pour entendre l'office, quelque danger qui survint, il ne sortait jamais qu'à la fin[232]. Ce scrupule de dévotion l'exposa une fois à être pris par le sheriff et ses hommes d'armes ; mais il trouva encore moyen de faire résistance, et même, à ce que dit la vieille histoire, un peu suspecte d'exagération, ce fut lui qui prit le sheriff[233]. Sur ce thème, les ménestrels anglais du quinzième siècle ont composé une longue ballade, dont quelques lignes méritent d'être citées, ne fût-ce que comme exemple de la couleur franche et animée que le peuple donne à sa poésie dans les temps où il existe une littérature véritablement populaire.

En été, quand la verdure est belle et les feuilles larges et longues, il y a plaisir dans la forêt à écouter le chant des oiseaux[234] ;

A voir les chevreuils quitter la colline, pour se retraiter dans la plaine et se mettre à l'ombre sous les feuilles vertes du bois.

C'était un jour de Pentecôte, de bonne heure, un matin de mai, un de ces jours où le soleil se lève beau, et où les oiseaux chantent gaiement.

Par la croix du Christ ! dit Petit-Jean, voilà une joyeuse matinée, et dans toute la chrétienté il n'y a pas un homme plus joyeux que moi.

Ouvre ton cœur, mon cher maître, et songe qu'il n'y a pas dans l'année de plus beau temps qu'un matin de mai.

Une chose me pèse, dit Robin Hood, et me chagrine le cœur, c'est de ne pouvoir, en aucun jour de fête, entendre messe ni matines.

Il y a, quinze jours et plus que je n'ai vu mon Sauveur, et je voudrais aller à Nottingham, avec l'aide de la bonne Marie.

Robin va seul à Nottingham, et Petit-Jean reste au bois de Sherwood ; il va dans l'église de Sainte-Marie, et s'agenouille devant la croix[235]...

Robin Hood ne fut pas simplement renommé pour sa dévotion aux saints et, aux jours de fête ; lui-même eut, comme les saints, son jour de fête dans l'année ; et dans ce jour, chômé religieusement par les habitants des hameaux et des petites villes d'Angleterre, il n'était permis de s'occuper de rien, sinon de jeux et de plaisirs. Au quinzième siècle, cet usage était encore observé ; et les fils des Saxons et des Normands prenaient en commun leur part de ces divertissements populaires, sans songer qu'ils étaient un monument de la vieille hostilité de leurs aïeux. Ce jour-là les églises étaient désertes comme les ateliers ; aucun saint, aucun prédicateur ne l'emportait sur Robin Hood ; et cela dura même après que la réforme eut donné en Angleterre un nouvel essor au zèle religieux. C'est un fait attesté, par un évêque anglican du seizième siècle, le célèbre et respectable Latimer[236]. En faisant sa tournée pastorale, il arriva le soir dans une petite ville près de Londres, et fit avertir qu'il prêcherait le lendemain, parce que c'était jour solennel. Le lendemain, dit-il, je me rendis à l'église ; mais, à mon grand étonnement ; j'en trouvai les portes fermées à clef ; j'envoyai chercher la clef, et l'on me fit attendre une heure et plus ; enfin un homme vint à moi et me dit : Messire, ce jour est un jour de grande occupation pour nous ; nous ne pouvons vous entendre ; car c'est le jour de Robin Hood[237] ; tous les gens de la paroisse sont au loin à couper des branches pour Robin Hood, vous les attendriez inutilement. L'évêque s'était revêtu de son costume ecclésiastique ; il fut obligé de le quitter, et de continuer sa route, laissant la place aux archers habillés de vert, qui jouaient sur un théâtre de feuillée les rôles de Robin Hood, de Petit-Jean et de toute la bande[238].

Des traces de ce long souvenir, dans lequel s'anéantit pour le peuple anglais le souvenir même de l'invasion normande, subsistent encore aujourd'hui. On trouve dans la province d'York, à l'embouchure d'une petite rivière, une baie qui, sur toutes les cartes modernes, porte le nom de Robin Hood[239], et il n'y a pas bien longtemps que, dans la même province, près de Pontefract, l'on montrait aux voyageurs une source d'eau vive et claire qu'on appelait le puits de Robin Hood, et qu'on les invitait à y boire en l'honneur du fameux archer[240]. Durant tout le dix-septième siècle, les vieilles ballades de Robin Hood, imprimées en lettres gothiques — espèce d'impression que le bas peuple anglais affectionnait singulièrement —, circulaient dans les villages, où elles étaient colportées par des hommes qui les chantaient sur une espèce de récitatif[241]. On en compila même plusieurs collections complètes à l'usage des lecteurs des villes, et l'un de ces recueils portait le titre élégant de Guirlande de Robin Hood[242]. Aujourd'hui ces livres, devenus rares, n'intéressent que les érudits ; et l'histoire des héros de Sherwood, dépouillée de ses ornements poétiques, ne se lit plus que parmi les contes à l'usage des enfants.

Aucune.des, ballades qui nous ont été conservées ne raconte la mort de Robin Hood ; la tradition vulgaire est qu'il périt dans un couvent de femmes, où un jour, se sentant malade, il était allé demander des secours. On devait lui tirer du sang, et la nonne qui savait faire cette opération, ayant reconnu Robin Hood, la pratiqua sur lui de manière à le tuer[243]. Ce récit, qu'on ne peut ni affirmer ni contester, est assez conformé aux mœurs du douzième siècle ; beaucoup de femmes, dans les riches monastères, s'occupaient alors à étudier la médecine, et à composer des remèdes qu'elles offraient gratuitement aux pauvres. De plus, en Angleterre, depuis la conquête, les supérieures des abbayes et la plus grande partie des religieuses étaient : d'extraction normande ; ainsi que le prouvent leurs statuts, rédigés en vieux français[244] : cette circonstance explique peut-être comment le chef de bandits saxons, que les ordonnances royales avaient mis hors la loi, trouva des ennemies dans le couvent où il était allé chercher assistance. Après sa mort, la troupe dont il était le chef et l'âme se dispersa ; et Petit-Jean, son fidèle compagnon, désespérant de se maintenir en Angleterre, et poussé par l'envie de continuer la guerre contre les Normands, se rendit en Irlande, où il prit part aux révoltes des indigènes[245]. Ainsi fut dissoute la dernière troupe de brigands anglais qui ait eu un caractère politique, et qui mérite par là une mention dans l'histoire.

Entre les réfugiés du camp d'Ély et les hommes de Sherwood, entre Hereward et Robin Hood, il y avait eu, surtout dans le nord de l'Angleterre, une succession de chefs de partisans et d'outlaws qui ne furent pas non plus sans renommée, mais dont en sait trop peu de chose pour qu'ils puissent être considérés comme des personnages historiques. Les noms de quelques-uns, tel qu'Adam Bel, Clym of the Clough, ou Clément de la Vallée, et William de Cloudesly, se sont conservés longtemps dans la mémoire du peuple. Les aventures de ces trois hommes, qui ne peuvent être séparés l'un de l'autre, non plus que Robin Hood et Petit-Jean, sont le sujet d'une longue romance composée au quinzième siècle, et divisée en trois parties, ou en trois chants[246]. On peut rien dire de positif sur l'authenticité des faits qui s'y trouvent racontés ; mais elle renferme plusieurs traits originaux et capables de rendre plus frappante pour le lecteur l'idée que le peuple anglais s'était formée du caractère moral de ces hommes, qui, dans des temps de servitude, aimèrent mieux être bandits qu'esclaves.

Adam Bel, Clément de la Vallée et William de Cloudesly étaient, à ce qu'il parait, natifs de la province de Cumberland. S'étant rendus tous les trois coupables du délit de chasse, ils titrent mis hors de la loi normande, et obligés de s'enfuir pour sauver leur vie[247]. Réunis par le même sort, ils se jurèrent fraternité, suivant la coutume du siècle, et s'en allèrent ensemble habiter la forêt d'Inglewood, que la vieille-romance nomme Englishe wood, entre Carlisle et Penrith[248]. Adam et Clément n'étaient point mariés ; mais William avait une femme et des enfants que bientôt il s'ennuya de ne plus voir. Un jour il dit à ses deux compagnons qu'il voulait aller à Carlisle visiter sa femme et ses enfants. Frère, lui répondirent-ils, ce n'est pas notre avis ; car si le justicier te prend, tu es un homme mort[249]. William partit malgré ce conseil, et arriva de nuit dans la ville ; mais, reconnu par une vieille femme à laquelle il avait fait du bien, il fut dénoncé au juge et au sheriff, qui cernèrent sa maison, le prirent, et, joyeux de cette capture, firent dresser sur la place du marché un gibet tout neuf pour l'y pendre[250]. Par bonheur, un petit garçon, le porcher de la ville, qui, en gardant ses cochons dans le bois, y avait vu souvent William et reçu de lui l'aumône et à manger, courut avertir Àdam et Clément du sort de leur frère d'adoption[251]. L'entreprise hasardeuse où tous les deux s'engagèrent pour le sauver est décrite avec beaucoup de mouvement et de vie par le vieux poète populaire, qui peint avec une franchise naïve le dévouement de ces trois hommes l'un à l'autre. De ce jour, dit William, nous vivrons et mourrons ensemble ; et si jamais vous avez de moi le même besoin que j'ai eu de vous, vous me trouverez comme aujourd'hui je vous trouve[252].

