HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ITALIE. - TOME SECOND

 

CHAPITRE XVIII.

 

 

Ouverture de la campagne. — Passage de la Piave. — Bataille du Tagliamento. — Combat et prise de Gradisca. — Prise de Goritz et Trieste. —Combat de Tarvis. — La division Bayalitsch met bas les armes. — La Carniole et la Carinthie conquises. — Opérations de Joubert dans le Tyrol. — Passage et combat de Lawis, de Tramin, de Clausen, de Mittenwald. — Communications de Bonaparte avec Joubert. — Il manœuvre pour se réunir à l'armée, et la rejoint à Villach. — Bonaparte, à vingt lieues de Vienne, offre la paix. — Elle est refusée. — Combat de Neumarck. — Occupation de Judenbourg. — Arrivée de parlementaires autrichiens. — Suspension d'armes. — Motifs de Bonaparte. — L'armée prend des cantonnements ; quartier-général de Leoben. — Négociations Préliminaires de paix. — Raisons qui décidèrent Bonaparte ; il demande à rentrer en France. — Les armées de Rhin-et-Moselle et de Sambre-et-Meuse ouvrent la campagne ; sont arrêtées par les préliminaires. — Bonaparte impute à l'inaction de ces armées l'inexécution de ses plans. — Ratification des préliminaires par l'empereur et le Directoire. — Il invite Bonaparte à rester en Italie.

 

On a déjà vu que la négociation d'un armistice avec la cour de Vienne n'avait produit aucun résultat. Après la reddition de Mantoue, Clarke fit une seconde tentative ; il se rendit à Florence, vit le grand duc, et ne fut pas plus heureux. On lui répondit que l'Autriche ne pouvait entendre parler de paix sans le concours de son allié, c'est-à-dire l'Angleterre.

C'était donc un congrès que voulait la cour de Vienne. Bonaparte pensait que tant qu'elle aurait l'espoir de l'obtenir, elle n'entendrait jamais des propositions de paix séparée ; qu'on ne porterait jamais la cour de Vienne à entrer en négociation qu'autant qu'on se prononcerait décidément contre l'ouverture d'un congrès qui, par la lenteur des formes, ne pourrait pas empêcher la campagne qui allait s'ouvrir, et qu'on aurait désiré d'éviter par un esprit d'humanité et de philosophie, qui malheureusement n'était pas partagé[1].

Du reste, au point où en étaient les choses, ce que devait ambitionner Bonaparte, à la tête d'une belle armée, c'était de continuer la guerre, bien persuadé qu'on n'obtiendrait une paix glorieuse qu'après avoir battu l'armée de l'archiduc Charles, et porté l'épouvante dans la capitale de l'Autriche.

L'armée de l'archiduc était forte de 50.000 hommes, dont 15.000 dans le Tyrol et 35.000 dans le Frioul. Il fallait encore un mois aux divisions du Rhin pour la rejoindre. L'armée française en ligne était à peu près de la même force et répartie dans les mêmes proportions. Les trois divisions Delmas, Baraguay-d'Hilliers et Joubert étaient sous le commandement de ce dernier général dans le Tyrol. Les divisions Masséna, Serrurier, Guyeux — auparavant Augereau —, Bernadotte, et la division de cavalerie de Dugua étaient réunies dans le Bassanais et le Trévisan, tenant des avant-postes le long de la rive droite de la Piave.

Bonaparte porta son quartier-général à Bassano. Avant de commencer cette. sixième campagne, il adressa le 20 ventôse (10 mars) à son armée cette proclamation dans laquelle il lui retraçait avec autant de fidélité que d'énergie les glorieux résultats des campagnes précédentes.

La prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie.

Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats ; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre, quatre équipages de pont.

Les contributions mises sur le pays que vous avez conquis ont nourri, entretenu, soldé l'armée pendant toute la campagne ; vous avez en outre envoyé trente millions au ministre des finances pour le soulagement du trésor public.

Vous avez enrichi le muséum de Paris de plus de trois cents objets, chefs-d'œuvre de l'ancienne et de la nouvelle Italie, et qu'il a fallu trente siècles pour produire.

 Vous avez conquis à la République les phis Jolies contrées de l'Europe, les Républiques lombarde et cispadane vous doivent leur liberté ; les couleurs françaises flottent, pour la première fois,  sur les bords de l'Adriatique, en face et à vingt-quatre heures de navigation de l'ancienne Macédoine ; les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme se sont détachés de la coalition de nos ennemis et ont brigué notre amitié ; vous avez chassé les Anglais de Livourne, de Gènes, de la Corse..... mais vous n'avez pas encore tout achevé, une grande destinée vous est réservée : c'est en vous que la patrie met ses plus chères espérances ; vous continuerez à en être dignes.

De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer la République, à sa naissance, l'empereur seul reste devant nous. Se dégradant lui-même du rang d'une grande puissance, ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres ; il n'a plus de politique, de volonté, que celle de ces insulaires perfides, qui, étrangers aux malheurs de la guerre, sourient avec plaisir aux maux du continent.

Le Directoire exécutif n'a rien épargné pour donner la paix à l'Europe : la modération de ses propositions ne se ressentait pas de la force de ses armées ; il n'avait pas consulté votre courage, mais l'humanité et l'envie de vous faire rentrer dans vos familles ; il n'a pas été écouté à Vienne ; il n'est donc plus d'espérances pour la paix, qu'en allant la chercher dans le cœur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Vous y trouverez un brave peuple accablé par la guerre qu'il a eue contre les Turcs, et par la guerre actuelle. Les-habitants de Vienne et des états de l'Autriche gémissent sur l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement ; il n'en est pas un qui ne soit convaincu que l'or de l'Angleterre a corrompu les ministres de l''empereur. Vous respecterez leur religion et leurs mœurs, vous protégerez leurs propriétés ; c'est la liberté que vous apporterez à la brave nation hongroise.

La maison d'Autriche, qui, depuis trois siècles, va perdant à chaque guerre une partie de sa puissance, qui mécontente ses peuples, en les dépouillant de leurs privilèges, se trouvera réduite à la fin de cette sixième campagne — puisqu'elle nous contraint à la faire — à accepter la paix que nous lui accorderons, et à descendre, dans la réalité, au rang des puissances secondaires, où elle s'est déjà placée en se mettant aux gages de l'Angleterre.

 

On verra bientôt les faits justifier cette prophétie et ce ton d'assurance.

Masséna, formant la gauche du corps de bataille destiné à marcher sur le Frioul, fut chargé de culbuter le petit corps de Lusignan, et de gagner les montagnes pour tourner le flanc droit des Autrichiens, pendant que les trois autres divisions attaqueraient leur ligne de front. Le- 20, au matin, il marcha sur Feltre ; à son approche, les ennemis abandonnèrent la ligne de Cordevole et se retirèrent sur Bellune. Serrurier se porta à Assois, assailli par un temps horrible. Mais, écrivait Bonaparte au Directoire[2], le vent et la pluie, à la veille d'une bataille, ont toujours été pour l'armée d'Italie un présage de bonheur. Le 23, au point du jour, Serrurier passa la Piave vis-à-vis San-Vito, et malgré la rapidité et la profondeur de l'eau, ne perdit qu'un jeune tambour. Le chef d'escadron Lasalle, avec un détachement de cavalerie, et l'adjudant-général Leclerc, à la tête de la 21e légère, culbutèrent le corps ennemi qui disputait le passage, et le poursuivirent jusqu'à San-Salvator. Au premier avis du passage de la Piave, l'ennemi évacua son camp de la Capanna. Guyeux, à deux heures après midi, passa cette rivière à Ospedaletto et arriva le soir à Conegliallo. Un soldat, entraîné par le courant, était sur le point de se noyer ; une femme attachée à la 51e demi-brigade se jeta à la nage et le sauva ; le général en chef lui fit présent d'un collier d'or, auquel fut suspendue une couronne civique avec le nom du soldat[3].

