HISTOIRE DES GAULOIS

Première partie

CHAPITRE II.

 

 

AU moment où les émigrants gaulois franchirent les Alpes, la haute Italie présentait le spectacle d’une civilisation florissante. L’industrie étrusque avait construit des villes, défriché les campagnes, creusé des ports et de nombreux canaux, rendu le Pô navigable dans la presque totalité de son cours[1] ; et la place maritime d’Adria, par son importance commerciale, avait mérité de donner son nom au golfe qui en baignait les murs[2]. Toute cette prospérité, toute cette civilisation eurent bientôt disparu. Les champs abandonnés se recouvrirent de forêts ou de pâturages ; et des chaumières gauloises [Polybe, II — Strabon, V] s’élevèrent de nouveau sur l’emplacement de ces grandes cités qui avaient succédé elles-mêmes à des chaumières et à des bourgades gauloises.

Cependant elles ne périrent pas toutes : par un concours de circonstances aujourd’hui inconnues, cinq restèrent debout : deux dans la Transpadane et trois dans la partie de l’Ombrie dont les Sénons s’étaient emparés. Les premières furent, Mantua[3] (Mantoue), défendue par le Mincio, qui formait autour d’elle un lac profond, et Melpum, place de guerre et de commerce, l’une des plus riches de la Nouvelle Étrurie [Pline, III, 17], et jadis le boulevard du pays contre les incursions des Isombres ; les secondes, Ravenne, bâtie en bois, au milieu des marécages de l’Adriatique [Strabon, V], Butrium, dépendance de Ravenne [Strabon, C — Pline, III, 15] et Ariminum [Rimini — Strabon, C]. A quelque motif que ces villes dussent d’avoir été épargnées, leur existence, on le sent bien, était très incertaine et très précaire ; Melpum en présenta un exemple terrible ; pour avoir mécontenté ses nouveaux maîtres, il se vit assailli à l’improviste, pillé et détruit de fond en comble [Pline, III, 17].

Mais les villes qui furent assez prudentes ou assez heureuses pour éviter un sort pareil n’eurent dans la suite qu’à se féliciter de leur situation. Placées au sein d’une population qui n’avait pour le commerce ni goût ni habileté, et qui d’ailleurs manquait de marine, elles exploitèrent sans concurrence toute la Circumpadane ; formant de grands entrepôts d’où les Gaulois tiraient les marchandises grecques et italiennes, où ils portaient les produits de leurs champs et le butin amassé dans leurs courses. C’étaient de petits états indépendants, tributaires, selon toute apparence, des nations cisalpines, qui les laissaient subsister. On les vit toujours garder entre ces nations et le reste de l’Italie une neutralité rigoureuse ; les noms de Ravenne, d’Ariminum, de Mantoue, ne sont pas même mentionnés dans la longue série des guerres que les peuples gaulois et italiens se livrèrent pendant trois siècles dans toutes les parties de la péninsule.

A part ces points isolés où la civilisation s’était en quelque sorte retranchée, le pays ne présenta plus que l’aspect de la barbarie. Voici le tableau qu’un historien nous trace des peuplades cisalpines à cette époque : Elles habitaient des bourgs sans murailles ; manquant de meubles ; dormant sur l’herbe ou sur la paille ; ne se nourrissant que de viande ; ne s’occupant que de la guerre et d’un peu de culture : là se bornaient leur science et leur industrie. L’or et les troupeaux constituaient à leurs yeux toute la richesse, parce que ce sont des biens qu’on peut transporter avec soi, à tout événement [Polybe, II]. Chaque printemps, des bandes d’aventuriers partaient de ces villages, pour aller piller quelque ville opulente de l’Étrurie, de la Campanie, de la Grande-Grèce ; l’hiver les ramenait dans leurs foyers, où elles déposaient en commun le butin conquis durant l’expédition : c’était là le trésor public de la cité.

La Grande-Grèce fut d’abord le but privilégié de ces courses. La cupidité des Gaulois trouvait un appât inépuisable, et leur audace une proie facile dans ces républiques si fameuses par leur luxe et leur mollesse, Sibaris, Tarente, Crotone, Locres, Métaponte. Aussi toute cette côte fut horriblement saccagée. A Caulon on vit la population, fatiguée de tant de ravages, s’embarquer tout entière, et se réfugier en Sicile. Dans ces expéditions éloignées de leur pays, les Cisalpins longeaient ordinairement la mer supérieure jusqu’à l’extrémité de la péninsule, évitant avec le plus grand soin le voisinage des montagnards de l’Apennin, mais surtout les approches du Latium, petit canton peuplé de nations belliqueuses et pauvres, parmi lesquelles les Romains tenaient alors le premier rang.

Rome comptait trois cent soixante ans d’existence. Après avoir obéi longtemps à des rois, elle s’était organisée en république aristocratique, sous une classe de nobles ou patriciens, qui réunissaient le triple caractère de chefs militaires, de magistrats civils et de pontifes. Depuis sa fondation, Rome suivait, à l’égard de ses voisins, un système régulier de conquêtes ; la guerre, dans le but d’accroître son territoire, était pour elle ce qu’était pour les nations gauloises la guerre d’aventures et de pillage. Déjà, contraints par ses armes, les autres peuples au Latium avaient reconnu sa suprématie ; et, sous le nom d’alliés, elle les tenait dans une sujétion tellement étroite, qu’ils ne pouvaient ni faire ni rompre la guerre ou la paix sans son assentiment. Maîtresse de la rive gauche du Tibre, elle aspirait à s’étendre également sur la rive droite ; Véies et Faléries, deux des plus puissantes cités de l’Étrurie méridionale, venaient de tomber entre ses mains, lorsque le hasard la mit en contact avec les Gaulois cisalpins.

Malgré leurs continuelles expéditions [391 av. J.-C.] dans les trois quarts de l’Italie et la mortalité qui devait en être la suite, les Cisalpins croissaient rapidement en population ; et bientôt, se trouvant trop à l’étroit sur leur territoire, ils songèrent à en reculer les limites. Pour cela, ils choisirent l’Étrurie septentrionale dont ils n’étaient séparés que par l’Apennin. Trente mille guerriers Sénons [Diodore de Sicile, XIV] passèrent subitement ces montagnes et vinrent proposer aux Étrusques un partage fraternel de leurs terres. Ils s’adressèrent d’abord aux habitants de Clusium, qui, pour toute réponse, prirent les armes et fermèrent les portes de leur ville ; les Gaulois y mirent le siège.

Clusium, situé à l’extrémité des marais qui partent son nom, occupait dans la confédération étrusque un rang distingué ; mais cette confédération, harcelée au nord par les Gaulois, au midi par les Romains, n’était plus en état de protéger ses membres ; elle avait même déclaré dans une assemblée solennelle que chaque cité serait laissée désormais à ses propres ressources ; tant il serait imprudent, disait-on, que l’Étrurie s’engageât dans des querelles générales, ayant à sa porte cette race gauloise avec laquelle il n’existait ni guerre déclarée, ni paix assurée ![4]

En ce pressant danger, les Clusins implorèrent l’assistance de Rome, dont ils n’étaient éloignés que de trois journées de marche. Durant la guerre où les Véiens succombèrent contre les armes romaines, les Clusins, sollicités par leurs frères de Véies, avaient refusé de se joindre à eux ; ils firent valoir cette circonstance dans le message qu’ils envoyèrent au sénat romain[5] : Si nous ne sommes pas vos alliés, lui écrivirent-ils, vous le voyez, nous ne sommes pas non plus vos ennemis. Quelque faible, quelque honteux même que fût le service allégué, Rome, toujours empressée de mettre un pied dans les affaires de ses voisins, accueillit la demande ; mais avant de fournir des secours effectifs, elle envoya sur les lieux des ambassadeurs [-391] chargés d’examiner les causes de la guerre, et d’aviser, s’il se pouvait à un accommodement. Cette mission fut confiée à trois jeunes patriciens de l’antique et célèbre famille des Fabius.

