HISTOIRE DES GAULOIS

Deuxième partie

CHAPITRE PREMIER.

 

 

LA NATURE elle-même semblait avoir tracé les frontières de la Gaule, circonscrite par deux chaînes de montagnes, deux mers et un large fleuve.

Les Alpes la bornaient à l’orient par une barrière de dix mille à quinze mille pieds d’élévation ; et envoyaient à l’intérieur des chaînes secondaires, qui la coupaient dans diverses directions : c’étaient, du sud au nord, le Jura et les Vosges ; du nord-est au sud-ouest, les Cévennes et leur appendice, le plateau des montagnes Arvernes.

Au midi, les Pyrénées, hautes de neuf à dix mille pieds, la fermaient d’une mer à l’autre. Baignée au sud-est par la Méditerranée, à l’ouest par l’Océan, elle se terminait, du côté du nord, au cours du Rhin qui, ayant son embouchure dans l’Océan, prend sa source dans les Alpes.

Cinq grands fleuves sillonnaient en tout sens ce vaste et beau territoire :

A l’est, le Rhône[1] célèbre par le volume et la rapidité de ses eaux. Né des glaciers des Alpes Pennines, et grossi des eaux tributaires de la Saône[2], de l’Isère[3] et de la Durance[4], il se jetait dans la Méditerranée par trois bouches [Pline, III, 4].

Au sud, la Garonne[5] coulant des Pyrénées à l’Océan, faible et à peine navigable dans la portion supérieure de son cours, mais, prés de son embouchure, large et profonde comme une mer [Mela, III, 2] ; et augmentée, dans sa route, par le Tarn qui roulait alors de l’or mêlé à ses sables[6], par le Lot[7], sorti comme lui des Cévennes, puis par la Dordogne[8] descendue des monts Arvernes.

A l’ouest, la Loire[9] dont le cours, depuis les Cévennes, jusqu’à l’Océan, traversait le centre et l’occident de la Gaule d’abord du sud au nord, ensuite de l’est à l’ouest, recevant successivement l’Allier[10], le Cher [Carus, Caræ, Caris], la Vienne [Vingenna] et la Mayenne[11].

Au nord-ouest, la Seine[12] avec ses affluents la Marne[13] et l’Oise[14].

Au nord, le Rhin[15]. Ce fleuve, après avoir formé deux lacs[16] au pied des Alpes, se resserrant de nouveau, traçait la limite de la Gaule, pour aller se perdre ensuite par plusieurs bouches dans les sables de l’Océan [César, bell. Gall., IV, 10] entraînant avec lui les eaux de la Moselle[17] et de la Meuse[18].

La Gaule était partagée naturellement en deux grandes régions, bien marquées par la direction des rivières : l’une, la région haute et orientale, comprenait tout le pays situé entre la crête des Alpes et les dernières élévations des Vosges, des monts Éduens, du plateau Arverne et des Cévennes ; l’autre, la région basse et occidentale, s’étendait de là à l’Océan. Nous insistons sur cette division qui, de même que toutes les divisions topographiques générales, bien loin d’être indifférente à l’histoire, facilite au contraire l’intelligence des faits ; celle-ci jette une vive lumière sur les divers groupements des races dont la population gauloise se trouvait composée. Vers la commune limite des deux régions s’était arrêtée à deux reprises l’invasion des hordes kimriques venues d’outre Rhin : la région basse subjuguée était restée entre leurs mains, tandis que la région haute avait servi de refuge et de boulevard à la race gallique en partie dépossédée. Cette limite était donc non moins profondément empreinte dans la population que sur la superficie du sol : elle séparait deux sociétés différentes d’origine, d’intérêts, de langage, et longtemps opposées par une mortelle inimitié.

Examinées sous le point de vue de la sûreté extérieure, les frontières de la Gaule n’avaient pas toutes une égale importance. Par le Rhin, elle avoisinait les derniers bancs kimris établis sur les bords de l’océan du nord et les peuples de la race teutonique, qui chaque année, faisant des progrès vers le midi, s’approchaient de plus en plus du fleuve ; par les Alpes, elle touchait à la république romaine. De ces deux côtés seulement la Gaule était menacée, mais elle l’était fortement. Ici, elle avait à redouter l’esprit systématique de conquête aidé de toute la puissance de la civilisation ; là, l’esprit de brigandage et d’invasion soutenu par l’énergie aventureuse de la vie nomade.

Le sol de la Gaule était généralement très fertile[19]. Nul lieu du monde ne surpassait les cantons méridionaux, ni pour la fécondité variée de la terre, ni peur la douceur du climat. Les productions délicates de l’Orient, l’olivier, le figuier, le grenadier, y croissaient sans peine à côté des céréales et des hautes futaies de l’Occident[20]. Ce fut, comme nous l’avons raconté précédemment, la colonie phocéenne de Massalie qui apporta les premiers plants de vigne cultivés en Gaule [part. I, 1] ; mais cet arbuste, on le reconnut plus tard, y existait déjà à l’état sauvage : plusieurs espèces originaires des Cévennes[21], des Alpes allobroges[22], des coteaux de la Saône, du Rhône, de l’Allier et de la Gironde[23], furent découvertes et propagées successivement. Néanmoins la culture de la vigne resta longtemps bornée au littoral de la Méditerranée ; au commencement de l’ère chrétienne, elle n’avait point encore dépassé la chaîne des Cévennes et la vallée de la Durance [Strabon, IV].

Quelques fléaux venaient, il est vrai, désoler par intervalles ce fertile pays. La côte de la Méditerranée était exposée à des vents d’une violence extrême : le plus terrible soufflait du nord-ouest [Diod. Sicil., V] ; les Gaulois le nommaient kirk[24], qui signifiait le fougueux ou le destructeur ; il enlevait les toits des maisons, et renversait sur les routes les piétons, les cavaliers, et, dit-on, jusqu’à des chariots chargés[25]. Sur la côte de l’Océan, les ouragans descendus des Pyrénées ne causaient guère moins de ravages ; ils y soulevaient les sables comme des vagues ; et, suivant l’expression d’un écrivain ancien [S. Apolinnaire, VIII, Epist. 12], surpris au milieu de ces syrtes gauloises, le voyageur pouvait en quelque sorte faire naufrage par terre. Les bords du Rhône, de la Durance et de l’Hérault avaient aussi à redouter le charbon [Pline, 26, 1], maladie pestilentielle.

Dans le reste de la Gaule, principalement au nord et à l’ouest, l’air était brumeux et froid ; des rivières souvent débordées et des bois immenses entretenaient une perpétuelle humidité[26]. Le chêne, le bouleau, l’ormeau, le pin[27], composaient ces vastes forêts dont l’Armorique et la Belgique surtout étaient encombrées ; l’if était commun dans le nord[28], et dans les Pyrénées le buis vigoureux, arborescent, de forme conique [Buxi genus, Pline, 16, 16]. A l’époque où nous sommes arrivés, l’est, le centre et le midi, défrichés et cultivés en grande partie, produisaient abondamment du blé, du millet et de l’orge [Strab., IV, Diod., V]. C’était par les grands fleuves que le commerce avait apporté aux indigènes le besoin et le goût de la vie sociale ; c’était aussi dans le voisinage des grands fleuves, du Rhône, de la Saône, de la Seine et de la Loire, qu’avaient eu lieu les premiers travaux agricoles, et que la civilisation avait pris ses premiers développements.

Malgré l’extension progressive de l’agriculture, l’éducation des bestiaux fut toujours la principale industrie des peuples gaulois, qui consommaient beaucoup moins de grain que de viande et de lait. Ils engraissaient des troupeaux innombrables de grand et de petit bétail ; et des porcs d’une grosseur énorme erraient par bandes et à l’abandon dans leurs bois, où, devenus tout à fait sauvages, ils n’étaient guère moins dangereux à rencontrer que des loups [Strab., IV]. Les pâturages de la Belgique nourrissaient une race de chevaux excellente et entretenue avec le plus grand soin[29].

Telles étaient les productions végétales et animales de la Gaule ; nous avons déjà parlé de ses richesses minérales, qui consistaient en mines d’or, d’argent, de cuivre, de fer et de plomb[30]. La côte des îles appelées aujourd’hui îles d’Hières fournissait de beau corail [Pline, 32, 2], et le continent, ce grenat brillant et précieux qu’on nomme escarboucle [Theophrast. de Lapidib.]. Les escarboucles gauloises furent tellement recherchées dans tout l’Orient, où les Massaliotes en faisaient le commerce, que, du temps d’Alexandre, les moindres s’y vendaient jusqu’à quarante pièces d’or [Ibid.].

Quand on récapitule ces productions si nombreuses, si diverses, si riches, quand on parcourt des yeux la topographie si variée de ce sol fécond, on est tenté de dire avec un illustre géographe de l’antiquité [Strab., IV] : Il semble qu’une providence tutélaire s’éleva ces chaînes de montagnes, rapprocha ces mers, traça et dirigea le cours de tant de fleuves, pour faire un jour de la Gaule le lieu le plus florissant du monde.

Trois familles humaines se partageaient ces richesses et ce beau territoire : 1° la FAMILLE IBÉRIENNE, divisée en deux branches, les Aquitains et les Ligures ; 2° la FAMILLE GAULOISE proprement dite, comprenant : la race gallique et la race kimrique, partagée elle-même en deux branches, les Kimris de la première invasion, mélangés en grande partie avec les Galls, et qu’on pourrait appeler Gallo-Kimris, et les Kimris de la seconde invasion, ou Belges ; 3° la FAMILLE GRECQUE-IONIENNE, composée des Massaliotes et de leurs colonies.

 

I. FAMILLE IBÉRIENNE

AQUITAINS. La courbe que décrit la Garonne, entre sa source, et son embouchure, limitait l’Aquitaine à l’est et au nord ; les Pyrénées et l’Océan la bornaient au midi et à l’ouest. La partie voisine de la mer n’était qu’une plaine stérile, couverte de sables ou de bruyères, et parsemée seulement de quelques bois de pins : pour toute culture, on y récoltait un peu de millet[31]. Dans les cantons élevés, où l’abondance des eaux vives favorisait la végétation [Strab., IV], le pays inculte devait présenter l’aspect d’une grande forêt. La pauvreté du sol était compensée, il est vrai, par la richesse des métaux. Les Pyrénées recelaient des mines d’or peu profondes, d’où le minerai était tiré, la plupart du temps, à l’état vierge et en lingots de la grosseur du poing [Ibid.]. Des paillettes d’or roulaient aussi mêlées aux sables de l’Adour ; les indigènes les recueillaient et les séparaient de la vase successivement par le lavage et par la fusion[32].

La nation aquitanique se subdivisait en vingt petites peuplades dont les noms sont à peine connus[33]. Les principales étaient : les Tarbelles[34], riverains du bas Adour et de l’Océan ; les Bigerrions[35], riverains du haut Adour ; les Garumnes[36], qui habitaient près des sources de la Garonne ; enfin les Auscii ou Auskes[37], dont le territoire, situé entre le pied des Pyrénées et la moyenne Garonne, passait pour le meilleur et le mieux cultivé de toute l’Aquitaine [Strab., IV] ; leur chef-lieu se nommait Elimberrum[38].

L’Aquitain avait conservé presque sans altération le type originel de sa race : à ses traits, à sa taille, à son langagé, à ses mœurs, on le reconnaissait aussitôt pour un enfant de l’Ibérie [Strab., IV]. Il continuait de porter le vêtement ibérien, court, fabriqué de laine grossière et à long poil[39] ; la propreté et l’élégance ibériennes se retrouvaient aussi parmi ses femmes sur les rives du Gave et de l’Adour[40]. L’Aquitain était brave, mais rusé[41]. Un esprit vif et intelligent le rendait très-habile à saisir et à imiter 1a tactique de son ennemi [César, B. G., 3, 20]. L’habitude d’exploiter les mines lui donnait une adresse remarquable dans tous les travaux souterrains applicables à la défense ou à l’attaque des places [Ibid.]. L’infanterie aquitanique était renommée pour sa légèreté[42].

L’Aquitaine paraît avoir été soumise à la domination absolue des chefs de tribus ; néanmoins la conduite de ses guerres importantes et générales était confiée ordinairement à des guerriers consommés, élevés par élection au suprême commandement militaire [César, B. G, 3 & 7]. Elle avait conservé dans toute sa vigueur l’institution ibérienne des dévouements étrangère au reste de la Gaule. Des braves, appelés soldures ou plus correctement saldunes[43], s’attachaient à la personne d’un chef, pour la vie et pour la mort ; ils appartenaient irrévocablement à lui et à sa fortune. Tant qu’il était riche, puissant, heureux, ils jouissaient, comme lui et avec lui, de toutes les prospérités de la vie ; le sort lui devenait-il contraire, ils en partageaient tous les revers ; si le chef périssait de mort violente, ils s’arrachaient eux-mêmes le jour. Il était inouï qu’un Saldune eût refusé de mourir avec son maître [César, B. G, 3, 22]. Le nombre des braves dévoués à un seul chef était illimités on verra Adcantuan, roi des Sotiates, en compter jusqu’à six cents [César, B. G, 3, ub. sup.].

Outre sa population de descendance ibérique, l’Aquitaine contenait les deux petites tribus gauloises des Boïes[44] et des Bituriges-Vivisques, resserrées dans l’angle que formaient l’embouchure de la Garonne et l’Océan [Bituriges-Vivisci]. Ce voisinage, au rapport d’un écrivain ancien, servait d’autant plus à faire ressortir la différence tranchée des deux familles [Strab., IV]. Les Bituriges-Vivisques, peuplade gallique détachée des Bituriges-Cubes à l’époque de l’invasion des Kimris, occupaient les bords du fleuve, et, par leur activité, s’étaient créé une marine ; leur capitale, Burdigala[45], était devenue un des entrepôts du commerce entre la Méditerranée et l’Océan. Les Boïes, d’origine kimrique, habitaient plus au midi, dans les landes des Tarbelles ; ils étaient pauvres, et leur industrie se bornait à extraire la résine des bois de pin qui croissaient sur leur territoire[46].

LIGURES. Cette branche de la famille ibérienne avait conservé moins purement que la branche aquitanique le type originel, à cause de son éloignement de l’Espagne et de son mélange, soit avec les Gaulois, soit avec les Massaliotes. Le Ligure était de petite taille et d’une complexion sèche, mais nerveuse [Diod. Sic., IV]. Sobre, économe, dur au travail[47], il goûtait ces vertus par des vices qui lui donnèrent, chez les anciens, une célébrité malheureuse: il passait pour fourbe, perfide, intéressé[48]. Dans la contrée voisine de Massalie, où l’influence de la civilisation grecque s’était fait sentir immédiatement, les Ligures cultivaient l’olivier, la vigne et les céréales, soit pour eux, soit pour le compte des marchands massaliotes. Plus loin, dans la montagne, ils vivaient de chasse ou venaient dans la plaine se louer comme ouvriers aux propriétaires de cultures [Strab., 3 – Diod. Sic., 4 & 5]. Sur la côte, ils faisaient la pêche et la piraterie. Dès que la tempête commençait à troubler la mer, on voyait ces hardis corsaires mettre à flot leurs fragiles barques ou leurs larges radeaux, soutenus sur des outres, et aller assaillir les vaisseaux étrangers surpris, par le gros temps, loin des ports ; ils revenaient ensuite déposer leur butin dans les îles voisines de la côte. La répression de ces brigandages coûta une peine infinie à la marine massaliote ; en vain les Grecs s’emparèrent des îles, construisirent dans quelques-unes des forts, et y placèrent des garnisons [Strab., 4], les pirates se firent d’autres repaires sur le continent, et ne cessèrent que très tard d’infester les parages de la Gaule et de l’Italie.

Les femmes liguriennes partageaient d’ordinaire avec leurs maris les plus pénibles travaux de l’agriculture : comme eux, on les voyait descendre par bandes de la montagne, pour aller travailler, moyennant salaire, sur les terrés de Massalie et de ses dépendances. Un voyageur grec, que nous citerons plus d’une fois, le célèbre Posidonius[49], fut témoin d’un fait qui montre à quel point une vie sobre et laborieuse avait endurci ces femmes. Une d’elles, employée avec une troupe de ses compatriotes sur la propriété d’un certain Charmolaüs, Massaliote, se sentit tout à coup saisie des douleurs de l’enfantement. Sans mot dire, elle se retira dans un petit bois voisin, se délivra elle-même, déposa son enfant sur un lit de feuilles, à l’abri d’un taillis épais, et vint reprendre son ouvrage [Diod. Sic., l. c.]. Les cris de l’enfant et la pâleur de la mère révélèrent la chose. Le surveillant des travaux voulait la congédier ; mais elle s’obstina à demeurer, jusqu’à ce que celui-ci, par pitié, lui eut fait don de son salaire[50]. Alors elle se leva, prit l’enfant, le baigna dans une source d’eau vive qui coulait auprès, et l’emporta chez elle enveloppé de quelques lambeaux [Strab., 3]. De pareils faits n’étaient rien moins que rares dans la vie de ce peuple dur et patient [Arist. de Mirab. auscult.].

Cette communauté de travaux et de souffrances, ne se bornait pourtant pas l’égalité des deux sexes. La Ligurienne était pour son mari une compagne, suivant toute l’acception du mot, tandis que la femme gauloise, livrée aux caprices du despotisme le plus illimité, pouvait envier la destinée de ses esclaves ; et cette opposition si tranchée dans la composition intime et le caractère des deux sociétés n’est pas un des moindres traits qui distinguent l’une de l’autre ces familles humaines. C’était par le choix d’un mari que la jeune Ligurienne entrait dans l’exercice de sa liberté. Les prétendants, réunis chez son père à un grand repas, attendaient, impatients et inquiets, qu’elle-même vînt décider de leur sort. Vers la fin du repas, elle paraissait tenant à la main un vase plein de quelque breuvage ; et l’homme à qui elle versait à boire était l’époux préféré : ce choix devenait pour les parents une loi irrévocable[51].

Les femmes liguriennes durent même à quelques circonstances d’être investies d’une autorité politique supérieure à celle des hommes : autorité d’ailleurs toute pacifique, toute conservatrice, et qui convenait parfaitement à leur rôle. De vives et interminables querelles s’étaient jadis élevées chez ce peuple, racontent les historiens[52], et l’amenèrent à une guerre civile. Déjà les deux partis avaient couru aux armes ; déjà ils se mesuraient des yeux sur le champ de bataille,  lorsque les femmes, se précipitant entre eux, voulurent connaître le sujet de la discorde. Elles le discutèrent et le jugèrent avec tant d’équité et de raison, qu’une admirable amitié de tous avec tous régna dès lors, non seulement dans chaque cité, mais dans chaque famille. De là naquit l’usage d’appeler les femmes aux délibérations sur la paix et sur la guerre, et de leur soumettre les différends survenus avec les alliés. On se souvient qu’Annibal, après les conférences de Ruscinon, connut cette autorité si nouvelle pour un Carthaginois. Quelques femmes, à demi sauvages, siégeant aux bords du Tet, prononcèrent en dernier ressort sur les demandes et les plaintes de celui qui allait ébranler Rome et changer peut-être la fortune du monde. Il parait, au reste, qu’il n’eut qu’à se féliciter des arrêts de ce singulier tribunal.

Massalie entretenait à sa solde des Ligures armés et disciplinés à la grecque. L’usage du bouclier de cuivre, fabriqué sur le modèle grec, devint même assez général parmi ces peuples pour donner lieu à quelques étymologistes anciens de leur supposer une origine hellénique [Strab., 4]. Leur vêtement de guerre national était une tunique de laine ou de peau de bête, arrêtée au milieu du corps par une large ceinture en cuir [Diod. Sic., 5].

Il nous reste à passer en revue les différentes nations dont se composait au second siècle, où s’était composée antérieurement, la race ligurienne. Nous commencerons par la portion de la Ligurie située à l’occident du Rhône, entre ce fleuve et les Pyrénées, et que les géographes anciens nommaient l’Ibéro-Ligurie.

Dans des siècles qui précèdent de beaucoup l’époque qui nous occupe, l’Ibéro-Ligurie avait été possédée par trois grands peuples : les Sordes, les Élésykes et les Bébryhes. Les Sordes ou Sardes[53], établis le long  de la côte au pied des Pyrénées, avaient étendu de là leur domination fort loin sur le littoralde l’Espagne ; leurs villes principales, en Gaule, étaient Illi-Berri, ou la ville-Neuve, et Ruscinon, plus correctement Rouskino, que la physionomie phénicienne de son nom pourrait faire regarder comme une vieille colonie de Tyr ou de Carthage[54]. Les Élésykes habitaient au-dessous des Sardes jusqu’au Rhône [Fest. Avien. ora. maritim. v. 585] ; ils comptaient parmi leurs villes Némausus et Narbo : Némausus, de fondation tyrienne, si l’on en croit les traditions symboliques sur Hercule[55] ; Narbo ou Narbonne déjà célèbre par son commerce maritime, célèbre aussi par l’éclat de ses armes, capitale d’un petit royaume, et centre de la civilisation ligurienne[56]. Les Bébrykes[57] occupaient, à ce qu’on suppose, les Pyrénées, à leur jonction avec les Cévennes, et en partie le revers occidental de cette dernière chaîne.

Mais au temps où nous sommes arrivés, cette puissance et cette prospérité avaient disparu. Depuis deux cent cinquante ans, l’Ibéro-Ligurie, enlevée presque tout entière aux indigénes, étant au pouvoir de deux tribus belges ou volkes, venues en conquérantes du nord de la Gaule [p. I, c. 1]. Les Volkes-Aréconrikes, maîtres du pays des Élésykes, lui avaient imposé leur nom. Les Volkes-Tectosages, après avoir chassé les Bébrykes et occupé leur territoire, s’étaient étendus jusqu’à la Garonne et au cours inférieur du Tarn : Tolosa, que leurs aventures et leurs conquêtes ont déjà rendue célèbre, était devenue leur capitaile[58]. Quant aux Sordes, ils surent sauver leur liberté ; mais réduits à un petit nombre, aumilieu de cette ruine presque totale de leur race, ils déchurent rapidement ; leurs villes d’Illiberri et de Ruscino n’offrirent bientôt plus qu’une ombre de ce qu’elles abaient été jadis[59].

La côte ibéro-ligurienne était généralement basse et marécageuse ; elle renfermait peu de ports, d’ailleurs mal garantis contre les vents dangereux du sud et du sud-est [Mela, 2, 5]. Les anciens ont beaucoup parlé d’un phénomène curieux qu’on y remarquait près de la commune, frontière des Arécomikes et des Sordes. C’était un lac souterrain, alimenté en partie par des sources d’eau douce, en partie par les eaux de la mer, qui s’y rendaient au moyen d’infiltrations et de conduits cachés. Recouvert de gazon et de roseaux sur toute sa surface, il présentait à l’œil l’aspect d’une verte et fraîche prairie ; mais si l’on rompait cette croûte à quelques pieds, on trouvait l’eau. Les indigènes y faisaient des crevasses pour pêcher, à coups de trident, d’énormes mulets, qui venaient s’y engraisser de vase[60]. Renchérissant encore sur cette bizarrerie de la nature, les voyageurs et les auteurs grecs et romains ne tarissaient pas en récits merveilleux touchant les poissons fossiles de la Gaule et les pêches du champ suspendu[61].

L’autre portion de la Ligurie, située à l’orient du Rhône, entre ce fleuve et les Alpes, l’Isère et la Méditerranée, et désignée chez les géographes anciens par le nom de Celto-Ligurie, renfermait une multitude de tribus ligurienues ou gallo-liguriennes, qui se groupaient en plusieurs, confédérations. Les Ségobriges, ce peuple gaulois dont nous avons raconté la gracieuse hospitalité à l’égard des premiers colons phocéens [p. I, c. 1], les Ségobriges avaient disparu, soit que quelque désastre inconnu les eût anéantis jusqu’au dernier, soit qu’en se refondant avec d’autres peuplades ils eussent perdu et échangé leur nom national. C’étaient les Salyes ou Salluves[62], dont nous avons aussi parlé précédemment, qui dominaient sur presque tout le pays au sud de la Durance ; Arelate, plus correctement Arlath[63], située sur la rive gauche du Rhône, non loin de son embouchure, était leur ville principale. A l’orient des Salyes, du coté de la Durance et des montagnes, se trouvaient les Albikes[64], petite tribu gauloise. Au-dessous des Albikes, vers la mer, venaient les Verrucins, les Sueltères, les Oxybes, les Décéates et les Néruses ; ces derniers avaient pour frontière le Var, commune limite de la Gaule et de l’Italie [Lucain, I, v. 406].

Ainsi que la côte à l’ouest du Rhône, celle-ci avait son phénomène curieux, c’était le Champ des pierres[65], célèbre dans la mythologie symbolique de l’Orient, pour avoir été le théâtre d’une des grandes victoires d’Hercule, de sa victoire sur Alb et Ligur, montagnards, enfants de Neptune [p. I, c. 1]. Une plaine à peu près circulaire, et de plus de trois lieues de diamètre[66] ; s’étendait entre Arelate et la mer, jonchée sur toute sa superficie d’une innombrable quantité de pierres arrondies et lisses, dont les plus fortes ne dépassaient pas la grosseur du poing ; on eût dit d’une pluie de cailloux [Strab., 4] : vers le milieu, jaillissaient quelques sourses d’eau salée [Ibid.]. Malgré la stérilité qui frappait ce lieu, il croissait parmi les pierres quelques herbes, surtout du thym, dont les brebis se montraient extrêmement friandes ; on les y amenaient par millier, et de pays fort éloignés [Pline, 3, 10 – Strab., 4].