Guyeux, marchant sur Sacile, tomba sur l'arrière-garde ennemie, lui fit cent prisonniers, malgré l'obscurité de la nuit. Dans cet engagement, le général Dugua fut légèrement blessé. Un corps de hulans demanda à capituler ; le chef d'escadron Siebeck s'avança pour leur faire mettre bas les armes, et fut tué d'un coup de pistolet. On dit que les cavaliers français, justement indignés de cette trahison, chargèrent les hulans et les massacrèrent. Pendant ce temps-là Masséna arrivait à Bellune, poursuivant l'ennemi du côté de Cadore, atteignait, à Longaro, son arrière-garde, l'enveloppait et faisait 700 prisonniers, parmi lesquels le général Lusignan. Il demanda d'être renvoyé sur sa parole d'honneur de ne pas servir contre les Français jusqu'à son échange. Le général en chef ordonna qu'il fût conduit en France, sans pouvoir être échangé, pour s'être couvert d'opprobre par la conduite qu'il avait tenue à Brescia envers des malades républicains[4].

Le 24, Masséna se rabattit sur Spilimbergo avec l'intention de tomber sur la droite de l'armée autrichienne ; Serrurier campa à Porto-Buffole ; Guyeux occupa Pordenone. L'effet de ce mouvement fut d'obliger l'archiduc à réunir ses forces sur la rive gauche du Tagliamento.

Le 26, à neuf heures du matin, les deux armées se trouvèrent en présence ; l'armée française en avant de Valvasone, sur la rive droite, Guyeux formant la gauche, Serrurier le centre, et Bernadotte la droite. L'armée autrichienne était rangée dans le même ordre sur la rive opposée. Bonaparte, après avoir reconnu la position, ordonna à Guyeux de se porter sur la gauche, entre Torrida et Rivis, et à Bernadotte de descendre vis-à-vis de Codroipo, pour passer la rivière, chacun sous la protection de douze pièces d'artillerie. Serrurier était en réserve, précédé de la cavalerie rangée en bataille derrière la droite. Arrivés aux points indiqués, Guyeux et Bernadotte disposèrent leurs divisions en colonnes : chaque demi-brigade ayant ses premier et troisième bataillons ployés en colonne serrée sur les ailes du deuxième : l'avant-garde de chacune d'elles était formée par une demi-brigade d'infanterie légère déployée, soutenue de deux bataillons de grenadiers serrés en masse sur ses ailes, derrière lesquels s'avançait un régiment de cavalerie. Alors s'engagea une vive canonnade et le feu de nombreux tirailleurs.

Le général Duphot, à la tête de la 27e légère, se jeta dans la rivière et fut bientôt de l'autre côté. Le général Bon le soutint avec les grenadiers de la division Guyeux ; le général Murat fit le même mouvement sur la droite ; toute la ligne s'ébranla, marchant avec ensemble et précision et une attitude fière et majestueuse. La cavalerie ennemie essaya, mais sans succès, de charger l'infanterie française à mesure qu'elle sortait de l'eau. Le général Schutz, commandant cette cavalerie, chercha à déborder le flanc droit de Bernadotte ; le général en chef envoya à sa rencontre le général Dugua et l'adjudant-général Kellermann avec la cavalerie de réserve, soutenus par une colonne d'infanterie aux ordres de l'adjudant-général Muireur : ils culbutèrent la cavalerie ennemie et prirent son général. Alors les Autrichiens précipitèrent leur retraite ; pour la couvrir, une partie de leur infanterie tint dans le village de Gradisca. Malgré l'obscurité, Guyeux l'attaqua, s'en empara, et poursuivit l'ennemi sur la route de Palma-Nova, à trois ou quatre milles du champ de bataille sur lequel les Français bivouaquèrent. Leur succès fut dû à la promptitude de leur déploiement et de leurs manœuvres, et à la supériorité de leur artillerie. Les Autrichiens perdirent dans cette journée six pièces de canon et 500 hommes. Kellermann reçut plusieurs coups de sabre en chargeant à la tête de la cavalerie avec son courage ordinaire[5].

Le même jour Masséna exécuta le passage de la rivière à Saint-Daniel, éprouva peu de résistance, et s'empara d'Osopo, clé de la chaussée de la Ponteba, que l'ennemi avait négligée. L'archiduc, ne pouvant plus se retirer par la Carinthie, se résolut à gagner cette chaussée par Udine, Cividale, Caporetto, la Chiusa autrichienne et Tarwis. Il y dirigea trois divisions et ses parcs sous les ordres de Bayalitsch, et, avec le reste de son armée, se porta sur les villes de Palma-Nova et Gradisca pour défendre l'Izonzo et couvrir la Carniole.

Le 28, la division Bernadotte partit à trois heures du matin et marcha sur Palma-Nova, ville vénitienne, où l'archiduc avait eu l'intention de s'établir ; mais il évacua cette place à l'approche des Français ; ils y trouvèrent des magasins. Bonaparte la fit de suite approvisionner et mettre en état de défense : ses troupes prirent ce jour-là position sur le Torre. Le 29 elles passèrent ce torrent et arrivèrent devant Gradisca. Tandis que Bernadotte investissait la place du côté de Palma-Nova, Serrurier se portait à San-Vito pour passer l'Izonzo et remonter la rive gauche, afin d'investir aussi la place de ce côté. Quelques troupes ennemies défendaient le passage ; le chef de brigade d'artillerie, Andréossy, chargé par le général en chef de reconnaître si la rivière était guéable, s'y précipita de sa personne, la passa et la repassa. Les troupes furent disposées en colonnes serrées, et exécutèrent le passage presque sans opposition, les Autrichiens s'étant repliés en toute hâte, abandonnant Gradisca à ses propres forces. Pendant ce temps-là, Bernadotte, pour occuper la garnison, fit attaquer les retranchements ennemis ; mais les soldats, emportés par leur ardeur, marchèrent la baïonnette en avant jusque sous les murs de la place, où ils furent reçus par la fusillade et la mitraille. Bernadotte fit avancer quatre pièces de canon pour enfoncer les portes ; elles étaient couvertes par une flèche bien retranchée[6]. Cependant Serrurier parut sur les hauteurs qui dominent la place. Bernadotte somma le commandant, qui, n'ayant plus l'espoir de se défendre ou de s'échapper, capitula et se rendit prisonnier avec 3.000 hommes, dix pièces de canon, huit drapeaux[7].

Maître de Gradisca, Bonaparte se dirigea sur Goritz avec les divisions Serrurier et Bernadotte, entra dans cette ville le 1er germinal, et adressa au peuple de cette province la proclamation suivante :

Une frayeur injuste a devancé l'armée française. Nous ne venons ici ni pour vous conquérir, ni pour changer vos mœurs et votre religion : la république française est l'amie de toutes les nations ; malheur aux rois qui ont la folie de lui faire la guerre !

Prêtres, nobles, bourgeois, peuple, qui formez la population de la province de Goritz, bannissez vos inquiétudes, nous sommes bons et humains. Vous vous apercevrez de la différence des procédés d'un peuple libre d'avec ceux des cours et des ministres des rois.

Vous ne vous mêlerez pas d'une querelle qui n'est pas la vôtre, et je protégerai vos personnes, vos propriétés et votre culte ; j'augmenterai vos privilèges et je vous restituerai vos droits. Le peuple français attache plus de prix à la victoire par les injustices qu'elle lui permet de réparer, que par la vaine, gloire qui lui en revient.

 

Un arrêté conforme à ces promesses maintint l'exercice du culte, les lois civiles et criminelles, et substitua aux autorités un gouvernement central composé de quinze personnes du pays.

Les Français trouvèrent dans Goritz 1500 malades autrichiens, des magasins de vivres et de munitions de guerre.

Le général Dugua, avec mille chevaux, prit possession de Trieste. Nous sommes, écrivit Bonaparte[8], maîtres des célèbres mines d'Idria ; nous y avons trouvé des matières préparées pour deux millions. On va s'occuper à les transporter : si cette opération se fait sans accident, elle sera fort utile à nos finances.