Dans le combat qui se termine par cette délivrance inespérée, les trois frères d'armes font à eux seuls un grand carnage des gens de justice et des officiers royaux de Carlisle. Ils tuent le sheriff, le juge et le portier de la ville, jettent plus d'un homme sur le pavé, et font dire hélas ! à plus d'une femme[253]. C'est avec un ton de joie et de plaisanterie que ces meurtres nombreux sont détaillés dans la vieille romance, où l'auteur montre fort peu d'amitié pour les agents  de l'autorité royale. Cependant ses trois héros finissent, comme avait fini la nation elle-même, par se fatiguer de leur résistance et s'accommoder avec l'ennemi. Ils vont à Londres, à l'hôtel du roi, lui demander une charte de paix. Mais, au moment où ils font cet acte de soumission, ils gardent encore leur ancien caractère de fierté et de liberté sauvage ; ils entrent dans le palais sans dire mot à personne, traversent la cour.et s'avancent dans la salle, ne prenant gardé à qui que ce soit, ne disant ni ce qu'ils sont ni ce qu'ils veulent[254].

Si Robin Food est le dernier chef d'outlaws ou de bandits anglo-saxons.qui ait joui d'une véritable célébrité populaire, ce n'est pas une raison pour croire qu'après lui aucun homme de la même race ne se. soit livré au même genre de vie, dans un esprit d'hostilité politique contre le gouvernement exercé par les hommes de race et de langue étrangères. La lutte nationale dut se prolonger encore sous la forme de brigandage, et les idées d'homme libre et d'ennemi de la loi restèrent longtemps associées l'une à l'autre. Mais cela eut une fin ; et à mesure qu'on s'éloigna de l'époque de la conquête, à mesure que la race anglaise, s'accoutumant au joug, s'attacha par habitude à ce qu'elle avait toléré par désespoir, le brigandage perdit graduellement sa sanction patriotique, et redescendit à son rang naturel, à celui d'une profession infamante. Dès lors l'état de bandit dans les forêts de l'Angleterre, sans être moins périlleux, sans exiger moins de courage et d'adresse individuelle, ne produisit plus de héros. Il resta seulement dans l'opinion des classes inférieures une grande complaisance pour les infractions aux lois contre la chasse, et une sympathie marquée pour ceux qui, soit par besoin, soit par fierté, bravaient ces lois de la conquête. La vie du braconnier aventureux, et en général le séjour des forêts, sont célébrés avec amour dans une foule de chansons et de poésies assez récentes ; toutes vantent l'indépendance dont on jouit sous le bois verdoyant, où l'on n'a d'ennemis que l'hiver et l'orage, où l'on est gai tant que le jour dure, et léger d'humeur comme la feuille sur l'arbre[255].

Le roi Richard, de retour i. Londres, se vit couronner pour la seconde fois, avec des cérémonies que nous avons vues exactement reproduites de nos jours[256]. Après les fêtes de ce second couronnement, il annula d'un seul coup toutes les ventes de domaines qu'il avait librement faites avant de partir pour la croisade, prétendant que c'étaient de simples prêts qu'on était tenu de lui restituer[257]. Les acquéreurs de bonne foi eurent beau présenter leurs actes scellés du grand sceau de la couronne, tout fut inutile. Le roi, donnant des formes douces à cette expropriation forcée, leur disait : Quel prétexte avez-vous de retenir en vos mains ce qui est à nous ? Ne vous êtes-vous pas remboursés complètement de vos avances par le revenu de nos domaines ? S'il en a été ainsi, vous savez que c'est péché d'exercer l'usure envers le roi, et que nous avons une bulle du pape qui vous défend cela sous peine d'excommunication. Que si, après le compte de ce.que vous avez payé et de ce que vous avez reçu, il vous revient justement quelque chose, nous y suppléerons de notre trésor pour vous ôter tout sujet de plainte[258].

Personne n'eut le courage de présenter un compte, et tout fut rendu au roi sans dédommagement[259]. Il rentra ainsi en possession des châteaux, bourgs, gouvernements et domaines avait qu'il aliénés ; et tel fut le premier bienfait que la race normande d'Angleterre éprouva du retour de son chef, sans lequel les courtisans assuraient qu'elle ne pouvait plus vivre, non plus que le corps sans tête. Quant à la race anglaise, après avoir été écrasée d'impôts pour la délivrance du roi, elle le fut pour celle des otages que Richard avait laissés en Allemagne, et pour les frais de la guerre qu'il fallut soutenir alors contre le roi de France[260].

Ce n'était pas seulement en Normandie que Philippe menaçait d'anéantir la puissance de son rival ; il s'était ligué encore une fois avec les barons du nord de l'Aquitaine ; il leur avait promis secours et maintien, et eux, encouragés plutôt par ses promesses que par son assistance effective, avaient de nouveau tenté d'établir leur indépendance contre le pouvoir anglo-normand[261]. C'était la passion de la nationalité et le désir de n'être sujets d'aucun des rois voisins, d'aucun homme qui ne fût pas de leur race et de leur langue, qui leur avait fait conclure cette alliance avec le roi Philippe ; mais lui, s'inquiétant peu de leurs sentiments patriotiques, avait sur eux des vues toutes différentes. Il aspirait à étendre son autorité sur les provinces gauloises du Midi, de façon à devenir roi de toute la Gaule, au lieu d'être simplement roi de France. Suivant l'exemple de la chancellerie germanique, qui attribuait à chaque empereur vivant la possession réelle de tous les territoires que ses prédécesseurs avaient régis et perdus ensuite, le roi de France et son conseil reculaient en idée les bornes de leur domination légitime jusqu'aux Pyrénées, où l'on croyait que Charlemagne avait élevé une croix pour servir de limite perpétuelle entre la France et l'Espagne[262]. C'est jusque-là, disait un poète du temps qui voulait flatter le roi Philippe, c'est jusque-là que tu dois dresser tes tentes et agrandir tes États, afin de posséder sans réserve les domaines de tes aïeux, afin que l'étranger n'occupe plus rien au dedans de nos frontières, et cilié le dragon blanc avec sa race venimeuse soit extirpé de nos jardins, comme le prophète breton te l'a promis[263].

Ainsi les prédictions patriotiques faites Par les vieux bardes cambriens, poux relever le courage de leur nation envahie par les Anglo-saxons, passaient, après plus de cinq cents ans, pour des prophéties en faveur des Français contre les Normands[264]. Voilà sans doute un trait assez frappant des bizarreries humaines ; mais un autre qui ne l'est pas moins, c'est que les mêmes provinces que le roi de France 'prétendait lui appartenir comme héritage de Charlemagne, l'Empereur les revendiquait aussi en vertu des droits du même prince, qui jouissait du singulier privilège d'être regardé à la fois comme Français et comme Allemand. La cession de terres récemment faite par le César d'Allemagne au roi Richard était fondée sur cette prétention. Outre la Provence tout entière et une partie de la Bourgogne, la libéralité impériale, au dire des anciens historiens, lui avait encore octroyé sur le comté de Toulouse un droit de suzeraineté perpétuelle, que le roi de France s'attribuait en même temps. Mais, en réalité, les comtes de Toulouse jouissaient de l'indépendance politique et, suivant les formules du siècle, étaient libres de leur hommage[265].

