HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ITALIE. - TOME SECOND

 

CHAPITRE XIX.

 

 

Révolution dans la terre ferme de Venise. — Conférences entre Bonaparte et les députés du sénat. — Armements du sénat contre les révolutionnaires et les Français. — Lettre de Bonaparte au doge de Venise. — Les Français assiégés et massacrés à Vérone. — Assassinat du capitaine Laugier, à Venise. — Nouvelles conférences entre Bonaparte et les députés du sénat. — Manifeste de Bonaparte contre le gouvernement vénitien.

 

Les mauvaises intentions et les armements du gouvernement vénitien furent, comme on l'a vu, une des causes qui décidèrent Bonaparte à s'arrêter au milieu de ses brillants succès, à faire à l'archiduc Charles des ouvertures pacifiques, à consentir une suspension d'armes et à signer les préliminaires. Pour bien faire connaître ce grave épisode de la campagne d'Italie, nous gommes obligés de revenir sur nos pas.

L'aristocratie vénitienne eut en horreur la révolution française, et renfermée dans ses lagunes, se crut longtemps à l'abri de ses atteintes. Étrangère pour ainsi dire au mouvement qui agitait l'Europe, cette puissance usée par le temps, affaiblie par des changements majeurs survenus dans les rapports du monde, était tombée dans une sorte d'assoupissement. Le bruit des armes la réveilla sans lui rendre sa vigueur, et sans lui donner le coulage de se prononcer ouvertement pour un des deux grands partis qui se faisaient la guerre. La ruse et le machiavélisme n'étaient plus de saison ; une grande révolution dans son organisation intérieure et dans ses rapports extérieurs pouvait seule sauver la république vénitienne, si toutefois il y avait encore pour elle un moyen de salut. Mais son gouvernement désormais sans noblesse, sans grandeur et sans âme, se traîna de faussetés en perfidies, et tomba dans une irrésolution qui le conduisit à sa ruine et précipita celle de l'État. En prenant franchement le parti de la coalition ou de la France, Venise eût pu mettre encore un grand poids dans la balance ; par son système hypocrite de neutralité, elle ne contenta point l'Autriche, elle mérita la haine dé la république française, et ne fut plus regardée que comme la proie du vainqueur. Enfin après s'être débattue pendant quatre ans dans les angoisses de l'agonie, sa dernière heure était venue.

L'occupation de la ville et la surprise du château de Bergame avaient été une opération à la fois politique et militaire, ayant pour but d'assurer les communications entre l'Adda et l'Adige et de détruire un foyer de machinations ourdies contre les Français par le gouvernement vénitien. Il en fut profondément blessé, et les trames sourdes redoublèrent. D'un autre côté la haine ancienne de l''oligarchie était, dans la terre ferme, exaltée par l'exemple des révolutions que Bonaparte avait favorisées en Italie. La fermentation était à son comble et menaçait à chaque instant de faire explosion. C'était l'époque où l'archiduc Charles s'approchait de la Piave et où la campagne allait s'ouvrir. Bonaparte avait à la fois de la haine et du mépris pour l'oligarchie vénitienne, et inclinait par conséquent pour le parti révolutionnaire ; mais il n'était pas décidé à le favoriser. Il lui convenait que la république de Venise restât intacte jusqu'à la paix avec l'Autriche. Il ne pouvait surtout désirer de voir alors éclater ce parti, ni de laisser sur ses derrières trois millions d'individus livrés au désordre et à l'anarchie. Si l'oligarchie triomphait et si les Français éprouvaient des revers, il devait s'attendre à voir 30.000 Vénitiens faire cause commune avec les Autrichiens et lui fermer le retour en Italie. Son intérêt lui conseillait donc de contenir les partis, et de se borner à prendre les précautions militaires qu'exigeait la sûreté de l'armée. Ainsi il laissa des garnisons à Brescia, à Bergame, à Vérone, et fit revenir, comme réserve sur l'Adige, les troupes de l'expédition contre Rome.

Il résolut en même temps de s'expliquer avec le gouvernement vénitien, et voulut avoir un entretien avec le procurateur Pesaro qui, dans ce moment, dirigeait toutes les affaires de la république. Pesaro peignit l'état critique de sa patrie, le mauvais esprit des peuples, les plaintes légitimes du sénat ; il dit que ces circonstances difficiles exigeaient de sa part des mesures fortes et des armements extraordinaires, qui ne devaient causer aucun ombrage aux Français ; que le sénat était obligé de faire des arrestations à Venise et dans la terre ferme ; qu'il serait injuste de qualifier de rigueurs contre les partisans de la France, ce qui n'était qu'une juste punition de sujets turbulents qui voulaient renverser les lois de leur pays.

Bonaparte convint que la situation de Venise était critique, mais sans perdre de temps à en discuter les causes, il aborda la question. Vous voulez, dit-il, arrêter ce que vous appelez vos ennemis, mais ce que j'appelle mes amis. Vous confiez le pouvoir aux hommes connus par leur haine pour la France ; vous levez de nouvelles troupes ; que vous reste-t-il à faire pour que la guerre soit déclarée ? Et cependant votre ruine serait entière et immédiate ; vainement compteriez-vous sur l'appui de l'archiduc ; avant huit jours j'aurai chassé son armée de l'Italie. Il est un moyen de sortir votre république de la situation pénible où elle se trouve : je lui offre l'alliance de la France ; je lui garantis ses États de terre ferme, même son autorité dans Brescia et dans Bergame ; mais j'exige qu'elle déclare la guerre à l'Autriche, et fournisse à mon armée un contingent de 10.000 hommes d'infanterie, 2.000 de cavalerie, et vingt-quatre bouches à feu. Je crois qu'il serait convenable que l'on inscrivît au livre d'or les principales familles de terre ferme ; cependant je n'en fais pas une condition sine qua non. Retournez à Venise, faites délibérer le sénat et venez signer un traité, qui seul peut sauver votre patrie. Pesaro convint de la sagesse de ce projet, et partit pour Venise, promettant de revenir avant quinze jours.

Mais les passions qui enflammaient les Vénitiens les uns contre les autres et l'oligarchie contre les Français, ne se calmaient pas au gré des intérêts et de la politique de Bonaparte ; il n'en fut plus le maître dès qu'il fut occupé à combattre les Autrichiens. Il était à Bassano lorsqu'il y eut à Brescia une tentative d'insurrection. Il écrivit à Bataglia, provéditeur général[1] :

J'ai été douloureusement affecté en apprenant que la tranquillité publique est troublée à Brescia, J'espère que, moyennant la sagesse des mesures que vous prendrez, il n'y aura pas de sang répandu. Vous savez que dans la position actuelle des esprits en Europe, les persécutions ne feraient qu'autoriser les mécontents contre le gouvernement. Dans la plupart des villes de l'État vénitien, il y a des personnes qui montrent à chaque instant leur partialité pour les Autrichiens, qui ne cessent de maudire les Français et de se montrer très-indisposées contre eux. Quelques-uns, mais en petit nombre, paraissent préférer les mœurs et l'affabilité des Français à la rudesse des Allemands. Il serait injuste de les punir, et de leur faire un crime de la partialité que l'on ne trouve pas mauvaise en faveur des Allemands. Le sénat de Venise ne peut avoir aucune espèce d'inquiétude ; il doit être bien persuadé de la loyauté du gouvernement français et du désir que nous avons de vivre en bonne amitié avec votre République ; mais je ne voudrais pas que, sous prétexte de conspiration, l'on jetât sous les plombs du palais de Saint-Marc tous ceux qui ne sont pas ennemis déclarés de l'armée française, et qui nous auront, dans le cours de cette campagne, rendu quelques services. Désirant pouvoir contribuer à rétablir la tranquillité, et ôter toute espèce de méfiance entre les deux républiques, je vous prie, monsieur, de me faire connaître le lieu où je pourrai avoir l'honneur de vous voir. Croyez aux sentiments d'estime et de considération que je vous porte.

 

Quoique cette lettre fût exagérée dans les protestations d'amitié pour le gouvernement vénitien, elle n'en était pas moins l'expression assez fidèle des sentiments qui animaient alors le général en chef. De son côté, Bataglia, qui semblait les partager de bonne foi, s'était borné jusqu'alors à surveiller les agitateurs ; mais les choses en étaient venues au point qu'il crut nécessaire de prendre des mesures pour prévenir un mouvement. Il réunit donc à Brescia la cavalerie éparse, et fit venir de Vérone un détachement d'infanterie. En servant avec zèle les vues de son gouvernement, il croyait rendre un bon office à l'armée française qui tirerait plus d'avantages de la tranquillité de l'État vénitien que de ses troubles et de sa désorganisation[2]. Mais ces mesures ne purent arrêter l'explosion. Elle eut lieu précisément lorsque l'armée française passait la Piave. A Bergame, le podestat Ottolini, instrument des inquisiteurs d'État, avait exaspéré les esprits en faisant emprisonner et même disparaître des individus favorables aux Français. On avait formé un comité révolutionnaire qui s'était mis en rapport avec l'administration de la Lombardie. Ottolini découvrit le comité, et expédia aux inquisiteurs une liste très-nombreuse de suspects, qui comprenait beaucoup des principaux personnages de la ville. La dépêche enlevée au courrier qui en était porteur, excita l'indignation. Les habitants chassèrent le podestat et les troupes vénitiennes, ils se déclarèrent libres, et envoyèrent une députation aux Brescians pour les inviter à suivre leur exemple. Partant de ce principe que toute puissance vient de Dieu, l'évêque consacra cette révolution. par une lettre pastorale aux curés de son diocèse.

Les Français ne prirent aucune part à ces mouvements. Dès leurs premiers symptômes, le général Kilmaine avait écrit au commandant de Bergame de ne s'en mêler en aucune manière, de se tenir seulement sur ses gardes et de veiller à la sûreté de la citadelle. Consterné des rapports qui lui arrivaient de la terre ferme, le sénat députa auprès du général en chef deux de ses membres, le procurateur Pesaro et le sage de terre ferme J.-B. Cornaro ; il écrivit à Paris, et se rapprocha du ministre de la république française pour invoquer sa protection. Les mouvements révolutionnaires avaient compliqué la question. Le ministre, sans instruction précise sur ce cas, répondit que probablement la France donnerait son appui au sénat s'il s'agissait de consolider une constitution adaptée à J'esprit du temps. Cette insinuation fut mise en délibération dans le conseil général où se trouvèrent environ 200 membres. On y entendit pour la première fois depuis cinq cents ans la proposition de changer la forme du gouvernement, elle n'obtint que cinq suffrages. Cinquante opinions furent d'avis de comprimer l'insurrection par la force, et cent cinquante, sans rejeter absolument les réformes, de les ajourner indéfiniment.

En rendant compte de ces faits à Bonaparte, Lallemant ajoutait[3] :

Au reste la république de Venise touche à sa fin : le gouvernement n'a plus de ressort ; les peuples sont arrivés au mépris, et il ne faut plus qu'une étincelle pour allumer l'incendie. On ne nous aime pas ; mais le mot de liberté que nous prononçons avec enthousiasme retentit partout, et les vieux aristocrates ont beau proclamer leurs vieilles habitudes, ils ne font que précipiter le moment de leur chute.

Bataglia allait se rendre auprès de Bonaparte, lorsqu'il apprit la mission de Pesaro. Il en fut d'autant plus satisfait qu'il n'osait pas quitter Brescia, dans la crainte qu'il n'y éclatât quelque mouvement pendant son absence : sa présence ne l'empêcha pas. Les Bergamasques volèrent à la délivrance des Brescians. La garnison et les autorités vénitiennes firent résistance ; il y eut quelques coups de fusil tirés ; mais elles se rendirent à discrétion ; le gouverneur Mocenigo prit la fuite, et le provéditeur Bataglia fut fait prisonnier.