Le général en chef laissa à Bernadotte le soin de poursuivre la colonne autrichienne qui se retirait sur Laybach, et fit remonter l'Izonzo à la division Serrurier par Canale sur Caporetto, où Guyeux, parti de Cividale, se rendait en même temps par Pufero et la vallée du Natisone. Ce mouvement avait pour but de se rallier vers Tarwis, à Masséna, et d'y prévenir l'arrivée des divisions que l'archiduc avait détachées dans cette direction.

Le 30 ventôse, Masséna s'était emparé de la Chiusa vénitienne, avait forcé le passage du pont de Casasola, et le 1er germinal était entré à Ponteba, d'où il avait poursuivi la brigade Oskay jusqu'au-delà de Tarwis, après lui avoir fait 600 prisonniers des régiments nouvellement venus du Rhin, et s'être emparé de ses magasins. Une division ennemie, partie de Klagenfurth, vint pour déloger Masséna de Tarwis. Après un combat extrêmement opiniâtre, il la mit en déroute, et lui fit beaucoup de prisonniers, parmi lesquels trois généraux. Le combat de Tarwis, écrivit Bonaparte[9], s'est donné au-dessus des nuages, sur une sommité qui domine l'Allemagne et la Dalmatie ; dans plusieurs endroits de notre ligne il y avait trois pieds de neige, et la cavalerie, chargeant sur la glace, a essuyé des accidents dont les résultats ont été extrêmement funestes à la cavalerie ennemie.

De son côté, Guyeux, rencontrant le corps de Bayalitsch retranché à Pufero, l'attaqua, lui prit deux pièces de canon, une centaine de prisonniers, et le poursuivit dans les gorges de Caporetto. Arrivés à ta Chiusa di Pletz, les Autrichiens se crurent sauvés ; ils ignoraient que Masséna occupait Tarwis. La Chiusa était un poste fortement retranché ; Bayalitsch y laissa 500 hommes avec le général Koblos, et continua sa route. L'infanterie française gravit sur les rochers qui dominent la Chiusa, tandis que les généraux Bon et Verdier forçaient la route.

Koblos et son corps mirent bas les armes. Par le droit de la guerre, écrivit Bonaparte[10], les 500 hommes devaient être passés au fil de l'épée ; mais ce droit barbare a toujours été méconnu et jamais pratiqué par l'armée française.

Bayalitsch, voyant la Chiusa prise, accéléra sa marche et tomba au milieu de la division Masséna, qui avait poussé des troupes jusqu'à Raibl. Prise en tête et en queue, la colonne autrichienne, après un léger combat, capitula : 4 à 5000 hommes, quatre généraux, trente pièces de canon, 400 chariots portant les bagages de l'armée, tombèrent au pouvoir des Français.

L'armée victorieuse alla prendre position à Villach, sur les bords de la Drave. Le 8 germinal, le& divisions Masséna, Guyeux et Serrurier s'y trouvèrent réunies. Le 9, Masséna se mit en marche sur Klagenfurth, qu'occupaient les divisions autrichiennes de Kaim et de Mercantin, arrivées du Rhin. A une lieue de cette ville il s'engagea un combat où l'ennemi perdit deux pièces de canon et 200 prisonniers. Le soir même Masséna entra dans la capitale de la Carinthie. Bernadotte était à Laybach. Le prince Charles fuyait avec les débris de son armée, en proie à un extrême découragement. Depuis le commencement de la campagne, il avait perdu environ 20.000 hommes.

Les habitants de la Carniole et de la Carinthie, écrivit Bonaparte[11], ont pour le ministère de Vienne et d'Angleterre un mépris qui ne se conçoit pas ; la nation anglaise accapare tellement la haine et l'exécration du continent, que je crois que, si la guerre dure encore quelque temps, les Anglais ne seront plus reçus nulle part. Voilà donc les ennemis entièrement chassés des États de Venise : la haute et la basse Carniole, la Carinthie, le district de Trieste et tout le Tyrol soumis aux armes de la République.

Avant de suivre dans sa marche ultérieure le centre et l'aile droite de l'armée française, portons nos regards sur les opérations de l'aile gauche commandée par Joubert. On a vu les instructions que Bonaparte lui avait données le 28 pluviôse. Elles se réduisaient au meilleur système de défense du Tyrol : mais un mois après, et quand ses premiers succès lui eurent donné l'espérance de chasser bientôt les, Autrichiens au-delà des Alpes, il fit adresser par Berthier de nouvelles instructions à Joubert, d'après lesquelles il devait s'emparer de Brixen et rejeter l'ennemi au-delà du Brenner, afin d'entrer ensuite en communication avec le corps de bataille de l'armée d'Italie, au moyen d'éclaireurs poussés de part et d'autre dans la vallée de la Drave.

Bonaparte regardait avec raison le Tyrol comme un des plus fermes boulevards de l'empire d'Autriche, et le peuple valeureux de ce pays comme un des plus dangereux encore plus peut-être par sa haine pour l'étranger que par son dévouement à ses maîtres. Pour y faciliter l'invasion, il fallait donc en adoucir autant que possible les charges ; confirmer par une proclamation les lois et autorités existantes, ordonner la continuation de l'exercice public du culte ; beaucoup cajoler les prêtres, et chercher à se faire un parti parmi les moines, en ayant soin de bien distinguer les théologiens et les autres savants qui pouvaient exister parmi eux ; parler en bien de l'empereur, dire beaucoup de mal de ses ministres et de ceux qui le conseillaient ; ordonner que tous les Tyroliens qui étaient au service de l'empereur rentrassent chez eux, et leur assurer la protection et la sauvegarde de la République ; dès l'instant qu'on serait maître de Brixen et de tous les pays en deçà des hautes montagnes, y établir une commission de gouvernement, à laquelle on donnerait le nom et l'organisation consacrés dans le pays, et qui serait chargée de lever toutes les impositions qui se percevaient pour le compte de l'empereur, et de les verser, sous sa responsabilité, dans la caisse de l'armée ; ne prendre ni les monts-de-piété, ni les caisses qui appartiendraient aux villes, mais seulement les caisses et magasins appartenant à l'empereur ; enfin avoir beaucoup d'aménité et chercher à se concilier les habitants ; exécuter avec rigueur le désarmement, prendre des otages dans les endroits où on le croirait nécessaire, et mettre des impositions en forme de contributions sur les villages qui se conduiraient mal, et où il y aurait eu des soldats français assassinés.

Telles furent les sages dispositions de l'instruction particulière que Bonaparte adressa encore à Joubert le 25 ventôse.

Ce général avait devant lui les corps de Kerpen et de Laudon, séparés par l'Adige : le premier, cantonné en arrière du Lawis dans les vallées de Fiémene et de Cavalese, se liait avec l'armée de l'archiduc, à Bellune, par les gorges du Cordevole et de la Piave ; l'autre, réparti le long de la rive gauche de la Noss, depuis son confluent jusqu'à l'Adige, prolongeait son extrême droite à Ponte-di-Legno dans le val di Sole.

Le 30 ventôse, Joubert se mit en mouvement avec ses trois divisions pour attaquer toute la ligne des Autrichiens, et dirigea l'effort principal sur leur gauche. Son but était de prévenir à Botzen leur droite, et d'isoler leurs deux ailes déjà séparées par l'Adige. Belliard passa le Lawis sous le feu des avant-postes, marcha contre le corps de Kerpen ? après un combat opiniâtre il fut culbuté et se retira dans la direction de Botzen, laissant Laudon sur la rive droite de l'Adige, et après avoir perdu 2.000 hommes tués, en grande partie chasseurs tyroliens, 4.000 prisonniers, trois pièces de canon et deux drapeaux[12].