Au moment d'entrer en campagne contre le roi de France, Richard crut nécessaire d'agir sur l'opinion publique en se disculpant d'une manière éclatante du reproche de meurtre sur le marquis de Montferrat. Il produisit une prétendue lettre autographe du Vieux de la Montagne, écrite en caractères hébraïques, grecs et latins, et contenant les passages suivants[266] :

A Léopold, duc d'Autriche, et à tous les princes et peuples de la foi chrétienne, salut. Attendu que plusieurs rois, dans les pays d'outre-mer, imputent à Richard, roi et seigneur d'Angleterre, la mort du marquis, je jure, par le Dieu qui règne éternellement et la loi que nous observons, que le roi Ricard n'a eu aucune participation à ce meurtre... Sachez que nous avons fait les présentes en notre maison et château de Messiac, à la mi-septembre, et les, avons scellées de notre sceau, l'an 1505 depuis Alexandre[267].

Cette bizarre dépêche fut publiée officiellement par Guillaume de Longchamp, redevenu chancelier d'Angleterre, et  envoyée aux princes étrangers et aux moines qui étaient connus pour s'occuper de rédiger la chronique du temps[268]. Sa fausseté manifeste ne fut point remarquée dans un siècle où la critique historique et la connaissance des mœurs orientales étaient peu répandues en Europe. Elle affaiblit même, à ce qu'il semble, l'effet moral des imputations du roi de France parmi ses propres vassaux, et encouragea ceux du roi d'Angleterre à mieux combattre pour une cause qu'ils croyaient être la bonne ; car il y avait alors beaucoup de superstitions sur ce point. Dès que les deux rois se trouvèrent en présence en Normandie, l'armée de France, qui jusqu'alors avait toujours marcha en avant, commença à faire retraite[269]. Le comte Jean perdit tout courage aussitôt qu'il vit les chances de la guerre devenir incertaines, et il résolut de trahir ses alliés pour rentrer en grâce auprès de son frère. Cette trahison fut accompagnée de circonstances atroces, du massacre d'un grand nombre de chevaliers français que le comte avait invités à une fête[270]. Mais, malgré toutes ses grandes démonstrations de repentir et d'amitié, Richard, qui se souvenait d'en avoir fait plus d'une fois de semblables à leur père Henri II, ne lui accorda aucune confiance, et, selon les paroles des historiens du temps, ne lui donna ni terres, ni villes, ni châteaux[271].

Le roi Philippe, successivement repoussé de toutes les villes de Normandie qu'il avait occupées, fut bientôt forcé de conclure une trêve, qui permit à Richard de porter ses forces vers le sud, contre les insurgés de l'Aquitaine[272]. A leur tête se trouvaient le vicomte de Limoges et le comte de Périgord, que le roi Richard fit sommer de lui rendre leurs châteaux. Nous tenons tes menaces pour néant, répondirent-ils, tu es revenu beaucoup trop orgueilleux, et nous voulons te rendre, malgré toi, humble, courtois et franc, et te châtier en guerroyant contre toi[273]. Pour que cette réplique ne fût pas une pure vanterie, il fallait.que la paix se rompît de nouveau entre les deux rois ; car les insurgés n'étaient nullement capables de résister.aux forces de Richard, tant que Philippe n'en occupait pas au moins une partie. Ce fut le fameux Bertrand de Born qui, poursuivant toujours son plan de conduite politique, s'employa à rallumer la guerre entre les deux ennemis de son pays. Par ses intrigues secrètes et ses vers satiriques, il détermina le roi de France à violer la trêve qu'il venait de jurer ; et cette fois le champ de bataille fut la Saintonge, au lieu de la Normandie. La première rencontre des deux rois à la tête de leurs hommes d'armes eut lieu près de Mirambeau. Ils ne se trouvaient plus séparés Fun de l'autre que par une petite rivière, sur chaque bord de laquelle ils avaient placé leur camp[274]. Le roi de France avait avec lui des Français, des Bourguignons, des Champenois, des Flamands et des Berrichons ; et le roi d'Angleterre, des Normands, des Anglais, des Angevins, des Tourangeaux, des Manceaux et des Saintongeois[275].

Pendant que les deux troupes ennemies étaient ainsi en présence, plusieurs fois on s'arma de part et d'autre pour en venir aux mains ; mais toujours des archevêques, évêques, abbés et simples religieux, qui s'étaient réunis pour travailler au rétablissement de la paix, allaient d'un camp à l'autre supplier les rois de différer le combat, et leur proposer des arrangements capables de terminer la guerre[276]. Le roi Philippe se montrait le plus difficile 4. persuader, et le plus exigeant dans ses demandes ; il voulait se battre, à moins que Richard ne lui fit serment de vasselage pour la Normandie, la Guienne et le Poitou. Ce fut son dernier mot et dès qu'il l'eut prononcé, Richard monta à cheval, mit le heaume en tête, fit avancer ses gens, sonner les trompettes et déployer sa bannière pour passer l'eau[277]. Or, toute cette confiance lui venait, dit un vieux récit en langue provençale, de ce que les Champenois lui avaient promis secrètement de ne point venir à l'encontre des siens, à cause de la grande quantité d'esterlings qu'il avait semés parmi eux[278].

De leur côté, le roi Philippe et tous ses gens montèrent à cheval et prirent leurs armes, à l'exception des Champenois, qui ne mirent point le heaume en tête[279]. C'était le signe de leur défection, et le roi de France, qui ne s'y attendait pas, en fut effrayé. Cet effroi changea toutes ses dispositions ; et, faisant mander aussitôt les évêques et les gens de religion qui l'avaient auparavant sollicité en vain, il les pria d'aller auprès de Richard lui dire qu'il le déclarerait quitte de tout vasselage, s'il voulait conclure la paix[280]. Le roi d'Angleterre était déjà en pleine marche, quand les prélats et les moines vinrent à sa rencontre, portant des croix entre leurs bras, pleurant, et le conjurant d'avoir pitié de tant de braves gens qui, des deux côtés, devaient périr s'il y avait bataille[281]. Ils promirent de lui faire tout accorder par le roi de France, et d'obtenir que ce dernier se retirât immédiatement sur son propre territoire. La paix fut faite ; les deux rois se jurèrent une trêve de dix ans et donnèrent congé à leurs troupes, ne voulant plus s'occuper d'armes, dit le vieux récit, mais seulement de chassé, de jeux, et de faire tort à leurs hommes[282].

Le tort que le roi Philippe pouvait faire à ses Français était peu de chose en comparaison de celui que Richard fit alors. aux Aquitains, et surtout à ceux qui s'étaient révoltés contre lui. Cette paix les affligea beaucoup, dit le même narrateur, et surtout Bertrand de Born, qui en fut plus chagrin qu'aucun autre : car il ne se plaisait en rien plus qu'en guerre, et surtout en la guerre des deux rois[283]. Il eut de nouveau recours à ses moyens ordinaires, à des satires mordantes contre le plus irritable des deux rivaux. Il fit circuler des pièces de vers où il disait que les Français et les Bourguignons avaient échangé honneur contre bassesse, et que le roi Philippe voulait bien la guerre avant de s'être armé, mais que, sitôt qu'il avait pris ses armes, il perdait tout courage[284]. De leur côté, les autres barons du Poitou et du Limousin, les mêmes qui avaient fait avec si peu de fruit la guerre au roi Richard, l'excitaient à rentrer en campagne contre le roi de France, promettant tous de l'aider. Richard les crut, et, recommençant brusquement les hostilités, il se mit à ravager les provinces de France qui avoisinaient les siennes[285].

Le roi Philippe, qui aurait peut-être commencé le premier la guerre s'il avait été le premier prêt, se plaignit de cette violation de la trêve jurée, et s'adressa aux évêques sous les auspices et la, garantie desquels elle avait été conclue. Ces derniers s'entremirent de nouveau, et obtinrent du roi d'Angleterre qu'il y aurait une conférence diplomatique. sur les frontières du Berri et de la Touraine. Mais, les deux rois, ne pouvant s'accorder sur rien, se prirent de mauvaises paroles, et celui d'Angleterre donna à l'autre un démenti en face et l'appela vil renégat[286]. Ce dont Bertrand de Born fut fort joyeux, dit son ancien biographe, et fit un sirventes dans lequel il pique fort le roi de France de commencer la guerre à feu et à sang, et lui reproché d'aimer la paix plus qu'un moine[287]. Mais pour choses que dit Bertrand de Born en sirventes et en couplets au roi Philippe, lui rappelant les torts et le honniment qui lui étaient faits, il ne voulut guerroyer contre le roi Richard ; mais Richard saillit en guerre contre lui, pilla, prit et brûla ses bourgs et ses villes : ce dont tous les barons, à qui déplaisait la paix, furent fort joyeux, et Bertrand de Born fit un autre sirvente pour affermir le roi Richard dans son propos[288].