Au nord de la Durance, depuis ce torrent jusqu’à l’Isère, la plus considérable des nations liguriennes, on, pour mieux dire, la seule considérable, était celle des Voconces ou Voconcii[67], qui avait pour frontières, au sud, la Durance, ad nord le Drac, à l’est le pied des Alpes. Entre sa frontière occidentale et le Rhône, habitaient trois peuples de sang gallique : les Ségalaunes, qui occupaient l’île entre l’Isère et la Drôme[68] ; les Tricastins, établis plus bas[69] ; et les Cavares[70], qui s’étendaient jusqu’à la Durance, et avaient pour chefs-lieux Avenio et Cabellio[71]. Les Tricastins et les Ségalannes paraissent n’avoir été que des clients de la puissante nation Cavare, qui partageait avec les Voconces la domination de tout le pays entre l’Isère et la Durance [Strab., 4].

Si nous avons classé parmi les Ligures les Cavares, les Ségalaunes, les Tricastins et les Volkes, malgré leur descendance gauloise, c’est qu’en effet ces nations, par leur situation, par leurs intérêts politiques et commerciaux, et par leurs liens fédératifs, appartenaient beaucoup plus à la race ligurienne qu’ils n’appartenaient à leur propre race.

 

II. FAMILLE GAULOISE

Ce qui restait du territoire de la Gaule, en retranchant les contrées que nous venons de décrire, formait les domaines de la famille gauloise proprement dite.

Une ligne qui, partant de l’embouchure du Tarn, longeait ce fleuve, puis lq Rhône, l’Isère, les Alpes, le Rhin, les Vosges, les monts Éduens, la Loire, la Vienne, et venait rejoindre la Garonne, en tournat le plateau de l’Avernie ; cette ligne circonscrivait à peu près les possessions de la race gallique. Le territoire situé au couchant de cette limite appartenait à la race kimrique ; il était à son tour divisé en deux parties, l’une septentrionale, l’autre méridionale, par la ligne de la Seine et de la Marne ; au midi, entre la Seine et la Garonne, habitaient les Kimris de la première invasion, mêlés de sang gallique, ou Gallo-Kimris ; au nord, entre la Seine et le Rhin, les Kimris de la seconde invasion ou Belges. Les Galls comptaient vingt-deux nations ; les Gallo-Kimris, dix-sept, et les Belges, vingt-trois : ces soixante-deux nations se subdivisaient en plusieurs centaines de tribus.

GALLS. Trois grands peuples, les Arvernes, les Édues et les Séquanes se disputaient la suprématie parmi les Galls. Groupées autour d’eux pour la plupart, soit par la conquête, soit par les liens de la clientéle fédérative, les peuplades inférieures formaient sous leur patronage trois puissantes ligues rivales, presque constamment armées l’une contre l’autre.

Les Arvernes[72] occupaient la contrée montagneuse qui portait et, sauf une légère altération, porte encore aujourd’hui leur nom ; Gergovie, leur capitale, tenait le premier rang parmi les places fortes de la Gaule[73]. Leur clientèle se composait des Helves ou Helvii[74], des Vélaunes[75], des Gabales [Gévaudan] et des Ruthènes [Rouergue], tous habitants ou voisins des Cévennes septentrionales. Les Gabales et les Ruthènes étaient riches ; ils possédaient d’abondantes mines d’argent, et le Tarn, qui baignait leur pays, roulait sous ses sables des paillettes d’or. Sans être ni sujets, ni clients des Arvernes, les Cardukes[76] et les Nitiobriges[77] se rattachaient ordinairement, comme auxiliaires, aux entreprises de cette nation redoutée. Les Nitiobriges nous sont peu connus ; quant aux Cardukes, établis sur les bords du Lot, ils cultivaient le lin en grand, et fabriquaient des toiles, qui acquirent par la suite beaucoup de réputation.

La confédération éduenne embrassait tout l’espace compris entre l’Allier, la moyenne Loire et la Saône ; et même un peu au-delà de cette rivière, vers le midi[78]. Le territoire propre de la cité avait pour capitale Bibre=acte, dont il sera grandement question plus tard ; pour seconde ville Novindunum, port et place de commerce sur la Loire[79]. Son patronage politique s’étendait sur les Mandubes [Auxois], ou Mandubii, dont le chef-lieu Alésia datait des temps les plus anciens de la Gaule, et passait pour un ouvrage de l’Hercule tyrien[80] ; sur les Ambarres [Bresse], les Isombres, ou Insubres, et les Ségusiens [peuple de Forez] : ces trois dernières peuplades habitaient les rives de la Saône entre les deux confluents du Rhône et du Doubs. Les Bituriges [Berri] eux-mêmes, jadis une des plus florrissantes nations de la Gaule, étaient tenus par les Édues dans une condition voisine de celle de sujets. Le territoire éduen était riche en troupeaux et en blé ; les Bituriges exploitaient des mines de fer d’un grand rapport [Strab. 4].

Le pays des Séquanes limité par le Jura, la Saône et la frontière ségusienne, était un des plus beaux de toute la Gaule[81]. Le Doubs[82], qui coule du Jura dans la Saône, la traversait obliquement. Sur une presqu’île que formaient les replis de cette rivière, s’élevait Vesontio, capitale de la nation, place fortifiée par la nature et par toutes les ressources du génie militaire gaulois[83]. Les Séquanes s’étaient étendus anciennement jusqu’aux sources de la Seine, d’où ils tiraient leur nom [Artemidor. Ap. Et. Byz.] ; mais les invasions des Kimris les avaient rejetés au couchant des Vosges de la Saône.

La principaI industrie de ce peuple était la préparation de la chair de porc ; les jambons et généralement toutes les salaisons séquanaises, transportés part la Saône et le Rhône dans les entrepôts massaliotes, se répandaient de là en Italie et en Grèce où ils étaient fort recherchés [Stab., 4]. A cause de ce commerce déjà très productif, et qui, dans la suite, devint immense, les Séquanes s’intéressaient vivement à la libre navigation des deux rivières par lesquelles ils communiquaient avec le midi. Ils eurent des discussions fréquentes avec les Édues, riverains comme eux de la Saône, au sujet de certains droits de péage [Ibid.] ; et souvent ces discussions leur mirent les armes à la main ; de là naquit entre les deux peuples une profonde et implacable inimitié. Nous verrons bientôt quelle influence désastreuse ces rivalités exercèrent sur la paix et sur la liberté de la Gaule.

Après ces trois grandes nations et leurs clientelles venaient, dans un degré d’importance inférieur, trois autres nations galliques indépendantes, et ne reconnaissant aucune suprématie, du moins immédiate. C’étaient : les Helvètes[84], dont les quatre tribus demeuraient entre le lac Vénétus et le lac Léman ; les tribus Pennines habitantes des âpres vallées des Hautes-Alpes[85], et les Allobroges[86], peuple brave et nombreux qui occupait le revers occidental des Alpes entre l’Arve, l’Isère et le Rhône. Les villes principales des Allobroges étaient Vienne et Genève, située à l’extrémité méridionale du Léman[87].

GALLO-KIMRIS. Les domaines de cette première branche de la race kimrique étaient bornés, comme nous l’avons dit, par la ligne de la Seine et de la Marne au nord, par la frontière des Galls à l’orient, par la Garonne au midi ; et au couchant par l’Océan atlantique.

Elle comptait parmi ses nations les plus méridionales : les Pétrocores[88], dont le pays renfermait des mines de fer ; les Lémovikes [Limousin] ; les Santons [Saintonges], qui occupaient conjointement avec les Pictons [Poitou] le littoral de l’Océan entre l’embouchure de la Garonne et celle de la Loire ; les Nannètes[89], établis sur la rive gauche de la Loire, à son embouchure, et dont le port, appelé Corbilo [Polybe ap. Strab., 4], était le grand entrepôt du commerce entre la Gaule et les îles Britanniques.

En remontant le cours de la Loire, on trouvait les Andes ou Andégaves, dont les plaines basses et marécageuses étaient infectées par les déborments de la Mayenne[90] ; les Turons[91] ; puis les Carnutes[92], nation importante dans l’ordre politique et surtout dans l’ordre religieux de la Gaule, ayant pour capitale Autricum [Chartres] entouré de vastes fôrêts, et réputé le point central de tout le territoire gaulois. Leur seconde ville, Genabum, bâtie au sommet de la courbure que forme la mire en se repliant dans la direction de l’est à l’ouest[93], était une place de commerce florissante [Strab., 4 – Cés., 7, 6], en relation d’un côté avec Corbilo, et de l’autre avec Noviodunum des Édues. Les Carnutes, ainsi que les Turons, et probablement aussi les Andes, possédaient des terres sur la rive gauche de la Loire ; mais on ne connaît que très vaguement les limites de la plupart des cités gauloises, surtout à l’époque que nous essayons de retracer. A l’orient des Carnutes, entre la Loire et la Seine, venaient les Sénons[94], dont le nom fut si longtemps la terreur de l’Italie, et les Lingons, qui portaient au combat des armes bariolées[95] ; à l’occident des Carnutes, les Cénomans[96], dont les frères, établis en Italie, avaient été si funestes à la liberté cisalpine[97]. Les Cénomans transalpins faisaient partie de la petite confédération Aulerke, à laquelle appartenaient encore les Aulerkes-Éburovikes[98] et les Aulerkes-Diablintes[99].

Les domaines des Gallo-Kimris se terminaient, au couchant, par une vaste presqu’île bifurquée comprise entre l’embouchure de la Loire et l’embouchure de la Seine. Quoique la dénomination d’Armorike, maritime, convînt à tout le littoral de l’Océan, cependant elle était appliquée d’âne manière plus spéciale à cette presqu’île, soit à cause du grand développement de ses côtes, et de sa situation, en quelque sorte, plus maritime encore que celle du reste du littoral ; soit parce que les peuples qui l’habitaient, adonnés uniquement à la navigation, possédaient une marine considérable, et faisaient la loi sur toute cette mer. Ces peuples, réunis en confédération sous le nom de Cités armorikes ou armoricaines[100], étaient : les Nannètes, déjà mentionnés, les Vénètes, les Curiosolites[101], les Osismes[102], les Rédons [Rennes], les Abrincatues [Avranches], les Unelles [Valognes, Cherbourg], les Baïocasses ou Biducasses [Bayeux], et les Lexovii ou Lexoves [Lisieux]. Les Vénètes [Vannes] tenaient le premier rang dans la ligue armoricaine : c’étaient eux qui, en temps de guerre, commandaient les flottes combinées. Leurs grands, mais informes navires, qui avaient pour voiles des peaux préparées, et pour câbles des chaînes de fer[103], entretenaient avec les Iles britanniques d’actives relations commerciales, et en rapportaient, dans les entrepôts de la côte, l’étain, le cuivre, les pelleteries, les esclaves, les chiens et les autres objets de trafic que les Gaulois et les Massaliotes y venaient ensuite chercher[104].

Un sol âpre et inculte, couvert de bruyères, de marais, de sables, et battu par une mer perpétuellement agitée, donnait à cette presqu’île un caractère sauvage et sombre, en harmonie avec les croyances religieuses de la Gaule ; aussi les Druides avaient-ils choisi l’Armorike pour la célébration de quelques-uns de leurs plus secrets mystères.

Les cités armoricaines servaient de centre commun à tout l’ouest de la Gaule. C’était le noyau fédéral où se rattachaient, dans les circonstances importantes, les Santons, les Pictons, les Lémovikes, les Andes, les Cénomans, en un mot, la presque totalité des nations qui tiraient leur origine des premiers Kimris.

La confédération armoricaine représentait donc en masse la conquête des premières hordes kimriques, mais le temps avait effacé les haines nées de la possession violente. La ligne des monts Arvernes et de la Loire ne séparait plus deux races ennemies, elle séparait seulement deux peuples étrangers, et deux confédérations de cités rivales. Sur plusieurs points même, d’une confédération à l’autre, les intérêts locaux avaient créé des rapprochements entre les peuplades limitrophes. Ainsi les Sénons et les Carnutes étaient en liaison intime avec des nations galliques ; les Lingons, les Lexoves, les Vénètes avec des peuples belges. Mais le fait général n’en subsistait pas moins, il y avait pour les masses complète séparation d’affections et d’intérêts ; elles ne le firent voir que trop clairement, lorsque le danger d’une servitude commune vint menacer toutes les races qui habitaient la Gaule.

KIMRIS-BELGES. La Seine, la Marne, la chaîne des Vosges, le Rhin et l’Océan circonscrivaient la Belgique, ou le territoire enlevé par les secondes hordes kimriques, sur les premières. La plus orientale des nations belges, entre la Haute-Marne et les Vosges, était celle des Leukes, habiles à lancer l’épieu gaulois[105]. Au nord des Leukes venaient les Médiomatrikes[106] ; à l’ouest, les Rèmes [Reims], déjà puissants, et destinés à s’agrandir encore dans les désastres de la Gaule ; puis les Suessions [Soisson], dont l’infanterie manœuvrait avec une admirable légèreté, malgré ses armes longues et pesantes [Lucain, Phars., I]. Les Suessions exercèrent quelque temps la suprématie sur tout le nord de la Gaule, et furent même les premiers Belges qui franchirent en conquérants le détroit de Bretagne [Cés., B G, 2, 4] suivaient, toujours à l’ouest, les Bellovakes [Beauvoisis], qui primèrent aussi dans la Belgique, et pouvaient mettre cent mille hommes sur pied ; les Calètes, dont le nom indiquait leur position à l’embouchure de la Seine[107] ; plus haut vers le nord, les Ambiens, dont le chef-lieu s’appelait Samaro-Briva, Pont-sur-Somme[108] ; les Atrébates [Artois], et les Morins[109], qui habitaient la côte du détroit de Bretagne, à l’endroit de sa moindre largeur.

Entre la côte, des Morins et la Moselle, depuis les frontières des Rèmes et des Suessions jusqu’au Rhin, s’étendaient d’immenses forêts entrecoupées de marécages, principalement dans le voisinage de la mer et des grands fleuves [Cés., B G, 2, 4] ; elles couvraient plus de la moitié de la Belgique. La partie de ces bois que la Meuse traversait, plus épaisse et moins praticable que le reste, était nommée par les Gaulois Ar-Denn, c’est-à-dire la profonde[110] ; elle existe encore maintenant en partie, et conserve le nom de forêt des Ardennes. Les cantons orientaux des Ardennes appartenaient aux Trévires [Trèves], nation considérable établie sur les deux rives de la Moselle, entre la frontière rémoise et le Rhin. La cavalerie trévire était renommée parmi les Belges, qui, eux-mêmes, passaient pour les meilleurs cavaliers de toute la Gaule ; le Trévire excellait à diriger dans ses évolutions le lourd chariot, appelé Covinn[111].

A l’occident de la cité trévire, dans l’intérieur des bois, on trouvait les Éburons, les Nerves ou Nervii et les Ménapes[112], tribus farouches, qui fermaient l’accès de leur pays aux marchands étrangers [César, B. G., 2, 15] ne déposaient jamais les armes, et n’avaient pour villes que les îlots des marais ou des retraites profondes dans les bois. Les Nerves surtout connaissaient l’art de rendre leurs forêts impénétrables, en courbant à terre et replantant les jeunes branches qui, entrelacées les unes dans les autres en réseaux, finissaient par former de véritables murailles [Cés., B. G., 2, 17 – Strab., 4]. Plus au nord enfin, et à l’extrémité de la Gaule, vivaient, dans les îles formées par les bouches de la Meuse et du Rhin, quelques pauvres peuplades, au plus bas degré de l’état social ; elles ignoraient toute culture, elles ne possédaient point de troupeaux ; du poisson, des coquillages, des œufs d’oiseaux faisaient leur nourriture [César, B. G., 4, 10]. Le pays stérile et marécageux occupé par ces sauvages, portait le nom de Batavie[113], c’est-à-dire, eaux profondes.

Le Gaulois était robuste et de haute stature ; il avait le teint blanc, les yeux bleus, les cheveux blonds ou châtains, auxquels il s’étudiait à donner une couleur rouge ardente, soit en les lessivant avec de l’eau de chaux [Diod. Sic., 5], soit en les enduisant fréquemment d’une pommade caustique, composée de suif et de certaines cendres[114]. Il les portait dans toute leur longueur, tantôt flottants sur les épaules, tantôt relevés et liés en touffe au sommet de la tête [Diod. Sic., 4]. Le peuple se laissait croître la barbe ; les nobles se rasaient le visage, à l’exception de la lèvre supérieure [Ibid.], où ils entretenaient d’épaisses moustaches.

L’habillement commun à toutes les tribus se composait d’un pantalon ou braie[115], très large chez les Belges, plus étroit chez les Galls méridionaux [Strab., 4 – Luc., I] ; d’une chemise à manches, d’étoffe rayée, descendant au milieu des cuisses [Strab., 4], et d’une casaque ou saie[116], rayée comme la chemise, ou bariolée de fleurs, de disques, de figures de toute espèce, et, chez les riches, superbement brodée d’or et d’argent[117] : elle couvrait le dos et les épaules, et s’attachait sous le menton avec une agrafe en métal. Les dernières classes du peuple la remplaçaient par une peau de bête fauve ou de mouton ou par une espèce de couverture en laine grossière, appelée dans les dialectes gallokimriques Linn ou Lenn[118]. Les Gaulois montraient un goût très vif pour la parure ; il était d’usage que les hommes riches et élevés en dignité étalassent sur leur corps une grande profusion d’or, en colliers, en bracelets, en anneaux pour les bras, anneaux pour les doigts, et ceintures[119].

Nos récits précédents ont fait suffisamment connaître au lecteur, et les armes nationales des Kimro-Galls, et la manière dont ils s’en servaient ; toutes se retrouvaient chez les Gaulois transalpins : le gais, le matras, la catéïe, là flèche, la fronde et le long sabre sans pointe, à un seul tranchant, fâbriqué soit en fer, soit en cuivre. Mais, outre ces armes, ils en avaient une particuculière, et de leur invention, c’était une espèce de pique dont le fer, long de plus d’une coudée, et large de deux palmes, se recourbait vers sa base en forme de croissant à peu prés comme nos hallebardes ; arme formidable qui hachait et lacérait les chairs, et dont l’atteinte était réputée mortelle.

Longtemps le guerrier transalpin, de même que le cisalpin et le Galate, avait repoussé l’emploi des armes défensives, comme indignes du vrai courage ; longtemps un point d’honneur absurde l’avait porté à se dépouiller même de ses vêtements, et à combattre nu contre des ennemis bardés de fer ; mais ce préjugé, fruit de l’ostentation naturelle à cette race, était presque entièrement effacé, au second siècle. Les relations multipliées avec les Massaliotes, les Italiens, les Carthaginois, avaient d’abord répandu le goût des armures comme ornement ; bientôt leur utilité s’était fait sentir, et la tenue militaire de Rome et de la Grèce, adoptée aux bords de la Loire, du Rhône et de la Saône, s’y combina bizarrement avec le costume et l’ancienne tenue militaire gauloise [Diod. Sic., 5]. Sur un casque en métal plus ou moins précieux, suivant la fortune du guerrier, on attachait des cornes d’élan, de buffle ou de cerf, et, pour les riches, un cimier représentant en bosse quelque figure d’oiseau ou de bête farouche ; le tout surmonté de panaches hauts et touffus qui donnaient à l’homme un aspect gigantesque [Ibid.]. On clouait aussi de semblables figures, plates ou en bosse, sur les boucliers qui étaient allongés, quadrangulaires et peints des plus vives couleurs [Ibid.]. Ces représentations servaient de devises aux guerriers ; c’étaient des emblèmes au moyen desquels chacun d’eux cherchait à caractériser son genre de courage ou à frapper son ennemi de terreur[120].

Un bouclier et un casque sur ce modèle ; une cuirasse en métal battu, à la manière grecque et romaine, ou une cotte à mailles de fer d’invention gauloise[121] ; un énorme sabre pendant sûr la cuisse droite à des chaînés de fer ou de cuivre, quelquefois à un baudrier tout brillant d’or, d’argent [Diod. Sic., 5] et de corail [Pline, 32, 2] ; avec cela le collier, les bracelets, les anneaux d’or autour du bras et au doigt médian [Pline, 33, 1] ; le pantalon, la saie à carreaux éclatants ou magnifiquement brodée ; enfin de longues moustaches rousses : tel on peut se figurer l’accoutrement militaire du noble Arverne, Éduen ou Biturige, au deuxième siècle avant notre ère. Restreint d’abord aux chefs et aux riches, l’usage des armures se propagea peu à peu dans la masse du peuple ; cependant il ne paraît pas qu’il ait jamais été général.

Hardi, bruyant, impétueux, né surtout pour les entreprises du champ de bataille, ce peuple possédait pourtant un esprit ingénieux et actif propre à tout comprendre et à tout faire. Il n’avait pas tardé à égaler ses maîtres phéniciens et grecs dans l’art d’exploiter les mines, et il s’était mis à les travailler à son profit, vendant aux marchands étrangers le métal purifié, tout prêt pour la fabrication. Bientôt même il s’appliqua à imiter ces armes et ces ornements provenant de ses propres métaux, qu’on venait ainsi lui revendre à grand prix, et des fabriques s’élevèrent chez les Bituriges pour le fer, chez les Édues pour l’or et l’argent.

La même supériorité que les Espagnols avaient acquise pour la trempe de l’acier, les Gaulois y parvinrent pour la trempe du cuivre [Pline, 34, 8]. Si leurs médailles, par la rudesse de la fabrication et la barbarie du dessin, annoncent généralement un goût encore grossier, on ne peut nier du moins que des découvertes importantes n’eussent déjà révélé en eux le génie des arts. L’antiquité leur fait honneur d’une multitude d’inventions utiles qui avaient échappé à la vieille civilisation de l’Orient et de l’Italie. Ce furent les Bituriges qui trouvèrent les procédés de l’étamage ; les Édues ceux du placage. Les premiers appliquèrent à chaud l’étain sur le cuivre avec une telle habileté, qu’à peine pouvait-on distinguer de l’argent les vases qui avaient subi cette préparation [Pline, 34, 17] ; ensuite des ouvriers d’Alésia incorporèrent l’argent lui-même sur le cuivre, pour en orner les mors et les harnais des chevaux. Des chars entiers étaient fabriqués ainsi en cuivre ciselé et plaqué [Ibid. – Flor., 3, 2].

La Gaule ne marqua pas moins par ses découvertes dans l’art de tisser et de brocher les étoffes [Pline, 8, 48] ; ses teintures n’étaient pas sans réputation [Ibid.]. En agriculture, elle imagina la charrue à roues [Idem, 18, 18], le crible de crin [Pline, 18, 11], et l’emploi de la marne, comme engrais [Pline, 18, 6-8]. Les fromages du mont Lozère, chez les Gabales, ceux de Némausus, et deux espèces confectionnées dans les Alpes, devinrent, par la suite, fort recherchés en Italie [Pline, 11, 49], quoique les Italiens reprochassent généralement aux fromages de la Gaule une saveur trop aigre et un peu médicinale [Ibid.]. Les Gaulois composaient diverses sortes de boissons fermentées : telles que la bière d’orge, appelée cervisia[122], la bière de froment mêlée de miel[123], l’hydromel [Diod. Sic., 5], l’infusion de cumin [Posidon. ap. Athen.], etc. L’écume de bière servait de ferment pour le pain [Pline, 18, 7] ; elle passait aussi pour un excellent cosmétique, et les dames gauloises qui s’en lavaient fréquemment le visage, pensaient par-là entretenir la fraîcheur de leur teint [Pline, 22, 25].

Quant au vin, c’était aux commerçants étrangers que les Gaulois et les Ligures en devaient l’usage ; et c’était des Grecs massaliotes qu’ils avaient appris les procédés généraux de sa fabrication, ainsi que la culture de la vigne. La Gaule produisait du vin de qualités fort variées. Autour de Massalie, il était noir, épais, peu estimés[124] ; on lui préférait de beaucoup le vin blanc récolté par les Volkes-Arécomikes, sur les coteaux de Biterræ[125]. Une coutume athénienne, usitée sur toute cette côte consistait à asperger de poussière le tronc, les tiges et le fruit de la vigne, pour accélérer la maturité [Pline, 17, 9] ; si, malgré cette précaution, elle restait incomplète, on corrigeait l’acidité de la liqueur en y faisant infuser de la poix résine[126]. C’était d’ordinaire par la fumée que les Gaulois concentraient le vin, et ce procédé le gâtait souvent[127]. Les marchands italiens s’en plaignirent ; ils se plaignirent aussi des falsifications qu’on lui faisait subir, en y mêlant des ingrédients et des herbes, nommément l’aloès, pour lui donner de la couleur et une légère amertume [Pline, 14, 6]. Dans quelques cantons, en particulier dans la vallée de la Durance, on obtenait un vin doux et liquoreux en tordant la queue des grappes, et les laissant exposées sur le cep aux premières gelées de l’hiver [Pline, 14, 9]. Les anciens attribuent à l’industrie gauloise les tonneaux et les vases en bois cerclés propres à transporter et à conserver le vin [Pline, 14, 21].