Joubert se porta, le 1er germinal, sur Solurn, et envoya Belliard sur Neumarck pour s'emparer du pont. L'ennemi se retira au-delà de cette ville. Le 2, Laudon voulant rétablir ses communications avec Kerpen s'approcha de Neumarck pour attaquer. Belliard marcha à sa rencontre et repoussa les Autrichiens jusque sur St.-Valentin où le combat devint opiniâtre. Dumas, commandant la cavalerie, déboucha du pont de Neumarck, se précipita dans le village de Tramin, chargea la colonne autrichienne et la culbuta. Elle laissa 600 prisonniers et deux pièces de canon. Laudon se retira dans la vallée de Méran ; les Français entrèrent dans Botzen. Joubert y laissa Delmas avec environ 5.000 hommes pour observer la vallée de l'Adige où était le foyer de l'insurrection, et marcha, le 3, sur Clausen. Profitant de la position avantageuse que lui offrait le pays, Kerpen avait fait les meilleures dis. positions, et attendait de pied ferme derrière un défilé défendu par l'artillerie. L'attaque fut vive, bien concertée, le combat des plus opiniâtres, et le succès longtemps incertaine A la chute du jour, l'infanterie légère escalada des rochers presque inaccessibles, et fit rouler des blocs énormes sur les Autrichiens ; Joubert marcha contre leur centre avec les 11e et 32e demi-brigades en colonne serrée, les enfonça, les força à la retraite et leur fit 1.500 prisonniers. Le lendemain il entra dans Brixen. Dans cette ville comme à Botzen on trouva des magasins de toute espèce dont l'armée avait grand besoin.

Après cet échec, Kerpen s'établit à Mittenwald. Joubert l'y attaqua le 8. Des bataillons fraîchement arrivés du Rhin firent d'abord résistance ; mais une courte canonnade et une charge de la 85e demi-brigade dirigée par Belliard décidèrent l'affaire. L'ennemi se retira harcelé par la cavalerie de Dumas, et laissa 100 morts, 600 prisonniers, deux pièces de canon et des équipages. Bonaparte demanda au Directoire une paire de pistolets de Versailles pour Dumas qui avait perdu les siens ayant eu un cheval tué sous lui. Outre ce général, il cita avec éloge Belliard et le chef de brigade de la 85e, Gaspard-Lavisé.

Kerpen évacua Sterzing et se retira sur le Brenner. Que fera Joubert ? Cédant à l'entraînement de ses succès, franchira-t-il cette dernière barrière qui couvre la capitale du Tyrol, et se portera-t-il sur Insprück où l'alarme publique annonce déjà son arrivée, pour se lier ensuite à l'armée du Rhin ? Mais il n'a point de nouvelles de cette armée ; dans le fait, Moreau n'a point encore quitté ses cantonnements ; cette marche serait contraire aux instructions de Bonaparte. Conformément à ce qu'elles lui prescrivent, Joubert se portera-t-il par le Pusterthal pour se joindre sur la chaussée de la Carinthie à l'armée française ? mais il ignore ses victoires et sa situation. Dans cette incertitude, il juge prudent de s'arrêter et d'attendre. Comme le feu de l'insurrection s'est propagé autour de lui, il réunit ses forces, et prend position à Brixen.

Kerpen revint à Sterzing et à Mittenwald. Les 11 et 13 il y eut des engagements très-vifs. Le 10, Bonaparte avait envoyé vers Joubert l'aide-de-camp Lavalette à la tête d'une soixantaine de cavaliers ; il arriva jusqu'à Lienz ; les habitants s'insurgèrent ; le détachement fut obligé de se retirer ; il ne perdit qu'un seul homme, grâce au sang-froid et à l'intrépidité de l'officier qui commandait. Le chef de brigade Eberlé de la 85e ayant, à l'aide d'un déguisement, pénétré dans la vallée de la Drave, revint apprendre à Joubert les progrès du général en chef ; dès lors il se décida à marcher sur Lienz pour faire sa jonction. Le général Zayonschek occupa ensuite cette ville avec quelques escadrons, la désarma et la punit de sa conduite envers Lavalette.

Joubert réunit toutes ses forces à Brixen, laissa le général Serviez avec 1.200 hommes et l'ordre de reprendre ses positions sur le Lawis pour couvrir l'Italie ; et, le 16, marcha sur Pruneken, après avoir brûlé les ponts de l'Eisach. Ayant ainsi échappé aux deux corps autrichiens, il remonta la Rient jusqu'au col de Tolbach, atteignit les sources de la Drave, descendit à Lienz, et continua sa route jusqu'à Villach, ramenant 12.000 hommes et 7.000 prisonniers qu'il avait faits dans les divers combats. A son arrivée, le 19, il se présenta chez le général en chef et força la sentinelle. Au bruit qu'il entend, Bonaparte sort, voit Joubert, lui tend les bras, et dit au soldat : Va, le brave Joubert qui a forcé le Tyrol, a bien pu forcer ta consigne. Le corps de ce général forma la gauche de l'armée.

Dans tous les plans de campagne que Bonaparte avait tracés pour l'armée d'Italie, avant qu'il en eût reçu le commandement et depuis qu'on le lui avait confié, il n'avait jamais cessé d'indiquer Vienne comme le terme de la campagne, et le seul point où l'on pût dicter la paix. Elle allait se réaliser cette conclusion audacieuse de son mémoire au comité de salut public, battre enfin, l'ennemi pour la dernière fois et conclure la paix sous les murs de Vienne étonnée. Alors que Bonaparte osait prononcer cet arrêt de l'Autriche, l'armée française était encore sur ses propres frontières au pied des Alpes, en proie à tous les besoins, séparée de cette capitale par des armées plus nombreuses, des fleuves, des montagnes, une quantité de places fortes ; un an après, tous les obstacles réunis de l'art et de la nature étaient franchis ou vaincus. Jamais campagne antique ou moderne ne fut signalée par des résultats aussi glorieux, par autant de prodiges. Encore quelques jours et la capitale de l'Autriche, déjà frappée de terreur et d'épouvante, verra les Français dans ses murailles.

A la place de Bonaparte, quel général résisterait à l'ivresse de la victoire et renoncerait à illustrer encore plus son nom par cette brillante conquête ! mais il connaît les caprices de la fortune, il examine de sang-froid sa situation, et se décide de lui-même à s'arrêter dans sa course victorieuse. Il se dit[13] :

Nos armées n'ont pas encore passé le Rhin et nous sommes déjà à vingt lieues de Vienne. L'armée d'Italie est donc seule exposée aux efforts d'une des premières puissances de l'Europe.

Les Vénitiens arment tous leurs paysans, mettent en campagne tous leurs prêtres, et secouent avec fureur tous les ressorts de leur vieux gouvernement pour écraser Bergame et Brescia. Le sénat a dans ce moment 20.000 hommes armés sur mes derrières.

Dans les États du pape, des rassemblements considérables de paysans descendent des montagnes, et menacent d'envahir toute la Romagne.

Les peuples divers de l'Italie, réunis par l'esprit de liberté, et agités en différents sens par les passions les plus actives, ont besoin d'être surveillés et contenus.

 

Ajoutons qu'il était alors sans nouvelles de Joubert. Il pensa donc que dans cette position le parti le plus sage et le plus avantageux était de mettre un terme à la guerre ; stipulant à la fois les intérêts de sa gloire et ceux de la France, il ne balança pas à offrir à l'ennemi vaincu l'olivier de la paix. Il écrivit à l'archiduc Charles[14] :

Monsieur le général en chef, les braves militaires font la guerre et désirent la paix : cette guerre ne dure-t-elle pas depuis six ans ? Avons-nous assez tué de monde et fait assez de mal à la triste humanité ? Elle réclame de tous côtés. l/Europe, qui avait pris les armes contre la république française, les a posées. Votre nation reste seule, et cependant le sang va couler plus que jamais. Cette sixième campagne s'annonce par des présages sinistres. Quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons, de part et d'autre, quelques milliers d'hommes, et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.

Le Directoire de la république française avait fait connaître à S. M. l'empereur le désir de mettre fin à la guerre qui désole les deux peuples. L'intervention de la cour de Londres s'y est opposée. N'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre, et faut-il, pour les intérêts et les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous continuions à nous entr'égorger ? Vous, monsieur le général en chef, qui, par votre naissance, approchez si près du trône et êtes au-dessus de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les gouvernements, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de l'humanité entière et de vrai sauveur de l'Allemagne ? Ne croyez pas, monsieur le général en chef, que j'entende par là qu'il ne soit pas possible de la sauver par la force des armes ; mais dans la supposition que les chances de la guerre vous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera pas moins ravagée. Quant à moi, monsieur le général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverai avoir méritée que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.