Cette destinée de l'Aquitaine d'être sans cesse ballottée entre deux puissances étrangères également ennemies de son indépendance, et cependant tour à tour ses alliées, au gré de l'hostilité qui les divisait ; cette destinée, qui plus tard fut celle de l'Italie, pesait alors sur tout le midi de la Gaule, y compris le pays montagneux qu'on nommait Alvernhe dans la langue romane du sud, et Auvergne dans celle du nord. Ce pays, après avoir énergiquement résisté à l'invasion des Franks[289], vaincu par eux, comme le reste des terres gauloises, s'était trouvé momentanément englobé dans leur conquête ; puis il avait recouvré sa franchise nationale sous les rois fainéants, successeurs de Chlodowig ; puis dévasté et repris de nouveau par les fils de Karl-Martel, il était devenu une province du vaste empire qu'ils fondèrent. Enfin, le démembrement et la ruine totale de cet empire l'avaient affranchi une seconde fois ; de sorte qu'au douzième siècle le peuple d'Auvergne était gouverné, aussi librement que le comportait la civilisation de l'époque, par des seigneurs de sa race et de son langage, qui prenaient le titre de comtes, et qu'on appelait aussi dauphins, parce qu'ils portaient dans leurs armoiries la figure de ce poisson.

Le dauphin d'Auvergne reconnaissait pour suzerains les ducs d'Aquitaine, peut-être par un reste de souvenir du gouvernement des Romains, et de la subordination des magistrats locaux de rem-pire aux magistrats provinciaux[290]. Comme chic d'Aquitaine, le roi d'Angleterre avait reçu son serment de vasselage, suivant l'ancienne coutume, et le dauphin ne montrait aucune répugnance à rendre ce devoir de soumission purement nominale. Mais il arriva qu'après avoir, sans beaucoup de fruit, ravagé les domaines du roi de France, Richard, lassé de la guerre, et voulant faire une trêve plus durable que la précédente, proposa à son rival d'échanger avec lui la suzeraineté de l'Auvergne contre d'autres avantages politiques[291]. Cette proposition fut acceptée, et le roi d'Angleterre s'engagea envers l'autre roi à garantir la cession qu'il lui faisait, c'est-à-dire à lui prêter main-forte contre le mécontentement des hommes du pays. Ce mécontentement ne tarda pas à se faire sentir ; car les Auvergnats ne voulaient point du roi de France pour suzerain, d'abord parce qu'ils n'avaient jamais eu de pareilles relations avec lui ; ensuite, dit un ancien récit, parce qu'il était avare, de mauvaise seigneurie, et leur trop proche voisin[292]. Dès qu'il eut envoyé ses officiers recevoir l'hommage du comte d'Auvergne, qui n'osa le refuser d'abord, son premier soin fut d'acheter dans le pays un des plus forts châteaux pour y mettre garnison ; et peu après, sous de légers prétextes, il enleva au comte la ville d'Issoire, préparant ainsi les voies pour la conquête de tout le pays, conquête qu'il espérait achever sans guerre[293].

Richard s'aperçut des projets du roi de France ; mais il ne fit rien pour les arrêter, prévoyant que l'Auvergne se 'lasserait un jour, et comptant sur la haine nationale que le nouveau seigneur accumulait, non-seulement pour y reprendre la seigneurie, mais pour en tirer des secours dans la première guerre qu'il entreprendrait contre son rival d'ambition. En effet, dès qu'il jugea à propos de rompre la trêve, il envoya dire au dauphin : Je sais les grands torts que vous fait le roi de France, à vous et à vos terres ; et, si vous voulez, en vous révoltant, me prêter secours, je vous soutiendrai, et vous donnerai des chevaliers, des arbalétriers et de l'argent à souhait[294]. Le comte d'Auvergne, croyant à ces promesses, proclama dans son pays le ban de l'insurrection nationale, et commença la guerre contre le roi Philippe[295]. Mais dès que Richard vit la lutte engagée, il fit aux Auvergnats ce que Louis, père de Philippe, avait fait aux Poitevins, il prit de nouveau trêve avec le roi de France, et passa en Angleterre, sans s'inquiéter nullement de ce qui adviendrait du dauphin et du pays d'Auvergne. L'armée de France entra dans ce pays, et, comme s'exprime l'ancienne chronique, mit tout à feu et à flamme, s'emparant des villes fortes et des meilleurs châteaux[296]. Incapable de résister seul à un ennemi si puissant, le dauphin conclut une suspension d'armes, durant laquelle il envoya son cousin, le comte Gui, et dix de ses Chevaliers en Angleterre, afin de rappeler au roi Richard les promesses qu'il avait faites. Richard accueillit mal le comte et ses compagnons, et les laissa repartir sans leur avoir donné ni hommes, ni armes, ni argent[297].

Honteux et tristes de s'être laissé tromper, et contraints de céder à leur mauvais sort, les Auvergnats firent la paix avec le roi de France, en avouant sa suzeraineté sur eux, et lui prêtant de nouveau le serment d'hommage[298]. Peu de temps après expira la trêve des deux rois ; et Philippe recommença aussitôt la guerre à feu et à sang contre les habitants des terres de son rival[299]. A cette nouvelle, Richard passa la mer, et dès qu'il fut descendu en Normandie, il envoya un message au dauphin d'Auvergne et au comte Gui, pour leur dire que, puisque la trêve était rompue entre lui et le roi de France, ils devaient, comme de loyaux amis, venir à son aide et guerroyer pour lui[300]. Mais ils Ife Se laissèrent point tromper une seconde fois, et restèrent en paix avec le roi Philippe. Alors Richard, pour se venger, composa, en langue provençale, des couplets satiriques, où il disait qu'après lui avoir juré féauté, le dauphin l'abandonnait dans le péril[301]. Le dauphin ne resta pas en arrière, et répondit aux vers du  roi par d'autres où se trouvait plus de franchise et de dignité. Roi, disait-il, puisque vous chantez de moi, vous avez trouvé un chanteur... Si jamais je vous fis quelque serment, ce fut folie de ma part. Je ne suis point roi couronné, ni homme de si grande richesse que vous ; mais, grâce à Dieu, je puis tenir ferme avec les miens entre le Puy et Aubusson, et je ne suis ni serf ni juif[302].

Ce dernier trait épigrammatique semble faire allusion au massacre et à la spoliation des juifs qui avaient eu lieu en Angleterre au commencement du règne de Richard[303], et peut-être aussi à la misérable situation des indigènes de ce pays. Quelque imparfait que fût l'état de la société au douzième siècle, dans les provinces méridionales de la Gaule, il y avait une énorme distance entre ce régime et celui de l'Angleterre gouvernée par des étrangers. La différence des langues s'ajoutant à celle des conditions, du noble d'autant plus grand qu'il avait moins de moyens d'entrer en relation morale avec Ses inférieurs, cette insolence normande qui, selon d'anciens vers, croissait avec les années[304], et l'inimitié de race encore vive dans le cœur des Anglais, tout cela donnait au pays un aspect à peu près ;semblable à celui :de la Grèce sons la domination des Turks. On voyait des-familles saxonnes qui, par un vœu perpétuel, s'étaient obligées, de père en fils, à porter leur barbe longue, comme un souvenir de l'ancienne patrie et un signe de dédain pour les usages introduits par la conquête[305]. Mais ces familles ne pouvaient rien ; et les fils des vainqueurs, ne les craignant pas, leur permettaient d'étaler en paix la marque de leur descendance et l'inutile orgueil d'un temps qui né pouvait plus revenir.

En l'année 1196, lorsque le roi Richard était occupé à guerroyer contre le roi de France et que ses officiers levaient de l'argent pour les frais de ses campagnes et pour le payement du reste de sa rançon, la ville de Londres fut requise de payer un taillage extraordinaire[306]. Le chancelier du roi en adressa la demande aux chefs de la bourgeoisie, que, par une bizarre association des deux langues parlées en Angleterre, on appelait maire et alderman[307]. Ceux-ci convoquèrent dans la salle de conseil, ou le husting, comme on disait en langue saxonne, les principaux citoyens de la ville, pour délibérer, non sur le vote de l'impôt, mais simplement sur sa répartition entre les contribuables[308]. Dans cette assemblée, composée en majorité d'Anglais indigènes, se trouvait un certain nombre d'hommes de race normande, angevine ou française, dont les ancêtres, venus en Angleterre au temps de la conquête, s'étaient livrés au commerce ou avaient exercé quelque métier. Soit à cause de leur descendance étrangère, soit à cause de leurs richesses, les bourgeois de cette classe formaient à Londres une sorte de parti dominant ; ils maîtrisaient les délibérations du conseil, et, le plus souvent, réduisaient au silence les Anglais, que l'habitude d'être opprimés rendait timides et circonspects.