Le caractère hautain et violent des Fabius convenait mal à une mission de paix[6] ; néanmoins l’ouverture de la conférence fut assez calme. Le chef suprême des Sénons, qui portait en langue kimrique le titre de Brenn[7], exposa que, mécontents de leurs terres, ses compatriotes et lui venaient en chercher d’autres dans l’Étrurie ; voyant les Clusins possesseurs de plus de pays qu’ils n’en pouvaient cultiver, les Gaulois en avaient réclamé une partie, que, sur le refus des Clusins, ils enlevaient à main armée ; l’abandon de ces terres était, disait-il, l’unique condition de la paix, comme le seul motif de la guerre[8]. Il ajouta : Les Romains nous sont peu connus ; mais nous les croyons un peuple brave, puisque les Étrusques se sont mis sous leur protection. Restez donc ici spectateurs de notre querelle ; nous la viderons en votre présence, afin que vous puissiez redire chez vous combien les Gaulois l’emportent en vaillance sur le reste des hommes[9]. A ces paroles les envoyés eurent peine à réprimer leur colère. Quel est ce droit que vous vous arrogez sur les terres d’autrui ? s’écria l’aîné des trois frères, Q. Ambustus ; que signifient ces menaces ? qu’avez-vous à faire avec l’Étrurie ?[10]Ce droit, reprit en riant le Brenn sénonais [Plutarque, Camille], est celui-là même que vous faites valoir, vous autres Romains, sur les peuples qui vous avoisinent, quand vous les réduisez en esclavage, quand vous pillez leurs biens, quand vous détruisez leurs villes [Plutarque, Camille, V] ; c’est le droit du plus fort. Nous le portons à la pointe de nos épées ; tout appartient aux hommes de cœur[11].

Les Fabius dissimulèrent leur ressentiment, et sous prétexte de vouloir, en qualité de médiateurs, conférer avec les Clusins, ils demandèrent à entrer dans la place. Ils y trouvèrent les esprits inclinés à la paix. Les assiégés avaient tenu conseil ; pressés d’en finir à tout prix, ils avaient résolu de proposer aux Gaulois la cession de quelques-unes de leurs terres, si l’intervention des ambassadeurs romains restait sans effet[12]. Mais les Fabius combattirent vivement ces dispositions ; ils exhortèrent les Clusins à persévérer, et, dans la colère qui les transportait, oubliant le caractère pacifique de leur mission, eux-mêmes s’offrirent à diriger une sortie sur le camp ennemi.

Les assiégés n’eurent garde de rejeter une telle proposition ; ils sentaient que Rome, compromise par une si criante violation du droit des gens, se verrait forcée, quoi qu’elle en eût, d’agir plus efficacement comme alliée, et peut-être d’adopter cette guerre pour son propre compte. Conduits par les trois Fabius[13], ils attaquèrent un parti gaulois qui traversait la plaine en désordre sur la foi des préliminaires de paix. Comme la mêlée commençait, Q. Ambustus poussa son cheval contre un chef Sénon d’une haute stature, que l’ardeur de combattre avait porté en avant des premiers rangs, le perça de sa javeline, et, suivant l’usage de sa nation, mit aussitôt pied à terre pour le dépouiller. La course rapide du Romain et l’éclat de ses armes ne permirent pas aux Gaulois de le distinguer d’abord [Plutarque, Camille] ; mais sitôt qu’il fut reconnu, ce cri, l’ambassadeur romain ! circula de bouche en bouche dans les rangs[14]. Le Brenn fit cesser le combat, disant qu’il n’en voulait plus aux Clusins ; que tout le ressentiment des Sénons devait se tourner contre les Romains, violateurs, du droit des gens ; et sans délai il rassembla les chefs de son armée pour en conférer avec eux.

Les voix furent partagées dans le conseil sénonais. Les plus jeunes et les plus fougueux voulaient marcher sur Rome, sans retard, à grandes journées[15] ; ceux à qui l’âge et l’expérience donnaient plus d’autorité firent sentir quelle imprudence il y aurait à s’engager avec si peu de forces dans un pays inconnu, ayant en face de soi le peuple le plus belliqueux de l’Italie, et derrière l’Étrurie en armes. Ils insistèrent pour qu’on fît venir avant tout des recrues de la Circumpadane. Les chefs gaulois se rangèrent à cet avis ; voulant même donner à leur cause toutes les apparences de la justice, ils arrêtèrent qu’une députation serait d’abord envoyée à Rome pour dénoncer le crime des Fabius, et demander que les coupables leur fussent livrés. On choisit pour cette mission plusieurs chefs dont la taille extraordinaire pouvait imposer aux Romains [Appien, ap. Fulv. Ursin]. D’autres émissaires se rendirent chez les Sénons et chez les Boïes [Diodore de Sicile, XIV], et l’armée gauloise se tint renfermée dans son camp, sans inquiéter davantage Clusium.

La vue de ces étrangers et la menace d’une guerre inattendue jetèrent la surprise dans Rome. Le sénat convint des torts de ses ambassadeurs ; il offrit aux Gaulois, en réparation, de fortes sommes d’argent [Diodore de Sicile, XIV], les pressant de renoncer à leur poursuite. Ceux-ci persistèrent. La condamnation des coupables fut alors mise en délibération ; mais la famille Fabia était puissante par ses clients, par ses richesses, et par les magistratures qu’elle occupait. L’assemblée aristocratique craignit de prendre sur elle l’odieux d’une telle condamnation aux yeux des patriciens ; elle ne redoutait pas moins que, dans le cas où elle absoudrait les accusés, le peuple ne la rendît responsable des suites de la guerre[16]. Pour sortir d’embarras, elle renvoya le jugement à la décision de l’assemblée plébéienne.

Le crime des Fabius, d’après la loi romaine, n’était pas seulement un crime politique ; c’était aussi un attentat religieux. Nulle guerre, chez les Romains, ne commençait sans l’intervention des féciales ou féciaux, sorte de prêtres-hérauts, qui, la tête couronnée de verveine, d’après un cérémonial consacré, lançaient sur le sol ennemi une javeline ensanglantée ; tel était le préliminaire obligé des hostilités. La corporation des féciaux, intéressée au maintien de ses privilèges, se chargea de poursuivre devant le peuple l’accusation capitale contre Q. Fabius et ses frères. Ces prêtres parlèrent avec chaleur de la religion violée et de la justice divine et humaine qui réclamait les coupables. Ne vous faites pas leurs complices, disaient-ils au peuple ; ils ont attiré sur nous une guerre inique ; que leur tête soit livrée en expiation, si vous n’aimez mieux que l’expiation retombe sur la vôtre ! [Plutarque, Camille] L’assemblée, gagnée par les largesses de la famille Fabia, et d’ailleurs composée en grande partie de ses clients, traita avec le dernier mépris les accusateurs et l’accusation [Plutarque, Camille, Ubi suprà]. Les trois jeunes gens furent absous. Bien plus, comme l’époque du renouvellement des grandes magistratures était arrivé, ils furent nommés à la plus haute charge de la république, celle de tribuns militaires avec puissance consulaire[17], et reçurent le commandement de la guerre qu’ils avaient si follement et si injustement provoquée. Les ambassadeurs gaulois sortirent de Rome plus irrités qu’ils n’y étaient entrés.