Les députés vénitiens rejoignirent Bonaparte à Goritz, le 5 germinal (25 mars), et eurent avec lui deux conférences. Dans la première, sur les événements de Bergame et de Brescia, il contredit leur assertion que les Français y avaient pris part, et ajouta cependant qu'il donnerait des ordres pour que les commandants fussent jugés et punis s'ils avaient c00péré à l'insurrection. Le point le plus important était de prendre des mesures pour la réprimer, sans que les commandants français y missent opposition, et les députés demandèrent surtout l'évacuation des châteaux de Bergame et de Brescia. Bonaparte la refusa, sa prévoyance ne lui permettant pas, même au milieu de ses succès, de négliger ses sûretés pour la retraite. D'après sa manière de voir, le meilleur expédient pour réprimer l'insurrection était d'intéresser la France à rétablir l'ordre, et connaissant les maximes de son gouvernement, il était disposé à s y prêter si on l'en priait. Les députés, prévoyant les sinistres conséquences que pouvait avoir l'intervention d'une puissance étrangère entre des sujets et leur gouvernement, se gardèrent bien de l'accepter, et représentèrent que tout au plus on pourrait convenir de moyens de coopération. Bonaparte parut hésiter, disant qu'au milieu de la fermentation des idées nouvelles, il encourrait quelque blâme en se déclarant contre des principes auxquels il se reconnaissait redevable en partie du succès de ses armes., et s'il fournissait des secours pour réduire des hommes coupables peut-être envers leur gouvernement, mais partisans déclarés de la France ; que seulement il obéirait si le Directoire le lui ordonnait formellement ; mais qu'il persistait à croire que le moyen le plus sûr pour se garantir d'une insurrection générale, était d'imiter le roi de Sardaigne, c'est-à-dire de se lier plus étroitement avec la république française. Les députés pensèrent que les rapports entre les deux états étaient déjà assez intimes, et que le sénat ne pourrait délibérer qu'à la paix sur un point aussi délicat.

Alors Bonaparte leur rappela le long séjour du comte de Provence à Vérone, l'asile donné à Venise au duc de Modène et surtout à ses trésors, les fonds considérables appartenant aux ennemis de la France, et notamment au roi d'Angleterre ; les députés cherchèrent en vain à se justifier sur ces divers objets.

Dans la seconde conférence on ne parvint pas davantage à s'entendre sur l'objet principal de leur mission, et Bonaparte leur dit que la république française ayant déclaré qu'elle ne se mêlerait pas de la forme des autres gouvernements, le sénat pouvait prendre, relativement à Bergame et à Brescia, les mesures qui lui paraîtraient les plus convenables, en ayant soin seulement de l'en informer d'avance, pour prévenir tout conflit avec les troupes françaises ; mais que, tout bien examiné, il lui semblait plus opportun d'attendre la réponse du Directoire.

Les réquisitions faites dans les États vénitiens pour la subsistance de l'armée furent aussi l'objet de plusieurs discussions. Les députés demandaient qu'on les délivrât de ce fardeau, ou qu'on en diminuât le poids. Bonaparte leur répondit que son armée était dans l'indispensable nécessité de tirer ses approvisionnements du pays qu'elle laissait sur ses derrières ; qu'il avait toujours reconnu les inconvénients des réquisitions ; qu'il les ferait cesser, moyennant que le sénat s'obligeât à fournir, soit en argent, soit en denrées, la somme d'un million par mois, et pendant six mois, à moins que la guerre ne fut terminée plutôt ; que cette somme et le montant des fournitures déjà faites formeraient une créance que certainement la France ne manquerait pas de liquider à la paix. Les commissaires se récrièrent sur ce nouveau tribut, si fort au-dessus des ressources de leur trésor, ajoutant que ce serait fournir aux Autrichiens un prétexte pour en demander autant, ce que le sénat ne pourrait refuser d'après son système de neutralité.

A ces mots, Bonaparte, les interrompant, leur fit observer que les armées autrichiennes étaient entièrement chassées d'Italie, que toutes leurs forteresses, toutes leurs villes, étaient entre ses mains ; qu'il était en état de leur faire la loi, et que, si leur trésor était épuisé, ce qu'il ne croyait pas, le sénat pouvait s'aider de ceux du duc de Modène, et des fonds déposés à Venise par les ennemis de la France[4]. Les députés objectèrent le respect dû aux propriétés, sur lequel une petite puissance surtout devait fonder sa tranquillité et sa sûreté.

Nous ne vîmes que trop, disaient les députés, en terminant leur rapport où nous avons puisé ces détails, que Bonaparte regardait l'État vénitien comme occupé par son armée, et qu'il projetait de se l'assujettir encore davantage, pour se mettre en état d'exiger tout ce qu'il voudrait. Déjà il a envahi la forteresse de Palma-Nova, et il en augmente les fortifications avec une diligence incroyable. Il occupe le port de Trieste, de sorte qu'il est parvenu à nous bloquer de toutes parts.

Écoutons maintenant Bonaparte rendre lui-même au Directoire le compte de ces entrevues :

Ma conduite avec M. Pesaro était assez délicate : ce n'est pas dans un moment où Palma-Nova n'est pas encore approvisionnée et année, où nous avons besoin de tous les secours du Frioul et de toute la bonne volonté des gouvernements vénitiens, pour nous approvisionner dans les défilés de l'Allemagne, qu'il fallait nous brouiller. Il ne fallait pas non plus qu'ils pussent envoyer quatre ou cinq mille hommes, et écraser les personnes qui, à Brescia et à Bergame, nous sont attachées, quoique je n'approuva pas leur conduite, et que je croie que leur insurrection nous est, dans le moment, très-nuisible ; mais le parti ennemi de la France est, dans ces différentes villes, si acharné contre nous, que, s'il prenait le dessus, il faudrait être en guerre ouverte-avec toute la population. J'ai dit à M. Pesaro que le Directoire exécutif n'oubliait pas que la république de Venise était l'ancienne alliée de la France ; que nous avions un désir bien formé dé la protéger de tout notre pouvoir. J'ai demandé seulement d'épargner l'effusion du sang, et de ne pas faire un crime aux citoyens vénitiens qui avaient plus d'inclination pour l'armée française que pour l'armée impériale ; que nous ne soutenions pas les insurgés ; qu'au contraire je favoriserais les démarches que ferait le gouvernement ; mais que je croyais que, comme ils avaient envoyé un courrier au Directoire exécutif, il serait bon peut-être d'en attendre le retour, parce que je croyais que la seule intervention de la France dans ces affaires pourrait ramener les esprits sans avoir besoin de recourir aux armes. Nous nous sommes quittés bons amis. Il m'a paru fort content. Le grand point, dans tout ceci, est de gagner du temps. Je vous prie, pour ma règle, de me donner une instruction détaillée[5].

On a prétendu que Bonaparte, improuvant en apparence l'insurrection des villes de la terre ferme, ou affectant du moins une sorte de neutralité entre elles et le gouvernement vénitien, avait secrètement encouragé, ordonné même cette insurrection. Un Piémontais, le général Pico, et surtout l'adjudant général Landrieux, étaient, dit-on, ses agents spéciaux dans cette trame. Par haine des révolutions, ou par un motif moins recommandable, Landrieux la révéla au podestat Ottolini[6].

Quand des documents authentiques fournis par le gouvernement vénitien lui-même ne prouveraient pas que les Français avaient été étrangers à ces mouvements, les termes de la lettre de Bonaparte, et la situation où se trouvait l'armée ne permettraient pas d'en douter. Il n'avait aucun motif pour dissimuler avec le Directoire ; et il n'est pas -besoin de chercher des causes occultes et mystérieuses à des événements si faciles à expliquer par la nature même des choses. Le parti révolutionnaire éclata, parce que les éléments de la révolution étaient arrivés à leur point de maturité.

Si le gouvernement vénitien avait voulu faire une alliance avec la France, et des concessions aux nobles de terre ferme, Bonaparte se serait-il réellement interposé pour faire rentrer sous le joug les villes insurgées ? Au point où les choses en étaient venues, aurait-il pu rétablir l'ordre, concilier les partis, et maintenir l'Etat de Venise ? il est permis d'en douter. Mais en rejetant ses ouvertures pour prendre la voie des armes, l'oligarchie accéléra une catastrophe qu'elle avait depuis longtemps, préparée.

Quant à Pico et à Landrieux, on découvrit plus tard, par l'examen des papiers du Sénat à Venise, qu'ils s'étaient vendus de la manière la plus vile et la plus basse. Landrieux servait à la fois les révolutionnaires et le sénat, et se faisait payer des deux côtés. Lorsqu'on fit cette découverte, il avait quitté l'armée. Bonaparte le signala au Directoire, et lui envoya la lettre du podestat Ottolini qui compromettait cet officier[7]. Du reste, comme on va le voir, s'il reçut l'argent des oligarques, il n'en contribua pas moins à battre leur armée.

Le sénat délibéra le 30 mars (10 germinal) sur le rapport de ses députés, et vota le secours mensuel, d'un million[8]. L'argent n était alors qu'un objet secondaire. La question importante pour l'Etat de Venise était celle de son existence ; quel parti offrait le plus de-chances pour la conserver ? Fallait-il qu'il se jetât, à tout risque, dans les bras de la France, ou que, jaloux de son indépendance, il essayât de lutter seul contre les orages qui de toutes parts s'accumulaient sur lui ? Mais l'oligarchie vénitienne n'envisagea pas ainsi la question. A ses yeux, l'État, c'était elle ; il fallait donc qu'il pérît ou qu'il se sauvât avec elle, par elle et pour elle. L'issue de cet aveuglement et de cet égoïsme ne pouvait être douteuse. Le sénat résolut de réduire par la force les villes insurgées, et souleva contre elles, par le moyen des nobles et des prêtres, le peuple des campagnes. Les patriotes de leur côté se préparèrent à la défense, et à propager l'insurrection. La guerre fut donc ouvertement déclarée.

Dans la pensée du sénat embrassa-t-elle les Français ? Ses partisans l'ont contesté ; mais on verra bientôt que sachant Bonaparte enfoncé en Allemagne, l'oligarchie vénitienne crut le moment favorable pour frapper un grand coup, et qu'elle organisa une véritable croisade. D'ailleurs, pour un gouvernement qui ne manquait ni de coup d'œil, ni de tact, il devait être évident qu'allumer un incendie sur un terrain occupé par des Français, c'était les vouer à l'extermination.

La révolution se fit successivement à Lecco, à Salo, à Crème. Les paysans des vallées du Bergamasque étaient rassemblés en armes ; une partie se porta sur Lecco ; la bonne contenance d'un détachement français ayant deux pièces d'artillerie fit avorter leurs mauvais desseins. Ils pillèrent et assassinèrent dans des villages voisins, en criant : mort aux Français et à leurs adhérents ! A Salo, les partisans du gouvernement l'emportèrent, et emprisonnèrent ou massacrèrent en partie les patriotes. A cette nouvelle on prit les armes à Brescia, et 700 hommes commandés par Fantuzzi, chef de bataillon dans la légion lombarde, marchèrent contre Salo. Arrivés près de cette ville ils envoyèrent des députés ; ils ne revinrent point. On s'avança ; un Brescian fut tué d'un coup de fusil. Ses camarades s'avancèrent encore ; une députation de Salo apporta des paroles de paix. Tandis que de part et d'autre on en rédigeait les conditions, une foule considérable de paysans descendue tout-à-coup des montagnes de la Sabbia vint fondre, sur la troupe de Brescia qui ne sut pas se défendre, en massacra une grande partie, et traîna le reste dans les cachots de Vicence.

Dans cette échauffourée se trouvèrent pris cent grenadiers de la légion polonaise et un lieutenant. Le commandant d'un détachement de 330 Polonais, qui se rendait à Mantoue, avait envoyé ces cent hommes à Salo, à la demande de quelques patriotes de leur nation qui se trouvaient dans cette ville.

Le chef de brigade Beaupoil, sur ce qui lui avait été rapporté qu'un Français avait été tué à Salo, y avait dirigé un détachement de 30 hommes pour prendre des informations et avec l'ordre d'observer la plus stricte neutralité. Ce détachement fut fait prisonnier par les montagnards. Le général Balland expédia aussitôt de Vérone l'ordre au commandant de la flottille de se porter devant Salo, de réclamer les Français, et d'employer la force, si cela était nécessaire ; le détachement fut rendu.