Mais il y avait alors dans la classe des indigènes un homme d'un caractère bien différent, vieux patriote saxon, qui laissait croître sa barbe, pour ne pas ressembler aux fils des étrangers[309]. Il se nommait Guillaume ou William suivant la prononciation anglaise, et jouissait dans la ville d'une grande considération, à cause de son zèle à défendre par toutes les voies légales ceux de ses concitoyens qui avaient à souffrir de quelque injustice[310]. Né de parents à qui le travail et l'économie avaient procuré une assez grande aisance, if s'était retiré des affaires et employait tout son temps à l'étude de la jurisprudence[311]. Nul clerc normand ne le surpassait dans l'art de plaider en langue française devant les cours de justice, et lorsqu'il parlait anglais, son éloquence était vive et populaire. Il consacrait sa science des lois et son talent pour la parole à tirer les bourgeois pauvres des embarras que leur suscitait la chicane, et à les protéger contre les vexations des riches, dont la plus fréquente était l'inégale répartition des tailles[312]. Tantôt le maire et les aldermen exemptaient de toute contribution ceux qui étaient le plus en état de payer, tantôt ils établissaient que chaque bourgeois payerait la même somme, sans égard à la différence des fortunes, de façon que toujours la plus lourde charge retombait sur les pauvres gens[313]. Ils s'en étaient souvent plaints, et William avait plaidé leur cause avec plus d'ardeur que de succès[314]. Ses efforts l'avaient rendu cher aux bourgeois de petite et de médiocre fortune, qui lui donnaient le surnom de défenseur ou d'avocat des pauvres[315] ; quant aux Normands et à ceux de leur parti, ils le surnommaient ironiquement l'homme à la barbe, et l'accusaient de séduire la multitude en lui inspirant une envie désordonnée de liberté et de bonheur[316].

Ce singulier personnage, dernier représentant de l'hostilité des cieux races que la conquête avait réunies sur le même sol, parut au conseil municipal de 1196, tel qu'il s'était montré jusque-là Suivant leur coutumes les chefs de la bourgeoisie de Londres opinèrent pour une distribution des charges communes, faite de telle manière que la plus petite partie seulement devait peser sur eux ; William à la longue barbe leur tint tâte seul ou presque seul[317] ; mais, la dispute s'échauffant, ils l'accablèrent d'injures et l'accusèrent de rébellion et de trahison envers le roi. Les traîtres au roi, répliqua l'Anglais, sont ceux qui fraudent son échiquier en s'exemptant de payer ce qu'ils lui doivent, et moi-même je les lui dénoncerai[318]. En effet, il passa la mer, alla au camp du roi Richard, et, s'agenouillant devant lui et levant la main droite, il lui demanda paix et protection pour le pauvre peuple de Londres[319]. Richard accueillit sa plainte, dit qu'il y serait fait droit, et quand le pétitionnaire fut parti il n'y songea plus, trop occupé de ses grandes affaires politiques pour descendre au détail d'une querelle entre de simples bourgeois[320].

Mais les barons et les prélats normands qui occupaient les hauts emplois de la chancellerie et de l'échiquier s'en mêlèrent, et, par instinct de nationalité et d'aristocratie, prirent vivement parti contre les pauvres et contre leur avocat. Hubert Gaultier, archevêque de Canterbury et grand justicier d'Angleterre, irrité de ce qu'un Saxon eût osé se rendre auprès du roi pour lui porter une dénonciation contre des gens de race normande, et de crainte qu'un pareil scandale ne se renouvela, défendit, par une ordonnance, à tout homme du peuple de Londres, de sortir de la ville sons peine d'être emprisonné comme traître au roi et au royaume[321]. Plusieurs marchands, qui, malgré les ordres du grand justicier, se rendirent à la foire de Stanford, furent arrêtés et traînés en prison[322]. Ces actes de violence causèrent une grande fermentation dans la ville, et les plus pauvres d'entre les citoyens, par un instinct naturel aux hommes de tous les temps, formèrent une association pour leur défense mutuelle. William à la longue barbe était l'âme et le chef de cette société secrète, dans laquelle s'engagèrent, disent plusieurs historiens du temps, plus de cinquante mille personnes[323]. On rassembla des armes telles que des bourgeois demi-serfs pouvaient s'en procurer au moyen âge des bâtons ferrés, des haches et des ; leviers de fer pour attaquer, si l'on en venait aux mains, les maisons fortes des Normands[324].

Entrainés par un besoin naturel de se communiquer leurs sentiments et de s'encourager les uns les autres ; les pauvres de Londres se réunirent plusieurs fois et tinrent des espèces de conciliabules eu de clubs en plein air, sur les places et dans les marchés[325]. Dans ces assemblées tumultueuses, William portait la parole et recueillait des applaudissements dont il s'enivra trop peut-être, et qui lui firent négliger le Moment d'agir et de frapper un grand coup dans l'intérêt de ceux qu'il voulait rendre redoutables à leurs oppresseurs[326]. Un fragment d'une de ses harangues est rapporté par un chroniqueur contemporain, qui assure l'avoir recueilli de la bouche d'une personne présente[327]. Ce discours, quoiqu'il eût un but tout politique, roulait, comme les sermons de nos jours, sur un texte des Écritures, et ce texte était : Vous puiserez de l'eau avec joie aux sources du Sauveur[328]. William faisait à lui-même l'application de ces paroles : C'est moi, disait-il, qui suis le sauveur des pauvres ; vous, pauvres, qui avez éprouvé combien est dure la main des riches, puisez maintenant à ma source l'eau d'une doctrine salutaire ; et puisez-y avec joie, parce que l'heure de votre soulagement est venue. Je séparerai les eaux des eaux, c'est-à-dire les. hommes des hommes ; je séparerai le peuple humble et sincère du peuple orgueilleux et sans foi ; je séparerai les élus des réprouvés, comme la lumière des ténèbres[329]. Sous ces propos vagues et mystiques, l'imagination des auditeurs plaçait sans doute des sentiments et des désirs d'une nature plus précise ; mais il eût fallu mettre à profit l'enthousiasme populaire ; et l'avocat des pauvres se laissa devancer par les hauts fonctionnaires normands, qui, réunissant à Londres, en parlement, les évêques, les comtes et les barons des provinces voisines, citèrent l'orateur du peuple à comparaître devant cette assemblée[330].

William se rendit à la sommation, escorté d'une grande multitude qui le suivait en l'appelant sauveur et roi des pauvres[331]. Ce signe non équivoque d'une immense popularité intimida les barons du parlement ; usant d'adresse, ils ajournèrent l'accusation à une prochaine séance qui n'eut point lieu, et s'occupèrent dès lors à travailler l'esprit du peuple au moyen d'émissaires adroits[332]. De faussés promesses messes et de fausses alarmes, répandues tour à tour et à propos, calmèrent l'effervescence publique, et découragèrent les partisans de l'insurrection. L'archevêque de Canterbury et les autres justiciers convoquèrent eux-mêmes plusieurs assemblées des petits bourgeois de Londres, et leur parlant tantôt du besoin de conserver l'ordre et la paix, tantôt de la puissance qu'avait le roi pour écraser les séditieux, ils réussirent à semer le doute et l'hésitation parmi les conjurés[333]. Saisissant cet instant de mollesse et d'incertitude, toujours fatal aux partis populaires, ils exigèrent, comme otages et garants de la tranquillité publique, les enfants d'un grand nombre de familles de la moyenne et de la dernière classe[334]. Les bourgeois n'eurent pas assez de résolution pour résister à cette demande ; et la cause du pouvoir fut gagnée, dès que les otages, conduits hors de Londres, furent emprisonnés dans différentes forteresses[335].