A leur départ, la ville fat pleine d’agitation. Un des tribuns consulaires prononça les paroles qui appelaient aux armes tous les citoyens en masse : Quiconque veut le salut de la république me suive ![18] C’était la formule usitée dans les cas de guerres soudaines et dangereuses, de tumulte[19], suivant l’expression latine. Aussitôt deux pavillons furent arborés à la citadelle pour convoquer le peuple de la ville ; l’un bleu, autour duquel les cavaliers se réunirent : l’autre rouge, qui servit de signe de ralliement aux fantassins[20], et des commissaires parcoururent la banlieue de Rome, enrôlant le peuple de la campagne. Seize mille hommes furent pris sur ces milices levées à la hâte ; on y joignit vingt-quatre mille soldats de vieilles troupes, et l’on pressa les préparatifs du départ.

Le récit des événements qui s’étaient passés à Rome sous les yeux même des ambassadeurs porta au plus haut degré l’irritation des Gaulois. Quoiqu’ils n’eussent encore reçu que dix mille hommes des renforts qu’ils attendaient des bords du Pô, ils se mirent en marche à l’instant même, sans désordre cependant, et sans commettre de dévastations sur leur route. Tout fuyait devant eux. Les habitants des bourgades et des villages désertaient à leur approche, et les villes fermaient leurs portes ; mais les Gaulois s’efforçaient de rassurer les esprits. Passaient-ils près des murailles d’une ville, on les entendait proclamer à grands cris qu’ils allaient à Rome, qu’ils n’en voulaient qu’aux seuls Romains, et regardaient tous les autres peuples comme des amis[21]. Ils traversèrent le Tibre, et, côtoyant sa rive gauche, ils descendirent jusqu’au lieu où la petite rivière d’Allia, sortie des monts Crustumins, se resserre, et se perd avec impétuosité dans le fleuve. C’est là, à une demi-journée de Rome, qu’ils virent l’ennemi s’approcher. Sans lui laisser le temps de choisir et de fortifier un camp, sans lui permettre d’accomplir certaines cérémonies religieuses qui, chez lui, devaient précéder indispensablement les grandes batailles [Tite-Live, V, 38 – Plutarque, Camille], ils entonnèrent le chant de guerre, et appelèrent les Romains au combat par des hurlements que l’écho des montagnes rendait encore plus effroyables[22].

De l’autre côté de l’Allia s’étendait une vaste plaine bornée à l’occident par le Tibre, à l’orient par des collines assez éloignées ; les Romains s’y rangèrent en bataille. Leur droite s’appuya sur les collines, leur gauche sur le fleuve ; mais la distance d’une aile à l’autre étant trop grande pour que la ligne fût partout également garnie, le centre manqua de profondeur et de force. Outre cela, comme ils tenaient à la possession de ces hauteurs, qui les empêchaient d’être débordés, ils y placèrent toute leur réserve, composée de vétérans d’élite appelés subsidiarii, parce qu’ils attendaient le moment de donner, un genou en terre, sous le couvert de leur bouclier[23].

Ainsi que les tribuns militaires l’avaient prévu, le combat s’engagea par la gauche des Gaulois [390 av. J.-C.]. Le Brenn en personne entreprit de débusquer l’ennemi des monticules ; il fut reçu vigoureusement par la réserve romaine soutenue de l’aile droite. L’engagement fut vif, et se prolongea avec égalité de succès de part et d’autre. Mais, lorsque le centre de l’armée gauloise s’ébranla, et marcha sur le centre ennemi, avec la fougue ordinaire à cette nation, les cris et le bruit des armes frappées sur les boucliers, les Romains, sans attendre le choc, se débandèrent, entraînant dans leur mouvement l’aile gauche qui bordait le Tibre. Ce fut dès lors une véritable boucherie. Les fuyards pressés entre les Gaulois et le fleuve furent, pour la plupart, massacrés sur la rive même. Un grand nombre, en voulant traverser le fleuve, qui dans ce lieu n’était pas guéable, se noyèrent, ou percés par les traits de l’ennemi, ou emportés parle courant [Diodore de Sicile, XIV – Tite-Live, V, 38]. Ceux qui parvinrent à gagner le bord opposé, oubliant dans leur frayeur et famille et patrie, coururent se renfermer à Véies, que la république avait fait récemment fortifier [Plutarque, Camille]. Quant aux troupes de l’aile droite, leur résistance était désormais inutile ; elles battirent en retraite le plus vite qui elles purent. Comme elles se croyaient l’ennemi à dos, elles traversèrent, sans s’arrêter, la ville d’une extrémité à l’autre, et se réfugièrent dans la citadelle, publiant pour tout détail que l’armée était anéantie et les Gaulois aux portes de Rome[24]. Cette bataille mémorable fut livrée le 16 du mois de juillet[25].

Il n’y avait que douze milles du champ de bataille d’Allia à Rome, et si les Gaulois avaient marché au même instant sur la ville, c’en était fait de la république et du nom romain [Plutarque, Camille]. Mais, dans la double joie et d’un grand butin et d’une grande victoire gagnée sans peine, les vainqueurs se livrèrent à la débauche. Ils passèrent le reste du jour, la nuit et une partie du lendemain à piller les bagages des Romains, à boire, et à couper les têtes des morts [Diodore de Sicile, XIV] qu’ils plantaient en guise de trophées au bout de leurs piques, ou qu’ils suspendaient par la chevelure au poitrail de leurs chevaux.

Après s’être partagé ce qu’il y avait de plus précieux dans le butin, ils entassèrent le reste et y mirent le feu. Le jour suivant, un peu avant le coucher du soleil, ils arrivèrent au confluent du Tibre et de l’Anio. Là, ils furent informés par leurs éclaireurs que les Romains ne faisaient paraître aucun signe extérieur de défense ; que les portes de la ville restaient ouvertes ; que nul drapeau, nul soldat armé ne se montraient sur les murailles[26]. Ce rapport les inquiéta. Ils craignirent qu’une tranquillité aussi inexplicable ne cachât quelque stratagème; et, remettant l’attaque au lendemain, ils dressèrent leurs tentes au pied du mont sacré.