Balland témoigna ses inquiétudes à Kilmaine sur la situation des Français à Vérone, où les Vénitiens faisaient entrer un très-grand nombre de paysans armés et de soldats esclavons. Les Français n'osaient plus se montrer sans être insultés et menacés, Le général Saviez, laissé à la, garde du Tyrol par Joubert, s'était replié de Trente sur Rivoli ; Laudon marchait sur Vérone, dont les habitants lui avaient envoyé une députation. Tous les paysans du Véronais, du Vicentin, du Padouan et du Bassanais étaient en armes. On désarmait partout les Français, on arrêtait leurs courriers. Toutes les communications entre Vérone et Mantoue étaient interceptées.

Kilmaine prit le parti d'envoyer des troupes pour dissiper les paysans et les désarmer. L'adjudant général Landrieux partit d'abord avec un détachement de 500 hommes. Il envoya un officier et douze chasseurs pour parlementer avec les insurgés ; ils tirèrent sur lui, tuèrent son cheval et un chasseur. Landrieux les attaqua, les mit en fuite, les poursuivit, s'empara de leur quartier général, de leurs papiers, de quelques petits canons. Ils avaient avec eux des hommes portant toutes sortes d'uniformes, des Piémontais, des Tyroliens, et des soldats vénitiens. Ils avaient été repoussés, mais ils n'étaient pas réduits, et menaçaient toujours.

Dans tout cela, écrivait Kilmaine à Bonaparte[9], il y a une perfidie avérée de la part du gouvernement de Venise, qui aurait pu facilement faire rentrer Bergame dans le devoir par le moyen de ses troupes de ligne : mais il a préféré exciter les .paysans qu'il n'avoue pas, pour n'avoir pas à répondre des événements. Il y a plus de cent mille écus répandus pour ces soulèvements, et, outre beaucoup de soldats déguisés, il est sorti de Venise trois agents principaux pour diriger toute l'affaire.

Nous avons dit que le général en chef était opposé à tous ces mouvements, et que les Français avaient été étrangers à ceux de Bergame et de Brescia ; on voit même qu'ils en avaient été victimes. Cependant un chef de bataillon de la légion lombarde commandait les Brescians qui étaient allés se faire battre à Salo ; cent Polonais y avaient été envoyés à la demande de quelques patriotes de leur nation. Or, quoique ces troupes eussent été levées au compte des nouvelles républiques, elles étaient auxiliaires de l'armée française et sous le commandement de ses chefs. Mais il existait une sympathie toute naturelle et des intelligences entre ces républiques et les patriotes vénitiens, et l'on conçoit que, dans le trouble des premiers mouvements, les légions lombarde et polonaise fussent d'elles-mêmes et spontanément portées à y concourir. On ne doit pas moins en croire le général Kilmaine lorsqu'il écrivait à Bonaparte au moment de l'explosion : Nous n'avons pris aucune part à ces mouvements. Vous verrez par les copies des lettres les mesures que j'avais prises pour qu'on ne put pas reprocher aux Français de les avoir excités ou d'y avoir participé[10]. Enfin le procurateur Pesaro lui-même écrivait à Bonaparte, dans une lettre approuvée par le sénat, que rien ne portait à croire que les Français y eussent été pour quelque chose. Il est vrai qu'ensuite les partisans insurgés du gouvernement vénitien faisant encore moins la guerre aux patriotes de leur nation qu'aux Français, le soin de leur défense dut les rendre ouvertement favorables à une révolution pour le succès de laquelle ils n'avaient fait jusque là que des vœux.

Cependant, de toutes parts arrivaient à Bonaparte des rapports et des communications. C'étaient ses généraux qui l'informaient du danger de leur. situation et des mesurés qu'ils prenaient ; les patriotes vénitiens qui réclamaient sa protection, et le sénat de Venise qui déplorait les suites fatales des troubles que lui-même fomentait.

Bonaparte écrivit de Scheifling à Pesaro[11] :

Les affaires militaires, monsieur, qui se sont succédées avec la plus grande rapidité, m'ont empêché de répondre à la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire. De tous les points du territoire de la république de Venise, il me vient des plaintes sur la conduite des agents de cette république à l'égard de l'armée française. A Vérone, on affiche tous les jours des placards pour exciter la haine du peuple contre nous, et effectivement les assassinats commencent et deviennent fréquents sur la route de Vérone à la Piave.

Un vaisseau de guerre vénitien a tiré des coups de canon sur la frégate la Brune, et l'a empêchée de mouiller dans le golfe, tandis qu'un convoi autrichien y mouillait.

La maison du consul de Zante a été pillée et brûlée, et votre gouvernement l'a laissé faire.

Toutes les personnes qui sont soupçonnées d'avoir prêté secours à l'armée française, sont ouvertement persécutées, dans le temps qu'on encourage de nombreux agents que la maison d'Autriche a dans Vérone et autres lieux des États de Venise ; mais la nécessité de veiller à la sûreté de l'armée me fait un devoir de prévenir les entreprises que l'on pourrait faire contre elle.

 

Le général en chef requit en même temps de Pesaro la mise du séquestre sur l'argent que le duc de Modène avait dans la banque de Venise et sur le trésor qui se trouvait dans le palais où il demeurait. Le motif de cette mesure était que le duc devait plus de trente millions à l'État de Modène. Le gouvernement vénitien fut, dès ce moment, déclaré responsable de cette somme[12].

Bonaparte répondit aux municipalités de Bergame et de Brescia[13] :

J'ai reçu, citoyens, la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire : il ne m'appartient pas d'être juge entre le peuple de votre province et le sénat de Venise. Mon intention est cependant qu'il n'y ait aucune espèce de trouble ni de mouvement de guerre, et je prendrai toutes les mesures pour maintenir la tranquillité sur les derrières de l'armée. Les troupes françaises continueront de vivre avec le peuple de Brescia dans le même esprit de neutralité et de bonne intelligence, et je désire, dans toutes les occasions, pouvoir vous donner des preuves de l'estime que j'ai pour vous.

 

Veut-on une nouvelle preuve, une preuve irréfragable de la perfidie du gouvernement vénitien ? Tandis que, par ses protestations amicales, il cherchait à endormir les Français sur le bord de l'abîme qu'il creusait sous leurs pas, Pierre Grimani, son ambassadeur à Vienne, avait des conférences avec le baron de Thugut, sur les moyens de tirer le meilleur parti des mouvements populaires. Le ministre autrichien, ne doutant pas que le gouvernement vénitien ne les encourageât et ne les appuyât, y voyait une nouvelle preuve des dispositions bienveillantes de Venise pour les intérêts de l'empereur. Supposant, ce qui n'était certainement pas, que la France cherchait à gagner le sénat par de flatteuses promesses, Thugut disait à Grimani : Je connais trop la sagesse du sénat pour ne pas être certain qu'il ne prêtera point l'oreille aux séduisantes paroles du directoire et de Bonaparte. Oh ! si les Brescians et les Bergamasques s'unissaient à nous, l'Autriche serait certaine de terminer la guerre par une paix raisonnable. Il est si aisé de fermer les passages du Tyrol ! En vérité, il dépend du sénat de réduire les Français à la dernière extrémité. L'intérêt de la maison d 'Autriche et celui de votre république sont maintenant les mêmes[14].

Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est qu'au moment où il tenait ce beau discours, et où Grimani s'empressait de le transmettre à son gouvernement pour l'engager à travailler dans l'intérêt de l'Autriche, l'honnête Thugut chargeait les plénipotentiaires de l'empereur envoyés à Bonaparte pour négocier la paix, de demander une portion quelconque des États de Venise.

Les mesures prises par les commandants français pour comprimer l'insurrection, venaient échouer contre les passions populaires exaltées par le sénat et ses agents ; elle s'organisait de toutes parts et menaçait de se déborder en torrent ; on l'estimait à 30.000 hommes. Les troupes vénitiennes faisaient cause commune avec elle. Le comité directeur était à Vérone. Il forma le complot de surprendre la citadelle et les forts, et de faire main-basse sur les Français ; ils n'osaient plus se promener dans les rues. Le général Balland fit diriger son artillerie sur la ville, et se mit sur ses gardes. Il adressa ses griefs au provéditeur vénitien qui prodigua les protestations les plus amicales[15] et qui écrivait heures après à son gouvernement que d'après la fidélité et l'ardeur que manifestait la population, il espérait qu'elle pourrait choisir un moment favorable pour envelopper les perturbateurs de son repos ; qu'en attendant il envoyait des chefs aux fidèles montagnards et leur fournissait des moyens de fabriquer de la poudre[16].

Landrieux fut bientôt suivi par le général Lahoz avec 800 hommes et par l'adjudant-général Couthand avec 1.200. Kilmaine donna l'ordre de rassembler tout ce qu'il y avait de disponible dans les dépôts et de le diriger sur Vérone.

Lahoz et Landrieux, après avoir désarmé beaucoup de paysans, dont les fusils étaient en grande partie français et autrichiens, marchèrent sur Salo, qui fut abandonné à leur approche. Pendant qu'ils y étaient, un corps de 400 Esclavons et 100 cavaliers vénitiens marchèrent sur Dezenzano occupé par 150 Français qui gardaient des magasins. Ils rencontrèrent en chemin le chef de brigade du génie Sanson, accompagné de deux officiers et d'une ordonnance, voulurent l'arrêter, et le couchèrent en joue. Il les chargea, passa au travers, et entra dans Dezenzano, où il n'eut que le temps de faire prendre les armes au détachement français. Les Esclavons arrivèrent ; on les laissa s 'engager, et quand ils furent à cent toises de la place, le commandant fit sur eux une sortie vigoureuse, leur tua plusieurs hommes et mit le reste en déroute.

Pendant ces événements, Kilmaine avait encore fait partir le général Chabran avec 1200 hommes, lui avait donné l'ordre de prendre le commandement de toutes les troupes, et de marcher à Vérone au secours de Balland.

Bonaparte sentit qu'il était enfin temps de prendre un parti décisif et de rompre en face au sénat. Il envoya son aide-de-camp Junot porter au doge de Venise la lettre suivante[17] :

Toute la terre ferme de la sérénissime république de Venise est en armes. De tous côtés le cri de ralliement des paysans que vous avez armés est : mort aux Français. Plusieurs centaines de soldats de l'armée d'Italie en ont déjà été les victimes. Vous désavouez vainement des rassemblements que vous avez organisés : croyez-vous que, dans un moment où je suis au cœur de l'Allemagne, je sois impuissant pour faire respecter le premier peuple de l'univers ? Croyez-vous que les légions d'Italie souffriront le massacre que vous excitez ? Le sang de mes frères d'armes sera vengé, et il n'est aucun des bataillons français qui, chargé d'une aussi noble tâche, ne sente redoubler son courage et tripler ses moyens. Le sénat de Venise a répondu par la perfidie la plus noire aux procédés généreux que nous avons toujours eus envers lui. Je vous envoie mon premier aide-de-camp pour être porteur de la présente lettre. La guerre ou la paix. Si vous ne prenez pas sur-le-champ les moyens de dissiper les rassemblements ; 'si vous ne faites pas arrêter et livrer entre mes mains les auteurs des assassinats qui viennent de se commettre, la guerre est déclarée. Le Turc n'est pas sur vos frontières, aucun ennemi ne vous menace ; vous avez fait à dessein naître des prétextes, pour paraître justifier un rassemblement dirigé contre l'armée : il sera dissous dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes plus au temps de Charles VIII. Si, contre le vœu bien manifeste du gouvernement français, vous me réduisez au parti de faire la guerre, ne pensez pas cependant qu'à l'exemple des soldats que vous avez armés, les soldats français ravagent les campagnes du peuple innocent et infortuné de la terre ferme ; je le protégerai, et il bénira un jour jusqu'aux crimes qui auront obligé l'armée française à le soustraire à votre tyrannie.

 

Bonaparte fit plus que de promettre au peuple protection contre les ravages du soldat, il lui promit, ou plutôt, prononça son affranchissement par la proclamation suivante[18] :

Le sénat de Venise a, depuis le commencement de cette guerre, concentré toutes ses sollicitudes dans les lagunes ; indifférent aux maux de la : terre ferme, il l'a livrée aux armées ennemies qui guerroyaient dans vos contrées. Le gouvernement du sénat de Venise n'offre protection ni pour vos personnes ni pour vos propriétés ; il vient, par suite de ce système qui le rend indifférent à votre sort, de s'attirer l'indignation de la république française.