Malgré la puissance que leur donnait l'inquiétude qui régnait à Londres Sur le sort des otages, les justiciers. n'osèrent pas encore faire arrêter publiquement l'homme pour la perte duquel tant de précautions avaient été prises. Ils résolurent d'épier le moment où William se trouverait, hors de chez lui, seul ou accompagné de peu de monde ; deux riches bourgeois, probablement de race normande, et dont l'un s'appelait Geoffroy, se chargèrent par zèle de cet espionnage[336]. Suivis de gens armés, ils observèrent durant plusieurs jours toutes les démarches de l'homme à la longue barbe ; et une fois qu'il se promenait tranquillement avec neuf de ses amis, les deux bourgeois l'abordèrent d'un air indifférent ; puis tout à coup celui qui se nommait Geoffroy porta la main sur lui en donnant le signal aux hommes d'armes apostés près de là[337]. William n'avait pour toute défense qu'un de ces longs couteaux que, selon la mode du temps, on portait à la ceinture ; il le tira, et d'un seul coup fit tomber Geoffroy mort à ses pieds. Au même instant arrivèrent les soldats, vêtus, de la tête aux pieds, de mailles à l'épreuve du poignard ; mais William et ses neuf compagnons, à force de courage et d'adresse, firent si bien, qu'ils leur échappèrent, et entrèrent en fuyant dans l'église la plus voisine, dédiée à la Vierge, et que les Normands appelaient Sainte-Marie de l'Arche[338]. Ils en fermèrent les portes et s'y barricadèrent. Les gens armés qui les poursuivaient essayèrent de forcer l'entrée, mais ne purent y parvenir ; et le grand justicier, apprenant cette nouvelle, envoya des courriers vers les châteaux voisins pour faire arriver, en grande hâte, de nouvelles troupes, ne se fiant pas, dans ce moment critique, à la seule garnison de la Tour de Londres[339].

Le bruit de ces événements causa dans la ville une grande fermentation : le peuple était sensible au péril de l'homme qui avait si généreusement pris sa défense[340] ; mais il montrait en général plus de tristesse que de colère. La vue des soldats qui entraient en bon ordre pour occuper les rues et les places, et surtout la conviction qu'au premier soulèvement les otages seraient mis à mort, retinrent les bourgeois dans leurs ateliers et leurs boutiques[341]. Ce fut vainement que les réfugiés attendirent du secours, et que quelques hommes déterminés exhortèrent leurs concitoyens à marcher en armes vers l'église de Sainte-Marie ; la masse resta inerte et comme frappée de stupeur[342].

Pendant ce temps, William et ses amis se préparaient de leur mieux à soutenir un siège dans le clocher, où ils s'étaient retirés ; sommés plusieurs fois de sortir, ils refusèrent toujours ; et l'archevêque de Canterbury, pour les chasser plus promptement de leur poste, fit amasser une grande quantité de bois et mettre le feu à l'église[343]. La chaleur et la fumée, qui remplirent bientôt la tour, obligèrent les assiégés de descendre à demi suffoqués[344]. Ils furent tous pris, et, pendant qu'on les emmenait garrottés, le fils de ce Geoffroy, que William avait tué dans sa fuite, vint à lui, et d'un coup de couteau lui fendit le ventre[345]. Tout blessé qu'il était, on le lia à la queue d'un cheval, et on le traîna ainsi par les rues jusqu'à la Tour de Londres, où il comparut devant l'archevêque, et, sans information ni débat, reçut sa sentence de mort. Le même cheval le traîna de la même manière au lieu du supplice[346]. Il fut pendu avec ses neuf compagnons ; et c'est ainsi, dit un vieil historien, que périt William Longue-Barbe, pour avoir embrassé la défense des pauvres et de la vérité : si la cause fait le martyr, nul mieux que lui, et à plus juste titre, ne peut être appelé martyr[347].

Cette opinion ne fut pas celle d'un seul homme, mais de tout le peuple de Londres, qui, n'ayant pas eu l'énergie de sauver son défenseur, le pleura du moins après sa mort, et traita d'assassins les juges qui l'avaient fait mourir[348]. Le gibet auquel il avait été suspendu fut enlevé de nuit comme une relique, et ceux qui ne purent se procurer quelques parcelles du bois grattèrent la terre qui en avait touché le pied[349]. Tant de gens vinrent chercher de cette terre qu'en peu de temps il se forma une fosse profonde au lieu de l'exécution[350]. On s'y rendait, non-seulement du voisinage, mais de tous les coins de l'Angleterre, et aucun Anglais de race ne manquait à cette espèce de pèlerinage patriotique quand il venait à Londres pour ses affaires ou son négoce[351].

Bientôt l'imagination populaire attribua le don des miracles à ce nouveau martyr de la résistance à la domination étrangère ; ses miracles furent prêchés, comme autrefois ceux de Waltheof, par un prêtre d'origine saxonne[352] ; mais le nouveau prédicateur eut le même sort que l'ancien ; et il ne fut pas moins dangereux alors de croire à la sainteté de l'homme à la longue barbe, que cent vingt années auparavant à celle du dernier chef anglo-saxon[353]. Le grand justicier Hubert envoya des soldats qui dispersèrent à coups de lance la foule qui s'assemblait pour lui faire affront, comme a disait lui-même, en rendant de pareils honneurs à la mémoire d'un supplicié[354]. Mais les Anglais ne se rebutèrent pas ; chassés le jour, ils revenaient la nuit, soit pour voir, soit pour prier ; on plaça en embuscade des gens armés qui en saisirent un grand nombre, tant hommes que femmes, qu'on fouetta publiquement et qu'on enferma dans des forteresses[355]. A la fin une garde permanente fut établie sur le lied même que. le peuple s'obstinait à regarder comme consacré, et elle en interdit l'approche aux curieux et aux passants[356]. Cette mesure eut seule le pouvoir de décourager l'enthousiasme populaire, qui tomba et s'amortit par degrés[357].

Ici doit se terminer le récit de la lutte nationale qui suivit la conquête de l'Angleterre par les Normands ; car l'exécution de William Longue-Barbe est le dernier fait que les auteurs originaux rattachent positivement à la conquête. Qu'il soit arrivé dans la suite d'autres événements empreints du même caractère, et que William n'ait pas été le dernier des Saxons, c'est ce qui est indubitable ; mais l'inexactitude des chroniqueurs, bu la perte des anciens documents, nous laisse sans preuves à cet égard et nous réduit tout d'un coup aux inductions et aux conjectures. La tâche du narrateur consciencieux finit donc à ce point ; et il ne lui reste plus qu'il présenter sommairement le tableau de la destinée ultérieure des personnages qu'il abandonne, afin que le lecteur ne reste pas en suspens.

Et par ce mot, personnages, ce n'est ni Richard, roi d'Angleterre, ni Philippe, roi de France, ni Jean, comte de Mortain, qu'il faut entendre ; mais les grandes masses d'hommes et les populations diverses qui ont ou simultanément ou successivement figuré dans les pages précédentes. Car l'objet essentiel de cette histoire est d'envisager la destinée des peuples, et non celle de certains hommes célèbres, de raconter les aventures de la vie sociale, et non celles de la vie individuelle. La sympathie humaine peut s'attacher à des populations tout entières, comme à des êtres doués de sentiment, dont l'existence, plus longue que la nôtre, est remplie des mêmes alternatives de peine et de joie, d'espérance et d'abattement. Considérée sous ce point de vue, l'histoire du passé prend quelque chose de l'intérêt qui s'attache au temps présent ; car les êtres collectifs dont elle nous entretient n'ont point cessé de vivre et de sentir ; ce sont les mêmes qui souffrent ou espèrent encore sous nos yeux. Voilà son plus grand attrait ; voilà ce qui adoucit des études sévères et arides, ce qui, en un mot, donnerait quelque prix à cet ouvrage, si l'auteur avait réussi à rendre les émotions qu'il éprouvait en recueillant dans de vieux livres des noms devenus obscurs et des infortunes oubliées.

 

 

 



[1] Voyez plus haut, livre X.

[2] Girald. Cambrens., Hibernia expugnata, apud. Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 787.

[3] Campion's History of Ireland, p. 62 et 61. — Hanmer's Chronicle of Ireland, p. 162. Ces deux ouvrages, dépourvus de critique dans la partie qui traite des antiquités irlandaises, sont parfaitement exacts pour ce qui regarde la conquête de l'Irlande par les Anglo-Normands ; ils offrent un extrait fidèle et presque toujours littéral des documents originaux.

[4] Girald. Cambrens., apud Camden, Hibernica, etc., p. 799. — Campion's History of Ireland, p. 66. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 165.

[5] The Pale, en anglais moderne.

[6] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 136 et passim. — Campion's History of Ireland, p. 65. — Harris's Hibernica, part. II, p. 212. Dublin, 1770.

[7] Chron. Walter Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 502, ed. Gale.

[8] Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 742.

[9] Girald. Cambrens., Topographia Hiberniæ, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 792 et seq. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 140.