 

Cependant il importait de donner l'appui des armes à cette ouverture, et de ne pas laisser à l'ennemi le temps de respirer.

Au moment où l'armée allait continuer sa marche et se porter sur Friesach, le général en chef adressa au peuple de la Carinthie la proclamation suivante[15] :

L'armée française ne vient pas dans votre pays pour le conquérir, ni pour porter aucun changement à votre religion, à vos mœurs, à vos coutumes ; elle est l'amie de toutes les nations, et particulièrement des braves peuples de la Germanie.

Le Directoire exécutif de la république française n'a rien épargné pour terminer les calamités qui désolent le continent. Il s'était décidé à faire le premier pas et à envoyer le général Clarke à Vienne, comme plénipotentiaire, pour entamer des négociations de paix ; mais la cour de Vienne a refusé de l'entendre ; elle a même déclaré à Vicence, par l'organe de M. de Saint - Vincent, qu'elle ne reconnaissait pas de république française. Le général Clarke a demandé un passeport pour aller lui-même parler à l'empereur ; mais les ministres de la cour de Vienne ont craint, avec raison, que la modération des propositions qu'il était chargé de faire, ne décidât l'empereur à la paix. Ces ministres, corrompus par l'or de l'Angleterre, trahissent l'Allemagne et leur prince, et n'ont plus de volonté que celle de ces insulaires perfides, l'horreur de l'Europe entière.

Habitants de la Carinthie, je le sais, vous détestez autant que nous, et les Anglais, qui seuls gagnent à la guerre actuelle, et votre ministère qui leur est vendu. Si nous sommes en guerre depuis six ans, c'est contre le vœu des braves Hongrois et des citoyens éclairés de Vienne, et des simples et bons habitants de la Carinthie.

Eh bien ! malgré l'Angleterre et les ministres de la cour de Vienne, soyons amis, la république française a sur vous les droits de conquête ; qu'ils disparaissent devant un contrat qui nous lie réciproquement. Vous ne vous mêlerez pas d'une guerre qui n'a pas votre aveu. Vous fournirez les vivres dont nous pouvons avoir besoin. De mon côté, je protégerai votre religion, vos mœurs et vos propriétés ; je ne tirerai de vous aucune contribution. La guerre n'est-elle pas par elle-même assez horrible ? Ne souffrez-vous pas déjà trop, vous, innocentes victimes des sottises des autres ? Toutes les impositions que vous avez coutume de payer à l'empereur serviront à indemniser des dégâts inséparables de la marche d'une armée, et à payer les vivres que vous nous aurez fournis.

 

Le 13 (2 avril) Bonaparte reçut la réponse de l'archiduc Charles ainsi conçue : Assurément tout en faisant la guerre, monsieur le général en chef, et en suivant la vocation de l'honneur et du devoir, je désire, ainsi que vous, la paix pour le bonheur des peuples et de l'humanité. Comme néanmoins dans le poste qui m'est confié, il ne m'appartient pas de scruter, ni de terminer la querelle des nations belligérantes, et que je ne suis muni, de la part de sa majesté l'empereur, d'aucun pouvoir pour traiter, vous trouverez naturel, monsieur le général, que je n'entre là-dessus avec vous dans aucune négociation, et que j'attende des ordres supérieurs sur cet objet d'aussi haute importance, et- qui n'est pas foncièrement de mon ressort. Quelles que soient au reste les chances futures de la guerre ou les espérances de la paix, je vous prie de vous persuader, monsieur le général, de mon estime et d'une considération distinguée.

Deux heures après avoir envoyé cette réponse, comme l'armée était en marche sur Friesach, l'archiduc fit demander par un de ses aides-de-camp une suspension d'armes de quatre heures. Il voulait ainsi gagner la journée et avoir le temps de faire sa jonction avec la division du général Sporck qui arrivait du Tyrol. C'était précisément pour en empêcher que Bonaparte faisait marcher l'armée jour et nuit ; il n'admit donc pas la proposition de l'archiduc.

La division Masséna formant l'avant-garde rencontra l'ennemi dans les gorges qui se trouvent entre Friesach et Neumarck, culbuta son arrière-garde de position en position, et s'acharna avec une telle rapidité à sa poursuite que l'archiduc Charles fut obligé de faire revenir de son corps de bataille huit bataillons de grenadiers venant du Rhin, en ce moment l'espoir de son armée. Mais la 2e d'infanterie légère se jeta sur leurs flancs, tandis que Masséna à la tête des grenadiers des 18e et 32e de ligne, en colonne serrée, pénétra au centre de la gorge. Le combat s'engagea avec fureur : c'était l'élite de l'armée autrichienne qui venait lutter contre les vieux soldats de l'armée d'Italie. L'ennemi avait une position superbe hérissée de canons, mais elle ne retarda que peu de temps sa défaite. Il fut mis en déroute complète, laissant le champ de bataille couvert de morts et 5 à 600 prisonniers[16].

On trouva à Friesach des magasins encore assez considérables, quoique l'ennemi en eût brûlé la plus grande partie.

Le quartier-général se porta, le 14, à Scheiffling, village situé à l'embranchement des routes d'Allemagne et d'Italie et dont l'occupation était importante. L'avant-garde de Masséna poussa jusqu'à Unzmarckt, rencontra l'arrière-garde de l'ennemi, l'attaqua, et après une heure de combat la mit encore en déroute, laissant 300 morts et 600 prisonniers. Le chef de brigade Carère, officier distingué par son courage et qui avait, dans la campagne, rendu les plus grands services, fut tué d'un boulet[17]. Ce jour-là, l'avant-garde mangea encore le pain et but l'eau-de-vie préparés pour l'armée autrichienne.

Bonaparte fit poursuivre par la division Guyeux la division autrichienne de Sporck qui rôdait dans la vallée de la Mühr, et dont l'avant-garde était déjà arrivée à Mührau.

L'armée française prit, le 15, la route de Leoben, dernier point stratégique où l'archiduc pût recevoir des renforts de l'armée du Rhin avant de descendre dans les plaines de Vienne. Il se décida à ne plus engager de combat et précipita sa retraite. Les Français occupèrent donc sans coup férir Mührau, Judenburg et Knittelfeld.

On peut se faire facilement une idée du trouble et de la consternation qui régnaient dans la capitale de l'Autriche. Le gouvernement improvisait à la hâte tous les moyens possibles de défense ; mais il y avait si peu de confiance que les mesures furent prises en même temps pour que la cour et les administrations pussent, au premier signal, se sauver en Bohême.

Cependant Bonaparte devait s'attendre à ce que l'ennemi, sous les murs de Vienne, tenterait une dernière fois le sort des armes. La bataille allait être décisive. Alors durent aussi se représenter à sa pensée les considérations qui lui avaient fait proposer la paix à l'archiduc. Il s'arrêta donc à Judenbourg pour reposer un peu son armée, et attendre la réunion de ses forces qu'il avait disséminées à la poursuite de l'ennemi, dans plusieurs directions. Ce fut là que Joubert, ainsi que nous l'avons déjà dit, rejoignit Bonaparte.

Mais l'empereur craignant pour sa capitale envoya le lieutenant-général Bellegarde, chef d'état-major de l'archiduc Charles, et le général major Merfeld, au quartier-général de Bonaparte, à Judenburg. Ils y arrivèrent le 18 germinal.

Il venait de recevoir un courrier expédié de Milan par Baraguay-d'Hilliers, qui lui écrivait[18] : Les deux armées du Rhin restent dans l'inaction faute d'argent. Moreau est allé à Paris pour en solliciter. Hoche dit que l'armée de Sambre-et-Meuse n'est pas encore en état d'agir.

