LES EMPEREURS ROMAINS ET L'ÉGLISE CHRÉTIENNE

 

PAR ALEXANDRE THIBAULT.

PARIS - G. TÉQUI - 1879.

 

 

Avertissement.

Avant-propos.

Ire PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS.

IIe PERSÉCUTION.

IIIe PERSÉCUTION.

IVe PERSÉCUTION.

Ve PERSÉCUTION.

VIe PERSÉCUTION.

VIIe PERSÉCUTION.

VIIIe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

IXe PERSÉCUTION.

Xe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

AVERTISSEMENT

 

Je crois devoir indiquer en peu de mots le sens de ce petit volume.

Ce n'est pas un livre de science ni d'érudition historique ; c'est un exposé simple, clair et précis des persécutions qui ont éprouvé l'Eglise Chrétienne dans les trois premiers siècles.

Ces récits sont trop peu connus de la jeunesse de nos jours, et méritent de l'être plus que jamais.

Nous vivons dans un temps où la maxime : La force prime le droit : tend à se répandre de plus en plus ; où la loi du plus fort, appliquée impitoyablement, menace de nous ramener à la barbarie des siècles antiques. Nous avons vu tout récemment la guerre devenir un moyen de piraterie légale, et le cri : Malheur aux vaincus ! retentit encore à nos oreilles. Eh bien ? N'est-il pas bon de rappeler à tous, dans ces tristes circonstances comment l'esprit Chrétien a vaincu jadis les forces coalisées de l'Empire païen ?

La cité de Dieu est attaquée de tous les côtés à la fois :

D'où sortira le nouveau Constantin qui la délivrera de ses ennemis et lui assurera la victoire définitive ?

C'est là le secret de l'avenir : il sera révélé à l'heure marquée par la Divine Providence.

C'est dans cet espoir que nous devons retremper nos âmes, et raviver notre foi trop longtemps affaiblie par ce scepticisme dissolvant qui prépare les générations énervées et abâtardies.

Al. THIBAULT

2 Mars 1879

 

AVANT-PROPOS.

 

Lorsqu'on étudie avec quelque attention l'histoire des trois premiers siècles de l'Eglise, il est une question qui se présente naturellement à l'esprit, c'est celle-ci :

Pourquoi les Empereurs Romains ont-ils persécuté avec tant d'acharnement les confesseurs du Christ ? Pourquoi les meilleurs d'entre ces Empereurs se sont-ils associés eux-mêmes à ces persécutions ? Les Chrétiens na se révoltaient pas ; ils se contentaient de propager leur doctrine. La pré 1 cation apostolique était sans doute un fait nouveau, et sans précédents dans l'humanité. Mais en quoi ce fait pouvait-il blesser si étrangement les maitres du inonde ?

La ville de Rome, cette reine souveraine du monde ancien, réunissait au premier siècle de l'Ère Chrétienne le mélange le plus bizarre, l'assemblage le plus confus de cultes et de doctrines qui ait paru sous le soleil. D'oh vient que le culte de Jésus crucifié, s'ajoutant comme un levain à tous ceux qui existaient déjà, a mis tout en fermentation, et suscité contre lui un tel débordement d'animosités et de haines

C'est là dessus que je désire d'abord attirer l'attention, et pour cela il me parait nécessaire de remonter à l'origine même de la foi Chrétienne.

 

LA ROYAUTÉ DE N-. S-. JÉSUS-CHRIST.

 

La Royauté fut dès le commencement un caractère essentiellement inhérent à la personne de N.-S. Jésus-Christ.

A peine est-il couché dans la crèche de l'étable où il vient de naître, lorsqu'il repose encore tout enveloppé de ses langes, voici qu'après les Bergers, représentant les âmes pures et simples, les Rois Mages de l'extrême Orient, guidés par une étoile mystérieuse, accourent se prosterner à ses pieds, lui apportant le tribut de leurs adorations avec l'or, l'encens et la myrrhe : toute la ville de Jérusalem s'émeut comme par un pressentiment surnaturel, et le roi Hérode, en qui se personnifiait alors la puissance Romaine dans la Judée, à la vue de cette émotion instinctive de tout un peuple, au bruit de la naissance à Bethléem d'un futur roi d'Israël, prend l'alarme, et dans sa fureur jalouse, pour étouffer par avance le germe de cette royauté indéfinie qui lui porte ombrage, ordonne sans pitié le massacre des Innocents, ces premiers martyrs immolés pour N.-S. Jésus-Christ.

Or d'où le Christ pouvait-il tirer ses droits à cette Royauté Supérieure, devant laquelle devaient s'incliner toutes les couronnes de la terre, si ce n'est de ce qu'il était, par sa nature Divine, le Verbe de Dieu fait homme, la parole Éternelle incarnée sous une forme humaine ?

Chose digne de remarque ! nous dit Bossuet.

Cette Royauté qu'il sait lui appartenir, il ne la réclame pas pendant tout le cours de sa vie terrestre : il n'en prend possession qu'en apparence, à la veille de son supplice ignominieux, lors de son entrée solennelle à Jérusalem ; mais il ne la renie pas devant Ponce-Pilate appelé à le juger ; et lorsque celui-ci lui demande s'il est véritable qu'il soit Roi, lui qui n'avait encore daigné satisfaire à aucune des questions qui lui avaient été précédemment adressées, il répond alors avec une simplicité pleine de grandeur et d'assurance : Tu l'as dit : Je suis Roi.

Aussi Pilate, s'appuyant sur cette parole, fait inscrire sur sa croix en gros caractères et en trois langues ces mots typiques de sa condamnation :

JÉSUS DE NAZARETH, ROI DES JUIFS.

 

PIERRE, CHEF DES APÔTRES

Commencements du siège épiscopal de Rome

 

La royauté de N. S. Jésus-Christ eut son couronnement au Calvaire d'où elle rayonna sur le monde comme un flambeau destiné à éclairer toutes les nations ; son autorité était indélébile ; il la transmit à l'Eglise dépositaire de ses divins enseignements et plus particulièrement au batelier Pierre qu'il avait établi chef des Apôtres et désigné pour être son vicaire sur la terre :

Tu es Pierre, et sur cette pierre

Je Bâtirai mon Eglise.

Parole éternellement mémorable, et que dix-huit siècles écoulés n'ont pas encore démentie.

Selon la tradition généralement adoptée, Pierre vint à Rome en l'an 42 de l'Ère chrétienne. (2ème année du règne de l'Empereur Claude.)

C'est à la suite de sa sortie miraculeuse de la prison où il avait été enfermé par les ordres d'Hérode Agrippa, roi des Juifs, qu'aidé, dit-on, par le centurion Corneille, qu'il avait converti à la foi Chrétienne, il serait parvenu à s'échapper de Jérusalem, et à s'embarquer ensuite pour venir dans la capitale du monde Romain.

En raison de cette tradition, on date de l'année 42 le commencement de son Épiscopat, fondement ultérieur de la papauté Romaine.

Combien de temps Pierre resta-t-il alors à Rome, et qu'y fit-il ? Aucune notion ne nous a été transmise à cet égard ; ce qui est certain d'après le témoignage des Actes, c'est que nous le retrouvons en l'an 50 de J.-C. (10ème année du règne de l'Empereur Claude) au premier concile de Jérusalem qu'il préside.

De là il passe à Antioche pour y organiser l'Eglise de cette ville ; puis il retourne une seconde fois à Rome, où il établit définitivement le siège de son propre Épiscopat.

Les décisions du dernier Concile de Jérusalem et l'arrivée de Pierre provoquèrent sans doute alors parmi les Juifs de Rome de grandes agitations qui motivèrent le décret rendu par l'Empereur Claude en l'an 52 de J.-C. aux termes duquel tous les Juifs indistinctement étaient bannis de Rome.

Ce décret est mentionné par l'historien latin Suétone.

Les Chrétiens étaient certainement compris dans cet ordre d'expulsion ; car ils n'étaient pas encore distingués des Juifs.

 

PREMIÈRE PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS SOUS LE RÈGNE DE L'EMPEREUR NÉRON.

 

Les Chrétiens ne commencèrent à acquérir une existence distincte aux yeux des Romains que sous le règne de Néron ; et ce qui leur donna une notoriété assez grande pour que le célèbre historien latin Tacite en ait fait mention au livre XV de ses Annales, c'est l'acte sauvage de cet Empereur qui, après avoir fait mettre le feu à la ville de Rome, en l'an 64 de J.-C., pour apaiser les mauvaises rumeurs qui couraient sur son compte, offrit, dit Tacite, d'autres coupables aux animadversions populaires, et soumit à ce sujet aux tortures les plus raffinées une classe d'hommes que le vulgaire appelait Chrétiens. Ce nom, ajoute-t-il, leur vient de Christ qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus.

Précieux et inattaquable document par lequel sont confirmés d'une manière formelle les Récits Evangéliques.

Mais aucun nom connu ne figure dans cette première persécution, motivée uniquement par la fantaisie terrible d'une tyrannie sanguinaire qui se croyait tout permis.

Ce n'est que trois ans plus tard, le 29 Juin de l'an 67 de J.-C., que la tradition place le martyre des deux Apôtres Pierre et Paul à Rome : encore n'avons nous pas de récit authentique et primordial qui puisse constater ce grand fait.

Pierre eut pour successeur immédiat sur le siège épiscopal de Rome le disciple Lin, l'un de ceux dont le nom est mentionné dans la seconde Epître de Saint-Paul à Timothée.

De son temps, en l'an 70, s'accomplit un évènement prédit 40 ans auparavant par Jésus-Christ lui même.

La cité de Jérusalem avait à expier un Déicide :

Son châtiment fut le plus épouvantable dont l'histoire ait gardé le souvenir.

Temple, sacrifices, sacerdoce légal, distinction des tribus, tout disparut devant l'épée victorieuse de Titus qui se proclamait lui-même l'instrument des vengeances Divines.

L'arc triomphal, élevé à cette occasion en l'honneur de Titus par le Sénat et le peuple Romain, subsiste encore aujourd'hui à Rome au milieu de toutes les ruines de la Reine des nations.

Le Liber pontificalis attribue à Lin une ordonnance qui défend aux femmes d'entrer sans voile dans l'Assemblée des Fidèles.

 

IIe PERSÉCUTION SOUS LE RÈGNE DE DOMITIEN.

 

Lin fut remplacé sur le siège épiscopal de Rome par Clet, ou Anaclet, qui, selon la tradition, aurait souffert le martyre en l'an 91 de J.-C. (2e année du règne de Domitien).

Il avait établi vingt-cinq prêtres pour remplir le ministère pastoral dans les différents quartiers de Rome : ce qui indique que le nombre des fidèles s'était accru dans de notables proportions.

Ce fut, dit-on, en l'an 95 que la seconde persécution contre les Chrétiens éclata, Clément Ier étant évêque de Rome.

Voici ce que l'historien Grec Dion Cassius rapporte à ce sujet ;

Domitien, dit-il, fit mettre à mort plusieurs personnes, parmi lesquelles le Consul Flavius Clémens, quoiqu'il fût son neveu et qu'il eût épousé Flavia Domitilla, parente de l'Empereur.

Les deux époux furent accusés d'athéisme. Ce même crime avait fait condamner beaucoup d'autres personnes qui avaient embrassé les coutumes et le genre de vie des Juifs. Plusieurs avaient eu leurs biens confisqués. Flavia Domitilla ne fut pas condamnée à mort, mais reléguée à Pandataria, île située en face du golfe de Gaëte, à moitié route entre Ponza et Ischia, et connue maintenant sous le nom de Santa Maria.

Dion ne prononce pas dans le passage que nous venons de citer le mot de Christianisme ; mais tout le monde sait que l'athéisme et l'adoption des coutumes Juives en étaient synonymes aux yeux peu exercés d'un grand nombre de contemporains.

Une autre Flavia Domitilla, nièce du Consul Flavius Clémens, lut aussi com damnée au bannissement en l'an 97 pour avoir fait profession de la foi Chrétienne, et reléguée dans l'ile de Penza.

Deux des serviteurs de cette noble dame, Nérée et Achillée, auraient été mis à mort pour le même motif.

C'est elle qui a donné son nom au cimetière de Sainte-Domitille, qui existe encore à Rome sur la voie Ardéatine, et qui appartient ainsi à l'âge primitif du Christianisme.

Il est donc certain qu'a la fin de son règne Domitien persécuta cruellement l'Eglise, et qu'une branche de la famille Impériale était déjà Chrétienne à cette époque.

 

IIIe PERSÉCUTION SOUS TRAJAN.

 

LETTRE DE PLINE LE JEUNE.

 

Le second siècle de l'Eglise s'ouvre par la 3ème persécution générale sous le règne de Trajan.

La lutte de cet Empereur contre le Christianisme présente quelques caractères particuliers, qui la distinguent des cruautés de Néron ou de Domitien.

La rapide propagation de l'Evangile avait fait de l'Eglise une société puissante par le nombre, le dévouement et l'union de ses membres. La politique Romaine commençait à s'alarmer des progrès d'une religion qui diminuait chaque jour le nombre des acheteurs pour les victimes, et des adorateurs pour les faux dieux. Les Césars croyaient, en soutenant le polythéisme, étayer leur autorité, affermir leur domination, sauver l'empire. Les lois ne manquaient pas pour la répression d'une religion nouvelle qu'on regardait comme séditieuse. Il suffisait que cette religion fût récente, qu'elle contredit les cultes officiels, que le sénat ne l'eût point approuvée pour qu'on se fit un devoir de mettre à mort ses disciples.

La position faite aux Chrétiens dans l'Empire au commencement de ce siècle est nettement définie par une lettre authentique, écrite û l'Empereur Trajan par l'ami de l'historien Tacite, Pline dit le Jeune, gouverneur de la Bithynie.

— Cette lettre est ainsi conçue :

Lettre de Pline le Jeune à Trajan :

Je me fais une religion, Seigneur, de vous exposer tous mes scrupules ; car qui peut mieux, ou me déterminer ou m'instruire ? Je n'ai jamais assisté à l'instruction et au jugement du procès d'aucun Chrétien. Ainsi je ne sais sur quoi tombe l'information que l'on fait contra eux, ni jusqu'où l'on doit porter leur punition. Doit-on pardonner à celui qui se repent ?

Est-ce le nom seul que l'on poursuit en eux, ou sont-ce les crimes attachés à ce nom ?

Cependant voici la règle que j'ai suivie dans les accusations intentées devant moi contre les Chrétiens. Je les ai interrogés s'ils étaient Chrétiens. Ceux qui l'ont avoué, je les ai interrogés une seconde et une troisième fois, et les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés. Car de quelque nature que fût ce qu'ils confessaient, j'ai cru que l'on ne pouvait manquer à punir en eux leur désobéissance et leur invincible opiniâtreté. Il y en a que j'ai réservés pour envoyer à Rome, parce qu'ils sont citoyens Romains.

Ce crime venant à se répandre, on m'a remis entre les mains un mémoire sans nom d'auteur, où l'on accuse d'être Chrétiens différentes personnes qui nient de l'être et de l'avoir jamais été. Elles ont, en ma présence, et dans les termes que je leur prescrivais, invoqué les dieux, et offert de l'encens et du vin à votre Image, que j'avais fait apporter exprès avec les statues de nos Divinités ; elles se sont même emportées en imprécations contre le Christ.

C'est à quoi, dit-on, l'on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement Chrétiens. J'ai donc cru qu'il les fallait absoudre.

D'autres, déférés par un dénonciateur, ont d'abord reconnu qu'ils étaient Chrétiens, et aussitôt après ils l'ont nié, déclarant que véritablement ils l'avaient été ; mais qu'ils ont cessé de l'être, les uns, il y avait plus de trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d'années ; quelques-uns depuis plus de 20 ans. Tous ces gens-là ont adoré votre Image et les statues des dieux ; tous ont chargé le Christ de malédictions.

Ils assuraient que toute leur erreur ou leur faute avait été renfermée dans ces points :

Qu'à un jour marqué ils s'assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour-à-tour des vers à la louange du Christ comme s'il eût été Dieu ; qu'ils s'engageaient par serinent non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol ni d'adultère, à ne point manquer à leurs promesses ; à ne point nier un dépôt ; qu'après cela ils avaient coutume de se séparer, et ensuite de se rassembler pour manger des mets innocents ; qu'ils avaient cessé de le faire depuis mon édit, par lequel, selon vos ordres, j'avais défendu toutes sortes d'assemblées.

Cela m'a fait juger d'autant plus nécessaire d'arracher la vérité par la force des tourments à deux jeunes filles esclaves qu'ils disaient être dans le ministère de leur culte ; mais je n'y ai découvert qu'une mauvaise superstition poussée à l'excès ; et pour cette raison j'ai tout suspendu pour demander vos ordres. L'affaire m'a paru digne de vos réflexions par la multitude de ceux qui sont enveloppés dans ce péril : car un très-grand nombre de personnes de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront tous les jours impliquées dans cette accusation.

Ce mal contagieux n'a pas seulement infecté les villes, il a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant qu'il peut être arrêté si l'on fait grâce au repentir.

 

CONSIDÉRATIONS SUR LA LETTRE DE PLINE LE JEUNE.

Réponse de Trajan

 

Comme on le voit par cette lettre, la question était dés lors très-nettement posée :

Il fallait, sous peine de mort, offrir l'encens et le vin à l'Image de l'Empereur, et charger le Christ de malédictions ?

Et pourquoi cette injonction de malédictions ?

Parce que le Christ était le principe d'une puissance morale qui ne se courbait pas devant la souveraineté de la puissance temporelle, qui dérivait d'une source inconnue et mystérieuse, qui se manifestait par des effets étranges et surnaturels, et bravait les divinités de l'Empire.

Cette puissance inexplicable et insaisissable, on voulait à tout prix l'abattre et la flétrir ; et les lumières des beaux esprits de l'époque, qui ne la comprenaient pas, s'accordaient ici avec la raison d'Etat pour la condamner et pour arrêter l'expansion dont on remarquait avec un certain effroi les proportions effrayantes à la multitude de ceux qui désertaient déjà les temples des idoles.

Aussi la persécution dirigée contre l'Eglise sous le règne de Trajan se distingue-t-elle essentiellement des deux persécutions antérieures, en ce sans que c'est une persécution organisée systématiquement, et sous l'influence d'une politique habile et jalouse, mais également implacable sous l'apparence extérieure d'une modération méticuleuse.

C'est ce qu'indique parfaitement la réponse adressée à cette occasion par l'Empereur à son cher Pline : Cette réponse est conçue en ces termes :

RÉPONSE DE TRAJAN À PLINE :

Vous avez, mon très-cher Pline, suivi la voie que vous deviez suivre dans l'instruction du procès des chrétiens qui vous ont été déférés ; car il n'est pas possible d'établir une forme certaine et générale dans ces sortes d'affaires. Il ne faut pas en faire perquisition ; s'ils sont accusés et convaincus, il les faut punir. Si pourtant l'accusé nie qu'il soit Chrétien, et qu'il le prouve par sa conduite, je veux dire en invoquant les Dieux, il faut pardonner à son repentir. Au reste, dans nul genre de crimes, on ne doit recevoir de dénonciations anonymes ; car cela est très-éloigné de nos maximes.

Cette affectation de haute équité et de compassion miséricordieuse ne fait que mieux ressortir le caractère particulier de cette troisième persécution.

 

ÉTAT DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE.

au commencement du 2me siècle

 

Au commencement du Une siècle, tous les Apôtres sans exception étaient morts ; mais ils avaient laissé des disciples, et constitué le sacerdoce en établissant les relations hiérarchiques de l'Évêque, du Prêtre, du Diacre, et des Fidèles. Les 4 évangiles de saint Mathieu de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, ainsi que les Epitres Apostoliques, avaient été publiés, et circulaient sous forme de manuscrits sacrés dont il était donné lecture dans les Assemblées et qui contenaient la substance du dogme Chrétien. Il n'y avait pas encore d'édifices spécialement consacrés au culte, puisque la religion Chrétienne n'était pas reconnue ; mais des autels régulièrement bénits existaient déjà dans certaines maisons privées. Ainsi à Rome la tradition rapporte que le premier autel avait été dressé dans la maison du sénateur Pudens, converti des premiers par saint Pierre, et dont les filles Pudentienne et Praxède, par leur foi vive et leur charité ardente, ont mérité les honneurs de la canonisation.

Quatre grands centres de Chrétienté s'étaient formés : le premier à Rome, qui devint de prime abord la tête et le cœur de la société Chrétienne, et trois autres à Alexandrie, à Antioche et à Jérusalem.

C'étaient comme autant de patriarcats qui englobaient chacun dans leur juridiction un grand nombre d'églises particulières.

L'Eglise d'Alexandrie avait été fondée par saint Marc disciple de saint Pierre.

L'évêque Evariste, successeur de Clément Ier était alors le chef de la Chrétienté Romaine, et l'évêque Ignace occupait le siège épiscopal d'Antioche.

Tel était l'état des choses au point de vue religieux lorsque l'Espagnol Trajan fut promu au gouvernement de l'Empire Romain.

C'était un grand général, et un tout autre Empereur que Néron et Domitien.

Il nous reste donc à expliquer d'où pouvait provenir son animosité contre la religion Chrétienne qui commençait à attirer l'attention du monde Païen.

 

ATTITUDE DES PAÏENS.

En face de la religion Chrétienne

 

L'aristocratie intellectuelle de la société antique n'avait tout d'abord opposé au christianisme qu'un système d'indifférence, de railleries et de dédain. A ce monde élégant et frivole qui se nourrissait des productions littéraires de la Grèce et de Rome, à cette classe de lettrés fière de sa haute culture intellectuelle, imbue des maximes pompeuses de la philosophie Stoïcienne, la religion nouvelle, sortie de la Judée, du sein d'une race la plus méprisée de toutes, dut apparaître comme une superstition populaire à peine digne d'attention. Moins légers ou plus clairvoyants, les hommes d'État comprirent bientôt qu'il y avait là pour le culte polythéiste un péril qu'il fallait conjurer par la violence.

En effet cette religion tant dédaignée interdisait particulièrement à ses adeptes toute participation au culte officiel qu'elle attaquait de front comme étant une idolâtrie indigne de Dieu et des hommes.

Une pareille audace, inouïe jusqu'alors, dut paraître monstrueuse à des esprits plongés dans le paganisme. Pour tout Romain attaché au culte de la patrie, les chrétiens étaient coupables de rébellion envers l'État ; leurs réunions formaient autant de sociétés secrètes qui compromettaient la sécurité de l'Empire ; leur refus d'adorer les Empereurs ou de jurer par leur fortune devenait un crime de lèse-majesté Impériale. C'est ce qui explique comment d'illustres princes, passionnés pour la Grandeur Romaine, tels que Trajan et plus tard Marc-Aurèle, ont figuré parmi les ardents persécuteurs de la religion chrétienne.

Une fois envisagés comme ennemis des dieux, les chrétiens durent passer aux yeux du vulgaire comme des mécréants capables de tous les forfaits. La vile multitude les poursuivait de son fanatisme et de ses haines ; elle inventait des crimes atroces, des accusations infâmes pour noircir leur conduite et lasser leur patience ; en un mot le monde païen voulait tour-à-tour étouffer le christianisme dans le sang dans la boue, et ne devait reculer devant aucun raffinement du meurtre juridique pour anéantir tous ceux qui se trouvaient ainsi hors la loi commune.

Ces explications étaient nécessaires au moment où nous allons retracer les principaux épisodes de la-nouvelle persécution qui allait sévir.

 

L'ÉVÊQUE D'ANTIOCHE IGNACE.

Les actes de son martyre

 

Le premier martyr du règne de Trajan avait été le saint évêque de Jérusalem, Siméon, cousin germain de N.-S., qui, à l'âge de 120 ans, après avoir été appliqué à. la torture pendant plusieurs jours, fut mis en croix par l'ordre du proconsulaire Atticus gouverneur de Syrie.

Mais le martyre qui eut le plus de retentissement à cette époque fut celui d'Ignace évêque d'Antioche, métropole de la Syrie et de tout l'Orient.

L'année dans laquelle Trajan prononça contre lui la sentence de mort n'est pas déterminée avec une entière certitude.

D'après les Actes de son martyre, ce serait dans la neuvième année du règne de Trajan, vers l'an 107 ou 108, que ce prince, vainqueur des Scythes et des Daces, aurait séjourné à Antioche avant d'entreprendre son expédition contre les Arméniens et les Parthes.

L'évêque de cette ville fut amené devant lui comme provoquant à la désobéissance aux lois de l'Empire.

Il soutint fièrement l'interrogatoire de l'Empereur, et osa proclamer hautement en sa présence l'unité de Dieu et la divinité de Jésus-Christ en flétrissant l'idolâtrie qu'il appelait le culte des démons.

Trajan, irrité d'une telle liberté de langage, termina la séance d'une façon Impériale en prononçant contre l'évêque cette sentence de mort :

Nous ordonnons qu'Ignace, qui se glorifie de porter en lui le Crucifié (on l'appelait Théophore) soit mis aux fers, et conduit sous bonne et sûre garde à la grande Rome pour y être exposé aux bêtes, et servir de spectacle au peuple.

L'évêque reçut avec joie cette sentence qui lui assurait la couronne du martyre, et après avoir prié avec larmes pour son Eglise, il se livra aux soldats qui le menèrent d'Antioche à Séleucie, et de là par une longue et périlleuse navigation sur la mer à Smyrne, où il put se mettre en rapport avec Polycarpe évêque de cette ville, et comme lui disciple de saint Jean.

Son séjour dans cette cité fut assez long, et permit aux Eglises voisines d'y envoyer des députations pour saluer l'auguste prisonnier et se recommander à ses prières. Ces fidèles venus de loin obtenaient à prix d'argent de la cohorte Romaine la faculté de converser avec l'évêque captif ; et ce trafic convenait trop à la rapacité des soldats pour qu'ils ne songeassent point à en profiter.

Ignace profita de ce répit pour écrire de Smyrne plusieurs lettres dont nous citerons ici la plus célèbre, son Epître aux Romains, qui a été conservée comme l'un des plus beaux monuments de foi, de constance et d'amour de Dieu.

 

ÉPÎTRE D'IGNACE AUX ROMAINS.

 

Ignace débute par un magnifique éloge de l'Église de Rome, de cette Église élevée comme sur un siège d'honneur, digne du nom de Sainte et de bienheureuse par ses vertus, ses mérites, sa pureté éclatante et son ardente charité. Il se félicite d'avoir obtenu de Dieu par ses prières la faveur qu'il implorait avec tant d'ardeur et depuis si longtemps :

Je vous verrai, leur dit-il, je verrai ces visages vénérables marqués du sceau de la Grâce Divine. Chargé de d'aines pour Jésus-Christ, j'espère vous embrasser, si sa volonté sainte me juge digne d'arriver au terme de ma course.

Il les conjure de bannir de leur cœur toute affection purement humaine, et de ne point solliciter sa délivrance, mais de prier plutôt pour qu'il soit immolé à Dieu, maintenant que l'autel est paré pour le sacrifice, et de demander seulement pour lui la force de corps et d'âme dont il a besoin pour que ses actions ne démentent point son langage, et qu'il se montre Chrétien non pas seulement de nom, mais par ses œuvres.

Il les informe qu'il écrit aux Eglises pour leur apprendre qu'il meurt avec joie pour son Dieu. Il s'estime heureux d'être le froment de Dieu, qui doit être broyé par la dent des bûtes féroces, pour être, comme un pain purifié, offert à Jésus-Christ et devenir par ce moyen une hostie digne de lui.

Il déclare qu'il n'avait plus faim d'une nourriture corruptible, ni soif des plaisirs de ce monde, et qu'il ne veut d'autre aliment que le pain de Dieu, la chair de Jésus-Christ, d'autre breuvage que son sang qui est l'immortel amour.