Je sais que, n'ayant aucune part à son gouvernement, je dois vous distinguer dans les différents châtiments que je dois infliger aux coupables. L'armée française protégera votre religion, vos personnes et vos propriétés ; vous avez été vexés par ce petit nombre d'hommes qui se sont, depuis les temps de barbarie, emparés du gouvernement. Si le sénat de Venise a sur vous le droit de conquête, je vous en affranchirai ; s'il a sur vous le droit d'usurpation, je vous restituerai vos droits. Quant aux insensés qui, conseillés par des hommes perfides, voudraient prendre part à la guerre et en attirer les maux sur leurs villes, je les plaindrai, et les punirai de manière à servir d'exemple aux autres, et à les faire repentir de leur folie.

 

Bonaparte chargea le ministre Lallemant de présenter Junot au sénat, en présence duquel, il remettrait sa lettre au doge, et de communiquer en même temps une note rédigée en forme de lettre.

Enfin nous n'en pouvons plus douter, écrivait-il à Lallemant[19], le but de l'armement des Vénitiens est de couper les derrières de l'armée française. Certes, il m'était difficile de concevoir comment Bergame qui, de toutes les villes de l'État 'dû Venise, est celle qui était le plus aveuglément dévouée au sénat, ait été la première à s'ameuter contre lui ; il est encore plus difficile de concevoir comment, pour apaiser cette légère émeute, on a besoin de 25.000 hommes, et pourquoi M. Pesaro, lors de notre conférence à Goritz, a refusé l'offre que je lui faisais de la médiation de la république, pour faire rentrer ces places dans l'ordre.

Tous les procès-verbaux qui ont été faits par les différents provéditeurs de Brescia, de Bergame et de Crème, où ils attribuent l'insurrection de ces pays aux Français, sont une série d'impostures dont le but serait inexplicable, si ce n'était de justifier devant l'Europe la perfidie du sénat de Venise.

On a habilement profité du temps où l'on pensait que j'étais embarrassé dans les gorges de la Carinthie, ayant en tête l'armée du prince Charles, pour faire cette perfidie sans exemple, si l'histoire ne nous avait transmis celle contre Charles VIII, et les Vêpres siciliennes. On a été plus habile que Rome, en saisissant un moment où l'armée était plus occupée ; mais sera-t-on plus heureux ? Le génie de la république française, qui a lutté contre l'Europe entière, serait-il venu échouer dans les lagunes de Venise ?

 

Tels étaient les griefs de Bonaparte contre le sénat :

1° Un vaisseau de guerre vénitien a attaqué et maltraité la frégate la Brune, en prenant sous sa protection un convoi autrichien.

2° La maison du consul de Zante a été brûlée : le gouvernement a vu avec plaisir insulter l'agent de la république française.

3° Dix mille paysans, armés et soudoyés par le sénat, ont assassiné plus de cinquante Français sur la route de Milan à Bergame.

4° La ville de Vérone, celles de Venise et de Padoue, sont pleines de troupes ; on s'arme de tous côtés, contre ce que m'avait promis M. Pesaro, Sage-Grand de la république de Venise.

5° Tout homme qui a prêté assistance à la France est arrêté et emprisonné. Les agents de l'empereur sont fêtés et sont à la tête des assassinats.

6° Le cri de ralliement de tous côtés est : mort aux Français ; de tous côtés les prédicateurs, qui ne prêchent que ce que le sénat veut, font retentir des cris de fureur contre la république française.

7° Nous sommes donc, dans le fait, en état de guerre avec la république de Venise, qui le sait si bien qu'elle n'a trouvé d'autre moyen, pour masquer son mouvement, que de désavouer, en apparence, des paysans qu'elle arme et solde réellement.

 

En conséquence Bonaparte chargea le ministre de France de demander au sénat une explication catégorique, dans le délai de douze heures, sur le point de savoir si on était en paix ou en guerre ; dans le dernier cas, de quitter sur-le-champ Venise ; dans le premier, d'exiger :

1° Que toutes les personnes arrêtées pour leurs opinions et qui n'étaient coupables que d'avoir montré de l'affection pour les Français, fussent sur-le-champ mises en liberté ;

2° Que toutes les troupes, hormis les garnisons ordinaires qui existaient six mois auparavant dans les places de la terre ferme, l'évacuassent.

3° Que tous les paysans fussent désarmés, comme ils l'étaient un mois auparavant ;

4° Que le sénat prît des mesures pour maintenir la tranquillité dans la terre ferme, et ne concentrât pas sa sollicitude dans les lagunes ;

5° Quant aux troubles de Bergame et de Brescia, le général en chef offrait, comme il l'avait déjà fait à M. de Pesaro, la médiation de la république française, pour tout faire rentrer dans l'ordre accoutumé ;

6° Que les auteurs de l'incendie de la maison du consul de Zante fussent punis ; que cette maison fût rebâtie aux frais de la république ;

7° Que le capitaine de vaisseau, qui avait tiré sur la frégate la Brune, fût puni, et que la valeur du convoi que, contre la neutralité, il avait protégé, fût remboursée.

Enfin Bonaparte écrivit au procurateur Pesaro[20] :

Si le sénat avait eu à cœur de finir les affaires de Brescia et de Bergame, promptement et sans effusion de sang, il aurait accepté la médiation de la république française, que je vous ai offerte à Goritz.

Mon aide-de-camp doit dans ce moment être à Venise. Il est porteur d'une lettre pour le sénat. Je désire, pour la paix, que vous ayez donné à la république française la satisfaction que les circonstances exigent.

Quant à Brescia et à Bergame, ce que je vous avais offert à Goritz, je l'offre encore au sénat. J'interposerai l'autorité de la république française pour que tout finisse. Il me paraît que ce n'est pas trop exiger, que de vouloir que les paysans que vous avez exaltés et armés n'assassinent plus nos soldats. Il serait singulier que le sénat de Venise nous obligeât à lui faire la guerre, dans un moment où nous sommes en paix avec tout le continent.

 

En informant le général Kilmaine de la mission de Junot, Bonaparte lui donna le commandement de tout le Mantouan, de la division Victor et de tous les États vénitiens, lui manda qu'il verrait, par les lettres dont Junot était porteur, quel était le remède qu'il fallait porter à tout ce tripotage ; et lui envoya des instructions pour le cas où le sénat ne donnerait pas satisfaction dans les vingt-quatre heures. C'était de faire désarmer les garnisons vénitiennes de Padoue, de Trévise, de Bassano, de Vérone, de Bergame et de Brescia, si le sénat en avait remis dans ces deux dernières villes ; de monter ses dépôts avec les chevaux de la cavalerie vénitienne ; d'envoyer les soldats, escortés par la légion lombarde, à Bologne et à Milan, pour y être gardés par les gardes nationales ; d'envoyer les officiers et gouverneurs prisonniers à Milan ; de faire arrêter les nobles vénitiens et les hommes les plus attachés au sénat pour répondre de ce qui serait fait à Venise aux partisans de la France qu'on y tenait en prison ; de conduire cette opération de manière que, vingt-quatre heures après le départ de Junot de Venise, elle fût terminée, et qu'il n'y eût plus un soldat vénitien sur le continent ; d'organiser dans les différentes villes des municipalités choisies parmi les principaux citoyens, et des gardes nationales composées des meilleurs patriotes, d'envoyer avec prudence une colonne mobile à Crème pour punir et désarmer les montagnards qui avaient assassiné des Français ; de répandre sa proclamation ; de menacer les villages où il y aurait des rassemblements ; de tomber inopinément sur un village où ils ne seraient pas en force, et de le brûler. Si l'affaire de Venise, ajoutait Bonaparte[21], est bien menée, comme tout ce que vous faites, ces gaillards-là se repentiront, mais trop tard, de leur perfidie. Le gouvernement de Venise, comme vous pensez bien, concentré dans sa petite île, ne serait pas de longue durée.

Junot n'arriva que le 25 germinal à Venise. Le lendemain, à 10 heures du matin, il fut introduit au collège, et placé à la droite du doge ; il lut la lettre de Bonaparte ; le doge lui fit une réponse. Lorsque Junot se fut retiré, on donna lecture d'une note du ministre de France. Le 26 le sénat délibéra, et le doge répondit au général en chef. Ces réponses et délibérations, conçues à peu près dans les mêmes termes, se réduisaient à des protestations banales d'amitié et des sentiments les plus pacifiques. Le gouvernement, à l'en croire, était étranger à l'insurrection ; les peuples avaient pris spontanément les armes dans le seul objet de réprimer la révolte, Les malheurs arrivés dans une aussi grande confusion ne pouvaient être imputés qu'à un désordre passager. Le sénat promettait de faire rechercher, pour être punis, ceux qui avaient assassiné des Français. Enfin, pour parvenir à un arrangement, il envoyait des députés au général en chef.

Loin de satisfaire à ses demandes, cette réponse évasive était réellement dérisoire. Junot, la jugeant ainsi, se rendit chez Pesaro, et demanda que du moins on mît sur-le-champ en liberté les hommes arrêtés pour opinion, sans quoi il allait partir de suite. Après avoir beaucoup insisté pour qu'on attendît le résultat de la mission des deux députés, le procurateur promit d'assembler le sénat le 28, et de faire mettre en liberté les Polonais arrêtés à Salo, et quelques-uns des Vénitiens. Junot sortit de son rôle de soldat pour faire le diplomate ; on l'amadoua par de belles paroles, et on le fit repartir à peu près comme il était venu.

Il importe de remarquer ici que dans ce moment le provéditeur de Vérone, se félicitant d'avoir obtenu du général Balland l'entrée de quatre compagnies esclavonnes dans la ville, écrivait à son gouvernement que la population était armée, qu'au dehors il y avait une force considérable, et qu'il avait recommandé de gagner du temps pour éluder le désarmement exigé par le général[22]. Ainsi, à côté d'une protestation amicale, se trouvait toujours une perfidie.

On ne conçoit pas comment le sénat pouvait encore se flatter de tirer quelque fruit de ses manœuvres contre les Français ; car il n'ignorait pas que l'empereur avait demandé la paix, et que les hostilités étaient suspendues. Il est vrai qu'après que Joubert eut quitté le Tyrol pour se réunir à Bonaparte, Laudon, parvenu à réorganiser les milices tyroliennes, avait jeté des détachements dans la vallée de la Brenta, et marché avec 10.000 hommes sur l'Adige contre le corps français d'observation, fort seulement de 1.200 hommes. Serviez qui le commandait fut obligé de se retirer devant des forces aussi supérieures. Laudon, s'avançant en Italie, se faisait précéder par des proclamations où il annonçait les défaites des Français, et appelait de toutes parts le peuple à se révolter contre eux. Lorsque le sénat faisait sa réponse évasive à Bonaparte, Laudon marchait sur les deux rives de l'Adige, était près de Rivoli, et en communication avec les paysans insurgés et les troupes vénitiennes. Le sénat espérait sans doute qu'il pourrait encore naître de cette circonstance des incidents favorables à ses projets.

Il armait donc à force et sur tous les points ; toutes les routes étaient couvertes de troupes vénitiennes et de paysans armés. Ils enlevaient les convois de vivres, les courriers, et assassinaient les militaires français isolés ou en petits détachements dans les rues des villes comme sur les chemins. Tout le pays était en feu.

Victor avec sa division occupait Trévise. Baraguay-d'Hilliers, détaché avec la sienne par Bonaparte, était arrivé dans le Frioul, y maintenait la tranquillité, et y protégeait les communications de l'armée contre les coureurs de Laudon. Chabran, commandant une colonne mobile de 4.000 hommes, était vers Peschiera marchant au-devant des Autrichiens. Balland avait avec lui à peu près i 300 hommes pour occuper les forts et les portes de Vérone ; il y avait dans l'intérieur de la place des hommes isolés, des agents de l'administration, des femmes, des enfants et 400 malades.