Les maisons, spacieuses et rondes, étaient construites de poteaux et de claies, en dehors et en dedans desquelles on appliquait des cloisons en terre ; une large toiture, composée de bardeaux de chêne, et de chaume ou de paille hachée et pétrie dans l’argile, recouvrait le tout[128]. La Gaule renfermait des villages ouverts et des villes ; celles-ci, entourées de murs, étaient défendues par un système de fortification dont il n’existait pas ailleurs d’exemple : voici comment se construisaient ces remparts. On posait d’abord une rangée de poutres de toute leur longueur, à la distance de deux pieds ; on les liait l’une à l’autre en dedans, et on les revêtait d’une grande quantité de terre ; les vides étaient comblés en avant avec de grosses pierres. On recommençait alors un second rang, en conservant les mêmes intervalles, mais de manière que les poutres de ce second rang se trouvassent superposées aux pierres du premier, et réciproquement les pierres aux poutres ; on achevait ainsi l’ouvrage jusqu’à ce que le mur eût atteint sa hauteur. Ces poutres et ces pierres, entremêlées avec ordre, présentaient un aspect où la régularité se joignait à la variété ; et ce mode de fortifications avait de grands avantages pour la défense, car la pierre bravait le feu, tandis que le bois n’avait rien à craindre du choc du bélier [Cés., B. G., 7, 23]. Les poutres ayant ordinairement quarante pieds de long, et se trouvant assujetties l’une à l’autre en dedans, aucun effort ne pouvait les déjoindre ni les arracher. Telles on peut se représenter les fortifications des villes dans la partie civilisée et populeuse de la Gaule. Au nord et à l’ouest, parmi les tribus plus sauvages, il n’existait pas de villes proprement dites ; les lieux d’habitation ordinaires n’étaient protégés par aucuns travaux ; mais de vastes enclos construits, au moyen d’abatis d’arbres croisés en tous sens, dans quelque îlot au milieu des marais, ou dans quelque recoin embarrassé des bois, servaient de refuge et de citadelles. C’était là qu’au premier cri de guerre, la population, désertant ses chétives cabanes, courait se renfermer avec ses troupeaux et ses meubles [Ibid., - Strab., 4].

Outre son habitation de ville, le riche gaulois en possédait ordinairement une seconde à la campagne, dans la profondeur des forêts, au bord de quelque rivière [Cés., B. G., 6, 30]. Là, durant les jours pesants de l’été, il allait se reposer des fatigues de la guerre ; mais il en traînait après lui tout l’attirail ; ses armes, ses chevaux, ses chars, ses écuyers ne le quittaient point [Ibid., 30-31]. Au milieu de ce tourbillon de factions et de querelles intestines, qui formaient, aux premier et deuxième siècles, la vie du noble gaulois, ces précautions n’étaient rien moins que superflues. Assailli par ses ennemis dans la paix de sa retraite, souvent le maître changeait sa maison de plaisance en une forteresse ; et ces bois, cette rivière qui charmaient la vite et apportaient la fraîcheur, savaient aussi rendre au besoin de plus chers et de plus importants services.

C’était, comme on l’a vu plus haut, dans la guerre, et dans les arts applicables à la guerre, que le génie gaulois avait surtout pris son essor. Ce peuple faisait de la guerre sa profession privilégiée, du maniement des armes son occupation favorite. Avoir une belle tenue militaire, se conserver longtemps dispos et agile, était non seulement un point d’honneur pour les individus, mais un devoir envers la cité. A des intervalles de temps réglés, les jeunes gens allaient se mesurer la taille à une ceinture déposée chez le chef politique de chaque village ; et ceux qui dépassaient la corpulence officielle, sévèrement réprimandés comme oisifs et intempérants, étaient en outre punis d’une forte amende [Strab., 4].

Le lecteur sait, par les récits qui précèdent, de quelle manière se formaient les expéditions guerrières à l’extérieur. Un chef d’une bravoure et d’une habileté éprouvées recrutait des aventuriers de bonne volonté, et partait avec eux ; l’engagement était facultatif. Mais, dans les guerres intérieures ou défensives de quelque importance, les levées d’hommes avaient lieu forcément ; et des punitions terribles frappaient les réfractaires, telles que la perte du nez, des oreilles, d’un œil, ou de quelque membre [Cés., B. G., 7, 4]. S’il se présentait de graves conjonctures, si l’honneur ou le salut de la cité venaient à être compromis, alors le chef suprême convoquait un conseil armé [Cés., B. G., 5, 66] : c’était la proclamation d’alarme. Tous les hommes en état de combattre, depuis l’adolescent jusqu’au vieillard, devaient alors se rassembler au lieu et au jour indiqués, pour délibérer sur la situation du pays, élire un chef de guerre, et discuter le plan de campagne ; la loi voulait que le dernier venu au rendez-vous fût impitoyablement torturé sous les yeux de l’assemblée [Ibid.]. Cette forme de convocation était rare ; on n’y recourait qu’à la dernière extrémité, et plutôt dans les cités démocratiques que dans celles où l’aristocratie avait la prépondérance. Ni les infirmités, ni l’âge, ne dispensaient le noble gaulois d’accepter ou de briguer les commandements militaires : souvent on voyait à la tète de la jeunesse des chefs tout blanchis et tout cassés, qui même avaient peine à se tenir sur leurs chevaux [Hirt., B. G., 8, 12]. Ce peuple amoureux des armes eût cru déshonorer ses vieux guerriers en les forçant à mourir ailleurs que sur un champ de bataille.

A la brusque vivacité de l’attaque, et à la violence du premier choc, se réduisait à peu près toute la tactique des armées gauloises, en plaine et en bataille rangée. Dans les terrains montagneux et boisés, surtout dans ces vastes et épaisses forêts du nord, la guerre ressemblait davantage à la chasse ; elle se faisait par petits corps, par embuscades, par ruses ; et des dogues dressés à chasser l’homme dépistaient, assaillaient, poursuivaient l’ennemi. Ces chiens, également bons à la chasse des bêtes fauves, étaient tirés, soit de la Belgique, soit de l’île de Bretagne[129]. Une armée gauloise traînait habituellement à sa suite une multitude de chariots de bagages qui embarrassaient sa marche[130]. Chaque guerrier portait tendue à son dos, en guise de sac, une botte de paille ou de branchages, sur laquelle il s’asseyait dans les campements, ou même en ligne, en attendant l’instant de combattre [Hirt., bell. Gall., 8, 15].

Les Gaulois, comme tous les peuples du monde, tuèrent longtemps leurs prisonniers de guerre, les crucifiant à des poteaux, les garottant à des arbres pour en faire un but à leurs gais et à leurs matras, ou les livrant aux flammes des bûchers dans d’effroyables sacrifices. Mais déjà bien antérieurement au second siècle ces usages barbares étaient abolis, et les captifs des nations transalpines n’avaient plus à craindre que la servitude. Une autre coutume non moins sauvage, celle de couper, sur le champ de bataille les têtes des ennemis morts, fut plus lente à disparaître. Il fut longtemps de règle dans toutes les guerres que l’armée victorieuse s’emparât de ces hideux trophées ; les fantassins les plantaient à la pointe de leurs piques ; les cavaliers les suspendaient par la chevelure au poitrail de leurs chevaux ; et l’expédition rentrait ainsi en grande pompe dans ses foyers, faisant retentir des cris de triomphe et des hymnes à sa gloire[131]. Chacun alors s’empressait de clouer à sa porte ou aux portes de la ville l’irrécusable témoin de sa vaillance ; et, comme on traitait de même les animaux féroces tués à la chasse [Diod. Sic., 5], un village gaulois ne ressemblait pas mal à un charnier. Embaumées et soigneusement enduites d’huile de cèdre, les têtes des chefs ennemis et des guerriers fameux étaient déposées dans de grands coffres, au fond desquels le possesseur les rangeait par ordre de date [Ibid.] ; c’était le livre où le jeune Gaulois aimait à étudier les exploits de ses aïeux, et chaque génération, en passant, s’efforçait d’y ajouter une nouvelle page. Se dessaisir, à prix d’argent, d’une tête conquise par soi-même ou par ses pères, passait pour le comble de la bassesse, et eût imprimé sur le coupable une tache ineffaçable d’avarice et d’impiété. Plusieurs se vantaient d’avoir refusé aux parents ou aux compatriotes du mort, pour telle tête, un égal poids d’or[132]. Quelquefois le crâne nettoyé et enchâssé précieusement servait de coupe dans les temples [T. Liv., 23, 24], ou circulait à la table des festins ; et les convives y buvaient à la gloire du vainqueur et aux triomphes de la patrie. Ces mœurs brutales et féroces régnèrent longtemps sur toute la Gaule : la civilisation, dans sa marche graduelle, les abolit petit à petit et de proche en proche ; au commencement du second siècle, elles étaient reléguées chez les plus farouches tribus du nord et de l’ouest. C’est là que Posidonius les trouva encore en vigueur. La vue de toutes ces têtes défigurées par les outrages, et noircies par l’air et la pluie, d’abord lui souleva le cœur d’horreur et de dégoût ; mais, ajoute naïvement le voyageur stoïcien, mes yeux s’y accoutumèrent peu à peu [Strab., 4]. Avant le milieu du premier siècle, il ne restait pas, dans toute la Gaule, trace de cette barbarie.

Les Gaulois affectaient, comme plus viril, un son de voix fort et rude [Diod. Sic., 4], auquel prêtaient d’ailleurs leurs idiomes très gutturaux. Ils conversaient peu, par phrases brèves et coupées, que l’emploi continuel de métaphores et d’hyperboles de convention rendait obscures et presque inintelligibles pour les étrangers [Ibid.]. Mais, une fois animés par la dispute on aiguillonnés par quelque grand intérêt, à la tête des armées et dans les assemblées politiques, on les voyait s’exprimer avec une abondance, et une facilité surprenantes, et l’habitude du langage figuré leur fournissait alors mille images vives et pittoresques, soit pour exalter leur propre mérite, soit pour ravaler leurs adversaires. Le goût plus pur ou plus timide des Grecs qualifiait cette éloquence de fanfaronne, boursoufflée, et par trop tragique ; en accordant toutefois au génie gaulois le don de la parole et des arts libéraux [Ibid.]. Passionnée pour les discours, la multitude écoutait ses orateurs avec un religieux silence, pour laisser éclater ensuite des témoignages bruyants d’approbation ou de blâme. A l’armée, on marquait son assentiment en choquant le gais ou le sabre contre le bouclier. Interrompre une harangue et troubler l’attention publique, était réputé un acte grossier et punissable. Dans les assemblées politiques, dit un écrivain ancien [Strab., 4], lorsque quelqu’un faisait du bruit ou interrompait l’orateur, un huissier s’avançait l’épée à la main, et lui imposait silence, avec menaces ; il renouvelait cette sommation deux ou trois fois ; et, si l’interrupteur persistait, l’huissier lui coupait un pan de sa saie, assez grand pour que le reste devînt inutile.

On accusait généralement les Gaulois d’un malheureux penchant à l’ivrognerie ; penchant qui prenait sa source à la fois dans la grossièreté des mœurs et dans les besoins d’un climat humide et froid. Les marchands italiens, et surtout les massaliotes, avaient grand soin d’entretenir ce vice, afin de l’exploiter. Des cargaisons de vin pénétraient dans les recoins les plus reculés du pays, au moyen des fleuves et des rivières affluentes, et ensuite par terre sur des chariots [Diod. Sic., 5] ; de distance en distance se trouvaient des entrepôts de traite ; les Gaulois accouraient de tous côtés pour échanger contre le précieux breuvage leurs métaux, leurs pelleteries, leurs grains, leurs bestiaux, leurs esclaves. Ce commerce était si productif aux traiteurs, que souvent un jeune esclave ne leur coûtait qu’une cruche de vin ; pour la liqueur, dit un historien [Ibid.], on avait l’échanson : aussi n’était-il pas rare de rencontrer sur les chemins des Gaulois ivres morts ou ivres furieux [Ibid.]. Cependant, vers le premier siècle, ce vice ne se remarquait plus, à ce degré de brutalité, que dans les classes inférieures, du moins parmi les nations du midi et de l’est. Le lecteur peut se rappeler combien de défaites sanglantes avait attirées jadis aux armées gauloises l’intempérance des soldats et des chefs, et combien de fois elle avait neutralisé le fruit de leurs victoires. Les nombreuses guerres qui vont suivre ne présenteront pas un seul fait de cette nature ; nouvelle preuve d’un perfectionnement notable dans l’état moral de la race, à l’époque dont nous traitons.

Le lait et la chair des animaux sauvages ou domestiques, surtout la chair de porc fraîche et salée [Strab., 4], formaient la principale nourriture de ces peuplades. Il nous est resté des repas des Gaulois une description curieuse tracée de la main d’un homme qui souvent s’assit à leurs tables, et souvent aussi dut les intéresser par son savoir, ou les divertir par le récit de ses aventures variées : nous voulons parler de Posidonius.

Autour d’une table fort basse, dit le célèbre voyageur, on trouve disposées par ordre des bottes de foin ou de paille : ce sont les sièges des convives. Les mets consistent d’habitude en un peu de pain et beaucoup de viande bouillie, grillée, ou rôtie à la broche : le tout, servi proprement dans des plats de terre ou de bois chez les pauvres, d’argent ou de cuivre chez les riehes. Quand le service est prêt, chacun fait choix de quelque membre entier d’animal, le saisit à deux mains, et mange en mordant à même ; on dirait un repas de lions. Si le morceau est trop dur, on le dépèce avec un petit couteau, dont la gaine est attachée au fourreau du sabre. On boit à la ronde dans un seul vase en terre ou en métal, que les serviteurs font circuler ; on boit peu à la fois, mais en y revenant fréquemment. Les riches ont du vin d’Italie et dë Gaule, qu’ils prennent pur, ou légèrement trempé d’eau, la boisson des pauvres est la bière et l’hydromel. Près de la mer et des fleuves, on consomme beaucoup de poisson grillé, qu’on, asperge de sel, de vinaigre et de cumin ; l’huile par tout le pays est rare et peu recherchée.

Dans les festins nombreux et d’apparat, la table est ronde, et les convives se rangent en cercle à l’entour ; la place du milieu appartient au plus considéré par la vaillance, la noblesse ou la fortune ; c’est comme le coryphée du chœur. A côté de lui s’assied le patron du logis; et successivement chaque convive, d’après sa dignité personnelle et sa classe : voilà le cercle des maîtres. Derrière eux se forme un second cercle concentrique au premier, celui des servants d’armes ; une rangée porte les boucliers, l’autre rangée porte les lances ; ils sont traités et mangent comme leurs maîtres[133]. L’hôte étranger avait aussi sa place marquée dans les festins gaulois. D’abord on le laissait discrètement se délasser et se rassasier à son aise, sans le troubler par la moindre question ; mais à la fin du repas, on s’enquérait de son nom, de sa patrie, des motifs de son voyage ; on lui faisait raconter les mœurs de son pays, celles des contrées diverses qu’il avait parcourues, en un mot, tout ce qui pouvait piquer la curiosité d’un peuple amoureux d’entendre et de connaître [Diod. Sic., 5]. Cette passion des récits était si vive, que les marchands arrivés de loin se voyaient accostés au milieu des foires et assaillis de questions par la foule. Quelquefois même les voyageurs étaient retenus malgré eux sur les routes, et forcés de répondre aux passants [Cés., B. G., 4, 5].

Après des repas copieux, continue le voyageur que nous venons de citer, les Gaulois aiment à prendre les armes et à se provoquer mutuellement à des duels simulés. D’abord, ce n’est qu’un jeu ; ils attaquent et se défendent du bout des mains ; mais leur arrive-t-il de se blesser, la colère les gagne ; ils se battent alors pour tout de bon, avec un tel acharnement, que, si l’on ne s’empressait de les séparer, l’un des deux resterait sur la place. Il était d’usage autrefois, que la cuisse des animaux servis sur table appartînt au plus brave, ou du moins à celui qui se prétendait tel ; si quelqu’un osait la lui disputer, il en résultait un duel à outrance[134]. Ils poussaient si loin le mépris de la mort et l’ostentation du courage, qu’on en voyait s’engager pour telle somme d’argent ou pour tant de mesures de vin à se laisser tuer : montés sur une estrade, ils distribueraient la liqueur ou l’or entre leurs plus chers amis, se couchaient sur leurs boucliers, et tendaient sans sourciller la gorge au fer [Posidon., l. c.]. D’autres, de peur de sembler fuir, se faisaient un point d’honneur de rester sous leurs toits croulants, et de ne se retirer, ni devant l’incendie, ni devant le flux de l’Océan, ni devant les débordements des fleuves[135]. C’était à ces folles bravades que les Gaulois devaient leur fabuleux renom de race impie, en guerre déclarée avec la nature, qui tirait l’épée contre les vagues, et lançait ses flèches dans la tempête.

L’exploitation des mines et certains rnonopoles exercés par les chefs de tribus avaient concentré en quelques mains d’énormes capitaux ; de là la réputation d’opulence dont la Gaule jouissait, lors de l’arrivée des Romains, et, beaucoup plus tard encore : c’était le Pérou de l’ancien monde. La richesse gauloise passa même en proverbe[136]. La vue des nombreux objets plaqués et étamés dont ce peuple se servait, soit pour les usages domestiques, soit pour la guerre, tels qu’ustensiles de cuisine, armures, harnais des chevaux, joug des mulets, et jusqu’à des chars entiers [Flor., 3, 2], cette vue, disons-nous, dut exagérer chez les premiers voyageurs l’idée de l’opulence du pays, et contribua sans doute à jeter une couleur romanesques star ces récits faits de bonne foi. A cela se joignaient les habitudes magnifiques et la prodigalité des chefs, qui versaient à pleines mains la fortune de leur famille et de leurs clients, pour parvenir au pouvoir suprême, ou pour capter la multitude. Posidonius parle d’un certain Luern ou Luer[137], roi des Arvernes, qui faisait tomber sur la foule une pluie d’or et d’argent chaque fois qu’il paraissait en public [Strab., 4], Il donnait aussi de ces festins grossièrement somptueux, dont nous avons remarqué le goût parmi les Gaulois de la Phrygie, faisant enclore un terrain de douze stades carrées, et creuser dans l’enceinte, des citernes qu’il remplissait de vin, d’hydromel et de bière[138].

Nulle vie de famille n’existait chez les nations gauloises ; les femmes y étaient tenues dans cet asservissement et cette nullité qui dénotent un état social très imparfait. Le mari avait droit de vie et de mort sur la femme comme sur les enfants [Cés., B. G., 6, 19]. Lorsqu’un homme de haut rang venait à mourir de mort subite ou extraordinaire, on saisissait sa femme ou ses femmes (car la polygamie était en usage parmi les riches), et on les appliquait à la torture ; s’il y avait le moindre soupçon d’attentat aux jours du défunt, les malheureuses victimes périssaient toutes au milieu des flammes, après d’effroyables supplices ; d’ordinaire c’étaient les parents du mari qui poursuivaient ces cruelles exécutions [Ibid.]. Une coutume en vigueur vers le milieu du premier siècle, annonce pourtant qu’à cette époque, la condition des femmes avait déjà subi des améliorations notables : la communauté des biens était admise entre époux. Autant le mari recevait de sa femme, à titre de dot, autant il déposait de son propre avoir ; un état des deux valeurs était dressé, et les fruits mis en réserve : le tout appartenait au survivant [Cés., B. G., 6, 18]. Les enfants restaient sous la tutelle des femmes jusqu’à l’âge de puberté ; un père eût rougi de laisser son fils paraître publiquement en sa présence, avant que ce fils pût manier un sabre et figurer sur la liste des guerriers [Ibid.].

Chez quelques nations de la Belgique, où le Rhin était l’objet d’un culte superstitieux, on trouvait une institution bizarre ; c’était ce fleuve qui éprouvait la fidélité des épouses. Lorsqu’un mari dont la femme était en couches avait quelques raisons de douter de sa paternité, il prenait l’enfant nouveau-né, le plaçait sur une planche, et l’exposait au courant du fleuve. La planche et son précieux fardeau surnageaient-ils librement, l’épreuve était réputée favorable, tous les soupçons s’évanouissaient, et le Gaulois retournait plein de joie et de confiance au foyer domestique. Si au contraire la planche commençait à enfoncer, l’illégitimité de l’enfant paraissait démontrée, et le père, devenu impitoyable, laissait s’engloutir un être dont l’existence le déshonorait[139]. Cette folle et inhumaine superstition inspira à un poète grec inconnu quelques vers pleins de grâce, qui méritent de trouver place ici.

C’est le Rhin, ce fleuve au cours impétueux, qui éprouve, chez les Gaulois, la sainteté du lit conjugal…… A peine le nouveau-né, descendu du sein maternel, a poussé le premier cri, que l’époux s’en empare ; il le couche sur son bouclier, il court l’exposer aux caprices des flots : car il ne sentira point, dans sa poitrine, battre un cœur de père, avant que le fleuve, juge et vengeur du mariage, n’ait prononcé le fatal arrêt. Ainsi donc aux douleurs de l’enfantement succèdent pour la mère d’autres douleurs : elle connaît le véritable père, et pourtant elle tremble ; dans de mortelles angoisses, elle attend ce que décidera l’onde inconstante[140].

Les femmes de la Gaule étaient généralement blanches, d’une taille élégante et élevée ; leur beauté était célèbre chez les anciens[141]. Cependant ces mêmes anciens, soit à tort, soit à raison, accusent les Gaulois d’un vice honteux que produisent trop souvent, dans cet état de société, la grossièreté des mœurs unie à la séquestration des femmes[142].

Deux ordres privilégiés dominaient en Gaule le reste de la population : l’ordre électif des prêtres, qui se recrutait indistinctement dans tous les rangs, et l’ordre héréditaire des nobles ou chevaliers ; celui-ci se composait des anciennes familles souveraines des tribus et des notabilités récentes créées, soit par la guerre, soit par l’influence de la richesse [Cés., B. G., 6, 13-15]. La multitude se partageait en deux classes ; le peuple des campagnes et le peuple des villes. Le premier formait les tribus ou la clientèle[143] des nobles familles ; le client appartenait au patron dont il cultivait les domaines, dont il suivait l’étendard à la guerre, sous lequel il était membre d’une petite autocratie patriarcale ; son devoir était de le défendre jusqu’à la mort envers et contre tous : abandonner son patron dans une circonstance périlleuse passait pour le comble de la honte et pour un crime [Cés., B. G., 7, 40]. Le peuple des villes, par sa situation en dehors de la vieille hiérarchie des tribus, jouissait d’une plus grande liberté, et se trouvait heureusement placé pour la soutenir et pour l’étendre. Au-dessous de la masse du peuple, venaient les esclaves qui ne paraissent pas avoir été fort nombreux.

Les deux ordres privilégiés firent peser tour à tour sur la Gaule le joug de leur despotisme ; tour à tour ils exercèrent l’autorité absolue et la perdirent par suite de révolutions politiques. L’histoire du gouvernement gaulois offre donc trois périodes bien distinctes : celle du règne des prêtres ou de la théocratie ; celle du règne des chefs de tribus ou de l’aristocratie militaire ; enfin celle des constitutions populaires, fondées sur le principe de l’élection et de la volonté du plus grand nombre. L’époque dont nous nous occupons vit s’accomplir cette dernière et grande révolution ; et des constitutions populaires, quoique encore mal affermies, régissaient enfin toute la Gaule au milieu du premier siècle. Mais avant d’entrer dans le détail des événements de cette époque, nous devons exposer la situation antérieure du pays, et faire connaître d’abord ses croyances et ses rites religieux, qui furent toujours liés d’une manière plus ou moins intime à son état politique.

Lorsqu’on examine attentivement le caractère des faits relatifs aux croyances religieuses de la Gaule, on est amené à y reconnaîtra deux systèmes d’idées, deux corps de symboles et de superstitions tout à fait distincts, en un mot, deux religions : l’une toute sensible, dérivant de l’adoration des phénomènes naturels, et par ses formes ainsi que par la marche libre de son développement rappelant le polythéisme de la Grèce ; l’autre, fondée sur un panthéisme matériel, métaphysique, mystérieuse, sacerdotale, présentant avec les religions de l’Orient la plus étonnante conformité. Cette dernière a reçu le nom de druidisme, à cause des Druides qui en étaient les fondateurs et les prêtres ; nous donnerons à la première le nom de polythéisme gaulois.

Quand bien même aucun témoignage historique n’attesterait l’antériorité du polythéisme gaulois sur le druidisme, la progression naturelle et invariable des idées religieuses chez tous les peuples du globe suffirait pour l’établir. Mais il n’en est pas ainsi. Les antiques et précieuses traditions des Kimris attribuent à cette race, de la manière la plus formelle et la plus exclusive, l’introduction de la doctrine druidique dans la Gaule et dans la Grande-Bretagne, ainsi que l’organisation d’un sacerdoce souverain. Suivant elles, ce fut le chef de la première invasion, Hu, Heus ou Hesus, surnommé le puissant, qui implanta sur le territoire conquis par sa horde le système religieux et politique du druidisme ; guerrier, prêtre et législateur durant sa vie, Hésus jouit en outre d’un privilège commun à tous les fondateurs de théocraties, il fut dieu après sa mort.