Il termine cette belle Epitre par ces paroles : Souvenez-vous dans vos prières de l'Eglise de Smyrne ; je la confie à votre providence et à votre charité. Je vous écris cette lettre de Smyrne ; elle vous sera remise par des Ephésiens dignes de toutes les bénédictions du Ciel. Je suis ici avec un grand nombre de fidèles et Crocus que j'aime tendrement. Quant à ceux qui m'ont précédé à Rome pour glorifier Dieu, je pense que vous les connaissez : faites leur donc savoir ma prochaine arrivée, et prodiguez-leur tous vos soins.

Dieu vous garde sains de corps et d'esprit dans l'attente de N.-S. Jésus-Christ.

 

IGNACE À L'AMPHITHÉÂTRE DE ROME.

 

Après qu'Ignace eut écrit cette lettre aux chrétiens qui étaient à Rome pour les disposer à être les spectateurs paisibles de sa mort et pour leur faire perdre toute pensée de s'y opposer, il partit de Smyrne sur un bâtiment qui vint mouiller à Troade : de là, toujours conduit par les soldats qui étaient chargés de sa garde, il prit le chemin de Napoli, et passant par Philippes sans y séjourner il traversa toute la Macédoine ; enfin il fut embarqué de nouveau à Epidamme sur les côtes de l'Epire, passa de la mer Adriatique dans la mer Tyrrhénienne, et lorsqu'il arriva en vue de Pouzzoles, il pria qu'on lui permit de descendre à terre, désirant marcher sur les pas de l'apôtre Saint Paul, et suivre ses précieuses traces ; mais un coup de vent ayant repoussé le vaisseau en pleine mer, il en fut ainsi empêché, et fut porté à l'embouchure du Tibre où il débarqua.

A peine eut-on pris terre qu'on le dirigea sur Rome : le bruit de son arrivée le devançait partout. Suivant ce que rapportent les Actes, ses gardes s'empressèrent de le faire conduire à l'Amphithéâtre ; car on était à la fin d'un de ces jours solennels que la superstition Romaine avait consacrés sous le nom de fêtes Sigillaires. La ville entière était accourue au Colysée où devait avoir lieu l'exposition aux bêtes. Elle put repaître ses yeux du sang du martyr qui ayant été livré à deux lions fut un instant dévoré par ces cruels animaux. Ils ne laissèrent de son corps que les plus gros ossements qui furent recueillis avec respect par les fidèles, portés à Antioche, et déposés à l'église comme un trésor inestimable. Son martyre aurait eu lieu le 13 des Calendes de Janvier (vingtième jour de Décembre) sous le consulat de Sura et de Sénécion.

Les fêtes Sigillaires dont il est ici question faisaient partie des Saturnales consacrées au Dieu Saturne.

Le 13 des Calendes de Janvier était le jour où la foule affluait le plus dans le temple de ce Dieu pour venir lui sacrifier, et lui offrir comme victimes expiatoires, pour soi et les siens, des marmousets en terre cuite en représentation des sacrifices humains qui autrefois étaient faits en son honneur.

Telle fut la fin de l'évêque d'Antioche Ignace.

Onésime, disciple de saint Paul, et qui avait succédé à Timothée sur le siège d'Éphèse, fut aussi amené alors à Rome pour y subir la peine de la lapidation.

 

L'EMPEREUR TRAJAN ET SA COLONNE.

 

Le troisième persécuteur des chrétiens, l'empereur Trajan mourut en Cilicie, dans la 20me année de son règne, et la 117me de J.-C.

Ses cendres furent transportées à Rome, et ensevelies au pied de la colonne qui porte son nom, et qu'il avait fait élever pour servir de témoignage immortel de ses victoires devant la postérité.

Cette colonne subsiste encore aujourd'hui ; elle est en marbre de Carrare, et se compose de 23 blocs si parfaitement unis ensemble par des crampons de bronze qu'elle paraît être d'une seule pièce. Elle est comme revêtue extérieurement d'un bas-relief en spirale qui en fait 23 fois le tour. C'est un poème en marbre qui célèbre les victoires de Trajan sur les Daces. Deux mille cinq cent figures ont l'air de se mouvoir dans cet immense bas-relief où sont retracés tous les épisodes d'une campagne militaire.

La colonne triomphale avait été érigée au milieu du magnifique forum de Trajan, et était surmontée jadis de la statue de cet Empereur en bronze doré.

Aujourd'hui la statue de bronze qui la domine, c'est celle de l'humble batelier de la Galilée, du pauvre pêcheur Pierre, crucifié sous Néron.

Ô prodigieux changement des choses humaines !

Les merveilles du forum de Trajan ont disparu ; il n'en subsiste plus autour de sa colonne que des tronçons informes de fûts déterrés du sol où ils étaient enfouis, ruines éloquentes, qui semblent proclamer devant tous les siècles le néant des grandeurs militaires par rapport aux grandeurs impérissables de la Religion.

Rome a cela de particulier entre toutes les villes du monde que le triomphe du Christ sur la société païenne s'y retrouve et y apparaît presque partout comme un fait séculaire d'une signification toujours éclatante et toujours nouvelle : c'est le fait capital qui résulte de l'aspect de ses monuments, de ses débris, de tout son extérieur ; c'est la grande leçon qu'elle donne, c'est le souvenir indestructible qu'elle retrace à tous ceux qui viennent la visiter.

Suivant les traditions ecclésiastiques, son évêque Evariste aurait subi également le martyre dans la persécution de Trajan : il eut pour successeur sur le siège épiscopal Alexandre, Romain de naissance, qui l'occupait encore au moment de la mort de ce prince.

 

RÈGNE DE L'EMPEREUR ADRIEN.

Extermination des Juifs

 

Trajan n'avait point laissé d'enfants : après sa mort, son cousin Adrien, Espagnol comme lui de naissance, fut élu Empereur par les légions, et reconnu par le sénat.

Ce prince, dès les premières années de son règne se proposa d'anéantir la nationalité Juive.

Il commença par changer le nom antique de la ville de David en celui d'Ælia Capitolina ; il y fit bâtir des autels à tous les dieux, et pour atteindre plus sûrement les Juifs dans leur inviolable attachement à la loi de Moïse ; il leur défendit sous peine de mort de circoncire leurs enfants.

Les Juifs poussés à bout se révoltèrent une dernière fois vers l'an 133 de J-C. et mirent à leur tête un nommé Barcochébas qui se faisait passer pour le Messie toujours attendu. Les horreurs de la dernière guerre Juive sous Vespasien se renouvelèrent. Près de six cent mille Juifs périrent ; toute la Judée fut dévastée, et ce qui resta du peuple fut réduit en esclavage. Une immense multitude de captifs furent vendus sur les marchés de Térébinthe et de Gaza. Jérusalem ne conserva plus aucun des souvenirs de sa gloire passée. Les pierres qui avaient servi à la construction du temple furent employées à bâtir un théâtre. Sur l'une des portes on plaça un pourceau de marbre, animal le plus immonde pour les Juifs. Une idole de Jupiter fut érigée sur l'emplacement du Saint-sépulcre. Une statue de Vénus fut dressée sur le Calvaire ; un bois sacré fut planté à Bethléem. Les lieux sanctifiés par la crèche de Jésus furent consacrés au culte d'Adonis. Enfin défense fut faite aux Juifs dispersés d'entrer à Jérusalem, ni même de regarder cette ville, objet de leur amour ; ils obtinrent seulement une fois par an d'aller pleurer sur ces ruines qu'ils ne pouvaient effacer de leurs souvenirs.

On voit par ces détails que l'Empereur Adrien, en exterminant les Juifs, croyait abolir ou profaner en même temps le culte des Chrétiens qu'il regardait comme une secte issue du Judaïsme.

Il n'avait rien changé du reste aux dernières décisions de Trajan par rapport à ces contempteurs des dieux de l'Empire, en sorte que sous son règne, s'il n'y eut pas de persécution générale, les chrétiens ne s'en trouvèrent pas moins exposés à la haine des païens.

 

MARTYRES LOCAUX.

La veuve Symphorose et ses sept fils.

 

Parmi les martyres locaux qui eurent lieu à cette époque, la tradition ecclésiastique signale celui du pontife Romain Alexandre Ier qui fut condamné à mort avec Évence et Théodule, deux de ses prêtres. Il eut la tête tranchée le 3 Mai de l'an 119 après J-C.

C'est à lui que l'on attribue l'ordonnance concernant r usage du pain azyme pour le saint sacrifice.

Il eut pour successeur sur le siège apostolique Sixte Ier, qui fut lui-même martyrisé sous le règne d'Adrien en l'an 128 de J-C.

L'anachorète Télesphore fut élu à sa place. Les actes de sainte Symphorose et de ses sept fils méritent également d'être mentionnés ici.

Symphorose, veuve d'un tribun militaire, habitait avec sa famille la colline de Tibur où l'empereur Adrien avait fait construire une magnifique villa qu'il voulut inaugurer par des sacrifices solennels en l'honneur des dieux de l'Empire.

Symphorose ayant refusé d'assister à ces cérémonies profanes, et d'offrir de l'encens aux idoles, l'Empereur irrité ordonna qu'elle fia conduite au temple d'Hercule, qu'on lui meurtrit le visage à coups de poing, et qu'on la suspendit par les cheveux.

Comme elle demeurait inébranlable dans sa résolution, il la fit jeter dans le Tibre avec une pierre au cou.

Ses sept fils ayant suivi l'exemple de leur mère, il fit planter autour du temple d'Hercule sept poteaux, sur lesquels on étendit les sept frères avec des poulies, et on les fit mourir par divers genres de supplices.

Crescentius l'aîné fut percé d'un coup d'épée dans la gorge ; le second, nommé Julien, eut la poitrine traversée de plusieurs pointes de fer qu'on lui enfonça, Némésius reçut un coup de lance dans le cœur, Primitivus, dans l'estomac. Justin eut les reins brisés ; on ouvrit les côtes à Stractius, et Eugène, le plus jeune de tous, eut le corps fendu de haut en bas.

Au nombre des autres martyrs de ce temps la chronique Ecclésiastique d'Eusèbe cite encore Eustache, capitaine des armées Impériales, qui fut supplicié avec sa femme et ses enfants.

L'Empereur Adrien qui fit un dieu de son favori Antinoüs, mourut à Baia le 12 juillet 133.

Le mausolée qui lui fut élevé existe encore ; mais il a été converti en forteresse, et il est actuellement connu à Rome sous le nom de château saint-Ange.

 

RÈGNE D'ANTONIN DIT LE PIEUX.

Première apologie de saint Justin

 

L'Empereur Antonin, qui fut le successeur d'Adrien par adoption, était issu d'une famille originaire de la ville de Nîmes dans la Gaule. Malgré le caractère de douceur et de clémence qui le distingue, la persécution contre les chrétiens fit encore quelques victimes sous son règne. Selon la tradition ecclésiastique, le pontife Romain Télesphore et plus tard son successeur Hygin auraient été du nombre de ces victimes.

Un document intéressant qui se rattache à la défense des persécutés de cette époque est parvenu jusqu'à nous : c'est la première apologie des chrétiens par Justin, philosophe païen converti à la Foi.

Justin était né à Naplouse, ville de la Palestine ; mais il était venu se fixer à Rome dont il faisait sa résidence habituelle.

Cette apologie commence ainsi :

A l'Empereur Titus, Ælius, Adrianus, Antoninus Pius, César Auguste ; à Vérissime, son fils, ami de la vérité, (Marc-Aurèle) à Lucius, également ami de la vérité, (Lucius-Vérus), au sénat et à tout le peuple Romain, en faveur des hommes de toute condition qui sont injustement haïs et persécutés comme chrétiens, moi Justin Priscus, petit fils de Bacchius, un d'entre eux, j'ai présenté cette requête.

Après quelques considérations préliminaires sur les règles que prescrivent la raison et la saine vérité dans la recherche des crimes, Justin témoigne son indignation de ce qu'il suffise de s'avouer Chrétien pour être conduit au supplice, pendant que ceux qui apostasient devant les tribunaux sont absous avec les honneurs dus à l'innocence et à la vertu, comme s'il n'était pas d'une justice rigoureuse d'examiner préalablement la conduite d'un accusé pour la condamner ou l'absoudre suivant ses œuvres.

Passant ensuite à l'exposition simple, claire et précise de la doctrine des Chrétiens il commence par les justifier du reproche d'athéisme qui leur était imputé. Les Chrétiens sont athées, il est vrai, en ce qui concerne les dieux adorés par les païens, mais non pas en ce qui concerne le Dieu de vérité, le Père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l'Être de perfection infinie. C'est là le Dieu qu'ils adorent, et avec lui son Fils qu'il a envoyé, et qui les a instruits, Jésus-Christ leur maître, crucifié en Judée sous Ponce-Pilate, et enfin l'Esprit prophétique ou le Saint-Esprit.

 

PROTESTATION DE L'APOLOGISTE.

contre l'Exposition des nouveau-nés chez les Païens

 

De la défense, Justin passe promptement à l'attaque. Après avoir constaté que le seul chef d'accusation qui soit imputable aux Chrétiens, c'est qu'ils n'adorent pas les dieux de l'Empire, qu'ils ne font aux morts ni libations ni offrandes, et qu'ils ne consacrent aux idoles ni couronnes, ni victimes, il signale en premier lieu comme l'un des bienfaits de leur religion la réprobation absolue dont elle poursuit une coutume odieuse usitée chez les païens, l'exposition des enfants nouveau-nés qui étaient abandonnés par leurs parents.

Il s'élève avec force contre cet infatue usage pratiqué dans toute l'antiquité, et qui avait pour effet de vouer presque toutes ces infortunées créatures, non-seulement les jeunes filles, mais mieux les jeunes garçons à une prostitution infatue et sans nom. Il se plaint qu'au lieu de purger la terre d'un scandale pareil, les empereurs en profitent pour en recueillir des tributs et des impôts, et qu'ils offrent ainsi une prime au commerce destiné à l'alimentation des plus honteuses débauches.

 

LE RIT DU BAPTÊME CHRÉTIEN.

 

Comme contre partie à cet abandon monstrueux des créatures humaines, Justin expose ensuite le rit de l'initiation Chrétienne, ou le baptême tel qu'il existait dans la première Eglise.

Je dois, dit-il, vous expliquer le moyen par lequel nous autres au contraire nous sommes consacrés à Dieu, et renouvelés dans le Christ ; car si j'omettais ce point, vous pourriez chercher matière à reproche dans mon discours. Quelqu'un désire-t-il être convaincu de la vérité de nos doctrines, nous exigeons de lui qu'il promette de vivre en conséquence ; nous jeûnons avec lui ; nous unissons nos prières aux siennes pour qu'il obtienne de Dieu le pardon de ses péchés.

Nous conduisons ceux qui se sont ainsi préparés près d'un lieu où il y a de l'eau : là, ils sont régénérés de la même manière que nous l'avons été nous-mêmes. Car ils reçoivent la purification dans l'eau au nom du Père, souverain de toutes choses, de Jésus-Christ, notre Sauveur et de l'Esprit-Saint.

Ce sont les Apôtres qui nous ont appris à faire de la sorte.

Nous naissons en effet une première fois, sans que nous en ayons eu conscience, et sous la loi de la nécessité, nous sommes élevés sous l'influence des mauvaises mœurs et d'une éducation vicieuse. Or, nous ne devons par rester les fils de la nécessité et de l'ignorance, mais devenir les enfants de l'élection et de la connaissance ; nous sommes appelés à recevoir dans l'eau la rémission de nos fautes antérieures ; c'est à cette fin qu'on prononce le nom du Père, souverain de toutes choses, sur quiconque veut être régénéré après avoir fait pénitence de ses péchés.

Le baptême s'appelle également illumination, parce qu'il donne la lumière aux initiés.

Or quiconque reçoit ainsi la lumière, est baptisé au nom de Jésus-Christ, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, et au nom de l'Esprit-Saint qui a prédit par les Prophètes tout ce qui devait s'accomplir en Jésus.

Voilà de quelle manière l'apologiste décrit le baptême Chrétien au deuxième siècle.

Ce passage important, dit Mgr Freppel, confirme clairement la doctrine et la pratique de l'Eglise Catholique touchant le sacrement de la régénération. Le dogme du Péché Originel s'y trouve parfaitement exprimé, ainsi que la nature et les effets du sacrement, considéré dans ses éléments constitutifs et primordiaux.

 

LE MYSTÈRE DE L'EUCHARISTIE

Justin continue à exposer ainsi la Liturgie Chrétienne :

Quand celui qui s'est associé à notre foi a reçu l'ablution dont nous avons parlé, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés ceux que nous nommons nos Frères. Là commencent en commun les prières ardentes que nous faisons pour l'Illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l'espoir d'obtenir avec la connaissance que nous avons de la Vérité, la Grâce de vivre dans la droiture des Œuvres et dans l'observance des préceptes, et de mériter ainsi le Salut Eternel.

La prière étant terminée, nous nous saluons d'un signe de paix.

Ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères du pain, de l'eau et du vin. Il les prend, et chante les louanges du Père de l'univers par le nom de son Fils et de l'Esprit-Saint : il fait alors une longue action de grâces, remerciant Dieu d'avoir agréé ses dons. Les prières et l'action de grâces terminées, tout à peuple s'écrie : Amen. Ce mot en langue hébraïque, signifie : Ainsi soit-il !

Après l'acclamation du peuple, ceux que nous appelions Diacres distribuent aux assistants et vont porter aux absents le pain et le vin mêlé d'eau qui ont été consacrés.

Or cet aliment porte chez nous le nom d'Eucharistie ; pour y participer, il faut croire à la vérité de nos doctrines, avoir reçu dans le baptême une seconde naissance avec le pardon des fautes, et de plus vivre selon les préceptes de Jésus-Christ.

Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain ou un breuvage ordinaire ; mais de même que par la parole de Dieu Jésus-Christ notre Sauveur a été fait chair, a pris un corps et du sang pour notre salut, de même aussi cet aliment, qui par l'assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est devenu par la vertu de l'Action de Grâces contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le propre sang et la propre chair de Jésus incarné : tel est l'enseignement que nous avons reçu.

En effet, dans leurs mémoires appelés Évangiles, les Apôtres rapportent que Jésus leur avait donné ce commandement : après avoir pris du pain et rendu grâces, il dit : Faites pareillement en mémoire de moi : CECI EST MON CORPS. De même après avoir pris le calice et rendu grâces, il dit : CECI EST MON SANG.

 

LA RÉUNION DOMINICALE.

 

L'Apologiste expose en outre les cérémonies usitées de son temps pour la célébration du Dimanche : voici ce qu'il a dit à ce sujet.

Le jour qu'on est convenu d'appeler le Jour du Soleil, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et là on lit les récits des Apôtres, ou les écrits des Prophètes selon le temps dont on peut disposer.

Quand le Lecteur a fini, celui qui préside l'Assemblée fait un discours pour exhorter à l'imitation de ces sublimes enseignements.

Ensuite nous nous levons tous, et nous prions ; et, comme nous l'avons dit, la prière terminée, on apporte du pain, du vin et de l'eau ; et celui qui préside fait les prières et les actions de Grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple répond : Amen ! et la distribution, et la communion générale des choses consacrées se font à toute l'assistance ; la part des absents leur est portée par les Diacres.

Ceux qui sont dans l'abondance, et veulent donner font leurs largesses ; et ce qui est recueilli est remis à celui qui préside, et il assiste par là les veuves, les orphelins, les malades, les indigents, les prisonniers et les étrangers : en un mot il prend soin de soulager tous les besoins.

Si nous nous rassemblons le jour du Soleil, c'est, dit-il encore, parce que ce Jour est celui où Dieu, tirant la matière des ténèbres, commença à créer le monde, et celui où Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita d'entre les morts : car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le lendemain de ce jour, c'est-à-dire le jour du Soleil, il apparut à ses disciples étant ressuscité.

Tels sont les passages les plus importants de cette célèbre Apologie, qui contient encore dans d'autres parties du discours l'exposition de la croyance à la maternité virginale de Marie, c'est-à-dire au dogme de l'Incarnation, qui énonce comme une vérité l'action possessive de Satan et des Démons sur l'humanité, qui proclame enfin le dogme de la Résurrection des Morts comme le fondement de la Foi Chrétienne, et l'attente du Jugement dernier, à la suite duquel les corps des Justes seront revêtus d'une immortalité Glorieuse, tandis que ceux des Méchants brilleront dans le Feu Éternel.

 

DÉCRET DE L'EMPEREUR ANTONIN

concernant les Chrétiens

Comme on le voit, la première Apologie de Justin est surtout remarquable en ce sens qu'elle met en relief les principaux dogmes de la Foi Catholique tels qu'ils ont été formulés plus tard clans le Concile de Nicée.

Cette Apologie toucha-t-elle le cœur de l'Empereur Antonin ? Il serait permis de le conjecturer par le rescrit Impérial dont Eusèbe nous a conservé le texte.

Les fidèles de l'Asie et de la Grèce, persécutés comme ceux de Rome, avaient également adressé à l'Empereur des plaintes sur les vexations de tout genre qu'ils avaient à souffrir de leurs compatriotes.

Les païens rejetaient sur les Chrétiens la responsabilité de toutes les calamités publiques qu'ils regardaient comme une vengeance céleste pour les outrages que les Dieux recevaient chaque jour de cette secte impie.

Or vers les années 148 à 150 de l'Ere Chrétienne, différents fléaux avaient éclaté à la fois : une famine cruelle, une inondation du 'Fibre, un tremblement de terre qui renversa plusieurs villes en Asie, et dans File de Rhodes. Les cris sanguinaires de la populace contre les Chrétiens retentirent donc avec une nouvelle fureur ; et pour arrêter les effets de cette haine aveugle, l'Empereur Antonin se vit obligé d'envoyer aux villes d'Asie en faveur des disciples du Christ le décret suivant :

L'Empereur Titus Ælius Adrianus Antoninus Auguste, Pieux, souverain Pontife, la XVème année de sa puissance tribunitienne, Consul pour la me fois, Père de la Patrie, aux peuples de l'Asie, Salut :

Je ne doute point que les dieux eux-mêmes n'aient soin de découvrir les Chrétiens, quelqu'effort qu'ils fassent pour se cacher. En effet ils ont à la fois et plus d'intérêt et plus de puissance que nous pour punir ceux qui refusent de les adorer. Mais vous, qui ne cessez de molester ces gens, d'accuser leur doctrine d'athéisme, et de leur imputer des crimes dont vous ne pouvez ensuite fournir la preuve, prenez garde qu'au lieu de les ramener à de meilleurs sentiments, vous ne les rendiez encore plus obstinés : car ils souhaitent moins de vivre que de mourir pour leur Dieu.

Après quelques autres considérations qui semblent accuser les païens plutôt que les sectateurs du Christ, l'Empereur ordonne que si l'on continue à intenter des actions à quelque Chrétien uniquement à cause de sa religion, l'accusé soit renvoyé absous, et que l'accusateur soit puni suivant la rigueur des lois.

Cette ordonnance d'Antonin fut promulguée solennellement à Ephèse, chef-lieu des assemblées générales de l'Asie. On prit sein d'en envoyer des copies aux gouverneurs des autres villes, et la paix fut accordée pour quelque temps à l'Eglise.

L'Empereur Antonin dit le Pieux mourut après 22 années de règne en l'an 160 de l'Ère Chrétienne.

Sous son règne, le siège épiscopal de Rome avait été occupé par les Pontifes Hygin, qui mourut en l'an 142, Pie Ier, qui mourut en l'an 150, et Anicet qui conserva l'administration de ce siège jusqu'à l'année 161.

C'est à cette époque qu'il convient de rapporter la fondation de l'Eglise de Lyon dans les Gaules.

Saint Pothin en fut le premier évêque ; à l'Eglise de Lyon se rattachent immédiatement celles de Vienne, de Valence et de Besançon.

Ainsi la foi chrétienne ne cessait de se répandre malgré tous les obstacles qui lui avaient été opposés, et le nombre de ses sectateurs s'accroissait de jour en jour.

 

IVe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

RÈGNE DE L'EMPEREUR MARC-AURÈLE.

 

L'Empereur Antonin avait laissé pour lui succéder deux fils adoptifs, Marc-Aurèle, son neveu et son gendre, et Lucius Vérus. Ils partagèrent ensemble le commandement et le titre d'Auguste, et régnèrent d'abord conjointement.

Lucius Vérus était un homme livré à toutes les débauches, et ne s'occupa jamais sérieusement du gouvernement.

Quant à Marc-Aurèle, il prétendait tirer son origine du roi Numa, et se piquait de lui ressembler par son attachement et son zèle pour l'ancienne religion des Romains. Il professait la philosophie Stoïcienne, et n'aimait pas les disciples du Crucifié par une sorte de rivalité de secte. Aussi sa clémence naturelle ne l'empêcha pas de se montrer entièrement dur et même cruel à l'égard des Chrétiens.

Dans les premières années de son règne (vers l'an 166 de J.-C.) il adressa aux gouverneurs de L'Empire le décret de la IVe persécution générale :

Ce décret était ainsi conçu :

L'Empereur Marc-Aurèle à tous ses administrateurs et officiers :

Nous avons appris que ceux qui de nos jours s'appellent Chrétiens violent impunément les lois de l'Empire et les ordonnances de nos prédécesseurs.

Arrêtez-les ; et s'ils ne sacrifient à nos dieux, punissez-les par divers genres de supplices. Ayez soin toutefois que la punition cesse avec le crime.

La fureur populaire longtemps comprimée par la bienveillance d'Antonin éclata avec une nouvelle violence aussitôt que l'édit fut promulgué dans les différentes provinces. Les premières victimes frappées à Rome furent une noble dame veuve nommée Félicité et ses sept fils, tous accusés de pratiquer le Christianisme avec un grand zèle. Le premier expira sous des fouets armés de balles de plomb. On assomma le second et le troisième à coups de bâtons ; le quatrième fut précipité d'une hauteur dans le Tibre : les trois derniers Alexandre, Vital et Martial furent décapités.

Après eux leur mère, déjà sept fois martyre, termina sa vie par le même supplice. L'Eglise de Rome était alors gouvernée par l'évêque Soter, successeur d'Anicet Ier.

 

LETTRE DE L'ÉGLISE DE SMYRNE.

Martyre de l'Évêque Polycarpe

 

La persécution sévissait en Asie avec une égale violence. Une lettre célèbre, écrite par l'Église de Smyrne à celle de Philadelphie et à toutes les Eglises du monde, nous a conservé les détails des combats que les Chrétiens eurent alors à soutenir entre les ennemis de leur Foi.

Un jeune homme nommé Germanicus signala sa constance par-dessus tous les autres, Exposé dans l'amphithéâtre, il s'élança lui même au devant des bêtes qui déchirèrent bientôt ses membres sanglants. Surpris et irrité de ce courage héroïque, le peuple s'écria tout d'une voix : à mort les athées ! c'est le nom que l'on donnait aux chrétiens parce qu'ils refusaient de sacrifier aux dieux.

Que l'on cherche Polycarpe !

C'était le chef de la chrétienté de Smyrne : disciple de l'apôtre Saint Jean, préposé par lui au gouvernement de cette église, cet homme vraiment apostolique n'avait cessé d'y répandre les enseignements évangéliques, depuis plus de soixante ans. Sur les instances des fidèles qui l'en avaient supplié, il avait quitté momentanément la ville de Smyrne pour se laisser conduire dans une maison de campagne aux portes de cette cité. Un serviteur trahit sa retraite, et conduisit les soldats à l'appartement où il reposait. Arrêté d'après les ordres du proconsul, il fut ramené dans sa ville épiscopale, entouré d'une multitude qui criait : c'est le docteur de l'Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos Dieux ! qu'on lâche un lion sur Polycarpe !

Mais les combats de l'amphithéâtre étant achevés ce jour là, le peuple dans sa fureur courut en foule prendre du bois dans les maisons et les bains publics pour en former un bûcher. Dès qu'il fût prêt, Polycarpe ôta sa ceinture, et se dépouilla de ses vêtements. Comme les bourreaux se disposaient à le clouer au bûcher : laissez, leur dit-il ; celui qui me donne la force de souffrir m'en donnera aussi pour demeurer ferme au milieu des flammes. Il fut donc placé libre dans le bûcher, semblable, dit la lettre de l'Eglise de Smyrne, à un bélier choisi dans le troupeau comme un holocauste agréable et accepté de Dieu.