Le 28 germinal commença sous de funestes auspices ; des rassemblements cernaient la ville, des coups de fusils furent tirés, des détachements français insultés et menacés, et des insurgés introduits dans les murs. Balland, qui était dans la citadelle, écrivit au provéditeur que s'il ne faisait pas cesser ces excès, il tirerait sur la ville, puisqu'il n'avait plus d'autre moyen de se faire respecter. Au moment où le chef de brigade, Beau poil, allait porter cette lettre, des Français, parmi lesquels il y en avait de blessés, accoururent annonçant qu'ils étaient poursuivis et qu'on assassinait leurs compatriotes. Au signal donné par des coups de sifflets, avaient succédé le tocsin, les coups de poignard et de fusil. Déjà plus de cent Français avaient été égorgés.

Balland ordonna aux troupes de se porter sur les remparts, et aux canonniers de se rendre à leurs, pièces, tant dans le fort St.-Félix qu'au fort St.-Pierre. Deux chefs de bataillon, dont un de la légion lombarde et des officiers, rentrèrent encore blessés, poursuivis, et après avoir été témoins de plusieurs assassinats. On entendait les coups de fusil et les hurlements des assassins. Les détachements français de garde aux portes furent attaqués et forcés, après une vaine résistance, de mettre bas les armes. Ne pouvant plus douter que c'était le prélude d'un massacre général, Balland ordonna aux canonniers de faire feu. Il était cinq heures. Les Français qui pouvaient s'échapper continuaient à se réfugier dans les forts. Ils tonnèrent sur la ville. Après quelques heures elle arbora le drapeau blanc, le feu cessa ; un parlementaire se présenta au fort St.-Félix. Le chef de brigade, Beaupoil, l'aide-de-camp Mazurier et d'autres officiers, accompagnèrent le parlementaire ; ils furent assaillis, désarmés, saisis par les cheveux ; la garde bourgeoise qui les escortait eut beaucoup de peine à les conduire en vie chez le gouverneur, où ils se rendaient pour conférer. Après sept heures de séance, pendant, lesquelles ces officiers, exposés aux poignards d'une populace furieuse et en butte à toutes les perfidies, déployèrent un grand caractère, ils revinrent accompagnés de parlementaires vénitiens auprès du général. Ils proposaient de jeter un voile sur le passé, de l'attribuer de part et d'autre à des circonstances fortuites, de faire sortir de la ville les paysans armés, à condition qu'il n'y entrerait pas de troupes françaises.

Le chef de brigade, Beaupoil, rapporta qu'une foule de Français, leurs femmes, leurs enfants, étaient détenus au palais du gouvernement, menacés de la vengeance populaire ; ajoutant que plusieurs Vénitiens et militaires des troupes réglées, et principalement le général de Nogarola, en avaient sauvé un grand nombre.

Balland remit aux parlementaires vénitiens une lettre par laquelle il demandait : 1° six otages à son choix ; 2° le désarmement des habitants ; 3° le rétablissement des communications ; 4° la réparation des assassinats.

Pendant la nuit, le peuple pilla les propriétés des Français, les magasins de vivres formés pour eux, les maisons de plusieurs habitants. Une foule tumultueuse criait que, bien loin de se laisser désarmer, elle voulait escalader les forts et exterminer tous les Français.

Le 29, à six heures du matin, de nouveaux parlementaires vinrent représenter l'impossibilité où était le gouverneur de déférer aux demandes du général et y proposer des modifications. Ils apportèrent en même temps une lettre de plusieurs des Français prisonniers au palais du gouverneur, qui conjuraient le général, au nom de plus de 9°0 de leurs camarades, des malades et des blessés dans les hôpitaux, de faire cesser les hostilités, s'il ne voulait pas les exposer à être tous immolés. Par cette considération, Balland consentit à modifier ses demandes, et accorda trois heures pour qu'on lui envoyât les otages qui devaient être pris dans le clergé et la noblesse.

Mais malgré la suspension du feu des forts, il n'avait point cessé au château vieux, que les insurgés avaient vivement attaqué, et où le commandant de là place, Carrère, faisait une vigoureuse défense. Balland écrivit au provéditeur et au podestat de faire cesser le feu des insurgés contre le château vieux, et au commandant de le discontinuer dès que les Véronais ne tireraient plus.

Trois parlementaires revinrent à dix heures. Un soldat fut blessé et un officier tué par le feu des insurgés. Les parlementaires, prétextant que le gouverneur n'était pas maître du peuple, demandèrent un nouveau délai de trois heures ; il fut accordé, à condition que les Français détenus en ville seraient conduits dans les forts.

A onze heures, un officier autrichien, envoyé par Laudon, vint annoncer l'armistice entre les armées française et impériale. Ce général était sur les hauteurs qui dominent Vérone, tranquille spectateur de ce qui s'y passait, quoique les Vénitiens lui eussent demandé de prendre parti pour eux. A une heure après-midi trois officiers vénitiens se présentèrent en parlementaires, annonçant que le provéditeur et le podestat étaient absents ou cachés ; qu'il n'existait plus de gouverne, ment, et qu'il n'était plus possible de contenir le peuple aveuglé par la fureur. Ils s'engagèrent cependant à faire tous leurs efforts pour rétablir la tranquillité, si le général voulait bien consentir à ne point faire tirer les forts. Il déféra à. cette invitation, à condition qu'on enverrait les otages et de plus du pain au vieux château. Le feu y diminua par degrés ; vers cinq heures, on n'entendit plus, que de loin en loin, quelques coups de fusil.

Le général autrichien Neipperg arriva à la citadelle et eut des pourparlers avec le général Balland, pour différentes dispositions relatives à l'exécution de la suspension d'armes.

Le 30, à 9 heures, des Véronais s'y présentèrent pour traiter au nom de la ville. Ils offrirent de renvoyer les paysans, mais sans les désarmer, de faire respecter les Français, mais sans fournir d'otages, ni réparer les attentats commis, et à condition que le général, cesserait les hostilités, qu'il garantirait que les Brescians n'entreraient pas dans la ville, que le désarmement serait suspendu jusqu'à la décision de Bonaparte, et que le voile serait jeté sur tout ce qui s'était passé. Ils ajoutèrent que les Français Qu'ils tenaient prisonniers leur répondraient de la conduite des généraux, que le peuple véronais s'était mis sur un pied respectable, qu'il n'avait pas encore reçu d'échec, qu'il était prêt à mourir pour le maintien de son gouvernement. Balland voulut bien porter la condescendance jusqu'à discuter leurs propositions pour leur prouver qu'elles n'étaient pas acceptables ; ils prirent sa modération pour de la faiblesse ou de la crainte, et se permirent des propos insultants ; le général leur ordonna de se retirer ; ils changèrent de ton et promirent d'aller faire cesser le feu qui avait recommencé sur le château vieux, et de rapporter les propositions les plus satisfaisantes.

Une heure après, le feu y fut plus violent que jamais, et les insurgés, qui jusqu'alors n'avaient fait que le coup de fusil, tirèrent dessus à coups de canon, et travaillèrent à établir des batteries sur divers points. Balland ordonna le feu, et les forts Saint-Félix et Saint-Pierre le recommencèrent. La force des Vénitiens était de 30.000 paysans et artisans armés, et de 2.600 hommes de troupes.

Cependant les troupes françaises arrivaient. Kilmaine s'était rendu à Mantoue le Ier floréal, afin d'en tirer de l'artillerie et quelques hommes. Toutes les communications avec Vérone étaient interceptées, et les routes coupées ; toutes les ordonnances du général Miollis avaient été assassinées par les Vénitiens, qui avaient des détachements considérables à Valeggio, à Villa-Franca, à Isola délia Scala et à Nozara. Kilmaine employa quatre courriers italiens pour porter l'ordre à Victor de venir à Porto-Legnago, à Baraguay-d'Hilliers de le remplacer sur la Brenta, et à Chabran de sommer la ville de Vérone d'ouvrir ses portes, si non de les forcer, et de détacher 500 hommes à Valeggio, tandis que lui sortirait de Mantoue pour rouvrir les communications. Entendant le bruit du canon, il jugeait que Balland était aux prises avec les insurgés.

Chabran avait établi son camp au village de la Croix-Blanche sous Vérone. Le 1er floréal, au matin, Lahoz se porta, avec 600 hommes, à Pescantina pour s'emparer des barques sur l'Adige, afin d'établir une communication entre le camp et les garnisons des forts. Cette opération réussit, malgré le feu de 1000 paysans. Lahoz perdit du monde, mais passa le fleuve.

Le parlementaire que Chabran avait envoyé sommer le gouverneur d'ouvrir les portes de la ville, rapporta une réponse évasive. Bientôt huit compagnies d'Esclavons, et 300 hommes à cheval, commandés par le colonel Fero, et soutenus par 6.000 paysans ou habitants, attaquèrent les avant-postes français, s'emparèrent de la tête du village de la Croix-Blanche, et s'y établirent. Chabran marcha sur eux ; de part et d'autre on se battait avec intrépidité ; la ville fit une sortie. L'adjudant général Landrieux tomba dessus comme un éclair, et la força à rentrer. De là, il se porta, avec 50 cavaliers, sur la gauche de l'aile droite de l'ennemi, qu'il sépara du corps de bataille. Cette aile, attaquée en même temps par un dépôt d'infanterie légère, fut enfoncée et se dispersa. Cependant l'ennemi se maintenait dans le village ; l'adjudant général Devaux, à la tète des Polonais, se précipita dans une rue et s'empara de cinq pièces, qu'il tourna contre les Esclavons. Ils se réunirent dans une maison crénelée où étaient leurs munitions. Chabran fit pointer un obusier ; la maison sauta en l'air, avec 500 Esclavons et leur colonel Fero. Cet événement fut le signal de la défaite totale de l'ennemi ; poursuivi vivement, il ne résista plus, et fut taillé en pièces.

Dans la ville, le feu des forts et des insurgés continuait sans relâche. La journée du 2 se passa en pourparlers sans résultats. Le soir, 100 Français du corps de Lahoz vinrent bivouaquer sous les murs de la citadelle. Le 3, elle fut en pleine communication avec le camp. Les Véronais n'en continuaient pas moins le siège du château vieux. Les généraux hésitaient d'attaquer la ville de vive force, pour épargner le sang de leurs soldats, et surtout la vie des Français qui étaient au pouvoir des insurgés.

Le 4, des décharges d'artillerie et de mousqueterie, au camp, annoncèrent la signature des préliminaires de la paix.

Cette nouvelle découragea tout-à-fait les autorités vénitiennes dont la confiance avait déjà été fortement ébranlée par le combat de la Croix-Blanche. Kilmaine était arrivé au camp ; Victor accourait avec sa division. Le provéditeur et le podestat envoyèrent des parlementaires pour traiter d'un arrangement. Les hostilités cessèrent. Kilmaine exigea qu'on se rendît à discrétion, et, pour conditions préliminaires, la remise des Français détenus dans la ville, le renvoi de tous les paysans armés, seize otages pris parmi les habitants les plus prononcés contre les Français, et notamment les deux provéditeurs Giovanelli et Érizzo. Quant au podestat Contarini, il devait rester en ville, pour exécuter les ordres qui lui seraient envoyés du camp par les provéditeurs pour le désarmement des habitants et pour livrer les postes. Les provéditeurs signèrent en ces termes : Accordé. Les Vénitiens s'abandonnent à la générosité française ; les vies, les propriétés des habitants, des troupes et de leurs chefs, sont sous la sauvegarde de la loyauté française. Mais, au lieu de se rendre dans la nuit avec les autres otages, comme ils l'avaient promis, les provéditeurs prirent la fuite, laissant la ville dans un désordre affreux. Enfin les principaux habitants formèrent une municipalité provisoire, et ouvrirent les portes aux Français en implorant leur clémence. Kilmaine imposa la ville à 120.000 sequins pour le service de l'armée, et pour indemniser les Français victimes du pillage. Trois des principaux chefs insurgés furent livrés à une commission militaire et fusillés. Dans le premier moment, le soldat irrité à l'aspect de cadavres français percés par le stylet, ou entraîné par l'appât du butin, pilla quelques maisons ; une chambre du mont-de-piété avait déjà été attaquée ; mais les chefs arrêtèrent promptement ces désordres. Kilmaine se porta lui-même à cet établissement, s'assura que la perte se bornait à peu de chose, fit fermer les portes, y plaça une garde, et nomma cinq personnes pour faire un inventaire. 2.500 soldats vénitiens prisonniers furent envoyés à Brescia, pour être conduits à Milan. Ainsi se termina cette insurrection que les Français appelèrent les Vêpres véronaises, par allusion aux Vêpres siciliennes, et dans laquelle, outre les Français qui périrent en combattant, il y en eut plus de 400 assassinés. Victor retourna à Padoue et Baraguay-d'Hilliers dans le Frioul.

