HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME PREMIER

 

LIVRE DEUXIÈME.

 

 

Depuis le premier débarquement des Danois eu Angleterre, jusqu'à la fin de leur domination.

787-1048.

 

Il y avait plus d'un siècle et demi que la Bretagne méridionale presque entière portait le nom de terre des Anglais[1], et que, dans le langage de ses possesseurs de race germanique, le nom de Bretons ou celui de Gallois signifiait serf et tributaire[2], lorsque des hommes inconnus vinrent, avec trois vaisseaux, aborder à l'un des ports de la côte orientale. Afin d'apprendre d'où ils venaient et ce qu'ils voulaient, le magistrat saxon du lieu[3] se rendit au rivage ; les inconnus le laissèrent approcher et l'entourèrent ; puis, fondant tout à coup sur lui et sur son escorte, ils le tuèrent, pillèrent les habitations voisines et remirent promptement à la voile[4].

Telle fut la première apparition, en Angleterre, des pirates du nord appelés Danois[5] ou Normands[6], selon qu'ils venaient des îles de la mer Baltique ou de la côte de Norvège. Ils descendaient de la même race primitive que les Anglo-Saxons et les Franks leur langue avait des racines communes avec les idiomes de ces deux peuples : mais ce signe d'une antique fraternité ne préservait de leurs incursions hostiles ni la Bretagne saxonne, ni la Gaule franke, ni même le territoire d'outre-Rhin, exclusivement habité par des nations germaniques. La conversion des Teutons méridionaux à la foi chrétienne avait rompu tout lien de fraternité entre eux et les Teutons du nord. Au neuvième siècle, l'homme du nord se glorifiait encore du titre de-fils d'Odin, et traitait de bâtards et d'apostats les Germains enfants de : il ne les distinguait point des populations vaincues dont ils avaient adopté le culte. Franks ou Gaulois, Langobards ou Latins, tous étaient également odieux pour l'homme demeuré fidèle aux anciennes divinités de la Germanie. Une sorte de fanatisme religieux et patriotique s'alliait ainsi dans l'âme des Scandinaves à la fougue déréglée de leur caractère et à une soif de gain insatiable. Ils versaient avec plaisir le sang des prêtres, aimaient surtout à piller les églises, et faisaient coucher leurs chevaux dans les chapelles des palais[7]. Quand ils venaient de dévaster et d'incendier quelque canton du territoire chrétien : Nous leur avons chanté la messe des lances, disaient-ils par dérision ; elle a commencé de grand matin, et elle a duré jusqu'à la nuit 2[8].

En trois jours de traversée par le vent d'est, les flottes de barques à deux voiles des Danois et des Norvégiens arrivaient au sud de la Bretagne[9]. Les soldats de chaque flotte obéissaient en général à un chef unique, dont le vaisseau se distinguait des autres par quelque ornement particulier. C'était le même' chef qui commandait encore lorsque les pirates débarqués marchaient en bataillons, soit à pied, soit à cheval. On le saluait du titre germanique que les langues du midi rendent par le mot roi[10] ; mais il n'était roi que sur mer et dans le combat ; car, à l'heure du festin, toute la troupe s'asseyait en cercle, et les cornes remplies de bière passaient de main en main sans qu'il y eût ni premier ni dernier. Le roi de mer[11] était partout suivi avec fidélité et toujours obéi avec zèle, parce que toujours il était renommé comme le plus brave entre les braves, comme celui qui n'avait jamais dormi sous un toit de planches, qui jamais n'avait vidé la coupe auprès d'un foyer abrité[12].

Il savait gouverner le vaisseau comme un bon cavalier manie son cheval, et à l'ascendant du courage et de l'habileté se joignait pour lui l'empire que donne la superstition ; il était initié à la science des runes, il connaissait les caractères mystérieux qui, gravés sur les épées, devaient procurer la victoire, et ceux qui, inscrits à la poupe et sur les rames, devaient préserver du naufrage[13]. Égaux sous un pareil chef, supportant légèrement leur soumission volontaire et le poids de leur armure de mailles, qu'ils se promettaient d'échanger bientôt contre un égal poids d'or, les pirates danois cheminaient gaiement sur la route des cygnes, comme disent leurs poésies nationales[14]. Tantôt ils côtoyaient la terre, et guettaient leur ennemi dans les détroits, les baies et les petits mouillages, ce qui leur fit donner le nom de Vikings ou Enfants des anses ; tantôt ils se lançaient à sa poursuite à travers l'Océan. Les violents orages des mers du nord dispersaient et brisaient leurs frêles navires ; tous ne rejoignaient point le vaisseau du chef, au signal du ralliement ; mais ceux qui survivaient à leurs compagnons naufragés n'en avaient ni moins de confiance ni plus de souci ; ils se riaient des vents et des flots, qui n'avaient pu leur nuire : La force de la tempête, chantaient-ils, aide le bras de nos rameurs, l'ouragan est à notre service, il nous jette où nous voulions aller[15].

La première grande armée de corsaires danois et normands qui se dirigea vers l'Angleterre aborda sur la côte de Cornouailles ; et les indigènes de ce pays, réduits par les Anglais à- la condition de tributaires, se joignirent aux ennemis de leurs conquérants, soit dans l'espoir de regagner quelque peu de liberté, soit pour satisfaire simplement leur passion de vengeance nationale. Les hommes du nord furent repoussés, et les Bretons de Cornouailles restèrent sous le joug des Saxons ; mais, peu de temps après, d'autres flottes, abordant du côté de l'est, amenèrent les Danois en si grand nombre que nulle force ne put les empêcher de pénétrer au cœur de l'Angleterre. Ils remontaient le cours des grands fleuves jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé un lieu de station commode ; là ils descendaient de leurs barques, les amarraient ou les tiraient à sec, se répandaient sur le pays, enlevaient de toutes parts les bêtes de somme, et de marins se faisaient cavaliers, comme s'expriment les chroniques du temps[16]. D'abord ils se bornèrent à piller et à se retirer ensuite, laissant derrière eux, sur les côtes, quelques postes militaires et de petits camps retranchés, pour protéger leur prochain retour ; mais bientôt, changeant de tactique, ils s'établirent à demeure fixe, comme maîtres du sol et des habitants, et refoulèrent la race anglaise du nord-est vers le sud-ouest, comme celle-ci avait refoulé l'ancienne population bretonne de la mer de Gaule vers l'autre mer[17].

Les rois de mer qui attachèrent leur nom aux événements de cette grande invasion sont : Ragnar-Lodbrog et ses trois fils Hubbo, Ingvar et Afden. Fils d'un Norvégien et de la fille du roi de l'une des îles danoises, Ragnar avait obtenu, soit de gré, soit de force, la royauté de toutes ces îles ; mais la fortune lui devint contraire ; il perdit ses possessions territoriales, et alors, armant des vaisseaux et rassemblant une troupe de pirates, il. se fit roi de mer. Ses premières courses eurent lieu dans la Baltique et sur les côtes de la Frise et de la Saxe ; puis il fit de nombreuses descentes en Bretagne et en Gaule, toujours heureux dans ses entreprises, qui lui valurent de grandes richesses et un grand renom. Après trente ans de succès obtenus avec une simple flotte de barques, Ragnar, dont les vues s'étaient agrandies, voulut essayer son habileté dans une navigation plus savante, et fit construire deux vaisseaux qui surpassaient en dimension tout ce qu'on avait jamais vu dans le nord. Vainement sa femme Aslauga, avec ce bon sens précautionneux qui, chez les femmes scandinaves, passait pour le don de prophétie, lui remontra les périls où cette innovation l'exposait ; il ne l'écouta point, et s'embarqua, suivi de plusieurs centaines d'hommes. L'Angleterre était le but de cette expédition d'un nouveau genre. Les pirates coupèrent gaiement les câbles qui retenaient les deux navires, et, comme ils disaient eux-mêmes dans leur langage poétique, lâchèrent la bride à leurs grands chevaux marins[18].

Tout alla bien pour le roi de mer et ses compagnons tant qu'ils voguèrent au large ; mais ce fut aux approches des côtes que les difficultés commencèrent. Leurs gros vaisseaux, mal dirigés, échouèrent et se brisèrent sur des bas-fonds, d'où les bateaux de construction danoise auraient pu sortir aisément ; les équipages furent Contraints de se jeter à terre, privés de tout moyen de retraite. Le rivage où ils débarquèrent ainsi malgré eux était celui du Northumberland ; ils s'y avancèrent en bon ordre, ravageant et pillant selon leur usage, comme s'ils ne se fussent pas trouvés dans une position désespérée. A la nouvelle de leurs dévastations, Ælla, roi du pays, se mit en marche et les attaqua avec des forces supérieures ; le combat Tut acharné, quoique très-inégal, et Ragnar, enveloppé dans un manteau que sa femme lui avait donné en partant, pénétra quatre fois dans les rangs ennemis. Mais presque tous ses compagnons ayant succombé, lui-même fut pris vivant par les Saxons. Le roi /Elia se montra cruel envers son prisonnier ; non content- de le faire mourir, il voulut lui infliger des tortures inusitées. Lodbrog fut enfermé dans un cachot rempli, disent les chroniques, de vipères et de serpents venimeux. Le chant de mort de ce fameux roi de mer devint célèbre, comme l'un des chefs-d'œuvre de la poésie scandinave. On l'attribuait, contre toute vraisemblance, au héros lui-même ; mais, quel qu'en soit l'auteur, ce morceau porte la vive empreinte du fanatisme de guerre et de religion qui rendait si terribles, au neuvième siècle, les vikings danois et normands[19].

Nous avons frappé de nos épées, dans le temps où, jeune encore, j'allais vers l'orient du Sund apprêter un repas sanglant aux bêtes carnassières, et dans ce grand combat où j'envoyai en foule au palais d'Odin le peuple de Helsinghie[20]. De là, nos vaisseaux nous portèrent à l'embouchure de la Vistule, où nos lances entamèrent les cuirasses, et où nos épées rompirent les boucliers.

Nous avons frappé de nos épées, le jour où j'ai vu des centaines d'hommes couchés sur le sable, près d'un promontoire d'Angleterre ; une rosée de sang dégouttait des épées ; les flèches sifflaient en allant chercher les casques : c'était pour moi un plaisir égal à celui de tenir une belle fille à mes côtés.

Nous avons frappé de nos épées, le jour où j'abattis ce jeune homme, si fier de sa chevelure, qui dès le matin poursuivait les jeunes filles et recherchait l'entretien des veuves. Quel est le sort d'un homme brave, si ce n'est de tomber des premiers ? Celui qui n'est jamais blessé mène une vie ennuyeuse, et il faut que l'homme attaque l'homme ou lui résiste au jeu des combats.

Nous avons frappé de nos épées ; maintenant j'éprouve que les hommes sont esclaves du destin et obéissent aux décrets des fées qui président à leur naissance. Quand je lançai en mer mes vaisseaux pour aller rassasier les loups, je ne croyais pas que cette course dût me conduire à la fin de ma vie. Mais je me réjouis en songeant qu'une place m'est réservée dans les salles d'Odin, et que là bientôt, assis au grand banquet, nous boirons la bière à pleins bords dans les coupes de corne.

Nous avons frappé de nos épées. Si les fils d'Aslauga savaient les angoisses que j'éprouve, s'ils savaient que des serpents venimeux m'enlacent et me couvrent de morsures, ils tressailliraient tous et voudraient courir au Combat ; car la mère que je leur laisse leur a donné des cœurs vaillants. Une vipère m'ouvre la poitrine et pénètre vers mon cœur ; je suis vaincu : mais bientôt, j'espère, la lance d'un de mes fils traversera le cœur d'Ælla.

Nous avons frappé de nos épées dans cinquante et un combats ; je doute qu'il y ait parmi les hommes un roi plus fameux que moi. Dès ma jeunesse, j'ai appris à ensanglanter le fer ; il ne faut pas pleurer la mort, il est temps de finir. Envoyées vers moi par Odin, les déesses m'appellent et m'invitent ; je vais, assis aux premières places, boire la bière avec les dieux. Les heures de ma vie s'écoulent ; c'est en riant que je mourrai[21].

Ce fier appel à la vengeance et aux passions guerrières, chanté premièrement dans une cérémonie funèbre, courut ensuite de bouche en bouche, partout où Ragnar-Lodbrog avait eu des admirateurs. Non-seulement ses fils, ses parents, ses amis, mais une foulé d'aventuriers et de jeunes gens de tous les royaumes du nord y répondirent. En moins d'un an, et sans qu'aucune nouvelle hostile parvînt en Angleterre, huit rois de mer et vingt ïarls ou chefs du second ordre, se confédérant ensemble, réunirent leurs vaisseaux et leurs soldats. C'était la plus grande flotte qui fût jamais partie du Danemark pour une expédition lointaine. Elle devait aborder au Northumberland ; mais une méprise des pilotes la porta plus au sud, vers la côte d'Est-Anglie[22].

Incapables de repousser un si grand armement, les gens du pays firent aux Danois. un accueil pacifique ; et ceux-ci en profitèrent pour amasser des vivres, réunir des chevaux- et attendre des renforts d'outre-mer ; puis, quand ils se crurent assurés du succès, ils marchèrent sur York, capitale de la Northumbrie, dévastant et brûlant tout sur leur passage. Les deux chefs de ce royaume, Osbert et Ælla, concentrèrent leurs forces sous les murs de la ville, pour livrer une bataille décisive. D'abord les Saxons eurent l'avantage ; mais ils se lancèrent avec trop d'imprudence à la poursuite de l'ennemi, qui, s'apercevant de leur désordre, revint sur eux et les défit complètement. Osbert fut tué en combattant, et, par une singulière destinée, Ælla, tombé vivant entre les mains des fils de Lodbrog, expia dans des tortures inouïes le supplice infligé à leur père[23].

La vengeance était consommée ; mais alors une autre passion, celle du pouvoir, se fit sentir aux chefs confédérés. Maîtres d'une partie du pays au nord de l'Humber, et assurés par des messages de la soumission du reste, les fils de Ragnar-Lodbrog résolurent de garder cette conquête. Ils mirent garnison à York et dans les principales villes, distribuèrent des terres à leurs compagnons, et ouvrirent un asile aux gens de tout état qui viendraient des contrées scandinaves pour accroître la nouvelle colonie. Ainsi le Northumberland cessa d'être un royaume saxon ; il devint le point de ralliement des Danois, pour la conquête du sud de l'Angleterre. Après trois ans de préparatifs, la grande invasion commença. L'armée, conduite par ses huit rois, descendit l'Humber jusqu'à la hauteur de Lindesey, et, ayant pris terre, marcha directement du nord au sud, pillant les villes, massacrant les habitants, et brûlant surtout, avec une rage fanatique, les églises et les monastères[24].

L'avant-garde danoise approchait de Croyland, abbaye célèbre, dont le nom figurera plus d'une fois dans cette histoire, lorsqu'elle rencontra une petite armée saxonne qui, à force de courage et de bon ordre, l'arrêta durant un jour entier. C'était une levée en masse de tous les gens du voisinage, commandés par leurs seigneurs et par un moine appelé frère Toli, qui, avant de se vouer à la retraite, avait porté les armes[25]. Trois rois danois furent tués dans ce combat ; mais, à l'arrivée des autres, les Saxons, écrasés par le nombre, moururent presque tous en défendant leur poste. Quelques-uns des fuyards coururent au monastère annoncer que tout était perdu, et que les païens approchaient. C'était l'heure des matines, tous les moines se trouvaient réunis dans le chœur. L'abbé, homme d'un grand âge, leur parla ainsi : Que tous ceux d'entre vous qui sont jeunes et robustes se retirent en lieu de sûreté, emportant avec eux les reliques des saints, nos livres, nos chartes et ce que nous avons de précieux. Moi je resterai ici avec les vieillards et les enfants, et peut-être qu'avec l'aide de Dieu, l'ennemi aura pitié de notre faiblesse[26].

Tous les hommes valides de la communauté partirent au nombre de trente, et, ayant chargé sur un bateau les reliques et les vases sacrés, se réfugièrent dans les marais voisins. II ne resta au chœur que l'abbé, des vieillards infirmes et quelques enfants que leurs familles, suivant la dévotion du siècle, faisaient élever sous l'habit monastique. Ils continuèrent le chant des psaumes à toutes les heures prescrites ; puis, quand vint celle de la messe, l'abbé se mit à l'autel en habits sacerdotaux. Tous les assistants reçurent la communion, et presque au moment même les Danois entrèrent dans l'église. Le chef, qui marchait en tête, tua de sa main l'abbé au pied de l'autel, et les soldats saisirent les moines, vieux et jeunes, que la frayeur avait dispersés. Ils les torturaient un à un pour leur faire dire où était caché le trésor, et, sur le refus de répondre, ils leur coupaient la tête. Au moment où le prieur tomba mort, l'un des enfants, âgé de dix ans, qui l'aimait beaucoup, se mit à l'embrasser, pleurant et demandant à mourir avec lui. Sa voix et sa figure frappèrent un des chefs danois ; ému de pitié, il tira l'enfant hors de la foule ; puis, lui ôtant son froc et le couvrant d'une casaque : Suis-moi, dit-il, et ne me quitte plus. Il le sauva ainsi du massacre ; mais aucun autre ne fut épargné. Après avoir inutilement cherché le trésor de l'abbaye, les Danois brisèrent les tombeaux de marbre qui étaient dans l'église, et, furieux de n'y point trouver de richesses, ils dispersèrent les ossements et mirent le feu à l'église. Ensuite ils se dirigèrent vers l'est sur le monastère de Peterborough[27].

Ce monastère, l'un des chefs-d'œuvre de l'architecture du temps, avait, suivant le style saxon, des murailles massives, percées de petites fenêtres à plein cintre, ce qui le rendait facile à défendre. Les Danois trouvèrent les portes fermées, et furent reçus à coups de flèches et de pierres par les moines et les gens du pays, qui s'étaient renfermés avec eux : au premier assaut, l'un des fils de Lodbrog, dont les chroniques ne disent pas le nom, fut blessé mortellement ; mais, après deux attaques, les Danois entrèrent de force, et Hubbo, pour venger son frère, tua de sa propre main tous les religieux, au nombre de quatre-vingt-quatre. Les meubles furent pillés, les sépulcres ouverts, et la bibliothèque employée à attiser le feu qui fut mis aux bâtiments : l'incendie dura quinze jours entiers[28]. Pendant une marche de nuit que l'armée fit du côté de Huntingdon, l'enfant qu'un chef danois avait sauvé à Croyland s'échappa, et regagna seul les ruines de son ancienne demeure. Il trouva les trente moines de retour, et occupés à éteindre le feu qui brûlait encore au milieu des décombres. Il leur raconta le massacre avec toutes ses circonstances ; et tous, pleins de tristesse, se mirent à la recherche des cadavres de leurs frères. Après plusieurs jours de travail, ils trouvèrent celui de l'abbé, sans tête et écrasé par une poutre ; tous les autres furent découverts pareillement, et placés près de l'église dans une même fosse[29].

Ces désastres eurent lieu en partie sur le territoire de Mercie, en partie sur celui d'Est-Anglie ou des Angles orientaux. Le roi de ce dernier pays, nommé Edmund, ne tarda pas à porter la peine de l'indifférence avec laquelle, trois ans auparavant, il avait vu l'invasion du royaume de Northumbrie : surpris par les Danois et fait prisonnier, il fut conduit devant les fils de Lodbrog, qui le sommèrent avec hauteur de s'avouer leur vassal. Edmund refusa obstinément ; et alors les Danois, l'ayant lié à un arbre, se mirent à exercer sur lui  leur adresse à tirer de l'arc. Ils visaient aux bras et aux jambes sans toucher le corps, et terminèrent ce jeu barbare en abattant d'un coup de hache la tête du roi saxon. C'était un homme de peu de mérite et de peu de réputation ; mais sa mort lui fit obtenir la plus grande renommée qu'il y eût alors, celle de la sainteté et du martyre. L'opinion commune au moyen âge sanctifiait la mémoire de quiconque avait péri de la main des païens ; mais il y eut ici quelque chose de plus, un trait particulier du caractère anglo-saxon, le penchant à colorer d'une teinte religieuse les douleurs patriotiques, à regarder comme des martyrs ceux qui étaient morts en défendant la cause nationale ou persécutés par ses ennemis.

L'Est-Anglie, entièrement soumise, devint, comme le Northumberland, un royaume danois et un but d'émigration pour les aventuriers du nord. Le roi saxon fut remplacé par un roi de mer appelé Godrun, et la population indigène, réduite à une demi-servitude, perdit la propriété de son territoire et paya le tribut aux étrangers. Cette conquête mit dans un grand péril le royaume de Mercie, qui, entamé déjà dans sa partie orientale, avait les Danois sur deux de ses frontières. Les anciens royaumes d'Est-sex, Kent et Suth-sex n'avaient plus d'existence indépendante ; depuis près d'un siècle, ils étaient réunis tous trois à celui de West-sex ou des Saxons occidentaux[30]. Ainsi la lutte se trouvait engagée entre deux royaumes danois et deux royaumes saxons. Les rois de Mercie et de West-sex, longtemps rivaux et ennemis, se liguèrent ensemble pour défendre ce qui restait de pays libre ; mais, malgré leurs efforts, tout le territoire situé au nord de la Tamise fut envahi ; la Mercie devint danoise ; et des huit royaumes fondés primitivement par les Saxons et les Angles, il n'en resta plus qu'un seul, celui de West-sex, qui s'étendait alors de l'embouchure de la Tamise au golfe où se jette la Saverne.

En l'année 871, Ethelred, fils d'Ethelwulf, roi de West-sex, mourut à la suite d'un combat livré aux Danois, qui venaient de passer la Tamise. Il laissait plusieurs enfants ; mais le choix de la grande assemblée qui représentait le pays se porta sur son frère Alfred, jeune homme de vingt-deux ans, dont le courage et l'habileté militaire donnaient de grandes espérances[31]. Alfred réussit deux fois, soit en combattant, soit en négociant, à faire sortir les Danois de son royaume ; il repoussa les invasions par mer tentées contre ses provinces du sud, et défendit pendant sept ans la ligne de la Tamise. Peut-être qu'aucune armée danoise n'eût jamais franchi de nouveau cette frontière, si le roi et le peuple de West-sex eussent été bien unis ; mais il existait entre eux des germes de discorde d'une nature assez bizarre.