Maintenant si l’on demandait comment le druidisme prit naissance chez les Kimris, et de quelle source découlaient ces frappantes similitudes entre sa doctrine fondamentale et la doctrine fondamentale des religions secrètes de l’orient, entre plusieurs de ses cérémonies et les cérémonies pratiquées à Samothrace, en Asie, dans l’Inde, on ne trouvait point cette question éclaircie par l’histoire. Ni les documents recueillis par les écrivains étrangers, ni les traditions nationales, n’en donnent une solution positive. Mais on peut raisonnablement supposer que les Kimris, durant leur long séjour soit en Asie, soit sur la frontière de l’Asie et de l’Europe, furent initiés à des idées et à des institutions qui, circulant alors d’un peuple à l’autre, parcouraient toutes les régions orientales du monde.

Le druidisme, importé en Gaule par la conquête, s’organisa dans les domaines des conquérants plus fortement que partout ailleurs ; et après qu’il eut converti à sa croyance toute la population gallique et probablement une partie des Ligures, il continua d’avoir au milieu des Kimris, dans l’Armorike et l’île de Bretagne, ses collèges de prêtres les plus puissants et ses mystères les plus secrets.

L’empire du druidisme n’étouffa point cette religion de la nature extérieure qui régnait avant lui en Bretagne et en Gaule. Toutes les religions savantes et mystérieuses tolèrent au-dessous d’elles un fétichisme grossier propre à occuper et à nourrir la superstition de la multitude, et qu’elles ont soin de tenir toujours stationnaire. Tel il resta dans l’île de Bretagne. Mais en Gaule, dans les parties de l’est et du midi, où le druidisme n’avait pas été imposé par les armes, quoiqu’il fût devenu le culte dominant, l’ancien culte national conserva plus d’indépendance, même sous le ministère des Druides, qui s’en constituèrent les prêtres. Il continua d’être cultivé, si j’ose employer ce mot, et suivant la marche progressive de la civilisation et de l’intelligence publique, il s’éleva graduellement du fétichisme à des conceptions religieuses de plus en plus épurées.

Ainsi l’adoration immédiate de la matière brute, des phénomènes et des agents naturels, tels que les pierres, les arbres[144], les vents et en particulier le terrible Kirk ou Circius[145], les lacs et les rivières[146], le tonnerre, le soleil, etc., fit place avec le temps à la notion abstraite d’esprits ou divinités réglant ces phénomènes, imprimant une volonté à ces agents : de là le dieu Tarann[147], esprit du tonnerre ; le dieu Vosège[148], déification des Vosges, le dieu Pennin [Tite-Live, 21, 38] des Alpes, la déesse Arduinne[149] de la forêt des Ardennes ; de là le Génie des Arvernes[150], la déesse Bibracte[151], déification de la ville capitale des Édues, le dieu Némausus[152] chez les Arécomikes, la déesse Aventia[153] chez les Helvètes, et un grand nombre d’autres.

Par un degré d’abstraction de plus, les forces générales de la nature, celle de l’âme humaine et de la société furent aussi déifiées. Tarann devint le dieu du ciel, le moteur de l’univers, le juge suprême qui lançait sa foudre sur les mortels. Le soleil, sous le nom de Bel et de Belen[154], fut une divinité bienfaisante, qui faisait croître les plantes salutaires et présidait à la médecine. Heus ou Hesus[155], malgré son origine druidique, prit place dans le polythéisme gaulois, comme dieu de la guerre et des conquêtes ; ce fut probablement une intercalation des Druides. Un bas relief nous montre ce prêtre-législateur couronné de feuillages, à demi nu, une cognée à la main et le genou gauche appuyé sur un arbre qu’il coupe, donnant à ses sujets l’exemple des travaux rustiques[156]. Dans les traditions des Kimriss, Heus a quelquefois le caractère du dieu par excellence, de l’être-suprême[157]. Le génie du commerce reçut aussi les adorations des Gaulois sous le nom de Teutatès[158], inventeur de tous les arts et protecteur des routes. Les arts manuels avaient leurs divinités particulières et une divinité collective. Enfin le symbole des arts libéraux, de l’éloquence et de la poésie, fut déifié sous la figure d’un vieillard armé, comme l’Hercule grec, de la massue et de l’arc, mais que ses captifs suivaient gaiement, attachés par l’oreille à des chaînes d’or et d’ambre qui sortaient de sa bouche : il portait le nom d’Ogmius [Lucain, Hercul. Gall.]. On voit qu’avec de légères différences, c’était l’Olympe des Grecs et des Romains presque complet.

Des rapports si frappants ne furent pas sans étonner les observateurs romains, qui retrouvaient en Gaule tous leurs dieux. Les Gaulois, dit César, reconnaissent Mercure, Apollon, Jupiter, Mars et Minerve. Mais ils ont pour Mercure une vénération particulière. Leur croyance à l’égard de ces divinités est presque la même que la croyance des autres peuples ; ils regardent Mercure comme l’inventeur de  tous les arts ; ils pensent qu’il préside aux chemeins et qu’il a une grande influence sur le commerce et les richesses, qu’Apollon éloigne les maladies, qu’on doit à Minerve les éléments de l’industrie et des arts mécaniques, que Jupiter régit souverainement le ciel, et que Mam est le Dieu de la guerre [Bell. Gall., 6, 17].

La ressemblance se changea même en une entière identité ; lorsque la Gaule, soumise à la domination de Rome, eut subi, quelques années seulement, l’influence des idées romaines. Alors le polythéisme gaulois honoré et favorisé par les empereurs, après un règne brillant, finit par se fondre dans le polythéisme de l’Italie, tandis que le druidisme, ses mystères, sa doctrine, son sacerdoce étaient cruellement proscrits et furent éteints dans des flots de sang. Cette fortune si différente des deux religions et les rapports qu’elle eut avec la situation politique du pays, nous occuperont plus en détail dans la suite de cet ouvrage ; qu’il nous suffise pour le moment d’avoir marque leur séparation et fait connaître leurs caractères distinctifs : nous allons passer à l’examen du druidisme.

Les Druides enseignaient que la matière et l’esprit sont éternels ; que l’univers, bien que soumis à de perpétuelles variations de forme, reste inaltérable et indestructible dans sa substance ; que l’eau et le feu sont les agents tout-puissants de ces variations et, par l’effet de leur prédominance successive, opèrent les grandes révolutions de la nature[159] ; qu’enfin l’âme humaine au sortir du corps va donner la vie et le mouvement à d’autres êtres[160]. L’idée morale de peines et de récompenses n’était point étrangère à leur système de métempsycose : ils considéraient les degrés de transmigration inférieurs à la condition humaine comme des états d’épreuve ou de châtiment ; ils avaient même un autre monde[161] semblable à celui-ci, mais où la vie était constamment heureuse. L’âme qui passait dans ce séjour d’élection y conservait son identité, ses passions, ses habitudes ; le guerrier y retrouvait son cheval, ses armes et des combats ; le chasseur avec ses chiens continuait à y poursuivre le buffle et le loup dans d’éternelles forêts ; le prêtre à instruire les fidèles ; le client à servir son patron. Ce n’étaient point des ombres, mais des hommes vivant d’une vie pareille à celle qu’ils avaient menée sur la terre. Toutes relations ne cessaient pas entre les habitants du pays des âmes, et ceux qu’ils avaient laissés ici-bas, et la flamme des bûchers pouvait leur porter des nouvelles de notre monde : aussi durant les funérailles on brûlait des lettres que le mort devait lire ou qu’il devait remettre à d’autres morts [Diod. Sic., V].

Cette croyance, en augmentant chez les Gaulois le mépris de la vie, entretenait leur ardeur guerrière. Comme toutes les superstitions fortes, elle donna naissance à des dévouements admirables et à des actions atroces. Il n’était pas rare de voir des fils, des femmes, des clients, se précipiter sur le bûcher pour n’être point séparés du père, du mari, du patron qu’ils pleuraient. La tyrannie s’empara de ces touchantes marques d’affection et les transforma en un devoir affreux. Dès qu’un personnage important avait fermé les yeux, sa famille faisait égorger un certain nombre de ses clients et les esclaves qu’il avait le plus aimés[162] ; on les brûlait ou on les enterrait à ses côtés, ainsi que son cheval de bataille, ses armes et ses parures, afin que le défunt pût paraître convenablement dans l’autre vie et y conserver le rang dont il jouissait dans celle-ci. La foi des Gaulois en ce monde à venir était si ardente et si ferme, qu’ils y renvoyaient souvent la décision de leurs affaires d’intérêt ; souvent aussi ils se prêtaient mutuellement de l’argent payable après leur commun décès[163].

Ces deux notions combinées de la métempsycose et une vie future formaient la base du système philosophique et religieux des Druides, mais leur science ne se bornait pas là. Ils prétendaient connaître la nature des choses, l’essence et la puissance des dieux ainsi que leur mode d’action sur le monde, la grandeur de l’univers, celle de la terre, la forme et les mouvements des astres, la vertu des plantes, les forces occultes qui changent l’ordre naturel et dévoilent l’avenir : en un mot ils étaient métaphysiciens, physiciens, astronomes, médecins, sorciers et devins[164].

Malheureusement pour l’histoire rien n’est resté de toutes ces discussions métaphysiques qui agitaient si vivement les prêtres de la Gaule dans leurs solitudes. Le peu que nous savons de leur astronomie fait penser qu’ils ne s’étaient pas appliqués sans succès à cette science, du moins à sa partie pratique ; l’observation des phénomènes planétaires jouant un rôle important dans tous leurs rites religieux comme dans beaucoup d’actes de leur vie civile. Leur année se composait de lunaisons. Leur mois commençait non à la syzygie ou nouvelle lune, ni à la première apparition de cet astre, mais au premier quartier, lorsque près de la moitié de son disque est éclairée [Pline, 16, 44] ; phénomène invariable, tandis que la syzygie dépend toujours d’un calcul et que le temps de la première apparition est sujet à des variations.

Leur plus longue période d’années ou siècle était de trente ans [Ibid.], au bout desquels il y avait concordance entre l’année civile et l’année solaire ; c’est-à-dire que les points cardinaux des équinoxes et des solstices, chaque trentième année civile, revenaient au même quantième des mêmes lunes. Ce retour suppose nécessairement dans le calendrier une intercalation de onze lunes en trente ans, ou, ce qui est la même chose, sur les trente années, onze années de treize lunes. Par le moyen de cette intercalation les lunaisons demeuraient attachées sensiblement aux mêmes saisons, et à la fin du siècle gaulois il s’en fallait seulement d’un jour et de dix heures que la concordance de l’année civile avec la révolution solaire fut complète ; différence qui pouvait se corriger aisément[165], et qu’ils faisaient sans doute disparaître. Ces résultats prouvent que les Druides recueillaient des observations et se livraient à des études suivies. Le sixième jour de la lune était donc chez les Gaulois un jour sacré qui ouvrait le mois, l’année et le siècle, et présidait aux plus augustes solennités de la religion. On représentait souvent les Druides tenant dans leurs mains un croissant pareil au croissant de la lune à son premier quartier[166]. Cette supputation du temps par lunaisons fit dire aux Romains que les Gaulois mesuraient la durée par nuits et non par jours ; usage qu’ils attribuaient à l’origine infernale de ce peuple et à sa descendance du dieu Pluton [César, 6, 18].

La médecine des Druides était fondée presque uniquement sur la magie, quoique les herbes qu’ils employaient, telles que la sélage et la jusquiame, rie fassent point dénuées de toute propriété naturelle. Mais leur recherche et leur préparation devaient être accompagnées d’un cérémonial bizarre et de formules mystérieuses, d’où elles étaient censées tirer, au moins en grande partie, leurs vertus salutaires. Ainsi il fallait cueillir le samolus à jeun et de la main gauche, l’arracher de terre sans le regarder, et le jeter de la même manière dans les réservoirs où les bestiaux allaient boire ; c’était un préservatif contre leurs maladies[167]. La sélage, espèce de mousse qui croît dans les lieux ombragés des montagnes et dans les fentes des rochers, et qui agit assez violemment comme purgatif, demandait pour être récoltée bien plus de précautions encore. On s’y préparait par des ablutions et une offrande de pain et de vin ; on partait nu pieds, habillé de blanc ; sitôt qu’on avait aperçu la plante, on se baissait comme par hasard, et glissant sa main droite sous son bras gauche, on l’arrachait sans jamais employer le fer, puis on l’enveloppait d’un linge qui ne devait servir qu’une fois [Pline, 24, 11]. C’était un autre cérémonial pour la verveine, très estimée comme un remède souverain contre les maux de tête. Mais de tous les spécifiques de la médecine druidique, aucun ne pouvait être mis en parallèle avec le fameux gui de chêne ; il réunissait à lui seul plus de vertus que tous les autres ensemble, et son nom exprimait l’étendue de son efficacité : les Druides l’appelaient d’un mot qui signifiait guérit-tout [Pline, 16, 44].

Le gui est une plante vivace et ligneuse qui ne croit point dans la terre, mais sur les branches des arbres où elle semble greffée ; elle y végète dans toutes les saisons et s’y nourrit de leur sève par ses racines fixées dans leur écorce. Ses fleurs taillées en cloche, jaunes et ramassées par bouquets, paraissent à la fin de l’hiver, en février ou en mars, quand les forêts sont encore dépouillées de feuilles : elles produisent de petites baies ovales, molles et blanches, qui mûrissent en automne. Le gui se trouve communément sur le pommier, le poirier, le tilleul, l’orme, le frêne, le peuplier, le noyer, etc., rarement sur le chêne dont ses radicules ont peine à pénétrer l’écorce[168].

A cette rareté qui avait mis en grand crédit le gui né sur cet arbre, se joignait la vénération dont le chêne lui-même était l’objet, car les Druides habitaient des forêts de chêne, et n’accomplissaient aucun sacrifice où le chêne ne figurât [Pline, 16, 44]. Ils croyaient qu’il y était cerné du ciel par une main divine [Ibid.]. L’union de leur arbre sacré avec une plante dont la verdure perpétuelle rappelait l’éternité du monde, était à leurs yeux un symbole qui ajoutait aux propriétés naturelles du gui des propriétés occultes. On le cherchait avec soin dans les forêts, et lorsqu’on l’avait trouvé, les prêtres se rassemblaient, pour l’aller cueillir en grande pompe. Cette cérémonie se pratiquait en hiver, à l’époque de la floraison, lorsque la plante est le plus visible, et que ses longs rameaux verts, ses feuilles, et les touffes jaunes de ses fleurs, enlacés à l’arbre dépouillé, présentent seuls l’image de la vie au milieu d’une nature stérile et morte [Virg., Ænéid., 6, v. 205].

C’était le sixième jour de la lune que le gui devait être coupé, et il devait tomber non pas sous le fer, mais sous le tranchant d’une faucille d’or. Une foule immense accourait de toutes parts pour assister à la fête ; et les apprêts d’un grand sacrifice et d’un grand festin étaient faits sous le chêne privilégié. A l’instant marqué, un Druide en robe blanche montait sur l’arbre, la serpe d’or à la main, et tranchait la racine de la plante, que d’autres Druides recevaient dans une saie blanche, car il ne fallait pas qu’elle touchât la terre [Pline, 16, 44]. Alors on immolait deux taureaux blancs dont les cornes étaient liées pour la première fois, et l’on priait le ciel de rendre son présent salutaire à ceux qu’il en avait gratifiés [Ibid.]. Le reste de la journée se passait en réjouissances[169].

Le gui de chêne, comme nous l’avons dit, était aux yeux des Gaulois un remède universel ; spécialement il passait pour un antidote à tous les poisons, et pris par infusion, il guérissait la stérilité [Pline, 16, 44]. Tout porte à croire que les Druides faisaient commerce de cette panacée, dont la vente devait produire à leur ordre une source inépuisable de revenus[170].

L’Armorike, mais surtout l’île de Bretagne acquirent une haute célébrité pour tout ce qui concernait la magie ; et les récits extraordinaires publiés par les voyageurs sur les prodiges dont cette île ainsi que les petites îles de l’archipel armoricain étaient le théâtre, mirent la réputation des Druides au-dessus même de celle des Mages de la Perse [Pline, 29, 1]. L’art de la divination ne fut pas cultivé avec moins de soin par ces prêtres, qui prétendaient connaître l’avenir, moitié par conjecture, moitié par les signes mystérieux qu’ils savaient lire dans le vol des oiseaux, et dans les victimes des sacrifices [Cicéron, divin., I]. Ils fabriquaient aussi des talismans, dont la vertu garantissait de tous les accidents de la vie ; tels étaient les chapelets d’ambre que les guerriers portaient sur eux dans les batailles pour éloigner la mort, et qu’on retrouve souvent enfouis à leur côté dans les tombeaux[171]. Mais aucun de ces préservatifs sacrés ne pouvait soutenir la comparaison avec l’œuf symbolique, connu sous le nom d’œuf de serpent [Pline, 29, 3].

Ce prétendu œuf, qui parait bien n’avoir été autre chose qu’une échinite ou pétrification d’oursin de mer[172], présentait la figure d’une pomme de moyenne grosseur dont la substance dure et blanchâtre était recouverte de fibres et d’excroissances pareilles aux tentacules du polype. La religion n’était pas étrangère au choix que les Druides avaient fait de ce fossile et à l’origine qu’ils lui supposaient, car ces idées d’œuf et de serpent rappellent l’œuf cosmogonique des mythologies orientales, ainsi que la métempsycose et l’éternelle rénovation dont le serpent était l’emblème. Au reste, ils répandaient sur la formation et sur la conquête de ce précieux talisman des fables absurdes, auxquelles pourtant le plus célèbre des naturalistes de antiquité semble ne pas refuser toute croyance. Durant l’été, raconte-t-il [Pline, 29, 3], on voit se rassembler dans certaines cavernes de la Gaule des serpents sans nombre, qui se mêlent, s’entrelacent, et avec leur salive, jointe à l’écume qui suinte de leur peau, produisent cette espèce d’œuf. Lorsqu’il est parfait, ils l’élèvent et le soutiennent en l’air par leurs sifflements ; c’est alors qu’il faut s’en emparer, avant qu’il ait touché la terre. Un homme aposté à cet effet s’élance, reçoit l’œuf dans un linge, saute sur un cheval qui l’attend, et s’éloigne à toute bride, car les serpents le poursuivent jusqu’à ce qu’il ait mit une rivière entre eux et lui. Pour que cet œuf fût réputé de bon aloi au jugement des Druides, il devait surnager lorsqu’on le plongeait dans l’eau, même entouré d’un cercle d’or ; il fallait aussi qu’il eut été enlevé, à une certaine époque de la lune [Ibid.]. Quand il avait été éprouvé, on l’enchâssait précieusement, et on le suspendait à son cou ; il était doué d’une vertu miraculeuse pour faire gagner les procès et ouvrir un libre accès auprès des rois. Les Druides le portaient parmi leurs ornements distinctifs [Ibid.] ; ils ne refusaient pourtant pas de s’en défaire à très haut prix, en faveur des riches Gaulois qui avaient des procès ou voulaient faire leur cour aux puissants [Ibid.].

Des magiciennes et des prophétesses étaient affiliées à l’ordre des Druides, mais sans partager ni les prérogatives, ni le rang élevé du sacerdoce : elles servaient d’instrument aux volontés des prêtres ; elles rendaient des oracles, présidaient à certains sacrifices, et, accomplissaient des rites mystérieux, d’où les hommes étaient sévèrement exclus. Leur institut leur imposait, de la façon la plus bizarre, tantôt la violation des lois de la pudeur, tantôt la violation des lois de la nature : ici la prêtresse ne pouvait dévoiler l’avenir de l’homme qui l’avait profanée ; là elle se vouait à une virginité perpétuelle ; ailleurs, quoique mariée, elle était astreinte à de longs célibats. Quelquefois ces femmes devaient assister à des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint de noir [Pline, 22, 2], les cheveux en désordre, s’agitant, dans ces transports frénétiques, une torche enflammée à la main [Tacite, Annal., 14].

C’était sur des écueils sauvages, au milieu, des tempêtes de l’archipel armoricain, que les plus renommées de ces magiciennes avaient placé leur résidence. Le navigateur gaulois n’abordait qu’avec respect et terreur leurs îles redoutées ; on disait que plus d’une fois des étrangers, assez hardis pour y descendre, avaient été repoussés par les ouragans, par la foudre et par d’effrayantes visions [Plutarque, de Oracul. cess.].

L’oracle de Séna, plus que tous les autres, attirait les navigateurs de la Gaule. Cette île située vis à vis du cap le plus occidental de l’Armorike, renfermait un collège de neuf vierges qui, de son nom, étaient appelées Sènes[173]. Pour avoir le droit de les consulter, il fallait être marin, et encore avoir fait le trajet dans ce seul but [Mela, 3, 5]. On croyait à ces femmes un pouvoir illimité sur la nature : elles connaissaient l’avenir ; elles guérissaient les maux incurables ; la mer se soulevait ou s’apaisait, les vents s’éveillaient ou s’endormaient à leurs paroles ; elles pouvaient revêtir toute forme, emprunter toute figure d’animaux [Ibid.].

Un autre collège de prêtresses, soumises à une autre règle, habitait un des îlots qui se trouvent à l’embouchure de la Loire. Celles-ci appartenaient toutes à la nation des Nannètes. Quoiqu’elles fussent mariées, nul homme n’osait approcher de leur demeure ; cétaient elles qui à des époques prescrites, venaient visiter leurs maris sur le continent. Parties de l’île, à la nuit close, sur de légères barques qu’elles conduisaient elles-mêmes, elles passaient la nuit dans des cabanes préparées pour les recevoir ; mais dès que l’aube commençait à paraître, s’arrachant des bras de leurs époux, elles couraient à leurs nacelles, et regagnaient leur solitude à force de rames [Strabon, 4].

Une fois chaque année, si l’on en croit les écrivains anciens, ces femmes célébraient une fête sanguinaire, où elles-mêmes étaient meurtrières et victimes. Il leur était ordonné d’abattre et de reconstruire le toit de leur temple, tous les ans, dans l’intervalle d’une nuit à l’autre [Ibid.] ; cérémonie symbolique qui retraçait sans doute le dogme fondamental du druidisme. Au jour marqué, aussitôt que le premier rayon du soleil avait brillé, couronnées de lierre et de vert feuillage [Dionys., perieget., v. 565 et seq.], elles se rendaient au temple ; là chacune se hâtait de démolir l’ancien toit, de briser sa charpente, de disperser le chaume qui le recouvrait ; puis elles travaillaient avec ardeur à porter et à poser les matériaux du nouveau. Mais si l’une d’elles, par malheur, laissait tomber à terre quelque chose de ces matériaux sacrés, elle était perdue ; un horrible cri, poussé par toute la bande, était son arrêt de mort ; transportées d’une frénésie soudaine, toutes accouraient se jeter sur leur compagne, la frappaient, la mettaient en pièces, et semaient çà et là ses chairs sanglantes [Strabon, 4]. Les Grecs crurent retrouver dans ces abominables rites le culte non moins abominable de leur Bacchus[174] ; ils assimilèrent aussi aux orgies de Samothrace d’autres orgies druidiques, célébrées dans une île voisine de la Bretagne [Strabon, 4], on les voyageurs n’abordaient pas, mais d’où retentissaient au loin, sur la mer, des cris furieux et l’harmonie bruyante des cymbales.

La religion druidique avait sinon institué, du moins multiplié en Gaule les sacrifices humains; elle professait que la vie d’un homme pouvait être rachetée par la vie d’un autre homme [Cés., B. G., 4, 16], comme s’il eût dépendu du prêtre de conjurer une transmigration imminente, en livrant aux agents de la métempsycose une autre créature de la même espèce. C’était donc autant par intérêt superstitieux que par vengeance barbare, que les Gaulois massacrèrent longtemps leurs prisonniers de guerre ; la même superstition leur fit chercher dans le sein d’un ennemi torturé les secrets de leur propre destiné, ou le succès d’une bataille prochaine et l’avenir de leur patrie. De vieilles femmes, aux pieds nus, aux cheveux blancs, aux vêtements biens retenus par une ceinture garnie d’airain [Strabon, 7], accompagnaient chez les Kimris transrhénans toutes les expéditions militaires ; et, dressaient au milieu du camp leur appareil de sorcellerie, consistant en une énorme chaudière de cuivre, de longs couteaux et un escabeau. Lorsque ces hideuses prêtresses avaient choisi une victime parmi les captifs, elles la garottaieant, et la suspendaient au dessus de la chaudière ; une d’elles, montant sur l’escabeau, la frappait à la gorge, et recevait le sang dans une coupe : la couleur de ce sang, sa rapidité, sa direction faisaient autant de signes prophétiques qu’on interprétait ; ses compagnes se partageaient ensuite les membres et les entrailles palpitantes [Strabon, 7].

En Gaule, c’étaient les hommes qui présidaient à ces superstitions barbares ; ils perçaient la victime au-dessus du diaphragme, et tiraient leurs pronostics de la pose dans laquelle elle tombait, des convulsions de ses membres, de l’abondance et de la couleur de son sang [Diod. Sil., 5] ; quelquefois ils la crucifiaient à des poteaux dans l’intérieur des temples, ou faisaient pleuvoir sur elle, jusqu’à la mort, une nuée de flèches et de dards [Strabon, 4].