Les généraux Bellegarde et Merfeld remirent à Bonaparte la note suivante : Monsieur le général, sa majesté l'empereur et roi n'a rien de plus à cœur que de concourir au repos de l'Europe, et de terminer une guerre qui désole les deux nations ; en conséquence de l'ouverture que vous avez faite à son altesse royale, par votre lettre de Klagenfurt, sa majesté l'empereur nous a envoyés vers vous, pour s'entendre sur cet objet d'une si grande importance. Après la conversation que nous venons d'avoir avec vous, et persuadés de la bonne volonté, comme de l'intention des deux puissances, de finir le plus promptement possible cette guerre désastreuse, son altesse impériale désire une suspension d'armes de dix jours, afin de pouvoir, avec plus de célérité, parvenir à ce but désiré, et afin que toutes les longueurs et obstacles que la continuation des hostilités porterait aux négociations soient levés, et que tout concoure à rétablir la paix entre les deux nations.

Le général en chef leur répondit le même jour : Dans la position militaire des deux armées, une suspension d'armes est toute contraire à l'armée française ; mais si elle doit être un acheminement à la paix tant désirée et si utile au peuple, je consens sans peine à vos désirs. La république française a manifesté souvent à sa majesté son désir de mettre fin à cette lutte cruelle ; elle persiste dans ses mêmes sentiments, et je ne doute pas, après la conférence que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous, que, sous peu de jours, la paix ne soit enfin rétablie entre la république française et sa majesté. Je vous prie de croire aux sentiments, etc., etc.

La suspension d'armes fut signée le soir même ; elle n'était que de cinq jours.

Les avant-postes de l'aile droite française restèrent où ils se trouvaient entre Fiume et Trieste. Sa ligne se prolongeait par Mahrburg où elle coupait la Drave et suivait par Gratz, Brück et le Liedelberg jusqu'à Admont dans la vallée de l'Enns. L'armistice accordait donc aux Français Gratz. Brück et Rothenmann qu'ils n'avaient pas encore occupés. Il s'étendit aux troupes qui étaient dans le Tyrol.

Dans les conférences Bonaparte dit aux plénipotentiaires que toute clause préliminaire à la négociation de la paix devait être la cession de la rive gauche du Rhin ; ils demandèrent une explication sur l'Italie à laquelle il se refusa. Ils déclarèrent que si l'empereur devait tout perdre, il sortirait de Vienne et s'exposerait à toutes les chances. Il leur fit observer que lorsqu'il s'expliquait d'une manière définitive sur la limite du Rhin, et qu'il se taisait sur l'Italie, c'était faire entendre qu'on ne l'excluait pas de la discussion. Il lui parut qu'on n'approuvait pas les principes de Thugut, et que l'empereur lui-même commençait à s'en apercevoir[19].

Les parlementaires repartirent sur-le-champ pour Vienne, afin que le plénipotentiaire de l'empereur arrivât au quartier-général avec des pleins pouvoirs pour une paix séparée, avant l'expiration de la suspension d'armes.

Bonaparte l'envoya au Directoire en lui retraçant les motifs qui l'avaient déterminé à l'accorder, et qui le portaient à penser que la République devait faire la paix dans un moment où elle pouvait en dicter les conditions, pourvu qu'elles fussent raisonnables. Si l'empereur cédait ses possessions sur la rive gauche du Rhin, et si, comme chef de l'empire, il reconnaissait les limites de la République jusqu'à ce fleuve ; s'il cédait à la république cispadane le duché de Modène et Carrare ; s'il donnait Mayence dans l'état où elle se trouvait, en échange de Mantoue. Bonaparte pensait qu'il aurait fait une paix beaucoup plus avantageuse que ne le portaient les instructions de Clarke. La France restituerait, à la vérité, la Lombardie et tous les pays qu'occupaient ses armées ; mais n'aurait-elle pas tiré de ses succès tout le parti possible lorsqu'elle aurait le Rhin pour limite, et qu'elle aurait établi au cœur de l'Italie une république de deux millions d'habitants qui, par Carrare, se trouverait près de la république française, lui donnerait Je commerce du Pô, de l'Adriatique, et s'agrandirait à mesure que le pape se détruirait[20].

Le général en chef manda au général Clarke, porteur des instructions et des pleins pouvoirs du Directoire et qui était à Turin, de venir en toute diligence pour finir la négociation, et ne pas faire perdre le moment qui lui paraissait être tout dans les affaires de cette nature. Il mandait au Directoire que si, contre son attente, la négociation ne réussissait pas, il se trouverait embarrassé sur le parti qu'il aurait à prendre ; qu'il chercherait néanmoins à attirer l'ennemi dans une affaire, à le battre, à forcer l'empereur à abandonner Vienne : après quoi il serait obligé de rentrer en Italie, si les armées du Rhin restaient dans l'inaction où elles se trouvaient encore.

J'espère, ajoutait-il enfin[21], quelque parti que je me voie obligé de prendre, mériter votre approbation. Je me suis trouvé depuis le commencement de la campagne, passer, à chaque pas, dans une situation neuve, et j'ai toujours eu le bonheur de voir la conduite que j'ai tenue répondre à vos intentions.

Bonaparte transféra son quartier-général à Leoben, et l'armée prit des cantonnements. Serrurier occupa Gratz et travailla à mettre le château en état. Masséna s'établit à Brück, au pied du Simmering. Bernadotte resta campé en avant de Saint-Michel ; Joubert échelonné de Villach à Klagenfurth poussa la division Baraguay-d'Hilliers jusqu'à Gemona. Victor, en marche pour rejoindre l'armée, arrivait à Trévise. En cas de rupture l'armée se trouvait donc à même de reprendre aussitôt l'offensive.

L'armistice expirait le 24 à neuf heures du matin ; le général Meerfeld vint trouver Bonaparte à Leoben, avec un plein pouvoir commun au marquis de Gallo, ministre de Naples à Vienne, pour traiter de la paix. On convint d'une prolongation de la suspension d'armes jusqu'au huit floréal, soir. Bonaparte refusa d'abord d'admettre le marquis de Gallo, trouvant de l'incompatibilité entre cette mission et sa qualité de ministre d'une puissance amie.

Le marquis étant arrivé le 25, Bonaparte ne crut pas devoir persister dans son opposition, pour éviter des lenteurs, parce que ce négociateur paraissait revêtu d'une grande confiance de la part de l'empereur[22] ; enfin parce que les Autrichiens et les Hongrois étaient très-irrités de voir les étrangers jouer le principal rôle dans une affaire aussi importante, et qu'en cas de rupture, ce serait un moyen très-efficace d'exciter le mécontentement contre le gouvernement de Vienne.

La première opération fut une promesse réciproque de ne rien divulguer de ce qui serait dit ; on l'avait rédigée, mais les plénipotentiaires autrichiens, tenant beaucoup à l'étiquette, voulaient toujours mettre l'empereur avant la République, et Bonaparte le refusa net.

Quand on en fut à l'article de la reconnaissance, Bonaparte leur dit : La république française ne veut point être reconnue ; elle est en Europe ce que le soleil est sur l'horizon : tant pis pour qui ne veut pas la voir et ne veut pas en profiter[23].

Ils dirent que lors même que les négociations se rompraient, l'empereur, dès ce moment, reconnaissait la république française, à condition qu'elle conserverait avec lui la même étiquette que le ci-devant roi de France. Bonaparte leur répondit que, comme les républicains étaient fort indifférents à tout ce qui était étiquette, on ne serait pas éloigné d'adopter cet article.

M. de Gallo demanda qu'on neutralisât un endroit où l'on put continuer en règle les conférences. On choisit un jardin au milieu duquel était un pavillon. On le déclara neutre ; Farce, mandait Bonaparte au Directoire, à laquelle j'ai bien voulu me prêter pour ménager la puérile vanité de ces gens-ci. Ce prétendu point neutre était en effet environné de tous côtés par l'armée française, et au milieu de ses bivouacs.

On entama les négociations. Les plénipotentiaires autrichiens consentirent la cession de la Belgique et la limite du Rhin, mais moyennant des compensations et nécessairement en Italie, l'empereur n'en voulant pas en Allemagne. Ils demandèrent la restitution du Milanais et une portion des États de Venise ou des légations. A ces conditions ils auraient sur-le-champ signé la paix. Bonaparte ne voulut pas de cet arrangement, et offrit seulement la restitution du Milanais et de la Lombardie.

Les négociateurs, n'ayant pas pu s'accorder, finirent par rédiger les trois projets suivants qu'ils expédièrent à Paris et à Vienne.