Le roi Alfred avait plus étudié qu'aucun de ses compatriotes : il avait parcouru, jeune, les contrées méridionales de l'Europe, et en avait observé les mœurs : il connaissait les langues savantes et la plupart des livres de l'antiquité. La supériorité de connaissances que ce roi saxon avait acquise lui inspirait une sorte de dédain pour la nation qu'il gouvernait. Il faisait peu de cas des lumières et de la prudence du grand conseil national, qu'on appelait l'assemblée des sages. Rempli des idées de pouvoir absolu que présentent la littérature et l'histoire de l'empire romain, il avait un désir violent de réformes politiques, et concevait des plans meilleurs peut-être que les anciennes coutumes anglo-saxonnes, mais manquant de sanction aux yeux d'un peuple qui ne les avait pas souhaités et ne les comprenait pas. La tradition a vaguement conservé quelques traits sévères du gouvernement d'Alfred, et longtemps après sa mort, on parlait de la rigueur excessive qu'il avait mise à punir les prévaricateurs et les mauvais juges[32]. Quoique cette rigueur eût pour objet l'intérêt de la nation anglaise, elle ne pouvait être agréable à cette nation, qui alors faisait plus de cas de la vie d'un homme libre que de la régularité dans les affaires publiques.

D'ailleurs, cette sévérité du roi Alfred envers les grands n'était point accompagnée d'affabilité envers les petits ; il les défendait sans paraître les aimer : leurs suppliques l'importunaient, et sa maison leur était fermée. Si l'on avait besoin de son aide, dit un contemporain, soit pour des nécessités personnelles, soit contre l'oppression des puissants, il dédaignait d'accueillir et d'écouter la plainte : il ne prêtait aucun appui aux faibles, et les estimait comme néant[33]. Aussi quand, sept années après son élection, ce roi lettré, devenu  odieux sans le savoir et sans le vouloir, eut à repousser une invasion formidable des Danois, et qu'il appela son peuplé à la défense du pays, il fut effrayé de trouver des hommes mal disposés à lui obéir, et même peu soucieux du péril commun. Ce fut en vain qu'il envoya par les villes et les hameaux son messager de guerre, portant une flèche et une épée nue, et qu'il publia cette vieille proclamation nationale, à laquelle nul Saxon en état de porter les armes n'avait jamais résisté : Que quiconque n'est pas un homme de rien, soit dans les villes, soit dans la campagne, sorte de sa maison et vienne 2[34]. Peu d'hommes vinrent ; et Alfred se trouva presque seul, entouré du petit nombre d'amis qui admiraient son savoir, et qu'il touchait quelquefois jusqu'aux larmes par la lecture de ses écrits[35].

A la faveur de cette indifférence de la nation pour le chef qu'elle-même avait choisi, l'ennemi s'avançait rapidement. Alfred, délaissé par les siens[36], à son tour les délaissa, et prit la fuite, dit un vieil historien, abandonnant ses guerriers, ses capitaines, tout son peuple, pour sauver sa vie[37]. Il alla, se cachant par les bois et les déserts, jusqu'aux limites du territoire anglais et de la terre des Bretons de Cornouailles, au confluent des cieux rivières de Tone et de Parret. Là se trouvait une presqu'île entourée de marais : le roi saxon s'y réfugia, et habita, sous un faux nom, la cabane d'un pécheur, obligé de cuire lui-même le pain dont la pauvre famille de ses hôtes voulait bien lui donner sa part. Peu de gens dans son royaume savaient ce qui était arrivé de lui[38], et l'armée danoise y entra sans résistance. Beaucoup d'habitants s'embarquèrent sur les côtes de l'ouest pour chercher un refuge, soit en Gaule, soit en Irlande ; le reste se soumit à payer le tribut et à labourer pour les Danois. Ils ne tardèrent pas à trouver les maux de la conquête mille fois pires que ceux du règne d'Alfred, qui, dans le moment de la souffrance, leur avait paru insupportables ; ils regrettèrent leur premier état et le despotisme d'un roi né parmi eux[39].

De son côté, le roi Alfred réfléchissait dans le malheur, et méditait sur les moyens de sauver le peuple, s'il était 'possible, et de rentrer en grâce avec lui. Fortifié dans son île contre une surprise de l'ennemi par des retranchements de terre et de bois, il y menait la vie dure et sauvage, réservée, dans tout pays conquis, au vaincu trop fier pour être esclave, la vie de brigand dans les bois, les marais et les gorges des montagnes. A la tête de ses amis, formés en bandes, il pillait le Danois enrichi de dépouilles, et, à défaut de Danois, le Saxon qui obéissait aux étrangers et les reconnaissait pour maîtres[40]. Ceux que le joug étranger fatiguait, ceux qui s'étaient rendus coupables envers le plus fort en défendant contre lui leurs biens, leurs femmes ou leurs filles, vinrent se ranger sous les ordres du chef inconnu qui refusait de partager la servitude générale. Après six mois d'une guerre de stratagèmes, de surprises et de combats nocturnes, le chef de partisans résolut de se nommer, de faire un appel à tout le pays de l'ouest, et d'attaquer ouvertement, sous l'étendard anglo-saxon, le principal camp des Danois.

Ce camp était situé à Ethandun, sur la frontière des provinces de Wilts et de Sommerset, près d'une forêt appelée Sel-wood ou le Grand-Bois[41]. Avant de donner le signal décisif, Alfred voulut observer lui-même la position des étrangers ; il entra dans leur camp sous l'habit d'un joueur de harpe, et divertit par des chansons saxonnes l'armée danoise, dont le langage différait peu du sien[42] ; il se promena au milieu des tentes, et à son retour, changeant d'emploi et de caractère, il envoya des messagers dans toute la contrée d'alentour, assignant pour rendez-vous aux Saxons qui voudraient s'armer et combattre, un lieu nommé la Pierre d'Egbert[43], sur la lisière orientale du Grand Bois, et à quelques milles de distance du camp ennemi[44].

Durant trois jours consécutifs, des hommes armés, partis de toutes les directions, arrivèrent au lieu assigné, un à un, ou par petites bandes. Chaque nouveau venu était salué du nom de frère, et accueilli avec une joie vive et tumultueuse. Quelques bruits de cette agitation parvinrent au camp des Danois ; ils démêlèrent autour d'eux l'apparence d'un grand Mouvement ; mais, comme il n'y avait point de traîtres, leurs informations furent incertaines, et, ne sachant précisément où l'insurrection devait commencer, ils ne firent aucune manœuvre et se contentèrent de doubler leurs postes extérieurs. Ils ne tardèrent pas à voir flotter la bannière de West-sex, qui portait la figure d'un cheval blanc. Alfred attaqua leurs redoutes d'Ethandun par le côté le plus faible, les en chassa, et comme s'exprime une chronique saxonne, resta maître du champ de carnage[45].

Une fois dispersés, les Danois ne se rallièrent plus, et Grodrun, leur roi, fit ce que faisaient souvent dans le péril les gens de sa nation : il promit, si les vainqueurs voulaient renoncer à le poursuivre, de se faire baptiser, lui et les siens, et de se retirer sur ses terres d'Est-Anglie, pour y habiter paisiblement. Le roi saxon, qui n'était point assez fort pour faire la guerre à outrance, accepta ces offres de paix. Godrun et les autres capitaines païens jurèrent, sur un bracelet consacré à leurs dieux[46], de recevoir fidèlement le baptême. Le roi Alfred servit de père spirituel au chef danois, qui endossa sur sa cotte de mailles la robe blanche des néophytes, et repartit avec les débris de ses troupes pour le pays d'où il était venu, et d'où il s'engageait à ne plus sortir. Les limites des deux populations furent fixées par un traité définitif, juré, comme porte son préambule, par Alfred roi, Godrun roi, tous les sages anglo-saxons et tout le peuple danois[47]. Ces limites étaient, au sud, le cours de la Tamise jusqu'à la petite rivière de l'Éa, qui s'y jette en avant de Londres ; au nord et à l'est, la rivière d'Ouse et la grande voie construite par les Bretons, et reconstruite de nouveau par les Romains, que les Saxons nommaient Wetlingastreet, le chemin des fils de Wetla[48].

Les Danois cantonnés dans les villes de la Mercie et sur le pays au nord de l'Humber ne se crurent point liés par le pacte d'Alfred et de Godrun. Ainsi la guerre ne cessa point sur la frontière septentrionale du territoire de West-sex. Les anciens royaumes de Suth-sex[49] et de Kent, délivrés de la servitude étrangère, proclamèrent tous les deux Alfred comme libérateur et comme roi. Nulle voix ne s'éleva contre lui, ni dans son propre pays,, où son ancienne impopularité était effacée par ses nouveaux services, ni dans ceux que ses prédécesseurs avaient soumis par conquête à leur domination[50]. La partie de l'Angleterre que les Danois n'occupaient point forma dès lors un seul État ; et ainsi disparut pour jamais l'ancienne division du peuple anglais en plusieurs peuples, en autant de peuples qu'il y avait eu de bans d'émigrés partis des îles et des rivages de la Germanie. Le flot des invasions danoises avait renversé pour jamais les lignes de forteresses qui s'élevaient auparavant entre chaque royaume et les royaumes voisins ; à un isolement quelquefois hostile succéda l'union que produisent des malheurs communs et des espérances communes.

Du moment que fut abolie la grande séparation du pays anglo-saxon en royaumes, les autres divisions territoriales prirent une importance qu'elles n'avaient point eue jusque-là ; et c'est en effet depuis ce temps que les historiens commencent à faire mention des skires, scires, shires, ou fractions de royaumes[51], des centaines et des dizaines de familles[52], circonscriptions locales aussi vieilles en Angleterre que l'établissement des Saxons et des Angles, mais qui durent être peu remarquées tant qu'il se trouva au-dessus d'elles une plus large circonscription politique. L'usage de compter les familles comme de simples unités, et de les agréger ensemble par collection de dix ou de cent, pour former des districts et des cantons, se retrouve chez tous les peuples d'origine teutonique. Si cette institution joue un grand rôle dans les lois qui portent le nom d'Alfred, ce n'est point qu'il l'ait inventée ; c'est, au contraire, que la trouvant enracinée au sol de l'Angleterre, et presque uniformément répandue sur tous les pays qu'il réunit sans violence au royaume de West-sex, il y eut pour lui nécessité d'en faire la principale base de ses dispositions d'ordre public. Il n'établit, à proprement parler, ni les dizaines et les centaines de familles, ni les chefs municipaux, appelés dizainiers et centainiers[53], ni même cette forme de procédure qui, modifiée par l'action du temps, a donné naissance au jury. Tout cela existait chez les Saxons et les Angles antérieurement à leur émigration.

Le roi de West-sex acquit, depuis son second avènement, tant de célébrité comme brave, et surtout comme sage, qu'il est difficile de retrouver dans l'histoire les traces de la défaveur nationale dont il avait d'abord été frappé. Sans cesser de veiller au maintien de l'indépendance reconquise, Alfred trouva des heures pour ses études qu'il aimait toujours, mais sans les préférer aux hommes à qui il en destinait le fruit. Il nous reste de lui plusieurs morceaux de vers et de prose, remarquables par une certaine richesse d'imagination et ce luxe de figures qui est le caractère distinctif de l'ancienne littérature germanique[54].

Alfred passa le reste de sa vie entre ces travaux et la guerre. Le serment que lui avaient prêté les Danois de l'Est-Anglie, d'abord sur le bracelet d'Odin, et ensuite sur la croix du Christ, fut violé par eux, à la première apparition d'une flotte de pirates sur leur côte. Ils saluèrent les nouveaux venus comme des frères ; l'entraînement des souvenirs et de la sympathie nationale leur fit quitter les champs qu'ils labouraient, et détacher de la muraille enfumée leur grande hache de combat, ou la massue hérissée de pointes de fer, qu'ils nommaient l'étoile du matin[55]. Peu de temps après, sans violer aucun traité, les Danois des rives de l'Humber descendirent vers le sud pour se joindre, avec les hommes de l'Est-Anglie, à l'armée du fameux roi de mer Hasting, qui, prenant, comme disaient les poètes du nord, l'Océan pour demeure[56], passait sa vie à naviguer du Danemark aux îles Orcades, des Orcades en Gaule, de Gaule en Irlande, et d'Irlande en Angleterre.

Hasting trouva les Anglais, sous la conduite du roi Alfred, bien préparés à le recevoir en ennemi et non en maître. Il fut défait dans plusieurs batailles ; une partie de son armée en déroute se retira chez les Danois du Northumberland, une autre partie s'incorpora aux Danois de l'est. Ceux qui avaient fait quelque gain dans leurs courses de terre et de mer devinrent bourgeois dans les villes, et colons dans les campagnes ; les plus pauvres radoubèrent leurs navires, et suivirent le chef infatigable â de nouvelles expéditions. Ils passèrent le détroit de la Gaule, et remontèrent le cours de la Seine[57]. Hasting, du haut de son vaisseau, ralliait sa troupe au son d'un cor d'ivoire qu'il portait au cou, et que les habitants de la Gaule surnommaient le tonnerre[58]. Du moment que ces sons redoutés .se faisaient entendre au loin, le serf gaulois quittait la glèbe du champ où il était attaché, pour s'enfuir avec son mince bagage au fond de la forêt voisine, et le noble frank, saisi de la même terreur, levait les ponts de son château fort, courait au donjon faire la revue des armes, et ordonnait d'enfouir le trésor amassé du produit de ses domaines ou de ses exactions sur la contrée.

A la mort du roi Alfred ; â qui la reconnaissance nationale et l'histoire ont donné le titre de Grand, son fils Edward[59] lui succéda par une désignation expresse du grand conseil des sages[60], car la royauté anglo-saxonne était élective, quoique toujours dans la même famille. Un des fils du frère aîné et prédécesseur d'Alfred eut la hardiesse de protester contre le choix du grand conseil, au nom de ses droits héréditaires. Cette prétention fut non-seulement repoussée, mais de sol plus regardée comme un outrage au droit d'élection du pays, et le conseil prononça le bannissement d'Ethelwald[61], fils d'Ethelred. Celui-ci, au lieu d'obéir à la sentence légalement portée contre lui, se jeta, avec quelques-uns de ses partisans, dans la ville de Vimborn, sur la côte du sud-ouest, jurant de la garder ou de périr[62]. Mais il ne tint pas son serment : à l'approche de l'armée anglaise, il s'enfuit sans combat, et courut chez les Danois du Northumberland se faire païen et pirate avec eux. Ils le prirent pour chef contre ses compatriotes. Ethelwald envahit le territoire anglo-saxon ; mais il fut vaincu et tué dans les rangs des étrangers. Alors le roi Edward prit l'offensive contre les Danois ; il reconquit sur eux les côtes de l'est, depuis l'embouchure de la Tamise jusqu'au golfe de Boston, et les enferma dans leurs provinces du nord par une ligne de forteresses bâties en avant du cours de l'Humber[63]. Son successeur Ethelstan[64] passa l'Humber, prit la ville d'York, et força les colons de race scandinave à jurer, selon la formule consacrée, de vouloir tout ce qu'il voudrait[65]. L'un des chefs des Danois vaincus fut conduit avec honneur dans le palais du roi saxon et admis à sa table ; mais quatre jours de vie paisible suffirent pour le dégoûter ; il s'enfuit, gagna la mer, et remonta sur un vaisseau de pirate, aussi incapable, dit l'ancien historien, de vivre hors de l'eau qu'un poisson[66].

L'armée anglaise s'avança jusqu'aux bords de la Tweed, et le Northumberland fut ajouté aux terres de la domination d'Ethelstan, qui, le premier, régna sur toute l'Angleterre. Dans l'ardeur de cette conquête, les Anglo-Saxons franchirent leur ancienne limite du nord, et troublèrent par une invasion les enfants des Pictes et des Scots, et la peuplade de vieux Bretons qui habitait le val de la Clyde[67]. Il se forma une ligue offensive entre ces diverses nations et les Danois, qui vinrent d'outre-mer pour délivrer leurs compatriotes de la domination des hommes du sud. Olaf, fils de Sithrik, dernier roi danois 934 de la Northumbrie, devint le généralissime de cette confédération, où l'on voyait réunis aux hommes venus de la Baltique les Danois des Orcades, les Galls des Hébrides et des monts Crampiens armés du long sabre à deux mains qu'ils appel aient glay-more ou le grand glaive, et les Cambriens de Dumbarton et du Galloway, portant des piques longues et minces. La rencontre des deux armées se fit au nord de l'Humber, dans un lieu nommé en saxon Brunanburgh, ou le bourg des Fontaines. La victoire se décida pour les Anglais, qui forcèrent les confédérés à regagner péniblement leurs vaisseaux, leurs îles et leurs montagnes. Ils nommèrent cette journée le jour du grand combat[68], et la célébrèrent dans un chant national dont voici quelques fragments :

Le roi Ethelstan, le seigneur des chefs, celui qui donne des colliers aux braves, et son frère, Edmund, le noble prince, ont combattu à Brunanburg avec le tranchant de l'épée. Ils ont fendu le mur des boucliers ; ils ont abattu les guerriers de renom, la race des Scots et les hommes des navires.

 

Olaf s'est enfui avec peu de gens, et il a pleuré sur les flots. L'étranger ne racontera point cette bataille, assis à son foyer, entouré de sa famille ; car ses parents y succombèrent, et ses amis n'en revinrent pas. Les rois du nord, d ans leurs conseils, se lamenteront de ce que leurs guerriers ont voulu jouer au jeu du carnage avec les enfants d'Edward.

 

Le roi Ethelstan et son frère Edmund retournent vainqueurs dans le pays de West-sex. Ils laissent derrière eux, se repaissant de cadavres, le corbeau noir au bec pointu, le vautour à la voix rauque, l'aigle rapide, le milan vorace et le loup des bois.

 

Jamais plus grand carnage n'eut lieu dans cette île, jamais plus d'hommes n'y périrent par le tranchant de l'épée, depuis le jour où les Saxons et les Angles vinrent de l'est à travers l'Océan, où ils entrèrent en Bretagne, ces rudes forgerons de guerre, qui vainquirent les Welches[69] et s'emparèrent du pays[70].

 

Ethelstan fit payer cher aux Cambriens du sud le secours que leurs frères du nord avaient donné à ses ennemis ; il ravagea le territoire des Gallois, et leur imposa des redevances, premier tribut levé sur à eux par un roi anglo-saxon[71]. Les Bretons de la Cornouaille furent chassés de la ville d'Exeter qu'ils habitaient alors en commun avec les Anglais[72]. Cette population fut refoulée vers le midi jusqu'au delà du cours de la rivière de Tamer, qui devint alors, et qui est encore aujourd'hui la limite du pays de Cornouaille. Par la guerre ou par la politique, Ethelstan soumit à sa puissance toutes les populations de races diverses qui habitaient l'île de Bretagne[73]. Il donna un Norvégien pour gouverneur aux Anglo-Danois de la Northumbrie ; c'était Erik, fils de Harald, vieux pirate qui, se fit chrétien pour obtenir un commandement.

Le jour de son baptême, il jura de garder et de défendre le Northumberland contre les païens et les pirates[74] ; de roi de mer qu'il était, il devint roi de province, comme s'exprimaient les Scandinaves[75]. Mais cette dignité trop pacifique cessa promptement de lui plaire, et il remonta sur ses vaisseaux. Après quelques années d'absence, il revint visiter les Northumbriens, qui le reçurent avec joie, et le prirent de nouveau pour chef, sans l'aveu du roi Edred[76], successeur du fils d'Ethelstan. Ce roi marcha contre eux et les força d'abandonner Erik, qui, à son tour, pour se venger de leur désertion, vint les attaquer avec cinq chefs de corsaires du Danemark et des Orcades. Il périt dans le premier combat avec les cinq rois de mer ses alliés[77]. Cette fin, glorieuse pour un Scandinave, fut célébrée par les skaldes ou poètes du nord, qui, sans tenir compte du baptême qu'Erik avait reçu chez les Anglais, le placèrent, en idée, dans un tout autre paradis que celui des chrétiens.

J'ai fait un rêve, dit Odin ; il m'a semblé que je me levais avant le jour, afin de préparer le Valhalla[78] pour une réception de guerriers morts en combattant.

J'ai réveillé les héros de leur sommeil ; je les ai engagés à se lever, à garnir les bancs, à disposer les coupes et à les remplir de vin, comme pour l'arrivée d'un roi. La joie de mon cœur m'annonce de nobles hôtes partis du monde des vivants.

D'où vient tout ce bruit ? s'écrie Braghi[79] ; c'est comme si des milliers d'hommes s'avançaient. La salle et tous les bancs retentissent comme au retour de Balder[80] dans le palais d'Odin.

Odin répond : Tu te trompes, Braghi, toi qui sais tant de choses ; ce bruit d'applaudissements se fait pour le roi Erik. J'attends son arrivée dans mon palais ; qu'on se lève, qu'on aille â sa rencontre.

Pourquoi donc es-tu plus impatient de sa venue que de celle d'un autre roi ?C'est qu'en beaucoup de lieux il a rougi son épée de sang, qu'il a fait voyager au loin son épée sanglante.

Je te salue, Erik, brave guerrier ; entre, sois le bienvenu dans cette demeure. Dis-nous quels rois t'accompagnent ; combien viennent avec toi du combat ?

Cinq rois viennent, répond Erik, et moi je suis le sixième[81].

Le territoire des Northumbriens, qui avait jusque-là conservé son ancien titre de royaume, le perdit alors, et fut divisé en plusieurs provinces. Le pays situé entre l'Humber et la Tees fut nommé province d'York, en saxon Everwic-scire. Le reste du pays, jusqu'à la Tweed, garda le nom général de Northumbrie, Northan-humbraland, quoiqu'on y distinguât plusieurs circonscriptions diverses, telles que la terre des Cambriens, Cumbra-land, près du golfe de Solway ; la terre des montagnes de l'Ouest, Westmoringa-land ; enfin la Northumbrie proprement dite, sur les bords de la mer orientale, entre les fleuves de Tyne et de Tweed. Les chefs northumbriens, sous l'autorité supérieure des rois anglo-saxons, conservèrent le titre danois qu'ils avaient porté depuis l'invasion ; on continua de les appeler Iarls, ou Eorls selon l'orthographe saxonne. C'est un mot dont on ignore la signification primitive, et que les Scandinaves appliquaient à toute espèce de commandant, soit militaire, soit civil, qui agissait comme lieutenant du chef suprême, appelé King ou Kining. Par degrés les Anglo-Saxons introduisirent ce titre nouveau dans leurs territoires du sud et de l'ouest, et en firent la qualification du magistrat à qui fut délégué le gouvernement des grandes provinces, appelées autrefois royaumes, avec la suprématie sur tous les magistrats locaux, sur les préfets des scires, scire-gerefas ou scire-reves ; sur les préfets des villes, portreves ; sur les anciens du peuple, eldermen. Ce dernier titre avait été, avant celui d'eorl, le nom générique des grandes magistratures anglo - saxonnes ; il fut dès lors abaissé d'un degré et ne s'étendit plus qu'aux juridictions inférieures et aux dignités municipales.