Le cérémonial le plus usité et le plus solennel, pour les sacrifices humains, était aussi le plus affreux. On construisait en osier ou en foin un immense colosse à figure humaine, on le remplissait d’hommes vivants, on le plaçait sur un bûcher, un prêtre y jetait une torche brûlante, et le colosse disparaissait bientôt dans des flots de fumée et de flammes [Cés., B. G., 6, 16 – Strabon, 4]. Alors le chant des Druides, la musique des bardes, les acclamations de la foule, couvraient les cris des victimes, et le Gaulois crédule croyait avoir sauvé les jours de sa famille, prolongé les siens, affermi la gloire de sa patrie, et fait monter vers le ciel un encens de prédilection. Au reste le polythéisme gaulois n’était pas moins cruel que le druidisme : les autels de Tarann et de Teutatès ne virent pas couler moins de sang que le chêne consacré à Hésus ou les orgies de l’Armorike[175].

Détournons nos regards de ces horreurs qui, hâtons-nous de le dire, n’étaient heureusement plus qu’un souvenir, à l’époque dont nous retraçons le tableau. A cette époque, si le colosse d’osier s’ouvrait encore, si des voix humaines sortaient encore du milieu des flammes, c’étaient les voix des malfaiteurs condamnés par la justice à la peine capitale ; car la loi, chez les Gaulois, dérivant d’une source céleste, le châtiment était infligé au nom de la religion, par le ministère des prêtres. Les meurtriers, les brigands, les voleurs, subissaient ainsi le supplice du feu [Cés., B. G., 6, 16]. Un historien affirme il est vrai, qu’à défaut de criminels, le bûcher recevait quelquefois des innocents [Cés., B. G., 4, 16] ; mais les victimes volontaires ne manquaient jamais chez ce peuple, prodigue de sa vie ; et les fanatiques qui se tuaient pour accompagner au pays des âmes un père, un ami, un patron, ne reculaient pas devant quelques souffrances de plus quand il s’agissait de sauver ses jours. C’était aux Druides qu’appartenait la garde des condamnés réservés aux sacrifices privés et publics ; ils les tenaient quelquefois jusqu’à cinq années en prison, pour en disposer plus avantageusement ; et lorsque, par l’adoucissement des mœurs, les immolations humaines devinrent très rares ; ils firent payer chèrement aux riches malades le privilège de pareilles victimes. Pour la foule qui n’y pouvait prétendre, des dons votifs les remplacèrent, et d’immenses richesses en lingots d’or et d’argent, en monnaies, en vases précieux, en butin conquis sur l’ennemi, s’accumulèrent dans les temples, et dans les lacs sacrés. Elles y restaient en sûreté, quoique ces lacs et ces temples fussent la plupart du temps sans clôture ni gardien ; mais nul n’eût osé porter une main sacrilège sur cette propriété des dieux[176].

Il est temps que nous exposions l’organisation du sacerdoce druidique ainsi que l’étendue de ses prérogatives ; et d’abord il renfermait trois degrés de hiérarchie : les Druides proprement dits, les Ovates ou Vates[177] et les Bardes[178].

Les Druides ou hommes des chênes[179] devaient ce nom à la vie solitaire qu’ils menaient dans de vieilles forêts consacrées au culte, et qui étaient de préférence des forêts de chênes [Mela., 3, 2]. Ils formaient la classe supérieure et savante de l’ordre, car l’étude des hautes sciences religieuses et civiles, de la théologie, de la morale, de la législation leur était dévolue exclusivement[180]. L’éducation publique faisait aussi partie de leurs attributions, et n’en était pas la moins importante. Leur enseignement tout verbal était rédigé en vers pour qu’il se gravât mieux dans la mémoire. Ils n’écrivaient rien, ou du moins, lorsque, par suite des relations commerciales avec Massalie, l’usage des caractères grecs fut devenu commun dans la Gaule [Cés., B. G., 6, 14], ils ne permirent pas aux profanes de rien écrire de ce qu’ils enseignaient.

Les Ovates étaient chargés de la partie extérieure et matérielle du culte et de la célébration des sacrifices. En cette qualité, ils étudiaient spécialement les sciences naturelles appliquées à la religion : l’astronomie, la divination par les oiseaux et par les entrailles des victimes, la médecine, en un mot, ce que les Grecs entendaient sous le nom de physiologie[181]. Ils vivaient dans la société, dont ils dirigeaient en grande partie les mouvements. Au sein des villes, à la cour des chefs, à la suite des armées, dans toutes les circonstances de la vie, ils imposaient la volonté du corps puissant dont ils étaient les interprètes: aucune cérémonie publique ou privée, aucun acte civil ou religieux ne pouvait s’accomplir sans leur ministère.

Le troisième et dernier degré du sacerdoce comprenait les Bardes, qui étaient les poètes sacrés et profanes de la Gaule[182]. Comme lés Ovates, ils menaient la vie séculière; leur ministère était tout d’instruction et de plaisir : c’étaient eux qui récitaient, dans les assemblées du peuple, les traditions nationales, au foyer du chef, les traditions de la famille ; eux qui animaient les guerriers sur le champ de bataille, célébraient leur gloire après le succès, et distribuaient à tous le blâme et l’éloge, avec une liberté que pouvait seule donner un caractère inviolable[183]. Aussi l’autorité de leurs paroles était grande et l’effet de leurs vers tout-puissant sur les âmes. Souvent on les vit, dans les guerres intestines de la Gaule, désarmer, par leur seule intervention, des combattants furieux, et arrêter l’effusion du sang[184] : à l’harmonie touchante de leurs lyres, disait un écrivain de l’antiquité, les passions les plus sauvages s’apaisent, comme les bêtes féroces au charme du magicien [Diod. Sic., 5]. En chantant, ils s’accompagnaient sur un instrument appelé rotte, qui avait beaucoup de ressemblance avec la lyre des Hellènes[185].

L’ordre des Druides était électif, et comme il possédait le monopole de l’éducation, il pouvait à loisir se former des adeptes, au moyen desquels il se recrutait. Le temps du noviciat, mêlé de sévères épreuves, et passé, dans la solitude, au fond des bois ou dans les cavernes des montagnes, durait quelquefois vingt ans ; car il fallait apprendre de mémoire cette immense encyclopédie poétique qui contenait la science du sacerdoce[186]. Chacune des deux classes inférieures de la hiérarchie étudiait la partie relative à son ministère; mais le Druide devait tout savoir. Un Druide suprême ou grand pontife investi, pour toute sa vie, d’une autorité absolue veillait au maintien de l’institution ; à sa mort, il était remplacé par le Druide le plus élevé en dignité après lui ; s’il se trouvait plusieurs prétendants dont les titres fussent égaux, l’ordre prononçait, en conseil général, à la pluralité des voix. Il n’était pas sans exemple que ces élections se terminassent pas la violence ; les candidats rivaux déployaient, chacun de leur côté, l’étendard de la guerre civile, et l’épée décidait [Cés., B. G., 6, 13]. Les Druides se formaient, à certaines époques de l’année, en cours de justice. Là se rendaient ceux qui avaient des différends ; on y conduisait aussi les prévenus de crimes et de délits ; les questions de meurtre et de vol, les contestations sur les héritages, sur les limites des propriétés, en un mot, toutes les affaires d’intérêt général et privé, étaient soumises à leur arbitrage. Ils infligeaient des peines, fixaient des dédommagements, octroyaient des récompenses[187]. La plus solennelle de ces assemblées se tenait une fois l’an sur le territoire des Carnutes, dans un lieu consacré qui passait pour être le point central de toute la Gaule ; on y accourait avec empressement des provinces les plus éloignées [Cés., B. G., 6, 13].

Qu’on s’image maintenant quel despotisme pouvait et devait exercer sur une nation superstitieuse cette caste d’hommes, dépositaires de tout savoir, auteurs et interprètes de toute loi divine et humaine, rémunérateurs, juges et bourreaux ; en partie répandus dans lit vie civile dont ils épiaient et obsédaient toutes les actions, en partie cachés aux regards, dans de sombres retraites, d’où partaient leurs arrêts sans appel. Malheur à qui méconnaissait ces arrêts redoutables ! Son exclusion des choses saintes était prononcée ; il était signalé à l’horreur publique comme un sacrilège et un infâme ; ses proches l’abandonnaient ; sa seule présence eût communiqué le mal contagieux qu’il traînait à sa suite ; on pouvait impunément le dépouiller, le frapper, le tuer ; car il n’existait plus pour lui ni pitié, ni justice [Cés., B. G., 6, 13]. Aucune considération, aucun rang ne garantissaient contre les atteintes de l’excommunication. Tant que cette arme subsista toute-puissante dans la main des Druides, leur empire n’eut pas de bornes, et les écrivains étrangers purent dire : que les rois de la Gaule, sur leurs sièges dorés, au milieu de toutes les pompes de leur magnificence, c’étaient que les ministres et les serviteurs de leurs prêtres [Dio. Chrys., Orat., 49].

Ils ne se résignèrent pas éternellement à l’être. Les familles souveraines des tribus s’insurgèrent, et, après avoir brisé une partie de l’ancien joug, établirent une aristocratie militaire indépendante. La Gaule présenta alors un spectacle pareil à celui de l’Europe moderne durant la féodalité, ou plutôt à celui de l’Irlande et de l’Écosse sous l’autocratie des chefs de clans : ce fut le règne illimité, mais passager, de la violence et de l’anarchie. Cette anarchie était dans toute sa force pendant la première moitié du troisième siècle et la dernière moitié du second. Il ne se faisait plus d’expéditions à l’extérieur, l’intérieur étant déchiré par des guerres sans nombre et sans terme. Chaque petit chef, despote absolu chez lui, ne voulait reconnaître au-dehors de règle de subordination que la force numérique des tribus ; des coalitions se formaient pour conquérir et piller ; des monarchies éphémères, construites par le sabre en peu d’années, en moins de temps encore étaient renversées par le sabre. C’est ainsi que les rois Arvernes opprimèrent un moment tout le midi de la Gaule, depuis la Méditerranée jusqu’à l’Océan [Strabon, 4] ; c’est ainsi que les rois Bellovakes et Atrébates bouleversèrent, chacun à leur tour, la Belgique, et que le roi Suession Divitiac non seulement mit la Belgique sous le joug, mais encore ouvrit pour la première fois l’île de Bretagne aux invasions de Belges et en subjugua toute la côte orientale [Cés., B. G., 2].

Pourtant cette révolution ne dépouilla pas complètement le sacerdoce ; son influence comme ordre religieux et savant lui resta intacte, et avec elle une portion de ses prérogatives civiles: son rôle fut encore assez beau. Il continua d’être exempt des charges publiques et du service militaire, de diriger l’éducation, d’appliquer les lois tant civiles que criminelles. Ces privilèges, sauvés du naufrage, regardaient presque uniquement, il est vrai, le degré supérieur de l’ordre, cette classe de Druides spéculatifs qui vivait solitaire, hors du mouvement de la société ; mais les deux classes séculières, des Ovates et des Bardes, en ressentirent fortement l’atteinte, et portèrent dès lors la marque d’une dégradation profonde. Les Ovates ne furent plus que les devins des armées, et, si j’ose me servir de ce terme, les aumôniers des chefs de tribus et des rois. Le caractère du Barde se corrompit davantage ; avec la considération de son ministère il perdit toute dignité personnelle. On cessa de trouver en lui ce poète si fier qui puisait son inspiration dans une autorité supérieure au monde, dont la voix faisait taire le bruit des armes, dont l’éloge toujours véridique était une récompense enviée et le blâme un châtiment. Les Bardes du nouveau, régime furent des domestiques attachés à la cour des grands, des parasites [Posidon. ap. Athen. VI, 2] (c’est le terme par lequel les étrangers les désignèrent), louangeurs officiels du maître, et satiriques gagés pour dénigrer ses ennemis.

Le trait suivant fera assez connaître combien leur condition servile fit déchoir en peu de temps ces nobles ministres de la science. Un roi du Arvernes, le fameux Luern dont nous avons raconté pion haut fa magnificence et les festins somptueux, entretenait auprès de lui plusieurs de ces Bardes à gages. Un jour qu’il traitait grandement sa cour, un d’eux, ayant manqué Meure du repas, arriva comme on quittait la table et que Luern remontait dans son char. Chagrin de ce contretemps, le poète saisit sa rotte, et sur une modulation triste et grave, il célébra d’abord la générosité de son maître et la splendeur de ses festins; pros il déplora le sert du pauvre Barde que sa mauvaise fortune y amenait trop tard [Posidon. ap. Athen. IV, 13]. Tout en chantant, il courait auprès du char royal. Ses vers plurent au monarque, qui, peut le consoler, lui jeta une bourse remplie d’or. Le Barde se courba, la ramassa et reprit aussitôt ses chants : mais la modulation était bien changée, de grave elle était devenue gaie, au lieu de la tristesse c’était le contentement qu’elle respirait : Ô roi ! s’écriait le poète dans l’ivresse de sa reconnaissance, l’or germe sous les roues de ton char, et tu fais naître sur ton passage les félicités des mortels [Posidon. ap. Athen. IV, 13].

Malgré les prérogatives restées aux Druides proprement dits, l’avilissement des deux classes inférieures, en désorganisant le Corps sacerdotal, enlevait à la théocratie tout espoir de se relever. Et même, à mesure que le nouvel état de choses se consolida, que la civilisation fit des progrès, que les lumières apportées du dehors vinrent dissiper la nuit d’ignorance où le sacerdoce gaulois retenait la Gaule, il se vit enlever pièce à pièce quelques-uns de ses privilèges ; l’autorité politique resserra chaque jour davantage la suprématie civile des prêtres. Les études et la science des Druides se ressentirent de cet état de lutte et d’infériorité : il fallut bientôt que les jeunes gens qui se destinaient au ministère sacré, passassent dans l’île de Bretagne pour y trouver une instruction plus forte, en même temps qu’une image vivante de l’organisation et de la puissance dont la Gaule n’offrait plus qu’une ombre et un souvenir [Cés., B. G., 6, 13].

Si la révolution aristocratique apporte quelque avantage à la Gaule, c’est qu’elle y développa le germe d’une autre révolution plus salutaire. Les villes, en s’étendant et se multipliant, avaient créé un peuple à part, heureusement placé pour comprendre et pour vouloir l’indépendance. Il la voulut, et, favorisé par les dissensions des chefs de l’aristocratie, il parvint peu à peu à la conquérir. Un principe nouveau et des formes nouvelles de gouvernement prirent naissance dans l’enceinte des villes : l’élection populaire remplaça l’antique privilège de l’hérédité ; les rois et les chefs absolus furent expulsés, et le pouvoir remis aux mains de magistratures librement consenties. Mais l’aristocratie héréditaire ne se laissa pas déposséder sans combat appuyée sur le peuple des campagnes, elle engagea contre les villes une guerre longue et mêlée de chances diverses, d’abord pour défendre, ensuite pour recouvrer ses prérogatives méconnues. Les villes soutinrent cette lutte sanglante avec non moins de constance que d’enthousiasme.

L’organisation que les villes s’étaient donnée de bonne heure contribua sans doute beaucoup à leur triomphe. Soit habitude d’un vieil état social, soit besoin d’opposer à un ennemi discipliné la force d’une discipline pareille, la population urbaine s’était partagée en tribus, et formait, sous des patrons de son choix, des clientèles fictives. Les faibles, les pauvres, les artisans s’engageaient volontairement à des hommes puissants, pour la durée de leur vie, aux mêmes conditions que les clients de la campagne étaient engagés nécessairement au chef héréditaire de leur canton [Cés., B. G., 13 & 15]. Mais ces deux ordres de clientèles différaient essentiellement dans le fond. La clientèle urbaine était personnelle, elle ne liait point les familles ; elle n’octroyait aucun droit au fils du patron ; elle n’imposait aucune charge au fils du client ; le patron mort, les clients redevenaient libres ou se reportaient à leur volonté sous la dépendance d’un autre patron. En outre, comme une nombreuse clientèle était la preuve d’un grand crédit et conduisait par là aux plus hautes charges de la cité [Cés., ibid., 11], les patrons avaient intérêt à traiter leurs clients avec ménagement, et à les protéger contre les vexations soit des particuliers soit du gouvernement : un patron qui aurait opprimé ou laissé opprimer les siens, perdait toute influence dans l’état, et sa clientèle ne faisait plus que dépérir [Cés., B. G., 6, 11]. Cette institution utile pour les temps de lutte, parce qu’elle mettait de l’unité dans les efforts, ne fut pas sans inconvénient après la victoire. Trop souvent, comme on peut d’avance le prévoir, et comme le montrera la suite de cette histoire, elle mit en péril la liberté gauloise qu’elle avait été appelée à soutenir.

Il paraît que le sacerdoce ne resta pas neutre et inactif en face de cette révolution qui pouvait lui rendre quelque chose de son autorité passée, ou du moins le venger de ses ennemis. Dans plusieurs cités, il favorisa efficacement la cause du peuple, et s’en trouva bien : quelques constitutions admirent les prêtres parmi les pouvoirs de la citée avec des prérogatives plus ou moins étendues.

Ce serait ici le lieu de nous étendre sur la combinaison des pouvoirs politiques, dans les nouveaux gouvernements, sur leurs balancements et leurs luttes; mais le détail des événements historiques exposera tout ce mécanisme d’une manière à la fois plus claire et plus vivante. Nous ferons seulement pressentir un fait. Les constitutions sorties de la révolution populaire ne portèrent point un caractère uniforme ; variées presque à l’infini d’une cité à l’autre, par des circonstances particulières et locales, elles ne se ressemblèrent que par le principe : tourtes invariablement reposèrent sur le droit de libre élection. Malgré cette multiplicité de formes, on peut les réunir toutes sous trois classes générales :

1° Gouvernement des notables[188] et des prêtres, formés en sénat, nommant un juge ou Vergobret[189], investi du droit de vie et de mort sur tous les citoyens [Cés., B. G., 1, 16]. Ce qui contrebalançait cette dictature redoutable, c’est que le Vergobret était annuel [Ibid.] ; qu’il ne pouvait pas sortir des limites de la cité ; qu’il ne devait avoir eu dans sa famille aucun Vergobret encore vivant ; qu’aucun de ses proches ne devait siéger dans le sénat pendant la durée de sa charge [Cés., B. G., 7, 33] ; enfin qu’il y avait, dans les circonstances importantes, un chef de guerre non moins puissant que lui, et nommé par la multitude. Les Édues avaient adopté cette constitution [Ibid.].

2° Gouvernement des notables, formés en sénat souverain, ou élisant des chefs civils ou militaires, temporaires ou à vie [Ibid.].

Démocratie pure, où le peuple en corps nommait, soit des sénats souverains, soit des magistrats et des rois, et où, suivant l’expression d’un de ces petits rois populaires, la multitude conservait tout autant de droits sur le chef, que le chef sur la multitude [Cés., B. G., 5, 27].

Il est impossible de fixer avec exactitude l’époque où ce grand mouvement se fit sentir dans chacune des cités de la Gaule ; tout ce qu’on sait, c’est qu’il commença par les nations de l’est et du midi, et qu’au milieu du premier siècle, il avait déjà parcouru la Gaule entière, mais sans y être partout également consolidé. La nation des Arvernes est la seule sur laquelle on puisse indiquer deux dates un peu précises. L’an 121 avant notre ère, elle était gouvernée par un roi, fils de roi ; vers l’an 60, les magistrats et le peuple arvernes condamnaient au supplice du feu un noble arverne, coupable d’avoir attenté à la liberté publique et voulu rétablir le régime proscrit et abhorré des rois.

Tout le système politique de la Gaule reposait sur l’esprit d’association. De même que des individus clients se groupaient autour d’un patron, de petits états se déclaraient clients d’un état plus puissant et s’engageaient sous son patronage ; les états également puissants s’alliaient ensuite et se fédéraient entre eux. Des lois fédérales invariables et universellement reconnues réglaient les rapports de tous ces états grands ou petits, fixaient les services mutuels, déterminaient les droits et les devoirs.

Un peuple conquis par les armes devenait sujet et était enclavé comme tel dans les frontières du peuple conquérant ; il lui payait tribut, il en recevait des lois, et lui fournissait des otages perpétuels en garantie de sa fidélité.

Au-dessus de la condition de sujet était celle de client. Le peuple client reconnaissait le gouvernement du peuple qu’il avait choisi pour patron ; il ne prenait et ne déposait les armes que par son ordre ; il n’avait d’amis que ses amis, d’ennemis que ses ennemis. En retour, il exigeait de lui une protection entière au dehors, et de grands ménagements dans les rapports d’administration intérieure. Les liens de la clientèle n’étaient pas indissolubles, et les états clients pouvaient pour raisons graves abandonner un patron ou trop faible ou trop tyrannique : ces désertions, lorsqu’elles étaient nombreuses, bouleversaient subitement tout l’équilibre politique de la Gaule.

Deux peuples également puissants et placés au même rang de la hiérarchie fédérale mettaient quelquefois en commun leurs intérêts, leurs lois, leur gouvernement ; ils devenaient frères [Cés., B. G., 2], suivant l’expression consacrée ; c’était l’alliance la plus intime et la plus sainte. Des motifs d’une extrême gravité pouvaient seuls légitimer entre eux une rupture ; mais quelle que fût la dissidence de leurs opinions, au milieu de l’animosité des guerres civiles, ils n’oubliaient jamais que des liens sacrés les avait jadis unis, et qu’ils avaient échangé le nom de frères [Ibid.].

Les petites confédérations se liaient entre elles le plus ordinairement par de simples traités offensifs et défensifs.

A des intervalles réglés, les cités de chaque confédération envoyaient des députés à une assemblée particulière qui s’occupait des affaires de la confédération. Des assemblées générales de toute la Gaule avaient lieu aussi en certaines circonstances, et toutes les cités sans exception devaient s’y faire représenter.

Chaque membre admis dans ces assemblées s’obligeait par serment à garder le plus profond silence sur les matières mises en délibération; l’indiscret et le traître eussent encouru un châtiment rigoureux.

Dans quelques cités, les magistrats étouffaient, par des précautions sévères, les rumeurs fausses ou imprudemment répandues qui auraient pu agiter la multitude. Tout voyageur ou étranger apportant d’un autre lieu des nouvelles qui intéressaient la cité, devait les déclarer d’abord aux magistrats ; et, si le secret paraissait nécessaire, il lui était enjoint de le garder sous des peines graves [Cés., B. G., 6, 20].

Au milieu de cette société troublée par tant d’intérêts et de passions, où les moindres accidents avaient quelquefois une grande importance, on avait imaginé un moyen de correspondance aussi ingénieux que rapide. Les paysans occupés aux travaux de la campagne se communiquaient la nouvelle en la criant de l’un à l’autre, et elle volait ainsi de bourg en bourg et de cité en cité avec la rapidité du son [Cés., B. G., 7, 3]. Un événement passé à Genabum des Carnutes, au lever du soleil, dans le mois le plus court de l’année, pouvait être connu à cent soixante milles de là, chez les Arvernes, avant la fin de la première veille de nuit [Ibid.].

Voilà ce que nous avions à dire sur les mœurs, la religion, la politique des nations gauloises, pour faciliter l’intelligence des récits qui vont suivre. Nous complèterons maintenant ce tableau général de la Gaule transalpine, au deuxième et au premier siècle, en parlant de la famille grecque-ionienne, laquelle se composait de Massalie et de ses dépendances.

 

III. FAMILLE GRECQUE-IONIENNE.

Il faut que le lecteur remonte avec nous en arrière l’espace de quatre siècles, et qu’il se rappelle par quelle aventure Massalie dut sa fondation à l’amour d’une jeune Gauloise pour un voyageur phocéen; quel rapide accroissement la colonie naissante prit d’abord sous le patronage des Segobriges ; puis ses guerres, ses dangers, sa ruine imminente, au moment où Bellovèse,et la horde qu’il conduisait arrivèrent sur les bords de la Durance [V. part. 1, c. 1], et comment leur assistance la sauva [Ibid.]. A partir de cette époque, les Ligures, plus inquiets et plus occupés des bouleversements qui agitaient l’intérieur de la Gaule que de l’existence de la petite ville grecque, la laissèrent vivre et se relever en pleine sécurité.

Tandis que, dans un recoin d’une terre sauvage et lointaine, les colons phocéens éprouvaient ces alternatives de bonheur et de revers, leur métropole, à l’autre bout de la Méditerranée, se voyait réduite aux plus extrêmes périls : Cyrus, roi de Perse, conquérant d’une partie de l’Asie mineure, faisait assiéger Phocée par Harpagus, un de ses lieutenants. Une résistance longue et héroïque, tout en couvrant de gloire les assiégés, épuisa enfin leurs dernières ressources ; ils parlèrent alors de se rendre, et pour examiner, disaient-ils, les conditions qu’Harpagus prétendait leur imposer, ils demandèrent et obtinrent une trêve de quelques heures. Mais ce n’était point réellement pour un tel acte, honteux à leurs yeux, qu’ils sollicitaient une suspension d’armes ; et la capitulation n’était qu’un prétexte. Profitant de ce peu d’heures, ils tirèrent, à la hâte, des arsenaux et des hangars, tous leurs navires, les mirent à flot, y transportèrent leurs meubles, leurs vivres, leurs familles, leurs dieux, et levèrent l’ancre. Quand les Perses impatients, voyant la trêve expirée, rompirent les portes et se précipitèrent dans la ville, ils ne trouvèrent plus que des rues solitaires, et des maisons désertes et dépouillées [Hérodote, 1].