[10] Girald. Cambrens, p. 794. — Hanmer's Chron. of Ireland, P. 147.

[11] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148.

[12] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148.

[13] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148.

[14] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148. — Campion's History of Ireland, p. 66.

[15] Campion's History of Ireland, p. 66. — Hamner's Chron. of Ireland, p. 148.

[16] Campion's History of Ireland, p. 66. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148.

[17] Campion's History of Ireland, p. 66. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 148.

[18] Girald. Cambrens., Hibernia expugnata, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 794.

[19] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 288.

[20] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 159.

[21] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 159.

[22] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 567, ed. Savile. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 159.

[23] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 567, ed. Savile.

[24] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 567, ed. Savile.

[25] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 567, ed. Savile.

[26] Campion's History of Ireland, p. 67.

[27] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 630, ed. Savile — Campion's History of Ireland, p. 67.

[28] Campion's History of Ireland, p. 68. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 166.

[29] Campion's History of Ireland, p. 68.

[30] Campion's History of Ireland, p. 68. — Hanmer's Chron. of Ireland, p. 166.

[31] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 167.

[32] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 630, ed. Savile.

[33] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 630, ed. Savile.

[34] Jean XXII, 1319. — Johan. de Fordun, Scotichron., p. 908, ed Hearne.

[35] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 909, 911, 912 et 914, ed. Hearne.

[36] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 911, 914 et 915, ed. Hearne.

[37] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 916-920, ed. Hearne.

[38] Johan. de Fordun, Scotichron, p. 921, 923 et 924, ed. Hearne.

[39] Voyez, ci-après, la Conclusion de cette histoire.

[40] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 534, ed. Selden.

[41] Script. rer. gallic. et francic., t. XII et seq., passim.

[42] Gervasius Tilberiensis, Otia imperialia, apud Script. rer. brunsvic., t. I, p. 921.

[43] Gervasius Tilberiensis, Otia imperialia, apud Script. rer. brunsvic., t. I, p. 921 et 922.

[44] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 115, ed. Savile.

[45] Girald. Cambrens., de Illaudabilibus Walliæ ; Anglia sacra, t. II, p. 455.

[46] Ducange, Gloss. ad Script. mediæ et intimæ, verbo : Arturum expectare.

[47] Voyez plus haut, t. I, liv. I.

[48] Cambrobriton., vol. II, p. 366.

[49] Cambrobriton., vol. II, p. 366.

[50] Horæ britannicæ, vol. II, p. 199.

[51] Girald. Cambrens., de Illaudabitibus Walliæ ; Anglia sacra, t. II, p. 455.

[52] Girald. Cambrens., de Illaudabitibus Walliæ ; Anglia sacra, t. II, p. 455.

[53] Sketch of the early history of the Kymry, by Roberts, p. 147.

[54] Girald. Cambrens., Itinerarium Cambriæ, ed. Camden, p. 840. — Les mots quasi teutonice semblent dire que ce n'était pas l'anglais pur, mais le dialecte un peu mêlé de flamand qu'on parlait dans le comté de Pembroke. Voyez plus haut, livre VIII.

[55] Girald. Cambrens., Itinerarium Cambriæ, ed. Camden, p. 840.

[56] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.

[57] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.

[58] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.

[59] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 654, ed. Savile.

[60] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 660, ed. Savile.

[61] Voyez Hallam's Europe in middle ages.

[62] Hallam's Europe in middle ages.

[63] Guillelm. Neuhrig., de Reb. anglic., p. 363, ed. Hearne.

[64] Voyez plus haut, livre X.

[65] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 660, ed. Savile.

[66] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 660, ed. Savile.

[67] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 660, ed. Savile.

[68] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 664, ed. Savile.

[69] Ce fut à Marseille. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., ed. Saville, p. 667.

[70] Sismondi, Histoire des Français, t. VI, p. 96.

[71] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 667 et 668, ed. Savile.

[72] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[73] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[74] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[75] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[76] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[77] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[78] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[79] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[80] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[81] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 673, ed. Savile.

[82] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[83] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[84] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[85] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[86] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[87] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 677, ed. Savile.

[88] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[89] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[90] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[91] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[92] Voyez plus haut, livre X.

[93] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[94] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 688, ed. Savile.

[95] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 674, ed. Savile.

[96] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 675, ed. Savile.

[97] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 675, ed. Savile.

[98] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 675, ed. Savile.

[99] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 64.

[100] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 694, ed. Savile.

[101] Rigordus, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 36.

[102] Chron. Joban. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1243, ed. Selden.

[103] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 698, ed. Savile.

[104] Voyez plus haut, livre X.

[105] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 680, ed. Savile.

[106] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[107] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 680, ed. Savile.

[108] Matth. Paris., t. I, p. 166.

[109] Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. angl. Script., t. II, col. 1578, ed. Selden.

[110] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 398, ed. Hearne.

[111] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 703, ed. Savile.

[112] Chron. Joban. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1223, ed. Selden.

[113] Chron. Joban. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1223, ed. Selden.

[114] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 700, ed. Savile.

[115] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 700, ed. Savile.

[116] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[117] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[118] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[119] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[120] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[121] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 701, ed. Savile.

[122] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 664, ed. Selden.

[123] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 702, ed. Savile.

[124] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 702, ed. Savile.

[125] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[126] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[127] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[128] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[129] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[130] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[131] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[132] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[133] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[134] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[135] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 704, ed. Savile.

[136] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 428, ed. Hearne.

[137] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 437, ed. Hearne.

[138] Rigordus, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 37. — Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 716, ed. Savile.

[139] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 435, ed. Hearne. — Le mot de Vieux donné par les croisés au chef de la tribu des Assassins, est la traduction du mot scheik, qui, en arabe, signifie un homme âgé et un chef de tribu.

[140] Cette plante est une espace de chanvre, appelé en arabe haschische. (Voyez la Chrestomathie arabe de M. Sylvestre de Sacy.)

[141] Rigordus, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 37.

[142] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 437, ed. Hearne. — Rigordus, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 37.

[143] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 437, ed. Hearne.

[144] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 437, ed. Hearne.

[145] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 439, ed. Hearne.

[146] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 65.

[147] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 438, ed. Hearne.

[148] Guillelm. Armoric., De gest. Phil. Aug., apud Script. rer. gallic et francic., t. XVII, p. 71. — Chroniques de Saint-Denis, apud ibid., p. 377.

[149] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 438, ed. Hearne.

[150] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 438, ed. Hearne.

[151] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 717, ed. Savile.

[152] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 717, ed. Savile.

[153] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 717, ed. Savile.

[154] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 457, ed. Hearne. — Radulph. Coggesbalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[155] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 457, ed. Hearne. — Radulph. Coggesbalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[156] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 457, ed. Hearne. — Radulph. Coggesbalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[157] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 457, ed. Hearne. — Radulph. Coggesbalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[158] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[159] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 71.

[160] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[161] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[162] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[163] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[164] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[165] Voyez plus haut, livre III.

[166] Plus correctement Leol-polde, brave parmi le peuple.

[167] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[168] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[169] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[170] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[171] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[172] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 45, ed. Hearne.

[173] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[174] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[175] Radulph. Coggeshalæ abbat. Chron., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVIII, p. 72.

[176] Henri, sixième du nom, fils de Frédéric Barberousse et père de Frédéric II. — Guillelm. Neubrig., De reb. anglic., p. 459, ed. Hearne.

[177] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 462, ed. Hearne.

[178] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 462, ed. Hearne.

[179] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 459, ed. Hearne.

[180] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 466, ed. Hearne.

[181] Guillelm. Neubrig. De reb. anglic., p. 466, ed. Hearne.

[182] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1252, ed. Selden.

[183] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 465, ed. Hearne.

[184] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 465, ed. Hearne.

[185] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 724, ed. Savile.

[186] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 724, ed. Savile.

[187] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 722, ed. Savile.

[188] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 722-724, ed. Savile.

[189] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 724, ed. Savile.

[190] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 477, ed. Hearne.

[191] Rigordus, De gest. Phil. Aug., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 40. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 724, ed. Savile.

[192] Rigordus, De gest. Phil. Aug., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 40. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 724, ed. Savile.

[193] Rigordus, De gest. Phil. Aug., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 40.

[194] Annales waverteienses, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 164, ed. Gale.

[195] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 467 et 468, ed. Hearne.

[196] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 478, ed. Hearne.

[197] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 479, ed. Hearne.