Dans la révolution qui réunit l'Angleterre tout entière, de la Tweed au cap de Cornouaille, en un seul et même corps politique, le pouvoir des nouveaux monarques s'accrut en force à mesure qu'il s'étendit, et devint, pour chacune des populations réunies, plus pesant que n'avait été le pouvoir de ses rois particuliers. L'association des provinces anglo-danoises aux provinces anglo-saxonnes attira nécessairement sur ces dernières quelque chose du régime sévère et ombrageux qui devait peser sur les autres, parce qu'elles étaient peuplées d'étrangers obéissant malgré eux. Les mêmes rois, exerçant à la fois au nord le droit de conquête et au midi celui de souveraineté légale, se laissèrent bientôt entraîner à confondre ces deux caractères de leur puissance et à distinguer faiblement l'Anglo-Danois de l'Anglo-Saxon, l'étranger de l'indigène, le sujet de l'homme pleinement libre. Ces rois conçurent d'eux-mêmes une opinion exagérée ; ils s'entourèrent d'une pompe jusqu'alors inconnue ; ils cessèrent d'être populaires comme l'étaient leurs prédécesseurs, qui, prenant le peuple pour conseiller en toutes choses[82], le trouvaient toujours prêt à faire ce que lui-même avait délibéré. De là naquirent pour l'Angleterre de nouvelles causes de faiblesse. Toute grande qu'elle parût désormais, sous des chefs dont les titres d'honneur remplissaient plusieurs lignes[83], elle était réellement moins capable de résister à un ennemi extérieur qu'au temps où, réduite à peu de provinces, mais gouvernée sans faste, elle voyait en tête de ses lois nationales ces simples mots : Moi, Alfred, roi des Saxons de l'ouest[84].

Les habitants danois de l'Angleterre, soumis, non sans regret, à des rois étrangers pour eux, tournaient constamment leurs regards vers la mer, espérant que chaque brise leur amènerait des libérateurs et des chefs de leur ancienne patrie. Cette attente ne fut pas longue, et, sous le règne d'Ethelred, fils d'Edgard, les descentes des hommes du nord en Bretagne, qui n'avaient jamais complètement cessé, reprirent tout à coup un caractère menaçant. Sept vaisseaux de guerre abordèrent sur le rivage de Kent et pillèrent l'île de Thanet ; trois autres vaisseaux, se dirigeant vers le sud, ravagèrent les lieux voisins de Southampton, et des troupes de débarquement parcoururent et occupèrent, sur plusieurs points, la côte orientale. L'alarme se répandit jusqu'à Londres : Ethelred convoqua aussitôt le grand conseil national ; mais, sous ce roi nonchalant, occupé de plaisirs futiles et d'actes de dévotion beaucoup plus que de soins militaires, l'assemblée ne se composait guère eue d'évêques et de courtisans, plus disposés à flatter leur prince qu'à lui donner de sages avis[85]. Se conformant à l'aversion du roi pour toute mesure prompte et énergique, ils crurent éloigner les Danois en leur offrant une somme équivalente au profit que ces pirates s'étaient promis de leur invasion en Angleterre.

Il existait, sous le nom d'argent danois, danegheld, un impôt levé de temps en temps pour l'entretien des troupes qui gardaient les côtes Contre les corsaires scandinaves[86]. Ce fut cet argent qu'on proposa comme tribut aux nouveaux envahisseurs : ceux-ci n'eurent garde de refuser, et le premier payement fut de dix mille livres, qu'ils reçurent sous la condition de quitter l'Angleterre. Ils partirent en effet, mais revinrent bientôt plus nombreux, afin d'obtenir une plus forte somme. Leur flotte remonta le fleuve de l'Humber et en dévasta les deux rives. Les habitants saxons des provinces voisines accoururent en armes à leur rencontre ; mais, sur le point d'en venir aux mains, trois de leurs chefs, Danois d'origine, les trahirent et passèrent à l'ennemi. Tout ce qu'il y avait en Northumberland de Danois nouvellement convertis fit amitié et alliance avec les païens venus des bords de la Baltique[87].

Bientôt les vents du printemps amenèrent dans la Tamise une flotte de quatre-vingts vaisseaux conduits par deux rois, Olaf de Norvège et Swen[88] de Danemark, dont le second, après avoir reçu le baptême, était retourné au culte d'Odin. Ces deux rois, pour marquer par un signe leur prise de possession du pays, plantèrent une lance sur la rive. et en jetèrent une autre dans le courant du fleuve. Ils marchaient à grandes journées, dit un vieux récit, escortés par le fer et le feu, leurs compagnons ordinaires[89]. Ethelred, à qui la conscience de son impopularité faisait craindre de rassembler une armée nombreuse[90], proposa encore une fois de l'argent aux ennemis, s'ils voulaient se retirer en paix. Ils demandèrent vingt-quatre mille livres, que le roi leur paya sur-le-champ, satisfait de leur promesse et de la conversion d'un chef danois, qui redut, dans l'église de Winchester, le baptême, auquel un de ses pareils prétendait avec dérision s'être présenté vingt fois[91].

La retraite des envahisseurs ne se fit que d'une manière incomplète, et fa paix qu'ils avaient jurée fut loin d'être observée par eux. Dans les cantonnements où ils étaient disséminés, ils commirent toutes sortes des violences, outragèrent les femmes et tuèrent des hommes[92]. Leur insolence et leurs excès, irritant au dernier point le ressentiment des indigènes, amenèrent bientôt un de ces actes de vengeance nationale qu'il est également difficile de condamner et de justifier, parce qu'un instinct noble ; la haine de l'oppression, s'y mêle à des passions atroces. Par suite d'une grande conspiration, formée sous les yeux et avec la connivence des magistrats et des officiers royaux, les Danois de la dernière invasion, hommes, femmes et enfants ; furent tous, le même jour et à la même heure, assaillis et tués dans leurs logements par leurs voisins ou par leurs hôtes[93] ; Ce massacre, qui fit grand bruit, et dont les circonstances odieuses servirent dans la suite de prétexte aux ennemis de la nation anglaise ; eut lieu en l'année 1003, le jour de Saint-Brice. Il ne s'étendit point sur les provinces du nord et de l'est, où les Danois, anciennement établis, formaient une grande partie de la population ; mais tous les nouveaux émigrés, à l'exception d'un très-petit nombre, périrent, et avec eux une des sœurs du roi de Danemark. Afin de tirer vengeance de ce meurtre et de punir ce qu'il nommait la trahison du peuple anglais, le roi Swen assembla une armée beaucoup plus nombreuse que la première, et dans laquelle, si l'on en croit d'anciens récits, il ne se trouvait pas un seul esclave, pas un affranchi, pas un vieillard, mais dont chaque combattant était libre, fils d'homme libre et dans la vigueur de l'âge[94].

Cette armée s'embarqua sur des vaisseaux de haut bord, dont chacun portait une marque distinctive qui en désignait le commandant. Les uns avaient à la proue des figures de lions, de taureaux, de dauphins, d'hommes, en cuivre doré ; les autres portaient au haut des mâts des oiseaux déployant leurs ailes et tournant avec le vent ; les flancs des navires étaient peints de diverses couleurs, et des boucliers de fer poli y étaient suspendus en file[95]. Le vaisseau royal, d'une forme très-allongée, montrait à la proue la tête d'un énorme serpent dont la queue s'enroulait à la poupe ; on l'appelait le Grand-Dragon[96]. A leur débarquement sur la côte d'Angleterre, les Danois, formés en bataillons, déployèrent un étendard mystérieux qu'ils appelaient le Corbeau. C'était un drapeau de soie blanche, au milieu duquel on voyait en noir la figure d'un corbeau, le bec ouvert et les ailes étendues ; trois sœurs du roi Swen l'avaient brodé durant une nuit en accompagnant leur ouvrage de chants et de gestes magiques[97]. Cette bannière, qui, selon les idées superstitieuses des Scandinaves, était un gage de victoire, augmentait l'ardeur et la confiance des nouveaux envahisseurs. Dans tous les lieux où ils passaient, dit un vieil historien, ils mangeaient gaiement le repas préparé à regret pour eux, et, à leur départ, ils tuaient l'hôte et brûlaient le logis[98].

Ils enlevaient partout les chevaux, et se faisant cavaliers, suivant la tactique de leurs prédécesseurs, ils marchaient rapidement à travers le pays, se présentaient tout à coup, lorsqu'on les croyait loin, surprenaient les châteaux et les villes. En peu de temps ils eurent conquis toutes les provinces du sud-est, depuis l'embouchure de l'Ouse jusqu'à la baie de Southampton. Le roi Ethelred, qui n'était jamais prêt à combattre, n'imaginait d'autre ressource que celle d'acheter à prix d'argent des trêves de quelques jours, et cette politique de temporisation l'obligeait à charger le peuple d'impôts toujours croissants[99]. Ceux des Anglais qui avaient le bonheur d'être préservés du pillage des Danois n'échappaient point aux exactions royales, et, sous cette forme ou sous l'autre, ils étaient certains de se voir tout enlever.

Pendant que ceux qui gouvernaient l'Angleterre faisaient ainsi leur pacte avec l'étranger aux dépens du peuple, il y eut un homme qui, bien que puissant dans le pays, aima mieux mourir que d'autoriser cette conduite par son exemple. C'était l'archevêque de Canterbury, nommé Elfeg. Prisonnier des Danois après le siège de sa ville métropolitaine, et traîné de campement en campement à la suite de leurs bagages, il resta longtemps dans les chaînes sans prononcer le mot de rançon. Les Danois se lassèrent les premiers, et proposèrent à leur captif de lui rendre la liberté au prix de trois mille pièces d'or, s'il voulait prendre l'engagement de conseiller au roi Ethelred de leur donner une somme quadruple. Je ne possède point tant d'argent, répondit l'archevêque, et je ne veux rien coûter à qui que ce soit, ni rien conseiller à mon roi contre l'honneur du pays[100]. Il déclara hautement qu'il n'accepterait de personne aucun présent pour sa rançon, et défendit à ses amis de rien solliciter, disant que ce serait trahison de sa part que de payer les ennemis de l'Angleterre. Les Danois, plus avides d'argent que du sang de l'archevêque, renouvelaient souvent leurs demandes : Vous me pressez en vain, leur répétait Elfeg ; je ne suis pas homme à fournir aux dents des païens de la chair de chrétien à dévorer, et ce serait le faire que de vous livrer ce que les pauvres ont amassé pour vivre2[101].

Les Danois perdirent patience, et un jour qu'il leur était venu du midi des tonneaux de vin dont ils burent largement, ne sachant que faire pour s'amuser après le repas, ils voulurent se donner le plaisir de mettre en jugement l'archevêque. On le leur amena, garrotté sur un mauvais cheval, au lieu où se tenaient ordinairement le conseil de guerre et le tribunal de l'armée ; les chefs et les guerriers de distinction étaient assis sur de grosses pierres qui formaient un cercle, et non loin de là se trouvait un tas énorme d'os et de cornes de bœufs, débris de la cuisine du camp[102]. Aussitôt que le prélat saxon eut été introduit au milieu du cercle, un grand cri s'éleva de toutes parts : De l'or, évêque, de l'or, ou nous allons te faire jouer un rôle qui te rendra fameux dans le monde[103]. Elfeg répondit avec calme : Je vous offre l'or de la sagesse, qui est de renoncer à vos superstitions et de vous convertir au vrai Dieu ; que si vous méprisez mon conseil, sachez que vous périrez comme Sodome et ne prendrez point racine en ce pays. A ces mots, qui leur parurent une menace pour eux et une insulte pour leur religion, les juges quittèrent leurs sièges, et, se jetant sur l'archevêque, le renversèrent par terre en le frappant du dos de leurs haches ; plusieurs coururent à l'amas d'os et de cornes, dont ils s'armèrent et qu'ils firent pleuvoir sur le Saxon en écartant la foule qui l'entourait. L'archevêque essaya en vain de se mettre à genoux pour prier, et tomba bientôt à demi mort ; il fut achevé par un soldat qu'il avait converti et baptisé la veille, et qui, par une compassion barbare, lui fendit la tête d'un coup de hache, afin de terminer ses souffrances. Les meurtriers voulurent d'abord jeter le cadavre dans un bourbier voisin ; mais les Anglo-Saxons, qui honoraient Elfeg comme un martyr du Christ et de la patrie, achetèrent son corps au prix d'une grosse somme d'argent et l'ensevelirent à Londres[104].

Cependant le roi Ethelred pratiquait sans scrupule ce que l'archevêque de Canterbury, au péril de sa propre vie, avait refusé de lui conseiller. Un jour ses collecteurs de taxes[105] levaient des tributs pour les Danois ; le lendemain les Danois se présentaient eux-mêmes et taxaient pour leur propre compte. A leur départ, les agents royaux revenaient encore, et traitaient les malheureux habitants plus durement que la première fois, les appelant traîtres et pourvoyeurs de l'ennemi[106]. Le vrai pourvoyeur des Danois, Ethelred, lassa enfin la patience du peuple qui l'avait fait roi pour la défense commune. Quelque dure que fût la domination étrangère, on trouva plus facile de s'y résigner tout d'un coup que d'attendre, au milieu des souffrances, sous un roi sans courage et sans vertu, le moment d'une servitude inévitable. Plusieurs provinces du centre et du midi se soumirent volontairement aux Danois ; Oxford et Winchester ouvrirent leurs portes ; et Swen, s'avançant dans la contrée de l'ouest jusqu'au golfe de la Saverne, prit le titre de roi de toute l'Angleterre, sans aucune opposition[107]. Effrayé de l'abandon général, Ethelred s'enfuit dans la petite île de Wight, et de là passa le détroit pour aller en Gaule demander un asile au frère de sa femme, chef souverain de la province riveraine du cours inférieur de la Seine[108].

En se mariant à une femme étrangère, Ethelred avait conçu l'espoir d'obtenir des parents puissants de son épouse quelque secours contre les Danois ; mais il fut trompé dans son attente. Ce mariage, qui devait procurer des défenseurs à l'Angleterre[109], n'amena d'outremer que des solliciteurs d'emplois publics et des ambitieux avides d'argent et de dignités. Les villes dont la garde avait été remise à ces étrangers furent les premières rendues aux Danois[110]. Par un hasard singulier, le prince résidant en Gaule, dont le roi d'Angleterre avait recherché l'alliance comme un appui dans la lutte contre les forces de la Scandinavie, était lui-même d'origine scandinave, et petit-fils d'un ancien chef de pirates, conquérant de la province gauloise que sa postérité gouverna par droit d'héritage. Le chef de cette nouvelle dynastie, après avoir longtemps ravagé la contrée, y avait fixé ses compagnons de piraterie, et fondé avec eux un État qui de leur nom de nation s'appelait Normandie, ou terre des Normands[111].

La Normandie était contiguë, du côté du sud, à la petite Bretagne, État fondé, comme on l'a vu plus haut, par d'anciens réfugiés bretons ; et du côté de l'est elle touchait au vaste pays dont elle avait été démembrée, à la Gaule septentrionale, qui avait pris un nouveau nom, celui de France, depuis l'établissement des Franks. Les descendants de ces émigrés de la Germanie y habitaient encore, après cinq siècles, séparés des indigènes gaulois, moins par les mœurs et l'idiome que par la condition sociale. L'empreinte de la distinction des races se retrouvait dans la différence profondément marquée des conditions et dans les formules du langage qui servait à l'exprimer. Pour désigner la liberté civile au dixième siècle, il n'y avait, dans la langue parlée en France, d'autre mot que celui de frankise ou franchise[112], selon les dialectes, et Franc signifiait à la fois libre, puissant et riche.

Pour fonder et continuer à ce point la prédominance de la race conquérante, il n'eût peut-être pas suffi de la seule invasion des enfants de Merowig et de leur conversion au christianisme. Moins de trois siècles après leur établissement en Gaule, ces terribles envahisseurs étaient presque devenus Gaulois ; les rois issus de Chlodowig, aussi peu offensifs que leurs aïeux s'étaient montrés farouches, bornaient leur ambition à faire bonne chère et à se promener doucement en char[113]. Mais alors il existait entre le Rhin et la forêt des Ardennes, sur le territoire que les Franks nommaient Oster-rike, ou royaume d'Orient, une population chez qui le caractère teutonique avait mieux résisté à l'influence des mœurs méridionales. Venue la dernière à la conquête de la Gaule, exclue de la possession des riches provinces et des grandes cités du Midi, elle aspirait à en usurper sa part, et même à supplanter dans leur domination les Franks du Neoster-rike ou du royaume occidental[114]. Ce hardi projet, longtemps poursuivi avec des chaires diverses, s'accomplit enfin au ville siècle ; et, sous la forme d'une révolution de palais, il y eut une véritable invasion des Franks austrasiens sur les Franks neustriens. Un second partage de terres eut lieu dans presque toute la Gaule ; il s'éleva une seconde race de rois, étrangers à la première ; et la conquête, en se renouvelant, prit un caractère plus durable.

Ce ne fut pas tout ; l'activité guerrière des Franks, éveillée par cette grande impulsion, les poussa dans tous les sens hors de leurs anciennes limites ; ils firent des conquêtes vers le Danube et vers l'Elbe, au delà des Pyrénées et des Alpes. Maître de la Gaule et des deux rives du Rhin, de l'ancien territoire de la confédération saxonne et d'une partie des pays slaves, de l'Italie presque entière et du nord de l'Espagne, le second prince de la nouvelle dynastie, Karl, surnommé le Grand, que nous appelons Charlemagne, échangea son titre de roi contre celui d'empereur ou de César, aboli en Occident depuis plus de trois siècles. C'était un homme d'une activité infatigable, doué de ce génie administratif qui va de l'ensemble aux moindres détails, et que, par une singularité remarquable, on voit reparaître presque identiquement le même aux époques les plus différentes. Mais ce génie, malgré toutes ses ressources, ne pouvait, sans l'action des siècles, fondre en un seul corps tant de nations diverses d'origine, de mœurs et de langage. Sous une apparence d'union l'isolement naturel subsista, et pour empêcher l'empire de se dissoudre dès sa création, il fallut que le grand empereur y portât sans cesse la main. Tant qu'il vécut, les peuples du continent occidental restèrent agrégés sous sa vaste domination, étrangère pour tous, hors un seul ; mais ils commencèrent à rompre cette union factice aussitôt que le César frank fut descendu, en habits impériaux, dans le caveau sépulcral d'Aix-la-Chapelle.

Un mouvement spontané de révolte agita, presque à la fois, les nations associées malgré elles. La Gaule tendit à se séparer de la Germanie, et l'Italie à s'isoler de toutes les deux. Chacune de ces grandes masses d'hommes, en s'ébranlant, entraîna dans sa cause la portion du peuple conquérant qui habitait au milieu d'elles, comme dominatrice du sol, et avec des titres de puissance et d'honneur, soit latins, soit germaniques[115]. Les Franks tirèrent l'épée contre les Franks, les frères contre les frères, les pères contre les fils. Trois des petit-fils de Karl le Grand se livrèrent bataille entre eux, au centre de la Gaule, l'un à la tête d'une armée de Gaulois et de Gallo-Franks, l'autre suivi des Italiens, le troisième des Teutons et des Slaves[116]. La querelle domestique des rois issus du César frank n'était qu'un reflet de la querelle des peuples, et c'est pour cette raison même qu'elle fut si longue et si opiniâtre. Les rois firent et défirent dix partages de cet empire que les peuples voulaient dissoudre ; ils se prêtèrent l'un à l'autre des serments en langue tudesque et dans la langue vulgaire qu'on appelait romane[117] ; puis ils les rompirent aussitôt, ramenés, presque malgré eux, à la discorde, par la turbulence des masses que ne pouvait satisfaire aucun traité.

C'est au milieu de ce désordre, lorsque la guerre civile régnait d'un bout à l'autre de l'immense empire des Franks, que les Vikings danois ou normands — ce dernier nom prévalut en Gaule — vinrent affliger ce pays d'invasions réitérées. Ils faisaient un genre de guerre tout nouveau, .et qui aurait déconcerté les mesures les mieux prises contre une agression ordinaire. Leurs flottes de bateaux à voiles et à rames entraient par l'embouchure des fleuves et les remontaient souvent Jusqu'à leur source, jetant alternativement sur les deux rives des bandes de pillards intrépides et disciplinés. Lorsqu'un pont ou quelque autre obstacle arrêtait cette navigation, les équipages tiraient leurs navires à sec, les démontaient et les charriaient jusqu'à ce qu'ils eussent dépassé l'obstacle. Des fleuves ils passaient dans les rivières, et puis d'une rivière dans l'autre, s'emparant de toutes les grandes îles, qu'ils fortifiaient pour en faire leurs quartiers d'hiver, et y déposer, sous des cabanes rangées en files, leur butin et leurs captifs.

Attaquant ainsi à l'improviste, et, lorsqu'ils étaient prévenus, faisant retraite avec une extrême facilité, ils parvinrent à dévaster des contrées entières, au point que, selon l'expression des contemporains, on n'y entendait plus un chien aboyer. Les châteaux et les lieux forts étaient le seul refuge contre eux ; mais, à cette première époque de leur irruption, il y en avait peu, et les murs mêmes des anciennes villes romaines tombaient en ruine. Pendant que les riches seigneurs de terres flanquaient leur manoir de tours crénelées et l'entouraient de fossés profonds, les habitants du plat pays émigraient en masse de leurs villages, et allaient à la forêt voisine camper sous des huttes défendues par des abatis et des palissades. Mal protégés par les rois, les ducs et les comtes du pays, qui souvent traitaient avec l'ennemi pour eux seuls et aux dépens des pauvres, les paysans s'animaient quelquefois d'une bravoure désespérée, et, avec de simples bâtons, ils affrontaient les haches des Normands[118]. D'autres fois, voyant toute résistance, impossible, ils renonçaient à leur baptême pour détourner la fureur des païens, et, en signe de leur initiation au culte des dieux du Nord, ils mangeaient de la chair d'un cheval immolé en sacrifice. Cette apostasie ne fut point rare dans les lieux les plus exposés au débarquement des pirates ; leurs bandes mêmes se recrutèrent de gens qui avaient tout perdu par leurs ravages ; et d'anciens historiens assurent que le fameux roi de mer Hasting était fils d'un laboureur des environs de Troyes.