Les actes de son martyre rapportent que les flammes, par un prodige miraculeux, n'ayant pas consumé son corps, les païens commandèrent à l'un de ceux qui dans les amphithéâtres donnaient le dernier coup aux bêtes sauvages, de lui plonger l'épée dans le corps. Le confecteur, exécutant cet ordre barbare, acheva le saint martyr.

La lettre des fidèles de Smyrne termine ainsi ce récit :

Pour nous, nous eûmes le bonheur de recueillir ses ossements, plus précieux à. nos yeux que des pierres précieuses. Ils furent déposés avec honneur dans un lieu convenable. Dieu nous fera la grâce de nous y réunir chaque année pour célébrer la fête glorieuse de sa naissance par le martyre, pour nous souvenir de ceux qui ont combattu, et retremper le courage des générations à venir par les nobles exemples de leurs aïeux.

Tel est le récit de la mort de l'évêque Polycarpe, que, suivant les calculs les plus probables, on rapporte au 23 février de l'an 166 après J.-C.

Toutes les églises de l'Asie Mineure et du monde entier voulurent lire la relation de ses derniers moments, et l'autorité du vénérable évêque de Smyrne, qui avait converti tant d'infidèles pendant sa vie, eut même après sa mort le privilège d'affermir les chrétiens dans la confession généreuse de leur foi.

 

LES PHILOSOPHES PAÏENS.

 

Pendant que le sang généreux des martyrs coulait sur les bûchers, sous la dent des bêtes ou le glaive des bourreaux, les philosophes païens aiguisaient contre les chrétiens l'ironie et le sarcasme, et se sentaient le courage d'insulter à des hommes qui savaient mourir pour leur foi. Celse l'épicurien se distingua dans cette guerre lâche et froidement cruelle. Son livre intitulé : Discours de vérité, n'était qu'une satire amère des Juifs et des Chrétiens, que le philosophe semble confondre dans un égal mépris. Il y avance d'abord toutes les calomnies vulgairement accréditées parmi les Romains de cette époque contre Moïse et sa législation. Malgré le ton insultant qu'il conserve dans toute cette diatribe, il lui échappe cependant des aveux qui suffiraient seuls à établir contre lui la vérité du Christianisme. Ainsi il convient que la religion Chrétienne, répandue de son temps même dans tout le monde connu, avait été fondée par un Juif crucifié qui s'était associé pour cette œuvre une douzaine de pêcheurs, et d'hommes inconnus et illettrés.

Il ne reproche aux chrétiens d'autre crime que de s'assembler en secret contre la défense des magistrats, de détester les idoles et leurs autels, et de blasphémer les dieux. Il ne nie point que Jésus-Christ et ses disciples, ceux mêmes qui vivaient de son temps, n'eussent fait des miracles ; mais au lieu d'y voir la preuve d'une vertu divine, il les attribue à des enchantements puissants et aux artifices de la magie.

Son ouvrage fut le premier qui eut pour but direct d'attaquer le christianisme.

Vers le même temps, un autre philosophe Cynique de profession, écrivait aussi contre les chrétiens,

C'était Crescent connu par ses infamies et sa sordide avarice ; ce qui ne l'empêchait pas d'être pensionné par Marc-Aurèle, et honoré publiquement de la faveur Impériale.

L'apologiste Justin le provoqua à des conférences publiques qui tournèrent à la plus grande gloire du christianisme, et à la confusion de la philosophie.

Crescent s'en vengea en signalant Justin à l'attention des persécuteurs de sa foi.

 

MARTYRE DU PHILOSOPHE JUSTIN.

 

Justin en effet avait publié une seconde Apologie qu'il eut le courage d'adresser à l'empereur Mare-Aurèle, et dans laquelle il établissait victorieusement la supériorité de la doctrine de Jésus-Christ sur celle des philosophes. Peu de temps après cette publication, sur les dénonciations de Crescent, il fut arrêté avec quelques uns de ses disciples.

Le préfet de Rome Rustique le fit comparaître devant son tribunal : Toi qui crois avoir trouvé la vraie science, lui dit-il, quand tu seras déchiré de coups de fouets de la tète jusqu'aux pieds, tu crois donc que tu pourras monter au ciel ! — Non seulement je le crois, répondit Justin ; mais j'en suis assuré : Jésus-Christ a promis cette récompense à ceux qui auront gardé sa loi.

Le préfet indigné de son obstination prononça contre lui et ses disciples le dernier supplice.

Ils furent donc conduits tous au lieu de l'exécution, et après avoir enduré la flagellation, décapités successivement sous la hache du bourreau,

Leurs corps enlevés secrètement par les fidèles, furent ensevelis avec les honneurs dus aux martyrs.

 

HISTOIRE DE LA LÉGION FULMINANTE.

 

Nous n'avons pas de renseignements précis sur l'étendue et la durée de la persécution qui sévissait alors sur l'église, et dont nous avons désigné les deux plus illustres victimes.

Cette persécution était-elle arrêtée en l'année 169 de J-C. marquée par la mort de Lucius Vérus, collègue de Marc-Aurèle, ou bien subsista-t-elle de fait jusqu'à l'année 174 où mourut l'évêque de Rome Soter qui fut remplacé sur le siège de saint Pierre par le pontife Eleuthère ? Nous n'en savons rien ; ce qui est seulement certain, c'est que plusieurs écrivains en ont fixé la cessation à la suite d'un évènement regardé comme miraculeux qui survint vers cette époque, et dont nous devons faire ici une mention spéciale.

L'empereur Marc-Aurèle était engagé dans une guerre avec les Quades, populations guerrières qui habitaient les montagnes de la Bohème actuelle.

Il fut enfermé avec ses légions dans un défilé de ces montagnes par les Barbares, qui s'étant saisis de tous les passages, avaient ôté aux Romains tous les moyens possibles de se procurer de l'eau.

Or il se trouvait dans l'armée Impériale une légion composée de soldats chrétiens, la plupart de Mélitine en Arménie ou des environs. Ils se mirent à genoux, adressèrent à Dieu de ferventes prières.

Tout à coup on vit des nuages épais s'amonceler dans le ciel ; bientôt une pluie bienfaisante tomba sur le camp ; d'abord les Romains levaient la tête, et recevaient l'eau dans la bouche, tant ils étaient pressés par la soif ! Ils la reçurent ensuite dans leurs boucliers et leurs casques, burent abondamment et abreuvèrent leurs chevaux. Profitant du désordre, les Quades fondirent sur eux en sorte que les Romains étaient obligés de boire et de combattre en même temps. Mais à la pluie vinrent se mêler des foudres et des feux qui frappant sur les barbares occasionnèrent leur déroute complète.

Ce fait est rapporté par l'historien Grec Dion Cassius, et le souvenir en a été consigné dans les bas-reliefs de la colonne Antonine, élevée plus tard à Rome en l'honneur des triomphes de Marc-Aurèle. On donna le nom de Fulminante à la légion dont faisaient partie les soldats Chrétiens.

Toutefois les païens avaient attribué ce prodige à l'influence de Jupiter pluvieux.

 

Ve PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

LE CHRISTIANISME DANS LA GAULE.

 

Si la persécution exercée sous le règne de Marc-Aurèle contre les Chrétiens fut suspendue pendant quelques années comme on est porté à le présumer, il est constant d'un autre côté qu'elle se ralluma avec plus de violence que jamais en 177 de J.-C. et la province qui en devint le théâtre principal, fut la Gaule où la foi Chrétienne avait déjà fait de très-sensibles progrès : et c'est là sans doute ce qui avait surexcité les fureurs des païens. La tradition nous en a été conservée dans une lettre adressée par les Eglises de Vienne et de Lyon aux Eglises d'Asie et de Phrygie. Cette lettre commence ainsi :

Les Serviteurs de Jésus-Christ qui habitent les villes de Vienne et de Lyon dans les Gaules à leurs frères établis en Asie et en Phrygie, auxquels ils sont unis par la même foi et la même espérance de rédemption, paix et gloire au nom de Dieu, le Père et de Jésus-Christ notre Seigneur.

Le premier Évêque de Lyon, Pothin, était en effet sorti de l'Asie puisqu'il était disciple de Saint-Polycarpe.

La lettre entre à ce sujet dans une suite de détails qu'il est bon de reproduire ici :

L'animosité des païens contre nous, y est-il dit, était arrivée à un point que l'on nous chassait des maisons particulières, des bains et des places publiques.

Notre présence, en quelque lieu que ce fût, suffisait pour attirer contre nous les outrages de la multitude.

Les saints confesseurs supportèrent avec la plus généreuse constance, tout ce qu'on peut endurer de la part d'une populace insolente, les vociférations injurieuses, le pillage de leurs biens, les insultes, les coups de pierres et les autres excès auxquels se porte un peuple furieux contre ceux qu'il regarde comme ses ennemis. Traînés au Forum, et interrogés par les magistrats, « ils confessèrent hautement leur foi, et furent jetés en prison jusqu'à l'arrivée du gouverneur. Dès que celui-ci se fut saisi de cette affaire, il fit arrêter les Chrétiens les plus distingués, et les plus fermes soutiens des deux églises de Vienne et de Lyon.

La fureur de la multitude, du gouverneur et des soldats s'acharna particulièrement contre Sanctus, diacre de Vienne ; Maturus, néophyte plein de courage et de zèle ; Attale, originaire de Pergame, un des plus intrépides défenseurs de la foi, et contre Blandine, jeune esclave, délicate et faible, qui trouva dans sa constance assez de force pour lasser les bourreaux chargés de la torturer, à tour de rôle, depuis le matin jusqu'au soir.

Le diacre Sanctus, à toutes les interrogations du gouverneur sur son nom, son origine, sa patrie, ne voulut répondre que par ces mots : Je suis Chrétien. On fit rougir au feu des lames de cuivre, qu'on appliqua aux endroits les plus sensibles de son corps.

Quelques jours après, les bourreaux le soumirent à de nouveaux tourments, quand l'inflammation de ses premières plaies les rendait douloureuses qu'il ne pouvait souffrir le plus léger attouchement. Enfin par un jugement définitif, les héroïques confesseurs furent condamnés aux bêtes.

Maturus et Sanctus, exposés les premiers dans l'amphithéâtre, furent d'abord frappés de verges : on les fit ensuite asseoir sur une chaise de fer rougie au feu. Leur chair brûlée répandait une odeur insupportable ; mais les spectateurs n'en étaient que plus ardents à demander de nouveaux supplices pour dompter cette patience inépuisable. On les abandonna aux morsures des bêtes, et ils fournirent ainsi pendant un jour entier le cruel divertissement que plusieurs couples de gladiateurs donnaient ordinairement au peuple.

Comme après tant de tourments ils respiraient encore, les confecteurs furent obligés de les égorger sous l'amphithéâtre. Le même supplice tut infligé à Attale.

Blandine, demeurée la derrière de cette héroïque société de martyrs, souffrit également les fouets, la chaise de fer, et les morsures des bêtes. On l'enferma ensuite dans un filet, et on la présenta ainsi à, un taureau qui la lança plusieurs fois en l'air.

Enfin elle fut égorgée, et les païens eux-mêmes avouèrent qu'ils n'avaient jamais vu une femme souffrir de si horribles tortures avec un semblable courage.

On voit encore à Lyon les restes de l'amphithéâtre où ces généreux confesseurs avaient soutenu les combats de la Foi : il était situé sur la montagne de Fourrières qui tire son nom du latin Forum Vetus, Lyon étant anciennement bâti sur cette montagne.

C'est là maintenant que s'élève dans un très-beau site l'église de N. D. de Fourvières qui est très-vénérée par les Lyonnais, et attire chaque année un nombreux concours de pèlerins.

 

SUITE DE LA Ve PERSÉCUTION.

L'évêque Pothin et Symphorien

 

Le disciple de Polycarpe, le vénérable Pothin, premier évêque de Lyon, rendit aussi à la même époque un glorieux témoignage à la foi qu'il avait apportée en cette ville. Malade, et déjà âgé de 90 ans, il fut traîné au tribunal, et condamné à être jeté dans un affreux cachot où il mourut deux jours après y être entré.

Irénée lui succéda dans la chaire épiscopale de cette cité.

La persécution continuait avec la même violence.

On signale au nombre des martyrs qui périrent alors deux jeunes gens, Alexandre, Grec d'origine, et Epipode, Lyonnais, à la fleur de l'âge ; ils furent arrêtés tous deux dans le bourg de Pierre-Encise près de Lyon. Epipode fut décapité. Alexandre fut étendu sur le chevalet, et trois bourreaux se relayaient pour lui déchirer les flancs avec des ongles de fer. Il endura ce supplice sans proférer une seule plainte, et fut ensuite mis en croix où il mourut.

Deux autres Chrétiens, Marcel et Valérien, s'étant échappés de Lyon, souffrirent le martyre, le premier à Châlons-sur-Saône, le second a Tournus.

La ville d'Autun fut en même temps témoin du dévouement et du courage d'un autre chrétien nommé Symphorien.

Issu d'une des premières familles de cette ville, distingué par une brillante éducation, ce jeune homme rencontra un jour une procession solennelle qu'on faisait en l'honneur de Cybèle, la mère des Dieux.

Il ne put s'empêcher de témoigner publiquement le mépris qu'il professait pour les idoles, et se moqua hautement de ce culte superstitieux.

Les païens irrités le traînèrent au tribunal du proconsul Héraclius comme un séditieux qui refusait d'adorer les Divinités de l'Empire.

Le juge, après l'avoir fait battre de verges, le condamna à avoir la tète tranchée.

Pendant qu'on le menait au lieu du supplice, hors des murs de la ville, sa mère, aussi vénérable par sa piété que par les ans, accourut non pour l'attendrir par ses larmes, mais pour l'affermir et l'animer par ses exhortations. Du haut des remparts elle lui criait : Symphorien, mon fils, mon cher fils, souviens-toi du Dieu vivant : montre ta foi et ton courage. On ne doit point craindre une mort qui conduit sûrement à la vie éternelle.

Soutenu par la voix de sa mère et par la force céleste de la Grâce, le jeune Chrétien subit généreusement le martyre. Ses reliques précieuses recueillies par la piété des fidèles, furent déposées dans une petite cellule où s'élevèrent plus tard une majestueuse basilique, et un célèbre monastère.

Symphorien avait été instruit et baptisé par le prêtre Bénigne, qui avait été aussi disciple de Polycarpe, et qui termina sa carrière apostolique par le martyre dans la ville de Dijon.

Par la violence de cette persécution dans la Gaule, on peut conjecturer les ravages qu'elle fit dans les autres provinces de l'Empire. Tant d'atrocités commises contre les chrétiens inspirèrent d'éloquents écrivains qui embrassèrent avec ardeur leur défense.

Parmi eux on remarque les apologistes Athénagore, philosophe chrétien d'Athènes ; Méliton, évêque de Sardes ; Claude Apollinaire, évêque d'Hiérapolis en Phrygie ; Théophile, sixième évêque d'Antioche ; enfin Hermias, auteur d'un traité intitulé : les Philosophes raillés, ouvrage renfermant le plus adroit persiflage qui ait été fait du Paganisme.

 

SAINTE CÉCILE.

 

Suivant les conjectures émises par M. de Rossi dans son beau travail sur les Catacombes de Rome, le martyre de sainte Cécile appartiendrait à le période qui nous occupe, c'est-à-dire à l'époque où Marc-Aurèle avait associé son fils Commode à l'Empire (vers l'an 178 de J-C.).

On connait l'histoire touchante de cette sainte.

Cécile était de noble race ; elle appartenait à une famille Sénatoriale. Dès sa plus tendre enfance, elle avait été élevée dans la foi chrétienne que sa mère professait probablement. Son père était ou un païen ou un chrétien assez tiède ; car il la donna en mariage à un jeune patricien orné des plus nobles vertus et du plus aimable caractère, mais attaché au culte des faux dieux, et qui se nommait Valérien. Mais Cécile s'était depuis longtemps consacrée au service du Christ, et lui avait voué sa virginité. Le jour de son mariage, elle déclara à son époux le vœu qu'elle avait fait, et lui parla avec tant d'onction qu'elle le convertit, et lui persuada d'aller immédiatement lui-même demander le baptême. Valérien convertit à son tour son propre frère Tiburtius. Tous deux furent condamnés à mort pour avoir refusé de sacrifier aux dieux, et décapités ; mais ]'officier qui présidait à leur exécution, nommé Maxime, fut si touché de leur constance qu'il se convertit lui-même, et partagea leur supplice. Les corps des trois martyrs furent ensevelis par Cécile elle-même, et enterrés dans le cimetière de Prétextat.

Le préfet de Rome, n'ayant pu vaincre sa constance inébranlable dans la confession de sa foi, ordonna qu'elle fût enfermée dans le Caldarium, ou la chambre des bains chauds de son propre palais, et fit chauffer les conduits de vapeur à une telle température qu'elle devait mourir suffoquée.

Cécile entra dans la chambre ; l'hypocauste avait été chauffé sept fois plus que de coutume. Elle y demeura un jour et une nuit ; ce temps écoulé, on la retrouva vivante ; la vapeur brûlante l'avait respectée.

Le préfet informé du prodige envoya alors un de ses licteurs avec ordre de lui trancher la tète.

Trois fois la hache s'abattit sur son cou délicat ; mais soit que la vue d'une victime si jeune et si noble eût fait trembler le bras du bourreau, soit que son bras eût été empêché par une force surnaturelle, il ne put venir à bout de son œuvre, et comme la loi Romaine ne permettait pas à l'exécuteur de frapper plus de trois coups, il s'en alla, la laissant encore vivante, baignée dans son sang. Pendant deux jours et deux nuits, elle vécut ainsi suspendue entre la vie et la mort.

Le matin du troisième jour, après avoir lait ses dernières recommandations aux fidèles accourus auprès d'elle, elle sembla se recueillir en elle même, n'écoutant plus que les harmonies du ciel, et sourde à tous les bruits de la terre.

Au moment suprême, elle était couchée sur le côté droit, les genoux réunis avec modestie ; ses bras s'affaissèrent l'un sur l'autre, et comme si elle eût voulu garder le secret du dernier soupir qu'elle envoyait au divin objet de son unique amour, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive, et son âme se détacha doucement de son corps virginal qui fut placé le soir même dans un cercueil de bois de cyprès ; on lui avait conservé l'attitude qu'elle avait en mourant.

La mémoire de Cécile est restée en grande vénération dans l'Eglise. Les arts se sont plu à la célébrer, et les musiciens l'ont prise pour leur patronne.

 

MISSION DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

Mort de l'Empereur Marc-Aurèle

 

Au milieu de toutes ces persécutions, le pontife Eleuthère gouvernait l'Eglise de Rome : son pontificat fut signalé par un évènement qui devint une consolation pour cette Eglise.

Un roi de l'un des petits états de la Grande-Bretagne, nommé Lucius, lui envoya alors une ambassade solennelle pour demander des missionnaires qui pussent instruire ses sujets dans la Foi, et leur procurer le bienfait de la lumière Evangélique.

Eleuthère accueillit avec joie les envoyés du prince ; il lui adressa des prêtres dont la prédication eut tant de succès que bientôt la croix fut arborée dans les régions les plus septentrionales de la Grande-Bretagne, jusque-là inaccessibles aux aigles Romaines.

Le règne de Marc-Aurèle se termina en l'an 180 de J.-C. ; il mourut d'une maladie contagieuse à l'âge de 59 ans, au milieu d'une expédition qu'il avait dirigée contre les Marcomans.

Sa vie entière n'avait été qu'une suite de combats.

Les frontières de l'Empire étaient dés lors continuellement inquiétées par les peuples barbares qui semblaient déjà se préparer à se jeter sur lui comme sur une proie qui leur était destinée. Marc-Aurèle les contint et les repoussa : ce fut sa gloire devant la postérité.

Le Sénat lui décerna en souvenir de ses exploits une colonne triomphale qui subsiste encore à Rome, et qui est connue sous le nom de Colonne-Antoine : elle est en marbre blanc, et entourée depuis sa base jusqu'au sommet de bas-reliefs représentant les guerres de Marc-Aurèle. Mais sa statue, qui en couronnait le sommet, a disparu pour faire place à celle en bronze doré de l'Apôtre St.-Paul dont l'érection est due au pape Sixte-Quint. Ainsi l'immortelle colonne proclame un double triomphe, celui de Marc-Aurèle sur les Barbares du Nord, et celui de Paul par la croix sur les Romains et sur les Barbares du monde entier.

Une statue équestre de Marc-Aurèle, seul bronze antique de ce genre qui nous reste, décore aussi actuellement l'esplanade du Capitole, au milieu de laquelle elle s'élève comme un dernier débris des grandeurs Impériales : mais le temple de Jupiter avec ses statues colossales de dieux et de héros, mais la citadelle aux murs Cyclopéens, tout cela n'existe plus : la mémoire de Marc-Aurèle a survécu seule aux dieux qu'il avait voulu défendre.

 

RÈGNE DE L'EMPEREUR COMMODE.

Martyre du sénateur Apollonius

 

Quand Marc-Aurèle eut été placé, selon la coutume, au rang des dieux, son fils Lucius Commodus Antonius lui succéda : il n'avait que 19 ans, et déjà s'annonçaient en lui des passions désordonnées qui en eurent bientôt fait un tyran stupide. Ses cruautés, ses débauches et ses extravagances rappelèrent celles de Néron et de Domitien.

Cependant les chrétiens furent beaucoup moins inquiétés pendant qu'il gouverna l'Empire : ils étaient protégés par l'une de ses concubines, nommée Marcia, qui exerçait sur lui un grand ascendant[1].

Dans la hème année de ce règne, le Pontife Eleuthère termina son existence ; il fut remplacé sur le siège épiscopal de St Pierre par l'Africain Victor Ier.

Le calme rendu à l'Eglise après une si longue tempête donna lieu à un grand nombre de conversions.

A Rome, plusieurs personnages de la plus haute distinction embrassèrent la foi Chrétienne avec toute leur famille. Un sénateur, illustre dans les lettres et dans la philosophie, nommé Apollonius, fut de ce nombre. Alors un de ses esclaves le dénonça comme Chrétien au tribunal de Pérennis, préfet du Prétoire.

Les ordonnances qui défendaient d'accuser les Chrétiens, sous peine d'encourir le châtiment réservé aux calomniateurs, venaient d'être remises en vigueur.

Pérennis en conséquence fit mettre l'esclave en croix, et lui fit casser les jambes. Mais ensuite, par une contradiction étrange, il ordonna à Apollonius de se justifier devant le Sénat et d'y rendre compte de sa conduite. Apollonius, au lieu de se rétracter, composa une apologie solide et éloquente dans laquelle il confessait nettement la religion Chrétienne.

Il lut son discours devant le sénat assemblé.

Mais bientôt il eut à sceller de son sang sa courageuse profession de foi ; car d'après un édit de Trajan, qui conservait encore force de loi, un Chrétien, une fois traduit en justice, ne pouvait être absous, s'il n'apostasiait. Un décret des Sénateurs ses collègues condamna donc Apollonius à avoir la tête tranchée.

Cette sentence fut exécutée en l'an 189 de J.-C.

On ne tonnait pas d'autres martyrs qui aient souffert la mort sous Commode : ce fut là une exception toute particulière.

 

MORT DE COMMODE.

Troubles dans l'Empire

 

Commode, ce fou couronné, périt le 31 décembre 192 à la suite d'une conspiration qui le fit étrangler par un jeune et vigoureux athlète.

Son cadavre fut secrètement enlevé du palais.

Le Sénat ordonna qu'il fut jeté dans le Tibre, et flétrit sa mémoire.

Ses meurtriers se hâtèrent de faire un Empereur : ils nommèrent Pertinax, alors préfet de la ville.

Le Sénat approuva leur choix, et le 1er janvier 193 les Prétoriens prêtèrent serment au nouveau Prince.

Le règne de Pertinax ne dura que 88 jours ; il fut égorgé dans son palais le 28 mars 193 par les Prétoriens qui prétendaient ainsi se constituer les vengeurs de Commode. Ils mirent alors honteusement l'empire à l'encan ; il fut adjugé au vieux consulaire Didius Julianus au prix de 6.250 drachmes par chaque soldat.

A cette nouvelle, les légions des provinces se soulevèrent.

Celles de Bretagne proclamèrent leur chef Albinus ; celles de Syrie, Pescennius Niger, et celles d'Illyrie, l'Africain Septime Sévère ; celui-ci se trouvant le plus rapproché de Rome, en prit aussitôt la route ; et le Sénat, encouragé par son approche, déclara Didius ennemi public, le fit tuer malgré ses prières et ses larmes, punit les meurtriers de Pertinax, et reconnut Septime Sévère pour Empereur.

Celui-ci ne perdit pas de temps ; il alla d'abord attaquer son compétiteur Niger, le vainquit dans trois batailles successives, et le fit tuer près d'Antioche au moment où il voulait fuir vers les Parthes (An 194 de J.-C.).

Trois ans après, en 197, il vainquit également son autre compétiteur Albinus, qui, honteux de sa défaite, se donna la mort. Sévère envoya la tète d'Albinus au Sénat ; et de retour à Rome, il y exerça les plus atroces cruautés.

Au milieu de toutes les exécutions qu'il ordonna, il mêla une fête menaçante, l'Apothéose de Commode qui fut mis au rang des dieux.

Pendant que tous ces bouleversements agitaient l'Empire, l'Eglise Chrétienne oubliée avait joui d'un calme relatif. Une école florissante s'était formée à Alexandrie ; elle était dirigée dés l'an 179 par l'illustre docteur Pantène, qui eut pour successeur l'Alexandrin Clément, dont plusieurs ouvrages nous sont restés.

 

PONTIFICAT DE VICTOR.

Question de la Célébration de la Pâque

 

Vers la même époque, le Pontife Victor continuait à gouverner l'Eglise de Rome ; son pontificat fut marqué par un acte important qui eut un grand retentissement dans toutes les autres Églises.

Des dissidences en effet s'étaient élevées relativement au jour où la fête de la Pâque devait être célébrée. Les Juifs devenus Chrétiens, mais restés sous l'empire de leurs anciennes préoccupations religieuses, voulaient qu'on solennisât cette fête au jour fixé par Moïse, c'est-à-dire au même jour de la lune de mars, qui leur était cher à cause de la délivrance d'Israël, et de sa sortie miraculeuse de l'Egypte : mais ce jour ne rappelait aux Gentils convertis ni traditions ni souvenirs. Des idées plus convenables à des Chrétiens les portaient à ne célébrer la résurrection du Sauveur Jésus que le dimanche qui suivrait le 14ème jour de la dite lune.

Le pontife Victor, voulant mettre un terme à ces dissidences, écrivit aux principaux évêques de la Chrétienté afin de réunir dans un même sentiment tous les pasteurs de l'Eglise. Sur son invitation formelle, des synodes eurent lieu dans les Gaules, dans le Pont, dans l'Osrhoène, dans l'Achaïe et même dans la Mésopotamie, ainsi qu'en Palestine.

Une assemblée d'évêques se réunit aussi à Rome sous la présidence de Victor. Il y fut solennellement décidé que la Pâque serait toujours célébrée le dimanche, jour consacré, depuis le temps des Apôtres, à la mémoire de la glorieuse résurrection du Christ ; on interdirait de suivre à l'avenir l'usage des Juifs pour la célébration de cette solennité. Cette décision fut approuvée par la plupart des autres synodes.

Mais celui tenu dans l'Asie proconsulaire par Polycarpe, évêque d'Éphèse, ne l'ayant pas accepté, Victor usant du droit qu'il croyait inhérent à la chaire Apostolique de St. Pierre, centre de l'Unité de l'Eglise, déclara dans ses lettres les Asiatiques quarto décimans (c'était le nom qu'on leur donnait en raison de leurs prétentions) excommuniés, c'est-à-dire séparés en fait de l'Unité de l'Église Chrétienne.