Au moment où les Véronais montraient le plus grand acharnement contre les Français, il se passait à Venise un événement qui prouvait que le sénat, ne doutant pas du succès de la levée de boucliers qu'il avait faite en terre ferme, ne croyait plus nécessaire de dissimuler ses véritables sentiments. Le 1er floréal (20 avril) le Libérateur de l'Italie, bâtiment français, armé en course, capitaine Laugier, se présenta pour entrer dans le port ; le commandant vénitien fit feu sur lui, tua le capitaine et quatre hommes, s'empara du bâtiment et du reste de l'équipage au nombre de vingt-neuf individus. Voilà le fait tout nu ; mais on ne fut pas d'accord sur les circonstances.

D'après le rapport de l'officier vénitien commandant le fort du Lido, ce bâtiment armé de huit canons, et monté de trente-quatre hommes, avait entrepris de forcer l'entrée du port, et tiré le premier sur les galères vénitiennes, qui n'avaient riposté que pour se défendre.

Suivant la relation adressée par le sénat à son ambassadeur à Paris, le Libérateur s'avança hardiment et vint mouiller près de la poudrière. Le commandant lui envoya l'ordre de démarrer ; le capitaine s'obstina à rester, et commença à canonner une felouque vénitienne. Alors le fort du Lido et les autres bâtiments lui répondirent.

Enfin, d'après le ministre de France, le bâtiment, lougre armé de quatre canons, chassé tout le jour par des Autrichiens, venait se réfugier dans le port de Venise. En passant sous les batteries du Lido, il salua le fort de neuf coups de canon, et fut sommé de s'arrêter. Il mouilla l'ancre. Pendant cette manœuvre, un officier vénitien vint à bord pour ordonner au capitaine d'appareiller. Il représenta que le temps était mauvais, promit de partir le lendemain, demanda un ordre par écrit et deux chaloupes pour le remorquer. L'officier se retira en proférant des menaces ; et pendant même que le Libérateur se préparait à obéir, le fort et les vaisseaux de la station le couvrirent de boulets. Laugier, ayant fait descendre tout son équipage sous le pont, restait seul dehors avec son porte-voix, lorsqu'il tomba mort. A l'instant des matelots et des soldats vénitiens sautèrent à bord du bâtiment, tuèrent quelques hommes qui essayèrent de faire résistance, dépouillèrent les autres et les laissèrent toute la nuit nus après avoir tout pillé.

Tout esprit impartial aperçoit sans peine de quel côté est la vérité. Comment supposer que le capitaine Laugier eût eu la prétention de forcer l'entrée du port, et la folle audace de provoquer toutes les forces vénitiennes ? La seule circonstance qu'il avait mouillé l'ancre prouve qu'il ne pouvait pas avoir d'intentions hostiles.

Mais, dit-on, le sénat avait défendu l'entrée de l'estuaire à tout bâtiment armé ; cette résolution avait été notifiée aux agents de toutes les puissances, l'Angleterre même s'y conformait. Laugier avait violé la souveraineté de Venise, il était dans son tort. Soit ; mais avait-il eu cette intention ? l'outrage était-il donc si sanglant, y avait-il un tel péril dans la demeure qu'il fallût l'écraser, sur l'heure, de toute l'artillerie vénitienne ? Ne pouvait-on le faire sortir du port par des procédés moins féroces ? Si Laugier avait été un capitaine anglais, ou seulement autrichien, aurait-on osé commettre un semblable attentat ? Quand le commandant vénitien aurait été fondé en droit, c'était du moins une rigueur inutile, un malheur qu'un gouvernement humain et impartial aurait dû déplorer. Mais ce n'est point ainsi que se conduisit l'oligarchie de Venise. Le ministre de France se plaignit de cet attentat, et en demanda réparation. Quelle fut la réponse du sénat ? il rendit un décret par lequel il adressa des félicitations au commandant et aux officiers du port, et accorda une gratification d'un mois de solde aux équipages qui avaient attaqué le bâtiment français. Ils avaient bien mérité de l'oligarchie pour avoir assassiné des Français qui ne se défendaient pas ? Il est vrai que le sénat, fier de quelques succès faciles obtenus par ses partisans de terre ferme sur des poignées de soldats isolés et surpris, comptait alors triompher à Vérone, et avec le secours de Laudon, se rendre redoutable à l'armée française, si toutefois on ne parvenait pas à l'exterminer. Mais cette espérance fut de courte durée. La nouvelle des préliminaires de Léoben et de la défaite de l'armée véronaise vint porter la terreur dans le sénat.

Ses députés, François Dona, censeur, et Léonard Justiniani, ancien ministre de la guerre, s'acheminant lentement vers le quartier-général de Bonaparte, apprirent en route ces divers événements, le rejoignirent à Gratz, et eurent une entrevue avec lui, le 9 floréal.

Ils se présentèrent — nous empruntons leur propre relation — devant cet homme vraiment extraordinaire, surtout par la vivacité de son imagination, l'énergie de ses sentiments et la promptitude qu'on remarquait en lui au premier coup d'œil[23]. Il les accueillit d'abord avec assez de politesse, et les laissa dire tout ce qu'ils crurent propre à le convaincre de l'amitié de la république de Venise pour la France. Ils établirent que les deux États ne pouvaient pas vouloir se faire la guerre. Après le développement de ces propositions, ils ajoutèrent que, relativement aux événements qui étaient malheureusement survenus, ils n'apportaient que des justifications et non des plaintes ; qu'ils étaient prêts à répondre à tout et à détruire tous les soupçons ; que, pour l'avenir, on était à la recherche des auteurs des assassinats, qui seraient punis exemplairement ; que la république effectuerait, ainsi qu'il en avait témoigné le désir, le désarmement de ses sujets, pourvu qu'il voulût bien faire rentrer dans l'ordre les deux villes insurgées.

Ils aperçurent sur-le-champ qu'il avait pris son parti, et qu'il voulait éviter cette discussion. Après les avoir écoutés tranquillement, il se prit à leur dire : Eh bien ! les prisonniers sont-ils en liberté ?

Les députés n'avaient aucune instruction sur ce point ; ils lui répondirent qu'on avait rendu les Français, les Polonais et quelques Brescians.

Non, non, répliqua-t-il, je les veux tous ; tous ceux qui ont été incarcérés pour leurs opinions, de quelque lieu qu'ils soient, même les Véronais. Ils sont tous amis de la France. Si on ne me les rend, j'irai moi-même briser vos plombs. Je ne veux plus d'inquisition ; c'est une institution des siècles de barbarie. Les opinions doivent être libres.

Oui, repartirent-ils, mais le petit nombre n'a pas le droit de faire violence à toute une population fidèle.

Je vous le répète, ajouta-t-il, j'entends qu'on délivre tous ceux qui ont été arrêtés pour leurs opinions ; j'en ai l'état[24]. Mais, lui objectèrent-ils, cet état ne dit probablement pas s'ils sont détenus pour leurs opinions ou pour d'autres délits. Les Brescians, par exemple, ont été faits prisonniers les armes à la main par les habitants de Salo, qu'ils étaient venus attaquer.

Et les miens, répliqua-t-il, et les miens qui ont été massacrés ? L'armée crie vengeance. Je ne puis la lui refuser, si vous ne punissez les malfaiteurs.

Ils seront punis, dirent-ils, quand on nous les indiquera, quand on fournira des preuves.

Il interrompit : Votre gouvernement a tant d'espions ; qu'il punisse les coupables. S'il n'a pas les moyens de contenir le peuple, il est inepte et ne mérite pas de subsister. Le peuple hait les Français : pourquoi ? parce que la noblesse les déteste, et c'est aussi pour cela qu'ils sont poursuivis par le gouvernement. A Udine, où il y a un gouverneur excellent, on n'a pas vu des désordres comme ailleurs.

Ils lui représentèrent qu'il n'y avait point de police qui pût contenir des millions de sujets, encore moins maîtriser les opinions, qu'il prétendait devoir être libres, et qui, chez les paysans, prenaient leur source dans la dévastation des campagnes et des habitations : que, si le peuple haïssait les Français, c'était les désastres de la guerre qu'il en fallait accuser.

Il les interrompit encore : Au fait, si tous ceux qui ont outragé la France ne sont pas punis, tous les prisonniers mis en liberté, si le ministre anglais n'est pas chassé, le peuple désarmé, et si Venise ne se décide pas entre l'Angleterre et la France, je vous déclare la guerre. Je viens de conclure la paix avec l'empereur ; je pouvais aller à Vienne ; j'y ai renoncé pour cela. J'ai 80.000 hommes, vingt barques canonnières. Je ne veux plus d'inquisition, plus de sénat ; je serai un Attila pour Venise. Quand j'avais en tête le prince Charles, j'ai offert à M. Pesaro l'alliance de la France ; je lui ai offert notre médiation, pour faire rentrer dans l'ordre les villes insurgées. Il a refusé parce qu'il lui fallait un prétexte pour tenir la population sous les armes, afin de me couper la retraite, si j'en avais eu besoin ; maintenant, si vous réclamez ce que je vous avais offert, je le refuse à mon tour. Je ne veux plus d'alliance avec vous ; je ne veux plus de vos projets, je veux vous faire la loi. Il ne s'agit plus de me tromper pour gagner du temps, comme vous l'essayez par votre mission. Je sais fort bien que votre gouvernement, qui n'a pu armer pour interdire l'entrée de son territoire aux troupes des puissances belligérantes, n'a pas aujourd'hui les moyens de désarmer sa population. Je m'en charge, je la désarmerai malgré lui. Les nobles des provinces, qui n'étaient que vos esclaves, doivent, comme les autres, avoir part au gouvernement ; mais déjà ce gouvernement est vieux, il faut qu'il s'écroule.

Les députés ne pouvaient concevoir qu'un tel discours, qu'ils croyaient prémédité, eût été prononcé tranquillement, et qu'ils n'en eussent pas été atterrés. Ils représentèrent à Bonaparte qu'ils ne pouvaient croire qu'il voulût employer à la subversion d'un gouvernement les armes glorieuses qui venaient de sauver le sien ; que bien que les États fussent inégaux en force, ils étaient égaux en droits ; que la république française, s'étant déclarée la protectrice des peuples, ne pouvait pas vouloir opprimer Venise ; que, si le gouvernement avait laissé l'État désarmé, c'était une preuve de sa bonne foi et de son éloignement pour la guerre ; que les nobles des provinces étaient admissibles au patriciat, et qu'il y en avait plusieurs exemples ; mais qu'au reste ces objets étaient étrangers à celui de leur mission ; qu'ils venaient pour le satisfaire sur les deux demandes qu'il avait adressées au sénat, la punition des coupables et le désarmement ; que, pour les coupables, on était sur leurs traces ; que, pour le désarmement, on l'opérerait, s'il voulait bien faire rentrer les villes insurgées dans le devoir ; que c'était ce qu'il avait promis, et qu'ils comptaient sur sa résolution.

Eh bien ! dit-il, nous tirerons une ligne le long du Mincio ; il sera défendu aux insurgés d'aider les Véronais : mais ceux-ci se battent contre nous, et répandent le sang français qui crie vengeance ; il la faut. Je n'ai pas besoin d'auxiliaires ; j'ai 80.000 hommes. Je veux dicter la loi, et je commence par vous déclarer que, si vous n avez pas autre chose à me dire, vous pouvez partir.