Près d'un siècle s'écoula entre la première et la dernière descente des Normands en Gaule, et dans cet intervalle s'accomplit, au milieu de malheurs de tout genre, le démembrement de l'empire fondé par Karl le Grand. Non-seulement on vit se détacher du territoire gaulois des pays que des limites naturelles en séparaient anciennement, mais, au sein même de ce territoire, il se fit une division partielle, d'après les convenances géographiques, les traditions locales, les différences de langage ou de dialectes. La Bretagne, restée indépendante sous la première dynastie franke et assujettie sous la seconde, commença ce mouvement, et redevint un État séparé dès la première moitié du dixième siècle. Elle eut des princes nationaux, affranchis de toute suzeraineté étrangère, et même des princes conquérants, qui enlevèrent au petit-fils de Charlemagne les villes de Rennes et de Nantes. Cinquante ans plus tard, l'ancien royaume des Visigoths, le pays compris entre la Loire, le Rhône et les Pyrénées, après s'être longtemps, et avec des chances diverses, débattu contre la domination franke, devint, sous le nom d'Aquitaine ou de Guienne, une souveraineté distincte ; tandis que, de l'autre côté du Rhône, une nouvelle souveraineté se formait dans la partie méridionale de l'ancien royaume des Burgondes. En même temps, les provinces voisines du Rhin, où le flot des invasions germaniques avait apporté l'idiome tudesque, élevaient une barrière politique entre elles et le pays de langue romane. Dans l'espace intermédiaire laissé par ces nouveaux États, c'est-à-dire entre la Loire, la Meuse, l'Escaut et la frontière bretonne, se trouvait resserré le royaume des Gallo-Franks, ou la France. Son étendue était exactement la même que celle du Neosterrike, ou de la Neustrie des anciens Franks ; mais le nom de Neustrie ne se donnait plus alors qu'à la région maritime la plus occidentale, de même que son corrélatif Oster-rike, ou Austrasie, qui autrefois s'appliquait à la Germanie entière, fut insensiblement relégué vers les rives du Danube.

Ce nouveau royaume de France, véritable berceau de la France moderne, contenait une population mélangée, germaine sous un aspect, et sous l'autre gallo-romaine : aussi les peuples étrangers la désignaient-ils par des noms différents, selon le point de vue d'où ils la considéraient. Les Italiens, les Espagnols, les Anglais et les nations scandinaves ne voyaient que des. Franks dans la Gaule ; mais les Allemands, revendiquant pour eux-mêmes ce noble nom, le refusaient à leurs voisins occidentaux, qu'ils appelaient Wallons on Welches[119]. Dans l'intérieur du pays, on faisait à cet égard une autre distinction : le possesseur de terres qui habitait au milieu de ses vassaux et de ses colons, uniquement occupé d'armes ou de chasse, et qui menait ainsi un genre de vie conforme aux habitudes des anciens Franks, prenait le titre de franc-homme, ou celui de baron, empruntés tous deux à la langue de la conquête[120]. Quant à ceux qui, n'ayant pas de manoir seigneurial, habitaient en masse, à la manière romaine, les villes, les bourgs ou les hameaux, ils tiraient de cette circonstance une qualification particulière ; on les appelait vilains ou manants[121]. Il y avait des vilains réputés libres, et des vilains serfs de la glèbe ; mais la liberté des premiers, toujours menacée ou envahie par les seigneurs, était faible et précaire. Tel était le royaume de France, relativement à son étendue et aux différentes classes d'hommes qui l'habitaient, lorsqu'il subit une grande invasion de pirates septentrionaux, qui devait être la dernière de toutes et en clore la longue série par un démembrement territorial. Pour remonter jusqu'à la cause de cet événement célèbre, il faut entrer dans l'histoire du Nord.

Vers la fin du neuvième siècle, Harald Harfagher, c'est-à-dire aux beaux cheveux, roi d'une partie de la Norvège, étendit par la force des armes son pouvoir sur tout le pays, dont il fit un seul royaume. Cette destruction de plusieurs petits États anciennement libres n'eut point lieu sans résistance ; non-seulement le terrain fut vivement disputé, mais, après la conquête, beaucoup d'hommes préférèrent s'expatrier, et mener sur mer une vie errante, plutôt que d'obéir à un roi étranger. La plupart de ces déshérités infestaient les mers du Nord, ravageaient les côtes et les îles, et travaillaient à exciter des soulèvements parmi leurs compatriotes. Ainsi l'intérêt politique fit bientôt du conquérant de la Norvège l'ennemi le plus acharné des pirates. Avec une flotte nombreuse, il les poursuivit le long de toutes les côtes de son royaume, et jusque dans les parages des Orcades et des Hébrides, coulant bas leurs vaisseaux et ruinant les postes qu'ils avaient établis dans plusieurs îles de l'Océan. En outre, il interdit par des lois sévères dans ses. États la piraterie et toute espèce d'exaction à main armée[122].

C'était un usage immémorial parmi les Vikings d'exercer sur toutes les côtes, sans distinction de pays, un droit qu'ils nommaient strandhug, ou presse des vivres. Lorsqu'un équipage, dont les provisions de bouche tiraient à leur fin, apercevait sur le rivage quelque troupeau gardé par peu de monde, les pirates débarquaient en force, s'emparaient des animaux, les tuaient, les dépeçaient, et se ravitaillaient ainsi sans payer, ou en donnant le moins possible. Le strandhug était le fléau des campagnes et ld terreur des paysans ; souvent on l'avait vu exercer par des gens qui ne faisaient point métier de la piraterie, mais auxquels leur puissance et leur richesse assuraient l'impunité[123].

Il y avait à la cour du roi Harald, parmi les Iarles, ou chefs du premier rang, un certain Rognvald, que le roi aimait beaucoup et qui l'avait servi avec zèle dans toutes ses expéditions. Rognvald avait plusieurs fils, tous connus pour leur bravoure, et dont rainé, appelé Rolf[124], était d'une taille si haute que, ne trouvant dans la petite race du pays aucun cheval à son usage, il cheminait toujours à pied, ce qui le faisait surnommer Gang-Rolf, c'est-à-dire Rolf le Marcheur. Un jour que le fils de Rognvald, avec de nombreux compagnons, revenait d'une croisière dans la Baltique, avant d'aborder en Norvège il relâcha- dans la province de Vighen, et là, soit par besoin de vivres, soit pour profiter de l'occasion, il exerça le strandhug. Le hasard voulut que le roi Harald se trouvât dans les environs et reçût les plaintes des paysans ; sans considérer quel était l'auteur du délit, il fit assembler aussitôt un thing, ou conseil de justice, pour juger Rolf d'après la loi. Avant que l'accusé parût devant l'assemblée qui devait lui appliquer la peine du bannissement, sa mère courut auprès du roi et lui demanda grâce ; mais Harald fut inexorable. Alors cette femme, inspirée par la colère et par le sentiment maternel, se mit à improviser, comme il arrivait souvent aux Scandinaves quand ils étaient vivement émus. S'adressant au roi, elle lui dit en vers : Tu chasses du pays et tu traites en ennemi un homme de noble race ; écoute donc ce que je t'annonce : il est dangereux d'attaquer le loup, et, quand on l'a une fois mis en colère, gare aux troupeaux qui vont dans la forêt ![125] Malgré ces menaces poétiques, la sentence fut prononcée, et Rolf, se voyant banni à perpétuité, assembla quelques vaisseaux et cingla vers les Hébrides. Ces îles avaient servi de refuge à une partie des Norvégiens émigrés par suite des conquêtes du roi Harald. Presque tous étaient des gens de haute naissance et d'une grande réputation militaire. Le nouvel exilé s'associa avec eux pour des entreprises de piraterie ; ils réunirent tout ce qu'ils avaient de vaisseaux, et en formèrent une flotte assez nombreuse, qui n'obéissait point à un seul chef, mais à tous les confédérés, et où Rolf n'avait d'autre prééminence que celle de son mérite et de son nom[126].

Partie des Hébrides, la flotte doubla la pointe de l'Écosse, et, se dirigeant vers le sud-est, pénétra en Gaule par l'embouchure de l'Escaut ; mais comme la contrée, naturellement pauvre et déjà dévastée à différentes reprises, offrait peu de choses à prendre, les pirates se remirent bientôt en mer. Ayant marché au sud, ils entrèrent dans la Seine et la remontèrent jusqu'à Jumièges, à cinq lieues de Rouen : c'était le temps où les limites du royaume de France venaient d'être définitivement fixées, et resserrées entre la Loire et la Meuse. Aux longues révolutions territoriales qui avaient déchiré ce royaume succédait une révolution politique, dont le but, réalisé un siècle plus tard, était l'expulsion de la seconde dynastie des rois franks[127]. Le roi des Français, descendant de Karl le Grand, et nommé Karl comme son aïeul, seule ressemblance qu'il eût avec lui, disputait alors la couronne à un compétiteur dont les ancêtres ne l'avaient jamais portée. Tour à tour vainqueurs ou vaincus, le roi d'ancienne race et le roi par élection étaient maîtres alternativement ; mais ni l'un ni l'autre n'avaient assez de pouvoir pour protéger le pays contre une invasion étrangère toutes les forces du royaume étaient employées, de part et d'autre, à soutenir la guerre civile ; aussi aucune armée ne se présenta pour arrêter les nouveaux pirates et les empêcher de piller et d'incendier les deux rives de la Seine.

Le bruit de leurs dévastations parvint bientôt à Rouen et y jeta la terreur. Les habitants n'attendaient aucun secours et désespéraient de pouvoir défendre leurs murailles, ruinées dans les invasions précédentes. Au milieu de ce découragement général, l'archevêque de Rouen, homme prudent et ferme, prit sur lui de sauver la ville, en capitulant avec l'ennemi avant la première attaque[128]. Sans s'inquiéter de la haine souvent cruelle que les païens du Nord témoignaient pour le clerc chrétien, l'archevêque se rendit au camp près de Jumièges, et parla au chef normand avec le secours d'un interprète. Il dit et fit si bien, dit un vieux chroniqueur, tant promit et tant donna, qu'il conclut une trêve avec Rolf et ses compagnons, leur garantissant l'entrée de la ville, et recevant d'eux, en retour, l'assurance de n'y faire aucun mal[129]. Ce fut près de l'église de Saint-Morin, à l'un des ports de la Seine, que les Norvégiens abordèrent d'une façon toute pacifique. Ayant amarré leurs vaisseaux, tous les chefs parcoururent la ville en différents sens ; ils en examinèrent avec attention les remparts, les quais, les fontaines, et, la trouvant à leur gré, ils résolurent d'en faire leur place d'armes et le chef-lieu de leur nouvel établissement[130].

Après cette prise de possession, les chefs normands, avec leur principal corps de troupes, continuèrent de remonter la Seine. A l'endroit où ce fleuve reçoit la rivière d'Eure, ils établirent un camp fortifié pour attendre l'arrivée d'une armée française qui se dirigeait alors contre eux. Le roi Karl, ou Charles, comme on disait en langue romane, se voyant un moment seul maître du royaume, voulait tenter un grand effort et repousser la nouvelle invasion ; les troupes, conduites par un certain Raghenold, ou Regnauld, qui avait le titre de duc de France, prirent position sur la rive droite de l'Eure, à quelque distance du camp des Normands. Parmi les comtes qui avaient levé bannière pour obéir aux ordres du roi et combattre les païens, se trouvait un païen converti, le fameux roi de mer Hasting. Vingt ans auparavant, las de courir les aventures, il avait fait sa paix avec le royaume de France, en acceptant le comté de Chartres. Dans le conseil que tinrent les Français pour savoir ce que l'on devait faire, Hasting, consulté à son tour, fut d'avis de parlementer avec l'ennemi, avant de risquer une bataille ; quoique cet avis fût suspect à plusieurs des chefs de l'armée, il prévalut, et Hasting partit avec deux personnes qui savaient la langue danoise, pour aller parler aux Normands.

Les trois envoyés suivirent le cours de l'Eure jusqu'en face de l'endroit où les confédérés avaient élevé leurs retranchements. Là, s'arrêtant et élevant la voix de manière à être entendu sur l'autre bord : Holà, cria le comte de Chartres, braves guerriers, quel est le nom de votre seigneur ?Nous n'avons point de seigneur, répondirent les Normands ; nous sommes tous égaux[131]. — Mais pourquoi êtes-vous venus dans ce pays, et qu'y voulez-vous faire ?En chasser les habitants ou les soumettre à notre puissance, et nous faire une patrie. Mais qui es-tu, toi qui parles si bien notre langue ?[132] Le comte reprit : N'avez-vous pas entendu parler de Hasting, le fameux pirate, qui courut les mers avec tant de vaisseaux et fit tant de mal à ce royaume ?Sans doute, répliquèrent les Normands. Hasting a bien commencé, mais il a fait une mauvaise fin[133]. — N'avez-vous donc pas envie de vous soumettre au roi Charles, qui vous offre des fiefs et des honneurs, sous condition de foi et de service ?Nullement, nullement ; nous ne nous soumettrons à personne, et tout ce que nous pourrons conquérir nous appartiendra sans réserve. Va le dire au roi, si tu veux[134].

De retour au camp, Hasting apporta cette réponse, et, dans la délibération qui suivit, il conseilla de ne point s'aventurer à forcer les retranchements des païens. Voilà un conseil de traître, s'écria un seigneur nommé Rolland, et plusieurs autres répétèrent le même cri. Le vieux roi de mer, soit par indignation, soit qu'il ne fût pas tout à fait sans reproche, quitta aussitôt l'armée, et abandonna même son comté de Chartres, sans qu'on sût où il était allé. Mais ses prédictions se vérifièrent : à l'attaque du camp retranché, les troupes furent entièrement défaites, et le duc de France périt de la main d'un pécheur de Rouen, qui servait dans l'armée norvégienne.

Libres de naviguer sur la Seine, Rolf et ses compagnons la remontèrent jusqu'à Paris, et firent le siège de cette ville, sans pouvoir s'en emparer. Un des principaux chefs ayant été pris par les assiégés, pour le racheter ils conclurent avec le roi Charles une trêve d'un an, durant laquelle ils allèrent ravager les provinces du Nord, qui avaient cessé d'être françaises. A l'expiration de la trêve ils retournèrent en hâte vers Rouen, et, partant de cette ville, allèrent surprendre Bayeux, qu'ils enlevèrent d'assaut et dont ils tuèrent le comte avec une partie des habitants. Ce comte, nommé Béranger, avait une fille d'une grande beauté, qui, dans le partage du butin, échut à Rolf, et que le Scandinave prit pour femme, suivant les rites de sa religion et la loi de son pays[135].

Évreux et plusieurs autres villes voisines tombèrent ensuite au pouvoir des Normands, qui étendirent ainsi leur domination sur la plus grande partie du territoire auquel on donnait le vieux nom de Neustrie. Guidés par un certain bon sens politique, ils cessaient de se montrer cruels lorsqu'ils ne trouvaient plus de résistance, et se contentaient d'un tribut levé régulièrement sur les villes et sur les campagnes. Le même bon sens les détermina à créer un chef suprême, investi d'une autorité permanente ; le choix des confédérés tomba sur Rolf, dont ils firent leur roi, dit un ancien chroniqueur ; mais ce titre, qu'on lui donnait peut-être dans la langue du Nord, ne tarda pas à être remplacé par les titres français de duc ou de comte. Tout païen qu'il était, le nouveau duc se rendit populaire auprès des habitants indigènes. Après l'avoir maudit comme un pirate, ils l'aimèrent comme un protecteur, dont le pouvoir les garantissait à la fois de nouvelles attaques par mer et des maux que la guerre civile causait dans le reste de la France[136].

Devenus puissance territoriale, les Normands firent aux Français une guerre mieux soutenue, et, pour ainsi dire, plus méthodique. Ils se liguèrent avec d'autres Scandinaves, probablement Danois d'origine, qui occupaient l'embouchure de la Loire, et convinrent de piller simultanément tout le territoire compris entre ce fleuve et la Seine. La dévastation s'étendit jusqu'en Bourgogne et en Auvergne. Paris, attaqué pour la seconde fois, résista, ainsi que Chartres, Dijon et d'autres lieux forts ; mais une foule de villes ouvertes furent détruites ou saccagées. Enfin, en l'année 912, seize ans après l'occupation de Rouen, les Français de tout état, harassés de ces continuelles hostilités, commencèrent à se plaindre et à demander que la guerre finît à quelque prix que ce fût ; les évêques, les comtes et les barons faisaient au roi des remontrances ; les bourgeois et les paysans criaient merci sur son passage.

Un vieil auteur nous a conservé l'expression des murmures populaires : Que voit-on en tout lieu ? Des églises brûlées, des gens tués ; par la faute du roi et sa faiblesse, les Normands font ce qu'ils veulent dans le royaume ; de Blois à Senlis, pas un arpent de blé, et nul n'ose labourer, ni en prés, ni en vignes. A moins que cette guerre ne finisse, nous aurons disette et cherté[137]. Le roi Charles, qu'on surnommait le Simple ou le Sot[138], et à qui l'histoire a conservé le premier de ces noms, eut assez de bon sens dans cette occasion pour écouter la voix du peuple ; peut-être aussi, en y cédant, crut-il faire un coup de politique, et s'assurer, par l'alliance des Normands, un appui contre les intrigues puissantes qui tendaient à le détrôner[139]. Il convoqua en grande assemblée ses barons et ses évêques, et leur demanda aide et conseil, suivant la formule du temps. Tous furent d'avis de conclure une trêve et de négocier pour la paix.

L'homme le plus capable de mener à bien cette négociation était l'archevêque de Rouen, qui, malgré la différence de religion, exerçait sur Rolf le même genre d'influence que les évêques du cinquième siècle avaient obtenu sur les conquérants de l'empire romain. Ses relations avec les autres évêques et avec les seigneurs de France n'avaient point été interrompues ; peut-être même assista-t-il à leurs délibérations ; mais, présent ou absent, il se chargea volontiers de porter et de faire valoir leurs offres de paix. L'archevêque alla donc trouver le fils de Rognvald, et lui dit : Le roi Charles vous offre sa fille en mariage, avec la seigneurie héréditaire de tout le pays situé entre la rivière d'Epte et la Bretagne, si vous consentez à devenir chrétien et à vivre en paix avec le royaume[140].

Le Normand ne répondit point, cette fois : Nous ne voulons obéir à personne ; d'autres idées, une autre ambition que celle d'un coureur d'aventures, lui étaient venues, depuis qu'il gouvernait, non plus une bande de pirates, mais un vaste territoire. Le christianisme, sans lequel il ne pouvait marcher l'égal des grands seigneurs de France, avait cessé de lui répugner, et l'habitude de vivre au milieu des chrétiens avait éteint le fanatisme du plus grand nombre de ses compagnons. Quant au mariage, il se croyait libre d'en contracter un nouveau, et, devenant chrétien, de renvoyer la femme qu'il avait épousée avec des cérémonies païennes. Les paroles du roi sont bonnes, dit-il à l'archevêque, mais la terre qu'il m'offre ne me suffit pas ; elle est inculte et appauvrie ; mes gens n'y auraient pas de quoi vivre en paix. L'archevêque retourna vers le roi, qui le chargea d'offrir en son nom la Flandre, quoiqu'il n'eût réellement sur ce pays d'autres droits qu'une prétention contestée ; mais Rolf n'accepta point cette nouvelle proposition, disant que la Flandre était un mauvais pays, boueux et plein de marécages. Alors, ne sachant plus que donner, Charles le Simple fit dire au chef normand que, s'il voulait, il aurait en fief la Bretagne, conjointement avec la Neustrie. C'était une offre du même genre que la précédente ; car la Bretagne était un État libre ; la suzeraineté des rois de France ne s'y étendait guère que sur les comtés de Nantes et de Rennes, enlevés aux Français par les princes bretons un demi-siècle auparavant. Mais Rolf y fit peu d'attention ; il ne s'aperçut pas qu'on ne lui donnait encore autre chose qu'une vieille querelle à débattre, et l'arrangement fut accepté[141].

Afin de ratifier le traité de la manière la plus solennelle, le roi de France et le chef des Normands se rendirent, chacun de son côté, au village de Saint-Clair sur l'Epte. Tous les deux étaient accompagnés d'une suite nombreuse ; les Français plantèrent leurs tentes sur l'un des bords de la rivière, et les Normands sur l'autre. A l'heure fixée pour l'entrevue, Rolf s'approcha du roi, et, demeurant debout, mit ses deux mains entre les siennes, en prononçant la formule : Dorénavant je suis votre féal et votre homme, et je jure de conserver fidèlement votre vie, vos membres et votre honneur royal. Ensuite le roi et les barons donnèrent au chef normand le titre de comte, et jurèrent de lui conserver sa vie, ses membres, son honneur, et tout le territoire désigné dans le traité de paix[142].

La cérémonie semblait terminée, et le nouveau comte allait se retirer, lorsque les Français lui dirent : Il est convenable que celui qui reçoit un pareil don s'agenouille devant le roi et lui baise le pied. Mais le Normand répondit : Jamais je ne plierai le genou devant aucun homme, ni ne baiserai le pied d'aucun homme[143]. Les seigneurs insistèrent sur cette formalité, qui était un dernier reste de l'étiquette observée jadis à la cour des empereurs franks ; et Rolf, avec une simplicité malicieuse, fit signe à l'un de ses gens de venir et de baiser pour lui le pied du roi. Le soldat norvégien, se courbant sans plier le genou, prit le pied du roi, et le leva si haut pour le porter à sa bouche que le roi tomba à la renverse[144]. Peu habitués aux convenances du cérémonial, les pirates firent de grands éclats de rire, et il y eut un moment de tumulte ; mais ce bizarre incident ne produisit rien de fâcheux[145].