L’événement d’Allia avait frappé les Romains de la plus accablante consternation : un abattement stupide régna d’abord dans la ville ; le sénat ne s’assemblait point ; aucun citoyen ne s’armait ; aucun chef ne commandait ; on ne songeait même pas à fermer les portes. Bientôt, et d’un soudain élan, on passa de cet extrême accablement à des résolutions d’une énergie extrême ; on décréta que le sénat se retirerait dans la citadelle avec mille des hommes en état de combattre[27], et que le reste de la population irait demander un refuge aux peuples voisins. On travailla donc avec activité à approvisionner la citadelle d’armes et de vivres ; on y transporta l’or et l’argent des temples ; chaque famille y mit en dépôt ce qu’elle possédait de plus précieux [Diodore de Sicile, XIV] ; et les chemins commencèrent à se couvrir d’une multitude de femmes, d’enfants, de vieillards fugitifs. Cependant la ville ne demeura pas entièrement déserte. Plusieurs citoyens que retenaient l’âge et les infirmités, ou le manque absolu de ressources, ou le désespoir et la honte d’aller traîner à l’étranger le spectacle de leur misère, résolurent d’attendre une prompte mort au foyer domestique, au sein de leurs familles, qui refusaient de les abandonner. Ceux d’entre eux qui avaient rempli des charges publiques se parèrent des insignes de leur rang, et, comme dans les occasions solennelles, se placèrent sur leurs sièges ornés d’ivoire, un bâton d’ivoire à la main. Telle était la situation intérieure de Rome, lorsque les éclaireurs gaulois s’avancèrent jusque sous les murs de la ville, le soir du jour qui suivit la bataille. A la vue de cette cavalerie, les Romains crurent l’heure fatale arrivée, et se renfermèrent précipitamment dans leurs maisons. Le jour continuant à baisser, ils pensèrent que l’ennemi ne différait que pour profiter de la lumière douteuse du crépuscule, et l’attente redoublait la frayeur; mais la frayeur fut à son comble quand on vit la nuit s’avancer. Ils ont attendu les ténèbres, se disait-on, afin d’ajouter à la destruction toutes les horreurs d’un sac nocturne[28]. La nuit s’écoula dans ces angoisses. Au lever de l’aurore, on entendit le bruit des bataillons qui entraient par la porte Colline.

Le même soupçon qui avait fait hésiter les Gaulois aux portes de Rome, les accompagna à travers les rues et les carrefours déserts. Ils s’avancèrent avec précaution jusqu’à la grande place appelée forum magnum, et située au pied du mont Capitolin. Là, ils purent apercevoir la citadelle qui couronnait ce petit mont, et les hommes armés dont ses créneaux étaient garnis ; c’étaient les premiers qui se fussent montrés à eux depuis la journée d’Allia. Tandis que le gros de l’armée faisait halte sur ce vaste forum, quelques détachements se répandirent par les rues adjacentes pour piller ; mais, trouvant toutes les maisons du peuple fermées, ils n’osèrent les forcer ; et, bientôt effrayés du silence et de la solitude qui les environnaient, craignant d’être surpris et enveloppés à l’improviste, ils se concentrèrent de nouveau dans la place, sans oser s’en écarter davantage[29].

Cependant quelques soldats remarquèrent des maisons plus apparentes que les autres, dont les portes n’étaient point fermées[30], ils se hasardèrent à y pénétrer. Ils trouvèrent dans le vestibule intérieur des vieillards assis, qui ne se levaient point à leur approche, qui ne changeaient point de visage, mais qui demeuraient appuyés sur leurs bâtons, l’œil calme et immobile. Un tel spectacle surprit les Gaulois ; incertains s’ils voyaient des hommes ou des statues, ou des êtres surnaturels, ils s’arrêtèrent quelque temps à les regarder[31]. L’un d’eux enfin, plus hardi et plus curieux, s’approcha d’un de ces vieillards qui portait, suivant les usages romains, une barbe longue et épaisse, et la lui caressa doucement avec la main ; mais le vieillard levant son bâton d’ivoire en frappa si rudement le soldat à la tête qu’il lui fit une blessure dangereuse [Plutarque, Camille] ; celui-ci irrité le tua ; ce fut le signal d’un massacre général. Tout ce qui tomba vivant au pouvoir des Gaulois périt par le fer ; les maisons furent pillées et incendiées.

La citadelle de Rome, appelée aussi Capitolium, le Capitole, parce qu’on avait, dit-on, trouvé une tête d’homme en creusant ses fondations, était un édifice de forme carrée, de deux cents pieds environ sur chaque face, dominant la ville. Déjà suffisamment forte par sa position au-dessus d’un rocher inaccessible de trois côtés, de hautes et épaisses murailles la défendaient en outre du côté où le rocher était abordable. Le Capitole communiquait alors au grand forum par une montée faite de main d’homme, et encore très escarpée, que remplaça plus tard un escalier de cent marches[32].

Dans une position si favorable, une garnison tant soit peu nombreuse devait ne céder qu’à la famine ; aussi les assiégés reçurent-ils avec mépris la sommation de se rendre. Le Brenn alors tenta d’emporter la place de vive force. Un matin, à la pointe du jour, il range ses troupes sur le forum[33], et commence à gravir avec elles la montée qui conduisait au Capitole. Jusqu’à la moitié du chemin, les Gaulois s’avancèrent sans trouver d’obstacles, poussant de grands cris, et joignant leurs boucliers au-dessus de leurs têtes, par cette manoeuvre, que les anciens désignaient sous le nom de tortue[34]. Les assiégés, se fiant à la rapidité de la pente, les laissaient approcher pour les fatiguer ; bientôt ils les chargèrent avec furie ; les culbutèrent, et en firent un tel carnage que le Brenn n’osa pas livrer un second assaut, et se contenta d’établir autour de la montagne une ligne de blocus[35].

Tandis que les deux partis, dans l’inaction, s’observaient mutuellement, les Gaulois virent un jour descendre à pas lents du Capitole un jeune Romain vêtu à la manière des prêtres de sa nation, et portant dans ses mains des objets consacrés[36]. Il pénètre dans leur camp ; et, sans paraître ému ni de leurs cris, ni de leurs gestes, il le traverse tout entier ainsi que les ruines amoncelées de la ville jusqu’au mont Quirinal. Là il s’arrête, accomplit certaines cérémonies religieuses particulières à la famille Fabia, dont il était membre[37], et retourne par le même chemin au Capitole avec la même gravité, la même impassibilité, le même silence. Chaque fois les Gaulois le laissèrent passer sans lui faire le moindre mal, soit qu’ils respectassent son courage, soit que la singularité du costume, de la démarche et de l’action les eut frappés d’une de ces frayeurs superstitieuses auxquelles nous les verrons plus d’une fois s’abandonner[38].

Le siège commençait à peine, et déjà la disette tourmentait les assiégeants. Dans leur avidité imprévoyante, ils avaient dissipé en peu de jours les subsistances que les flammes avaient épargnées, et se voyaient réduits à vivre du pillage des campagnes, ressource faible et précaire pour une multitude indisciplinée, et dont le nombre s’augmentait de moments en moments ; car les recrues de la Gaule cisalpine arrivaient successivement, et bientôt l’armée du Brenn ne compta pas moins de soixante-dix mille hommes [Diodore de Sicile, XIV]. Des divisions de cavaliers et de fantassins allaient donc battre la plaine de tous côtés et à de grandes distances de Rome[39] ; ils s’avancèrent jusqu’aux portes d’Ardée, antique ville des Rutules, peu éloignée de la mer inférieure.