De Phocée, les fugitifs firent voile premièrement vers Chio ; ils voulaient acheter, des Chiotes qui en étaient propriétaires, les îlots appelés Œnusses, situés entre leur île et la terre ferme. Ceux-ci, anciens rivaux des Phocéens, envieux et ombrageux, les repoussèrent sans pitié, tandis que les peuples du continent qui redoutaient la vengeance d’Harpagus n’osaient pas les recevoir. Sans amis et sans refuge dans toute l’Asie, les Phocéens résolurent de gagner les parages de l’occident et l’île de Corse, où, vingt ans auparavant, ils avaient fondé là colonie d’Alalia[190], sur la recommandation d’un oracle.

Pourtant, avant de quitter pour jamais la mer et la terre de leurs aïeux, ils voulurent revoir Phocée. Leur flotte fit force de voiles et de rames, entra à l’improviste dans le port, et surprit la garnison ennemie qui fut massacrée : en un moment, tout ce peuple se dispersa pour aller fouler encore, en pleurant, le foyer domestique, les temples, les places publiques; au bout de quelques heures il fallut repartir. Alors un des chefs prit une masse de fer, la fit rougir au feu, et la précipita au fond de la mer : Que nul de nous, s’écria-t-il, ne reparaisse dans ces murailles, avant que ce fer n’ait reparu aussi, rouge et ardent, au-dessus des flots ! Tous répétèrent après lui le même serment, en chargeant d’imprécations la tète des parjures. Mais à peine commencèrent-ils à perdre de vue le port et la côte, que leurs cœurs s’émurent plus fortement. Vaincue enfin dans ce dernier adieu, la moitié d’entre eux vira de bord, et rentra, sous le poids de ses propres malédictions. L’autre moitié, inébranlable, continua sa route et aborda dans l’île de Corse [Hérodote, l. c.].

Les Phocéens furent reçus en frères par les Alaliotes ; mais la Corse était inculte ; il fallut que cette population émigrée se procurât de force sa subsistance ; et comme elle avait une flotte nombreuse et bien armée, elle fit la piraterie. Ce métier n’avait alors rien de déshonorant [Justin, 43, 3], et aucune différence n’était encore établie entre les entreprises de mer et les conquêtes sur la terre ferme. Pendant cinq ans, ils coururent tous les parages de l’Italie et de l’Espagne, enlevant les convois, pillant les côtes, et troublant fortement le commerce des Étrusques et des Carthaginois, qui se coalisèrent enfin pour mettre un terme à ces ravages. Leur flotte combinée, forte de cent vingt vaisseaux, vint provoquer la flotte phocéenne dans, les eaux de la Sardaigne ; et quoique celle-ci n’en comptât que soixante, elle n’hésita pas à accepter le combat[191].

Il fut sanglant et acharné ; les Grecs restèrent vainqueurs ; mais leur victoire même les avait tellement affaiblis, qu’ils désespérèrent de pouvoir soutenir une seconde attaque ; ils s’embarquèrent donc de nouveau, et, se disséminant par bandes, ils allèrent chercher fortune soit du côté de Malte, soit du côté de la Gaule[192]. La plus considérable de ces divisions vint demander asile aux Massaliotes. Par cet accroissement subit de population, de richesse et de force maritime, Massalie s’éleva du rang de colonie à celui de métropole ; et même elle ne tarda pas à laisser loin derrière elle sa propre métropole, l’antique Phocée.

Des travaux, habilement dirigés[193], rendirent Massalie presque inexpugnable. Elle avait été construite, comme nous l’avons dit, sur un petit promontoire, attenant à la terre ferme dans une largeur de quinze cents pas[194] : une muraille, flanquée de tours, garnie d’un fossé[195] et défendue en outre par une citadelle[196], isola ce promontoire du continent, et prolongée du côté de la mer, enveloppa dans une seule enceinte toute la ville et le port. Le port vaste et de forme à peu près circulaire était creusé naturellement au milieu d’un amphithéâtre de rochers, regardant le midi[197] ; des ouvrages faits de main d’homme le rendirent plus régulier et plus commode ; ou s’éleva un grand arsenal et des chantiers [Strabon, 4]. La ville, commencée sur ces roches en amphithéâtre, s’agrandit successivement et bientôt couvrit tout le promontoire de ses maisons de bois et de chaume, car les Massaliotes n’en eurent pas d’autres jusqu’à l’époque de la domination romaine [Vitruve, I, 1]. Ils réservaient pour les édifices publics et sacrés le marbre et une espèce de tuile qu’ils savaient fabriquer, d’une légèreté si étonnante que, plongée dans l’eau, elle surnageait et flottait [Vitruve, I, 3].

Massalie fut gouvernée d’abord par une aristocratie héréditaire, peu nombreuse et absolue, en d’autres termes, par une oligarchie [Arist., Polit., 5, 6]. Ces familles souveraines étaient, issues, à ce qu’il paraît, des fondateurs et des premiers habitants de la colonie ; les Protiades, une d’entre elles, remontaient à Protis, fils d’Euxène et de la Gauloise Aristoxène ou Petta[198]. Cette forme de gouvernement ne subsista pas longtemps, la paix extérieure et le commerce, eu enrichissant un grand nombre de citoyens, amenèrent une révolution. L’oligarchie dépassée fit place à une aristocratie fondée sur le cens, à une timocratie, ou pourparler plus exactement, il y eut compromis et alliance entre la puissance fondée sur des droits héréditaires et celle de la fortune. Premièrement, les familles possédant un certain revenu obtinrent l’accession de leurs aînés aux charges et dignités publiques ; ensuite elles l’exigèrent pour leurs seconds fils [Arist., Polit., 5, 6]. Dans tout cela, il ne fut point question du peuple dont les droits et l’autorité restèrent sous la timocratie ce qu’ils étaient avant elle, c’est-à-dire complètement nuls. Bien qu’à Massalie la puissance des notables citoyens soit équitable et douce, écrivait Cicéron [De republic. I, 27], dans le plus célèbre de ses ouvrages politiques, pourtant la condition du peuple y paraît voisine de la servitude. Un peu plus bas, revenant sur ce gouvernement, il le compare à ce qu’avait été jadis dans Athènes la tyrannie des trente[199].

L’exercice de la souveraineté résidait dans une assemblée de six cents magistrats[200] nommés Timoukhes ; ils étaient choisis, pour la vie, parmi les familles possédant le revenu déterminé ; il fallait en outre qu’ils fussent mariés, qu’ils eussent des enfants ; et que leur maison jouît du droit de cité depuis trois générations au moins [Strabon, 4]. Deux membres de la même famille, par exemple, deux frères, ou un père et son fils ne pouvaient siéger ensemble au conseil [Arist., Polit., 5, 6]. On ne sait pas positivement comment et par qui se faisaient les remplacements ; mais le peuple n’était pour rien dans l’élection, et il est probable que l’assemblée elle-même choisissait parmi des candidats présentés par les familles. La loi qui défendait qu’une famille pût avoir deux de ses membres dans l’assemblée des Timoukhes avait été dirigée primitivement contre l’oligarchie ; et elle fut, à ce qu’il paraît, une garantie suffisante peur la conservation du régime timocratique.

Au sein de ce conseil suprême existait un second conseil, composé de quinze membres [Strabon, 4 ; Cés., B. C., 1, 35] ; et, au-dessus de celui-ci, un triumvirat, en qui résidait ce que, dans le langage politique moderne, on appelle le pouvoir exécutif [Strabon, 4]. Le conseil des quinze paraît n’avoir été qu’une commission des six cents, renouvelée par intervalle, dont les fonctions consistaient à expédier, pour plus de diligence, les affaires courantes [Ibid.], et à présenter aux délibérations du grand conseil celles qui se recommandaient par leur gravité. Dans les conjonctures importantes, telles que le cas de paix ou de guerre, c’étaient les quinze, et non les triumvirs, qui traitaient avec l’ennemi, et toujours d’après lès instructions et sous la sanction de l’assemblée générale [Cés., B. C., 1, 35]. Nous avons dit que le peuple était déshérité de toute participation au gouvernement ; cependant son nom, le mot Démos, se lit sur quelques inscriptions[201], ce qui pourrait faire présumer qu’il exerçait, en certains cas, une action collective et publique. Il y aurait erreur Démos désigne évidemment, dans ces monuments, ou la cité tout entière, ou les pouvoirs politiques réunis. Une seille révélation nous, est faite sur la condition de la masse plébéienne, c’est qu’elle était divisée en tribus[202].

Les Massaliotes conservèrent la législation ionienne, non pas toutefois sans quelques changements[203]. Cette législation nous est peu connue ; mais on y peut remarquer, comme dans toutes les institutions aristocratiques, un grand caractère de modération, ainsi que cette apparence séduisante d’égalité sociale, qui dissimule et sauve l’inégalité politique.

Des tables d’airain ou de marbre contenant le texte des lois étaient exposées en public [Strabon, l. c.], afin que chaque citoyen pût connaître ses devoirs et ses droits, et tenir l’œil sur ses magistrats. De même que la plupart des législations grecques, celle-ci infligeait deux peines graves, l’infamie et la mort. L’infamie était, comme on sait, une espèce d’excommunication politique et civile ; elle entraînait avec elle la confiscation des biens et la dégradation de la noblesse et des honneurs publics. Sous le poids de cet arrêt terrible, mais dont la tache pouvait s’effacer, une famille, riche et puissante hier, aujourd’hui se trouvait pauvre, mendiante, reniée de ses proches, repoussée même parla plus vile populace: tel était à Massalie le sort des magistrats prévaricateurs. Une anecdote curieuse et touchante, que nous a transmise le Grec Lucien [Toxar. siv. amicitia.], exposera plus complètement au lecteur la situation du Massaliote déclaré infâme, et fera connaître en passant quelques traits de la vie sociale et du caractère de ce peuple.

Je me trouvais en Italie, chargé d’une mission de mes compatriotes, dit le spirituel narrateur, lorsqu’on me fit remarquer un homme beau, d’une taille majestueuse, dont les manières et l’entourage annonçaient l’opulence. Il voyageait ; et, près de lui, était assise dans le char une femme difforme de visage, paralysée de tout le côté droit du corps, borgne ; en un mot, un monstre, un véritable épouvantail. Surpris, je demandai comment il se pouvait faire qu’un tel homme se fût choisi une telle femme ; alors celui qui me les avait montrés m’expliqua l’origine et les raisons de ce mariage ; il connaissait parfaitement toute la chose, étant Massaliote, ainsi que les deux voyageurs. — Cet homme-ci, me dit-il, est de Massalie, et se nomme Zénothémis, fils de Charmoléus. Une vive et étroite amitié l’unissait au père de cette femme si laide, appelé Ménécrate : tous deux étaient également riches, également élevés en dignité. Il arriva que Ménécrate fût accusé d’avoir rendu une sentence inique ; les six cents le jugèrent, et le reconnurent coupable. Déclaré infâme, on le dégrada, et on le dépouilla de ses biens ; car c’est le châtiment dont on punit, dans ma patrie, les juges corrompus. Ménécrate déplorait sa condamnation ; il déplorait cette pauvreté qui avait succédé si rapidement à sa richesse, cet opprobre, à sa noblesse et à ses honneurs. Mais ce qui, sur toutes choses, lui déchirait l’âme, c’est qu’il entraînait dans sa misère une fille déjà nubile, puisqu’elle touchait à ses dix-huit ans ; à peine, au temps de sa prospérité, avait-il espéré de lui faire épouser quelque homme bien né, quoique pauvre ; car elle était hideuse à voir : on disait même qu’elle tombait du haut mal vers la croissance de la lune.

Zénothémis n’avait pas abandonné son ami ; il écouta ses plaintes et essaya de le consoler. — Ne perds point courage, lui dit-il, jamais le nécessaire ne te manquera, et ta fille trouvera un époux digne de sa naissance. Il le prit ensuite par la main, le conduisit dans sa maison et partagea avec lui ses trésors : puis il commanda un grand souper, où il convia tous ses amis, ainsi que Ménécrate, auquel il fit entendre qu’il s’occupait de marier sa fille. Le repas finissait, et les pieuses libations avaient coulé en l’honneur des dieux, quand Zénothémis, remplissant une coupe, la présenta à son malheureux ami :Prends cette coupe, lui dit-il, prends là de la main d’un gendre, en signe de parenté et d’alliance, car aujourd’hui j’épouse ta fille Cydimaché ; j’ai reçu de toi autrefois vingt-cinq talents pour sa dot. A ces mots Ménécrate se récrie :Non, Zénothémis, non, tu ne le feras pas ! Je ne suis pas assez insensé pour souffrir que toi, qui es un beau jeune homme, tu épouses une pauvre fille disgraciée. — Il parlait en vain ; Zénothémis avait saisi la main de Cydimaché et l’entraînait vers sa chambre : ils disparurent un instant ; quand ils revinrent, elle était sa femme.

De ce jour il vit avec elle, l’aimant par-dessus tout, et, comme tu vois, ne la quittant jamais. La fortune a récompensé sa constante et vertueuse amitié : cette femme si laide lui a donné le plus beau des fils. Il n’y a pas longtemps que le père, prenant ce bel enfant dans ses bras, l’apporta au milieu du conseil des six cents ; il l’avait couronné de branches d’olivier et enveloppé d’un vêtement noir, afin d’inspirer pour l’aïeul une commisération plus vive. Le petit suppliant souriait à ses juges et leur battait des mains. L’assemblée tout entière fut émue ; et levant la sentence qui pesait sur Ménécrate, elle lui rendit ses dignités et sa fortune.

La législation massaliote ne prodiguait point la peine capitale. Un seul et même glaive, depuis la fondation de la ville, servait à l’exécution. des criminels ; il était rongé par la rouille et presque hors de service [Val. Max., 2, 6]. La vente du poison était sévèrement interdite, et le suicide frappé de réprobation ; néanmoins, dans certains cas, la mort volontaire pouvait devenir innocente et même légale. L’homme qui, se voyant poursuivi par une adversité ou une prospérité trop opiniâtre, souhaitait de goûter enfin le repos ou de prévenir un revers inévitable [Ibid., 7], se rendait au conseil des six cents ; là, il exposait son histoire ; il plaidait les raisons qu’il avait de mourir ; il s’efforçait de toucher la pitié des juges, avec la même chaleur que le condamné prie pour sa vie. Le sénat examinait et prononçait. Si la demande paraissait juste, il faisait délivrer au réclamant de la ciguë déposée en un lieu public, sous la garde des magistrats [Ibid.] ; et alors l’homme trop heureux ou trop malheureux, à son jugement et au jugement de ses concitoyens, pour rester dans ce monde, pouvait en sortir sans ignominie et sans remords. Loi excellente ! dit, à ce sujet, un poète grec[204], puisqu’elle dispense de mal vivre celui qui ne saurait vivre bien.

Deux bières étaient placées en permanence aux portes de la ville, l’une destinée aux morts de condition libre, sans distinction de rang, l’autre aux esclaves ; de là, elles étaient conduites sur des chariots au lieu de la sépulture. On ne pleurait point les morts; les funérailles se passaient sans lamentations, sans cris ; le deuil finissait avec elles ; un sacrifice domestique suivi d’un repas entre les parents, composait tout le cérémonial funèbre [Val. Max., 2, 7].

Nul étranger ne pouvait entrer dans la ville avec des armes ; il les déposait aux portes, entre les mains des gardes, qui les lui remettaient à sa sortie [Val. Max., 2, 9]. L’usage était aussi de fermer les portes, les jours de fête, de monter la garde, de garnir les remparts de sentinelles, d’avoir l’œil sur les étrangers, en un mot, de déployer, au milieu des joies de la paix, toute la surveillance d’un état de guerre [Justin, 43, 5]. Les historiens rapportent cette institution aux premiers temps de la colonie ; ils la font remonter jusqu’à cette fête des fleurs, durant laquelle Massalie n’échappa que par miracle aux embûches du roi Coman et de ses sept mille Ségobriges[205]. Ce qui est certain, c’est que de telles précautions n’avaient rien de superflu dans le voisinage de tant de tribus belliqueuses et ennemies dont les Massaliotes avaient toujours à craindre quelques surprises.

La loi concernant les affranchissements était peu humaine, et laissait au maître un droit presque indéfini sur l’esclave libéré. On pouvait révoquer jusqu’à trois fois successives la liberté qu’on avait concédée à son esclave, sous prétexte qu’on s’était trompé, ou que celui-ci manquait de reconnaissance. La quatrième manumission était pourtant irrévocable, moins, il est vrai, pour que la condition du malheureux affranchi fût enfin garantie, que pour châtier le maître de son inconstance ou de son irréflexion.

Les Massaliotes se recommandaient généralement par un caractère affable, une vie tempérante, des mœurs honnêtes et graves. L’amitié était à leurs yeux la première des vertus. Pendant longtemps une loi somptuaire fixa à cent écus d’or la dot la plus riche, et à cinq la plus riche parure d’une femme [Strabon, 4]. Les femmes ne buvaient pas de vin[206]. Les spectacles des mimes étaient sévèrement proscrits [Val. Max., 2, 6] comme pernicieux à la morale. Avec non moins de rigueur, on repoussait ces magiciens et ces prêtres mendiants qui, pour nous servir des paroles d’un écrivain romain [Val. Max., 2, 6], par faux-semblant de religion et sous le masque d’une superstition menteuse, circulaient de ville en ville, engraissant leur paresse. Un seul mot fera connaître de quel haut degré d’estime la nation massaliote jouit longtemps à l’étranger. Deux siècles avant notre ère, à l’époque de la seconde guerre punique, l’expression mœurs de Massalie était proverbiale à Rome pour signifier[207] l’idéal de la gravité, de la fidélité, de l’honnêteté. Quatre cents ans plus tard,le même proverbe subsistait encore. Mais sa signification avait bien changé ; il réveillait alors l’idée de ce qu’il y a de plus honteux dans les excès de la corruption[208]. Ce peuple fut durement puni du mal qu’il attira sur la Gaule. En se ravalant au râle d’instrument des Romains ; en corrompant, en asservissant ses voisins au profit d’une tyrannie étrangère, il perdit tout, sa puissance, sa liberté, ses mœurs. Massalie, devenue ville romaine, fit rougir la Rome d’Héliogabale.

Trois grandes divinités dominaient tout le culte massaliote, et, protectrices de la ville, avaient leurs temples dans la citadelle; c’étaient Artémis ou Diane l’Éphésienne, Apollon Delphinien et Minerve, appelée par les Grecs Athênê[209].

La Diane d’Éphèse n’était point une création du polythéisme grec ; elle tirait son origine des religions symboliques de l’Asie, dont on l’avait surnommée la Grande Reine. Elle représentait la nature ; et ses images, couvertes de mamelles et de formes variées d’animaux, auguraient cette puissance mystérieuse éternellement occupée de créer et de nourrir ; son culte était secret. On a vu ci-dessus comment il fut introduit à Massalie par l’Éphésienne Aristarché, qui, avertie par un songe, suivit la seconde émigration phocéenne dans les parages de la Gaule [part1, c. 1]. Diane avait donc présidé à la naissance de Massalie, aussi eut-elle le premier rang parmi ses divinités nationales. Son temple fut construit sur le modèle du grand temple d’Éphèse, et son culte prescrit à toutes les colonies massaliotes, conformément au rite éphésien [Strabon, 4]. Aristarché remplit jusqu’à sa mort les fonctions de prêtresse de la déesse ; et après elle, les Massaliotes continuèrent à tirer soit d’Éphèse, soit de Phocée, les femmes qui devaient occuper ce suprême sacerdoce[210]. Il paraît que Massalie était regardée, même en Asie, comme un des sièges les plus honorables et les plus lucratifs du culte de Diane, car une inscription nous montre une archi-prêtresse d’un des temples d’Éphèse ne dédaignant pas d’aller au-delà des mers desservir la colonie phocéenne [Inscript. sup. cit.]. S’il faut en croire Strabon, ce fut Massalie qui eut l’honneur insigne d’initier Rome aux mystères de la Diane d’Éphèse [Strabon, 4].

La seconde place dans la hiérarchie des divinités massaliotes appartenait de droit à Minerve ; car, si Diane avait veillé sur le berceau de la colonie naissante, Minerve aussi l’avait couvert de son égide ; et voici à quelle occasion. Dans une des nombreuses guerres que Massalie eut à soutenir contre les Ligures, et dont le détail ne nous est pas resté, le roi Catumand [Justin, 43, 5], à la tête d’une formidable armée, en faisait le siège et la pressait vivement. Aucun effort humain ne pouvait plus la sauver, lorsque Catumand eut, dit-on, une vision : une femme, dont l’aspect était majestueux mais terrible, lui apparut pendant son sommeil : Je suis déesse, lui dit-elle d’une voix irritée, et je protège cette ville [Ibid.]. Dès le point du jour, Catumand, tout troublé de ce rêve, s’empressa d’offrir la paix aux Massaliotes ; il demanda aussi qu’il lui fût permis d’entrer dans la ville, pour en adorer les dieux. Au moment donc où il mettait le pied sur le seuil de la citadelle, il aperçut, sous le portique, cette même figure que la frayeur avait si profondément empreinte dans son souvenir. C’est elle ! s’écria-t-il, voilà celle que j’ai vue cette nuit, et qui m’a ordonné de lever le siège ! [Ibid.] Détachant alors son collier d’or, il le passa au cou de la déesse, et après avoir vanté le bonheur des Massaliotes, objet d’une si haute et si vive protection, il fit avec eux une alliance durable.

Apollon, surnommé Delphinius ou Delphinien, était la troisième grande divinité des Massaliotes. Tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il présidait à la mer et à la navigation, et que son culte florissait dans plusieurs villes commerçantes de l’Asie mineure [Mueller, Ægin., p. 150 et sqq.]. Massalie, comme tous les états grecs de quelque importance, avait à Delphes un trésor particulier où étaient déposées ses offrandes à Apollon Pythien [Justin, 43, 5] ; et, comme Athènes, la métropole des cités ioniennes, elle se souillait d’une superstition barbare qui paraît se rapporter au culte de ce dieu[211]. Chaque fois que la ville était attaquée de la peste, un pauvre se présentait pour être nourri, toute une année, délicatement, aux frais du trésor public. Ce temps écoulé, on le couronnait de verveine, on le couvrait de vêtements sacrés, et après l’avoir promené par les rues et les places publiques, en le chargeant d’exécrations, afin que tous les maux de la ville retombassent sur lui, on le précipitait à la mer [Pétrone, Satiricon ad Fin]. La religion des Massaliotes admettait encore la plupart des grandes divinités du polythéisme grec[212], mais rien de particulier ne nous est connu sur le culte qu’on leur rendait.

De bonne heure, les lettres et les sciences jetèrent sur cette république une brillante lumière. La littérature grecque dut à des grammairiens massaliotes une des premières et plus correctes révisions des poèmes homériques[213]. Travailler pour Homère était, aux yeux de Massalie, une œuvre en quelque sorte nationale, car la colonie phocéenne devait soutenir les prétentions de sa métropole au titre de véritable patrie dit grand poète. Les sciences exactes et d’observation, les mathématiques, l’astronomie, la physique, la géographie, la médecine, y furent cultivées avec autant d’éclat qu’en aucun lieu de la Grèce. Le Massaliote Pythéas, contemporain d’Alexandre, détermina la latitude de sa ville natale d’après l’ombre du gnomon, et l’exactitude de ses calculs a surpris les savants modernes[214]. Il fut aussi le premier qui constata la relation des marées avec les phases de la hune. Obscur encore et sans fortune, Pythéas par son infatigable persévérance trouva le moyen d’accomplir un voyage prodigieux pour son temps : il parcourut dans toute leur longueur les côtes orientale et occidentale de l’Europe, depuis l’embouchure du Tanaïs clans la mer Noire, jusqu’à la presqu’île Scandinave dans l’océan du Nord. Il est vrai que des récits exagérés, fruit d’une imagination qui s’enivrait de ses propres découvertes, ou qui, brûlant de tout connaître et de tout expliquer, tantôt accueillait des contes populaires, tantôt s’égarait dans des hypothèses trop hardies, décréditèrent chez les anciens les travaux et le nom de Pythéas[215]. Mais ceux même qui le poursuivirent avec le plus d’amertume ne purent s’empêcher de reconnaître sa profonde science, et se parèrent sans scrupule de ses dépouilles. Il avait composé un Périple du monde, et un Livre sur l’Océan ; ces ouvrages ont été perdus à l’exception de fragments peu nombreux[216]. Tandis que Pythéas faisait le tour de l’Europe, son compatriote Euthymènes, auteur également d’un Périple[217], partait des colonnes d’Hercule pour explorer la côte d’Afrique[218]. Toutes les sciences applicables à l’art nautique et à la construction des vaisseaux, la mécanique entre autres, avaient atteint chez les Massaliotes un très haut degré de perfection[219].

En général ce peuple possédait plutôt la finesse et la rectitude propres aux découvertes scientifiques et à la critique littéraire que cette verve d’imagination qui crée les chefs-d’œuvre des arts. Ni poètes, ni grands orateurs, ni peintres célèbres, ne sortirent de ses écoles. Sa part fut belle néanmoins, puisqu’il a produit deux hommes dignes peut-être de prendre place à côté d’Aristote et d’Euclide, si le temps n’avait pas effacé leurs titres de gloire.

L’habileté et le goût des Massaliotes dans le travail des métaux sont assez prouvés par leurs médailles, généralement élégantes et pures. Elles étaient frappées au coin ou. fondues en bronze et en argent ; jusqu’à ce moment, il n’en a été trouvé aucune en or[220]. Leurs types ordinaires étaient le lion et le taureau menaçant.