Deux clauses du traité restaient à remplir, la conversion du nouveau comte ou duc de Normandie, et son mariage avec la fille du roi ; il fut convenu que cette double cérémonie aurait lieu à Rouen, et plusieurs des hauts barons de France s'y rendirent pour accompagner la fiancée. Après une courte instruction, le fils de Rognvald reçut le baptême des mains de l'archevêque, dont il écouta les conseils avec une grande docilité. Au sortir des fonts baptismaux, le néophyte s'enquit du nom des églises les plus célèbres et des saints les plus révérés dans son nouveau pays. L'archevêque lui nomma six églises et trois saints, la Vierge, saint Michel et saint Pierre. — Et dans le voisinage, reprit le duc, quel est le plus puissant protecteur ?C'est saint Denis, répondit l'archevêque. — Eh bien, avant de partager ma terre entre mes compagnons, j'en veux donner une part à Dieu, à sainte Marie et aux autres saints que vous venez de me nommer[146]. En effet, durant sept jours qu'il porta l'habit blanc des nouveaux baptisés, chaque jour il fit présent d'une terre à l'une des sept églises qu'on lui avait désignées. Ayant repris ses vêtements ordinaires, il s'occupa d'affaires politiques et du grand partage de la Normandie entre les émigrés norvégiens[147].

Le pays fut divisé au cordeau, disent les anciens chroniqueurs : c'était la manière d'arpenter usitée en Scandinavie. Toutes les terres désertes ou cultivées, à l'exception de celles des églises, furent partagées de nouveau, sans égard aux droits des indigènes. Les compagnons de Rolf, chefs ou soldats, devinrent, selon leur grade, seigneurs des villes et des campagnes, propriétaires souverains de domaines grands ou petits. Les anciens propriétaires étaient contraints de s'accommoder à la volonté des nouveaux venus, de leur céder la place s'ils l'exigeaient, ou de tenir d'eux leur propre domaine à ferme ou en vasselage. Ainsi les serfs du pays changèrent de maîtres, et beaucoup d'hommes libres tombèrent dans la servitude de la glèbe. De nouvelles dénominations géographiques résultèrent de cette répartition de la propriété territoriale, et l'usage attacha dès lors à un grand nombre de domaines les noms propres des guerriers scandinaves qui les avaient reçus en lots[148]. Quoique l'état des gens de métiers et des paysans différât peu en Normandie de ce qu'il était en France, l'espoir d'une plus complète sécurité, et le mouvement de vie sociale qui accompagne d'ordinaire une domination naissante, engagèrent beaucoup d'artisans et de laboureurs à émigrer pour aller s'établir sous le gouvernement du duc Rolf. Son nom, que les indigènes de la Neustrie et les Français leurs voisins prononçaient Rou, devint populaire au loin ; il passait pour le plus grand ennemi des voleurs et le plus grand justicier de son temps[149].

Bien que la plupart des Norvégiens, à l'exemple de leur chef, eussent accepté le baptême avec empressement, il paraît qu'un certain nombre d'entre eux s'y refusèrent et résolurent de conserver les usages de leurs ancêtres. Les dissidents se réunirent pour former une sorte de colonie à part, et se fixèrent aux environs de Bayeux. Peut-être furent-ils attirés de ce côté par les mœurs et le langage des habitants de Bayeux, qui, Saxons d'origine, parlaient encore au dixième siècle un dialecte germanique[150]. Dans ce canton de la Normandie, l'idiome norvégien, différant peu du langage populaire, se confondit avec lui et l'épura, en quelque sorte, de manière à le rendre intelligible pour les Danois et les autres Scandinaves[151]. Lorsque, après quelques générations, la répugnance des barons normands du Bessin et du Cotentin pour le christianisme eut cédé à l'entraînement de l'exemple, l'empreinte du caractère scandinave se retrouvait encore chez eux d'une manière prononcée. Ils se faisaient remarquer, entre les autres seigneurs et chevaliers de la Normandie, par leur extrême turbulence, et par une hostilité presque permanente contre le gouvernement des ducs ; quelques-uns même affectèrent longtemps de porter sur leurs armes des devises païennes, et d'opposer le vieux cri de guerre des Scandinaves : Thor aide ! à celui de Dieu aide ! qui était le cri de Normandie[152].

La paix ne fut pas de longue durée entre les Français et les Normands, et ces derniers profitèrent avec habileté des circonstances pour s'agrandir vers l'est, presque jusqu'au lieu où la rivière d'Oise se réunit à la Seine[153] ; au nord, leur territoire avait pour limite la petite rivière de Bresle, et au sud-ouest celle de Casnon. Les habitants de ce pays étaient tous appelés Normands par les Français et par les étrangers, à l'exception des Danois et des Norvégiens, qui ne donnaient ce nom, honorable pour eux, qu'à la partie de la population qui était véritablement de race et de langue normandes. Cette portion, la moins nombreuse, jouait à l'égard de la masse, soit indigène, soit émigrée des autres parties de la Gaule, le même rôle que les fils des Franks à l'égard des fils des Gaulois. En Normandie, la simple qualification de Normand fut d'abord un titre de noblesse ; c'était le signe de la liberté et de la puissance, du droit de lever des impôts sur les bourgeois et les serfs du pays[154].

Tous les Normands de nom et de race étaient égaux en droits, bien que inégaux en grades militaires et en dignités politiques. Nul d'entre eux n'était taxé que de son propre consentement ; nul n'était assujetti au péage pour le charroi de ses denrées ou pour la navigation sur les fleuves ; tous enfin jouissaient du privilège de chasse et de pêche, à l'exclusion des vilains et des paysans, termes qui comprenaient en fait la masse de la population indigène. Quoique la cour des ducs de Normandie fût organisée à peu près sur le modèle de celle des rois de Franco, le haut clergé n'en fit point partie dans les premiers temps, à cause de son origine française ; plus tard, quand un grand nombre d'hommes de race norvégienne ou danoise eut pris l'habit ecclésiastique, une certaine distinction de rang et de privilège continua d'exister, même dans les monastères, entre eux et le reste des clercs[155].

Cette distinction, pleine de charges accablantes dans l'ordre politique et civil, ne tarda guère à soulever contre elle l'ancienne population du pays. Moins d'un siècle après l'établissement du nouvel État dont elle était la partie opprimée, cette population eut la pensée  de détruire l'inégalité des races, de manière que le pays de Normandie ne renfermât qu'un seul peuple, comme il ne portait qu'un seul nom. Ce fut sous le règne de Rikhard ou Richart II, troisième successeur de Rolf, que ce grand projet se manifesta. Dans tous les cantons de la Normandie, les habitants des bourgs et des hameaux, le soir, après l'heure du travail, commencèrent à se réunir et à parler ensemble des misères de leur condition. Ces groupes de causeurs politiques étaient de vingt, de trente, de cent personnes, et souvent l'assemblée se rangeait en cercle, pour écouter quelque orateur qui l'animait par des discours violents contre les seigneurs du pays, comtes, vicomtes, barons et chevaliers[156]. D'anciennes chroniques en vers présentent, d'une manière vive et forte, sinon authentique, la substance de ces harangues[157] :

Les seigneurs ne nous font que du mal ; nous ne pouvons avoir d'eux raison ni justice ; ils ont tout, prennent tout, mangent tout, et nous font vivre en pauvreté et en souffrance. Chaque jour est pour nous jour de peines ; nous n'avons nul gain de nos labeurs, tant il y a de services de redevances et de corvées. Pourquoi nous laisser traiter ainsi ? Mettons-nous hors de leur pouvoir ; nous sommes des hommes comme eux, nous avons les mêmes membres, la même taille, la même force pour souffrir, et nous sommes cent contre un. Jurons de nous défendre l'un l'autre ; tenons-nous tous ensemble, et nul homme n'aura seigneurie sur nous ; et nous serons libres de péages ; et nous pourrons couper des arbres, prendre le gibier et le poisson, faire en tout notre volonté, aux bois, dans les prés et sur l'eau[158].

Ces appels au droit naturel et à la force du plus grand nombre ne manquèrent point leur effet, et beaucoup de gens des bourgades se firent l'un à l'autre le serment de tenir ensemble et de s'aider contre qui que ce fût[159]. Une grande association de défense mutuelle s'étendit sur toutes les campagnes, et réunit, sinon la masse entière, du moins la classe agricole de la population indigène. Les associés étaient partagés en différents cercles, que l'historien original désigne par le nom de conventicules[160] ; il y en avait au moins un par comté, et chacune de ces réunions choisissait plusieurs de ses membres mur composer le cercle supérieur ou l'assemblée centrale[161]. Cette assemblée devait préparer et organiser dans tout le pays les moyens de résistance ou de soulèvement ; elle envoyait de canton en canton, et de village en village, des gens éloquents et persuasifs, pour gagner de nouveaux associés, enregistrer leurs noms et recevoir leurs serments[162].

Les choses en étaient à ce point, et aucune rébellion ouverte n'avait encore éclaté, lorsqu'à la cour de Normandie vint la nouvelle que, par tout le pays, les villains tenaient des conciliabules et se formaient en association jurée[163]. L'alarme fut grande parmi les seigneurs, menacés de perdre d'un seul coup leurs droits et les revenus de leurs domaines. Le duc Richard, qui était encore trop jeune pour prendre conseil de lui-même, fit venir son oncle, Raoul, comte d'Évreux, en qui il avait toute confiance. Sire, dit le comte, demeurez en paix, et laissez-moi ces paysans ; ne bougez pas, mais envoyez-moi tout ce que vous avez de chevaliers et d'autres gens d'armes[164].

Afin de surprendre les chefs de l'association, le comte Raoul dépêcha de plusieurs côtés des espions adroits, qu'il chargea de découvrir le lieu et l'heure où se tenait l'assemblée centrale ; sur leurs rapports, il fit marcher ses troupes, et arrêta en un seul jour tous les députés des cercles inférieurs, les uns pendant qu'ils tenaient séance, les autres pendant qu'ils recevaient dans les villages le serment des affiliés[165]. Soit par passion, soit par calcul, le comte traita ses prisonniers avec une extrême cruauté. Sans jugement et sans la moindre enquête, il leur infligea des mutilations ou des tortures atroces. Aux uns il fit crever les yeux, à d'autres couper les pieds ou les mains ; d'autres eurent les jarrets brûlés, d'autres furent empalés vifs ou arrosés de plomb fondu[166]. On renvoya dans leurs familles les malheureux qui survécurent, et on les promena par les villages, pour y répandre la terreur. En effet, la crainte prévalut sur l'amour de la liberté dans le cœur des paysans de Normandie ; la grande association fut rompue ; il n'y eut plus d'assemblées secrètes, et une triste résignation succéda pour des siècles à l'enthousiasme d'un moment[167].

Quand eut lieu cette mémorable tentative, la différence de langage, qui d'abord avait séparé les grands et le peuple de la Normandie, n'existait déjà presque plus : c'était par sa généalogie que l'homme d'origine-scandinave se distinguait du Gallo-Frank. A Rouen même, et dans le palais des successeurs de Rolf, on ne parlait d'autre langue, au commencement du onzième siècle, que la langue romane ou française. La seule ville de Bayeux faisait encore exception, et son dialecte, mélangé de saxon et de norvégien, était facilement compris des habitants de la Scandinavie. Aussi, quand de nouveaux émigrés venaient du Nord visiter leurs parents de Normandie et leur demander quelque portion de terre, c'était du côté de Bayeux qu'ils s'établissaient de préférence, Pareillement, c'était là que les ducs de Normandie, si l'on en croit un vieux chroniqueur, envoyaient leurs enfants pour apprendre à parler danois. Les Danois et les Norvégiens entretinrent avec la Normandie des relations d'alliance et d'affection, tant qu'ils trouvèrent dans la ressemblance de langage le signe d'une ancienne fraternité nationale. Plusieurs fois, durant les querelles que les premiers ducs eurent à soutenir contre les Français, de puissants secours leur vinrent de la Norvège et du Danemark, et, tout chrétiens qu'ils étaient, ils furent aidés par des rois encore païens. Mais dès que l'usage de la langue romane devint universel en Normandie, les Scandinaves cessèrent de regarder les Normands comme des alliés naturels ; ils cessèrent même de leur donner le nom de Normands, et les appelèrent Français ou Velskes, comme le reste des habitants de la Gaule[168].

Ces liens de parenté et d'amitié se trouvaient déjà fort relâchés dans les premières années du onzième siècle, lorsque le roi d'Angleterre Ethelred épousa la sœur de ce même Richard, quatrième duc de Normandie, dont il a été fait mention plus haut. Il est probable en effet que, si la branche de population scandinave établie dans la Gaule n'eût commencé alors à se détacher de sa tige septentrionale, le roi saxon n'aurait point conçu l'espérance d'être soutenu par le petit-fils de Rolf contre la puissance des rois du Nord. Le peu d'empressement du Normand Richard à secourir son beau-frère ne provint d'aucun scrupule ni d'aucune répugnance morale, mais de ce que Richard ne vit dans cette intervention rien de favorable à son intérêt propre, qu'il était habile à démêler et ardent à poursuivre, selon le caractère qui distinguait déjà les habitants de la Normandie.

Pendant qu'Ethelred dans l'exil recevait l'hospitalité chez son beau-frère, les Anglais, sujets de l'étranger, regrettaient, comme au temps de la fuite d'Alfred et de la première conquête danoise,. le règne de leur prince naturel, abandonné par eux à cause de son mauvais gouvernement. Swen, à qui ils avaient laissé prendre, en l'année 1014, le titre de roi d'Angleterre, mourut, dans cette même année, d'une mort subite et mystérieuse. Les soldats danois, cantonnés dans les villes, ou en station sur leurs vaisseaux à l'embouchure des rivières, choisirent ; pour succéder à leur chef, son fils Knut, alors en mission dans le pays voisin de l'Humber pour y déposer les tribus et les otages des Anglais du Sud. Ceux-ci, encouragés par son absence, délibérèrent d'envoyer un messager à l'exilé de Normandie, lui dire, au nom de la nation anglaise, qu'elle le reprendrait pour roi s'il promettait de mieux gouverner[169]. Pour répondre à ce message, Ethelred fit partir son fils Edward, le chargeant de saluer en son nom tout le peuple anglais[170], et de jurer publiquement qu'à l'avenir il remplirait ses devoirs de seigneur avec fidélité[171], amenderait ce qui ne plaisait point et oublierait tout ce qu'on avait pu faire ou dire contre sa personne. L'amitié jurée entre la nation et le roi fut confirmée de part et d'autre par des gages mutuellement donnés[172], et l'assemblée des sages anglo-saxons prononça contre tout Danois qui s'intitulerait roi d'Angleterre une sentence perpétuelle de mise hors la loi[173].

Ethelred reprit ses marques d'honneur. On ne peut savoir exactement sur quelle étendue de territoire il régnait, car les garnisons danoises, chassées alors de quelques villes, en conservèrent beaucoup d'autres, et même la cité de Londres demeura en leur pouvoir. Peut-être le grand chemin appelé Westlinga-street servait-il, pour la seconde fois, de ligne de démarcation entre les provinces libres et les provinces soumises à la domination étrangère. Le roi Knut, fils de Swen, mécontent du partage que les Anglo-Saxons le contraignaient d'accepter, revint du Nord, et, ayant débarqué près de Sandwich, il fit, dans un mouvement de colère, torturer et mutiler sur le rivage de la mer tous les otages que son père avait reçus[174]. Cette cruauté inutile fut le signal d'une nouvelle guerre qu'Ethelrecl, désormais fidèle à ses promesses, soutint courageusement avec des chances diverses de succès et de revers. A sa mort, les Anglais choisirent pour roi, non l'un de ses enfants légitimes, demeurés en Normandie, mais son fils naturel Edmund, qu'on surnommait Côte de Fer, irenside, et qui avait donné de grandes preuves de courage et d'habileté. Par sa conduite énergique, Edmund releva un moment la fortune du peuple anglais ; il reprit Londres sur les Danois et leur livra cinq grandes batailles[175].

Dans un de ces combats qui fut donné à trente milles de Londres[176], et où les Anglais, d'abord mis en déroute, eurent finalement l'avantage, un chef danois du plus haut rang, nommé Ulf, séparé des siens par /es accidents de la bataille, s'enfonça dans une forêt épaisse dont il ignorait les détours. Cherchant à se diriger vers la Tamise, où stationnait la flotte du roi Knut avec la réserve de l'armée, Ulf marcha inutilement toute la' nuit, et, au point du jour, il rencontra un jeune homme conduisant un troupeau de moutons ; il le salua et lui demanda son nom[177]. Je m'appelle Godwin, dit le jeune homme ; et toi, n'es-tu pas quelqu'un de l'armée de Knut ?Je suis, reprit le chef, un des marins de sa flotte. Peux-tu me dire quelle distance il y a d'ici à nos vaisseaux ? Le jeune berger, dont la physionomie exprimait un mélange de finesse et de résolution, répondit : Je ne vois pas pourquoi vous, Danois, vous attendez de nous du secours, ayant mérité tout autre chose[178]. — Jeune homme, répliqua Ulf d'un ton insinuant, si tu voulais me montrer le chemin jusqu'à nos vaisseaux, je t'en saurais beaucoup de gré. — Tu as pris ton chemin à rebours, dit le jeune Godwin, et tu t'es avancé bien loin dans les terres. Vous autres soldats de Knut, vous n'êtes pas en faveur auprès des gens du pays, et c'est justice ; la nouvelle du combat d'hier a parcouru les campagnes ; il n'y a pas de sûreté pour toi si quelque paysan te rencontre, et il y a danger pour celui qui te prêterait secours. Le chef danois tira de son doigt un anneau d'or, et, le présentant au jeune homme : Je te donnerai cela, dit-il, si tu veux me servir de guide. Godwin le regarda en face quelque temps sans rien dire, puis il répondit : Je ne veux pas prendre cet anneau, et pourtant j'essayerai de te conduire auprès des tiens ; si je parviens à faire que tu sois sauvé, j'aime mieux que la récompense te regarde alors, et si mon secours ne t'est bon à rien, je ne mériterai aucun salaire[179].

Le jeune berger conduisit le chef danois à la ferme de son père, et, entrant avec lui dans la salle basse où se prenaient les repas de la maison, il lui fit servir à boire et à manger. Parcourant des yeux cette maison rustique, Ulf observa qu'elle était mieux bâtie et plus ornée que les habitations du même genre[180] ; et en effet il ne se trouvait pas chez un paysan ordinaire. Le père de Godwin, nommé Wulfnoth, avait éprouvé dans sa vie des fortunes bien diverses. Né dans la classe des cultivateurs libres, qu'on appelait Keorls en langue saxonne[181], il était sorti de son état par la protection d'un de ses oncles, Edrik Streone, aventurier plein d'habileté et d'astuce que la faveur du roi Ethelred avait élevé au plus haut rang[182]. Wulfnoth, entré sous ce roi dans la milice du palais, honoré de la chevalerie anglo-saxonne et d'un commandement naval, se trouvait élevé par son mérite au rang de la noblesse, lorsqu'il fut accusé de trahison, destitué et condamné à l'exil[183]. Au lieu d'obéir à ce jugement, il s'empara des vaisseaux qu'il commandait, pilla les côtes d'Angleterre, et dans sa résistance fit éprouver de grandes pertes à la marine royale[184]. Puis il mena en mer la vie de pirate, jusqu'au temps de la conquête danoise, sous laquelle, amnistié de fait, il revint en Angleterre ; après la restauration d'Ethelred, il y resta obscur et oublié. Retombé de sa noblesse passagère à l'état de ses ancêtres, il reprit la vie de fermier anglo-saxon, avec d'autres habitudes, des souvenirs d'ancienne opulence et des regrets d'ambition, sinon pour lui-même, du moins pour son fils en âge de s'élever, comme autrefois il l'avait fait, par la profession des armes.

Pendant que le chef danois prenait son repas, le maître et la maitresse du logis entrèrent pour saluer l'étranger et remplir envers lui les devoirs de l'hospitalité. Celui-ci observa qu'ils étaient distingués tous les deux par la beauté de leur figure et par une mise élégante[185]. Il fut traité durant un jour avec toutes sortes d'égards, et, quand vint le soir, on amena deux chevaux de belle apparence et bien harnachés : Voici le moment de partir, dit Wulfnoth à son hôte ; adieu. Je remets entre tes mains mon fils unique ; si tu arrives auprès de ton roi, et si tu as quelque pouvoir, fais en sorte, je te prie, qu'il soit reçu à son service. Car il ne pourra plus désormais habiter avec moi, si les gens du pays apprennent que tu t'es sauvé par son aide[186]. Quant à ce qui me regarde, ajouta-t-il d'un ton de fierté qui rappelait son ancienne existence, je trouverai le moyen d'écarter le péril qui ne menacerait que moi seul. Le chef danois, sans déclarer qui il était, promit de solliciter pour Godwin l'admission dans la garde du roi Knut. Le jeune homme et lui montèrent à cheval, et, protégés dans leur route par l'obscurité de la nuit, ils arrivèrent au matin près de la station des vaisseaux et du campement de l'armée danoise. Dès que les soldats reconnurent leur chef qu'ils croyaient mort et qui était le beau-frère du roi, ils l'entourèrent et le saluèrent des plus vives acclamations. Godwin apprit alors pour la première fois quel était le haut rang de l'homme auquel il avait servi de guide[187].

Ulf, ne donnant pas de mesure à sa dette de reconnaissance, mena le jeune Saxon à sa tente et l'y fit asseoir sur un siège aussi haut que le sien, le traitant, dit la narration scandinave, comme lui-même ou son propre fils[188]. Godwin fit, dans la troupe d'élite qui servait de garde au roi Knut, son apprentissage militaire, et de là, porté à la fois par la faveur et par son mérite, il gagna rapidement les postes supérieurs de l'armée. Il se signala en Danemark et en Norvège contre les rois ennemis de Knut, et lorsque l'Angleterre fut de nouveau soumise à la royauté danoise, il y parvint au rang de gouverneur de province. Cet homme qui, de l'état de fils de fermier gardant les troupeaux de sa famille, s'éleva, grâce à la protection des étrangers, aux premières dignités de son pays, devait, par une destinée bizarre, contribuer plus qu'aucun autre à la ruine de la domination étrangère. Son nom va bientôt figurer parmi les grands noms de cette histoire, et peut-être alors y aura-t-il quelque plaisir à se rappeler l'origine et la singularité de sa fortune.

Les victoires des Anglo-Saxons sur les Danois amenèrent un armistice et une trêve qui fut jurée solennellement, en présence des deux armées, par les rois Edmund et Knut. Ils se donnèrent mutuellement le nom de frère[189], et, d'un commun accord, fixèrent à la Tamise la limite de leurs royaumes respectifs. A la mort d'Edmund, le roi danois franchit cette limite, qui devait être inviolable ; il avait gagné sous main quelques chefs intéressés ou ambitieux, et la terreur produite par son invasion fit réussir leurs intrigues : après une courte résistance, les Anglo-Saxons des provinces du sud et de l'ouest se soumirent, et reconnurent le fils de Swen pour roi de toute l'Angleterre. Knut jura en retour de se montrer juste et bienveillant, et toucha de sa main nue la main des principaux chefs, en signe de sincérité[190].