Dans Ardée vivait un patricien romain, M. Furius Camillus, qui, après avoir rendu à la république d’éminents services à la tête des armées, s’était attiré la haine des citoyens par la dureté de son commandement, son arrogance et son faste aristocratique, et par l’impopularité obstinée de sa conduite. Appelé en jugement devant le peuple comme prévenu de concussion, Marcus Furius pour échapper à une condamnation déshonorante s’était exilé volontairement, et depuis une année il demeurait parmi les Ardéates [Tite-Live, V]. Tout aigri qu’il était contre ceux à l’injustice desquels il attribuait sa disgrâce, les malheurs et l’humiliation de Rome l’affligèrent vivement ; et quand il vit ces Gaulois destructeurs de sa patrie venir piller impunément jusque sous les murs qu’il habitait, il sentit se soulever en lui le cœur du patriote et du soldat. Jour et nuit il haranguait les Ardéates, les pressant de s’armer, et combattant par ses raisonnements la répugnance de leurs magistrats à s’embarquer dans une guerre dont Rome devait recueillir presque tout le fruit [Plutarque, Camille]. Mes vieux amis, et mes nouveaux compatriotes[40], leur disait-il, laissez-moi vous payer, en vous servant, l’hospitalité que je tiens de vous. C’est dans la guerre que je vaux quelque chose, et dans la guerre seulement que je puis reconnaître vos bienfaits[41]. Ne croyez pas, Ardéates, que les calamités présentes soient passagères, et se bornent à la république de Rome ; vous vous abuseriez. C’est un incendie qui ne s’éteindra pas qu’il n’ait tout dévoré …… Les Gaulois, vos ennemis, ont reçu de la nature moins de force que de fougue. Déjà rebutés d’un siège qui commence, vous les voyez se disperser dans les campagnes, se gorgeant de viandes et de vin, et dormant couchés comme des bêtes fauves là où la nuit les surprend, le long des rivières, sans retranchements, sans corps de garde ni sentinelles[42]. Donnez-moi quelques-uns de vos jeunes gens à conduire ; ce n’est pas un combat que je leur propose, c’est une boucherie. Si je ne vous livre les Gaulois à égorger comme des moutons, que je sois traité à Ardée de même que le l’ai été à Rome !

Les talents militaires de M. Furius inspiraient une confiance sans bornes ; d’ailleurs la circonstance pressait, car l’ennemi, enhardi par l’impunité, devenait chaque jour plus entreprenant. On donna donc une troupe de soldats d’élite à l’exilé romain, qui, sans faire aucune démonstration hostile, renfermé dans les murailles d’Ardée, épia patiemment l’heure favorable.

Elle ne se fit pas longtemps désirer. Les Gaulois, dans une de leurs courses, vinrent faire halte à quelques milles de là. Ils emportaient avec eux du butin qu’ils se partagèrent, et du vin dont ils burent avec excès ; chefs et soldats ne songèrent à autre chose qu’à s’enivrer, et la nuit les ayant surpris incapables de continuer leur route, et même de dresser leurs tentes, ils s’étendirent sur la terre pêle-mêle au milieu de leurs armes. Le sommeil et un silence profond régnèrent bientôt sur toute la bande [Plutarque, Camille]. Ce fut alors que Furius Camillus, averti par ses espions, sortit d’Ardée, et tomba sur les campements des Gaulois, au milieu de la nuit. Il avait ordonné à ses trompettes de sonner, et à ses soldats de pousser de grands cris [Plutarque, Camille], dès qu’ils seraient arrivés ; mais ce tumulte fit à peine revenir les Gaulois de leur sommeil ; quelques-uns se battirent ; la plupart furent tués encore endormis. Ceux qui, profitant de l’obscurité, parvinrent à s’échapper, la cavalerie ardéate les atteignit au point du jour [Plutarque, Camille] ; enfin un détachement nombreux qui avait gagné le territoire d’Antium, à dix milles d’Ardée, fut exterminé par les paysans[43].

Ce succès encouragea les peuples du Latium ; ils s’armèrent à l’instar des Ardéates. De l’enceinte des villes où jusqu’alors ils s’étaient tenus renfermés sans coup férir, ils se mirent à fondre de tous côtés sur les bandes qui couraient la campagne, et la rive gauche du Tibre ne fut plus sûre pour les fourrageurs gaulois. Sur la rive droite la défense, mieux organisée encore, agit avec plus d’efficacité. L’Étrurie avait songé d’abord à profiter des désastres des Romains, et leur avait déclaré la guerre [Diodore de Sicile, XIV] ; mais voyant son territoire foulé et épuisé, sans plus de ménagement que les terres des Latins, elle inclina à des sentiments plus généreux. Ses villes méridionales combinèrent leurs armes avec celles des fugitifs romains réunis à Véies, quelques-unes guidées, comme Cœré, par une antique affection pour Rome, les autres par l’ennui de l’occupation gauloise. Véies, cité forte et bien défendue, devint le centre des opérations de ce côté du Tibre.

Le nom de M. Furius, mêlé aux premiers succès des peuples latins contre les Gaulois, réveilla dans le cœur des enfants de Rome le souvenir de ce grand général. Leurs torts mutuels furent oubliés. D’une résolution unanime ils lui proposèrent de venir à Véies se mettre à la tête de ses vieux compagnons d’armes, ou de permettre qu’ils allassent combattre sous ses drapeaux à Ardée [Tite-Live, V, 46 - Plutarque, Camille]. Mais Camillus s’y refusa. Banni par vos lois, leur répondit-il, je ne puis reparaître au milieu de vous. D’ailleurs le suffrage du sénat doit seul m’élever au commandement ; que le sénat ordonne, et j’obéis [Plutarque, Camille]. En vain les réfugiés de Véies mirent tout en œuvre pour fléchir sa résolution. Tu n’es plus exilé, lui disaient-ils, et nous ne sommes plus citoyens de Rome. La patrie ! En est-il encore une pour nous, quand l’ennemi occupe en maître ses cendres et ses ruines ? [Plutarque, Camille] Et comment espérer de pénétrer au Capitole pour y consulter le sénat ? Comment espérer d’en revenir sain et sauf, lorsque les barbares investissent la place ? Marcus Furius fut inébranlable [Plutarque – Tite-Live].

Les scrupules de l’exilé d’Ardée prenaient sans doute leur source dans un respect exalté pour les devoirs du citoyen, dans l’idée honorable, quoique étroite, d’une obéissance absolue et passive à la lettre de la loi. Mais peut-être s’y mêlait-il à son insu quelque ressouvenir d’une injure récente, ou du moins quelque levain de cet orgueil aristocratique qui avait causé sa disgrâce. Véies renfermait, il est vrai, la majorité des citoyens romains armés et en état de délibérer ; Véies représentait Rome, mais Rome plébéienne. Pour un patricien aussi inflexible que Marcus Furius, la véritable Rome pouvait-elle se trouver ailleurs qu’au Capitole, avec le sénat, avec le corps des chevaliers, avec toute la jeunesse patricienne ? Au reste, à quelque motif qu’on veuille attribuer sa réponse, il est évident qu’elle équivalait à un refus. Pour que les assiégés pussent être consultés, et que leur détermination fût connue, il fallait non seulement pénétrer dans la ville occupée par les Gaulois, mais escalader le rocher jusqu’à la citadelle sans être aperçu de l’ennemi, sans exciter l’alarme parmi la garnison ; il fallait être non moins heureux au retour. D’ailleurs nul des Romains n’ignorait que les approvisionnements du Capitole touchaient à leur terme ; car on allait entrer dans le septième mois du blocus. Le moindre retard pouvait donc anéantir toute espérance de salut.