[198] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 478, ed. Hearne.

[199] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 478, ed. Hearne.

[200] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 183.

[201] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 732, ed. Savile.

[202] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 732, ed. Savile.

[203] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 478, ed. Hearne.

[204] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 733, ed. Savile.

[205] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 732, ed. Savile.

[206] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 732, ed. Savile.

[207] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 733, ed. Savile.

[208] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 734, ed. Savile. — Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 484, ed. Hearne.

[209] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 484, ed. Hearne.

[210] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 484, ed. Hearne.

[211] Guillelm. Neubrig. de Reb. anglic., p. 486, ed. Hearne. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 735, ed. Savile.

[212] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[213] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[214] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[215] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[216] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[217] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[218] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 736, ed. Savile.

[219] Voyez plus haut, livres V et VII.

[220] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 774, ed. Hearne. — En ramenant au règne de Richard Ier ce fait que Fordun rapporte au règne de Henri III, j'ai suivi la tradition commune, celle que montrent vivante au quinzième siècle d'anciens drames populaires où l'on voit figurer, à côté de Robin Hood, le roi Richard et son frère Jean, celle que rétablit, après Fordun, un autre chroniqueur écossais, qui, terminant le règne du roi Richard, continue ainsi : Circa hæc tempora, ut auguror, Robertus Hudus Anglus et parvus Johannes, latrones famatissimi, in memoribus latuerunt. (Johannis Major, Historia Majoris Britanniæ, tam Angliæ quam Scotiæ, p. 150.)

[221] Voyez plus haut, livre V.

[222] Robin Hood, a Collection of all the ancient poems, songs and ballads, relative to that celebrated english outlaw, by Joseph Ritson, vol. I.

[223] Ritson's Robin Hood, vol. I, p. 2.

[224] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 44.

[225] Johannis Major, Historia Majoris Bricanniæ, tam Angliæ quam Scotiæ, p. 150.

[226] Johannis Major, Historia Majoris Bricanniæ, tam Angliæ quam Scotiæ, p. 150.

[227] Johannis de Fordun, Scotichron. — Johannis Major, Historia Britanniæ. — Voyez Ritson's Robin Hood, passim. — En parlant de choses ou de personnes toujours l'une avec l'autre, on disait proverbialement : Robin Hood and Little John.

[228] Ancient songs of Robin Hood.

[229] Johannis Major, Historia Majoris Bricanniæ, tam Angliæ quam Scotiæ, p. 160. — Annales or a general chronicle of England by J. Stow, p. 159 ; London, 1631.

[230] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 52.

[231] Old Ballads historical and narrative, by Thomas Eyans, vol. I, p. 103.

[232] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 774, ed. Hearne.

[233] Johan. de Fordun, Scotichron., p. 774, ed. Hearne.

[234] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 54.

[235] Jamieson's Popular songs, vol. II, p. 53.

[236] Robin Hood, Collection of all the ancient songs, etc., by Joseph Ritson. Londres, 1832. — Voyez les notes qui suivent la vie de Robin Hood, t. I, p. CVI et CVII.

[237] Sermo VI, before king Edward VI, f° 74, b. — Voyez Hawkins's, General History of music., vol. III, p. 411.

[238] Voyez les notes du Recueil de Ritson, t. I, p. CVII.

[239] Robin Hood's buy. (Hawkins's General history of music, vol. II, p. 411.)

[240] Robin Hood's well. (Evelin's Diary.)

[241] Hawkins's General history of music, vol. III, p. 410.

[242] Robin Hood's Garland.

[243] Percy's Reliques of ancient English poetry, vol. I, p. 193, 6e ed.

[244] Regulæ monialium Beatæ Mariæ de Sopwell, in auctuario additamentor., ad Matth. Paris, t. I, p. 261.

[245] Hanmer's Chron. of Ireland, p. 179.

[246] Percy's Reliques of ancient English poetry, vol.  I, p. 270. — Pieces of ancient popular poetry, p. 5. London, 1791.

[247] Pieces of ancient popular poetry, p. 6.

[248] Pieces of ancient popular poetry, p. 6.

[249] Pieces of ancient popular poetry, p. 6.

[250] Pieces of ancient popular poetry, p. 11.

[251] Pieces of ancient popular poetry, p. 12.

[252] Pieces of ancient popular poetry, p. 17.

[253] Pieces of ancient popular poetry, p. 17-18.

[254] Pieces of ancient popular poetry, p. 22.

[255] Pieces of ancient popular poetry, passim.

[256] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 738, ed. Savile.

[257] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 493, ed. Hearne.

[258] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 493, ed. Hearne.

[259] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 493 et 494, ed. Hearne.

[260] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 494, ed. Hearne.

[261] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 96.

[262] Guillelm. Britonis, Philippid., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 283.

[263] Guillelm. Britonis, Philippid., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 285-286.

[264] Voyez plus haut, livre I.

[265] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 732, ed. Savile.

[266] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 548, ed. Hearne.

[267] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 680-681, ed. Selden.

[268] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 681, ed. Selden.

[269] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 740, ed. Savile.

[270] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 750, ed. Savile.

[271] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud. Rer. anglic. Script., p. 740, ed. Savile.

[272] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 96.

[273] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 96.

[274] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 92.

[275] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 92.

[276] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 92.

[277] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 92.

[278] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 92.

[279] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 93.

[280] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 93.

[281] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 93.

[282] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 93.

[283] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 93.

[284] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 170.

[285] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 94.

[286] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 95.

[287] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 175.

[288] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 95-96.

[289] Voyez plus haut, livre I, t. I.

[290] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 124.

[291] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[292] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[293] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[294] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[295] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[296] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[297] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 431.

[298] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 432.

[299] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 432.

[300] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 432.

[301] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. IV, p. 432.

[302] Raynouard, Choix des poésies des troubadours, t. V, p. 256 et 257.

[303] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 657, ed. Savile.

[304] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 657, ed. Savile.

[305] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[306] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[307] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[308] Matth. Paris, t. I, p. 181. — Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 691, ed. Selden.

[309] Matth. Paris, t. I, p. 181. — Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 260.

[310] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[311] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile. — Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1591, ed. Selden. — Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 530, ed. Hearne.

[312] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[313] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[314] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 691, ed. Selden.

[315] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 561, ed. Hearne. — Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 1591, ed. Selden.

[316] Matth. Westmonast., Flor. histor., p. 260. — Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 560.

[317] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[318] Matth. Paris, t. I, p. 181. — Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 561, ed. Hearne.

[319] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[320] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[321] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[322] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[323] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 561, ed. Hearne.

[324] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 561, ed. Hearne.

[325] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 562, ed. Hearne.

[326] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 562, ed. Hearne.

[327] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 562, ed. Hearne.

[328] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 562, ed. Hearne.

[329] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne.

[330] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne.

[331] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne.

[332] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne.

[333] Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1591, ed. Selden.

[334] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 691, ed. Selden.

[335] Radulf. de Diceto, Imag. histor., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 691, ed. Selden.

[336] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 573, ed. Hearne. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[337] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne. — Roger. de Hoved. Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[338] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne. — Matth. Paris, t. I, p. 181. — Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[339] Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1591, ed. Selden. — Guillelm. Neubrig., de Reb anglic., p. 563, ed. Hearne.

[340] Henrici Knygton, de Event. Angl., apud Hist.. anglic. Script., col. 2410, ed. Selden.

[341] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 563, ed. Hearne.

[342] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[343] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile. — Matth. Paris, t. I, p. 181.

[344] Roger. de Hoved., Annal., pars posterior, apud Rer. anglic. Script., p. 765, ed. Savile.

[345] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 564, ed. Hearne.

[346] Matth. Paris, t. I, p. 181. — Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., col.1591, ed. Selden.

[347] Matth. Paris, t. I, p. 181.

[348] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 564, ed. Hearne.

[349] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 565, ed. Hearne.

[350] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 564, ed. Hearne.

[351] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 564, ed. Hearne.

[352] Chron. Gervas. Canular., apud Hist. anglic. Script., col. 1591, ed. Selden.

[353] Voyez plus haut, livre V, t. I.

[354] Henrici Knygton, de Event. Angl., apud Hist. angl., Script., t. II, col. 2412, ed. Selden. — Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 567, ed. Hearne. — Cf. Ibid., p. 665.

[355] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 567. — Chron. Gervas. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., col. 1591, ed. Selden.

[356] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 567, ed. Hearne.

[357] Guillelm. Neubrig., de Reb. anglic., p. 567, ed. Hearne.