La rigueur de cette sentence fut adoucie grâce à l'intercession d'Irénée évêque de Lyon : mais la décision du Pontificat Romain finit par prévaloir, et la coutume Asiatique fut presque entièrement abandonnée.

 

RÈGNE DE SEPTIME SÉVÈRE.

Hostilité contre les chrétiens

 

Dans le commencement de son règne, Septime-Sévère avait ménagé les Chrétiens qu'il n'avait pas rencontrés dans les rangs de ses ennemis ; mais cette bienveillance ne fut pas de longue durée ; elle fit bientôt place à une inimitié mal déguisée qui devait amener plus tard une persécution cruelle.

La séparation tendait chaque jour à devenir plus profonde entre le monde Chrétien et le monde païen à mesure que les conversions augmentaient le nombre des fidèles, et que l'ardeur de la foi inspirait aux âmes une plus haute perfection.

Les Chrétiens s'abstenaient de paraître aux fêtes publiques, et, quand, pour célébrer les triomphes de l'Empereur, les païens décoraient leurs maisons de branches de laurier, et de flambeaux allumés en plein jour, les demeures des fidèles restaient dépouillées de ces ornements qui avaient à leurs yeux une signification idolâtrique : or cette abstention était de plus en plus remarquée.

L'esprit de charité et de fraternité avait aussi inspiré aux Chrétiens une profonde horreur pour les jeux de l'Amphithéâtre. C'était là que leurs frères étaient jetés aux bêtes, et qu'un si grand nombre d'entre eux avaient souffert le martyre ; c'était là qu'Ignace avait été broyé sous la dent des lions.

Les chrétiens ne pouvaient assister à ces spectacles, alors même que des criminels étaient condamnés à amuser, par les souffrances de leur agonie, les longs loisirs du peuple Romain : ils dédaignaient également les courses du Cirque et les représentations dramatiques qui étaient déjà condamnées par l'Église.

La multitude des idolâtres, aveuglée par ses passions, s'irritait contre une conduite si différente de la sienne, qui, tout en condamnant ses excès, lui semblait pleine d'orgueil et d'ostentation.

La cour ne tarda pas à s'associer à ces haines secrètes de la populace que devait encore envenimer l'Impératrice. Julia Domna, si célèbre dans l'histoire par ses débauches et par son amour pour la philosophie, ne pouvait être longtemps favorable à une religion qui réprouvait à la fois ses mœurs et ses doctrines. Elle était sans cesse entourée d'un cercle de rhéteurs et de sophistes qui la comblaient d'adulations, et ne s'appliquaient qu'à aigrir ses mauvaises dispositions contre la religion Chrétienne.

 

VIe PERSÉCUTION.

 

LE FAVORI PLAUTIEN.

Premières mesures de persécution

 

Tel était l'état des choses, lorsque vers l'an 198 de J.-C. l'Empereur Sévère partit à la tête d'une armée pour une expédition contre les Parthes : en son absence, il avait laissé la charge de gouverner l'Empire à son favori Plautien, homme sorti des derniers rangs de la société et parvenu à la plus haute puissance.

Celui-ci profita de son pouvoir intérimaire pour assouvir ses cupidités en faisant revivre les anciennes lois contre les Chrétiens. Aussi astucieux que cruel, il couvrit ses violences des apparences du zèle et du dévouement, et prétendit forcer les Chrétiens à adorer le Génie de l'Empereur. Par là il était sûr de provoquer une résistance dont il devait profiter pour ranimer plus facilement au sein d'un peuple adulateur de tous les pouvoirs des calomnies et des haines qui n'étaient qu'assoupies. Tous les supplices furent encore une fois employés pour vaincre la patience des Chrétiens ; ils furent attachés à des croix ou à des chevalets, déchirés avec des ongles de fer, consumés sur des bûchers. S'ils cherchaient des retraites pour se dérober à la fureur de leurs ennemis, ils y étaient traqués comme des bêtes fauves. Aux fêtes des Bacchanales, la foule ameutée se rua sur les tombeaux des martyrs, et les viola avec une rage frénétique.

S'il faut en croire l'historien Spartien, Septime Sévère, au retour de son expédition contre les Parthes en l'an 199, aurait été effrayé de tant de cruautés, et aurait déclaré qu'il était étranger à ces mesures sanguinaires qui désolaient l'Empire ; mais cette assertion, qu'une politique astucieuse peut expliquer, ne se concilie ni avec le caractère cruel de l'Empereur, ni avec la suite des événements.

L'évêque de Rome Victor avait été l'une des nobles victimes de cette persécution. On ignore le genre de son supplice ; mais il est certain qu'il mourut pour la Foi, qu'il fut honoré comme martyr dans la primitive Eglise, et que son corps fut déposé dans le même sépulcre où avaient été déposés les restes de saint Pierre.

La crypte Vaticane existait en effet aux lieux où s'élève aujourd'hui l'immense basilique dédiée au chef des Apôtres : une famille convertie au Christianisme en avait donné le terrain pour être consacré à sa sépulture.

L'évêque Zéphyrin fut promu à la place de Victor sur le siège épiscopal de Rome.

 

LES MARTYRS SCILLITAINS.

 

C'est à cette première période de la persécution organisée par Plautien qu'appartiennent les martyrs Scillitains, ainsi appelés parce qu'ils étaient originaires du bourg de Scilla en Afrique.

Le proconsul Vigellius Saturninus les avait transférés de cette bourgade à Carthage où ils devaient comparaître devant son tribunal : cet comparution eut lieu le 14 des calendes d'Août, sous le second consulat de Claudius : ils étaient au nombre de douze. Tous ayant refusé de jurer par le Génie de l'Empereur furent condamnés à avoir la tête tranchée.

C'était là un crime de lèse-majesté qui entraînait de soi la peine capitale.

Ainsi la lutte s'engageait plus que jamais entre la conscience Chrétienne, et l'Apothéose Impériale devenue la dernière expression du panthéisme qui faisait le fond des religions païennes. C'est dans le Génie de l'Empereur ou dans l'état déifié qu'était venue se résumer l'idolâtrie du vieux monde. Voilà pourquoi les magistrats Romains employaient cette phrase consacrée, jurer par le Génie de l'Empereur, comme la vraie forme de l'apostasie pour les disciples de l'Evangile.

Et, chose merveilleuse, pendant que les proconsuls répétaient sans sourciller une pareille énormité, de pauvres femmes, de simples artisans venaient proclamer devant leur tribunal cette grande doctrine de la distinction des deux pouvoirs que le Paganisme avait constamment méconnue, et qui allait former la base d'une société nouvelle.

Cette vérité élémentaire que les plus hautes intelligences n'avaient pas même soupçonnée, des hommes du peuple élevés à l'école de Jésus-Christ allaient la faire triompher par une affirmation mille fois répétée et scellée de leur sang. En restreignant les droits de l'autorité civile aux choses du temps, ils préparaient l'affranchissement des consciences et travaillaient à édifier le monde Chrétien sur les ruines de l'Etat antique, de ce despotisme légal qui réglait les croyances comme une question de fisc ou de police. Par là les fidèles faisaient voir à tous comment ils interprétaient cette maxime de l'Evangile : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

Voici les noms de quelques uns de ces martyrs peu connus : Spérat, Narzal, Cittin, Donata, Vestine, Seconde.

 

L'APOLOGÉTIQUE DE TERTULLIEN.

 

C'est dans la même période, c'est-à-dire vers l'an 200 de J.-C. qu'il convient de placer l'Apologétique de Tertullien, ce plaidoyer en faveur des Chrétiens qui, dans son langage d'une forme incorrecte et quelquefois barbare, rappelle, en le surpassant, ce que l'éloquence antique nous a laissé de plus saisissant et de plus dramatique.

Quintus Septimus Florens Tertullianus était né à Carthage vers l'an 145 ou 150 de J.-C. Doué d'une imagination ardente, d'un esprit facile, d'une grande puissance d'élocution, il avait obtenu de bonne heure des succès comme avocat et professeur de rhétorique.

On ne sait pas précisément à quelle époque il embrassa le Christianisme. Il l'avait longtemps combattu, et il eu devint un des plus grands défenseurs.

Ce qu'on peut conjecturer de ses ouvrages, c'est que le spectacle de la constance déployée Far les martyrs agit fortement sur son imagination, et que, comme il arrive d'ordinaire aux cœurs généreux, la persécution le détermina à se placer dans les rangs des persécutés.

On croit que ce fut vers l'an 185.

Quoiqu'il en soit, son apologétique, qui est parvenue jusqu'à nous, est généralement placée au nombre des chefs-d'œuvre de l'esprit humain ; tant elle est animée d'un souffle puissant ! Il est probable qu'il l'écrivit à Rome, et l'adressa aux Sénateurs, comme semblent l'indiquer plusieurs passages de son Œuvre.

Il serait trop long d'analyser ici ce document qui porte si fortement l'empreinte de son génie audacieux : mais on peut dire que jamais la justice et la vérité opprimées n'ont parlé un langage plus ferme, plus élevé, plus enthousiaste. Jamais la supériorité morale ne s'est plus fièrement relevée devant la toute puissance matérielle qui cherche à l'écraser. Ce n'est pas seulement une protestation passionnée contre l'injustice ; c'est une attaque contre les juges eux-mêmes, exécutée avec une démonstration lumineuse où la vigueur du raisonnement égale la vivacité et le coloris du style.

Aussi plus d'un trait de ce célèbre morceau est devenu proverbial. Quand l'innocence persécutée en appelle des jugements de la terre à ceux du ciel, elle s'écrie encore avec l'apologiste de Carthage :

Les hommes nous condamnent, mais Dieu nous absout.

Le Génie imprime à ses paroles un caractère ineffaçable.

 

NOUVEL ÉDIT DE SEPTIME SÉVÈRE.

VIe persécution générale

 

Il n'était pas réservé à l'éloquence d'arrêter la magistrature Romaine sur la pente fatale où l'entraînaient les passions hostiles au Christianisme.

Des circonstances imprévues devaient au contraire accroître bientôt les préventions et la colère de l'Empereur, et amener des persécutions encore plus violentes et plus générales.

Septime Sévère, au milieu même de la guerre qu'il avait portée chez les Parthes, avait été un instant arrêté par un soulèvement des Juifs. Il en avait conçu à leur égard une profonde irritation que la victoire ne put apaiser. Aussi pour mieux venir à bout de ce peuple intraitable, il rendit en l'année 201 de J.-C. un édit par lequel il était défendu, sous peine de mort, aux citoyens de l'Empire de se convertir au Judaïsme ; et comme les païens ne voyaient dans le Christianisme qu'une secte Juive, Septime Sévère enveloppa les deux religions dans la même proscription, et défendit également, sous peine de mort, de se faire Chrétien.

Cet édit commença la sixième grande persécution qui s'étendit en Egypte, en Afrique, en Italie, et dans les Gaules. Elle sévit avec tant de fureur que les Chrétiens se croyaient aux derniers jours du monde, et s'imaginaient voir déjà les signes avant-coureurs de la venue de l'Antéchrist. Cette conviction contribuait à briser plus complètement les liens qui rattachaient leurs âmes aux choses terrestres.

On vit alors des milliers de martyrs de tout âge et de toute condition accepter librement la mort plutôt que de renoncer à leur foi.

Le sexe le plus faible donna des exemples d'un admirable courage, et les classes inférieures y révélèrent une élévation d'âme qu'on n'eût point soupçonnée.

La persécution dévasta toutes les provinces de l'Empire ; mais elle fut pour l'Eglise, pour le monde entier un grand bienfait : elle enseigna aux hommes comment l'âme doit résister aux puissances terrestres quand il s'agit de défendre les principes de sa foi. L'humanité se retrempe dans ces rudes combats ; elle en sort plus forte et plus pure ; car la force des hommes est en raison de leur attachement à ce qui est saint et vrai ; le sang des martyrs devenait une semence de Chrétiens.

 

LES MARTYRS D'ALEXANDRIE.

Commencements d'Origène

 

La persécution s'exerça d'abord dans la ville d'Alexandrie où Septime Sévère s'était rendu après avoir vaincu les Parthes et les Juifs.

Les premières victimes désignées à la colère Impériale devaient être les hommes les plus connus et les plus estimés, ceux dont la conversion au Christianisme avait irrité leurs concitoyens.

Léonide, l'un des habitants les plus notables de la ville, fut emprisonné. Son fils Origène était alors âgé de 17 ans ; son âme ardente et généreuse et son génie sublime se révélaient déjà ; il ambitionna la gloire de partager la captivité et les souffrances de son père. Retenu par les ingénieux artifices de la tendresse maternelle, il écrivit à Léonide pour l'encourager à la mort, et dissiper les alarmes cruelles qui devaient agiter l'âme d'un père à la pensée qu'il laisserait après lui sept enfants dans une extrême pauvreté. N'ayez aucun souci de nous, disait-il ; le Seigneur sera notre héritage : nous sommes trop heureux d'avoir un père martyr.

Léonide eut la tête tranchée : ses biens furent confisqués, sa veuve et ses enfants se virent réduits à la dernière indigence. Mais Dieu vint en aide à cette malheureuse famille ; une dame très-riche d'Alexandrie la recueillit dans sa maison, et la sauva du besoin.

Après avoir profité pendant quelques semaines de l'hospitalité qui lui avait été offerte à la mort de son père, Origène résolut de se suffire à lui-même.

Il se mit à professer la grammaire ; ce qui lui fournit des ressources suffisantes pour sa subsistance.

Bientôt après la chaire de l'Ecole des Catéchumènes d'Alexandrie étant devenue vacante par suite du départ de son chef Clément qui, désigné à la fureur des païens par la célébrité de son nom, avait été obligé de fuir, Démétrius, évêque d'Alexandrie, n'hésita pas à confier cette chaire à Origène, âgé seulement de 18 ans. C'est de là que datent avec sa vie publique ses premiers pas dans l'éloquence sacrée.

De nombreux disciples accoururent autour de lui ; plusieurs de ceux qui fréquentèrent son école, Plutarque, Sérénus, Héraclide, Héron, Héroïde confessèrent la foi devant les tribunaux, et périrent les uns par le glaive, les autres par les bûchers. Origène soutint, dans leurs dernières souffrances l'ardeur et la patience de leurs âmes.

 

MARTYRE DE POTAMIENNE.

 

Le sacrifice de Léonide et des jeunes disciples d'Origène était le tribut que la noblesse et la science venaient de payer au Christianisme ; il était réservé à une autre victime, prise en dehors des classes nobles et éclairées, d'acquérir par sa mort une plus grande célébrité, et d'émouvoir profondément les cœurs de ses ennemis. C'était une esclave d'une grande beauté qui préféra les supplices les plus cruels à la perte de sa chasteté. Potamienne était son nom.

Dénoncée par son maitre parce qu'elle refusait de condescendre à sa passion, elle fut traînée devant le préfet de la ville, et comme malgré les instances ignominieuses de ce magistrat, elle persistait dans ses nobles refus, elle fut condamnée à être dépouillée, et jetée dans une chaudière de poix ardente. Moins effrayée du supplice qu'alarmée pour sa pudeur.

Qu'on me descende, cria-t-elle, avec mes vêtements dans cette chaudière bouillante, et l'on verra si le Dieu que j'adore ne me fera pas triompher des inventions de votre cruauté.

Le juge irrité rendit un arrêt qui devait accroître ses douleurs. On l'enfonça si lentement que son supplice dura trois heures. Sa mère Marcelle fut enveloppée dans la même condamnation, et périt sur le bûcher.

La mort de cette jeune esclave excita dans les cœurs des émotions plus vives que le martyre des plus nobles victimes. Un des gardes, qui l'avaient conduite au supplice, et qui avait été touché de sa pureté et ses douleurs, avoua à ses compagnons qu'une vision Céleste lui avait fait apparaître cette vierge, et qu'a sa prière il était devenu Chrétien ; il se laissa trancher la tête plutôt que de renier sa foi naissante.

D'autres parlèrent d'apparitions semblables, et subirent le même sort.

Lætus était alors gouverneur de l'Egypte : non content de sévir contre les fidèles d'Alexandrie, il envoyait des émissaires sur divers points de 1'Egypte et de la Thébaïde, avec ordre d'arrêter les principaux d'entre les Chrétiens, et de les conduire dans la capitale où l'on n'épargnait aucune torture à ces généreux confesseurs de la Foi.

En Judée et en Syrie, les Chrétiens partagèrent aussi tous les maux que le vainqueur faisait peser sur les Juifs et les Samaritains en punition de leur révolte.

 

LES MARTYRS DE L'AFRIQUE.

Perpétue et Félicité

 

En Afrique la persécution fit aussi de nombreuses victimes ; parmi elles figuraient quatre jeunes catéchumènes, Révocat et Félicité, esclaves du même maître, Saturnin et Secundus, et avec eux Vivia Perpetua, femme d'une haute noblesse, qui tous furent arrêtés et conduits devant le même tribunal.

Perpétua, âgée de 22 ans, avait un fils qu'elle nourrissait de son lait ; la jeune esclave Félicité était enceinte. On leur adjoignit encore Satur, qui se livra volontairement aux gardes, pour ne pas être séparé de ses frères.

Les actes de leurs martyres, les plus anciens et les plus touchants qu'on rencontre dans la primitive Église, consistent en trois récits, dont l'un est écrit de la main de Perpétua elle-même ; l'autre a été composé par Satur ; le troisième a pour auteur un témoin de leurs dernières souffrances et de leurs derniers combats.

Secundus mourut dans la prison : Félicité y succomba dans le 8e mois de sa grossesse ; elle mit au monde une fille qu'une femme Chrétienne éleva comme son enfant. Ils furent tous condamnés à être exposés aux bêtes dans l'amphithéâtre pour le jour de la fête du César Geta, l'un des fils de Septime Sévère.

La veille du combat on leur donna, suivant la coutume, le dernier repas, qu'on appelait le souper libre, et qui se faisait en public : mais les martyres le convertirent en une agape modeste, du moins autant qu'il dépendait d'eux.

Le jour du supplice, ils quittèrent la prison, et allèrent à l'amphithéâtre comme s'ils allaient au ciel : leurs visages respiraient plutôt la joie que la crainte.

Lorsqu'ils furent arrivés à la porte, on voulut les obliger, suivant la coutume, à prendre les habits dont on ornait ceux qui paraissaient dans ce spectacle : c'était, pour les hommes, un manteau rouge, qui était l'habit des prêtres de Saturne ; pour les femmes, une bandelette de tête, qui était le signe distinctif des prêtresses de Cérès. Les martyrs ayant repoussé ces livrées de l'idolâtrie, on leur permit d'entrer sans ces ornements.

Arrivés en face du proconsul Hilarien, Révocat, Saturnin, et Satur lui dirent : Tu nous juges, et Dieu te jugera. Le peuple en fut irrité, et demanda qu'ils fussent fouettés, selon la coutume, en passant devant les veneurs : ainsi nommait-on ceux qui étaient armés pour combattre les bêtes.

Ils se mettaient en ligne avec des fouets à la main, et donnaient chacun leur coup aux bestiaires, ou condamnés que l'on faisait passer devant eux.

Les martyrs se réjouirent de participera la passion du Sauveur. Dieu leur accorda la mort que chacun d'eux avait souhaitée. Saturnin et Révocat, après avoir été attaqués par un léopard, furent livrés à un ours. Satur périt le premier : il fut exposé à un léopard qui, d'un seul coup de dent, le couvrit de sang : il tomba mort au lieu où l'on avait coutume d'égorger ceux que les bêtes n'avaient pas achevés. On nommait ce lieu Spoliarium.

Perpétue et Félicité furent dépouillées de leurs vêtements, et mises dans des filets pour être présentées à une vache furieuse. Le peuple en eut horreur, voyant l'une si délicate, et l'autre qui venait d'accoucher ; on les couvrit d'habits flottants. Perpétue fut lancée la première, et tomba sur le dos ; elle se mit sur son séant, et voyant son vêtement déchiré sur le côté, elle le retira pour se couvrir la cuisse, plus attentive à la pudeur qu'a la souffrance. On la reprit, et elle renoua ses cheveux épars pour écarter tout signe de tristesse. Elle se leva ensuite, et voyant Félicité toute froissée, elle lui donna la main pour l'aider à se relever aussi. Le peuple demanda qu'elles fussent ramenées avec les autres martyrs au milieu de l'amphithéâtre pour avoir le plaisir de leur voir donner le coup de la mort.

Les martyrs y allèrent d'eux-mêmes, après s'être donné le baiser de paix.

Félicité fut livrée à un gladiateur maladroit, qui la piqua entre les os, et la fit crier ; car ces exécutions de bestiaires demi-morts servaient d'apprentissage aux nouveaux gladiateurs ; on les accoutumait sans péril au sang, et on les nommait confecteurs.

Perpétue conduisit elle-même à sa gorge la main tremblante de son bourreau et finit ainsi son martyre.

Le nom de cette femme courageuse, ainsi que celui de Félicité ont obtenu le glorieux privilège d'être mentionnés dans le Canon de la Messe ; c'est un souvenir perpétuel qui leur a été ainsi donné, et dont elles étaient assurément bien dignes l'une et l'autre.

 

LES MARTYRS DE LA GAULE.

Irénée évêque de Lyon

 

La Gaule eut aussi alors de nombreux martyrs.

Septime-Sévère, apprenant que le nombre des fidèles s'était multiplié à Lyon grâce à l'influence de l'évêque Irénée, avait pris une résolution digne de sa cruauté. Il donna l'ordre à ses soldats d'entourer la ville, et de faire main basse sur tous ceux qui se déclareraient Chrétiens. Le massacre fut presque général, et le sang des martyrs coulait par ruisseaux dans les places publiques. Le saint pontife fut, dit-on, amené devant l'Empereur lui-même, qui le fit mettre à mort, s'applaudissant d'avoir égorgé le pasteur et le troupeau. Une ancienne inscription qu'on voit à Lyon à l'entrée de son église principale porte le nombre des victimes de la foi à dix-neuf mille hommes sans compter les femmes et les enfants.

Irénée avait composé un traité contre les hérésies qui est parvenu jusqu'à nous. Cet antique monument d'érudition figure parmi les meilleures productions de l'éloquence sacrée.

Vers le même temps, le sous-diacre Andéol subit le dernier supplice à Viviers.

 

LES CATACOMBES DE ROME.

 

Ce fut pendant cette terrible persécution de Septime-Sévère, que les Chrétiens de Rome, traqués de tous côtés comme des bêtes fauves, abandonnaient leurs demeures, et commencèrent à se réfugier dans les catacombes, qui leur servaient à la fois d'asile pour les fugitifs, et de nécropoles pour les morts : il convient donc de donner quelques explications à ce sujet.

Les catacombes Romaines consistent en de vastes labyrinthes de galeries creusés sous les collines qui entourent la Ville Eternelle. Les sept collines classiques sur lesquelles Rome est bâtie : ne recouvrent aucune catacombe. Toutes ces nécropoles Chrétiennes sont situées hors des murs, mais seulement dans un rayon de trois milles à partir de l'antique enceinte de Servius Tullius. Leur développement total atteint des dimensions qui étonnent l'imagination. Une catacombe a trois, quatre, quelquefois cinq étages superposés, et à chacun de ces étages, les galeries se coupent, s'entrecroisent et se replient les unes sur les autres.

De cette manière, même sous une superficie de médiocre étendue, elles réalisaient par le fait des dimensions considérables.

Il est aujourd'hui reconnu, dit M. de Rossi, que les catacombes furent destinées à la sépulture et aux assemblées religieuses des seuls Chrétiens.

Les découvertes modernes ont également démontré qu'elles furent originairement creusées dans ce but.

Personne ne voit plus en elles des sablonnières (arenariœ) ou des carrières abandonnées que les Chrétiens auraient adoptées à leurs usages.

Ces nécropoles furent dans l'origine 'désignées sous le nom générique de cimetières (χοίμητηρίόν), c'est-à-dire lieux consacrés au sommeil, mot particulier à la langue Chrétienne, et qui signifie des dortoirs où les frères prenaient le repos en attendant le moment du réveil.

On les nommait aussi martyrium ou confessio, pour indiquer que c'était la sépulture des martyrs ou confesseurs de la foi.

Les galeries avaient généralement de deux à quatre pieds de largeur, et leurs parois des deux côtés étaient percées de niches horizontales que l'on pourrait comparer aux rayons d'une bibliothèque, et dont chacune était destinée à recevoir un ou plusieurs corps. De place en place, cette suite de niches était coupée par des portes qui donnaient accès dans de petites chambres.

 

LA CATACOMBE DE CALLISTE.

 

La plus vaste de ces catacombes qui descendent sous terre à une grande profondeur, porte encore actuellement le nom du prêtre auquel le pontife Zéphyrin en avait spécialement confié l'administration au moment Je la persécution de Septime Sévère.

Ce prêtre s'appelait Calliste ; il devint plus tard le successeur de Zéphyrin sur le siège épiscopal de Rome.

C'est à lui que cette catacombe a dû son prodigieux agrandissement, nécessité probablement par les circonstances.

Elle est située dans la voie Apienne.

Le nombre de ses rues et de ses places est tellement considérable qu'elle ressemble à une cité. Non-seulement elle offrait un sûr asile par ses sinuosités et ses détours ; mais elle avait aussi des retraites profondes et cachées : outre le cimetière public, elle renfermait un cimetière secret. Le premier plus étendu et plus large pouvait présenter un abri aux fugitifs ; le second, plus retiré et d'un accès difficile, devait rester impénétrable pour quiconque n'appartenait pas à la société Chrétienne.

Les païens n'ignoraient pas que les Chrétiens cherchaient un asile dans ces souterrains, et c'est pourquoi ils les appelaient une race amie des ténèbres et des retraites obscures (tenebrosa et lucifugax natio).

Dans l'ardeur de leurs haines, ils y pénétraient quelquefois pour y poursuivre leurs victimes.

C'est ce qui explique les grands travaux de Calliste au moment de cette persécution, ces divers étages creusés dans les entrailles de la terre, ces voûtes surbaissées sous lesquelles on ne pouvait passer qu'en rampant, et cette partie plus secrète et plus inabordable des souterrains.

Un grand nombre des inscriptions que l'on retrouve dans ces cryptes indiquent une époque de désolation où des milliers de Chrétiens mis à mort étaient ensevelis à la hâte, sans que leurs amis ou leurs parents pussent leur rendre les derniers devoirs.

Sur les pierres posées devant les corps des martyrs, et qui fermaient leurs tombes, on ne voit souvent qu'une palme grossièrement dessinée. Ailleurs l'inscription ne rappelle que le nom du défunt : ailleurs au nom du martyr on ajouta le monogramme du Christ, et ce mot si touchant qui contraste avec une mort sanglante (in pace).

Le devoir sacré que les Chrétiens s'imposaient d'enlever les corps des martyrs pour les porter avec respect dans les catacombes était accompagné de grands dangers.

 

LE PONTIFE ZÉPHYRIN.

 

Le pontife Zéphyrin put échapper à la sanglante persécution qui désolait l'Eglise grâce sans doute à l'abri qui lui fut assuré dans la catacombe de Calliste.

Jusqu'à son pontificat, les fidèles, à ce qu'il parait, recevaient l'hostie sainte dans leurs mains.

Mais un décret de ce pontife, mentionné par le bibliothécaire Anastase, modifia cet usage en ordonnant que les sous-diacres présents à la célébration des mystères porteraient dans leurs mains des patènes de cristal ; qu'après avoir communié de la main de l'évêque, ils recevraient sur ces plateaux les hosties destinées aux fidèles, et les présenteraient aux prêtres chargés de les distribuer. Plus tard des coupes et des patènes en argent furent substituées aux patènes et aux calices de verre. S'il faut s'en rapporter aux peintures des catacombes, les fidèles apportaient alors eux-mêmes comme offrandes le pain et le vin qui devaient servir à la communion. Les pains d'une forme ronde (placenta) étaient coupés en longueur et en largeur par des bandes transversales ; ce qui permettait de les partager ensuite plus facilement au moment de la communion.