Les difficultés presque insurmontables qui interdisaient l’accès de la citadelle n’effrayèrent point Pontius Cominius, jeune plébéien plein d’intrépidité, de patriotisme et d’amour de la gloire. Il part de Véies, il arrive à la chute du jour en vue de Rome ; trouvant le pont gardé par les sentinelles ennemies, il passe sans bruit le Tibre à la nage, aidé par des écorces de liège dont il avait eu soin de se munir[44], et se dirige du côté où les feux lui paraissent moins nombreux, les patrouilles moins fréquentes, le silence plus profond. Parvenu au pied de la côte la plus raide et la moins accessible du mont Capitolin, il se met à l’escalader, et, après des peines inouïes, pénètre jusqu’aux premières sentinelles romaines, se fait connaître et conduire aux magistrats. Les nouvelles apportées par cet intrépide jeune homme ranimèrent les assiégés, dont la confiance commençait à s’abattre ; car leurs magasins étaient presque vides, et rien n’avait percé jusqu’à eux, ni touchant l’avantage remporté par Camillus près d’Ardée, ni touchant les ligues organisées sur les deux rives du Tibre tant le blocus était sévèrement maintenu. La sentence qui condamnait M. Furius fut levée sans opposition, et le premier magistrat ayant consulté les auspices en silence à la lueur des flambeaux, dans la seconde moitié de la nuit, suivant le cérémonial consacré, proclama dictateur l’exilé d’Ardée [Plutarque, Camille]. La dictature conférait à celui qui en était revêtu une autorité absolue en temps de paix comme en temps de guerre, et le droit de disposer de la vie et de la propriété des citoyens sans la participation du sénat ni du peuple. C’était un pouvoir véritablement despotique, mais limité par la courte durée de son exercice. Pontius descendit le rocher, repassa le Tibre, et, aussi heureux cette fois que l’autre, arriva à Véies sans encombre.

Mais le lendemain, au lever du jour, une patrouille gauloise remarqua le long du rocher les traces de son passage, des herbes et des arbrisseaux arrachés, d’autres qui paraissaient avoir été foulés récemment, la terre éboulée en plusieurs endroits, et çà et là l’empreinte de pas humains. Le Brenn se rendit sur les lieux, et, après avoir tout considéré, recommanda le secret à ses soldats. Le soir il convoqua dans sa tente ceux de ses guerriers en qui il mettait le plus de confiance, et leur ayant exposé ce qu’il avait vu et ce qu’on pouvait tenter sans crainte : Nous croyions ce rocher inaccessible, ajouta-t-il ; eh bien, les assiégés eux-mêmes nous révèlent les moyens de l’escalader. La route est tracée : il y aurait à hésiter de la lâcheté et de la honte. Là où peut monter un homme, plusieurs y monteront à la file, et en s’entraidant. Ceux qui se distingueront peuvent compter sur des récompenses dignes d’une telle entreprise [Plutarque, Camille]. Tous promettent gaiement d’obéir. Ils partent en effet, et, à la faveur d’une nuit épaisse[45], ils se mettent à gravir à la file, s’accrochant aux branches des arbrisseaux, aux pointes et aux fentes des rochers, se soutenant les uns les autres, et se prêtant mutuellement les mains ou les épaules[46]. Avec les plus grandes peines ils parviennent peu à peu jusqu’au pied de la muraille, qui, de ce côté-là, était peu élevée, parce qu’un endroit si escarpé semblait tout à fait hors d’insulte. La même raison portait les soldats qui en avaient la garde à se relâcher de la vigilance[47] ordinaire, de sorte que les Gaulois trouvèrent les sentinelles endormies d’un profond sommeil[48].

Le mur qu’ils commençaient à escalader faisait partie de l’enceinte d’une chapelle de Junon, autour de laquelle rôdaient quelques-uns de ces chiens préposés à la défense des temples. Il s’y trouvait aussi des oies consacrées à la déesse, et que, pour cette raison, les assiégés avaient épargnées au fort de la disette qui les tourmentait. Souffrants et abattus par une longue diète, les chiens faisaient mauvaise garde, et les Gaulois leur avant lancé par-dessus le rempart quelques morceaux de pain, ils se jetèrent dessus avec avidité et les dévorèrent, sans aboyer ni donner le moindre signe d’alarme [Ælian, de animal. nat., XII, 33] ; mais à l’odeur de la nourriture, les oies, qui en manquaient depuis plusieurs jours, se mirent à battre des ailes et à pousser de tels cris, que toute la garnison se réveilla en sursaut[49]. On s’arme à la hâte ; on court vers le lieu d’où partent ces cris. Il était temps ; car déjà deux des assiégeants avaient atteint le haut du rempart. M. Manlius, homme robuste et intrépide, fait face lui seul aux Gaulois ; d’un revers d’épée, il abat la main de l’un d’eux qui allait lui fendre la tête d’un coup de hache ; en même temps il frappe si rudement l’autre au visage, avec son bouclier, qu’il le fait rouler du haut en bas du rocher [Plutarque, Camille – Tite-Live, V, 47]. Toute la garnison arrive pendant ce temps-là et se porte le long du rempart. Les assiégeants, repoussés à coups d’épées et accablés de traits et de pierres, se culbutent les uns sur les autres ; ils ne peuvent fuir, et la plupart, en voulant éviter le fer ennemi, se perdent dans les précipices. Un petit nombre seulement regagna le camp.

Cet échec acheva de décourager les Gaulois. Un fléau non moins cruel que la famine décimait ces corps affaiblis tout à la fois par les excès et par les privations. Un automne chaud et pluvieux avait développé parmi eux des germes de fièvres contagieuses dont l’état des localités aggravait encore le caractère. Ils avaient brûlé ou démoli les maisons et les édifices publics indistinctement dans tous les quartiers de la ville, sans songer à se conserver des abris aux environs du Capitole, où se tenaient les troupes du blocus. Depuis sept mois ils étaient donc forcés de camper sur des décombres et des cendres accumulées, d’où s’élevait, au moindre vent, une poussière âcre et pénétrante qui leur desséchait les entrailles, et d’où s’exhalaient aussi, lorsque des pluies abondantes avaient détrempé le terrain, des vapeurs pestilentielles[50]. Ils succombaient en grand nombre à ces maladies, et des bûchers étaient allumés jour et nuit sur les hauteurs pour brûler les morts[51].