Malgré ces promesses et la facilité de son avènement, Knut se montra d'abord ombrageux et cruel. Tous les hommes qui s'étaient fait remarquer par leur attachement à l'ancienne indépendance du pays et à la royauté anglo-saxonne, quelques-uns même de ceux qui avaient trahi cette cause pour celle du pouvoir étranger, furent bannis de l'Angleterre ou mis à mort. Qui m'apportera la tête d'un de mes ennemis, disait le roi danois avec la férocité d'un pirate, me sera plus cher que s'il était mon frère[191]. Les parents des deux derniers rois, Ethelred et Edmund, furent proscrits en masse : les fils d'Ethelred étaient alors à la cour de Normandie ; mais ceux d'Edmund, restés en Angleterre, n'échappèrent point à la persécution. N'osant les mettre à mort sous les yeux du peuple anglais, Knut les fit déporter en Scandinavie, et eut soin d'insinuer au petit roi auquel il les donna en garde quels étaient ses desseins à leur égard ; mais celui-ci feignit de ne pas comprendre, et laissa ses prisonniers libres de passer en Allemagne. De là ils se rendirent, pour être encore plus en sûreté, à la cour du roi de Hongrie, qui commençait alors à figurer parmi les puissances chrétiennes : ils y furent accueillis avec honneur, et l'un d'eux épousa dans la suite une parente de l'empereur des Allemands[192].

Richard, duc de Normandie, sentant l'impossibilité de rétablir ses neveux sur le trône d'Angleterre, et voulant jouir du bénéfice d'une alliance étroite avec ce pays, adopta une politique toute personnelle ; il négocia avec le roi danois au détriment des fils d'Ethelred. Par un arrangement bizarre, mais assez habilement conçu, il fit proposer à Knut de prendre en mariage la mère de ces deux jeunes princes, qui, ainsi qu'on l'a vu, était sa sœur : elle avait reçu au baptême le nom d'Emme ou Emma ; mais, à son arrivée en Angleterre, les Saxons avaient changé ce nom étranger en celui d'Alfghive, qui signifiait présent des génies. Flattée de redevenir l'épouse d'un roi, Emma consentit à cette seconde union, et laissa en doute, disent les vieux historiens, qui d'elle ou de son frère se déshonorait le plus[193]. Bientôt elle devint mère d'un nouveau fils, à qui la puissance de son père promettait une tout autre fortune que celle des enfants d'Ethelred, et, dans l'enivrement de son ambition, elle oublia et méprisa ses premiers-nés. Quant à eux, retenus hors de leur pays natal, ils en désapprirent peu à peu les mœurs et jusqu'au langage ; ils contractèrent dans l'exil des habitudes et des amitiés étrangères : événement peu grave en lui-même, mais qui eut de fatales conséquences.

Assuré dans son pouvoir par une possession de plusieurs années, et par un mariage qui le rendait en quelque sorte moins étranger à la nation anglaise, le roi Knut s'humanisa par degrés ; on vit se développer en lui un nouveau caractère ; il eut des pensées de gouvernement aussi élevées que son époque et sa situation le comportaient ; il eut même la volonté d'être impartial entre les Anglais et les Danois. Sans rien relâcher des énormes tributs que la conquête imposait à l'Angleterre, il les employait en partie â acheter de ses compatriotes leur retour en Danemark, et à rendre ainsi moins sensible la division des habitants de l'Angleterre en deux races ennemies et de condition inégale. De tous les Danois armés qui étaient venus avec lui, il ne garda qu'une troupe de quelques milliers d'hommes, qui formaient sa garde, et qu'on appelait Thingamanna, c'est-à-dire gens du palais. Fils d'un apostat au christianisme, il se montrait chrétien zélé, rebâtissant les églises que son père et lui-même avaient brillées, et dotant avec magnificence les abbayes et les monastères [194]. Par un acte de pieuse complaisance pour l'esprit national des Anglais, il éleva une chapelle splendide sur la sépulture d'Edmund, roi d'Est-Anglie, qui, depuis un siècle et demi, était vénéré comme un martyr de la foi et du patriotisme ; la même pensée lui fit ériger à Canterbury un monument pour l'archevêque Elfeg, victime, comme le roi Edmund, de la cruauté des Danois.

Dans le temps du partage de l'Angleterre en souverainetés indépendantes, plusieurs des rois anglo-saxons, surtout ceux de West-sex et de Mercie, avaient établi, à différentes reprises, des redevances envers l'Église romaine[195]. L'objet de ces dons annuels était de procurer un meilleur accueil et des secours dans le besoin aux pèlerins anglais qui se rendaient à Rome, de fournir aux frais d'une école pour les jeunes gens de cette nation, ou à l'entretien du luminaire des tombeaux de saint Pierre et de saint Paul[196]. Le payement de cette rente, qu'on appelait en langue saxonne argent de Rome ou cens de Rome, plus ou moins régulier, selon le degré de zèle et de richesse des rois et du peuple, fut presque entièrement suspendu aux neuvième et dixième siècles par les invasions danoises[197]. Voulant expier le tort que ses compatriotes avaient fait à l'Église, et surpasser en munificence tous les rois anglo-saxons, Knut fit revivre cette institution, en lui donnant la plus grande étendue ; il soumit toute l'Angleterre à un tribut perpétuel, qu'on appela denier de saint Pierre. Cet impôt, payable à raison d'un denier en monnaie du temps, par chaque maison habitée dans les villes et dans les campagnes, devait, aux termes des ordonnances royales, être levé chaque année, à la louange et gloire de Dieu-Roi, le jour de la fête du prince des apôtres[198].

Les hommages pécuniaires des anciens rois saxons envers l'Église romaine n'avaient aggravé en aucune sorte la dépendance religieuse de l'Angleterre. Cette dépendance et le pouvoir de l'Église étaient alors d'une nature essentiellement spirituelle ; mais durant le cours du neuvième siècle, par suite des révolutions survenues en Italie, la suprématie de la cour de Rome prit un caractère tout nouveau. Plusieurs villes, échappées à l'autorité des empereurs de Constantinople, ou enlevées par les Franks aux rois des Langobards, s'étaient rangées sous l'obéissance du pape, qui réunit ainsi la qualité de souverain temporel à celle de chef de l'Église. Le nom de patrimoine de saint Pierre cessa dès lors d'être appliqué à de simples domaines séparés par de grandes distances, disséminés en Italie, en Sicile, en Gaule ; il servit à désigner un territoire vaste et compacte, possédé ou régi souverainement à titre de seigneurie[199]. Suivant la loi constante et universelle du développement politique, ce nouvel État ne devait pas plus que tout autre être dépourvu d'ambition, et sa tendance nécessaire était d'abuser, dans des vues d'intérêt matériel, de l'influence morale que son chef exerçait sur les royaumes d'Occident.

Après une semblable révolution, l'envoi d'un tribut annuel à la cour pontificale ne pouvait manquer d'avoir, au moins dans l'esprit de cette cour, un tout autre sens qu'auparavant. Des idées inouïes jusque-là commençaient à y germer ; on parlait de la suzeraineté universelle de saint Pierre sur tous les pays lointains qui avaient reçu de Rome la foi chrétienne. L'Angleterre était de ce nombre ; il y avait donc péril pour l'indépendance politique de ce royaume dans l'obligation d'un tribut, simple témoignage de ferveur chrétienne. Personne, il est vrai, ne soupçonna les Conséquences que pourrait avoir l'engagement perpétuel du denier de saint Pierre, ni le roi qui prit cet engagement, soit par zèle religieux, soit par ostentation de pouvoir, ni le peuple, qui s'y soumit sans murmure comme à un acte de piété. Pourtant il ne fallut pas un demi-siècle pour développer ces conséquences et amener la cour de Rome à traiter l'Angleterre en fief du siège apostolique.

Vers l'année 1030, le roi Knut résolut d'aller en personne à Rome, pour visiter les tombeaux des apôtres, et recevoir les remercîments que méritaient ses largesses ; il partit avec un nombreux cortège, portant une besace sur l'épaule, et un long bâton à la main. Ayant accompli son pèlerinage, et sur le point de retourner dans le nord, il adressa à toute la nation anglaise une lettre où règne un ton de bonhomie qui contraste singulièrement avec l'éducation et les premiers actes de royauté du fils de Swen[200].

Knut, roi d'Angleterre et de Danemark, à tous les évêques et primats, et à tout le peuple anglais, salut. Je vous fais savoir que je suis allé à Rome pour la rédemption de mes fautes et pour le salut de mes royaumes. Je remercie très-humblement le Dieu tout-puissant de ce qu'il m'a octroyé une fois en ma vie la grâce de visiter en personne ses saints apôtres Pierre et Paul, et tous les saints qui ont leur habitation, soit au dedans des murs, soit au dehors de la cité romaine. Je me suis déterminé à ce voyage, parce que j'ai appris, de la bouche des sages, que l'apôtre Pierre possède une grande puissance de lier et de délier, et qu'il est le porte-clefs du royaume céleste ; c'est pourquoi j'ai jugé utile de solliciter spécialement sa faveur et son patronage.

Il s'est tenu ici, dans la solennité pascale, une grande assemblée d'illustres personnes, savoir : le pape Jean, l'empereur Kunrad, et tous les premiers des nations, depuis le mont Gargano jusqu'à la mer qui nous avoisine. Tous m'ont accueilli avec distinction, et m'ont honoré de riches présents : j'ai reçu des vases d'or et d'argent, des étoffes et des vêtements de grand prix. Je me suis entretenu avec l'empereur, le seigneur pape et les autres princes, sur les besoins de tout le peuple de mes royaumes, tant anglais que danois. J'ai tâché d'obtenir pour mes peuples justice et sûreté dans leurs voyages à Rome, et surtout qu'ils ne soient plus dorénavant retardés dans leur route par les clôtures des monts, ni vexés par d'énormes péages. J'ai fait aussi mes plaintes au seigneur pape sur l'énormité des sommes exigées jusqu'à ce jour de mes archevêques, quand ils se rendaient, suivant l'usage, auprès du siège apostolique, afin d'obtenir le pallium. Il a été décidé que cela n'aurait plus lieu à l'avenir.

Je veux en outre que vous sachiez tous que j'ai fait vœu au Dieu tout-puissant de régler ma vie selon la droiture, et de gouverner mon peuple avec justice. Si, durant la fougue de ma jeunesse, j'ai fait quelque chose de contraire à l'équité, je veux désormais, avec l'aide de Dieu, l'amender selon mon pouvoir. C'est pourquoi je requiers et somme tous mes conseillers, et ceux à qui j'ai confié les affaires de mon royaume, de ne se prêter à aucune injustice, ni par crainte de moi, ni en faveur des puissants ; je leur recommande, s'ils mettent du prix à mon amitié et à leur propre vie, de ne faire tort ni violence à aucun homme, riche ou pauvre. Que chacun, selon son état, jouisse de ce qu'il possède, et ne soit troublé dans cette jouissance ni au nom du roi, ni au nom de personne, ni sous prétexte de lever de l'argent pour mon trésor ; car je n'ai nul besoin d'argent obtenu par des moyens injustes.

Je me propose de me rendre en Angleterre, dans l'été même, et aussitôt que seront achevés les préparatifs de mon embarquement. Je vous prie et vous ordonne, vous tous, évêques.et officiers de mon royaume d'Angleterre par la foi que vous devez à Dieu et à moi, de faire en sorte qu'avant mon retour toutes nos dettes envers Dieu soient acquittées ; savoir les aumônes par charrues, la dîme des animaux nés dans l'année, et les deniers dus à saint Pierre par chaque maison des villes et des villages ; de plus, à la mi-août, la dîme des moissons, et, à la Saint-Martin, les prémices des semences. Que si, à mon prochain débarquement, ces redevances ne sont point 'entièrement payées, la puissance royale s'exercera contre les délinquants, selon la rigueur de la loi, et sans aucune grâce[201].

Ce fut sous le règne de Knut, et à la faveur des longues guerres qu'il fit pour réunir au Danemark les autres royaumes scandinaves, que Godwin, ce paysan saxon dont on a vu la singulière aventure, s'éleva par ses exploits militaires aux plus hautes dignités. Après une grande victoire remportée sur les Norvégiens, il obtint l'office d'Eorl[202], ou chef politique de l'ancien royaume de West-sex, réduit alors à l'état de province. Beaucoup d'autres Anglais servirent avec zèle le roi danois dans ses conquêtes en Norvège et sur les rives de la Baltique. Knut employa la marine saxonne à détruire celle des petits rois du Nord, et les ayant dépossédés un à un, il prit le titre nouveau d'empereur de tout le septentrion, par la grâce du Christ roi des rois[203]. Malgré cet enivrement de gloire militaire, l'antipathie nationale contre la domination danoise ne cessa point d'exister, et, à la mort du grand roi, comme l'appelaient ses contemporains, les choses reprirent leur cours. Il ne resta rien de cette apparente fusion des deux races sous les mêmes drapeaux ; et cet empire, élevé pour un moment au-dessus de tous les royaumes du Nord, fut dissous de la même manière que le vaste empire de Charlemagne. Les populations scandinaves expulsèrent leurs conquérants danois, et se choisirent des chefs nationaux. Plus anciennement conquis, les Anglo-Saxons ne purent s'affranchir tout d'un coup d'une manière aussi complète ; mais ils attaquèrent sourdement la puissance des étrangers, et commencèrent par les intrigues une révolution que la force devait terminer[204].

Le roi danois mourut en l'année 1035, et laissa trois fils, dont un seul, nommé Hardeknut[205], c'est-à-dire Knut le fort ou le brave, était né d'Emma la Normande : les autres étaient enfants d'une première épouse. Knut avait désiré, en mourant, que le fils d'Emma devînt son successeur : une pareille désignation était d'ordinaire toute-puissante sur l'esprit de ceux à qui les coutumes germaniques donnaient le droit de choisir les rois. Mais Hardeknut se trouvait alors en Danemark ; et les Danois d'Angleterre[206], pressés d'avoir un chef, pour être unis et forts contre les Saxons mécontents, firent roi un autre fils de Knut, appelé Harald[207]. Cette élection, vœu de la majorité, trouva quelques opposants, auxquels les Anglais s'empressèrent de se joindre pour nourrir et envenimer la querelle domestique de leurs maîtres. Les provinces du sud-ouest, qui, pendant toute la curée de la conquête, avaient toujours été les premières à s'insurger et les dernières à se soumettre, proclamèrent roi Hardeknut, pendant que les soldats et les matelots danois installaient Harald dans Londres. Ce schisme politique divisa de nouveau l'Angleterre en deux zones, séparées par la Tamise ; le nord fut pour Harald, le midi pour le fils d'Emma. Mais la lutte engagée sous ces deux noms de princes était en réalité le combat de deux intérêts nationaux, celui des vainqueurs tout-puissants au nord de la Tamise, et celui des vaincus moins faibles au midi de ce fleuve.

Godwin, fils de Wulfnoth, était alors chef de la vaste province de West-sex ou Wessex, et l'un des hommes les plus puissants de l'Angleterre. Soit qu'il eût déjà conçu le projet de faire servir à la délivrance de sa nation le pouvoir qu'il tenait des étrangers, soit qu'il ressentit quelque affection personnelle pour le fils puîné de Knut, il favorisa le prétendant absent, et appela dans l'ouest la veuve du dernier roi. Elle vint, accompagnée de quelques troupes danoises[208], et apportant avec elle une partie du trésor de son mari. Godwin prit l'emploi de généralissime et de protecteur du royaume au nom et en l'absence du fils d'Emma[209] ; il reçut, pour Hardeknut, les serments de fidélité de toute la population du sud. Cette insurrection d'une nature ambiguë, et qui, sous un aspect, se présentait comme la lutte de deux prétendants à la royauté, sous l'autre, comme une guerre de peuple à peuple, ne s'étendit point au nord de la Tamise. Au nord, la masse des habitants saxons jura, comme les Danois, fidélité au roi Harald ; il n'y eut que des résistances individuelles, comme le refus d'Ethelnoth[210], archevêque de Canterbury, de consacrer roi l'élu des étrangers et de lui remettre, au nom de l'autorité divine, le sceptre et la couronne des rois anglo-saxons[211]. Harald, selon quelques historiens, se couronna de sa propre main, sans aucune cérémonie religieuse ; et, ranimant au fond de son cœur le vieil esprit de ses aïeux, il prit en haine le christianisme. C'était à l'heure des offices, et quand le peuple se rendait à l'église, qu'il avait coutume de demander ses chiens de chasse ou qu'il faisait dresser sa table[212].

Une guerre acharnée entre le sud et le nord de l'Angleterre, entre 1036 la population saxonne et la population danoise, paraissait inévitable. Cette attente produisit une sorte de terreur parmi les habitants anglo-saxons de la rive gauche de la Tamise[213] ; car, malgré leur fidélité apparente au roi reconnu par les Danois, eux-mêmes craignaient d'être traités en rebelles. Un grand nombre de familles quittèrent leurs maisons pour se mettre en sûreté dans les forêts. Des troupes d'hommes, de femmes et d'enfants, emmenant leur bétail et portant leurs meubles, gagnèrent les terrains marécageux qui se prolongeaient, dans un espace de plus de cent milles, sur les quatre provinces de Cambridge, de Huntingdon, de Northampton et de Lincoln[214]. Ce pays, qui avait l'apparence d'un vaste lac parsemé d'îles, n'était habité que par des religieux, qui devaient à la munificence des anciens rois de vastes maisons construites au milieu des eaux, sur des pilotis et de la terre apportée de loin[215]. Les pauvres fugitifs se cantonnèrent dans les bois de saules qui couvraient ces terres basses et fangeuses. Comme ils manquaient de beaucoup de choses nécessaires à la vie, et que tout le long du jour ils étaient oisifs, ils assaillirent de sollicitations, ou de visites de simple curiosité, les religieux de Croyland, de Peterborough et des autres abbayes voisines. Ils allaient et venaient sans cesse pour demander des secours, des conseils ou des prières[216] ; ils s'attachaient aux pas des moines ou des serviteurs du couvent pour les apitoyer sur leur sort[217]. Afin d'accorder l'observance de leur règle avec le devoir de l'hospitalité, les moines se tenaient renfermés dans leurs cellules, et désertaient le cloître et l'église parce que la foule s'y rassemblait[218]. Un ermite, qui vivait entièrement seul dans les marais de Pegheland[219] fut si effrayé de se retrouver tout à coup au milieu des hommes et du bruit, qu'il abandonna sa cabane et qu'il s'enfuit pour chercher ailleurs quelque lieu désert.

La guerre, si désirée d'un côté de la Tamise, et si redoutée de l'autre, n'eut pas lieu, parce que, l'absence de Hardeknut se prolongeant, ses partisans danois fléchirent[220], et que les Anglais du sud, restés seuls, ne voulurent pas lever leur drapeau national pour la cause d'un prétendant danois. Celle que les passions de reine et de mère devaient pousser à entreprendre et à soutenir une lutte armée, Emma, fit sa paix la première, et livra le trésor de Knut au rival de son propre fils. Godwin et les autres chefs saxons de l'ouest, forcés, par sa défection, de reconnaître Harald pour roi, lui jurèrent obéissance, et Hardeknut fut oublié[221]. Il arriva dans le même temps un événement tragique dont le récit ne nous est parvenu qu'enveloppé de beaucoup d'obscurités. Une lettre d'Emma, qui vivait à Londres en bonne intelligence avec le roi Harald, fut envoyée, à ce qu'il parait, aux deux fils d'Ethelred en Normandie ; leur mère les informait par cette lettre que le peuple anglo-saxon semblait disposé à faire roi l'un d'entre eux et à secouer le joug du Danois ; elle les invitait à se rendre secrètement en Angleterre, afin de s'entendre avec elle et avec leurs amis[222]. Soit que la lettre fût vraie ou qu'elle fût supposée, les fils d'Ethelred la reçurent avec joie, et le plus jeune des deux, nommé Alfred, s'embarqua, du consentement de son frère, avec une troupe de soldats normands et boulonnais[223]. Ce dernier point était contraire aux instructions données par Emma, si toutefois l'invitation qui parut venir d'elle n'était pas une fourberie du roi Harald et un piège tendu de sa main[224].

Le jeune Alfred prit terre à Douvres, et s'avança au sud de la Tamise, pays où il devait rencontrer le moins de dangers et d'obstacles, parce que les Danois n'y habitaient pas en grand nombre. Godwin alla à sa rencontre, peut-être pour éprouver ce dont il était capable et pour concerter en commun avec lui quelque plan de délivrance nationale. Il le vit entouré d'étrangers, venus à sa suite pour partager la haute fortune qu'il espérait trouver chez les Anglais, et cette vue changea subitement en malveillance pour Alfred les bonnes dispositions du chef saxon. Un ancien historien fait tenir à Godwin, dans cette circonstance, devant les autres chefs rassemblés, un discours où il leur représente qu'Alfred est venu escorté de trop de Normands, qu'il a promis à ces Normands des possessions en angle, terre, et qu'on ne doit point laisser s'impatroniser dans le pays cette race d'étrangers connue dans le monde par ses ruses et son audace[225]. Quoi qu'il en ait été de cette harangue, Alfred fut abandonné, sinon trahi, par Godwin et par les Saxons[226], qui, à la vérité, ne l'avaient point appelé d'outre-mer, ni attiré d'avance dans le péril où ils le laissaient. Les officiers du roi Harald, avertis de son débarquement, le surprirent avec ses compagnons dans la ville de Guildford, pendant qu'ils étaient désarmés et dispersés dans plusieurs maisons[227]. Ils furent tous saisis et garrottés, sans que personne essayât de les défendre[228].

Plus de six cents étrangers avaient suivi le jeune Alfred ; on les sépara de lui, et ils furent traités de la façon la plus barbare ; neuf sur dix périrent dans d'horribles tortures ; le dixième seul obtint grâce de la vie. Le fils d'Ethelred, transféré dans l'ile d'Ely, fut traduit devant des juges qui le condamnèrent à perdre les yeux comme violateur de la paix publique. Emma, sa mère, ne fit aucune démarche pour le sauver de ce supplice, dont il mourut ; elle délaissa l'orphelin, dit un vieux chroniqueur[229] ; et d'autres historiens lui reprochent d'avoir été complice de sa mort[230]. Cette dernière assertion est inadmissible ; mais une circonstance singulière, c'est qu'Emma, exilée peu de temps après d'Angleterre par le roi Harald, ne se rendit point en Normandie, auprès de ses propres parents et du second des fils d'Ethelred. Elle alla en Flandre quêter un asile étranger[231] ; et s'adressa au second fils de Knut, en Danemark, pour l'inviter à venger son frère maternel, le fils d'Ethelred, assassiné, disait-elle, par Harald et trahi par Godwin[232].