Dès que Massalie se vit assez peuplée et assez forte pour ne plus redouter les attaques des Ligures, elle s’appliqua à étendre son commerce et ses colonisations. Elle trouvait Ies choses merveilleusement préparées. Bornés à leurs établissements du midi de l’Espagne, les Phéniciens et les Carthaginois ne visitaient plus que rarement les eaux de la Gaule; Rhodes, en pleine décadence, abandonnait les deux seules colonies qui lui restaient dans ces parages, Rhodanousia, située près de l’embouchure occidentale du Rhône, et Rhoda, en Espagne, à peu de distance des Pyrénées[221] ; quant aux Etrusques, leur puissance maritime était tombée : assaillis d’un côté par la république romaine, de l’autre par les invasions gauloises, ils n’étaient plus occupés que de la défense de leurs foyers. Les Massaliotes héritèrent donc des débouchés créés par ces nations, et dominèrent sans concurrence sur toute, la côte gauloise entre les Alpes et lés Pyrénées, et même assez avant sur le littoral ibérien.

Livrées à la discrétion de cette puissante ville[222], Rhoda et Rhodanousia préférèrent en être les alliées plutôt que les sujettes ; elles s’empressèrent de reconnaître Massalie pour leur protectrice et leur nouvelle métropole. C’est du moins ce que semblent nous révéler les types symboliques de leurs médailles, où la rose, emblème de Rhodes et de ses colonies, est placée ordinairement à côté du lion massaliote. Quelquefois, par une allégorie pleine de poésie et de grave, cette rose est suspendue à l’oreille de Diane, comme une parure précieuse qui embellit la Déesse de Massalie et relève encore l’éclat de sa majesté[223].

Progressivement et tantôt par des concessions obtenues des indigènes, tantôt à main armée, les Massaliotes occupèrent les points importants du rivage ; ils y construisirent des forts et des comptoirs qui, pour la plupart, devinrent des villes florissantes. Au temps de sa plus haute prospérité, Massalie prolongeait la ligne de ses établissements, depuis le pied des Alpes maritimes jusqu’au grand promontoire qui porte aujourd’hui le nom de cap Saint-Martin ; de ce côté elle s’enchevêtrait avec les colonies carthaginoises, de l’autre elle touchait à la république romaine. Le petit port d’Hercule Monœcus[224], sous les derniers escarpements des Alpes, formait à l’est la tête de cette ligne ; ensuite venaient Nicœa[225] dont le nom signifiait Victoire, bâtie sur la rive gauche du Var, après quelque combat contre les Italo-Ligures ; puis en deçà du Var, sur le territoire des Gallo-Ligures, Antipolis[226], destinée à contenir les Décéates, les Oxybes et les Néruses ; Athenopolis[227] ; Olbia[228] ; le petit fort de Tauroentum[229] et Massalie. A l’ouest, entre Massalie et les Pyrénées, se trouvaient Heraclœa Cacabaria[230] qui paraît avoir été un ancien comptoir phénicien ; Rhodanousita dont nous avons parlé précédemment ; et Agatha ou Agathê Tychê[231], Bonne-Fortune, construite à l’embouchure de l’Hérault ; enfin au-delà des Pyrénées, sur le littoral espagnol, Rhoda, Emporiœ[232], Halonis[233] et Hemeroscopium ou Dianium[234] ainsi appelé d’un temple de Diane qui dominait tout le promontoire et la mer.

Les îles situées au large, à trois lieues du cap d’Olbia, et que les Massaliotes nommaient Stœchades[235] servirent longtemps de repaire aux pirates liguriens qui infestaient ce golfe; Massalie dut s’en rendre maîtresse pour la sûreté de son commerce. Sous la protection de quelques forts, elle y forma des exploitations de culture [Strabon, 4] et des pêcheries pour le corail [Pline, 32, 2]. L’extirpation de la piraterie ligurienne lui coûta beaucoup de temps et de fatigues, et ne fut pourtant jamais complète.

Tout en assurant ainsi, par tous les moyens, la prospérité de leur commerce extérieur, les Massaliotes ne négligeaient pas le commerce intérieur; ils s’étendaient progressivement du côté de la terre ferme, mais par des conquêtes toutes pacifiques. De la libre volonté des indigènes, ils fondaient d’abord un comptoir clans quelque ville gauloise ou ligurienne; d’année en année le nombre de leurs agents s’y multipliait, et chacun de ces établissements devenait un centre de civilisation, d’oie se propageaient le goût des mœurs de Massalie, l’intelligence de sa langue et le besoin de ses marchandises. C’est ainsi que Cabellio et Avenio, chez les Cavares, ressemblèrent, à quelques égards, à de petites villes grecques, et purent passer, aux yeux de voyageurs superficiels, pour des colonies massaliotes[236]. Arelate surtout, si heureusement située, avait attiré dans son sein une multitude de ces colons trafiquants. On y parlait le grec autant que les idiomes indigènes ; l’antique nom d’Arlath fut même changé par les nouveaux venus en celui de Thêlinê [Fest., Avien., v. 682], qui signifiait la nourricière, la féconde ; mais cette dénomination étrangère ne prévalut point, elle n’eut guère cours que parmi les Grecs, et périt avec leur comptoir. Les Massaliotes élevèrent des tours, pour servir de phare, à la barre dangereuse du Rhône [Strabon, 4] ; ils construisirent aussi sur l’île triangulaire que forment ses bouches un temple à Diane, leur grande déesse[237] ; c’était une sorte de prise de possession du fleuve.

Le Rhône en effet par la direction de son cours et par ses nombreux affluents était le grand véhicule du commerce avec l’intérieur de la Gaule, et de là avec les îles britanniques. Voici, comment se pratiquaient, aux second et premier siècles avant notre ère, les communications d’une mer à l’autre, à travers le continent. Les Massaliotes avaient renoncé de bonne heure à la communication maritime par le détroit de Gadès, soit à cause de la longueur du voyage, soit à cause des obstacles qu’opposaient les colonies carthaginoises : c’étaient les indigènes bretons qui apportaient eux-mêmes l’étain et les autres articles d’échange sur la côte de la Gaule ; et lorsque la marine gauloise armoricaine eut pris un grand développement, elle s’empara de ce service d’exportation[238]. L’étain était déposé dans des entrepôts aux embouchures de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Là se rendaient les trafiquants massaliotes par plusieurs routes qui coupaient du sud-est au nord-ouest tout le continent de la Gaule. Tantôt ils remontaient le Rhône et la Saône, dans une certaine portion de son cours ; des transports par terre les conduisaient ensuite à la Seine où ils s’embarquaient de nouveau [Strabon, 4] ; chemin faisant, ils traitaient avec les indigènes riverains. Une communication pareille était ouverte entre le Rhône et la Loire. Pour éviter même le trajet du Rhône que les frêles bateaux massaliotes et gaulois ne remontaient qu’avec beaucoup de temps et de danger, une route de terre fut établie directement entre la côte de la Méditerranée et la haute Loire, en traversant les Cévennes [Ibid.]. La route par la Loire était la plus fréquentée de toutes ; sur les bords de ce fleuve se trouvaient les principaux comptoirs de la Gaule : Noviodunum des Edues, Genabum des Carnutes et Corbilo des Nannètes. Quelquefois on remontait l’Aude à Narbonne, puis un portage conduisait à la Garonne qu’on descendait jusqu’à Burdigala [Ibid.] ; cette voie était plus courte que les précédentes, mais moins lucrative à cause du peu d’abondance de la traite à l’intérieur. Enfin un service de terre, organisé entre l’Océan et la Méditerranée, se faisait partie à dos de cheval [Diod. Sic., 4], partie par ces mulets du Rhône que leur force et leur intelligence[239] avaient déjà rendus fameux ; le trajet était de trente jours.

On peut se figurer aisément l’influence exercée par le commerce massaliote sur la civilisation des indigènes. Il fallut que ces nations apprissent à connaître les monnaies et les signes numériques, par conséquent l’alphabet du peuple avec lequel elles étaient en relation continuelle et nécessaire. Des traités politiques durent être conclus, des conventions particulières passées entre les gouvernements et les individus des deux races ; et ces écrits furent rédigés dans la langue des Massaliotes. Aussi les Romains trouvèrent-ils les nombres et l’alphabet grecs employés même parmi les tribus barbares du nord [Cés., B. G., 1, 29 – 6, 14]. Ils trouvèrent également, ce qui les surprit davantage, la coutume de rédiger certains contrats en langue hellénique [Strabon, 4] ; mais ils attribuèrent faussement à une influence littéraire ce qui n’était que de pure nécessité commerciale. Les érudits modernes se sont perdus en contestations et en suppositions ridicules sur ce fait, l’un des plus simples de l’histoire de la Gaule : comme si nous n’avions pas chaque jour sous les yeux des faits analogues ; comme si, chaque jour, nos gouvernements et nos marchands ne traitaient pas, par écrit et dans nos langues européennes, avec des sauvages qui ignorent ces langues et l’usage même de l’écriture.

Nous avons peu de chose à dire sur le commerce extérieur de Massalie. Dès sa naissance, elle se trouva rivale de Carthage, moins, il est vrai, par son importance que par sa situation. L’enlèvement de quelques barques de pêcheurs occasionna entre les deux républiques une guerre qui se termina à l’avantage de la première ; battus dans plusieurs rencontres, les Carthaginois demandèrent la paix[240], et Massalie étala avec orgueil, sur ses places, les dépouilles de sa superbe ennemie [Strabon, 4]. Il fallait pourtant que la guerre ne fût pas très sérieuse de la part de Carthage, car Massalie, pendant bien des siècles, resta médiocre et infiniment au-dessous d’elle. De la lutte entre Carthage et Rome data seulement l’essor de sa puissance maritime et de sa prospérité commerciale ; ce fut l’ère véritable de sa grandeur.

Dans cette lutte, qui intéressait tout l’univers civilisé, le rôle de Massalie était marqué d’avance : alliée naturelle de Rome, elle la servit avec chaleur et fidélité[241]. Ce fut elle qui, à l’approche de la seconde guerre punique, avertit le sénat des projets hardis d’Annibal ; elle reçut à différentes fois, dans ses murs; des troupes romaines; elle travailla pour les intérêts de Rome auprès des nations gauloises [part. 1, c. 1]. Par ses soins et à ses frais, la vieille route phénicienne, qui conduisait du pied des Alpes en Espagne, fut restaurée en partie et garnie de bornes milliaires pour les étapes des légions[242]. En outre, elle rendit par mer à cette république des services de tout genre.

Pour appuyer, s’il se pouvait, cette alliance sur une base plus ferme encore que des services présents ; les Massaliotes imaginèrent de la vieillir : ils la reculèrent de quatre siècles, la faisant remonter au berceau de leur ville et presque au berceau de Rome. De là un prétendu voyage du marchand Euxène dans la ville aux sept collines, et un prétendu traité passé entre lui et le roi Tarquin l’ancien[243] ; de là la relation non moins fabuleuse d’un deuil général pris spontanément à Massalie, lors de l’incendie de Rome par les Gaulois, et d’une collecte publique et privée faite aussitôt pour subvenir à la rançon du Capitole [Justin, 43, 5]. Un seul fait avéré indique quelques rapports de bon voisinage entre ces deux villes, antérieurement aux guerres puniques: c’est que le sénat voulant envoyer au temple de Delphes la dîme du butin conquis à Véies, obtint des Massaliotes qui y possédaient un trésor, que son offrande y serait déposée[244]. Au reste Rome ne s’amusa point à contester les prétentions historiques de sa nouvelle alliée; elle avait un besoin trop pressant de ses services. Prenant donc à la lettre leur vieille amitié, elle accorda à ses citoyens une place parmi les sénateurs, dans les fêtes publiques et les représentations théâtrales ; et aussi l’exemption de tout droit de navigation et de commerce dans les ports de la république [Justin, 43, 5].

Les résultats de la seconde guerre punique furent immenses pour la colonie phocéenne. Les établissements carthaginois en Espagne étaient détruits, la Campanie et la Grande-Grèce horriblement saccagées et esclaves, la Sicile épuisée; Massalie hérita du commerce de tout l’occident. Durant et après la troisième guerre punique, elle suivit en Afrique, en Grèce, en Asie, les Romains conquérants. Partout oui l’aigle romaine dirigeait son vol, le lion massaliote accourait partager la proie. La ruine de Carthage, la ruine de Rhodes, l’assujettissement des métropoles marchandes de l’Asie mineure livrèrent à cette ville le monopole de l’orient, comme elle avait celui de l’occident. Un instant, le commerce de l’univers entier fut concentré dans ses murs. Mais toute cette grandeur était factice, toute cette prospérité précaire, Massalie le sentait bien. Afin de se prémunir contre des revers inévitables, elle songea à conquérir pour son compte ; elle voulut devenir puissance territoriale en Gaule, comme la république de Carthage l’avait été en Afrique et en Espagne. La narration suivante exposera par quelles manœuvres Massalie essaya d’atteindre à ce but, et quel en fut le résultat final pour elle et pour la Gaule.

 

 

 



[1] Rhodanus ; Ροδxός. Rhed-an et Rhod-an, eau rapide. Adelung. Mithrid. t. II, p. 68. — Diction. Gaël. et Welsh.

[2] Arar, Araris. On trouve dans Ammien Marcellin (XV, 11) Saucona, d’où vient le nom français actuel. Sogh-an (gaël.) : eau tranquille ; lentus Arar.

[3] Isara. Ò Ϊσαρ. Ptolémée.

[4] Druentia. Ò Δρωέντιας. Strabon. — Ò Δρουέντιος. Ptolémée.

[5] Garumna. Ò Γαρουνάς. Strabon, Ptolémée.

[6] Aurifer Tarnis. Auson. Mosel. descript. v. 465.

[7] Olitis ou Oltis. Sidoine Apollinaire, Paneg. Majorian. v. 209.

[8] Duranius et Doranus. Auson. Mosel. desc. v. 464. — Sidoine Apollinaire, Carm., XXII, v. 103.

[9] Liger ; Ligeris. Ò Αειγηρ. Strabon.

[10] Elaver ; Elaris ; Elauris. Sidoine Apollinaire.

[11] Meduana. Lucain, Pharsale, I, v. 438.

[12] Sequana. Ò Σιxόανος. Strabon, Ptolémée. — Ò Σηxίανος. Étienne de Byzance.

[13] Matrona. César, Bell. Gall. passim.

[14] Isara ; Isura. Itiner. Anton. — Tabul. Peutinger.

[15] Rhenus ; Ρήνος, Strabon.

[16] Venetus et Acronius. Le lac Venetus fut appelé plus tard Brigantinus et Constantiensis ; c’est aujourd’hui le lac de Constance.

[17] Mosella. Tacite, Hist., IV, 71. — Auson. descript. Mosel.

[18] Musa. César passim. — La branche du Rhin qui recevait la Meuse portait le nom de Vahal ou Wal. — Parte quàdam Rheni recepta quæ appellatur Walis. César, IV, 10. — Vahalis, Tacite. — Vechalis, Sidoine Apolinnaire.

[19] Strabon, IV, p. 178. — Pline, III, 4. — Martian. Capell., VI. — Script. rer. Gallic. passim.

[20] Strabon, IV, loc. cit. — Pline, III, ub. sup. — Justin, XLIII, 4.

[21] Helvicum genus. Pline, XIV, 1.

[22] Vitis allobrogica. Pline, ibid., 2.

[23] Sequanum, Viennense, Arvernum (genera). Pline, XIV, 1. — Vitis biturica, Idem, 9. – Cf. 3, 6, 9, 21, 22.

[24] Circius, Favorin. Gallus ap. Aul. Gell., II, 22. — Senèque, Quæst. natur., V, 17. — Pline, II, 47. — Lucan., I, v. 408. — Cercius, Cato. origin., III, ap. Aul. Gell., II, 22. — Kirk (armor.), impétuosité, fougue, et aussi ouragan. (Adelung. Mithrid., t. II, p. 53. — Camden. Britan. p. 19) Ciurrach (gaël.), qui frappe, qui détruit. (Armstr. Gaël, diction.)

[25] Cato. origin., III, ap. Aul. Gell. loc. cit. — Strabon, IV, p. 182. – Diodore de Sicile, V, p. 304. — Pline, II, 47. — Senèque, Quæst. natur., V, 17.

[26] César, bell. Gall. passim. — Diodore de Sicile, V, p. 303 et seq. — Strabon, IV, p. 178. — Aristote, gener. Animal., II, c. 25.

[27] Pline, XVI, 8, 17, 18. — Script. rer. Gallic. passim.

[28] César, bell. Gall., VI, 31. — Pline, XVI, 10.

[29] César, bell. Gall., IV, 2. — Script. rer. Gall. passim.

[30] Posidon. ap. Athen., VI, 4. — Strabon, III, p. 146 ; IV, p. 191. — Diodore de Sicile, V, p. 305. — César, bell. Gall., II et VII.

[31] Strabon, IV, p. 190. — Paulin. ad Auson. epist. III, 5.

[32] Strabon, ub. supr. — Diodore de Sicile, V, p. 305. — L’Adour, Aturis ; Adurus (Auson.) ; Atur (Vib. seq.)

[33] Strabon, V, p. 189. — Pline, IV, 19. — César, bell. Gall., III.

[34] Tarbelli. Leur territoire contenait les Landes, la Terre de Labour et le Béarn.

[35] Bigerriones, Bigerrones. Peuple du Bigorre.

[36] Garumni. Peuple de Valence et de Montréjaut.

[37] Auscii. Αύσxιοί. Peuple d’Auch. Ausk, Osk, Eask paraît être le véritable nom générique de la race dite Ibérienne. Les Basques portent encore dans leur langue celui d’Eusc-aldunac. Vasc, Basq et Gasq ne sont évidemment que des formes aspirées de ce radical.

[38] Plus correctement Eli-berri ou Illi-berri, Ville-Neuve. Cons. M. Guillaume de Humboldt : Pruefung der Untersuchungen neber die Urbewohner Hispanicas.

[39] Paulin., epist. III. — Auson., v. 143. — Sulpic. Sever., Dial., II, 1. —Diodore de Sicile, V, ub. de Iber.

[40] Ammien Marcellin, XV, 12. — Diodore de Sicile, loc. cit.

[41] Callidum genus. Flor., III, 10. — César, bell. Gall., III.

[42] César, bell. Gall., passim. — Bell. civil., I.

[43] César, bell. Gall., III, 22. — Athénée, d’après Nicolas de Damas, leur donne le nom de Silodunes, (VI, 3). — En basque, Zaldi ou Saldi signifie cheval ; Saldi-a, un cheval ; Saldun-a, celui qui a un cheval, cavalier, chevalier, gentilhomme ; plur. saldun-œ. Dans la traduction d’un auteur ancien, le mot, Romains, Quirites, est rendu par Saldinœ.

[44] Boii (V. ci-dessus part. 1, c. 1.), peuple du pays de Buchs.

[45] Burdigala et Burdegala. Τά Βουρδίγxλα, (Strabon, IV, p. 190), aujourd’hui Bordeaux.

[46] Picei Boii. Paul. epist. Auson., III, 5.

[47] Assuetum malo Ligurem. Virgil. Georg., II. — Durum genus. Tite-Live, XXVII. — Strabon, III. – Diodore de Sicile IV, V.

[48] Latrones, insidiosi, mendaces, fallaces. Cato ap. Servium ad XI. Æneid. — Virg., Æneid. loc. cit. — Claudian. idyll. XII, etc.

[49] Apud Strabon, III. — Le même récit se trouve dans Diodore de Sicile, IV.

[50] Strabon, ub. supr. — Diodore de Sicile, IV.

[51] Aristot. ap. Athenæ., XIII, c. 5. — Justin, XLIII, c. 3. — V. Ci-dessus part. I, c. 1.

[52] Plutarque, Virtut. mulier. — Polyæn. VII, 50.

[53] Sordi, Sardi, Sardones. Mela, II, c. 5. — Pline, III, c. 4. — Fest. Avien. ora maritim., v. 552.

[54] On trouve en Afrique quelques lieux de ce nom. Ruscinon était situé à l’endroit où est maintenant la tour de Roussillon, à une demi-lieue de Perpignan.

[55] Étienne Byzanc. — Cf. part. I, c. 1. C’est aujourd’hui la ville de Nîmes, département du Gard.

[56] Strabon, IV, p. 186. — Polybe, III, p. 192. — Polybe, apud Strabon, IV.-Id. apud Athen, VIII, c. 1. — Fest. Avien. ora maritima. v. 586, c. 7.

[57] Seymnus Chius. Orbis descript. v. 198. — Étienne. Byz. — Sil. Ital., II, v. 421 et seq. — Tzetzes. Isac, in Lycophr. Cassandr., v. 516.

[58] Le territoire occupé par les Volkes comprenait le Languedoc actuel, haut et bas.

[59] Mela, II, c. 5. — Fest. Avien. ora marit., l. c.

[60] Polybe, apud Athen., VIII, c. 2. — Strabon, IV, p. 182. — Mela, II, c. 5. — Fest. Avien. ora marit., v. 570 et seq.

[61] Polybe, ap. Athen., VIII, c. 2. — Et alii supr. cit.

[62] Σάλυις, Sallyes, Salvii, Salluvii. DE LIGURIBUS VOCONTIEIS SALLUVIEISQ. Gruter., Inscript. p. 298, c. 3. — Script. rer. Gall., pas.

[63] Arelate, Arelatum, Arelas, dans les poètes. Ar, sur, vers ; lath (gaëlic.), laeth (cymr.) marais. C’est aujourd’hui la ville d’Arles, département des Bouches du Rhône.

[64] Albici. Leur capitale était, suivant Pline, Alebece Rejorum ; c’est aujourd’hui Riez.

[65] Campus lapideus (Mela, II, c. 5.), Campi lapidei (Pline, XXI, c. 10), πεδίον λιθώδες (Strabon, IV, p. 182) ; aujourd’hui la Crau. Craig (Gaël.) Carreg (Kymr.), pierre, rocher. Crau, en patois savoyard, a encore aujourd’hui la même signification.

[66] Cent stades, Strabon, IV, p. 182. Les stades dont il est ici question sont des stades grecs, dits olympiques, dont huit étaient compris dans un mille romain et six cents dans un degré. Il en faut dix pour un mille géographique, et trente pour une lieue de vingt au degré. Cons. les savantes notes de M. Letronne sur Rollin. Hist. ancienne., t. I, p. 185.

[67] De Ligruibus Vocontieis. Grut. Inscr. p. 298, n. 3. — Leur territoire comprenait une partie du Dauphiné, du Venaissin et de la Provence.

[68] Segalonii (Ptolémée), Segovellauni (Pline). L’île comprend aujourd’hui le département de l’Isère avec une partie de celui de la Drôme et une petite portion de la Savoie.

[69] Peuple du Tricastin, partie du Bas-Dauphiné.

[70] Cavari et Cavates. Pline.

[71] Albainn (gaël), Avon (cymr.) eau. Cette ville devait son nom à la fontaine de Vaucluse ou à sa position sur le Rhône. C’est aujourd’hui Avignon, chef-lieu du département de Vaucluse. — Cabellio, Cabalion. Strabon, IV. Aujourd’hui Cavaillon.

[72] Arverni, Arvernia, Alvernia, Auvergne. Ar, al, hauts ; verann (fearann), contrée.

[73] César, Bell. Gall., VII. — Gergovia, Γιργοουΐα. Strabon, IV. — Cette ville était située une lieue de l’emplacement actuel de Clermont, sur une colline qui porte encore le nom de mont Gergoie ou Gegoviat.

[74] Peuple du Vivarais.

[75] Peuple du Puy en Vélay.

[76] Peuple du Quercy.

[77] Peuple de l’Agénois.

[78] Partie de l’ancien duché de Bourgogne ; Nivernais, partie du Bourbonnais et du Forez.

[79] Bibracte, aujourd’hui Autun ; Noviodunum, Nevers.

[80] Première partie, c. 1. — Alésia, aujourd’hui Alise.

[81] Il répondait à la Franche-Comté augmentée d’une partie de l’Alsace.

[82] Dubis, Duba, Duhra.

[83] Vesoutio et Visontio. — César, bell. Gall., I, c. 37. — Julian, Imper. epist. XXXVII ad Maxim. Philos. — Aujourd’hui Besançon.

[84] Aujourd’hui les Suisses ; leur territoire était compris entre le Rhin, le Jura et le Rhône.

[85] Gentes Penninæ ; aux environs du grand Saint-Bernard. Penn, tête, pic de montagne.

[86] All-brog (gaël.) hauts-lieux. Leur territoire comprend aujourd’hui la Savoie, une partie du Dauphiné et du canton de Genève. On trouve, dans les anciens, Allobroges et Allobryges. Ammien Marcellin (XV, c. 2) connaissait déjà le nom de Sapaudia (Savoie), que porta plus tard ce pays.

[87] Vienna, Ούϊέννα. — Geneva, Genava. — Cen, pointe ; av, eau (gaël.). Ce mot exprime très bien la situation de cette ville, au sommet d’un angle aigu formé par le Léman.

[88] Petrocorii et Petragori ; ils occupaient tout le pays qui renferma depuis les diocèses de Périgueux et de Sarlat.

[89] Nannetes et Namnitæ (par corruption Samnitæ), Strabon, IV. — Peuple du diocèse de Nantes. — Nant, dans les langues gauloises, signifiait rivière. On retrouve ce radical dans plusieurs noms de peuples ou de lieux ; Nantuates, Nantuacum, etc. Aujourd’hui encore, dans le dialecte savoyard, nant est le nom générique pour désigner les torrens des Alpes.