Les souffrances n’étaient pas moindres dans l’intérieur de la citadelle, et chaque moment les aggravait ; ni renforts, ni vivres, ni nouvelles qui soutinssent le courage, rien n’arrivait du dehors. Les assiégés étaient réduits, pour subsister, à faire bouillir le cuir de leurs chaussures [Servius. Æneid., VIII, v. 655]. Camillus ne paraissait point. Ses scrupules étaient levés, les difficultés aplanies. Ce général avait vu accourir autour de lui la jeunesse romaine et latine. Il ne comptait pas moins de quarante mille hommes sous ses enseignes [Plutarque, Camille], et cependant aucune tentative ne se faisait pour débloquer ou secourir le Capitole ; soit qu’il eût assez de protéger la campagne contre les bandes affamées qui l’infestaient, soit que les milices latines et étrusques, qui avaient des combats journaliers à livrer à leurs portes mêmes, se souciassent peu d’abandonner leurs foyers à la merci d’un coup de main, pour aller tenter, sur les décombres de Rome, une bataille incertaine.

Dans cette communauté de misères, les deux partis étaient impatients de négocier. Les sentinelles du Capitole et celles de l’armée ennemie commencèrent les pourparlers, et bientôt il s’établit entre les chefs des communications régulières [Tite-Live, V, 48 - Plutarque, Camille]. Mais les demandes des Gaulois parurent aux assiégés trop dures et trop humiliantes. Comme elles avaient pour fondement l’état de disette qui forçait les Romains de capituler[52], on raconte que, dans la vue de démentir ce bruit, les tribuns militaires firent jeter du haut des murailles aux avant-postes quelques pains qui leur restaient[53]. Il est possible que ce stratagème, ainsi que le prétendent les historiens, ait porté le Brenn à rabattre de ses prétentions ; mais d’autres causes influèrent plus puissamment sans doute sur sa détermination. Il fut informé que les Vénètes s’étaient jetés sur les terres des Boïes et des Lingons, et que, du côté opposé, les montagnards des Alpes inquiétaient les provinces occidentales de la Cisalpine [Polybe, II] ; il s’empressa de renouer les négociations, se montra moins exigeant, et la paix fut conclue. Voici quelles en furent les conditions. 1° Que les Romains paieraient aux Gaulois mille livres pesant d’or[54] ; 2° qu’ils leur feraient fournir par leurs colonies ou leurs villes alliées, des vivres et des moyens de transport[55] ; 3° qu’ils leur cédaient une certaine portion du territoire romain, et s’engageaient à laisser dans la nouvelle ville qu’ils bâtiraient une porte perpétuellement ouverte, en souvenir éternel de l’occupation gauloise [Polyæn., Stratag., VIII, 25]. Cette capitulation fit jurée de part et d’autre avec solennité le 13 février, sept mois accomplis après la bataille d’Allia [Plutarque, Camille].

Alors les assiégés réunirent tout ce que le Capitole renfermait d’or ; le fisc, les ornements des temples, tout fut mis à contribution, jusqu’aux joyaux que les femmes, à leur départ, avaient déposés dans le trésor public[56]. Le Brenn attendait au pied du rocher les commissaires romains, avec une balance et des poids ; quand il fut question de peser, un d’eux s’aperçut que les poids étaient faux, et que le Gaulois qui tenait la balance la faisait pencher frauduleusement. Les Romains se récrièrent contre cette supercherie mais le Brenn, sans s’émouvoir, détachant son épée, la plaça ainsi que le baudrier dans le plat qui contre-pesait l’or. Que signifie cette action ? demanda avec surprise le tribun militaire Sulpicius. — Que peut-elle signifier, répondit le Brenn, sinon malheur aux vaincus ![57] Cette raillerie parut intolérable aux Romains ; les uns voulaient que l’or fût enlevé et la capitulation révoquée ; mais les plus sages conseillèrent de tout souffrir sans murmure ; La honte, disaient-ils, ne consiste pas à donner plus que nous n’avons promis, elle consiste à donner ; résignons-nous donc à des affronts que nous ne pouvons ni éviter ni punir [Plutarque, Camille]. Le siège étant levé, l’armée gauloise se mit en marche par différents chemins et en plusieurs divisions, afin sans doute qu’elle pût, moins difficilement, se procurer des subsistances. Le Brenn, à la tête du principal corps, sortit de la ville par la voie Gabinienne [Plutarque, Camille – Tite-Live, V, 49], à l’orient du Tibre. Les autres prirent, sur la rive droite du fleuve, la direction de l’Étrurie.

Mais à peine étaient-ils à quelque distance de Rome, qu’une proclamation du dictateur M. Furius vint annuler, comme illégal, le traité sur la foi duquel ils avaient mis fin aux hostilités. Le dictateur déclarait qu’à lui seul, d’après la loi romaine, appartenaient le droit de paix et de guerre et celui de faire des traités ; le traité du Capitole, négocié et conclu par des magistrats inférieurs, qui n’en avaient pas le pouvoir, était illégitime et nul, qu’en un mot, la guerre n’avait pas cessé entre Rome et les Gaulois[58]. » Les colonies romaines et les villes alliées, se fondant sur un pareil subterfuge, refusèrent partout aux Gaulois les subsides stipulés, et ceux-ci se virent contraints de mettre le siège devant chaque place pour obtenir à force ouverte ce que les conventions leur assuraient. Comme ils attaquaient la petite ville de Veascium, Camillus arriva à l’improviste, fondit sur eux, les défit et leur enleva une partie de leur butin [Diodore de Sicile, XIV]. Les divisions qui avaient pris par la rive droite du Tibre ne furent guère mieux traitées. Les villes leur barraient le passage, les paysans massacraient leurs traîneurs, un corps nombreux donna de nuit dans une embuscade que lui dressèrent les Cærites dans la plaine de Trausium, et y périt presque tout entier [Diodore de Sicile, XIV].

Débarrassée de ses ennemis, Rome se reconstruisit avec rapidité. Par un scrupule bizarre et qu’on a peine à concevoir, le sénat, qui avait violé si complètement dans ses dispositions fondamentales le traité du Capitole, crut devoir respecter l’engagement de tenir une des portes de la ville perpétuellement ouverte ; mais cette porte, il eut soin qu’elle fût placée dans un lieu inaccessible [Polyæn., Stratag., VIII, 25]. Peut-être se crut-il lié par la religion du serment en tout ce qui ne contrariait pas les lois politiques ; peut-être aussi, comme les portes, ainsi que les murailles des villes, étaient sacrées et mises sous la protection spéciale des dieux nationaux, les Romains craignirent-ils de rebâtir leur patrie sous les auspices d’un sacrilège.

Ainsi se termina cette expédition devenue depuis lors si fameuse et dont la vanité nationale des historiens romains a tant altéré la vérité. Il est probable qu’elle n’eut d’abord, chez les Gaulois, d’autre célébrité que celle d’une expédition peu productive et malheureuse, et que l’incendie de la petite ville aux sept collines frappa moins vivement les imaginations que le pillage de telle opulente cité de l’Étrurie, de la Campanie, ou de la grande Grèce. Mais plus tard, lorsque Rome plus puissante voulut parler en despote au reste de l’Italie, les fils des Boïes et des Sénons se ressouvinrent de l’avoir humiliée. Alors on montra dans les bourgs de Brixia, de Bononia, de Sena, les dépouilles de la ville de Romulus, les armes enlevées à ses vieux héros, les parures de ses femmes et l’or de ses temples. Plus d’un Brenn, provoquant quelque consul au combat singulier, lui présenta, ciselée sur son bouclier, l’épée gauloise dans la balance[59] ; et plus d’une fois le Romain captif aux bords du Pô entendit un maître farouche lui répéter avec outrage : Malheur aux vaincus !