La trahison de Godwin fut le cri des Normands, qui, par un ressentiment aveugle, accusèrent plutôt les Saxons que les Danois du massacre de leurs compatriotes victimes d'une entreprise trop hasardeuse. Il y a d'ailleurs une foule de versions de cette aventure[233], et aucune ne l'emporte sur les autres par le nombre ou la valeur des témoignages. L'un des historiens les plus dignes de foi commence son récit par ces paroles : Je vais dire ce que les conteurs de nouvelles rapportent de la mort d'Alfred[234] ; et, à la fin de sa narration, il ajoute : Voilà ce que raconte la tradition populaire, mais comme les chroniques se taisent là-dessus, je m'abstiens d'affirmer[235]. Le fait certain, c'est le supplice du fils d'Ethelred et de plusieurs centaines d'hommes venus avec lui de Normandie et de France pour faire insurger les Saxons ; l'entrevue de Godwin avec ce jeune homme, et surtout la trahison préméditée dont beaucoup de narrateurs l'accusent, sont des circonstances douteuses jointes par le bruit public à un fond vrai. Mais quelque inexactes qu'aient pu être ces rumeurs, elles ont une grande importance historique, à cause du crédit qu'elles obtinrent dans les pays d'outre-mer, et de la haine nationale qu'elles firent naître chez les Normands contre le peuple anglais.

A la mort de Harald, les Anglo-Saxons, encore trop peu hardis pour choisir un roi de leur propre race, concoururent avec les Danois à l'élection du fils d'Emma et de Knut[236]. Le premier acte de royauté que fit Hardeknut fut d'ordonner qu'on déterrât le corps de son prédécesseur (Harald), et qu'après lui avoir coupé la tête on le jetât dans la Tamise. Des pécheurs danois retrouvèrent le cadavre, et l'ensevelirent de nouveau à Londres, dans le cimetière réservé à leur nation, qui, même dans sa sépulture, voulait être distinguée des Anglais[237]. Après avoir donné contre un frère mort cet exemple de vengeance et de barbarie, le nouveau roi, avec une apparence de regrets et d'affliction fraternelle, fit commencer sur le meurtre d'Alfred une vaste enquête judiciaire. Comme lui-même était Danois, aucun homme de race danoise ne fut sommé par ses ordres de comparaître en justice, et les Saxons furent seuls chargés d'un crime qui n'avait pu être utile qu'à leurs maîtres. Godwin, dont la puissance et les intentions patriotiques donnaient des craintes au roi étranger, fut accusé le premier de tous : il se présenta, selon la loi anglaise, accompagné d'un grand nombre de parents, d'amis et de témoins du fait, qui jurèrent avec lui qu'il n'avait pris aucune part ni directe ni indirecte à la mort du fils d'Ethelred. Cette preuve légale ne suffit pas auprès du roi Hardeknut, et, pour lui donner de la valeur, il fallut que le chef saxon l'accompagnait de riches présents, dont le détail, s'il n'est pas fabuleux, peut faire croire que beaucoup d'Anglais aidèrent leur compatriote à se racheter d'une accusation intentée. de mauvaise foi. Godwin donna au roi un vaisseau orné de métal doré, monté par quatre-vingts soldats portant des casques dorés, une hache dorée sur l'épaule, et à chaque bras des bracelets d'or du poids de six onces[238]. Un évêque saxon, nominé Leofwin[239], accusé d'avoir aidé le fils de Wulfnoth dans sa trahison prétendue, se justifia comme lui à force de présents.

En général, dans ses relations avec les vaincus, Hardeknut montra moins de cruauté que d'avarice ; mais son amour pour l'argent égalait et surpassait peut-être celui des rois pirates ses aïeux. Il accabla l'Angleterre de tributs[240], et plus d'une fois ses collecteurs de taxes furent victimes de la haine et du désespoir qu'ils excitaient. Les citoyens de Worcester en tuèrent deux dans l'exercice de leurs fonctions. Dès que la nouvelle de ce meurtre parvint aux autorités danoises, deux chefs de cette nation, Leofrik et Siward, dont l'un commandait en Mercie et l'autre en Northumbrie, réunirent leurs forces et marchèrent contre la ville rebelle, avec ordre de la dévaster par le fer et le feu. Les habitants en masse abandonnèrent leurs maisons, et se réfugièrent dans une des îles que forme la Saverne ; ils y élevèrent des retranchements et résistèrent jusqu'au point de lasser les assaillants, qui leur permirent de retourner en paix dans leurs habitations incendiées.

Ainsi l'esprit d'indépendance, que les vainqueurs appelaient révolte, se ranimait peu à peu chez les fils des Saxons et des Angles. D'ailleurs, pour éveiller en eux les regrets de la liberté perdue, les misères et les affronts ne manquaient pas[241]. Le Danois qui portait le titre de roi d'Angleterre n'était pas seul à opprimer les indigènes ; il avait sous lui toute une nation d'étrangers, et chacun y travaillait de son mieux. Ce peuple supérieur, dont les Anglais étaient sujets et non simples concitoyens, ne payait point d'impôts comme eux, et se partageait, au contraire, les impôts levés par son chef, recevant, à des époques fixes, de grandes distributions d'argent[242]. Quand le roi, dans ses revues militaires ou dans ses promenades de plaisir, prenait pour son logement la maison d'un Danois, le Danois était défrayé tantôt en argent[243], tantôt en bétail, que le paysan saxon avait nourri pour la table de ses vainqueurs[244]. Mais la demeure du Saxon était l'hôtellerie du Danois : l'étranger y prenait gratuitement le feu, la table et le lit ; il y occupait la place d'honneur comme maître[245]. Le chef de la famille ne pouvait boire sans la permission de son hôte, ni demeurer assis en sa présence. L'hôte insultait à son plaisir l'épouse, la fille, la servante[246], et si quelque brave entreprenait de les défendre ou de les venger, ce brave ne trouvait plus d'asile ; il était poursuivi et traqué comme une bête fauve ; sa tête était mise à prix comme celle des loups ; il devenait tête de loup, selon l'expression anglo-saxonne[247] ; et il ne lui restait plus qu'à fuir vers la demeure des loups, qu'à se faire brigand dans les forêts contre les conquérants étrangers et les indigènes qui s'endormaient lâchement sous le joug de l'étranger.

Toutes ces souffrances, longtemps accumulées, produisirent enfin leurs fruits, à la mort du roi Hardeknut, qui arriva subitement au milieu d'un festin de noces. Avant que les Danois se fussent assemblés pour l'élection d'un nouveau roi, une armée insurrectionnelle se forma sous la conduite d'un Saxon appelé Hown[248]. Malheureusement les exploits patriotiques de cette armée sont aujourd'hui aussi inconnus que le nom de son chef est obscur. Godwin, et avec lui son fils nommé Harald — Harold selon l'orthographe saxonne — levèrent cette fois l'étendard, pour la pure indépendance du pays, contre tout Danois, roi ou prétendant, chef ou soldat. Refoulés rapidement vers le nord, et chassés de ville en ville, les Danois partirent sur leurs vaisseaux, et abordèrent, diminués de nombre, aux rivages de leur ancienne patrie[249]. Ils firent, à leur tour, un récit de trahison, dont les circonstances romanesques se retrouvent, d'une manière également fabuleuse, dans l'histoire de plusieurs peuples ; ils dirent que Harold, fils de Godwin, avait invité les principaux d'entre eux à un grand banquet, où les Salions vinrent armés et les assaillirent à l'improviste[250].

Ce ne fut point une surprise de ce genre, mais une guerre au grand jour, qui mit fin en Angleterre à la domination des Scandinaves ; Harold joua, sous Godwin, à la tête de la nation soulevée, le premier rôle dans cette guerre. Au moment de la délivrance, tout le soin des affaires publiques fut confié au fils de Wulfnoth, qui venait d'accomplir, en sauvant sa patrie des mains des étrangers, la fortune extraordinaire qu'il avait commencée en sauvant un étranger des mains de ses compatriotes[251]. Godwin, s'il l'eût voulu, pouvait se faire nommer roi des Anglais ; peu de suffrages lui eussent été refusés dans une révolution où il semblait être l'homme nécessaire. Mais il-aima mieux tourner les regards de la nation sur un homme étranger aux événements récents, sans envieux ; sans ennemis, inoffensif aux yeux de tous par son éloignement des affaires, intéressant pour tous par ses malheurs, sur Edward, le second fils d'Ethelred, celui-là même dont on disait qu'il avait trahi et fait mourir le frère[252]. D'après l'avis du chef de Wessex, un grand conseil, assemblé à Ghillingham, décida qu'un message national serait envoyé à Edward, en Normandie, pour lui annoncer que tout le peuple l'avait élu roi, mais sous la condition de n'amener avec lui qu'un petit nombre de Normands[253].

Edward obéit, dit une ancienne chronique[254], et vint en Angleterre avec peu d'hommes. Il fut proclamé roi dès son arrivée, et sacré dans l'église cathédrale de Winchester. En lui remettant le sceptre et la couronne, l'évêque lui fit un long discours sur les devoirs de la royauté et sur le gouvernement doux et équitable de ses prédécesseurs anglo-saxons. Comme il était encore sans épouse, il choisit la fille de l'homme puissant et populaire à qui il devait la royauté. Différents bruits de malveillance coururent au sujet de ce mariage ; on disait qu'Edward, effrayé de l'immense autorité de Godwin, l'avait pris pour beau-père, afin de ne pas l'avoir pour ennemi[255]. D'autres assuraient qu'avant de faire élire le nouveau roi, Godwin avait exigé de lui, par serment sur Dieu et sur son âme, la promesse d'épouser sa fille[256]. Quoi qu'il en soit de ces allégations, Edward reçut en mariage une jeune personne belle, instruite dans les lettres, pleine de modestie et de douceur ; elle avait nom Edghithe, ou, par adoucissement, Edith[257]. Je l'ai vue bien des fois dans mon enfance, dit un contemporain, lorsque j'allais visiter mon père, employé au palais du roi. Si elle me rencontrait au retour de l'école, elle m'interrogeait sur ma grammaire, sur mes vers ou bien sur ma logique, où elle était fort habile ; et quand elle m'avait enlacé dans les filets de quelque argument subtil, elle ne manquait jamais de me faire donner trois ou quatre écus par sa suivante, et de m'envoyer rafraichir à l'office[258]. Edith était douce et bienveillante pour tout ce qui l'approchait ; ceux qui n'aimaient pas, dans son père et son frère, leur caractère de fierté un peu rude, la louaient de ne pas leur ressembler ; c'est ce qu'exprimait, d'une façon poétique, un vers latin fort à la mode dans ce temps : Godwin a mis au monde Edith, comme l'épine produit la rose[259].

La retraite des Danois et la fin du régime de la conquête, en réveillant tous les souvenirs patriotiques, avaient rendu plus chères au peuple les coutumes anglo-saxonnes. On eût voulu les faire revivre dans toute leur pureté primitive, dégagées de ce que le mélange des races y avait apporté d'étranger. Dans ce désir, on se reportait au temps qui avait précédé la grande invasion danoise, au règne d'Ethelred, dont on rechercha, pour les rétablir, les institutions et les lois[260]. Cette restauration eut lieu dans la mesure où elle était possible, et le nom du roi Edward s'y attacha ; ce fut un dicton populaire que ce bon roi avait rétabli les bonnes lois de son père Ethelred. Mais, à vrai dire, il ne fut point législateur ; il ne promulgua point un nouveau code ; seulement les ordonnances des rois danois cessèrent d'être exécutées sous son règne[261]. L'impôt de la conquête, d'abord accordé temporairement sous le nom de Danegheld, comme on l'a vu plus haut, ensuite levé chaque année durant trente ans, pour les soldats et les matelots étrangers[262], fut de cette manière aboli, non par la bienveillance gratuite du nouveau roi, mais parce qu'il n'y avait plus de Danois en Angleterre.

Il n'y avait plus de Danois vivant dans le pays comme dominateurs ; ceux-là furent tous expulsés, mais le peuple anglais redevenu libre ne chassa point de leurs habitations les hommes laborieux et paisibles qui, jurant obéissance aux lois communes, se résignèrent à la simple existence de cultivateurs ou de bourgeois. Le peuple saxon ne leva point de tributs sur eux par représailles, et ne rendit point leur condition plus mauvaise que n'était la sienne. Dans les provinces de l'est, et surtout dans celles du nord, les enfants des Scandinaves continuèrent de surpasser en nombre les enfants des Anglo-Saxons ; ces provinces se distinguèrent de celles du centre et du midi par une différence assez remarquable d'idiome, de mœurs et de coutumes locales[263] ; mais il ne s'y éleva pas la moindre résistance contre le gouvernement du roi saxon. L'égalité sociale rapprocha et confondit en peu de temps les deux races autrefois ennemies. Cette union de tous les habitants. du sol anglais, redoutable aux envahisseurs d'outre-mer, arrêta leurs projets d'ambition, et aucun roi du nord n'osa venir revendiquer à main armée l'héritage des fils de Knut. Ces rois envoyèrent même au paisible Edward des messages de paix et d'amitié : Nous vous laisserons, lui disaient-ils, régner sans trouble sur votre pays, et nous nous contenterons des royaumes que Dieu nous a donnés[264].

Mais, sous cette apparence extérieure de prospérité et d'indépendance, se développaient sourdement de nouveaux germes de trouble et de ruine. Le roi Edward, fils d'une Normande, élevé depuis son enfance en Normandie, était revenu presque étranger dans la patrie de ses aïeux[265] ; le langage d'un peuple étranger avait été celui de sa jeunesse ; il avait vieilli parmi d'autres hommes et d'autres mœurs que les mœurs et les hommes de l'Angleterre ; ses amis, ses compagnons de plaisir et de peine, ses plus proches parents, l'époux de sa sœur, étaient de l'autre côté de la mer. Il avait juré de n'amener qu'un petit nombre de Normands : il en amena peu en effet, mais beaucoup vinrent après lui : ceux qui l'avaient aimé dans son exil, ceux qui l'avaient secouru quand il était pauvre accoururent assiéger son palais[266]. Il ne put se défendre de les accueillir à son foyer et à sa table, et même de les y préférer aux inconnus dont il tenait son foyer, sa table et son titre. Le penchant irrésistible des anciennes affections l'égara jusqu'au point de confier les hautes dignités et les grands emplois du pays à des hommes nés sur une autre terre et sans amour pour la patrie anglaise[267]. Les forteresses nationales furent mises sous la garde d'hommes de guerre normands ; des  clercs de Normandie obtinrent des évêchés en Angleterre, et devinrent les chapelains, les conseillers et les confidents intimes du roi.

Quiconque sollicitait en langue normande[268] n'essuyait jamais un refus ; cette langue bannit même du palais la langue nationale, objet de risée pour les courtisans étrangers, et nulle flatterie ne s'adressa plus au roi que dans cet idiome favori. Tous les gens ambitieux parmi la noblesse anglaise parlaient ou balbutiaient dans leurs maisons le nouveau langage de la cour, comme le seul digne d'un homme bien né[269] ; ils quittaient leurs longs manteaux saxons pour les casaques normandes ; ils imitaient dans l'écriture la forme allongée des lettres normandes ; au lieu de signer leur nom au bas des actes civils, ils y suspendaient des sceaux en cire, à la manière normande. En un mot, tout ce qu'il y avait d'anciens usages nationaux, même dans les choses les plus indifférentes, était abandonné au bas peuple[270].

Mais le peuple, qui avait versé son sang pour que l'Angleterre fit libre, et qui était peu frappé de la grâce et du charme des nouvelles modes ; crut voir renaître sous d'autres apparences le gouvernement de l'étranger. Godwin, quoiqu'il fût, parmi ses compatriotes, le plus élevé en dignité et le premier après le roi, se souvint heureusement de son origine plébéienne, et entra dans le parti populaire contre les favoris normands. Le fils de Wulfnoth et ses quatre fils, Harold, Sweyn, Tosti et Gurth, tous aimés de la nation pour ce qu'ils valaient ou pour ce qu'ils donnaient d'espérances, résistèrent, le front levé, à l'influence normande, comme ils avaient tiré l'épée contre les conquérants danois[271]. Dans ce palais où leur fille et leur sœur était dame et maîtresse, ils rendirent insolence pour insolence aux courtisans venus de la Gaule ; ils tournèrent en dérision leurs modes exotiques, et blâmèrent la faiblesse du roi, qui leur abandonnait sa confiance et la fortune du pays[272].

Les Normands recueillaient soigneusement ces propos et les envenimaient â loisir ; ils criaient aux oreilles d'Edward que Godwin et ses fils l'insultaient sans ménagement, que leur arrogance n'avait pas de bornes, qu'on démêlait en eux l'ambition de régner à sa place et le projet de le trahir[273]. Mais, pendant que ces accusations avaient cours dans le palais du roi, dans les réunions populaires[274], on jugeait tout autrement le caractère et la conduite du chef saxon et de ses fils. Est-il étonnant, disait-on, que l'auteur et le soutien du règne d'Edward s'indigne de voir élever au-dessus de lui des hommes nouveaux et de nation étrangère ? et pourtant, jamais il ne lui arrive de proférer un mot d'injure contre l'homme que lui-même a fait roi[275]. On qualifiait les favoris normands des noms de délateurs infâmes, d'artisans de discorde et de trouble, et l'on souhaitait longue vie au grand chef, au chef magnanime sur terre et sur mer[276]. On maudissait le fatal mariage d'Ethelreld avec une femme normande, cette union contractée pour sauver le pays d'une invasion étrangère[277], et de laquelle résultait maintenant une nouvelle invasion et comme une nouvelle conquête, sous le masque de la paix et de l'amitié.

La trace et peut-être même l'expression de ces plaintes nationales se retrouvent dans quelques mots bizarrement énergiques d'un historien postérieur d'un siècle, il est vrai, mais imbu de traditions populaires : Il semble, dit-il, que Dieu tout-puissant, pour punir la nation anglaise, se soit proposé un double plan de destruction et qu'il ait dressé contre elle une sorte d'embuscade militaire[278] ; car, d'un côté, s'est déchaînée l'irruption danoise, de l'autre s'est ourdie la trame des intrigues normandes, afin que, si la nation échappait aux coups de foudre des Danois, l'astuce des Normands forts et braves aussi vint la surprendre[279].

 

 

 



[1] Engla-land, par corruption England.

[2] Weath, un esclave, un homme de service ; hors-weath, un palefrenier. (Gloss. Somneri, apud Hist. anglic. Script., t. II, ed. Selden.) — Leges Inæ, art. 74, apud Wilkins, Leg. anglo-saxon., p. 26. — Voyez Ducange, Glossar., verbo Waliscus.

[3] Gerefa, graf, gravo, dans le dialecte des Franks.

[4] Henrici Huntind. Hist., lib. IV, apud Rer. anglic. Script., p. 343, ed. Savile.

[5] En latin, Dani ; dans les langues teutoniques, Dænen, Dæna, Dæniske.

[6] En latin, Normanni ; dans les langues teutoniques, North-menn, north-mathre, hommes du nord. C'est l'ancien nom national des Norvégiens.

[7] Hist. S. Vincentii, apud Script. rer., normann, p. 21. — Gesta Normannorum ante Rollonem ducem, ibid., passim. — Chronicon Hermanni Contracti, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VIII, p. 246.

[8] Olai Wormii Litteratura runica, p. 208. — Scriptores rerum danicarum, t. I, p. 374. — Ibid., t. IV, p. 26.

[9] Annales Esromenses, Scriptores rerum danicarum., t. I, p. 236.

[10] Kong, konung, kineg, koning, king ; en latin, rex, rector, dux, ductor, præfectus, consul, centurio, chef en général : le premier d'entre les capitaines portait quelquefois le titre de kongakong, chef des chefs, roi des rois. Voyez Ihre, Gloss. suio-gothie.

[11] Sæ-kong, her-kong. Sæ-konung, her-konung. See-king, here-king.

[12] Inglinga saga, cap. XXXIV ; Heimskringla, edr Noregs konungasogor af Snorra Sturlusyni, t. I, p. 43.

[13] Sig-rünar, les runes de la victoire ; Brim-rünar, les runes des flots. Voyez Edda Saemundar, hinns fröda, t. II, p. 195-197.

[14] Ofer Swan rade.

[15] Hist. S. Eadmuncli, auctore Abbone floriac, abbate, apud Surium, in Vit. sanctor., novembr. 20, t. VI, p. 441.

[16] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 139 et passim.

[17] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 72. — Chron. Johan. Wallingford, apud Rer. Anglic. Script., t. III, p. 532 et 533, ed. Gale.

[18] History of the Anglo-Saxons by Sharon-Turner, vol. I, p. 476 et suivantes, 5e édit. Londres, 1828. — Torfæi, Hist. rer. norvegic., t. I, p. 497.

[19] Mallet, Histoire du Danemark, t. II, p. 293.

[20] Province de Suède sur le golfe de Bothnie.

[21] Olai Wormii Litteratura runica, p. 198 à 216. — Turner's Hist. of the Anglo-Saxons, vol. I, p. 480 et suivantes. — Ce morceau, dans l'original, n'a pas moins de vingt-neuf strophes ; j'ai été forcé d'en omettre près de la moitié et d'abréger le reste.

[22] Est-Anglia ; traduction latine du mot saxon East-engla-land. — Turner's Hist. of the Anglo-Saxons, vol. I, p. 511.

[23] Turner's Hist. of the Anglo-Saxons, vol. I, p. 513 et suivantes.

[24] Turner's Hist. of the Anglo-Saxons, vol. I, p. 515 et 516.

[25] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 20 et 21, ed. Gale.

[26] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XI, p. 283, éd. Bruxelles, in-12, 1714.

[27] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 22, ed. Gale. — Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XI, p. 284.

[28] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XI, p. 284.

[29] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XI, p. 284.

[30] West-seaxna land, West-seaxna-rice. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 24 et seq., ed. Gale.

[31] Turner's Hist. of the Anglo-Saxons, vol. I, p. 536.

[32] . Horne, Miroir des justices, p. 296. London, in-18, 1642.

[33] Asserius Menevensis, de Ælfredi rebus gestis, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 10.