 

DERNIÈRES ANNÉES.

et mort de Septime Sévère

 

Comme nous l'avons dit précédemment, le principal conseiller de toutes les cruautés de Septime Sévère contre les Chrétiens avait été son ministre Plautien, Africain comme lui, mais de basse extraction.

Ce ministre tout puissant avait obtenu que sa fille fût fiancée à Bassien Caracalla, le fils aîné de l'Empereur. La nouvelle épouse avait été entourée d'un faste oriental qui aurait suffi à dix reines ; mais le jeune prince haïssait autant la fille que le père ; il accusa Plautien d'avoir conspiré contre Sévère, et le fit mettre à mort sous les yeux de l'Empereur lui-même. Le Jurisconsulte Papinien lui succéda dans l'administration de l'Empire.

Après quelques années de repos, Sévère fut appelé en Bretagne par une révolte ; il n'eut pas de peine à l'apaiser, et voulut profiter de sa présence dans l'île pour achever de la soumettre. Il pénétra fort avant dans les montagnes des Calédoniens ; mais fatigué par de continuelles attaques qui lui coûtèrent jusqu'à 50.000 hommes, il se détermina à construire une muraille d'un rivage à l'autre sur la ligne tracée par Agricola.

Pendant cette expédition, il avait été constamment malade : son fils Bassien, appelé Caracalla du nom d'un vêtement Gaulois qu'il aimait à porter, n'eut pas la patience d'attendre sa fin prochaine.

Un jour que l'Empereur se rendait à cheval à une conférence avec les barbares, Caracalla, qui était derrière lui, tira son épée pour l'en frapper. Mais au cri d'horreur que jetèrent les gardes, l'Empereur se retourna. La conférence terminée, il se retira dans sa tente, appela son fils, et lui dit qu'il pouvait alors accomplir son parricide.

Mais ces tristes scènes empirèrent son mal. A cette nouvelle, les Calédoniens se révoltèrent. Sévère ayant ordonné que la guerre recommençât, et ne finit qu'avec l'extermination de ce peuple, les troupes s'effrayèrent de cette lutte acharnée : une sédition éclata, et les soldats proclamèrent son fils Bassien Auguste, c'est-à-dire Empereur.

Sévère se fit porter à son tribunal, dévoré de chagrin ; sa maladie s'aggrava, et au bout de quelques jours, il expira en disant : J'ai été tout, et tout n'est rien. Ses deux fils, Caracalla et Geta, nés de la Syrienne Julia Domna, troublèrent bientôt l'Empire de leurs sombres inimitiés (An 211 de J.-C.).

 

LES EMPEREURS CARACALLA ET GETA.

Années 211 à 217

 

Après la mort de Sévère, ses deux fils se hâtèrent de quitter la Bretagne, et de rapporter à Rome, où ils furent tous deux à la fois reconnus empereurs, les cendres de leur père. Ils voulaient partager l'Empire ; mais leur mère Julia Domna s'y opposa, et leurs divisions s'en augmentèrent. Bientôt ils en vinrent à menacer réciproquement leur existence ; Caracalla réussit le premier ; il poignarda son frère dans les bras de leur mère, cita Romulus pour se justifier, et fit l'apothéose de Geta.

Cependant tourmenté de quelques remords il essaya de les étouffer dans le sang. Le jurisconsulte Papinien refusa de faire une publique apologie du fratricide.

Il est plus aisé, dit-il courageusement, de commettre un crime que de le justifier. Le philosophe Sénèque sous Néron n'avait pas eu de pareils scrupules.

Papinien fut mis à mort, et avec lui périrent 20.000 personnes amies de Geta, ou ses partisans. Le sénat fut décimé et bafoué.

Caracalla ne sévit pas seulement à Rome ; il porta dans toutes les provinces ses cruautés et ses dilapidations.

En l'an 213 il parcourut celles du Danube et de l'Asie tantôt sous le costume d'Alexandre, tantôt sous celui d'Achille. Arrivé à Alexandrie, pour se venger de quelques épigrammes, il ordonna un massacre général des habitants de cette ville : puis il suspendit dans le Serapeum l'épée avec laquelle il avait frappé Geta comme si elle eût été consacrée.

Afin de pouvoir se décorer du nom de Parthicus, il engagea le roi des Parthes à lui donner sa fille en mariage, et s'avança dans ce pays avec une armée qui représentait un cortège royal. Le roi Artaban vint à sa rencontre, et le reçut comme son gendre avec tous les dehors de l'amitié. Tandis que les Parthes dans une entière sécurité s'abandonnaient à une joie aveugle, tout-à-coup à un signal donné par Caracalla, les Romains en firent un affreux carnage ; le roi Artaban échappa avec peine. L'armée Romaine, après avoir ravagé le pays, regagna la Mésopotamie.

C'est là que ce triste Empereur devait trouver sa fin.

Un jour qu'il visitait, avec une suite peu nombreuse, le temple de la Lune à Charres, un centurion excité par le Préfet des gardes Macrin, qui savait sa propre vie menacée, se jeta sur Caracalla et le tua (217).

Le meurtrier fut aussitôt massacré par les cavaliers Germains qui formaient la garde particulière du prince.

 

L'EMPEREUR MACRIN (217-218).

 

Caracalla étant mort, l'armée avait besoin d'un chef pour tenir tête aux Parthes qui s'apprêtaient à se venger : au bout de trois mois, elle proclama Empereur le préfet des gardes Macrin dont le premier acte fut de mettre Caracalla au rang des dieux.

Après une sanglante bataille livrée dans la Mésopotamie, Macrin acheta la paix du Roi des Parthes au prix de quatre vingt millions de deniers. De retour à Antioche, il écrivit au Sénat qu'il y aurait sous son gouvernement liberté et sécurité. Aussi le sénat lui confirma avec joie les pouvoirs Impériaux.

Mais les mesures sévères prises par Macrin pour le rétablissement de la discipline lui aliénèrent les soldats.

Ceux-ci mutinés dans leur camp, et gagnés par les largesses de Julia Mœsa, sœur de l'Impératrice Julia Domna, proclamèrent Bassien, petit-fils de Mœsa par sa fille Soémis.

Macrin fut vaincu à Immœ, sur les frontières de la Syrie et de la Phénicie, par ce nouveau compétiteur de l'Empire (8 Juin 218). Il s'enfuit à Chalcédoine en Bithynie où une maladie la contraignit à s'arrêter ; ceux qui étaient à sa poursuite l'y rejoignirent, et le tuèrent avec son fils Diaunmeed.

 

L'EMPEREUR HELIOGABAL (218-222).

 

Le nouvel Empereur Bassien, surnommé Héliogabal, d'après le nom du dieu Syrien dont il était le grand prêtre, prit de lui-même et sans attendre les décrets du sénat, sa puissance tribunitienne et consulaire ; il n'était âgé que de 17 ans, il amenait avec lui les superstitions de la Syrie et de la Phénicie, et son dieu, la pierre noire d'Emèse, dont il fit la Divinité suprême de l'Empire.

Tout l'Olympe dut s'humilier devant le nouveau venu qu'il maria solennellement avec la Déesse Astarté de Carthage.

Etranger aux mœurs des Romains comme à leurs lois, il imitait ces monarques Asiatiques qui vont chercher leurs ministres aux derniers rangs de la société ; il donna les premières charges de l'État à des danseurs et à des barbiers ; il se forma un Sénat de femmes, et comme le grand roi, il voulut être adoré. Son palais était sablé de poudre d'or et d'argent ; ses vêtements, toujours chargés de pierreries, ne servaient pas deux fois, et il remplissait ses viviers d'eau de rose pour s'y baigner ; il donnait des naumachies sur des lacs de vin. Les confiscations et les impôts fournirent à ses folies. Cependant les soldats eux mêmes finirent par prendre en dégoût cet Empereur monstrueusement efféminé qui s'habillait en femme, travaillait à des ouvrages de laine, et se faisait appeler Domina ou Impératrix.

L'affection des prétoriens se reporta sur son cousin, le jeune Alexandre Sévère, qu'il avait adopté et nommé César.

Héliogabal, jaloux de son influence, essaya plusieurs fois de le faire périr ; mais Alexandre échappa à ses embûches grâce à la vigilance de sa mère Mammée.

Une sédition des prétoriens mit enfin un terme aux déportements de ce Syrien extravagant qui avait déshonoré la pourpre Impériale ; il fut tué le 11 mars 222 avec sa mère Soèmis. Les soldats saluèrent aussitôt comme Empereur le jeune Alexandre, alors âgé seulement de 14 ans, et qui resta sous la direction de son aïeule Mœsa et de sa mère Mammée.

Malgré les mauvaises passions de ces détestables princes, les chrétiens ne paraissent pas avoir été spécialement inquiétés pendant ces tristes règnes : le Christianisme devenait successivement le refuge de tous ceux qui avaient encore un cœur honnête dans l'Empire : on croit même que la mère du nouvel empereur, Mammée, avait été initiée aux doctrines Chrétiennes par le célèbre Origène qu'elle avait consulté secrètement t Alexandrie. De l'ensemble de tous ces faits, il résulta un repos de quelques années pour les malheureux Chrétiens.

 

PONTIFICAT DE CALLISTE Ier.

 

Le pontificat de Zéphyrin s'était terminé par sa mort vers l'an 215 de J-C ; il avait eu pour successeur sur le siège épiscopal de Saint-Pierre l'archidiacre auquel il avait confié l'administration des cimetières de Rome, Calliste Ier

Zéphyrin fut enterré dans une crypte du cimetière de Calliste qui devint après lui la crypte pontificale que de nos jours monsieur De Rossi a retrouvée dans ses belles recherches sur les Catacombes.

Cependant Calliste lui-même n'y reçut pas la sépulture, et voici par suite de quelles circonstances.

Ce pontife, malgré la tranquillité relative dont jouissait alors l'Église, périt dans un tumulte populaire ayant été précipité d'une fenêtre de sa maison dans un puits : Son corps en fut retiré par des fidèles, qui le transportèrent dans le cimetière le plus voisin du Transtevere, où reposait celui de St Calépode sur la voie Aurélia. Il fut remplacé sur le siège de Saint Pierre par le pontife Urbain Ier (an 222). Le prêtre Calépode, qui donna son nom à ce cimetière, avait eu la tête tranchée quelques années auparavant.

 

RÈGNE D'ALEXANDRE SÉVÈRE (222-235).

 

Dés son avènement à l'Empire, Alexandre, par les soins de sa mère, avait été entouré des conseillers les plus habiles. Les jurisconsultes Paul et Ulpien, l'historien Dion Cassius furent ses ministres.

Seize sénateurs formèrent son conseil, et l'Empire, sous ce gouvernement honnête, passa plusieurs années paisibles.

Il bannit de Rome les superstitions étrangères, purifia le palais, où il vécut avec simplicité et pudeur, réforma les monnaies altérées sous les derniers règnes, diminua les impôts, et s'efforça d'arrêter les excès du luxe.

On a prétendu qu'instruit par les leçons de Mammée il avait eu un moment la pensée de reconnaître Jésus-Christ comme un des dieux de l'empire, et de lui élever un temple. Des considérations politiques, les remontrances de ses conseillers, peut-être la crainte de ranimer des haines mal éteintes le détournèrent de l'accomplissement de ces projets ; mais il fit lui-même ce qu'il crut ne pas devoir imposer à ses sujets, et dans son oratoire où il consacrait ordinairement les premières heures du jour à la prière, il plaça l'image de Jésus-Christ. Dans ce même sanctuaire domestique, il avait réuni les portraits d'Orphée, d'Abraham et d'Apollonius de Tyane, le philosophe Thaumaturge du premier siècle.

Malheureusement ni les vertus de ce prince, ni les lumières d'Ulpien ne pouvaient suffire à la rude tâche de maintenir dans la discipline des soldats qui tant de fois déjà, avaient massacré leurs chefs. Une fois, pour une querelle avec le peuple, ils ensanglantèrent la ville pendant trois jours. Le préfet Ulpien fut égorgé sous les yeux du jeune Empereur, et Dion Cassius lui-même n'échappa qu'a grand' peine à leurs coups.

En 233, les Germains ayant fait une irruption en Gaule et en Illyrie, Alexandre Sévère courut sur le Rhin, accompagné de sa mère, et d'une partie des légions d'Asie. On jeta à Mayence un pont sur le fleuve ; mais l'armée ne le franchit pas ; l'empereur préféra acheter la paix.

Cette conduite indigna les soldats, dont le mécontentement fut mis à profit par le Thrace Maximin, autrefois pâtre, alors un des principaux chefs de l'armée.

Les troupes levées dans la Pannonie et les contrées voisines lui étaient affectionnées ; elles le saluèrent Auguste au milieu du camp, tandis que quelques soldats allaient chercher la tête d'Alexandre.et celle de sa mère.

Le malheureux empereur n'était âgé que de 26 ans (19 mars 235.).

 

PONTIFICATS D'URBAIN, DE PONTIEN ET D'ANTÉROS.

 

Le règne d'Alexandre Sévère avait été favorable aux Chrétiens, puisque c'est à ce règne que l'on fait remonter l'apparition des premiers oratoires ou chapelles qui ont pu s'élever dans les villes de l'Empire.

Comment se fait-il donc que les deux pontifes Urbain, et Pontien, son successeur, qui appartiennent à ce règne, nous soient signalés comme ayant été martyrisés ? En ce qui concerne Urbain, peut être y a-t-il eu confusion de noms. En effet le martyr Urbain d'après les actes aurait été enterré dans le cimetière de Prétextat. Or M. de Rossi a découvert récemment dans la crypte pontificale du cimetière de Calliste un couvercle de sarcophage avec cette inscription : Urbanus Episcopus.

Or comme ce sarcophage est placé à son ordre dans la série des pontifes ensevelis dans cette crypte, série qui commence à Zéphyrin pour finir à Melchiade, il est évident que cette inscription ne peut s'appliquer qu'à l'évêque de Rome Urbain : d'où il suit que le confesseur Urbain enterré dans le cimetière de Prétextat pourrait appartenir à une autre époque, et serait un autre personnage.

A l'égard de Pontien, successeur d'Urbain, on est fondé à croire qu'il fut déporté en Sardaigne pendant l'absence d'Alexandre Sévère par un ordre du préfet de Rome, qu'ayant été renfermé pendant quelques années dans cette île, il crut devoir abdiquer la dignité pontificale, et fut remplacé sur le siège de St-Pierre vers l'an 236 par Antéros dont le pontificat ne dura que quelques mois seulement. Alexandre Sévère était mort, et les persécutions tendaient à renaître.

Désigné à l'attention des persécuteurs par le zèle avec lequel il recherchait les actes des martyrs dans les rapports officiels du préfet Urbain, Antéros fut lui-même martyrisé et enlevé de ce monde avant son prédécesseur Pontien. Celui-ci vécut encore quelques années dans son exil de Sardaigne, où il périt plus tard sous le fouet et le bâton. Sa dépouille mortelle fut rapportée solennellement de Sardaigne à Rome, par le pontife Fabien qui avait été élevé au siège épiscopal de Rome. Aussi sa pierre tombale figure-t-elle la suite de celle d'Antéros dans la crypte pontificale du cimetière de Calliste.

De là résulte que les écrivains ecclésiastiques n'ont pas été parfaitement d'accord dans l'ordre de succession de ces deux pontifes.

 

LES EMPEREURS ROMAINS.

de Maximin, à Dèce (235-249)

 

Maximin le Thrace (235-238), le meurtrier et le successeur d'Alexandre Sévère, était conduit tout naturellement à poursuivre de sa haine les protégés : :de son prédécesseur. C'était un géant prédisposé à toutes les violences par sa nature physique et sa rudesse indomptables. Il commença par condamner à mort plusieurs Chrétiens qui avaient fait partie de la maison d'Alexandre. La persécution porta surtout sur les évêques parce que le nouvel Empereur voyait en eux les chefs d'une faction ennemie rattachée par la reconnaissance à la personne de sa victime. Du reste, elle n'eut pas une violence extraordinaire ; elle fut locale, et laissa par conséquent aux Chrétiens la possibilité de la fuite. Des circonstances particulières la rendirent plus cruelle dans le Pont et la Cappadoce.

D'épouvantables tremblements de terre qui firent même disparaître des villes entières y ranimèrent la fureur d'un peuple fanatique toujours disposé à imputer les fléaux à la religion nouvelle.

C'est à cette époque que le célèbre Origène écrivit à l'occasion de l'emprisonnement de son ami Ambroise et du diacre Protoclétus son Exhortation au martyre.

Ce traité était sans doute destiné à être lu dans toutes les prisons où l'on avait jeté les Chrétiens.

Origène y relève la grandeur du martyre avec une éloquence qui rappelle Tertullien auquel il est même supérieur par la vigueur et le coloris de la pensée.

Cependant une révolte venait d'éclater contre Maximin. Tandis qu'il était passé en Pannonie pour attaquer les Sarmates, le proconsul d'Afrique, Gordien ter riche sénateur, âgé de 80 ans, et son fils Gordien II, descendant des Gracques et de Trajan, avaient été, malgré leurs prières, proclamés Empereurs dans cette province. Le Sénat les reconnut, déclara Maximin ennemi public, et se hâta d'organiser la résistance en Italie. Mais le jeune Gordien, attaqué par le gouverneur de la Mauritanie, périt dans le combat, et son vieux père se tua de désespoir.

Le Sénat s'était trop avancé pour reculer ; il choisit dans son sein deux autres Empereurs, un ancien soldat Maxime Pupien, et le Jurisconsulte Claude Balbin. Maximin vint aussitôt assiéger la ville d'Aquilée qui appartenait à ce parti.

La courageuse résistance de cette place, les ennuis du siège, et la disette dont souffrirent bientôt les soldats amenèrent une sédition dans laquelle Maximin fut égorgé avec son fils (avril 238).

L'Empire était délivré ; mais les Prétoriens voyaient avec c aère les deux nouveaux élus du Sénat, Pupien et Balbin, et les gardes Germaines dont ils s'entouraient.

A la fête des jeux Capitolins (Juillet 238) une révolte éclata, et les deux Empereurs furent égorgés clans leur palais.

Les prétoriens déclarèrent alors Gordien III seul chef de l'Empire ; c'était le fils de Gordien II ; il n'avait que treize ans. Mésithée, son précepteur, gouverna sous son nom ; malheureusement il ne tarda pas à mourir, et le grade de Préfet du Prétoire ayant été alors conféré à l'Arabe Philippe, celui-ci fit tuer le jeune Empereur, et prit sa place (Février 244).

Le règne de Philippe ne dura que cinq ans ; il fut tolérant pour les Chrétiens.

C'est sous le règne de ce prince, vers l'an 245, que l'on s'accorde à placer la mort du célèbre Tertullien.

En l'an 248 il fit célébrer avec une grande pompe le millième anniversaire de la fondation de Rome.

Bientôt après, des révoltes éclatèrent de toutes parts.

Les Barbares de leur côté ayant franchi le Danube, le Sénateur Decius, envoyé pour les chasser de la Pannonie, fut proclamé Empereur par les troupes. Une bataille fut livrée à Philippe près de Vérone au mois de septembre 249 ; Philippe y fut tué ; on égorgea son fils à Rome.

 

VIIe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

L'EMPEREUR DÈCE ET L'ÉGLISE CHRÉTIENNE (249-251).

 

Les Chrétiens n'avaient pas été inquiétés depuis plusieurs années, lorsque l'avènement de Dèce à l'Empire vint ranimer les persécutions. Ce prince inaugura son règne par un édit contre les fidèles adressé à tous les gouverneurs des provinces. Cet édit était la déclaration de guerre la plus solennelle, la plus haineuse, la plus froidement systématique que le pouvoir Romain eût encore portée contre le christianisme. L'Empereur y disait que, résolu de traiter tous ses sujets avec clémence, il en était empêché par la secte des Chrétiens, qui, par leur impiété, attiraient la colère des Dieux et toutes les calamités sur il ordonnait donc que tout Chrétien, sans distinction de qualité ou de rang, de sexe ou d'âge, fin obligé de sacrifier dans les temples, et que ceux qui s'y refuseraient fussent renfermés dans les prisons de l'État, et soumis d'abord aux moindres supplices pour vaincre peu à peu leur constance, et enfin, s'ils demeuraient opiniâtres, précipités au fond de la mer, jetés vifs au milieu des flammes, exposés aux bêtes, suspendus à des arbres pour devenir la pâture des oiseaux de proie, ou déchirés de mille manières par les plus cruels tourments.

Le nouvel édit, lu publiquement dans le camp des Prétoriens, fut affiché au Capitole, et successivement dans toutes les villes et bourgades de l'Empire.

A Rome, le pontife suprême, l'Évêque Fabien fut frappé l'un des premiers ; il eut la tête tranchée le 20 Janvier 250. Il ne fut pas possible pour le moment de donner un successeur à ce pontife ; l'Eglise de Rome demeura veuve ; sous le feu de la persécution, une élection était impossible. Le clergé inférieur était lui-même décimé ; des prêtres, des diacres étaient dans les fers.

Jamais en effet tempête plus formidable ne s'était déchaînée contre l'Église de Jésus-Christ.

Princes, gouverneurs, peuple et sénat, tout ce qu'il y avait de grand parmi les Romains concourait à la fois pour effacer de la terre le nom de Chrétien.

Dèce était convaincu que d'après son essence, le Christianisme était incompatible avec la constitution et l'esprit de l'Empire.

Les magistrats suspendaient toutes les causes particulières ou publiques pour vaquer à la grande, à l'importante affaire, l'arrestation et le supplice des fidèles.

Les chaises ardentes, les ongles d'acier, les bûchers, le glaive, les bêtes, tous les instruments inventés par la cruauté des hommes étaient mis en action contre les Chrétiens.

Les voisins, les parents, les amis se trahissaient et se dénonçaient aux magistrats. Les provinces étaient dans la consternation, les familles étaient décimées, les villes devenaient désertes et les déserts se peuplaient.

Bientôt les prisons ne suffirent plus à la multitude de ceux qu'on arrêtait pour la Foi, et il fallut changer en prisons la plupart des édifices publics.

Grégoire de Nysse, qui a tracé ce tableau de la situation des Chrétiens, n'a rien exagéré. Tous les auteurs païens conviennent que Dèce s'était imposé la double tâche d'arrêter à jamais dans l'étendue de l'Empire Romain la propagation de la Religion Chrétienne, et l'invasion des barbares qui commençaient à devenir menaçants.

Mais il ne réussit ni à l'une ni à l'autre. La foi sortit triomphante de cette rude épreuve, et les Goths, relégués jadis aux bords de la Vistule, marchant alors sous la conduite de leur roi Cuiva, envahirent la Dacie, puis la Mœsie, emportèrent Philippopolis d'assaut, égorgèrent cent mille habitants, et emmenèrent une foule de prisonniers illustres sous les yeux de l'Empereur impuissant.

Ainsi se révélaient les terribles ancêtres

 

DÉTAILS DE LA PERSÉCUTION.

Martyre de sainte Agathe

 

Les revers subis par les armées Romaines ne firent qu'accroître la colère de Dèce qui les attribuait à l'impiété des Chrétiens : aussi les rigueurs de la persécution redoublèrent. A Jérusalem, l'évêque Alexandre, vieillard vénérable, fut saisi pour être traîné au tribunal du gouverneur de la Palestine, puis jeté dans les fers, où il succomba aux mauvais traitements. A Antioche, l'évêque Babylas fut mis en prison, et voulut être enterré chargé des chaînes dans lesquelles il mourut.

Le célèbre Origène, que sa réputation désignait comme une des plus nobles victimes, fut mis au fond d'un cachot, ayant au cou un carcan de fer, et des entraves aux pieds jusqu'au quatrième trou, qui lui tenaient les jambes horriblement écartées. On ne le fit point mourir, dans l'espoir que sa chute entraînerait celle d'un grand nombre de Chrétiens. Il demeura ferme, et put de sa prison écrire des lettres d'encouragement à ses frères souffrant, comme lui, pour la foi. A Comane l'évêque fut brûlé vif.

La ville d'Alexandrie vit se renouveler les scènes les plus sanglantes. S'il y a eu de nombreuses défections, la foi y compta aussi de glorieux martyrs.

Julien, vieillard accablé d'infirmités et Eu-nus résistèrent à toutes les menaces ; on les mit sur des chameaux, et on leur fit faire ainsi le tour de la ville en les fouettant ; enfin on les jeta dans un bûcher, autour duquel la populace dansait en insultant ses victimes. Beaucoup d'autres eurent le même sort.

Denys, évêque d'Alexandrie, échappa comme par miracle aux mains de ses persécuteurs, et se réfugia dans une campagne déserte, d'où il conservait et gouvernait son église par des prêtres et des diacres dévoués qui avaient trouvé le moyen d'entretenir avec lui des relations secrètes.

Grégoire le Thaumaturge, à Néocésarée dans le Pont, réussit à, maintenir tous les fidèles de sa juridiction dans la foi et le courage des serviteurs de Jésus-Christ.

Il conseilla aux Chrétiens de se soustraire par la fuite aux dangers de la persécution, et lui-même se retira dans une vallée sauvage où il trompa la vigilance des soldats envoyés à sa poursuite.

Toutes les églises d'Asie comptèrent une multitude de courageux Chrétiens que les tourments ne purent ébranler. Maxime et Pierre de Lampsaque inscrivirent leurs noms sur la liste des martyrs. Ce dernier, jeune et d'une beauté remarquable reçut l'ordre de sacrifier à la déesse Vénus. Sur son refus, le Proconsul le fit étendre sur une roue, entre des pièces de bois attachées à son corps par des chaînes de fer, tellement disposées que les roues en tournant lui brisaient peu à peu tous les os. Le courage du Chrétien ne se démentit pas un instant dans Ce cruel supplice, et le Proconsul finit par lui faire trancher la tête.

En Sicile, la vierge Agathe figura parmi les illustres victimes de cette horrible persécution.

Agathe était aussi distinguée par sa naissance que par les vertus dont son àme était ornée.

Le gouverneur de la province épris de sa beauté, la fit arrêter comme Chrétienne, et la remit aux mains d'une femme de mauvaise vie pour la corrompre. Cet infâme calcul fut déjoué. Le gouverneur irrité de ses refus persistants, la fit conduire en prison.

Le lendemain elle souffrit la torture avec tant de courage que le juge exaspéré y ajouta un affreux supplice en lui faisant arracher les seins. Quatre jours après elle rendait l'âme au milieu des tourments.

Le nom de cette sainte fille a été inscrit au martyrologe du Canon de la Messe.

 

CYPRIEN, ÉVÊQUE DE CARTHAGE.

Formes diverses des apostasies

 

A côté des exemples de courage que donnaient tant de martyrs et de confesseurs sur tous les points du monde, de nombreuses défections vinrent affliger l'Église.

Mais aucune cité ne vit plus de ces douloureuses apostasies que la ville de Carthage. L'Église de cette ville était alors dirigée par le célèbre Cyprien, issu d'une famille sénatoriale, et qui, après avoir quitté le barreau où il brillait pour embrasser la foi Chrétienne, avait peu de temps après son baptême été élevé à l'épiscopat.

La fureur des païens se tourna d'abord tout entière contre lui. Le cirque et l'amphithéâtre retentissaient du cri mille fois répété de : Cyprien aux lions !

L'évêque crut, en se retirant, apaiser la violence de la sédition. Il fut proscrit, sa tête mise à prix, et ses biens confisqués. Du fond de sa retraite, il assistait les fidèles de sa juridiction par ses exhortations, ses encouragements et ses prières ; mais beaucoup d'entre eux renonçaient à leur foi dans la crainte des tortures.

Cependant il y avait des degrés dans l'apostasie : les Chrétiens timides se divisaient en trois catégories différentes désignées par ces noms :

Thurificati, Sacrificati, Libellatici.

Les Thurificati avaient seulement offert de l'encens aux idoles..

Les Sacrificati avaient sacrifié aux faux dieux, ou mangé des viandes immolées.