 

 

 



[1] Omnia ea flumina fossasque priori à Pado fecère Thusci. Pline, III, 15. —Cf. Cluver, Ital. antiq., p. 419 et sqq.

[2] Nobilis portus Hatriæ à quo Hatriaticum mare appellabatur. Pline, III, 15.

[3] Mantua Tuscorum trans Padum sola relicta, Pline, III, 19. — Virgile, Æneid., X, 197 et sqq. — Serv. Comm. ad x Æneid.

[4] Novos accolas Gallos esse cum quibus nec pax salis fida, nec bellum pro certo sit. Tite-Live, V, 17.

[5] Quòd Veïentes consanguineos adversùs populum romanum, non defendissent. Tite-Live, V, 35.

[6] Mitis legatio, ni præferoces legatos habuisset. Tite-Live, V, 36.

[7] Bren, Brenin, roi ; en latin Brennus. Les Romains prirent ce nom de dignité pour le nom propre du chef gaulois.

[8] Si, Gallis egentibus agro, quem latiùs possideant quàm colant Clusini, partem finium concedant ; aliter pacem impetrari non posse. Tite-Live, V, 36.

[9] Coràm Romanis dimicaturos ut nunciare domum possent quaptùm Galli virtute cæteros mortales præstarent. Tite-Live, V, 36.

[10] Quid in Etrurià rei Gallis esset ? ……… Quodnam id jus ? Idem., C.

[11] In armis jus ferre et omnia fortiorum virorum esse. Tite-Live, V, 36.

[12] Excerpt. Dion Cass., éd. Hanov., in-fol., 1606, p. 919.

[13] Diodore de Sicile, XIV. — Tite-Live, V, 36. — Plutarque, Camille, p. 136. — Paul. Oros., II, 9.

[14] Per totam aciem romanum legatum esse… Tite-Live, V, 36.

[15] Erant qui extemplò Romam eundum censerent ; vicere seniores… Tite-Live, V, 36.

[16] Ne penes ipsos culpa esset cladis... Tite-Live, V, 36.

[17] Tribuni militum consulari potestate. — Ils étaient six, et partageaient entre eux l’autorité et les attributions des consuls. Tite-Live, passim.

[18] Qui Rempublicam salvam esse vult me sequatur. Tite-Live, passim.

[19] Tumultus quasi tremor multus, — vel à tumendo. Cicéron, Philip., V, VI, VIII. — Quintilien, VII, 3.

[20] Servius. Virgile, Æneid., VIII, 4.

[21] Romam se ire. Tite-Live, V, 37. — Plutarque, Camille.

[22] Truci cantu, clamoribusque variis, horrendo cuneta compleverant sono. Tite-Live, V, 37.

[23] Subsidebant ; hinc dicti subsidia. Festus.

[24] Romam petière, et, ne clausis quidem portis urbis, in arcem confugerunt. Tite-Live, V, 38. — Diodore de Sicile, XIV.

[25] Aulu-Gelle, V, 17. — Macrobe, I, 16. — Plutarque, Camille.

[26] Non portas clausas, non stationem pro portas excubare, non armatos esse in muris. Tite-Live, V, 39.

[27] Juventus quam satis constat vix mille hominum fuisse. Florus, I, 13.

[28] In noctem dilatum consilium esse quò plus pavoris inferrent. Tite-Live, V, 39.

[29] Indè rursùs ipsâ solitudine absteriti, ne qua fraus hostilis vagos exciperet, in forum ac propinqua foro loca conglobati redibant. Tite-Live, V, 41.

[30] Patentibus atriis principum. Tite-Live, V, 41.

[31] Ad eos velut simulacra versi cùm starent. Tite-Live, V, 41. — Plutarque, Camille.

[32] Tite-Live, VIII, 6. — Tacite, Histoires, III, 71.

[33] Prima luce, signo dato, multitudo omnis in foro instruitur. Tite-Live, V, 43.

[34] Imdè, clamore sublato, ac testudine factà, subeunt. Tite-Live, V, 43.

[35] Amissâ itaque spe per vira atque arma subeundi, obsidionem parant. Tite-Live, V, 43.

[36] Gabino cinctu, sacra manibus gerens …… nihil ad vocem cujusquam terroremve motus. Tite-Live, V, 46.

[37] Sacrificium erat statum …… genti Fabiæ. Tite-Live, ibid.

[38] Seu religione etiam motis …… Tite-Live, V, 46.

[39] Exercitu diviso, partim per finitimos prædari placuit. Tite-Live, V, 43.

[40] Ardeates, veteres amici, novi etiam cives mei. Tite-Live, V, 44.

[41] Ubi usus erit mei vobis, si in bello non fuerit ? hâc arte in patrià steti. Tite-Live, V, 44.

[42] Ubi nox appetit, propè rivos aquarum, sine munimento, sine stationibus ac custodiis, passim, ferarum ritu,sternuntur …… Me sequimini ad cædem non ad pugnam. Tite-Live, V, 44. — Plutarque, Camille.

[43] Magna pars in agrum Antiatem delati, ineursione ab oppidanis in palatos factâ, circumveniuntur. Tite-Live, V, 45.

[44] Incubans cortici. Tite-Live, V, 46. — Plutarque, Camille.

[45] Defensi tenebus et dono noctis opacæ. Virgile, Æneid., v. 658.

[46] Alterni innixi, sublevantesque invicem alii alios. Tite-Live, V, 47.

[47] Diodore de Sicile, XIV. — Ælian, de animal. natur., XII, 33.

[48] Tite-Live, V, 47. — Plutarque, Camille. - Diodore de Sicile, XIV.

[49] Clangore, alarumque crepitu. Tite-Live, V, 49. — Diodore de Sicile, XIV. — Plutarque, Camille. — Ælian, ubi suprà, etc.

[50] Loce… ab incendiis torrido et vaporis pleno, cineremque non pulverem modo ferente …… Tite-Live, V, 48. — Plutarque, Camille.

[51] Bustorum indè Gallicorum nomine insigne locus fecère. Tite-Live, 48.

[52] Cùm Galli famem objieerent. Tite-Live, V, 48.

[53] Decitur …… multis locis papis de Capitolin jactatus esse. Tite-Live, V, 48. — Valère Maxime, VII, 4.

[54] Diodore de Sicile, XIV. — Tite-Live, V, 48. — Plutarque, Camille. - Valère Maxime, V, 6. — Quelques écrivains portent cette rançon au double. Varro. ap. Non. in Torq. — Pline, XXXII, 1.

[55] Transvehendos et commeatibus persequendos. Fronton, Strat., II, 6.

[56] Ex ædibus sacris et matronarum ornamentis. Varro ap. Non. Valer. Max. V, 61. — Tite-Live, V, 50.

[57] Plutarque, Camille. — Væ victis ! Tite-Live, V, 48.

[58] Negat eam pactionem ratam esse, quæ, postquàm ipse dictator creatus esset, injussu suo ab inferioris juris magistratu facta esset. Tite-Live, V, 49. — Plutarque, Camille.

[59] In titulos (Chryxus) Capitolia capta trahebat ;

Tarpeioque jugo demens et vertice sacro

Pensanteis aurum Celtas umbone ferebat.

Silius, Ital., IV, v. 147.