[90] Andes, Andi, Andegavi, Andicavi ; peuple de l’Anjou. — Lucain, Phars., I, v. 438.

[91] Turones (César, Pline), Turonii (Tacite), Turini (Amm. Marcel.), Turupii et Turpii (Ptolémée). Peuple de la Touraine.

[92] Carnutes (César, Tite-Live), Carnuti (Pline), Carnutæ (Καροΰται) Ptolémée — Peuple du pays Chartrain et de l’Orléanais.

[93] Genabum, Genabos, Cenabum ; aujourd’hui Orléans. Le mot Gen-abum paraît être le même que celui de Gen-ava, et désigner la position de la première de ces villes, à l’angle formé par la Loire.

[94] Peuple du Sénonais. — Cons. sur les Sénons d’Italie la première partie de cet ouvrage, chap. 1, 2 et 3.

[95] Peuple de Langres. — Lucain, Phars., I, v. 398.

[96] Cenomani, Κινομανοί. — Peuple d’une partie du Maine.

[97] Les Cénomans transalpins dont nous parlons n’étaient frères des Cénomans cisalpins que par le sang gallique, car la population des bords de la Sarthe avait été fortement mêlée de Kimris. Ici, comme chez les Carnutes, les vainqueurs avaient adopté le nom de la population subjuguée. Ailleurs, et particulièrement chez les Sénons et les Lingons, le contraire avait eu lieu et les conquérans avaient imposé leur nom au pays.

[98] Aulerci-Eburovices ; Αύίρxιοι-Éδουραϊxοί. Ptolémée. — Peuple d’Évreux.

[99] Peuple de Jubleins, dans le Maine.

[100] Armorici, Aremorici. — Civitates armoricæ, armoricanæ.

[101] Peuple de Corsault, diocèse de Saint-Malo.

[102] Peuple des diocèses de Saint-Paul-de-Léon et de Tréguier.

[103] César, bell. Gall., III, c. 13. — Strabon, IV, p. 195.

[104] V. ci-après le commerce des Massaliotes avec les îles britanniques.

[105] Peuple du duché de Bar, et d’une petite partie de la Champagne et de la Lorraine. — Lucain, Phar., I, v. 424.

[106] Pays Messin, et cantons de Sarguemines, Sarrelouis, Hombourg, Deux-Ponts, Salins et Bitche.

[107] Cal, cala, une baie, un havre. — Habitants du pays de Caux.

[108] Briva, pont. Adelung, Mithridates, t. II, p. 50. — C’est aujourd’hui la ville d’Amiens.

[109] Mor, Mer : Boulonnais.

[110] Ar est l’article, den (cymr.), don (Bas-Bret.), domhainn ( gaël.), profond, épais. En latin, Arduenna (César, bell. Gall., VI) et Arduinna dans deux Inscriptions.

[111] Cobhain (gaëlic), Cowain (cymr.), chariot. Les Romains orthographiaient Covinus et Covinnus. Mela, III, c. 6. — Lucain, Phars., I, v. 426.

[112] Eburones, peuple de Liège. — Nervii, peuple du Hainault et du midi de la Flandre : de petites tribus soumises aux Nerviens occupaient la côte de la Flandre actuelle. — Menapii, peuple de la Gueldre, du duché de Clèves et du Brabant hollandais.

[113] Batavia et Patavia (Tab. Peutinger). Les habitants, Batavi, et Παταοΰοι ( Diod. Cass.). But, Pad, profond. Ar, eau.

[114] Pline, XXVIII, c. 12. — Martial, VIII, ep. 33. — Theod. Priseian, I, c. 3.

[115] Brace, bracea, braga ; Brykan (cymr.) ; Bragu (armor.).

[116] Isidor., Origin., XIX, c. 24. — Sac ( armor.).

[117] Virgile, Æneid., VI. —Sil. Ital., IV, v. 152. – Diodore de Sicile, V, p. 307. — Histor. roman. Script. passim.

[118] Isidor., Origin., XIX, c. 23. — Plaute ap. eumdem. — Læna (Varro., IV). Λαϊνα (Strabon, IV). Lein (gaël.), une casaque de soldat (Armstr. dict.). Len (armor.), une couverture.

[119] Strabon, IV, p. 197 — Diodore de Sicile, V, p. 305. — Sil. Ital., IV, l. v. – Virgile, Æneid., VI, etc.

[120] Diodore de Sicile, V, p. 307. — Sil. Ital., IV, v. 148-150.

[121] Diodore de Sicile, V, p. 307. — Varron, de linguâ latinâ, IV, col. 20.

[122] Cervisia, Pline, XXII, c. 15 : en vieux français Cervoise. Cwrv (cymr.), Cor (corn. ). — Cf. Antholog., I, c. 59, epigr. 5.

[123] Posidon. ap. Athenæum., IV, c. 13.

[124] Athenæ., I, c. 12. — Pinguius. Plin., XIV, c. 6.

[125] Pline, XIV, c. 6. — Biterræ, Beterræ, Bæterræ : Beziers.

[126] Dioscorid., V, c. 43. — Plutarqie, Sympt., VIII, quæst. 9. — Martial, XIII, epigr. 107.

[127] Pline, XIV, c. 6. — Martial, III, ep. 82 ; X, ep. 36 ; XIII, ep. 123 ; XIV, ep. 118.

[128] Strabon, IV, p. 197. —Vitruve, I, c. 1.

[129] Strabon, IV, p. 199. — Sil. Ital., X, v. 77. — Ovide, Metam., I, v. 533. — Martial, III, ep. 47.

[130] Hirtius, bell. Gall., VIII, c. 14. — César, bell. Civil., I, c. 51.

[131] Strabon, IV, p.197-198. — Diodore de Sicile, V, p. 306.

[132] Diodore de Sicile, V, p. 307. — Strabon, IV, p. 198.

[133] Posidon. Apamens., XII, ap. Athen.

[134] Posidon. Apam., XIII, ap. Athen., IV, c. 13.

[135] Ælian, XII, 23 — Aristot. de Morib., III, 10.

[136] Plutarque et Suétone, in Cœsar, passim. — Cicéron, Philipp., XII et passim. — Strabon, IV. — Diodore de Sicile, V. — Josèphe, II, c. 28.

[137] Posidon. ap. Athen., IV, c. 13. — Strabon, IV, p. 191.

[138] Posidon., XXIII, ap. Athen., IV, c. 13.

[139] Julian, epist. XV ad Maxim. philos. — Idem, Orat. II, in Constant. imper.

[140] Anthol., X, c. 43, ep. 1.

[141] Diodore de Sicile, V, p.309. — Idem, V, p. 308. — Athen., XIII, c. 8. —Ammien Marcellin, XV, c. 12.

[142] Diodore de Sicile, V, p. 309. — Strabon, IV, p. 199. — Athenæ, XIII, c. 8.

[143] Clientes ; clientela. César, bell. Gall. passim.

[144] Maxim. Tyr, Serm. XXXVIII. Dans la religion gauloise, comme dans toutes les religions du monde, le fétichisme resta toujours la croyance des classes ignorantes du peuple, aussi voit-on très tard les prêtres et les conciles chrétiens tonner encore contre les adorateurs des pierres et des arbres. Nous reviendrons sur ce sujet dans la suite de cet ouvrage.

[145] Sénèque, Quæstion. natur., V, c. 17.

[146] Posidon. ap. Strabon, IV, p. 188. — Orose, V, c. 16. — Gregoire de Tours, de Glor. confess., c. 5.

[147] Taranis, Lucain, Pharsal., I, v. 446. — Terann (gaël.), Tarana (cym. corn. et arm.) Tonnerre.

[148] Inscript. Grut., p. 94, num. 10.

[149] Ardoinne. Inscript. Gruter., p. 40. num. 9. — In al. Insclript. Deana Arduinna. D. Martin. Diction. topog. V° Arduenna.

[150] Genio Arvernorum. Reines. append. 5.

[151] Deœ Bibracti. in duab. Inscr. Cf. Dom Bouquet, p. 24.

[152] Grut. p. III, num. 12. — Spon., p. 169.

[153] Deœ Aventin et gen. incolar. Grut. p. 110, num. 2.

[154] Belenus. Auson. carm. II, de profess. Burdigal. — Tertullian. Apolog. c. xxiv. — Hérodien rapporte que ce Dieu était adoré à Aquilée. — Inscript. div. Ritter. p. 257.

[155] Hesus. Lucain, Phars. I, v. 445. — Heusus. Lactance, Divin. Inst., I, c. 21. Esus. Inscr. aræ. Paris. — Hu-Cadarn (Hu le Puissant), dans les traditions et poésies du pays de Galles, Archæolog. of Wales. Passim.

[156] Fameux bas-relief trouvé sous l’église de Notre-Date de Paris ce 1730.

[157] Welsh Acheolog. ap Edw. Davies. p. 110.

[158] Teutates. Lucain, Phars., l. c. — Lactance, l. c. — Minuc. Félix. c. 30. — Le nom de Teutatès rappelle le dieu Theut des Phéniciens et d’une grande partie de l’Orient. Si l’on songe que les Phéniciens propageaient volontiers leur religion chez les peuples au milieu desquels ils s’établissaient, et qu’ils introduisirent ainsi le culte de ce même Teutatès en Espagne (Mercurium Teuteten. Tite-Live, XXVI, c. 44) ; si l’on songe en outre qu’ayant commercé les premiers avec les Gaulois encore sauvages, ils ont dû chercher à leur inspirer respect pour les relations commerciales et pour les voyageurs, en répandant le culte d’un dieu qui protégeait les foules et l’industrie ; on sera tenté, peut-être avec quelque raison, d’attribuer au Teutatès gaulois une origine phénicienne.

[159] Strabon, IV, p. 197. — César, Bell. Gall., IV, 14. — Mela, III, 2. — Ammien Marcellin, XV, 9. — Valère Maxime, II.

[160] César, VI, 14. — Diodore de Sicile, V, p. 306. — Valère Maxime, II, 9.

[161] Lucain, Pharsale, I, V. — Mela, III, 2.

[162] César, Bell. Gall., VI, 19. — Mela, III, 2.

[163] Mela, III, 2. — Valère Maxime, II, 9.

[164] César, Bell. Gall., VI, 3. — Mela, III, 2. — Pline, XVI, 44.

[165] Fréret, Œuvres complètes, t. XVIII, p. 226, Edit. in-12, Paris, 1796.

[166] Bas-relief d’Autun. — Montfaucon. Antiquité dévoilée.

[167] Pline, XXIV, c. 2. — On croit que le samolus est la plante aquatique que nous nommons mouron d’eau.

[168] Pline, XVI, c. 44. — M. Decandolle, qui a beaucoup herborisé en France et dans les pays voisins, n’a jamais rencontré le gui de chêne. L’auteur de l’article gui, dans le Dictionnaire des Sciences médicales, énonce l’avoir vu une seule fois. Duhamel le croyait plus commun. (Valmont-Bomare. Dict. hist. nat. t. III)

[169] Un usage général en France dans le moyen âge et pratiqué encore de nos jours dans quelques localités, se rattache, sans le moindre doute, à cette vieille superstition de nos pères. Le premier jour de l’année, des troupes d’enfants parcouraient les rues, en frappant aux portes et en criant au gui l’an né ! ou au gui d’an neuf ! C’était probablement dans cette forme que la récolte du gui était publiée chez les Gaulois ; probablement aussi elle se pratiquait au renouvellement de l’année qui, dans cette hypottèse, aurait eu lieu au sixième jour de la lune de mars.

[170] La croyance aux vertus occultes du gui se conserve en France, pendant le moyen âge, parmi le peuple et même parmi les médecins ; il n’y a pas encore longtemps que l’eau distillée de gui de chêne était fort en crédit dans les pharmacies. Le gui n’est pourtant pas une substance complètement inerte. De célèbres praticiens du dernier siècle, Boerhaave, Van-Swieten et Déheau, assurent l’avoir employé avec succès dans les affections nerveuses ; mais aujourd’hui l’usage en est tout à fait abandonné. L’écorce de ce végétal et ses baies amères et visqueuses possèdent une faculté astringente assez active ; du reste le gui de chêne ne diffère en rien de celui qui pousse sur les autres arbres.

[171] L’ambre est signalé par les prêtres chrétiens comme une substance employée à la magie. S. Elig. de rectit. Cathol. fid. — Voir aussi les poètes gallois passim.

[172] Fréret, Œuvres complètes, tom. XVIII, p. 211.

[173] Galli Senas vocant. Mela, III, c. 5. — On trouve dans les manuscrits, Gallizenas, Gallisenas, Galligenas, Barrigenas et d’autres variantes plus ou moins corrompues. — Sena est aujourd’hui l’île de Sain.

[174] Hic chorus ingens

Feminel cœtûs pulchri colit orgia Bacchi.

Fest. Avien. Orbis peripl. — Dionys. perieg. v. 565 et sqq.

[175] Lucien, Pharsale, I, v. 444 et sqq. ; III, v. 400 et sqq. — Lactance, Divin. Instit., I, 21. — Minuc. Felix, c. 30.

[176] César, Bell. Gall., VI, 17. — Diodore de Sicile, V, p. 305 — Strabon, IV, p. 188.

[177] Ούάτεις. Strabon, V, p. 197. — Eubages, ou plutôt Eubates. Ammien Marcellin, XV, 9. — Dans les traditions galloises, Ovydd, Archœblog. of Wal. passim. — W. Owen, pref. of Llywarç Hen. p. 21 et suiv.

[178] Bardi, Βάρδοι, Bard (gaël.), Bardd (cymr.), Barz (armor.). Bardus gallicè cantor appellatur. Fest., epit. col. 258.

[179] Druides, Δρυϊδαι, Drysidœ : Derwydd, Derwyddon, en langue kimrique. Derw (cymr.), Deru (armor.), Dair (gaël.) : chêne. Diodore de Sicile traduit en grec le mot Druides par Σαρωνίδαι, qui signifie aussi hommes des chênes.

[180] Diodore de Sicile, V, p. 308 — Strabon, IV, p. 197. — Ammien Marcellin, XV, 9.

[181] Strabon, IV, p. 197. — Diodore de Sicile, l. c. — Ammien Marcellin, XV, 9 — Cicéron, de Divinat., I, p. 270.

[182] Strabon, IV, p. 197. — Diodore de Sicile, V, p. 308. — Posidon. ap. Athen., IV, 13. — Lucien, Pharsale, I, v. 449.

[183] Ammien Marcellin, XV, 9. —Diodore de Sicile, V, p. 308. — Lucan, I, v. 447.

[184] Diodore de Sicile V, p. 308. — Strabon, IV, p. 197.

[185] Diodore de Sicile, loc. cit. — Fortunat, VII, carm. 8. — Cruit (gaël.), Crwdd (cymr.). — On appelait rotte, dans le moyen âge, une espèce de vielle dont les ménestrels se servaient.

[186] César, Bell. Gall., VI, 14. — Mela, III, 2.

[187] César, Bell. Gall., VI, 13. — Strabon, IV, p. 197.

[188] Principes, potentiores, nobiles, optimates, equites.

[189] Ver-go-breith (gaël) homme pour le jugement, Vergobretum appellant. César, Bell. Gall., I, 16.

[190] Hérodote, I, 165. — Sur le nom et l’histoire de la colonie d’Alalia, v. Diodore de Sicile, V, 13.

[191] Hérodote, I. — Thucydide, I, 13. — Pausanias, X, 8.

[192] Hérodote, I, 167. — Strabon, VI , p. 252. — Pline, III, 5. — Aul. Gell., X, 16. — Ammien Marcellin, XV, 19. — Scymn. Chius., v. 246. — Solin, c. 2, p. 12.

[193] Fest. Avien, v. 703 et sqq.

[194] Fest. Avien., v. 701. — Eumen. in Constant., c. 19.

[195] Eumen., loc. cit. — César, Bell. Civil., II, c. 1.

[196] César, Bell. Civil., II, c. 1 et sqq. — Strabon, IV, p. 179.

[197] Eumen., paneg. ad Constantin., c. 19. — Strabon, IV, p. 179.

[198] Arist., Massil. resp. ap. Athen., XIII, c. 5.

[199] Ibid., I, 28. — Cicéron était loin de désapprouver cette nullité du peuple dans le gouvernement républicain ; il écrivit et parla toute sa vie dans ce sens ; son idée favorite était la formation d’une aristocratie timocratique du même genre que celle de Massalie. Aussi ne laisse-t-il échapper aucune occasion d’exalter les institutions de cette ville.  Massalie ! s’écrie-t-il dans son plaidoyer pour Flaccus, république admirable, qu’il est plus facile de louer que d’imiter !

[200] Strabon, IV, p. 179. — Valère Maxime, II, c. 6. — Lucian, Toxar. siv. amicit.

[201] Grosson. p. 143 et sqq. — Spon. miscel. erud. ant. p. 350.

[202] Η ΤΕΤΤΑΛΒΩΝ ΦΥΛΗ. Inscript. ap. Spon. miscel., p. 349 — Spanh., de præst. et us. Num., I, p. 574.

[203] Strabon, IV, p. 179. — Valère Maxime, II, c. 6.

[204] Ménandre, Frag. — La même loi était aussi en vigueur dans l’île de Céos, du temps de Valère Maxime (II, 7).

[205] Justin, XLIII, c. 5. — V. ci-dessus, part. 1, chap. 1.

[206] Athen., X, c. 8. — Ælian, Var. hist., II, c. 38.

[207] Plaute, Casin., act. 5, sc. 4.

[208] Athen., XII, c. 5. — Suid., Lexic., t. I, p. 695, 869.

[209] Strabon, IV, p. 179. — Justin, LXIII, c. 5.

[210] Celeberr. inscrip. ap. Spon. misecll. erud. ant. p. 349.

[211] Meursii. fer. Græc. — Mueller, Orchom., p. 166 et sqq. — Doriens, t. I, p. 326 et sqq. — Tzetzes in Chiliad. v, c. 25.

[212] Pline, IV, c. 1. — Justin, XLIII. — Cons. les Inscriptions et les monnaies massaliotes.

[213] Wolf, Proleg. in Homer., p. CLXXV.

[214] La différence avec les calculs modernes n’est que de quarante secondes.

[215] Polybe et Strabon, l. II ; l. IV, p. 190. — Conf. Bougainville, Mém. de l’Académie des Inscript., tom. XIX, p. 146 et suiv. — D’Anville, ibid., tom. XXXVII, p. 436 et suiv. — Murray, Nov. Comm. Societ. Gott., t. VI, p. 59-98. — Mannert, Geog. der Gr. und Rœm., t. I, p. 71 et sqq. — Uckert., Geogr., t. I, p. 112 ; t. II, p. 298 et suiv.

[216] On en compte vulgairement trois : 1° Orbis Periplus (Artemid. ap. Marcian. Heracl. p. 63) ; 2° Terræ Periodus ( Apoll. Rhod., IV, 761) ; 3° De Oceano liber (Gemin in Petav. Uranol., p. 22). Les deux premiers probablement ne font qu’un.

[217] Marcian, Heracl. ap. Uckert. Geog., t. I, p. 235.

[218] Sénèque, N. Q., IV, 2. — Plutarque, de Plac. Philosoph., IV, 1. — On attribue généralement à Euthymènes deux assertions dont les anciens même se sont moqués ; la première que les eaux de l’océan méridional sont douces parce que la proximité du soleil leur donne une espèce de coction ; la seconde, que les inondations périodiques du Nil proviennent des vents étésiens, qui refoulent pendant un certain temps les eaux du fleuve vers sa source, puis, en cessant de souffler, les laissent retomber avec violence. Ces opinions, ridicules en effet, avaient été professées par nombre de philosophes et de physiciens avant Euthymènes qui n’a fait que les répéter. Cf. Uckert., Geogr., II.

[219] Strabon, IV, p. 180. — Polybe, l. III.

[220] Cette absence complète de monnaie d’or est une singularité d’autant plus remarquable, qu’on trouve une mande quantité de pièces massaliotes fourrées-, c’est-à-dire fabriquées en mauvais métal recouvert d’une lame d’or ou d’argent falsification qui prouve du moins l’existence de la monnaie qu’on avait intérêt à falsifier. Quelques savants, il est vrai, attribuent la fraude aux Massaliotes eux-mêmes, et peuvent s’appuyer du mauvais renom qu’avait chez les anciens la monnaie phocéenne ; puisque or de Phocée avait passé en proverbe pour signifier de l’or détestable. Hesych. — Érasme, adag. p. 291. — Cr. Ekhel., Doctr. num., t. I, p. 68 ; t. II, p. 535. — Mionnet. t. I, p. 67, et Suppl. t. I, p. 133. — Pappon, p. 647. — Gross, p. 24-36. — Bouche, p. 79 ; etc.

[221] Seymn., Chi. orb. descript., v. 207. — Pline, III, c. 4. — Étienne de Byzance. — Isidore, orig., XIII, c. 21. — Hiéronyme, Comm. epist. ad Galat., c. 3. — Strabon, III, p. 141 ; XIV, p. 957. — Rhoda, aujourd’hui Roses.

[222] Scymn., Ch. orb. desc., v. 164, 105, 106. — Strabon, III, p. 141 ; XIV, p. 967. — Ptolémée, Géogr.

[223] Grosson, Tab. 9 et 89. — Eckhel P. 1, c. 1, p.70. — Mionnet, t. I, p. 48. — Cf. Creazer, Symbol., p. 1, p. 115-118.

[224] Aujourd’hui Monaco. Strabon, IV, p. 202. — Pline, III, c. 5.

[225] Aujourd’hui Nice. Strabon, IV, p. 184. — Pline, III, c. 5. — Tzschuck, ad Mel., II, 5, 3.

[226] Aujourd’hui Antibes. — Strabon, IV, p. 180-184. – Tzschuck, ad Mel., v. III, p. 2, p. 466. — Ptolémée, II, c. 10.

[227] Pline, III, c. 4. — Cf. Tzschuck, ad Mel., loc. cit.

[228] Aujourd’hui Eaube. — Strabon, IV, p. 180-184. — Scymn., c. 215. — Ptolémée, II, c. 10.

[229] Aujourd’hui le Bras de Saint-Georges et l’Évescat. — Strabon, IV, p. 180-184. — Ptolémée, II, c. 10. — Étienne de Byzance. — César, Bell. Civil., II, c. 4. — Cons. Marin : Mém. sur l’ancienne ville de Tauroentum. Avignon, 1782. — Thibaudeau : Mém. de l’Acad. de Mars, t. III, p. 108 ; et l’excellente Statistique des Bouches-du-Rhône.

[230] Pline, IV, c. 4. — Aujourd’hui Saint-Gilles : Hist. gén. du Languedoc, v. I, p. 4.

[231] Strabon, IV, p. 180-182. — Tzschuck, ad Mel., II, 5, 6, p. 487. — Scymn., c. 207. — Étienne de Byzance. — Aujourd’hui Agde.

[232] Strabon, III, p. 159-160. — Tite-Live, XXVII, c. 42 ; XXI, c. 60 ; XXXIV, c. 8. — Aujourd’hui Ampurias.

[233] Étienne de Byzance. — Ptolémée, II, 6. — Alone. Mel., II, c. 6. — On ignore la position de cette ville.

[234] Aujourd’hui Dénia. — Strabon, III, p. 159. — Cicéron, Verr., 1, 2, 3.

[235] Στοϊχις, ordre, rangée. Les anciens en comptaient cinq, trois grandes et deux petites. Les grandes se nommaient Prote (aujourd’hui Porquerolles), Mese (plus lard Pomponiana et aujourd’hui Portecroz), et Hypœa (aujourd’hui l’île du Levant). Strabon, IV, p. 184. — Scholiast. Apollon, IV, 553. — Pline, III, c. 5. — Mel., II, c. 7.

[236] Artemidor. Geogr., l. I, ap. Étienne de Byzance.

[237] Strabon, IV, p. 184. Aux possessions maritimes ou continentales des Massaliotes, il faut joindre encore les suivantes dont l’importance était moindre et dont la position n’est pas bien certaine : Abarnus (Ét. Byz.) ; Trœzene (Ét. Byz. - Eustath. II, 2, v. 566) aujourd’hui Tretz ; Cyrène (Ét. Byz.) peut-être aujourd’hui Courens ou Correns ; Citharista (Pline, III, c. 5 ; Ptolémée, II, 10) aujourd’hui la Ciotat : en Espagne, Mœnace ; et quelques îles sur les côtes gauloise et italienne. Cons. la Statistique des Bouches-du-Rhône déjà citée.

[238] César, Bell. Gall., III, c. 8. — Strabon, IV, p. 194. — Diodore de Sicile, V, p. 302-314.

[239] Claudian, epigr. de Mulabus Gallicis.

[240] Justin, XLIII, c. 6. — Cf. Strabon, IV, p. 180.

[241] Strabon, IV, p. 180. — Polybe, III, p. 246. — Cicéron, Philip., VIII , c. 6, etc.

[242] Polybe, III, p. 292. — V. part. 1, c. 1.

[243] Justin, XLIII, c. 3. — Trogus-Pompeius, dont Justin n’a fait qu’abréger l’ouvrage, était, comme on sait, originaire du pays des Voconces ; il avait recueilli les traditions massaliotes, et écrit d’après elles la partie de son histoire relative à la Gaule.

[244] Tite-Live, V, c. 25. — Diodore de Sicile, XIV, c. 93.