Les Libellatici enfin étaient ceux qui s'étaient rachetés à prix d'argent de l'obligation de sacrifier, et avaient ainsi pu recevoir des proconsuls un billet (libellum) portant qu'ils avaient renoncé à Jésus-Christ et sacrifié aux dieux de l'Empire, quoiqu'ils n'en eussent rien fait. Ces billets ou libelles étaient délivrés publiquement, et leurs porteurs n'avaient plus à craindre la persécution.

On désignait sous le nom général de lapsi (tombés) indistinctement tous ceux qui appartenaient à ces trois catégories, pour chacune desquelles on avait établi en les graduant des pénitences canoniques.

La plupart se repentaient bientôt et sollicitaient leur retour à la communion des Fidèles : or les conditions de ce retour étaient devenues un sujet de discussion dans l'Église.

 

SYNODE ROMAIN (de lapsis).

Le premier Ermite

 

En effet des abus s'étaient introduits relativement à la réconciliation. En Afrique particulièrement les martyrs et les confesseurs accueillaient avec compassion le pécheurs apostats, priaient avec eux, les admettaient à leurs agapes, croyant pouvoir amnistier ceux pour qui ils devaient seulement intercéder.

Armés de ces indulgentes absolutions, les tombés affluèrent promptement au seuil de l'Église, non plus en suppliants mais plutôt, en séditieux, non pas seulement frappant à la porte, mais la brisant en quelque sorte, réclamant comme un droit ce qui ne pouvait être qu'une grâce.

Les réclamations qui s'élevèrent à cet égard motivèrent la convocation d'un synode à Rome ; ce synode réuni sous le feu de la persécution, pendant la vacance du siège pontifical, fut composé d'évêques voisins de Rome, et d'évêques réfugiés à Rome. Voici les prescriptions qu'il formula :

Ne pas repousser sans doute ceux qui ont fait un jour acte d'idolâtrie, lorsqu'ils se repentent, et n'ont pas vécu de la vie païenne ; ne mépriser ni leurs prières, ni les recommandations des martyrs ni les vœux des confesseurs ; mais ne pas tenir non plus ces recommandations comme absolument décisives, ne pas admettre celles qui sont vagues, générales, applicables à quiconque veut en user, et surtout, avant d'accorder l'absolution complète, attendre la paix de l'Église, et l'élection d'un nouveau pontife ; attendre le jour où la persécution étant finie, la chaire de Saint-Pierre de nouveau occupée, les évêques, de retour au milieu de leur troupeau, les évêques et le peuple Chrétien autour d'eux pourraient apprécier à leur loisir la vie, les fautes et le repentir de chacun.

Le synode réservait seulement la faculté de la reconnaissance immédiate pour les pénitent qui se trouvent en péril imminents de mort.

Ces décisions décrétales furent adressées à toutes les Chrétientés du monde pour régulariser les modes de réconciliation.

L'élection de l'évêque de Rome eut lieu peu après au mois d'avril 251. Plusieurs évêques que la persécution avait amenés dans cette ville, réunis au clergé et aux fidèles, élurent pour le siège pontifical le prêtre Corneille qu'il fallut contraindre pour lui faire accepter cette dignité.

Mais au mois d'octobre de la même année, l'empereur Dèce ayant été tué avec son fils dans une grande bataille livrée en Mœsie contre les Goths, les Chrétiens commencèrent à avoir un moment de répit.

De cette courte, mais terrible persécution, date le mouvement qui porta plus tard les fidèles au désert, et devait enfanter les merveilles des institutions monastiques.

En 251, un jeune homme de la basse Thébaïde, nommé Paul, fuyant les bourreaux, avait trouvé une grotte ombragée d'un palmier, près de laquelle coulait une source d'eau vive.

Paul s'enferma dans cette grotte, y vécut, sous l'œil de Dieu jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans, et remporta cette gloire de la solitude qui a fait de lui le premier ermite Chrétien.

C'est là que, vingt ans plus tard, Antoine devait venir le rejoindre, conduit par une vision divine vers la retraite cachée du pieux solitaire dont Dieu avait sanctifié la vertu dans la pénitence.

 

L'EMPEREUR GALLUS (251-253).

Mort d'Origène

 

Après la mort de Dèce, l'armée Romaine avait proclamé Empereur l'un de ses chefs, nommé Vibius Gallus, qui conclut avec les Goths une paix honteuse, leur laissa repasser le Danube avec tout leur butin et promit encore un tribut annuel.

L'orgueil Romain fut blessé de cette lâcheté qui encourageait les attaques (les barbares. Cependant le Sénat accepta le nouvel Empereur, mais en lui imposant pour collègue un des fils de Dèce, Hostilien. Gallus nomma en même temps César son propre fils Volusius.

Une peste qui sévit avec fureur dans tout l'Empire, ou peut-être un crime de Gallus emporta Hostilien en 252.

Les Perses envahirent la Syrie, et les Goths pénétrèrent en Asie-Mineure jusqu'à Ephèse, en Illyrie jusqu'aux rives de l'Adriatique. Gallus s'en émut peu, et demeura à Rome ; hostile lui-même aux Chrétiens, il fit exiler à Civita-Vecchia le pontife Romain Corneille, qui, après avoir généreusement confessé la foi en Jésus-Christ, y mourut le 14 septembre l'an 252.

Corneille eut pour successeur au pontificat Lucius Ier l'un des prêtres qui avaient été bannis avec lui.

Le règne de Gallus fut de courte durée. Le Maure Emilien, qui avait repoussé les barbares, ayant pris la pourpre que l'armée lui offrit, Gallus marcha contre lui pour le combattre ; mais il fut tué avec son fils Volusien à Intéramna, en Ombrie par ses soldats mutinés, au mois de Mai 253.

Emilien ne lui survécut que quatre mois, et eut le Même sort. Valérien, qui arrivait pour venger Gallus avec les légions du Rhin fut salué Empereur, et reçu avec acclamation dans Rome où le Sénat nomma César son fils Gallien.

Cette même année 253 avait vu s'éteindre une existence usée dans des travaux gigantesques. Origène mourut à Tyr, léguant à la postérité autant de disputes après- sa mort que durant sa vie. ll avait composé jusqu'à 6.000 ouvrages. Il avait eu la gloire de compter' parmi ses disciples des martyrs, des docteurs, des évêques illustres parmi lesquels on compte Grégoire le Thaumaturge, et son frère Athénodore, Alexandre, évêque de Jérusalem, Héraclas et Denys, évêques d'Alexandrie etc.

Mais sa mémoire a été compromise par ses opinions paradoxales, et par la secte d'hérétiques, qui pullulèrent vers cette époque en s'attribuant le nom d'Origéniens.

 

L'EMPEREUR VALÉRIEN (253-260).

Peste dans l'Empire

 

Le règne de l'Empereur Valérien coïncide avec l'élévation au pontificat d'Étienne Ier qui fut le successeur de Lucius Ter dans le siège de St. Pierre. Les deux premières années de ce règne furent marquées par une des pestes les plus horribles dont l'histoire ait conservé le souvenir. De l'Éthiopie où elle prit naissance, elle se répandit dans toutes les provinces de l'Empire, laissant des victimes par milliers sur son passage : à Rome, on en compta 5.000 en un seul jour, à Carthage, l'évêque Cyprien raconte que les rues étaient pleines de mourants et de cadavres laissés sans sépulture. Les maisons vidées par le fléau étaient la proie d'infâmes voleurs qui profitaient de cette calamité pour s'enrichir de la dépouille des morts.

Ce fut alors qu'il écrivit son traité : De la Mortalité, où il mêlait à toute la tendresse de ses effusions les hautes pensées de la Foi. Tous les évêques chrétiens rivalisèrent de dévouement charitable dans ces douloureuses circonstances ; tous se jetaient intrépidement au milieu des dangers de la peste, pour secourir ceux-là mêmes qui s'étaient fait tant de fais leurs bourreaux.

La charité chrétienne grandissait avec les malheurs de l'Empire. Les Scythes, les Goths, les Perses, précurseurs de la formidable armée des barbares qui resserrait son cercle autour des provinces Romaines, désolaient tour-ai-tour les frontières, ruinaient les villes, et emmenaient en captivité ce que la peste avait épargné.

Huit évêques de Numidie avaient eu la douleur de voir leurs fidèles traînés ainsi en esclavage. Ils écrivirent ce désastre à Cyprien qui lut leurs lettres à son peuple en versant un torrent de larmes. Il réunit des aumônes des fidèles cent mille sesterces qu'il leur adressa : Si, leur dit-il, pour éprouver votre charité Dieu vous envoyait encore une semblable épreuve, ne craignez point de nous l'écrire. Soyez assurés que, le cas échéant ; nous vous donnerions volontiers tout ce qui serait en notre pouvoir.

Pour entretenir les charitables dispositions de son peuple, l'éloquent évêque écrivit alors son livre : Des bonnes œuvres et de l'aumône, admirable exhortation à la charité.

La réputation de vertu et de science de Cyprien le faisait consulter de toutes parts comme l'oracle de l'Église.

Il succédait à l'éclatant héritage d'Origène, et sa volumineuse correspondance atteste son zèle pour le maintien de la foi et de la discipline ecclésiastiques.

 

VIIIe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

MARTYRE DE CYPRIEN.

 

Tel était l'état des choses, lorsqu'en l'année 257, l'Empereur Valérien qui, depuis le commencement de son règne, n'avait pas encore inquiété les Chrétiens, céda aux sollicitations de son favori Macrien, puissamment secondé par le chef des magiciens de l'Égypte, et crut devoir signer l'édit de la 8e persécution générale. Le Paganisme, après tant de sanglantes et inutiles épreuves, espérait encore étouffer dans les supplices la religion de Jésus-Christ.

Le pontife Romain Étienne Ier fut l'une des premières victimes désignées à Rome ; conduit au temple de Mars pour y entendre sa condamnation, il eut la tète tranchée le 2 août 257. Son corps fut enterré dans le cimetière de Calliste.

Malgré la violence de la persécution, le clergé et les fidèles de Rome purent se réunir pour lui donner un successeur dans la personne de Sixte II. Le nouveau Pontife était depuis longtemps archidiacre de l'Église Romaine, dignité considérable à laquelle appartenait l'administration des biens ecclésiastiques, et qui fut d'abord attribuée à l'archidiacre Laurent.

L'évêque Cyprien, à la première nouvelle de la persécution, avait écrit en style brûlant une exhortation au martyre, qu'il adressa à tous les fidèles de son Église ; il fut pris le premier, et conduit devant le proconsul d'Afrique, nommé Paternus, qui se contenta de l'envoyer en exil à Curube, port de mer à une vingtaine de lieues de Carthage. Mais Galère Maxime, successeur de Paternus, était animé de sentiments plus hostiles. Il donna l'ordre de ramener le saint évêque à son Prétoire. Une multitude immense se rassembla pour assister à l'interrogatoire de l'illustre Docteur. Comme il refusa de sacrifier aux Dieux, le Proconsul lut ce décret :

Thascius Cyprien sera puni par le glaive. — Deo gracias, répondit le généreux évêque.

Une scène tumultueuse suivit le jugement, et comme on craignait une sédition, Cyprien fut conduit hors de la ville. Il se banda lui-même les yeux ; un prêtre et un diacre qui l'accompagnaient au lieu du supplice lui lièrent les mains ; il fit remettre 25 pièces d'or à l'exécuteur, et présenta sa tête au bourreau qui l'abattit d'un coup (14 Septembre 258).

Les chrétiens recueillirent le sang du martyr dans des étoffes de lin et de soie. Huit de ses disciples imitèrent leur évêque dans son courage et dans sa mort.

 

SUITES DE LA VIIIe PERSÉCUTION.

Martyres de Sixte II et de Laurent

 

La persécution ne se borna pas à ces illustres prémisses, elle s'étendit dans toutes les provinces de l'Empire. La ville de Scyrthe en Numidie fut particulièrement éprouvée : elle compta ses martyrs par milliers. On les mena dans un vallon, au bord d'un fleuve entre Jeux rangs de collines élevées des deux côtés pour favoriser le spectacle. On les fit ensuite ranger en ligne les yeux bandés, et l'exécuteur ne fit que passer de l'un à l'autre en leur coupant la tête. Cette atroce boucherie dura une grande partie du jour.

En Espagne, Fructueux, évêque de Tarragone, fut brûlé vif avec ses deux diacres.

A Toulouse, dans les Gaules, Saturnin traîné par un taureau furieux, mourut aussi pour la foi. Le pontife Sixte II à Rome ne pouvait manquer d'être joint à la glorieuse pléiade des martyrs. Il eut la tête tranchée dans la même année 258, après avoir occupé le siège de Saint-Pierre pendant onze mois et six jours ; il avait envoyé dans les Gaules Pérégrinus Ier évêque d'Auxerre.

Le Préfet de Rome croyant que les chrétiens avaient de grands trésors en réserve, et voulant s'en emparer, se fit alors amener l'archidiacre Laurent, qui en avait la garde.

Vous vous plaignez, lui dit-il, que nous vous traitons cruellement. Il n'est point question ici de supplices ; Je vous demande ce qui dépend de vous. On dit que dans vos cérémonies les pontifes offrent des libations avec des vases d'or ; que le sang des victimes est reçu dans des coupes d'argent, et que pour éclairer vos sacrifices nocturnes vous avez des cierges fixés sur des chandeliers d'or. On dit que pour fournir à ces offrandes, les frères vendent leurs héritages, et réduisent souvent leurs enfants à la pauvreté ; mettez au jour ces trésors cachés. L'empereur en a besoin pour solder les troupes, et rétablir les finances de l'État. J'apprends que, selon votre doctrine, il faut rendre à chacun ce qui lui appartient : or l'Empereur reconnait pour sienne la monnaie sur laquelle est empreinte son image : rendez donc, comme vous le dites, à César ce qui est à César. Si je ne me trompe, votre Dieu ne fait pas battre monnaie ; il n'a pas apporté de l'argent en ce monde ; il n'y a apporté que des paroles ; rendez nous l'argent, et gardez les paroles. — J'avoue, répondit Laurent, que notre Église est riche, et que l'Empereur lui-même n'a pas de si grands trésors. Je vous ferai voir ce qu'elle a de plus précieux ; donnez-moi seulement quelque temps pour mettre tout en ordre, en dresser l'état et en faire le calcul.

Le Préfet lui donna trois jours de délai.

Dans cet intervalle, Laurent parcourut toute la ville pour chercher en chaque rue les pauvres que l'Église nourrissait. Il les rassembla tous, lépreux, aveugles, boiteux, paralytiques, malades couverts d'ulcères, et les rangea dans la cour de l'Église : Venez, dit-il ensuite au Préfet ; vous verrez une grande cour pleine de vases précieux, et de lingots d'or entassés sous les galeries.

Puis, ouvrant une porte, il montra au Préfet toutes les infirmités humaines réunies : Voilà, lui dit-il, les trésors que je vous ai promis. J'y ajoute les perles et les pierreries ; ce sont les vierges et les veuves qui sont la couronne de l'Église.

Le Préfet, pour toute réponse, fit apporter un immense gril de fer, sous lequel on mit des charbons ardents. Le saint diacre y fut étendu, et trouva encore la force, au milieu des tortures de cet holocauste, de dire à ses bourreaux : Faites-moi retourner, je suis assez rôti de ce côté. C'est assez cuit ; vous pouvez manger. Et il rendit ainsi son âme à Dieu.

 

CALAMITÉS DE L'EMPIRE.

Châtiment de Valérien

 

La punition des persécuteurs ne tarda pas à suivre la mort des victimes. Des calamités de toute espèce se déchaînèrent sur l'Empire. La peste recommença ses ravages avec une intensité encore plus grande. Pendant plusieurs jours, l'Italie fut enveloppée d'épaisses ténèbres. Rome, la Lybie et l'Asie tout entière furent couvertes de ruines par un tremblement de terre affreux.

De leur côté, les Barbares commençaient à prendre possession du Monde Romain. Les Germains envahirent la Gaule jusqu'aux Pyrénées, traversèrent ces montagnes, ravagèrent une partie de l'Espagne, et se montrèrent sur les rivages de la Mauritanie, étonnés de cette nouvelle race d'hommes.

Les Allamans au nombre de trois cent mille s'avancèrent en Italie jusqu'aux portes de Milan. Les Goths, les Sarmates, les Quades dévastèrent l'Illyrie. La Scythie vomissait ses peuples sur l'Asie Mineure et sur la Grèce.

Les Scythes à demi nus s'embarquèrent sur le Pont-Euxin dans des espèces de cabanes flottantes, surprirent Trébizonde, ravagèrent la province du Pont, et enchaînant les Romains captifs aux rames de leurs vaisseaux, retournèrent triomphants au désert.

D'autres Goths partirent des bords du Tanaïs, franchirent le Bosphore, abordèrent en Asie, pillèrent Chalcédoine, et se retirèrent à la lueur des flammes dont ils embrasèrent Nicée et Nicomédie.

Enfin, pour compléter ce tableau de tant de désastres, l'Empereur Valérien qui avait inondé le monde du sang Chrétien, fut vaincu dans une grande bataille en Mésopotamie par Sapor, roi des Perses, et tomba au pouvoir de ce dernier, qui lui fit subir les humiliations les plus outrageantes ; toutes les fois qu'il voulait monter à cheval ou en char, son captif lui servait de marchepied. Valérien mourut bientôt des souffrances de sa captivité ; le vainqueur fit écorcher son cadavre, et sa peau empaillée, tannée et peinte en rouge demeura suspendue pendant plusieurs siècles, à la voûte du principal temple des Perses ; aussi l'on peut dire, avec raison que Valérien est une des grandes misères de l'histoire, et l'un des plus éclatants témoignages de la Justice de Dieu.

 

L'EMPEREUR GALLIEN (260-268).

 

La huitième persécution prit fin après cette série de désastres. Le 22 Juillet 259, Denys avait été promu à la chaire de St Pierre vacante par la mort de Sixte II : il fut sacré par Maxime évêque d'Ostie. Selon une ancienne coutume, qui fut dès lors remise en vigueur, les évêques d'Ostie avaient le privilège de sacrer les Pontifes Romains.

L'Empereur Gallien, resté seul maître de l'Empire, l'occupa encore pendant huit années qui ne furent qu'une lutte sans relâche contre les usurpateurs et les barbares qui commençaient à s'en disputer les lambeaux. Dans toutes les provinces, dans toutes les armées, il s'élevait alors un empereur. C'est le temps qu'on nomme par un souvenir de l'histoire d'Athènes, la période des trente tyrans. Il n'y en eut en réalité que dix-neuf ou vingt, la plupart remarquables : car ces hommes défendaient l'Empire tout en le déchirant. Chaque province reconnaissait le tyran le plus voisin. Un lambeau de pourpre, dit M. de Chateaubriand, faisait le matin un empereur, le soir une victime.

Aux désordres intérieurs venaient se joindre les incursions sans cesse renouvelées des barbares. Les plus terribles étaient alors les Goths, établis le long de la Mer Noire et sur le bas du Danube d'où ils pénétraient dans l'Asie Mineure, la Thrace ou la Grèce, et les Hérules qui partaient de la mer d'Azov, montés sur 500 navires, et allaient piller les rivages et toutes les îles de la mer Égée. Les villes sur l'ordre de l'Empereur s'entourèrent de murailles : ce fut le salut de Byzance. Mais Athènes, Corinthe, Sparte et Argos furent dévastées. Un Goth voulait brûler à Athènes les bibliothèques : un autre l'arrête : Laissons, dit-il, à nos ennemis ces livres qui leur ôtent l'amour des armes. Les Athéniens cependant, sous la conduite de l'historien Dexippe, eurent l'honneur de battre ces brigands qui se vengèrent sur la Béotie, l'Épire, la Thrace et l'Illyrie. Gallien ne mit un terme à leurs ravages qu'en concluant une paix humiliante avec eux, et en prenant à sa solde un corps d'Hérules.

Mais en 268 lui-même périt assassiné par ses officiers, victime d'un complot tramé contre lui par Auréolus, l'un de ses compétiteurs à l'Empire. Les meurtriers ne purent apaiser la colère des soldats qu'en leur prodiguant des sommes considérables.

 

L'EMPEREUR CLAUDE II (268-270).

 

Gallien en mourant avait choisi pour son successeur un Dalmate qui était alors le général le plus renommé de l'Empire : il régna sous le nom de Claude II. Son premier soin fut de venger la mort de son prédécesseur, en faisant décapiter Auréolus, l'instigateur du complot dont Gallien avait été victime.

Il tourna ensuite ses efforts contre les Allamans qui avaient pénétré en Italie, et leur fit essuyer près du lac de Garde une sanglante défaite.

Une invasion de 300.000 Goths le força bientôt de courir au secours de la Macédoine, où ils assiégeaient Cassandre et Thessalonique. Il remporta sur eux une grande victoire près de Naïssus, et poursuivit leurs débris jusque dans la Mœsie ; mais une peste qui survint l'enleva à Sirmium au mois d'avril 270.

Le pontife Denys, évêque de Rome était mort lui-même en l'an 269 après dix années de pontificat. Ce fut lui qui établit le premier la division des diocèses et des paroisses dans cette ville ; il eut pour successeur dans son siège le pontife Félix Ier.

 

L'EMPEREUR AURÉLIEN.

 

Aurélien, qui remplaça Claude II sur le trône Impérial, était originaire de Sirmium en Pannonie, il fut élevé dans les camps ; son courage, sa force et son activité l'avaient de bonne heure fait remarquer entre tous. Au commencement de son règne, les Marcomans avaient pénétré par la Rhætie jusqu'à Plaisance où ils détruisirent une armée Romaine et de là jusque sur les bords de l'Adriatique. La terreur était dans Rome. Le Sénat consulta les livres Sybillins, et d'après leurs réponses on immola des victimes humaines qu'Aurélien livra. Une victoire que l'empereur remporta sur le Métaure près de Fanum Fortanæ délivra l'Italie.

Le danger que Rome avait couru parut si grand qu'Aurélien se décida à entourer la ville d'une forte muraille de vingt et un milles de longueur : cette muraille subsiste encore aujourd'hui quoique dégradée, et elle est désignée sous le nom d'enceinte d'Aurélien. Il eut ensuite à combattre les Goths, auxquels, après une bataille sanglante et indécise, il abandonna par un traité, la Dacie dont il transporta les habitants en Mœsie qui prit le nom de Dacie d'Aurélien. Le Danube redevenait la limite de l'Empire. En l'année 273, Aurélien passa en Orient pour faire la guerre à la veuve d'Odenath, Zénobie Princesse de Palmyre, célèbre par sa rare intelligence et qui ne tendait à rien moins qu'à fonder un grand Empire Oriental. Il lui enleva successivement la Syrie, l'Égypte, et une partie de l'Asie-Mineure où elle commandait. Deux batailles perdues près d'Antioche et d'Édesse forcèrent Zénobie à se réfugier dans sa capitale qu'Aurélien -vint aussitôt assiéger. Quand la ville fut à bout de ressources, Zénobie s'enfuit sur des dromadaires vers l'Euphrate, mais elle fut prise et conduite à Aurélien. Son principal ministre était le sophiste Longin, qui a laissé un traité sur le Sublime. Longin, soupçon né d'être l'auteur d'une lettre offensante envoyée par Zénobie à Aurélien, fut mis à mort ; l'Empereur réserva la reine de Palmyre pour son triomphe. Mais les Palmyréens s'étant révoltés après son départ, il revint sur ses pas, égorgea la population, et détruisit la ville de Palmyre.

En Égypte, un Fiche marchand, nommé Firminus, qui avait pris la pourpre, fut aisément renversé, et tout l'Orient se trouva rattaché à l'Empire. En Occident, Tétricus qui avait aussi constitué un gouvernement indépendant pour la Gaule, l'Espagne et la Bretagne, se soumit également à Aurélien dans l'année 274.

L'heureux vainqueur donna à Rome le spectacle du plus magnifique triomphe que la ville eût vu depuis longtemps. Tétricus et Zénobie y parurent avec leurs enfants et nombre de prisonniers appartenant aux nations les plus éloignées. Le triomphateur était monté sur un char traîné par quatre cerfs apprivoisés, attelage qui avait été pris à un roi Goth. S'affranchissant de la tradition Romaine, il portait un diadème sur la tête, et sur les épaules un vêtement orné d'or et de pierreries. Tétricus et Zénobie ne furent pas cependant jetés dans le Tullianum selon l'antique usage.

Tétricus fut nommé gouverneur de la Luc a ni e, et son fils devint sénateur.

Zénobie put se retirer dans une belle villa du territoire de Tibur.

 

IXe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

AURÉLIEN ET L'ÉGLISE.

 

Aurélien, arrivé au comble de la fortune, devint fanatique, non seulement des dieux de l'Olympe, mais de sa propre Divinité, et permit qu'on inscrivît sur ses monnaies : A notre Seigneur et notre Dieu, Aurélien Auguste, restaurateur du monde.

Il paraît cependant que nul édit de persécution ne fut signé par lui, si ce n'est aux derniers jours de son règne. Il voulut aussi attacher à son nom l'anéantissement d'une religion odieuse à l'Empire ; c'est ce qui motiva sans doute le décret de la neuvième persécution générale des Chrétiens. La Gaule où ce décret fut signé fut la province qui fournit le plus de martyrs. Plusieurs des apôtres de ces contrées et plusieurs de leurs disciples payèrent de leur vie l'honneur qu'ils avaient eu les uns d'apporter, les autres de recevoir des premiers la semence évangélique ; tels Marcel et Anastase chez les Bituriges ; à Sens, ou près de Sens, Savinien, Potentien, Sanctus, la vierge Columba ; à Troyes, Patrocle, Sabinianus et Sabina, la plupart jetés de Rome dans la Gaule par les persécutions de Valérien quinze ans auparavant. C'est ainsi que la persécution enfantait l'apostolat, et que l'apostolat à son tour enfantait le martyre.

L'Italie eut aussi ses victimes parmi lesquelles le pontife Félix Ier fut désigné d'avance par sa dignité aux coups des persécuteurs. Il mourut dans les tourments le 22 Décembre 274, et fut enterré dans le cimetière de la voie Aurélienne. Eutychien lui succéda sur le siège de Rome le 4 Janvier 275.

Pendant que ces lettres sanglantes, ainsi que les appelle un Père de l'Église, parcouraient l'Empire en semant autour d'elles la terreur et le meurtre, une catastrophe inattendue allait encore une fois changer le cours des événements. Au moment où Aurélien se dirigeait vers le Bosphore pour venger sur le petit-fils de Sapor les outrages faits à Valérien, il fut assassiné entre Héraclée et Byzance au mois de Janvier 275 par son secrétaire Mnesthée secondé par l'un des chefs de l'armée, nommé Mucapor.

Le meurtre ne fut pas plutôt connu que les complices s'en repentirent et que les auteurs en eurent horreur. Mnesthée fut livré aux bêtes ; et l'armée indignée fit à Aurélien de magnifiques obsèques, lui dressa même un temple, et le proclama Dieu.

Toutefois les lettres sanglantes continuaient encore leur voyage, et par ordre du prince mort, le sang Chrétien coula aussi dans la Thrace et l'Asie Mineure. Ces régions virent des martyres s'accomplir à Byzance, à Ephèse, à Césarée de Cappadoce et ailleurs. A Icone le vieillard Conon, qui, depuis des années, vivait de la vie des anachorètes et étonnait le monde par ses miracles, fut traduit devant le préfet Domitien avec son fils sous-diacre. Condamnés pour leur foi, ils furent tous deux couchés sur un.lit de fer rouge, et on leur scia les mains avec une scie de bois.

Mais ces atrocités ne faisaient que révolter les âmes compatissantes, et la propagation de la foi Chrétienne n'en accomplissait pas moins de jour en jour de nouveaux progrès.

 

LES EMPEREURS TACITE ET FLORIANUS (275-276).

 

Après la mort d'Aurélien, il y eut dans l'Empire un interrègne de huit mois. Mais les Germains ayant fait invasion dans la Gaule, le Sénat se décida à proclamer Empereur au mois de Septembre 275 l'un de ses membres, Tacite, qui prétendait descendre de l'illustre historien, et qui possédait en biens fonds une fortune de 75 millions, avec assez d'argent comptant pour payer la solde de toutes les armées. Tacite avait 75 ans.