PREMIER PROJET.

Art. 1er. La cession de la Belgique, les limites constitutionnelles de la France.

2. A la paix avec l'empire, l'on fixera tout ce qui est relatif au pays qu'occupe la France jusqu'au Rhin.

3. Les deux puissances s'arrangeront ensemble pour donner à l'empereur tous les pays du territoire vénitien, compris entre le Mincio, le -Pô et : les États d'Autriche.

4. On donnera au duc de Modène les pays de Brescia compris entre l'Oglio et le Mincio.

5. Le Bergamasque et tous les pays des États de Venise compris entre l'Oglio et le Milanais, ainsi que le Milanais, formeraient une république ; Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne en formeraient une autre.

6. La ville de Venise continuerait à rester indépendante ainsi que l'archipel.

DEUXIÈME PROJET.

Les articles 1 et 2 sont comme les précédents ;

3. L'évacuation de la Lombardie et du Milanais.

TROISIÈME PROJET.

Les deux premiers articles comme dans les précédents.

3. La renonciation de S. M. l'empereur de tous ses droits au Milanais et à la Lombardie.

4. La France s'engagerait à donner à S. M. l'empereur des compensations proportionnées au Milanais et au duché de Modène, qui seront l'objet d'une négociation, et dont il devrait être en possession au plus tard dans trois mois.

 

Bonaparte annonçait au Directoire que si l'un de ces trois projets était accepté à Vienne, les préliminaires de la paix seraient signés le 8 floréal, sans quoi, vu que les armées du Rhin n'avaient encore fait aucun mouvement, il proposerait un armistice pur et simple pour les trois armées, et pour trois mois, pendant lesquels on ouvrirait des négociations de paix. En attendant on fortifierait Klagenfurth et Gratz ; on ferait venir toutes les munitions de guerre à l'armée ; elle s'organiserait parfaitement, et le Directoire aurait le temps d'y faire passer 40.000 hommes de l'armée du Rhin : moyennant quoi, on aurait une armée extrêmement considérable, dont la seule présence obligerait l'empereur à faire de plus grands sacrifices.

Si rien de tout cela n'est accepté, ajoutait Bonaparte[24], nous nous battrons, et si l'armée de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les premiers jours du mois prochain. avoir frappé de grands coups et se trouver sur la Rednitz. Les meilleurs généraux et les meilleures troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne, il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retrace des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le Rhin, il le passera, et s'il l'avait déjà passé, nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix, d'une manière impérieuse et sans courir aucune chance ; mais qui craint de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes Juliennes et les Alpes Noriques sur trois pieds de glace ; j'ai fait passer mon artillerie par des chemins où jamais charriot n'avait passé, et tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté au-delà de l'Isonzo. Je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive. Je suis aux portes de Vienne, et cette cour insolente et, orgueilleuse a ses plénipotentiaires à mon quartier-général. Il faut que les armées du Rhin n'aient pas de sang dans les veines : si elles me laissent seul, alors je m'en retournerai en Italie. L'Europe entière jugera la différence de conduite des deux armées : elles auront ensuite sur le corps toutes les forces de l'empereur, elles en seront accablées, et, ce sera leur faute.

Cette lettre fut portée au Directoire par l'adjudant-général Leclerc. Bonaparte le chargea, en traversant l'Allemagne, de voir les différents mouvements des troupes ennemies, et d'en instruire les généraux Hoche et Moreau à son arrivée sur le Rhin. Bonaparte pria le Directoire de lui renvoyer de suite Leclerc. Tous les officiers, écrivait-il, que j'envoie à Paris y restent trop longtemps : ils dépensent leur argent et se perdent dans les plaisirs. Il expédia en même temps à Paris, pour porter des drapeaux pris sur l'ennemi, un capitaine des hussards qui avait quatre-vingts ans de service[25].

Le baron de Vincent, aide-de-camp de l'empereur, apporta la réponse du cabinet de Vienne, et après deux jours de conférences les articles préliminaires de la paix furent signés à Leoben, le 29 germinal (18 avril). Ils portaient : 1° qu'il serait envoyé des plénipotentiaires des deux parties contractantes à Berne, pour y traiter et conclure, dans l'espace de trois mois, ou plutôt, si faire se pouvait, la paix définitive entre les autres puissances ; qu'à ce congrès seraient admis les plénipotentiaires des alliés respectifs, s'ils accédaient à l'invitation qui leur serait faite.

2° Qu'il y aurait cessation d'hostilités entre l'empire germanique et la France, et qu'il serait tenu un congrès pour y traiter et conclure la paix définitive sur la base de l'intégrité de l'empire.

3° Que l'empereur renonçait à tous ses droits sur les provinces belgiques et reconnaissait les limites de la France, décrétées par les lois de la République, à condition que toutes les dettes hypothécaires seraient à la charge de la France ; que les habitants auraient la faculté de sortir de ces provinces, et un délai de trois ans pour vendre leurs biens ; que la République fournirait, à la paix définitive, un dédommagement équitable à l'empereur et qui serait à sa convenance.

4° Que la République restituerait à l'empereur tout ce qu'elle possédait des états héréditaires de la maison d'Autriche, non compris sous la dénomination de provinces belgiques.

5° Qu'aussitôt après la ratification de l'empereur, les armées françaises évacueraient la Styrie, la Carinthie, le Tyrol, la Carniole et le Frioul.

Par des articles secrets il fut convenu :

1° Que malgré les dispositions de l'art. l'empereur renonçait à la partie de ses États en Italie, qui se trouvait au-delà de la rive droite de l'Oglio et de la rive droite du Pô, à condition qu'il serait dédommagé de cette cession ainsi que de celle des provinces belgiques, par la partie de la terre ferme vénitienne, comprise entre l'Oglio, le Pô, la mer Adriatique et ses États héréditaires, ainsi que parla Dalmatie et l'Istrie vénitienne.

2° Que la République renonçait à ses droits sur les trois légations de la Romagne et de Bologne à elle cédées par le traité de Tolentino, sous la réserve cependant de la forteresse de Castel-Franco ; que la partie des États vénitiens comprise entre l'Adda, le Pô, l'Oglio, la Valteline et le Tyrol appartiendrait à la république française.

3° Que les trois légations seraient accordées à la république de Venise, en dédommagement de la partie de ses états dont il était disposé dans les articles précédents.

4° Que des plénipotentiaires de l'empereur et du Directoire exécutif seraient chargés de prendre les arrangements convenables pour se mettre d'accord avec la république de Venise.

5° Que les forteresses de Palma-Nova, Mantoue, Peschiera, Porto-Legnago, et les châteaux de Vérone, d'Osopo et de Brescia occupés par les Français, seraient remis à l'empereur aussitôt après l'échange des ratifications du traité de paix définitive, ou plus tôt, si cela pouvait s'arranger d'un commun accord.

6° Que la partie des États d'Italie, cédée par l'empereur et la partie des États vénitiens acquise à la république française formeraient désormais une république indépendante.

7° Que l'empereur ne s'opposait point aux dispositions faites par la France à l'égard des États du duc de Modène, à condition que la République et l'empereur se réuniraient pour obtenir à la paix générale et à celle de l'empire germanique, une compensation équivalente, en faveur du duc de Modène et de ses héritiers légitimes[26].

Dans l'opinion de Bonaparte, tels étaient pour la France les avantages des préliminaires. Elle aurait dans le cœur de l'Italie une république avec laquelle on communiquerait par les États de Gênes et par la mer, ce qui donnerait dans toutes les guerres une correspondance assurée. Le roi de Sardaigne se trouvait être désormais entièrement à la disposition de la France.

La place de Pizzighitone alors plus forte que Mantoue, les places de Bergame et de Crème que l'on rétablirait, garantiraient la nouvelle république contre les incursions de l'empereur, et donneraient toujours aux Français le temps d'arriver. Du côté de Modène il y avait aussi plusieurs positions à fortifier et pour lesquelles on emploierait une partie de l'immense artillerie que la France avait alors en Italie.