[34] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 195. — Annal. wavert., apud Ducange, Glossar., verbo Nithing. — Nithing, nidering, nichtig, nietig, en anglais moderne, nougthy ; nequam, nihilium, nihilum. — Mathæus Paris, Variantes lectiones, ad pag. 14, t. I, ad initium.

[35] Ethelwerdi Hist., lib. IV, apud Rer. anglic. Script., p. 847, ed. Savile.

[36] Asser. Menev., de Ælfredi rebus gestis, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 9. — Chron. Johan. Wallingford, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 537, ed. Gale.

[37] Ms. in the British Musœurn. Vesp., D. 14.

[38] Asser. Menev., de Ælfredi rebus gestis, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 10.

[39] Asser. Menev., de Ælfredi rebus gestis, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 10.

[40] Asser. Menev., de Ælfredi rebus gestis, apud Camden, Anglica, Hibernica, etc., p. 9.

[41] Près de la ville de Frome ; les environs s'appellent encore Woodland.

[42] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 26, ed. Gale. — Chronologia rer. septentr., apud Script. rer. danic., t. V, p. 26.

[43] Egberhtes-stane.

[44] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 43, ed. Savile.

[45] Chron. saxon., ed. Gibson, passim.

[46] Chron. Saxon., ed. Gibson, p. 83.

[47] Wilkins. Leges anglo-saxon., p. 47. — Dans quelques actes latins, Alfred traduit son titre de kining par le mot dux. Ego Elfred dux. (Charta sub anno 888, Gloss. saxon., ed. Lye.)

[48] Rogerii de Hoveden. Annal. pars prior, apud Rer. anglic. Script., p. 432, ed. Savile. — Le mot avait en apparence cette signification ; mais il est plus probable que wetlinghe-street n'était que la corruption saxonne du breton Gwydelinsarn, qui signifie le chemin des Gaëls (des Irlandais), nom fort convenable à une route qui conduisait de Douvres à la côte de Chester.

[49] Alias Suth-seaxna-land, Suth-seax ; par corruption, Sussex.

[50] Ethelwerdi Hist., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 846, ed. Savile.

[51] Skeren, schæren, scheren ; en anglais moderne, to share, couper, diviser.

[52] Hundred, tything.

[53] Tything-menn, hundredarii.

[54] Voyez l'Histoire des Anglo-Saxons de Sharon Turner, vol. II, p. 149 et suivantes.

[55] Morghen-stiarna.

[56] Ermoldi Nigelli Carmen, apud Script. rer. gallic. et francic., t. VI, p. 50.

[57] Asser. Menev. Annal., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 172, ed. Gale.

[58] Extrait de la chronique de saint Florent donnée par Dom Morice ; Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. I, p. 119.

[59] Alias Ead-ward. Ead, heureux ; ward, gardien.

[60] Chron. saxon., ed. Gibson, passim. — Asser. Menev. Annal., apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 174, ed. Gale.

[61] Alias Æthel-weald. Ethel, noble ; weald, wald, wall, puissant, gouvernant.

[62] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 100. — Henrici Huntind. Hist., lib. V, apud Rer. anglic. Script., p. 352, ed. Savile.

[63] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 100-109.

[64] Alias Ætheletan, superlatif saxon de ethel, noble.

[65] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 109.

[66] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 50, ed. Savile. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 29, ed. Gale.

[67] Voyez plus haut, liv. I.

[68] Ethelwerdi Hist., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 848, ed. Savile. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 48-50, ed. Savile. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 29, ed. Gale.

[69] Weal, weallisc, welsh, est le nom générique donné par les Teutons aux hommes de race celtique ou romane.

[70] Chron. saxon., ed. Ingram, p. 141. — Voyez ci-après, Pièces justificatives.

[71] Lois d'Howell Dda, lib. III, cap. II, Leges Wallicæ ed. Wotton, p. 199.

[72] Willelm. Malmesb., de Gest., reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 50, ed. Savile.

[73] Charta Edgari regis, apud Monasticon anglicanum, Dugdale, t. I, p. 140. — Chartæ Æthelstani regis.

[74] Konung Haekon Adalstens Fostres saga, cap. III ; Snorre's Heimskringla, t. I, p. 129.

[75] Theod-cyning, fylkes-cyning, folkes-cing.

[76] Ed-red, heureux conseiller.

[77] Konung Haekon Adalstens Fostres saga, cap. IV ; Snorre's Heimskringla, t. I, p. 130.

[78] Valhalla signifie palais des morts.

[79] Bragh, dans l'olympe scandinave, est le dieu de l'éloquence et de la poésie.

[80] Le plus brave et le plus beau des fils d'Odin.

[81] Torfæi, Hist. rer. norveg., pars II, lib. IV, cap. X, p. 197 et 198.

[82] Ræde, rædegifan, gerædnes. —Voyez les préambules des lois anglo-saxonnes ; Hickesii Thesaurus linguarum septentrionalium, t. II, in fine, passim.

[83] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 140.

[84] Ego Ælfredus, occidentalium Saxonum rex.

[85] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 63, ed. Savile. — Osberni Vita S. Elphegi ; Anglia sacra, t. II, p. 131.

[86] Dæne-geold, en latin danegeldum. Voyez le Glossaire de Ducange. — Leges Edwardi, apud Wilkins, p. 198.

[87] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 55, ed. Gale. — Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col. 879, ed. Selden. — Willelm. Malmesb., de Gest, reg. angl., lib II, apud Rer. anglic. Script., p. 69, ed. Savile.

[88] Sven, swein, sweyn, swayn, un jeune homme. Voyez le Glossaire de Ihre.

[89] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col, 883, ed. Selden. — Ce trait de poésie me parait plus ancien que la chronique où il se trouve.

[90] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 69, ed. Savile.

[91] Monachus Sancti Galli, apud Script. rer. gallic. et francic., t. V, p. 134. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 127 et seq.

[92] Matth. Westmonast. Flores hist., p. 200, ed. Francfort, 1601.

[93] Matth. Westmonast. Flores hist., p. 200, ed. Francfort, 1601.

[94] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 168. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 127 et seq.

[95] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 166.

[96] Konung Olaef Trygwasons Saga, cap. XCIV et seq. ; Snorre's Heimskringla, t. I. — Saga of Haraldi Hardrada, ibid., t. III, p. 118.

[97] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. norrnann., p. 170.

[98] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 360, ed. Savile.

[99] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 56, ed. Gale. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. anglic., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 69, ed. Savile.

[100] Osberni Vita S. Elphegi ; Anglia sacra, t. II, p. 138.

[101] Osberni Vita S. Elphegi ; Anglia sacra, t. II, p. 138. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 4, ed. Selden. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 57, ed. Gale.

[102] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 142.

[103] Osberni Vita S. Elphegi ; Anglia sacra, t. II, p. 140.

[104] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 112.

[105] Hist. Ingulf. Croylarnd., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 57, ed. Gale.

[106] Hist. Ingulf. Croylarnd., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 57, ed. Gale.

[107] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 143.

[108] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 144. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 69, ed. Savile. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud ibid., p. 362.

[109] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 883, ed. Selden.

[110] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 360, ed. Savile. — Rogerii de Hoved. Annal., pars I, apud ibid., p. 429, ed. Savile.

[111] Script. rer. normann., p. 7.

[112] Dans les actes latins, franchisia. Voyez le Glossaire de Ducange.

[113] Annales fuldenses, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 676.

[114] Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettre X.

[115] En latin, duces, comices, judices, missi, præfecti, præpositi ; en langue teutonique, grafen, mark-grafen, land-grafen, burg-grafen, herizogen, skepen, sensskalken, maerskalken, etc. — Voyez le Glossaire de Ducange.

[116] A Fontenai, Fontanetum, près d'Auxerre.

[117] Nithardi Hist., apud. Script. rer. gallic. et francic., t. VII, p. 26 et 27. — Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettre XI.

[118] Chronicon namnetense : Dom Lobineau, Hist. de Bretagne, Pièces justificatives, t. II, liv. I, p. 45.

[119] Willelm. Malmesb., de Cest. reg. angl., lib. I, apud Rer. anglic. Script., p. 24, ed. Savile.

[120] Vivere, habitare, succedere more Francorum... francus homo. (Gloss. de Ducange.) — Barn, bairn, beorn, un homme, un enfant mâle. (Gloss. de Wachter.) De la viennent les mots romans bers, bernes, bernage.

[121] Villani, manentes, coloni. Le mot villa, que les Romains n'employaient que pour désigner une maison de campagne, signifia de bonne heure, dans les langues néo-latines, toute espèce de lieux habités.

[122] Mallet, Histoire du Danemark, t. I, p. 223.

[123] Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands, t. II, chap. VIII, p. 57.

[124] Dans l'ancienne langue scandinave, l'orthographe est Gangu-Rolfr.

[125] Haralds saga ens Harfagra, cap. XXIV ; Snorre's Heimskringla, t. I, p. 100. — Mallet, Histoire de Danemark, t. I, p. 224.

[126] Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands, t. II, p. 68.

[127] Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettre XII.

[128] Wace, Roman de Rou, t. I, p. 57.

Frankes un archeveske, ki à Roem esteit...

— L'auteur se trompe sur le nom de l'archevêque, qui était Gui, le prédécesseur de Frank ou Francon.

[129] Roman de Rou, t. I, p. 57.

[130] Wace, Roman de Rou, t. I, p. 60.

E Rou esgarda la vile e lunge et lée,

E dehorz e dedenz l'a sovent esgardée ;

Bone li semble e bele, mult li plest e agrée,

E compaignonz l'ont à Rou must loée.

[131] Dudo de Sancto Quintino, apud Script. rer. norrnann., p. 76.

[132] Willelmi Gemeticensis Hist. Normann., apud Script. rer. norrnann., p. 228. — Dudo de Sancto Quintino, apud ibid., p. 76.

[133] Willelmi Gemeticensis Hist. Normann., apud Script. rer. norrnann., p. 228. — Dudo de Sancto Quintino, apud ibid., p. 76.

[134] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann, p. 228. — Dudo de Sancto Quintino, apud ibid., p. 76.

[135] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann, p. 229.

[136] Dudo de Sancto Quintino, apud Script. rer. normann., p. 86.

[137] Roman de Rou, t. I, p. 73.

N'a ne bœf, ne charrue, ne vilain en arée,

Ne vigne provignié, ne coulture semée ;

Mainte iglise i a, jà essilie e gastée ;

Se ceste guerre dure, la terre iert dégastée.

[138] Script. rer. gallic. et francic., t. IX, p. 22 ; cf. p. 8.

[139] Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettre XII.

[140] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[141] D'Argentré, Histoire de Bretagne, liv. III, p. 191, ed. Paris, 1588. — Dudo de Sancto Quintino, apud Script. rer. normann., p. 83. — Willelmi Gemet. Hist Normann., apud ibid., p. 231.

[142] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[143] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[144] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[145] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[146] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XI, p. 593.

[147] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 231.

[148] Ainsi, Angoville, Borneville, Grimonville, Hérouville étaient les possessions territoriales d'Ansgod, Biorn, Grim, Harald, etc. Les anciennes chartes présentent ces noms sous une forme plus ou moins correcte. Voyez le Mémoire de M. de Gerville sur les noms des lieux en Normandie, Mémoires de la Société royale des antiquaires de France, t. VII.

[149] Les anciens poèmes et les chroniques de Normandie portent Rous au nominatif, et Rou, par exception, au lieu de Rouf, aux cas obliques. Les historiens en langue latine écrivent, sans qu'on puisse dire pourquoi, au lieu de Rolfus, Rollo, dont les modernes ont fait Rollon.

[150] Voyez plus haut, livre premier.

[151] Dudo de Sancto Quintino, apud Script. rer. normann., p. 112.

[152] Roman de Rou, t. II, p. 32 et 34.

Raol Tesson...

Poinst li cheval, criant : Tur aïe !

... Willame crie : Dex aïe !

C'est l'enseigne de Normandie.

[153] Willelmi Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 316.

[154] La double descendance danoise par le père et par la mère constituait la plus haute noblesse. — Dudo de Sancto Quintino, apud Script. rer. normann., p. 152.

[155] Depping, Hist. des expéd. marit. des Normands, t. II, chap. XII.

[156] Roman de Rou, t. I, p. 303.

Li paisan e li vilain,

Cil del boscage e cil del plain...

Par vinz, par trentaines, par cenz,

Unt tenus plusurs parlemenz.

[157] Roman de Rou, p. 301 et suivantes. — Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-Maure, édit. de M. Francisque Michel, t. II, p. 390 et suivantes.

[158] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 249. — J'ai rapproché de ce passage, et fondu ensemble, des traits empruntés à Wace et à Benoît de Sainte-Maure. Quoique postérieur d'un siècle et demi à l'événement, leur témoignage a tout au moins pour nous la valeur d'un récit traditionnel.

[159] Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-Maure, t. II, p. 393.

Essi se sont entre-jurez

E pleviz et asseurez...

Roman de Rou, t. I, p. 307.

E sunt entre-serementé

Ke tuit ensemle se tendrunt

E ensemle se defendrunt.

[160] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 249.

[161] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 249.

[162] Roman de Rou, t. I, p. 307.

Esliz tint ne sai kels ne kanz

Des plus knint é des miex parlanz,

Ki par tuit li païz irunt,

E li seremenz rechevrunt.

[163] Voyez sur ce genre d'association, ses effets et son origine, les Considérations sur l'histoire de France, placées en tête des Récits des temps mérovingiens.

[164] Roman de Rou, t. I, p. 309 et 310.

[165] Roman de Rou, t. I, p. 311.

Prist li vilains,

Ki justoent li parlemens,

E perneient li seremens.

[166] Roman de Rou, p. 311 et 312. — Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-Maure, t. II, p. 395.

[167] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 249.        

[168] Francigenæ, Romani, Walli. Voyez ci-après, liv. VI.

[169] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145. — Matthæi Westmonast. Flor. histor., p. 202.

[170] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145.

[171] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145.

[172] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145.

[173] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145. — Lag signifie à la fois pays, État, statut, loi, du verbe lagen, poser, établir. Ut-lage (out-law) veut dire un banni et un homme mis hors la loi.

[174] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 145.

[175] Chron. saxon., p. 148-150. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic Script., p. 362 et seq., ed. Savile. Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, ibid., p. 72. — Matthiæ Westmonast. Flor. histor., p. 203 et 204. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 57 et 58, ed. Gale.

[176] Près de Sceorstan, aujourd'hui Sherston, dans le comté de Wilts.

[177] Knytlinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica t. XI, p. 180.

[178] Knytlinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica t. XI, p. 180.

[179] Knytlinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica t. XI, p. 181.

[180] Knytlinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica Islandorum, t. XI, p. 181.

[181] Karls ou Kerls, dans les langues scandinaves et germaniques. — Voyez, sur cette classe de la population anglo-saxonne, Palgrave, Anglo-saxon Commonwealth, t. I, p. 11, et Kemble, the Saxons in England, t. I, p. 131.

[182] Florent. Wigorn. Chron., apud Monumenta historica britannica, p. 585.

[183] Chron. saxon., ed. Ingram, p. 182.

[184] Florent. Wigorn., Chron., ad ann. 1008, apud Monumenta historica britannica, p. 585. — Chron. saxon., Ingram, p. 182 et suivantes.

[185] Knyttinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica Islandorum, t. XI, p. 181.

[186] Knyttinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica Islandorum, t. XI, p. 181.

[187] Knyttinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica Islandorum, t. XI, p. 182.

[188] Knyttinga Saga, cap. XI, apud Scripta historica Islandorum, t. XI, p. 182.

[189] Henrici Huntind, Hist., lib. VI, apud Rer anglic. Script., p. 363, ed. Savile. — Emmaæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 171. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 72, ed. Savile.

[190] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 436.

[191] Florentii Wigorniensis Chron., p. 619, ed. Francfort. 1601.

[192] Matthæi Westmonast. Flor. histor., p. 206. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 363, ed. Savile.

[193] Willelm. Malmesb., de Gest, reg. angl., lib, II, apud Rer. anglic. Script., p. 73.

[194] Diploma Chnuti regis ; Hist. Ingulf. Crogland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 58, ed. Gale.

[195] Voyez plus haut, liv. I. — Baronii Annales ecclesiast., t. XI, p. 58.

[196] Baronii Annales ecclesiast., t. XI, p. 145.

[197] Voyez Ducange, Glossar., verbo Rom-feoh, Spelman. Glossar., verbo Rom-skeat, et Wilkins, Leg. anglo-saxon., p. 52, 77 et 114.

[198] Leges Cnuti regis, art. XII ; Chron. Johan Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, col. 920, ed. Selden.

[199] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. VIII, p. 29.

[200] Torfæi Hist. rer. norveg., pars III, lib. III, cap. XVI, p. 223. — Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. danic., t. II, p. 493, in notis.

[201] Florent Wigorn. Chron., apud Monumenta historica britannica, p. 620 et 621.

[202] Dans l'anglais moderne, on écrit Earl, et ce titre répond à celui de comte.

[203] Diploma, Knuti regis, apud. Wilkins, Concilia, Magnæ Britanniæ, t. I, p. 296.

[204] Petri Olai Excerpt., apud Script. rer. danic., t. II, p. 207. — Saga af Magnusi Berfætta, cap. XI ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 211 et 212.

[205] Alias Harda-knut, Horda-Knut, Hartha-knut.

[206] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 154.

[207] Her, éminent, chef ; ald, hold, fidèle. Les Saxons écrivent Harold.

[208] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 154.

[209] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 76, ed. Savile. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud ibid., p. 364.

[210] Ethel, noble ; noth, nécessaire, utile.

[211] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 174.

[212] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 174.

[213] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, ed. Gale.

[214] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, ed. Gale.

[215] Willelm. Malmesb., de Gest. pontif. angl., lib. IV, apud Rer. anglic. Script., p. 292, ed. Savile.

[216] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale.

[217] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale.

[218] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale.

[219] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale.

[220] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 438, ed. Savile.

[221] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 155.

[222] Emma reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 174.

[223] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 271.

[224] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. normann., p. 174, 175 et seq.

[225] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 365, ed. Savile.

[226] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 77, ed. Savile.

[227] Emmæ reginæ Encomium, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 7.

[228] Roger de Hoved. Annal., pars 1, apud Rer. anglic. Script., p. 438, ed. Savile. — Ailred. Rieval. Genealog. reg. angl., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 366, ed. Selden. — Guill. Pictaviensis, apud Script. ver. normann., p. 178.

[229] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 76, ed. Savile. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 33.

[230] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 936, ed. Selden. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 35.

[231] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 364, ed. Savile.

[232] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 438.

[233] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 936, ed. Selden.

[234] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 77, ed. Savile.

[235] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 77, ed. Savile.

[236] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 76, ed. Savile. — Matthæi monast., Flor. histor., p. 210.

[237] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[238] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 77, ed. Savile.

[239] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 77, ed. Savile. — Leof-win. Leof, lief, lieb, cher, bien-aimé ; win, ami.

[240] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. anglic., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 76, ed. Savile.

[241] Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 954, ed. Selden.

[242] Willelm. Malmesb., loc. sup. cit. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 156.

[243] Henrici Knyghton, de Event anglic., lib. I, cap. XXVI, apud. Hist. anglic. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden.

[244] Henrici Knyghton, de Event anglic., lib. I, cap. XXVI, apud. Hist. anglic. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden.

[245] Henrici Knyghton, de Event anglic., lib. I, cap. XXVI, apud. Hist. anglic. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden.

[246] Henrici Knyghton, de Event anglic., lib. I, cap. XXVI, apud. Hist. anglic. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden. — Chron. Johan. Bromton., apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 934, ed. Selden.

[247] Wulf-heofod. C'était le nom donné par les Saxons aux hommes mis hors la loi pour quelque grand crime. — Voyez Wilkins, Leges et concilia, passim.

[248] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. I, cap. VI, apud Hist. angl. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden.

[249] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. I, cap. VI, apud Hist. angl. Script., t. II, col. 2326, ed. Selden.

[250] Petri Olai Excerpt., apud Script. rer. danic., t. II, p. 207.

[251] Monast. angl., Dugdale, t. I, p. 34.

[252] Ingulf. hist., p. 895, ed. Savile.

[253] Willelm. Malmesb., de Gentis reg. angl., lib. II, apud Rer. angl. Script., p. 80, ed. Savile. — Chron. saxon., ed, Gibson, p. 156. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud. Rer. anglic. Script., p. 365, ed. Savile.

[254] Willelm. Malmesb., de Gentis reg. angl., lib. II, apud Rer. angl. Script., p. 80, ed. Savile.

[255] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 271.

[256] Monast. anglic., Dudgale, t. I, p. 24.

[257] Ed signifie heureux, heureuse ; le sens de l'autre composant m'est inconnu.

[258] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[259] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[260] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 75, ed. Savile.

[261] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 75, ed. Savile.

[262] Dæne-geld, Dæna-geold ; alias Heregeold, tribut de l'armée. (Chron. saxon., ed. Gibson, passim.)

[263] Myrena-laga, West seaxna-laga, Dæna-laga. Vid. Hickesii Thesaur. linguar. septentrional.

[264] Saga af Magnusi Goda, cap. XXXVIII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 52. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 65, ed. Gale. — Chron. Johan. Bromton, apud Hist. angl. Script., t. I, coI. 938, ed. Selden.

[265] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[266] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile.

[267] Hist. Ingulf, Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 34. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile.

[268] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[269] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[270] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 62, ed. Gale.

[271] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile. — Deux autres fils de Godwin seront nommés plus tard.

[272] Willelm. Malmesb., de Gest. rer. angl., lib . II, apud Rer. anglic. Script., ed. Savile, p. 81.

[273] Willelm. Malmesb., de Gest. rer. angl., lib . II, apud. Rer. anglic. Script., p. 80 et 81, ed. Savile.

[274] Il y avait chez les Anglo-Saxons une foule d'institutions provinciales et municipales. Folc-gemot, scire-gemot, assemblée de province. Burhgemot, Wic-gemot, assemblée de ville. Husting, maison de conseil. Hanshus, maison commune. Gild-hald, club ; gid-scipe, association. Voyez Hickes., Thesaur. linguar. septentrion., sur les institutions sociales des Anglo-Saxons.

[275] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile.

[276] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile. — Eadmeri, Hist. novorum., lib. I, p. 4, ed. Selden.

[277] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 359, ed. Savile.

[278] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 359, ed. Savile.

[279] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 359, ed. Savile.