Cependant les troupes le reçurent sans murmures : il chassa les Alains de l'Asie Mineure, et pénétra jusqu'au Caucase, pour commencer de ce côté la guerre contre les Perses. Mais il mourut ou fut tué le 12 Avril 276.

Son frère Florianus, homme grave et respecté comme Tacite, ne craignit pas de prendre la pourpre après lui ; mais n'ayant pas attendu l'assentiment du Sénat ni celui de l'armée, il courut follement à sa perte ; trois mois après, ses soldats le tuèrent ou le forcèrent de se tuer.

 

L'EMPEREUR PROBUS (276-282).

 

Après la mort de Florianus, les légions élurent pour Empereur le consul Probus, auquel Tacite avait confié le gouvernement de l'Orient. Probus demanda au Sénat la confirmation de son élection, et après s'être montré à Rome, il courut dans la Gaule que les Allemands avaient envahie. Il leur reprit 60 villes, passa le Rhin à leur suite, et les poursuivit jusqu'au delà du Neckar. Tous les jours on lui apportait quelque tête d'ennemi qu'il payait une pièce d'or chacune. Des colonies militaires et des camps furent établis pour couvrir la rive droite du fleuve, et pour en défendre les approches, et les fortifications qui allaient du Danube au Rhin furent relevées. Les Germains demandèrent la paix, et lui livrèrent seize mille de leurs jeunes guerriers qu'il enrôla dans ses troupes, mais en les dispersant.

L'ordre rétabli au Nord des Alpes, Probus battit dans l'Illyrie les Sarmates ; dans la Thrace, les Gètes ; dans l'Asie Mineure, les brigands de l'Isaurie et de la Pamphylie ; en Egypte, les Blemmyes qui avaient pris les villes de Coptos et de Ptolémaïs. Le roi des Perses, Narsès, effrayé de ces succès, demanda la paix. A son retour par la Thrace, Probus établit sur les terres de l'Empire cent mille Bastarnes, système dangereux ; car cette invasion de l'Empire par les Barbares, loin d'empêcher l'autre qui se fit violemment un siècle plus tard, devait la faciliter.

De retour à Rome, il célébra un pompeux triomphe sur les Germains et les Blemmyes ; mais sa sévérité, les rudes travaux qu'il imposa à ses soldats, auxquels il faisait planter des vignes, dessécher des marais, et le mot qui courait de lui qu'il espérait bien que l'Empire pourrait se passer d'armée, amenèrent une sédition de ses troupes dans laquelle il périt en l'année 282.

Le lendemain ses soldats le pleurèrent, et lui élevèrent à titre de tombeau un tumulus immense avec une inscription pompeuse. Il avait à peu près mis fin à la première tentative des Barbares pour s'établir dans l'Empire.

Pendant son règne, la persécution ne s'était pas renouvelée contre les Chrétiens.

 

LES EMPEREURS CARUS (282-283), CARINUS ET NUMÉRIEN (284-285).

 

Les légions continuaient à décerner l'Empire : après la mort de Probus, elles élurent pour Empereur Carus, son Préfet du Prétoire, bon général, mais père trop indulgent.

Il se hâta de donner le titre de César à ses deux fils : Carinus, jeune homme brave, mais livré à tous les excès, et Numérien, esprit doux et cultivé.

L'aîné eut le gouvernement de l'Occident ; le plus jeune, après une défaite des Goths et des Sarmates, suivit son père en Orient.

Carus dévasta la Mésopotamie, prit les principales cités Persanes, Séleusie, Ctésiphon, et alla placer son camp un peu en avant de cette dernière capitale sur les bords du Tigre ; mais là il périt mystérieusement le 25 Décembre 283 au milieu d'un orage épouvantable. On ne sait trop s'il fut frappé par la foudre, ou victime d'un complot tragique, ou s'il succomba à une maladie.

Ses deux fils furent aussitôt reconnus Empereurs. Numérien se hâta de traiter avec les Perses.

Comme il ramenait les légions vers le Bosphore, il y fut tué dans la litière qui le transportait par son beau-père Arius Aper, préfet du Prétoire, le 12 septembre 284.

Carinus de son côté périt au mois de Mai de l'année 285 dans une bataille livrée près de Margus en Mœsie au Dalmate Dioclétien,

que les légions avaient proclamé empereur sous les murs de Chalcédoine. Quant à Arius Aper, il avait été massacré de la propre main de ce dernier qui avait vengé sur lui la mort de Numérien.

Dioclétien était donc resté seul maître de l'Empire. A Rome, le pontife Eutychien était mort le 7 décembre 283 et avait eu pour successeur le prêtre Caïus sur le siège de saint Pierre.

Les chrétiens avaient généralement vécu en paix pendant toute la durée de son pontificat. Les saints Trophime, Sabbas et Dorymédon, à Antioche de Pisidie, sont les seuls martyrs de cette époque dont l'histoire ait conservé les noms. On croit que ce fut, Eutychien qui institua l'Offertoire de la messe ; il fut enterré dans le cimetière Calliste à la suite des pontifes ses prédécesseurs.

 

LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN (284) ET MAXIMIEN (286).

 

L'avènement de l'Empereur Dioclétien apporta de grands changements dans l'organisation de l'Empire ; il affecta d'abord une grande douceur, et, après la mort de Carinus, il accueillit tous ses partisans.

Débarrassé de ce dangereux adversaire, il s'imposa la double tâche de rétablir l'ordre dans l'intérieur, et la sécurité sur les frontières.

Tandis que la tyrannie des gouverneurs de la Gaule faisait révolter les paysans de cette province (les Bagaudes), les Allemands d'un autre côté franchissaient le Danube, ravageaient la rive gauche du Rhin ; des pirates Saxons pillaient aussi les côtes de la Bretagne et des Gaules ; des Francs enfin allaient jusqu'en Sicile ravager Syracuse.

Effrayé de cette situation critique de l'Empire, Dioclétien songea à s'adjoindre un collègue dans la force de l'âge, éprouvé par de longs services aux armées, et sur qui il pût se reposer d'une partie des soins de la guerre. Il choisit à cet effet un de ses anciens compagnons d'armes, Valérianus Maximien, et le fit proclamer Auguste en l'année 286. Sorti d'une famille obscure de la Pannonie, Maximien s'était distingué par son activité et son courage.

Moins politique, moins pénétrant, et s'il se peut, moins lettré encore que Dioclétien, celui-ci le considérait avec raison comme un instrument utile et maniable. Mais en même temps Maximien était brutal, dur, emporté, rapace, cruel. Sa débauche n'avait pas de limites ; elle ne reculait devant aucune monstruosité, ni devant aucune violence.

Et de plus c'était un païen, un païen grossier et barbare, haineux et superstitieux.

Tel fut l'homme auquel Dioclétien abandonna le gouvernement de l'Occident comprenant l'Italie, l'Espagne, la Bretagne et la Gaule. Il se réservait pour lui-même l'Orient où il alla combattre les Perses sur lesquels il reprit la Mésopotamie.

Quart ù, Maximien, en ce temps de guerre toujours renaissante, et de persécution toujours prête à renaître, il devait bientôt trouver l'occasion de témoigner de son courage contre les ennemis de l'Empire, et de sa haine contre les disciples de t'Évangile.

 

CAMPAGNE CONTRE LES BAGAUDES.

La Légion Thébéenne

 

La campagne contre les Bagaudes parait avoir été la première occupation de Maximien devenu Auguste. Les Bagaudes étaient des laboureurs, des colons des domaines impériaux qui s'étaient révoltés, avaient attaqué les grandes fermes, pillant et détruisant tout, et s'étaient emparés de la ville d'Autun, dont ils avaient fait leur capitale.

Maximien parti pour les combattre s'était arrêté, après avoir traversé les Alpes Pennines (le Saint-Bernard) Octodurum (aujourd'hui Martigny dans le Valais) pour laisser quelque repos à ses troupes. Il fut rejoint en cet endroit par une légion désignée sous le nom de légion Thébéenne, que Dioclétien avait fait venir d'Orient et qu'il lui envoyait pour grossir ses forces. Cette légion était tout entière composée de chrétiens, et avait pour chef Mauritius. Soit qu'on ait voulu la forcer d'assister au sacrifice solennel offert aux dieux avant l'entrée en campagne, soit qu'elle ait été requise pour rechercher des chrétiens considérés comme rebelles, elle refusa d'obéir aux ordres qui lui étaient envoyés par Maximien.

Celui-ci furieux ordonna que la légion fût décimée. On rangea au hasard tous les soldats qui la composaient sur plusieurs lignes de front. Les exécuteurs passaient en comptant les soldats, et chaque dixième avait la tête tranchée.

Ce qui restait après cette boucherie ne consentit pas davantage à une obéissance qu'elle regardait comme contraire à la loi de Dieu. Une seconde décimation n'ayant pas eu plus de résultat, l'Empereur irrité aima mieux s'exposer à compromettre le succès de ses armes que de paraître céder à ce qu'il appelait une mutinerie. Sans attendre la réponse à une adresse que la Légion Thébéenne avait envoyée à Dioclétien, il la fit réunir toute entière dans une vallée qu'il cerna avec ses troupes, et fit massacrer sous ses yeux cette fouie de héros qui se laissèrent égorger pour le nom du Christ. Après cette sanglante épuration de son armée, Maximien n'avait plus qu'à marcher contre les Bagaudes ; ceux-ci furent vaincus dans une lutte qui ne parait pas avoir été longue.

Mais Maximien outré résolut de punir la Gaule insoumise en donnant partout le signal de la proscription contre les Chrétiens qu'il détestait.

 

PERSÉCUTION DANS LA GAULE.

 

Les Chrétiens des Gaules eurent donc à subir des persécutions locales qui firent aussi alors de nouveaux martyrs. Le Préfet du Prétoire, Riccius Varus, qui résidait habituellement à Trèves, secondant les haines de l'Empereur, fut l'agent le plus actif de ces persécutions. A Cologne, Géréon et ses trois cent dix-huit compagnons, faisant partie d'une cohorte détachée antérieurement de la légion Thébéenne, furent immolés comme leurs frères parce qu'ils avaient refusé d'apostasier. A Trêves, Tyrse, Boniface et plusieurs autres subirent le même martyre. Riccius Varus parcourut lui-même toute la région que les Romains appelaient du nom de Belgique, et où des églises avaient été récemment fondées par ce groupe d'apôtres sorti de Rome à l'époque de la persécution de Dèce et de celle de Valérien, et qui avait semé la foi avec Saturninus à Toulouse, avec Gatien à Tours, avec Denys à Paris. Il restait encore plus d'un de ces vétérans de l'apostolat. A Beauvais le prêtre Lucien, à Amiens, l'Espagnol Firmin et le Romain Quintin[2] ; à Soissons deux frères, Crispin et Crispinien, tous deux Romains d'origine, fils de Sénateurs, mais par humilité devenus cordonniers, et dont l'humble échoppe était en même temps une chaire ; plus au Nord, dans ce qui s'appelle aujourd'hui la Flandre, Eubert, Chrysolius, Platon, tous venus de Rome ; à Louvres près de Lutèce, le jeune Justin, tels furent les plus célèbres martyrs de cette triste époque. A Nantes, deux frères illustres par leur naissance, Donatien et Rogatien eurent la tète tranchée après avoir subi tous les genres de torture. Mais ce n'était encore là que la première campagne du nouvel Empereur contre les ennemis de l'Empire, et aussi sa première campagne contre les Chrétiens. Il dut se croire vainqueur des uns et des autres.

En 290, après quatre ans de séparation, les deux Empereurs arrivant, l'un par les Alpes Pennines, l'autre par les Alpes Juliennes, se rencontrèrent à Milan au milieu des acclamations du peuple, et des hommages du Sénat Romain venu là par députation (ils ne prenaient pas la peine d'aller jusqu'à Rome) ; ils s'y félicitèrent mutuellement des succès qu'ils avaient obtenus.

 

MARTYRE DE VICTOR À MARSEILLE.

 

A la même époque paraît appartenir, bien que l'année n'en soit pas exactement fixée[3], un autre martyre célèbre ; c'est celui d'un officier, nommé Victor, qui refusa de sacrifier aux Dieux sous les yeux de l'Empereur Maximien à Marseille. L'Empereur irrité ordonna qu'il fût traîné dans les rues de la ville, pieds et mains liés, exposé aux injures et aux outrages d'une vile populace. Appliqué ensuite au chevalet, jeté dans le fond d'un cachot souterrain, Victor convertit les soldats qui le gardaient, et les fit baptiser pendant la nuit. Le lendemain, ces nouveaux Chrétiens eurent la tête tranchée, en sa présence, par ordre de Maximien.

Pour Victor, on le suspendit à une poutre, et on le frappa à coup de nerfs de bœuf, jusqu'à ce que lassés eux-mêmes, les bourreaux le jetèrent mourant dans son cachot. Maximien voulait essayer de vaincre la patience du martyr par la longueur et la diversité des supplices. Trois jours après, il le fit amener devant lui, et montrant au Chrétien un trépied sur un autel portatif, il lui ordonna d'y mettre de l'encens en l'honneur de Jupiter. Victor s'approcha comme pour obéir, et du pied renversa l'autel et le trépied.

L'Empereur furieux lui fit aussitôt couper le pied. On le mit ensuite sous la meule d'un moulin à bras que les bourreaux faisaient tourner lentement pour lui briser peu à peu les os. Durant cette horrible opération, la machine vint à casser. Pour en finir, Maximien fit trancher la tête à ce corps mutilé et meurtri qui fut ensuite jeté à la mer ; mais les flots le ramenèrent sur la rive ; et ces restes précieux, recueillis par les Chrétiens, furent ensevelis dans une grotte taillée dans le roc.

L'église Saint-Victor a été bâtie au lieu consacré par le martyre ; la population Marseillaise la visite avec respect, et s'empresse de la montrer aux étrangers qui viennent à Marseille. Les sentiments de reconnaissance et de piété qui se rattachent à cet héroïsme vainqueur de la mort ne sont pas encore effacés du cœur des Marseillais. C'est ainsi que la voix du sang des serviteurs de Jésus-Christ retentit en prolongeant ses enseignements à travers les siècles.

 

PERSÉCUTION EN ITALIE.

Martyre de Sébastien

 

L'Italie compta aussi de nombreux martyrs sous le gouvernement de Maximien.

Il y avait alors à Rome un capitaine des gardes Prétoriennes, qui se nommait Sébastien : il était originaire de Narbonne dans les Gaules. Ce généreux confesseur de la foi visitait les Chrétiens emprisonnés, les servait de son crédit et de l'influence que lui donnait son grade, encourageait les faibles, et convertissait un grand nombre de païens è la religion de Jésus-Christ. Le préfet même de Rome, nommé Chromace, toute sa famille, ses clients et ses esclaves avaient reçu le baptême par ses soins. L'évêque de Rome Caïus célébrait les mystères dans la maison de Chromace comme dans un temple. Ces progrès du Christianisme portaient ombrage à Maximien qui se faisait surnommer Hercule. Pour éviter une persécution imminente, Chromace, que sa qualité de Sénateur retenait à Rome, sollicita et obtint de l'Empereur, sous prétexte de rétablir sa santé chancelante, de se retirer dans ses terres de Campanie. L'un de ses fils, Tiburce préféra rester à Rome auprès de Sébastien et de Caïus. Cependant la persécution commençait déjà.

Zoé, pieuse dame qui allait prier au tombeau de Saint-Pierre et de Saint-Paul, le jour de leur fête, fut traînée devant le magistrat qui, n'ayant pu la contraindre à sacrifier aux dieux, la fit pendre à un arbre par les cheveux, et ordonna d'allumer à ses pieds un feu de fumier qui l'étouffa. On lui suspendit au cou une pierre énorme, et on la jeta dans le Tibre, de peur, disaient les païens, que les Chrétiens n'en fissent une Déesse. Son mari Nicostrate, premier secrétaire de la préfecture de Rome, et plusieurs autres Chrétiens furent également arrêtés et jetés tous à l'eau. Le fils du Sénateur Chromate fut pris à son tour, et eut la tête tranchée. Un autre officier de l'Empereur, Castulus, intendant des bains, subit la question, et fut jeté tout vivant dans une fosse qu'on remplit de sable.

Sébastien, sous son habit de capitaine des  Prétoriennes, n'avait pas cessé de visiter les martyrs, de les encourager dans leurs tourments, et de recueillir leurs restes après leur mort. Il ne tarda pas à être dénoncé à l'empereur comme fauteur des impiétés chrétiennes. L'empereur irrité le condamna à mourir sous les coups d'une compagnie d'archers de Mauritanie qui servaient parmi ses gardes. Sébastien fut donc dépouillé de ses vêtements, et les archers le percèrent de flèches de tous côtés. On le laissa pour mort sur la place. Irène, veuve de Castulus, vint la nuit enlever le corps du martyr. Comme il a vivait encore, elle le fit transporter chez elle au palais même de l’empereur. Quelques jours après, celui-ci fut tout étonné de trouver au milieu des courtisans rangés sur son passage, dans l'escalier d'honneur, Sébastien son capitaine des gardes. Furieux, l'empereur le fit conduire aussitôt dans l'hippodrome du palais où le martyr fut assommé à coups de bâton : son corps fut jeté dans un égout d'où les Chrétiens le firent retirer (an 288 après J.-C.).

Un greffier du tribunal proconsulaire à Arles du nom de Genès, doit être aussi mentionné au nombre des victimes de cette persécution locale : ayant osé publiquement se déclarer Chrétien, il paya de sa tête cet acte d9 courageuse franchise. Ainsi toutes les conditions étaient appelées à donner le témoignage du sang à la vérité évangélique.

 

LA TÉTRARCHIE (292-305).

 

Cependant les désordres de l'Empire, et los incursions des Barbares qui se renouvelaient sans cesse suggérèrent à Dioclétien et à Maximien la pensée de s'adjoindre encore deux collègues, afin de rendre la surveillance des provinces et la garde des frontières pins efficace.

En conséquence le 1er Mars 292, Dioclétien proclama à Nicomédie deux Césars, tous deux Illyriens : Galère, homme grossier, mais plein de courage ; et Constance Chlore, d'un caractère plus doux et d'un esprit moins inculte.

Dioclétien les força de se séparer de leurs femmes pour épouser les filles des Empereurs, afin d'affermir par les liens du sang l'union politique des quatre princes.

C'est par suite de ce pacte que Constance Chlore répudia sa première femme Hélène, Bithynienne d'origine, mère de celui qui fut plus tard connu sous le nom de Constantin-le-Grand, pour épouser Théodora, fille de la femme de Maximien. Quant à Galère, il dut épouser Valérie, fille de Dioclétien.

Voici comment ils se partagèrent l'Empire :

Dioclétien garda pour lui l'Orient.

Galérius eut la Thrace, et les provinces du Danube.

Maximin prit l'Italie, l'Afrique et les îles.

Constance Chlore la Gaule, l'Espagne et la Bretagne.

L'unité de l'Empire ne fut pas d'abord détruite par ce partage, Dioclétien demeurant le chef suprême et l'âme du gouvernement. Dès ce moment, Dioclétien voulut entourer la Majesté Impériale de toute la pompe des cours Asiatiques.

Le premier des Empereurs Romains, il ceignit le diadème, s'habilla de soie et d'or, et tous ceux qui obtenaient la permission de l'approcher durent, suivant le cérémonial de l'Asie, adorer à genoux sa Divinité. Il se donna le surnom de Jupiter ; il se fit appeler Votre Éternité titre que ses successeurs, qui passaient comme des ombres, eurent grand soin de conserver.

En même temps la création de nouveaux corps pour la garde personnelle des princes, les Herculiens et les Joviens, affaiblit la puissance des prétoriens de Rome.

Chacun des quatre princes avait sa capitale et sa cour. Rome et le Sénat étaient délaissés, et comme déjà répudiés par les maîtres du monde.

Cependant les mesures énergiques prises par Dioclétien, et la vigoureuse impulsion de s'in gouvernement parurent d'abord arrêter pendant quelque temps la décadence de l'Empire.

Aucun compétiteur ne put réussir.

L'Egyptien Achillée, qui s'était proclamé Auguste, fut pendant huit mois assiégé par Dioclétien lui-même dans Alexandrie, pris et mis à mort.

Galérius alla combattre contre les Perses, et en 297 le Roi des Perses fut contraint de céder à l'Empire cinq provinces du côté de l'Arménie : la Mésopotamie redevint province Romaine ; l'Ibérie voisine du Caucase reçut un Roi de la main des empereurs ; glorieux traité de paix qui put subsister pendant quarante ans.

A l'autre extrémité du monde romain, Constance-Chlore, après avoir chassé les Francs de la Gaule et de la Batavie, avait porté ses armes victorieuses jusque dans la Grande-Bretagne, que Carausius avait soustraite à, la domination romaine, et y avait rétabli l'autorité de Rome.

On aurait pu croire que les beaux jours de l'Empire allaient renaître, et qu'il était appelé à triompher de tous ses ennemis.

 

ÉTAT DE LA RELIGION CHRÉTIENNE À LA FIN DU IIIe SIÈCLE.

 

Que devenait de son côté l'Église Chrétienne ? Malgré la miraculeuse expansion de sa foi dans presque toutes les parties de l'Empire, malgré ses accroissements progressifs qui frappaient tous les yeux, les fidèles continuaient à être dans des perplexités indéfinissables. A la suite de plusieurs règnes de tolérance, ils avaient bien obtenu le droit de célébrer leurs mystères au grand jour. Des églises avaient été bâties ; leurs édifices religieux s'étaient multipliés, et quelques-uns pouvaient rivaliser de majesté avec les temples païens. A Nicomédie même, en face du Palais Impérial, s'élevait sur une colline une basilique chrétienne, monument éclatant des progrès de la religion nouvelle. Mais des haines sourdes fermentaient contre eux : la persécution avait déjà commencé à sévir en Gaule et même en Italie. L'un des nouveaux Césars, Galérius, fortement attaché à l'idolâtrie, était l'espoir du parti païen. Il cherchait par tous les moyens possibles à peser sur Dioclétien pour l'amener à se départir de sa politique modérée à l'égard des Chrétiens.

A Rome, le pontife Caïus était mort en 296 ; on  ne sait pas précisément s'il subit le martyre. Il eut pour successeur sur le siège épiscopal de Saint-Pierre le prêtre Marcellin, qui avait été élu, comme de coutume, par le clergé et par le peuple ; il n'y avait pas alors un autre genre d'élection. Le pontificat Romain n'était pas encore constitué dans cette plénitude d'autorité spirituelle qui a caractérisé plus tard la Papauté du moyen âge.

L'évêque de Rome, en sa qualité d'héritier de Saint-Pierre était sans doute considéré comme le premier des évêques : mais cette primauté toute d'honneur et de déférence ne lui donnait aucune juridiction spéciale sur les autres évêques de la chrétienté. Toutefois son Église passait pour être la meilleure gardienne des traditions apostoliques : dans toutes les questions de dogme et de discipline, les fidèles tenaient essentiellement à rester en communion avec elle : on recourait aussi à son arbitrage dans les contestations qui s'élevaient quelquefois relativement aux sièges épiscopaux.

 

Xe PERSÉCUTION GÉNÉRALE.

 

ÉDIT DE DIOCLÉTIEN.

 

Tel était l'état des choses, lorsqu'au commencement du IVe siècle (en l'année 303) la haine toujours croissante de Galérius contre les Chrétiens prépara la plus sanglante épreuve qui eût peut-être jamais affligé l'Église.

L'époque du renouvellement des persécutions fut fixée à la fête des Terminales (23 février 303), qui devait aussi, dans la pensée des persécuteurs, mettre un terme à la religion chrétienne.

L'édit de Dioclétien portait en substance ces ordres : Les églises chrétiennes seront renversées, et leurs livres saints brûlés. Les chrétiens seront privés de tous honneurs, de toutes dignités, et condamnés au supplice sans distinction d'ordre ni de rang ; ils pourront être poursuivis devant les tribunaux, et ne seront admis eux-mêmes à y poursuivre personne, pas même en réclamation de vol, réparation d'injures ou d'adultères. Les affranchis chrétiens redeviendront esclaves. Les évêques seront mis aux fers, et contraints d'abjurer.

L'attaque commença par l'église de Nicomédie, ville où se trouvaient les deux Empereurs Dioclétien et Galérius. Au point du jour, le Préfet de la ville, suivi de généraux, d'officiers et d'une escouade de soldats, se rend à la basilique, les portes sont enfoncées ; on cherche quelque figure du Dieu que les chrétiens adoraient. Les écritures que l'on trouve sont livrées aux flammes ; tout est au pillage.

Dioclétien et Galérius se tenaient à une fenêtre du palais, présidant à cette première exécution, et encourageant leurs émissaires du geste et de la voix. Galérius voulait qu'on mît le feu à l'église ; mais Dioclétien craignant que l'incendie ne se communiquât au reste de la ville, envoya des prétoriens avec des haches et des marteaux, et en peu d'heures, ils eurent rasé tout l'édifice.

Cependant on avait dépêché des courriers à l'Empereur Maximien-Hercule et à Constance-Chlore pour leur porter les nouveaux édits, et l'ordre de les faire exécuter.

Le vieux Maximien les accueillit avec joie ; ils étaient depuis longtemps l'objet de ses désirs.

Constance-Chlore, après en avoir pris connaissance, fit appeler tous les officiers Chrétiens de son palais, et leur proposa le choix, ou de demeurer dans leurs charges, s'ils sacrifiaient aux idoles, ou s'ils le refusaient d'être bannis de sa présence, et de perdre se bonnes grâces.

Quelques uns préférant les intérêts de ce monde à leur religion, déclarèrent qu'ils étaient prêts à sacrifier.

Les autres demeurèrent inébranlables dans leur foi.

Mais quelle ne fut pas leur surprise à tous quand ils entendirent Constance leur déclarer qu'il tenait les apostats pour des lâches et que n'espérant pas les trouver plus fidèles à leur prince qu'à leur Dieu, il les éloignai pour jamais de son service. Il retint au con traire les autres près de sa personne, leur confia sa garde particulière, et les regarda comme les plus dévoués de ses serviteurs. Les Gaules, qui relevaient de sa juridiction, échappèrent, par sa protection bienveillante, à la persécution générale. Cependant, pour ne pas irriter ses collègues, en se jouant trop ouvertement de leurs décrets, il laissa seulement abattre les églises matérielles, considérant, dit Lactance, qu'après la tempête elles pourraient être rebâties.

La persécution s'étendit en un moment des bords du Tibre aux extrémités de l'Empire, les Gaules exceptées. De toutes parts les églises s'écroulaient sous les mains des soldats ; les magistrats établissaient leur tribunal dans les temples, ou prés des statues des faux dieux, et forçaient la multitude à sacrifier ; quiconque refusait d'adorer les dieux était condamné et livré au bourreau ; les prisons regorgeaient de victimes ; les chemins étaient couverts de troupeaux d'hommes mutilés qu'on envoyait mourir au fond des mines, ou dans les chantiers publics. Les fouets, les chevalets, les ongles de fer, la croix, les bêtes féroces, déchiraient les tendres enfants avec leurs mères ; ici l'on suspendait par les pieds des femmes nues à des poteaux, et on les laissait expirer dans ce supplice honteux et cruel ; là on attachait les membres des martyrs à deux arbres rapprochés de force ; les arbres en se redressant emportaient les lambeaux de la victime. Les fidèles étaient précipités en foulé dans les bûchers, et leurs ossements réduits en cendres étaient jetés au vent.

La maison de l'Empereur Dioclétien ne fut pas à l'abri de la persécution. Sa femme et sa fille, dont le Christianisme était jusque-là toléré, furent sommées d'apostasier, et cédèrent à la menace des tourments. Un grand nombre des officiers du palais souffrirent la mort pour la foi. L'un deux nommé Pierre fut étendu sur un gril où ses chairs furent rôties. L'évêque de Nicomédie, Anthime, tous les prêtres de son église, ainsi que ses acolytes, furent conduits au supplice.