Alors Léonard Justiniani lui parla d'une manière si calme, si raisonnée, si insinuante, que le général se contint et renouvela même l'entretien avec lui, après dîner, dans son cabinet. Justiniani reprit les divers sujets qui avaient été traités le matin ; mais, en le ramenant à l'objet de la mission, il représenta que l'intégrité des États constituait l'existence politique des gouvernements, et que le premier devoir de ceux-ci était de procurer la sûreté à leurs sujets ; que ce serait sacrifier l'une et l'autre que d'opérer un désarmement sans prendre des précautions ; que puisqu'il voulait employer sa médiation pour les villes insurgées, il convenait de contenir les rebelles et de les empêcher de passer le Mincio ; que la ligne de démarcation qu'il proposait pouvait être fort utile pour cela ; et que, s'il voulait bien donner une note sur cette proposition, on la transmettrait au sénat ; que les sénateurs étaient des hommes justes, loyaux, constants dans leurs maximes, et bien différents de ce qu'il les croyait ; qu'après avoir donné la paix à l'empereur, au pape, au roi de Naples, tous ennemis de sa nation, il ne pouvait pas vouloir faire la guerre à une république qui avait prouvé sa bonne foi et son amitié pour la France, par tant de sacrifices ; que les députés n'étaient nullement autorisés à lui répondre au sujet de la déclaration de guerre à l'Angleterre ; mais qu'on pouvait en faire la proposition par une autre voie ; qu'ils n'avaient point d'instructions relativement aux prisonniers, mais qu'il était tout simple que le sénat les relâchât, par condescendance pour lui, lorsque, par le retour des villes insurgées à l'obéissance, ils auraient cessé d'être dangereux.

Bonaparte, évitant la discussion, et gardant toujours le ton impérieux, répondit : Laissons les détenus ; aussi bien je serai à Trévise dans trois ou quatre jours, peut-être avant vous, dès que j'aurai vu le marquis de Gallo et mon camp de Brück. Les députés le prièrent de leur assigner une nouvelle conférence ; il les invita à dîner pour le lendemain.

Ce dîner, où l'on fit aux députés personnellement beaucoup de civilités, leur fut pénible, à cause des questions dont on les accabla sur les formes de leur gouvernement, et des plaisanteries sur les procédures de l'inquisition d'État, sur les plombs, les tortures, le canal Orfano et autres objets, traités par les députés de mensonges inventés ou copiés par les écrivains français.

La conférence qui suivit le dîner, découvrit de plus en plus la détermination prise par le général en chef de dicter la loi au lieu de traiter. Il prétendit qu'il existait vingt-deux millions dans le trésor de Venise. Il parla des effets anglais qui y étaient déposés. Il revint sur le désarmement des paysans, sur la punition des coupables, le renvoi du ministre anglais, la liberté des prisonniers. Autrement, disait-il, la guerre[25] ; et même il ne parlait pas de paix après toutes les satisfactions obtenues. A diverses reprises, il parcourut beaucoup d'autres sujets. Il dit qu'il se moquait des Esclavons, et qu'il comptait bien aussi aller les attaquer, mais qu'il serait bien reçu parmi eux, ayant déjà des relations en Dalmatie. Il ajouta qu'ostensiblement le gouvernement de la république paraissait appartenir à toute la noblesse, mais que, dans le fait, c'était l'apanage d'un petit nombre de patriciens, et autres observations semblables.

Les députés terminaient leur rapport par ces réflexions :

Une république comme la nôtre, riche, maîtresse d'un État puissant, en possession d'un grand commerce, devait inspirer quelque ménagement à la France, dans le commencement de la révolution. Aussi on cultiva sa bienveillance, on parla d'intérêts communs, on évita d'occuper nos places, dans les premiers temps de l'irruption ; on ne nous demanda point des subsistances à titre gratuit ; le gouvernement vénitien, en prodiguant ses secours, fit douter de sa force ; on usa, et on abusa de sa facilité ; on lui proposa une alliance, et en cas de refus, on le menaça de ce qui arrive aujourd'hui.

Il est probable que, dans le principe, les Français ne voyaient, dans notre république, qu'une barrière à opposer aux Russes, pour les empêcher d'envahir la Morée, et qui garantissait les républiques italiennes du danger d'être écrasées par l'Autriche. Il n'y a pas un mois que Bonaparte, non encore assuré d'une victoire décisive, et prévoyant qu'il pourrait avoir à faire une retraite, nous proposait une alliance. Mais, aujourd'hui qu'il est débarrassé des Autrichiens, que ses forces sont disponibles, qu'il peut faire de nous ce qu'il voudra, il n'a plus à s'occuper de nous rendre les provinces qui se sont détachées de nous. Aussi le traité qu'on aurait pu faire à Goritz n'est plus possible ici. Il nous l'a dit clairement ; et, par malheur, la série des faits le démontre.

 

Mais, si la France cessa d'avoir les égards et les ménagements que, d'après le rapport de ces députés, elle avait eus pour Venise au commencement de la guerre, à qui la faute ? Si peu à peu le théâtre de la guerre s'étendit sur la totalité des possessions vénitiennes, ce furent toujours les Autrichiens qui entamèrent de nouveaux territoires. Beaulieu occupa le premier Peschiera et Vérone. Wurmser se jeta le premier dans Bassano, et traversa le premier Vicence et Padoue ; Alvinzi plus tard, et l'archiduc Charles occupèrent le Frioul, Palma-Nova, et jusqu'aux limites les plus orientales de la république. Qu'avait fait Venise pour prévenir ces invasions, et faire respecter sa neutralité par l'Autriche ?

On voit que, dans les conférences, il ne fut pas parlé de l'affaire du Libérateur. Elle n'était pas encore connue de Bonaparte ; il ne tarda pas longtemps à l'apprendre. Les députés reçurent à Herrenhausen une dépêche du sénat, qui leur donnait des instructions sur la manière dont il fallait présenter au général en chef l'affaire du Libérateur. Ils n'osèrent pas la traiter de vive voix, essayèrent de la lui expliquer par une lettre, et lui donnèrent la même tournure que le commandant du Lido, dans son rapport, et que le sénat, dans sa lettre à son ambassadeur à Paris. Les députés reçurent bientôt un autre courrier, qui leur annonçait que la révolution avait éclaté à Vicence et à Padoue ; ils se décidèrent à demander une entrevue à Bonaparte, allèrent l'attendre à Palma-Nova, et la sollicitèrent, aussitôt qu'il y fut arrivé, par cette lettre, témoignage de faiblesse et de lâcheté d'un sénat aux abois.

Il n'y a plus, dans la terre ferme, un homme resté fidèle au gouvernement qui ne soit désarmé. Les intentions de votre excellence ne peuvent plus trouver la moindre opposition. Il semble que cet état de choses doit déterminer la grande nation, que votre excellence représente si glorieusement, à ne pas agir d'une manière hostile contre un gouvernement qui désire de bonne foi l'amitié de la France, et qui est prêt à manifester, par tous les moyens, la sincérité de ses sentiments.

Si des circonstances impossibles à prévoir ont amené des événements pour lesquels la République française se croie en droit d'exiger des réparations ; si, au terme des plus glorieux succès militaires, elle jugeait que le gouvernement vénitien eut quelque chose à faire pour compléter le nouveau système d'équilibre politique que la France jugera à propos de donner à l'Europe, nous supplions votre excellence de s'expliquer.

La France, au point de grandeur où elle est parvenue, objet de l'admiration universelle, trouvera certainement plus de gloire dans les efforts volontaires que la république vénitienne s'empressera de faire, que dans une conduite hostile contre un gouvernement qui se reconnaît sans défense.

Bonaparte leur répondit : Je n'ai lu qu'avec indignation la lettre que vous m'avez écrite relativement à l'assassinat de Laugier. Vous avez aggravé l'atrocité de cet événement, sans exemple dans les annales des nations modernes, par le tissu de mensonges que votre gouvernement a fabriqués pour chercher à se justifier. Je ne puis vous recevoir. Vous êtes, vous et votre sénat, dégoutants du sang français. Lorsque vous aurez fait remettre entre mes mains l'amiral qui a ordonné de faire feu, le commandant de la tour et les inquisiteurs qui dirigent la police de Venise, j'écouterai vos justifications. Vous voudrez bien évacuer, dans le plus court délai, le continent de l'Italie. Cependant, si le nouveau courrier qui vous est arrivé est relatif à l'affaire de Laugier, vous pouvez vous présenter devant moi[26].

Toute sévère qu'était cette lettre les députés la reçurent avec une joie inexprimable parce qu'elle leur accordait une entrevue. Ils s'y rendirent. Ils exposèrent au général en chef qu'ignorant les détails du malheureux événement arrivé au Lido, ils n'hésitaient pourtant pas à l'assurer que ni le sénat, ni les inquisiteurs d'État ne pouvaient y avoir pris aucune part, et que certainement les officiers quelconques qui auraient transgressé leurs ordres seraient punis d'une manière exemplaire. Us ajoutèrent que, pour le moment, ils ne pouvaient lui dissimuler que le meilleur moyen d'obtenir la satisfaction qu'il demandait, était d'en prescrire la forme ; mais telle qu'elle pût se concilier avec l'existence politique de la république vénitienne et de ses États ; que c'était le vœu de la nation entière ; qu'enfin ils désiraient qu'il se montrât pour eux tel qu'il s'était montré pour les ennemis à qui il avait accordé la paix ; pour les peuples conquis, à qui il avait donné la liberté ; pour les neutres dont il avait accepté l'alliance ; et qu'ils ne devaient pas avoir à craindre de le trouver différent à l'égard d'une république toujours amie de la France.

Bonaparte avait écouté tranquillement ; mais au lieu de leur répondre, il répéta le contenu de sa lettre, disant qu'il ne voulait rien entendre avant qu'on lui eût livré les coupables ; que s'il avait donné la liberté à d autres peuples, il briserait aussi les chaînes des Vénitiens ; qu'il fallait que le conseil choisît entre la guerre et la paix ; que si on voulait la paix, il fallait proscrire cette poignée de patriciens qui avaient disposé de tout jusqu'à présent, et ameuté le peuple contre les Français. Ce fut en vain que les députés essayèrent tous les moyens de l'apaiser. Ils hasardèrent de lui proposer une réparation d'un autre genre ; mais il répliqua avec vivacité : Non, non, quand vous couvririez cette plage d'or, tous vos trésors, tout l'or du Pérou ne peuvent payer le sang français.

Le sénat expédia, dit-on, courriers sur courriers à Paris, et mit des sommes considérables à la disposition de son ministre, dans l'espoir de gagner les meneurs du Directoire, et de faire donner au général en chef de l'armée d'Italie des ordres propres à sauver l'aristocratie. Cette intrigue réussit. La distribution de dix millions de lettres de change valut au ministre vénitien l'expédition des ordres qu'il sollicitait ; mais ils ne se trouvèrent pas revêtus de toutes les formes légales. Des dépêches interceptées à Milan mirent Bonaparte à même de déjouer cette intrigue ; il eut entre les mains l'état des sommes distribuées à Paris ; il annula tout de son autorité[27].

Le ministre Quirini, suivant un écrivain[28], provoqué par un Dalmate nommé Viscowich qui était à Paris, ne souscrivit d'engagement que pour 600.000 francs. Il ne reçut, au lieu cl une lettre a Bonaparte, qu'un billet au sceau et au titre du Directoire, et signé par le secrétaire de Barras affirmant que la lettre avait été écrite.

 

Quoi qu'il en soit, il est certain que, pour pénétrer les intentions du Directoire, et même pour influer sur ses déterminations, le ministre vénitien n'épargnait ni les souplesses ni les moyens de corruption, et le mandait à son gouvernement[29].

Le général en chef écrivit à Lallemant[30] :

Le sang français a coulé dans Venise, et vous y êtes encore ! Attendez-vous donc qu'on vous en chasse ? Les Français ne peuvent plus se promener dans les rues ; ils sont accablés d'injures et de mauvais traitements ; et vous restez simple spectateur ! Depuis que l'armée est en Allemagne, on a, en terre ferme, assassiné plus de 400 Français ; on a assiégé la forteresse de Vérone, qui n'a été dégagée qu'après un combat sanglant, et, malgré tout cela, vous restez à Venise ! Quant à moi, j'ai refusé d'entendre les députés du sénat[31], parce qu'ils sont tout dégoutants du sang de Laugier, et je ne les verrai jamais, qu'au préalable ils n'aient fait arrêter l'amiral et les inquisiteurs qui ont ordonné ce massacre, et ne les aient remis entre mes mains. Je sais bien qu'ils chercheront à faire tomber la vengeance de la République sur quelques misérables exécuteurs de leurs atrocités ; mais nous ne prendrons pas le change.