 

DÉTAILS SUR LA PERSÉCUTION.

Martyre de Saint-Vincent

 

La cité d'Antioche eut une légion de confesseurs, parmi lesquels on remarqua Romain, qui périt étranglé par la main du bourreau, après que Dioclétien lui eût fait couper la langue, et subir le supplice des entraves serrées jusqu'au cinquième trou.

A Tyr, les bourreaux, après avoir épuisé sur les Chrétiens tous les genres de supplices connus, laissèrent aux bêtes de l'amphithéâtre le soin d'achever leur ouvrage. On lâcha contre eux des lions, des léopards, des ours et des sangliers. Tous les évêques de la Palestine furent amenés à Césarée pour y être soumis aux plus affreuses tortures.

L'Egypte vit des scènes de cruauté épouvantables. Dans la Thébaïde, on attachait les martyrs à un poteau, aux ardeurs d'un soleil dévorant, et on les laissait mourir de faim.

Carthage et la Numidie furent également le théâtre de scènes sanglantes.

L'Espagne compta aussi des martyrs par milliers. A Saragosse, le jeune diacre Vincent, plein de zèle et d'érudition, fut arrêté avec Valère, son évêque, que le proconsul Dacien, à cause de son tige avancé, se contenta d'envoyer en exil.

Quant à Vincent, il fut mis à la question. A chaque torture, pendant que le chevalet disloquait ses os, ou que les ongles de fer déchiraient ses membres, le martyr reprochait à ses bourreaux, couverts de sueur, de manquer de force et de courage.

Deux fois ces ministres d'une cruauté surhumaine interrompirent les tortures pour laisser refroidir les plaies du martyr, afin de redoubler la souffrance en les ravivant.

Le proconsul écumait de rage. Il fit retirer du chevalet ce corps dont on voyait à, nu les entrailles, et le fit exposer, sur un lit de fer, à un brasier ardent. Les parties du corps, qui n'étaient pas tournées au feu, étaient brûlées avec des lames de fer rougies. On jetait sur les plaies saignantes du sel, dont le mordant, aidé par l'activité du feu, pénétrait profondément les chairs. Cette douleur, dont l'atrocité révolte l'imagination, ne changea rien à la constance du martyr, qui expira enfin à la suite de ces abominables tourments.

 

LE PONTIFE MARCELLIN.

Les vierges Sainte Luce et Sainte Agnès.

 

A Rome, la chaire de Saint-Pierre ne pouvait échapper à la proscription qui sévissait partout.

Le pontife Marcellin subit le martyre au mois d'Octobre 304. Il fut enterré dans le cimetière de Priscille, placé surfila voie Salaria.

La violence de la persécution empêcha, durant près de quatre ans, de lui donner un successeur. Les bourreaux continuèrent, durant cet intervalle, à multiplier le nombre des martyrs.

En Sicile, à Syracuse, l'illustre vierge Luce (Lucia) dont le nom a été depuis inséré au canon de la messe, mourut pour conserver l'honneur de sa virginité qui resta intacte jusque clans le lieu infâme où le magistrat l'avait fait jeter.

Une des plus célèbres victimes de cette déplorable persécution est aussi la vierge Agnès.

Elle avait à peine quinze ans. Sa beauté avait frappé le fils du préfet de Rome qui voulait l'épouser. Mais la jeune Chrétienne avait choisi Jésus-Christ pour époux. Jetée par le Préfet dans un lieu de prostitution, elle y resta pure et sans tache.

Les flammes d'un bûcher qui avait été dressé pour elle la respectèrent également. Enfin le glaive d'un soldat lui trancha la tête et la réunit à son Dieu.

A Milan, les deux frères, Gervais et Protais, périrent en même temps. Gervais fut fouetté avec des cordes plombées, jusqu'à ce que la violence du supplice lui fit rendre l'âme. Quant à Protais, il eût la tête tranchée.

Donatien, à qui le célèbre Lactance adressa son traité de la Mort des Persécuteurs, fut torturé neuf fois par trois gouverneurs qui se succédèrent.

Enfin en Phrygie, toute une ville, y compris les Sénateurs, les magistrats, le curateur même, ayant refusé de sacrifier, les soldats reçurent l'ordre de l'entourer, et d'y mettre le feu. Hommes, femmes, enfants, tous furent consumés en invoquant le nom du Christ.

Tant d'horreurs devaient avoir un terme : la persécution en effet fut tout à coup arrêtée, mais seulement en Occident, par un évènement inattendu qui frappa les esprits de surprise et changea considérablement la face des affaires.

 

ABDICATION DES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN.

 

Le 1er Mai de l'an 305, l'empereur Dioclétien abdiqua solennellement le pouvoir à Nicomédie, disant qu'il avait besoin de repos, et qu'il cédait le rang suprême à Galérius : le même jour Maximien-Hercule déposait aussi à Milan la pourpre impériale. Par suite de ces deux abdications auxquelles on ne s'attendait guère, les Césars Galérius et Constance-Chlore devenaient les seuls maîtres de l'Empire et prirent le titre d'Augustes.

Galérius, qui se regardait comme le chef suprême nomma, sans consulter son collègue, deux nouveaux Césars.

Le premier était un fils de sa sœur, nommé Daïa, ancien gardeur de troupeaux, il prit le nom de Maximin, et reçut le gouvernement de la Syrie et de l'Égypte.

Le second était l'un de ses favoris, nommé Valerius Sévère ; il lui attribua le gouvernement de l'Italie et l'Afrique. Il avait retenu comme otage à sa cour Constantin fils de Constance Chlore, et de sa première femme Hélène. Celui-ci parvint à s'échapper par ruse, ayant appris la maladie de son père, qui mourut peu de temps après son arrivée à Yorck en Bretagne le 25 Juillet 306.

Les légions mirent Constantin à sa place et lui décernèrent immédiatement le titre d'Auguste que Galérius ne voulut pas reconnaître.

Cependant Rome, irritée de l'abandon où les nouveaux Empereurs la laissaient, se souleva, et les Prétoriens, usant une dernière fois de leur ancien pouvoir, proclamèrent Auguste Maxence, fils de Maximien-Hercule (28 Octobre 306).

Celui-ci prit aussitôt pour collègue son père, qui avait abdiqué l'année précédente, de sorte que l'empire eut six maîtres à la fois : Galérius et son favori Sévère qu'il avait nommé Auguste, Maximin Daïa et Constantin ; enfin à Rome, Maxence et le vieux Maximien.

Cette situation complexe devait amener une conflagration dans l'Empire. Le vieux Maximien qui la prévoyait, voulut se préparer un appui dans la personne de Constantin auquel il donna en mariage' : sa fille Fausta (31 Mars 307).

 

SUITE DE LA PERSÉCUTION EN ORIENT.

 

Cependant la persécution sévissait plus que jamais en Orient malgré les changements survenus. Maximin Daïa était le digne acolyte de Galérius. Celui-ci, monstre couronné, donnait au monde le spectacle d'une cruauté qui pouvait paraître nouvelle après Tibère, Néron et Caligula. Il nourrissait des ours domestiques auxquels il avait conféré son propre nom. Il leur faisait jeter chaque jour sous ses yeux quelque Chrétien, et riait, avec d'épouvantables jouissances, en voyant broyer ses membres palpitants. C'était surtout pendant les festins qu'il se donnait ce plaisir de bête féroce.

 

Un autre supplice de son invention lui plaisait encore plus, parce qu'il prolongeait davantage ses horribles spectacles. On attachait les martyrs à un poteau, et on leur mettait un feu lent sous la plante des pieds, jusqu'à ce que les chairs torréfiées se détachassent des os. Alors, avec des torches qui brûlaient sans flamme, on leur rôtissait successivement chacun des membres, en sorte que sur tout le corps il ne restât pas un endroit intact. En même temps on leur arrosait la tête avec de l'eau fraîche : on leur humectait les lèvres et l'intérieur de la bouche, de peur qu'ils n'expirassent trop tôt. On en vit résister pendant des journées entières à ces tortures, à la grande joie de Galérius qui s'abreuvait, a longs traits, de leurs souffrances.

Le sang des martyrs continuait donc à inonder le monde oriental.

A Aquilée, Anastasie, veuve d'un ambassadeur romain en Perse, fut décapitée le même jour que le prêtre Chrysogone qui l'avait instruite des vérités de la foi, et soutenue dans sa captivité. Leurs deux noms furent plus tard insérés dans les prières du canon de la Messe.

A Césarée en Palestine, Agapius fut dévoré par les bêtes de l'amphithéâtre.

En Égypte, plus de deux cent cinquante confesseurs furent envoyés aux mines, après qu'on leur eut crevé l'œil droit, et brûlé le nerf du pied gauche, afin que toute leur vie ne fût plus qu'une longue souffrance.

Il serait impossible de relater toutes les variétés de ce martyrologe qui déroula ainsi ses pages sinistres sous l'administration du féroce Galérius.

 

LES SIX EMPEREURS.

Le Pontife Marcel

 

Les Empereurs Maxence et Maximien-Hercule qui avaient été proclamés à Rome n'avaient en aucune façon été reconnus par Galérius, qui, voulant en avoir raison, envoya en Italie une armée sous la conduite de son favori, le César Sévère ; celui-ci trouva les portes de Rome fermées devant lui, et de plus, ses troupes passèrent à ses compétiteurs : Lui-même enfermé dans Ravenne, fut contraint de se remettre aux mains de Maximien-Hercule qui lui fit ouvrir les veines.

Galérius indigné marcha à son tour contre l'Italie en proférant les plus horribles menaces ; mais il ne put s'y maintenir, et de retour à Carnutum en Pannonie, il y proclama Auguste son ami Licinius.

Maximin Daïa, qui gouvernait alors l'Égypte prit aussi le titre impérial, en sorte que l'Empire, pressé entre tous ces compétiteurs, était tombé dans une épouvantable anarchie : il avait encore six maîtres.

Sur ces entrefaites, en l'année 308, la vacance du siège apostolique cessa par l'élection du pontife Marcel, l'un des prêtres que son prédécesseur Marcellin avait le plus constamment auprès de sa personne. Ce pontife devait être le dernier qui souffrît le martyre dans cette persécution si prolongée. Le tyran Maxence ne valait guère mieux que Galérius : incarcéré par lui, Marcel fut sommé de renoncer à son titre d'évêque et de sacrifier aux idoles. Sur son refus, il fut condamné à servir parmi les esclaves qui prenaient soin des écuries impériales. Après neuf mois de ce traitement odieux, le pontife fut délivré par son clergé, et recueilli dans la maison hospitalière de Lucine, dame romaine qui le cacha avec le plus grand soin. La maison de cette noble veuve fut dès lors convertie en une église où les fidèles venaient en secret recevoir les instructions du courageux pontife. Mais cette retraite fut découverte par la police du tyran. Marcel fut saisi et condamné au dernier supplice. Son corps fut pieusement enseveli par Lucine, et transféré plus tard dans l'église Saint-Marcel qu'il avait fondée. Eusèbe, qui lui avait été donné pour successeur, ne put administrer le siège apostolique que pendant cinq mois, et mourut en Sicile où il avait été exilé par le tyran Maxence. (an de J.-C. 310).

 

MORT DE MAXIMIEN-HERCULE.

Édit de tolérance et mort de Galérius

 

L'Empereur Maxence ne tarda pas a se brouiller avec son beau-père Maximien-Hercule. Celui-ci chercha d'abord une retraite en Illyrie, puis à Trèves, auprès de Constantin, son gendre. Là il noua de nouvelles intrigues ; mais trahi par sa propre fille, il dut fuir encore, et ›e retira dans la ville d'Arles, d'où il essaya de soulever les Gaules. Constantin accouru des bords du Rhin, l'assiégea dans Marseille et le força de se pendre de ses propres mains (an 310).

Cependant Galérius en Orient se préparait par des cruautés nouvelles à célébrer la vingtième année de son règne, lorsque la main de Dieu s'appesantit sur lui. Un ulcère affreux s'étendit sur la partie inférieure de son corps, laissant continuellement échapper un sang noir et corrompu, des vers sans cesse renaissants, et une intolérable odeur. Le haut du buste devint d'une telle maigreur, qu'il ressemblait à un squelette sur les os duquel on aurait étendu une peau livide : les jambes et les pieds étaient enflés au point d'avoir perdu leur forme. Dans les douleurs atroces que lui causait cette maladie incurable, Galérius passa d'un excès de cruauté à une clémence inusitée. Le passé de sa vie lui inspira pour la première fois de salutaires réflexions. Le souvenir des Chrétiens dont il avait versé le sang à grands flots troubla ses insomnies, et lassé des remèdes humains, il voulut tenter d'apaiser la colère de ce Dieu qu'il avait tant outragé. La ville de Sardique, témoin de ses souffrances, le fut aussi de son tardif repentir. De cette ville data un édit qui rendait aux Chrétiens le libre exercice de leur religion, et leur permettait de relever leurs églises abattues. Tous les titres que Galérius prend dans cet édit qu'Eusèbe nous a conservé, ne font que mieux ressortir l'impuissance de l'empereur à détruire une religion qui lui arrachait sur son lit de mort un témoignage de résipiscence. Galérius ne survécut pas longtemps à cet acte de justice suprême : il mourut comme Antiochus après avoir vécu comme lui. Avant d'expirer, il recommanda Valeria sa femme et Candidien son fils é. son collègue Licinius : mais celui-ci, sans avoir égard à ses recommandations, les fit mettre à mort comme on le verra plus tard (an de J.-C. 311).

 

SURPRISE ET JOIE DES CHRÉTIENS.

 

La mort de Galérius laissait l'Empire partagé légitimement entre Constantin, Licinius et Maximin qui se reconnaissant tous trois pour Augustes, mais se disputant entr'eux la prééminence, régnaient le premier dans les Gaules, l'Espagne et la Grande-Bretagne, le second en Illyrie, le troisième dans l'Asie, l'Orient et l'Égypte. Le centre de l'Empire, c'est-a-dire l'Italie et l'Afrique, était au pouvoir de Maxence, qui n'ayant jamais été proclamé empereur d'une manière régulière, ni par Dioclétien, ni par Galérius, était regardé comme un usurpateur, en latin tyrannus.

La nouvelle de l'édit de Galérius avait produit, dans tout l'Orient, en faveur des Chrétiens, ce que les Juifs avaient éprouvé à la fin de la captivité de Babylone. Tous les confesseurs détenus dans les cachots furent délivrés : ceux qui travaillaient enchaînés au fond des mines furent rendus à la lumière et à la liberté. On voyait dans toutes les villes les Chrétiens célébrer leurs assemblées, faire leurs collectes ordinaires pour secourir les pauvres, les veuves et les orphelins. La charité reparaissait dans le monde en même temps que la religion de Jésus-Christ. Les païens qui avaient cru assister aux funérailles du Christianisme, surpris d'une révolution si inopinée, proclamaient tout haut que le Dieu des Chrétiens était le seul véritable. Les confesseurs délivrés de leurs chaînes retournaient dans leur patrie, et traversaient les villes, au milieu des acclamations et des chants de triomphe. Les populations même païennes s'associaient à ces sentiments de joie universelle, et c'était une fête publique pour l'Empire de voir reparaître ces Chrétiens que depuis huit ans on travaillait à exterminer de tous côtés.

Après une vacance de neuf mois, la chaire de saint Pierre à Rome avait été occupée de nouveau par l'élection du pontife Melchiade.

L'édit de Galérius avait été exécuté aussitôt que connu dans toutes les provinces de l'Empire ; aucun des collègues du vieux César n'eût osé résister à sa volonté expresse et authentiquement promulguée. Mais il en coûtait beaucoup aux instincts sanguinaires de Maximin Daïa de renoncer à ces exécutions quotidiennes, à ces jeux cruels des amphithéâtres qui allaient manquer d'aliments. Aussi dans l'année qui suivit la mort de Galérius, il y eut encore quelques martyrs parmi les contrées soumises à sa domination. Ainsi à Alexandrie l'évêque Pierre fut saisi tout-à-coup et décapité avec d'autres prêtres égyptiens.

 

DÉFAITE ET MORT DE MAXENCE.

Triomphe de Constantin à Rome

 

Sur ces entrefaites, le tyran Maxence avait déclaré la guerre à Constantin, pour venger, disait-il, la mort de son père Maximien-Hercule, mais dans la réalité pour accomplir le dessein projeté depuis longtemps de s'emparer de la Gaule. Constantin se décida à prévenir son ennemi. Maxence avait rétabli les Prétoriens ; son armée se composait de 170.000 fantassins et de 18.000 cavaliers. Constantin ne craignit pas d'attaquer Maxence et des forces si redoutables avec 40.000 vieux soldats. Il passa les Alpes Cottiennes sur l'une de ces voies indestructibles créées par les Romains, emporta Suse d'assaut, défit un corps de cavalerie pesante aux environs de Turin, un autre à Brescia, força la ville de Vérone à capituler, et par cette marche triomphale, arriva jusqu'aux portes de Rome. Maxence s'y tenait renfermé, parce qu'un oracle le menaçait de mort, s'il venait à en sortir. Mais ses capitaines, la plupart expérimentés, tenaient pour lui la campagne.

Constantin était campé vis-à-vis du pont Milvius, appelé aujourd'hui Ponte-Molle. Un jour, nous dit Eusèbe, qu'il s'avançait avec un corps de troupes, vers l'heure de midi, une croix éclatante de lumière se dessina, au milieu du ciel, dans la direction du soleil. Sur cette croix miraculeuse, on lisait en lettres de feu ces mots Latins : In hoc signo vinces. L'apparition de ce prodige, dont toute l'armée fut témoin, ébranla profondément Constantin qui, plusieurs années après, le racontait lui-même à Eusèbe, évêque de Césarée. Tout le reste du jour, il songea à cette merveilleuse. La nuit suivante, la même croix lui apparaissait de nouveau, et Jésus-Christ, se révélant à lui, lui donnait l'ordre de placer cette image sur ses étendards.

Le lendemain, à côté des aigles Romaines, on remarquait une bannière d'une forme jusque là inconnue. C'était une longue pique de bois doré, ayant en haut une traverse en forme de croix, au bas de laquelle flottait un drapeau tissu d'or et de pierreries. Au dessus brillait une couronne d'or et de pierres précieuses, au milieu de laquelle était le monogramme du Christ, formé des deux initiales Grecques de ce nom. Ce monogramme et l'image de la croix furent aussi placés sur le casque des soldats.

Ainsi cette croix, réservée jusqu'alors comme un gibet d'infamie aux plus vils criminels, après trois siècles d'outrages, d'incrédulité et de persécutions, triomphait du monde, prenait sa place parmi les choses les plus révérées, et devenait l'étendard des légions Romaines que le monde vaincu ne regardait qu'avec respect et admiration.

La bataille qui allait se livrer entre Maxence et Constantin, dit M. de Chateaubriand, est du petit nombre de celles qui, expression matérielle de la lutte des opinions, deviennent, non un simple fait de guerre, mais une véritable révolution. Deux cultes et deux mondes se rencontrèrent au pont Milvius ; deux religions se trouvèrent en présence, les armes à la main, au bord du Tibre, à la vue du Capitole...

Ce fut le 28 octobre 312 que se donna cette bataille d'Actium du Christianisme.

Maxence infidèle cette fois au vœu qu'il avait fait de ne pas combattre hors de Rome, franchit le Tibre, jetant derrière lui un pont de bois coupé en deux parties mobiles. Son plan était d'attirer Constantin sur le pont, d'en séparer alors les deux côtés, et de noyer ainsi son ennemi dans le fleuve. Mais les choses tournèrent tout autrement. Car ses troupes ayant été rompues au premier choc, les fuyards éperdus se jetèrent dans le Tibre, et y furent la plupart engloutis.

Maxence lui-même revint à la hâte vers le pont qu'il avait fait construire. La multitude qui s'y pressait en même temps que lui fit écrouler ce pont élevé dans un autre espoir. Maxence tombé dans le fleuve s'y noya, et périt ainsi de la mort qu'il avait préparée à son rival. Le Dieu des Chrétiens l'emportait ; le Labarum était victorieux.

La nouvelle de ce grand événement se répandit sur le champ dans Rome ; mais on n'y ajouta tout-à-fait foi que le lendemain, lorsque le corps de Maxence eut été retrouvé dans la vase, et que sa tête fut apportée dans la ville au bout d'une pique.

Constantin suivit de prés le sinistre emblème de sa victoire. Il entra en triomphe dans Rome le 29 octobre 312, accompagné du sénat qui était venu à sa rencontre, et faisant défiler ses troupes par le Champ de Mars devant le Panthéon d'Agrippa, il traversa les flots d'une foule immense qui encombrait les fenêtres et jusqu'aux toits, et ébranlait l'air par ses acclamations. Quant aux Chrétiens, ils se livraient entièrement à la joie de la délivrance.

 

ÉDIT DE MILAN.

 

La victoire de Constantin avait donné un nouveau maitre à Rome. Il ne fit périr qu'un petit nombre de personnes, les plus attachées au tyran déchu, et le jeune fils de Maxence, Romulus, qui avait été un instant César. Il cassa les cohortes Prétoriennes, et détruisit leurs casernes fortifiées. Pour le reste de l'armée de Maxence, il se borna à l'éloigner de Rome, et à l'envoyer combattre les barbares sur le Rhin.

Le triomphe de Constantin coïncida avec la mort du vieux Dioclétien, qui abreuvé de dégoûts, se laissa, dit-on, mourir de faim.

Constantin ne se fit pas immédiatement Chrétien ; le pouvoir subsista même avec les formes païennes : mais par un édit daté de Milan, et pris de concert avec son collègue Licinius auquel il donna sa sœur Constantia en mariage, il accorda aux Chrétiens la liberté pleine et entière de leur religion.

Le culte de Jésus-Christ, jusque là officiellement insulté dans les décrets même qui lui étaient favorables, se vit tout d'un coup mis sur le pied d'une égalité complète avec l'ancien culte de Rome. Le décret (13 Juin 313) avait la forme d'une constitution envoyée aux magistrats de l'Empire. Il prescrivait de rendre aux Chrétiens les terrains et les édifices qui leur avaient été enlevés par confiscation, et dont ils se servaient pour l'exercice de leur culte religieux.

L'effet de l'édit de Milan fut immense. Un long cri de joie s'éleva de tous les points de l'Empire. Les Chrétiens s'abordaient en tout lieu avec transports, célébrant les merveilles de la protection Divine. Sur les débris d'humbles chapelles ruinées pendant la persécution s'élevèrent bientôt des églises dans de vastes proportions, décorées avec un éclat inconnu. Sortie des souterrains et des déserts, la religion Chrétienne apparaissait partout à la splendeur du jour. Ce n'étaient que dédicaces de temples et réunions d'évêques. Les cérémonies, les pompes religieuses, le chant des psaumes et des cantiques, la célébration des mystères symboliques de la Passion, tout faisait déborder, chez une multitude de tout âge et de tout sexe l'effusion de la foi, de la charité et de la reconnaissance.

L'édit du 13 Juin 313, qui assurait la liberté de tous les cultes, mettait fin à 249 ans de haine, de dévastation et d'impiété.

 

MORT DE MAXIMIN DAÏA.

 

Constantin avait d'abord resserré ses liens avec Licinius, l'un de ses collègues à l'Empire en lui donnant, comme nous l'avons dit, sa propre sœur en mariage. Mais son autre collègue, Maximin Daïa, ancien ami de Galérius, entra bientôt en hostilité contre eux. Un premier engagement eut lieu entre Maximin et Licinius sous les murs d'Andrinople.

Maximin y eut le dessous, et fut obligé de reculer jusqu'à Tarse, poursuivi l'épée dans les reins par Licinius. Le désespoir, la rage et la terreur ravageaient son âme. Il voulut essayer de mettre fin à ses jours par une mort volontaire ; mais ayant cru devoir d'abord se livrer avec excès aux délices d'un dernier festin, il n'avala le poison qu'après son souper. L'estomac chargé rejeta une partie du venin, et amortit l'effet du reste. Il n'en résulta qu'un état de langueur et de souffrance générale, qui trouvant une constitution ruinée par la débauche, dégénéra bientôt en une affreuse maladie. Un feu intérieur le dévorait, et lui causait d'indicibles souffrances. Dans les convulsions de la douleur, il frappait sa tête contre les parois de sa chambre, et broyait des mottes de terre entre ses dents ; les yeux lui sortaient de la tête, sa chair tombait en putréfaction, et répandait une affreuse odeur. On l'entendait gémir comme un homme à la torture. Enfin bourrelé de remords et dans le trouble de la démence, il rendit l'âme au milieu d'atroces douleurs.

Licinius entra dans Antioche sans coup férir, fit déclarer Maximin ennemi public, mettre à mort ses enfants, jeter sa femme dans les flots de l'Oronte, et livra ses principaux ministres aux supplices. A ces victimes, il en joignit d'autres encore plus illustres. La veuve et la fille de Dioclétien, Prisca et Valérie furent décapitées, et leurs corps jetés dans les flots.

Le fils de l'Empereur Galérius, Candidien, ainsi que Sévérianus, fils du César Sévère, avaient été antérieurement sacrifiés.

Ces exécutions successives répandirent un grand effroi dans tout l'Empire. C'étaient tous les auteurs de la dernière persécution qui semblaient l'un après l'autre précipités dans le même gouffre.

Le jour d'une grande et impitoyable justice était donc arrivé. Le Dieu des Chrétiens montrait sa puissance. Il n'épargnait ni le sexe, ni le rang ni l'âge. Les Chrétiens redisaient ses jugements dans un langage sombre emprunté aux anathèmes bibliques. La mort des persécuteurs devenait le sujet quotidien de toutes les conversations.

 

DÉFAITE ET MORT DE LICINIUS.

Constantin seul maître de l'Empire

 

L'Empire n'avait plus que deux maîtres : Licinius en Orient, Constantin en Occident : la dissension éclata bientôt entr'eux.

Licinius fut accusé d'avoir fomenté une conspiration contre Constantin qui en 314 lui déclara la guerre, le battit près de Cibalis en Pannonie, puis une seconde fois à Andrinople, et ne lui accorda la paix qu'en se faisant céder la Pannonie, la Dalmatie, la Dacie, la Macédoine, et la Grèce.

Cette paix dura neuf années que Constantin employa à mettre l'ordre dans l'administration et qu'il utilisa pour sa gloire et sa puissance par une victoire sur les Goths dont 40.000 guerriers entrèrent à son service sous le nom de Fœderati.

Au bout de ce temps, Licinius s'étant appuyé sur la partie hostile aux Chrétiens, Constantin lui déclara de nouveau la guerre, le battit complètement sous les murs d'Andrinople le 3 Juillet 323, et lui fit éprouver à Chalcédoine une seconde défaite qui obligea Licinius à se livrer dans Nicomédie entre les mains de son vainqueur. Constantin lui ôta la pourpre en promettant de respecter sa vie, mais un an n'était pas encore écoulé qu'un ordre fatal venait chercher Licinius dans sa retraite, et qu'il périssait étranglé.

La victoire définitive de Constantin sur tous ses rivaux assurait désormais le triomphe de la religion Chrétienne.

Ainsi se termina après tant de péripéties ce combat de trois siècles livré par Rome idolâtre à l'Église de Jésus-Christ.

Constantin vainqueur abolit bientôt le supplice infamant de la Croix, en même temps que la torture de la rupture des jambes, c'était la double peine des esclaves éternellement glorifiée sur le Calvaire.

L'influence du Christianisme allait se répandre dans le monde Romain par l'entremise des Conciles, ces assemblées solennelles d'évêques, qui devaient assurer l'intégrité et l'unité de la Foi. Constantin le premier allait les inaugurer lui-même par la convocation du Concile Œcuménique de Nicée où furent posées les assises fondamentales de la Constitution catholique.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Nous devons faire observer ici que le concubinage était autorisé par la loi Romaine.

[2] Le corps du martyr Quintin fut enseveli à Augusta capitale du Vermandois, qui a pris de là, le nom de saint Quentin.

[3] La date la plus généralement adoptée est celle de l'année (288 après J.-C.).