Faites une note concise et digne de la grandeur de la nation que vous représentez et des outrages qu'elle a reçus ; après quoi partez de Venise, et venez me joindre à Mantoue.

Ils n'ont rien exécuté de ce que je leur ai demandé : ce sont tous les prisonniers, qu'ils ont faits depuis que l'armée française est en Italie, qu'ils devaient relâcher, et non pas un seulement, ainsi qu'ils l'ont fait.

 

Bonaparte ordonna le séquestre de tous les bâtiments vénitiens qui se trouvaient à Trieste et à Ancône. Il écrivit au Directoire en lui rendant compte de tous ces événements.

Tant d'outrages, tant d'assassinats ne resteront pas impunis ; mais, c'est à vous surtout, et au corps législatif qu'il appartient de venger le nom français d'une manière éclatante. Si le sang français doit être respecté en Europe, si vous voulez qu'on ne s'en joue pas, il faut que l'exemple sur Venise soit terrible. Après une trahison aussi horrible, je ne vois plus d'autre parti que de détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire, et d'effacer le nom vénitien de dessus la surface du globe. Il fa ut que le noble amiral, qui présidé à l'assassinat de Laugier, soit publiquement justicié. Il faut le sang de tous les nobles vénitiens pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait égorger.

Dès l'instant que je serai arrivé à Trévise, j'empêcherai qu'aucun Vénitien ne vienne en terre ferme, et je ferai travailler à des radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes, et chasser de Venise même ces nobles, nos ennemis irréconciliables, et les plus vils de tous les hommes. Je vous écris à la hâte ; mais dès l'instant que j'aurai recueilli tous les matériaux, je ne manquerai pas de vous faire passer, dans le plus grand détail, l'histoire de ces conspirations aussi perfides que les Vêpres siciliennes.

L'évêque de Vérone a prêché la semaine sainte et le jour de Pâques, que c'était une chose méritoire et agréable à Dieu que de tuer les Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement[32].

 

Le Directoire approuva toutes les dispositions que le général en chef avait faites pour assurer le salut de son armée, et l'autorisa à prendre les mesures qu'il jugerait les plus efficaces pour mettre le perfide gouvernement vénitien dans l'impuissance de commettre de nouveaux attentats. Il ne pensait pas qu'il fût nécessaire de lui déclarer la guerre, les hostilités qu'il avait commises autorisant le général en chef à prendre toutes les mesures de rigueur qu'exigeait l'exécution des préliminaires de paix[33].

Pour justifier la ruine de l'oligarchie vénitienne qu'il avait hautement jurée, Bonaparte lança de Palma-Nova son manifeste contre elle, le 13 floréal (2 mai) ; il le fit imprimer à mille exemplaires, et en ordonna l'envoi au gouvernement de Milan, pour être traduit en italien, et répandu partout. Il était ainsi conçu :

Pendant que l'armée française est engagée dans les gorges de la Styrie, et laisse loin derrière elle l'Italie et les principaux établissements de l'armée, où il ne reste qu'un petit nombre de bataillons, voici la conduite que tient le gouvernement de Venise :

1° Il profite de la semaine sainte pour armer 4o.000 paysans, y joint dix régiments d'Esclavons, les organise en différents corps d'armée, et les poste aux différents points pour intercepter toute communication entre l'armée et ses derrières.

2° Des commissaires extraordinaires, des fusils, des munitions de toute espèce, une grande quantité de canons sortent de Venise même, pour achever l'organisation des différents corps d'armée.

3° On fait arrêter, en terre ferme, ceux qui nous ont accueillis ; on comble de bienfaits et de toute la confiance du gouvernement tous ceux en qui l'on connaît une haine furibonde contre le nom français, et spécialement les quatorze conspirateurs de Vérone, que le provéditeur Prioli avait fait arrêter, il y a trois mois, comme ayant médité l'égorgement des Français.

4° Sur les places, dans les cafés et autres lieux publics de Venise, on insulte et on accable de mauvais traitements tous les Français, les appelant du nom injurieux de jacobins, de régicides, d'athées : les Français doivent sortir de Venise, et peu après il leur est même défendu d'y entrer.

5° On ordonne au peuple de Padoue, de Vicence, de Vérone, de courir aux armes, de seconder les différents corps d'armée, et de commencer enfin ces nouvelles Vêpres siciliennes. Il appartenait au lion de Saint-Marc, disent les officiers vénitiens, de vérifier le proverbe que l'Italie est le tombeau des Français.

6° Les prêtres en chaire prêchent la croisade, et les prêtres, dans l'Etat de Venise, ne disent jamais que ce que veut le gouvernement. Des pamphlets, des proclamations perfides, des lettres anonymes sont imprimés dans différentes villes et commencent à faire fermenter toutes les têtes, et dans un État où la liberté de la presse n'est pas permise, dans un gouvernement aussi craint que secrètement abhorré, les imprimeurs n'impriment, les auteurs ne composent que ce que veut le sénat.

7° Tout sourit d'abord aux projets perfides du gouvernement ; le sang français coule de toutes parts ; sur toutes les routes on intercepte nos convois, nos courriers et tout ce qui tient à l'armée.

8° A Padoue, un chef de bataillon et deux autres Français sont assassinés. A Castiglione de Mori, nos soldats sont désarmés et assassinés. Sur toutes les grandes routes de Mantoue à Legnago, de Cassano à Vérone, nous avons plus de 200 hommes assassinés.

9° Deux bataillons français veulent rejoindre l'armée, rencontrent à Chiari une division de l'armée vénitienne, qui veut s'opposer à leur passage ; un combat s'engage, et nos braves soldats se font un passage en mettant en déroute ces perfides ennemis.

10° A Valeggio il y a un autre combat ; à Dezenzano, il faut encore se battre : les Français sont partout peu nombreux ; mais ils savent bien qu'on ne compte pas le nombre des bataillons ennemis, lorsqu'ils ne sont composés que d'assassins.

11° La seconde fête de Pâques, au son de la cloche, tous les Français sont assassinés dans Vérone. On ne respecte ni les malades dans les hôpitaux, ni ceux qui, en convalescence, se promènent dans les rues, et qui sont jetés dans l'Adige, ou meurent percés de mille coups de stylets : plus de 400 Français sont assassinés[34].

12° Pendant huit jours, l'armée vénitienne assiège les trois châteaux de Vérone : les canons qu'ils mettent en batterie leur sont enlevés à la baïonnette ; le feu est mis dans la ville, et la colonne mobile qui arrive sur ces entrefaites met ces lâches dans une déroute complète, en faisant 3.000 hommes de troupes de ligne prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux vénitiens.

13° La maison du consul français de Zante est brûlée dans la Dalmatie.

14° Un vaisseau de guerre vénitien prend sous sa protection un convoi autrichien, et tire plusieurs boulets contre la corvette la Brune.

15° Le Libérateur de l'Italie, bâtiment de la République, ne portant que trois à quatre petites pièces de canon, et n'ayant que quarante hommes d'équipage, est coulé à fond dans le port même de Venise et par les ordres du sénat. Le jeune et intéressant Laugier, lieutenant de vaisseau, commandant ce bâtiment, dès qu'il se voit attaqué par le feu du fort et de la galère amiral, n'étant éloigné de l'un et de l'autre que d'une portée de pistolet, ordonne à son équipage de se mettre à fond de cale : lui seul, il monte sur le tillac au milieu d'une grêle de mitraille, et cherche, par ses discours, à désarmer la fureur de ses assassins, mais il tombe roide mort ; son équipage se jette à la nage, et est poursuivi par six chaloupes montées par des troupes soldées par la république de Venise, qui tuent à coups de hache plusieurs de ceux qui cherchaient leur salut dans la haute mer. Un contremaître, blessé de plusieurs coups, affaibli, faisant sang de tous côtés, a le bonheur de prendre terre à un morceau de bois touchant au château du port ; mais le commandant lui-même lui coupe le poignet d'un coup de hache.

Vu les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre 12, art. 328 de la constitution de la République, et vu l'urgence des circonstances :

Le général en chef requiert le ministre de France près la république de Venise de sortir de ladite ville ; ordonne aux différents agents de la république de Venise dans la Lombardie et dans la terre ferme vénitienne de l'évacuer sous vingt-quatre heures.

Ordonne aux différents généraux de division de traiter en ennemies les troupes de la république de Venise, de faire abattre, dans toutes les villes de la terre ferme, le lion de Saint-Marc. Chacun recevra, à l'ordre du jour de demain, une instruction particulière pour les opérations militaires ultérieures.

 

 

 



[1] Lettre du 20 ventôse (10 mars).

[2] Lettre de Bonaparte, du 21 ventôse (11 mars).

[3] Lettre du 27 ventôse.

[4] Et saisissant le bras de Pesaro, il ajouta : Il n'y a plus de milieu désormais. si vous prenez le parti des armes, la république de Venise ou l'armée d'Italie est perdue. Ainsi songez bien au parti que vous allez prendre. N'exposez pas le lion valétudinaire de Saint-Marc contre la fortune d'une armée qui trouverait dans ses dépôts et dans ses blessés de quoi traverser vos lagunes. Histoire de Venise, Daru, tome V, page 552.

[5] Lettre de Goritz, du 4 germinal (24 mars).

[6] Histoire d'Italie, Botta, tome II, page 329.

[7] Lettres de Bassal, 21 vendémiaire, et de Bonaparte, du 25 brumaire, au VI (12 octobre et 15 décembre).

[8] Daru, tome V, page 553.

[9] Lettre du 14 germinal (3 avril).

[10] Lettre du 14 germinal (3 avril).

[11] Lettre du 16 germinal (5 avril).

[12] Lettre de Bonaparte, du 16 germinal (5 avril).

[13] Lettre de Bonaparte, du 16 germinal (5 avril).

[14] Daru, tome V, page 563.

[15] Lettre de Balland à Bonaparte, 18 germinal.

[16] Daru, tome V, page 597.

[17] Lettre du 20 germinal (9 avril).

[18] Proclamation du 20 germinal (9 avril).

[19] Lettre du 20 germinal an V.

[20] Lettre du 20 germinal.

[21] Lettre du 20 germinal.

[22] Daru, tome V, page 577.

[23] Ce n'était pas la première fois que les hommes d'état de Venise faisaient cette observation qui déposait de leur tact. Les commissaires Bataglia et Erizzo avaient déjà dit dans le rapport de leur conférence avec Bonaparte, le 5 juin : Tout cela nous autorise à penser, non-seulement que cet homme est doué de beaucoup de talent pour les affaires politiques, mais qu'il doit avoir un jour une grande influence dans son pays.

[24] Il y en avait plus de 3.000. Les inquisiteurs avaient défendu de nettoyer le canal où ils avaient coutume de noyer les criminels. Lettre de Bonaparte au Directoire, 11 floréal (30 avril).

[25] Il demanda l'expulsion du ministre anglais qui avait fomenté tous les troubles, et qui depuis les assassinats se promenait le lion de Saint-Marc à sa gondole et la cocarde vénitienne à son chapeau ; que l'on remît la succession Thierry évaluée à 20.000.000 et toutes les marchandises anglaises. Lettre de Bonaparte au Directoire, Il floréal.

[26] Lettre du 11 floréal (30 avril).

[27] Montholon, tom. IV, page 146.

[28] Botta, tom. II, page 374.

[29] Daru, tom. V, page 578.

[30] Lettre du 11 floréal.

[31] La lettre avait été sans doute écrite avant l'entrevue.

[32] Lettre du 11 et 14 floréal.

[33] Lettre du 17 et 23 floréal.

[34] Les podestats Ottolini et Mocenigo avaient un arrangement fait avec les voleurs et les assassins. Les voleurs donnaient la moitié de leur butin aux podestats, un quart au chef des sbires, et gardaient l'autre quart. Les assassins faisaient leur marché d'avance et obtenaient le droit de tuer en payant aux podestats une somme proportionnée à l'importance de la victime. (Rapport de Kilmaine à Bonaparte, 19 floréal).