Si Venise consentait à l'échange de la Romagne, de Bologne et de Ferrare, il était évident que cette république se trouverait influencée par la république lombarde et à la disposition de la France. Si cet échange n'avait pas lieu, les trois légations resteraient en son pouvoir, et on réunirait Bologne et Ferrare à la république lombarde. Le gouvernement de Venise, ajoutait Bonaparte, est le plus absurde et le plus tyran nique des gouvernements. Il est d ailleurs hors de doute qu'il voulait profiter du moment où nous étions dans le cœur de l'Allemagne, pour nous assassiner. Notre République n'a pas d'ennemi plus acharné. Son influence se trouve considérablement diminuée, et cela est tout à notre avantage i cela d ailleurs lie l'empereur et la France, et obligera ce prince, pendant les premiers temps de notre paix, à faire tout ce qui pourra nous être agréable. Cet intérêt commun nous remet la balance dans les mains ; nous sommes par là placés entre la Prusse et la maison d'Autriche, ayant des intérêts majeurs à arranger avec l'une et l'autre[27].

Comme s'il eût pressenti que les préliminaires trouveraient à Paris des improbateurs, qu'on lui imputerait de les avoir conclus et signés sans pouvoirs, et qu'on lui reprocherait de n'avoir pas marché sur Vienne, Bonaparte prévint lui-même toutes ces inculpations.

Nous ne devons pas nous dissimuler, écrivit-il au Directoire, que, quoique notre position militaire soit brillante, nous n'avons point dicté les conditions. La cour avait évacué Vienne ; le prince Charles et son armée se repliaient sur celle du Rhin ; le peuple de Hongrie et de toutes les parties des États héréditaires se levait en masse, et même, dans ce moment-ci, leur tête est déjà sur nos flancs. Le Rhin n'était pas passé ; l'empereur n'attendait que ce moment pour quitter Vienne et se porter à la tête de son armée. S'ils eussent fait la bêtise de m'attendre, je les aurais battus ; mais ils se seraient toujours repliés devant nous, réunis à une partie de leurs forces du Rhin et m'auraient accablé. Alors la retraite devenait difficile, et la perte de l'armée d'Italie pouvait entraîner celle de la République : aussi étais-je bien résolu à essayer de lever une contribution dans les faubourgs de Vienne et à ne plus faire un pas. Je me trouve ne pas avoir 4.000 hommes de cavalerie, et au lieu de 4o.000 hommes que je vous avais demandés il n'en est pas arrivé 20.000.

Si je m'étais, au commencement de la campagne, obstiné à aller à Turin, je n'aurais jamais passé le Pô ; si je m'étais obstiné à aller à Rome, j'aurais perdu Milan ; si je m'étais obstiné à aller à Vienne, peut-être aurais-je perdu la République. Le vrai plan de campagne pour détruire l'empereur était celui que j'ai fait, mais avec 6.000 hommes de cavalerie et 20.000 hommes de plus d'infanterie ; ou bien avec les forces que j'avais, si on eût passé le Rhin pendant que je passais le Tagliamento, comme je l'avais pensé, puisque deux courriers de suite m'ont ordonné d'ouvrir la campagne.

Dès l'instant que j'ai prévu que les négociations s'ouvraient sérieusement, j'ai expédié un courrier au général Clarke, qui, chargé plus spécialement de vos instructions dans un objet aussi essentiel, s'en serait mieux acquitté que moi ; mais lorsque, après dix jours, j'ai vu qu'il n'était pas arrivé, et que le moment commençait à passer, j'ai dû laisser tout scrupule et j'ai signé. Vous m'avez donné plein pouvoir sur toutes les opérations diplomatiques, et, dans la position des choses, les préliminaires de la paix, même avec l'empereur, sont devenus une opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la république française, et un présage infaillible qu'elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l'Europe, si elle organise ses armées avec force, et surtout l'arme de la cavalerie.

Je n'ai pas, en Allemagne, levé une seule contribution ; il n'y a pas eu une seule plainte contre nous. J'agirai de même en évacuant, et, sans être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de cette sage conduite ; elle germera dans toute la Hongrie, et sera plus fatale au trône de Vienne que les victoires qui ont illustré la guerre de la liberté.

D'ici à trois jours, je vous enverrai la ratification de l'empereur ; je placerai a !ors mon armée dans tout le pays vénitien, où je la nourrirai et entretiendrai jusqu'à ce que vous m'ayez fait passer vos ordres. Quant à moi, je vous demande du repos. J'ai justifié la confiance dont vous m'avez investi ; je ne me suis jamais considéré pour rien dans toutes mes opérations, et je me suis lancé sur Vienne, ayant acquis plus de gloire qu'il n'en faut pour être heureux et ayant derrière moi les superbes plaines de l'Italie, comme j'avais fait au commencement de la campagne dernière, en cherchant du pain pour l'armée que la République ne pouvait plus nourrir.

La calomnie s'efforcera en vain de me prêter des intentions perfides : ma carrière civile sera comme ma carrière militaire, une et simple. Cependant vous devez sentir que je dois sortir de l'Italie, et je vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux affaires d'Italie, et un congé pour me rendre en France[28].

 

Les préliminaires avaient été signés le 29 germinal, et le 30 Bonaparte reçut des dépêches du Directoire qui lui annonçaient qu'enfin les armées du Rhin se mettaient en mouvement. Elles étaient de 140.000 hommes, et les Autrichiens n'en avaient pas plus de 80.000 ; tout promettait donc qu'elles seraient bientôt au cœur de l'Allemagne, et qu'elles donneraient la main à celle d'Italie. Mais Hoche commandant l'armée de Sambre-et-Meuse ne passa le Rhin que le 28, et Moreau, général en chef de l'armée de Rhin-et-Moselle, que le 1er floréal. Il s'était rendu maître des gorges de la Kintzig et de la Renchen, après un combat de 30 heures, dans lequel l'ennemi avait perdu 4.000 prisonniers, une grande partie de son artillerie, les bureaux de son état-major et tous ses équipages[29].

Ce fut au milieu de ce brillant début de la campagne que Moreau reçut, par l'adjudant-général Leclerc, la dépêche de Berthier qui lui annonçait la signature des préliminaires. Il fit sur-le-champ cesser les hostilités, et répondit à Bonaparte qu'il s'était empressé de passer le Rhin pour concourir à ses victoires, et qu'il n'aurait pas tardé à le rejoindre si le traité n'avait pas arrêté sa marche ; qu'il espérait qu'on aurait obtenu quelques places du Rhin pour garantir la rentrée des contributions que devaient payer la Bavière et la Souabe ; que sans ces fonds l'armée mourrait de faim, en attendant l'issue des négociations qui sans doute seraient longues[30].

Quelque glorieux que fussent les préliminaires signés par Bonaparte, ils ne répondaient pas entièrement aux espérances que le Directoire avait fondées sur la réunion des armées et aux prétentions que lui avaient permis de former les premiers succès obtenus sur le Rhin. On reprocha donc à Bonaparte d'avoir par trop de précipitation arrêté le cours de la plus brillante campagne, et privé la France des grands résultats qu'on en attendait. Alors on l'accusa tout bas — et vingt ans plus tard on l'a dit ouvertement — d'avoir voulu, jaloux de la gloire de Moreau, l'empêcher d'en acquérir encore. D'un autre côté, Napoléon a imputé ce retard au Directoire, craignant de voir toutes les armées de la République, réunies sous les murs de Vienne, dans les mains d'un général dont la renommée et l'ascendant n'étaient déjà que trop menaçants pour la liberté publique[31]. Rien ne prouve que ces inculpations réciproques aient le moindre fondement. Quoi qu'il en soit, la conduite de Bonaparte, dans cette circonstance, s'explique naturellement.

Le principal motif qu'il donna au Directoire, pour justifier ses propositions de paix à l'archiduc Charles, le 11 germinal, fut que les armées d'Allemagne n'avaient pas encore passé le Rhin, et qu'il n'était plus qu'à vingt lieues de Vienne : elles ne sortirent de leur inaction qu'au moment où l'on signait les préliminaires. Bonaparte, comme on l'a vu par sa lettre du 30 germinal, rejetait. ce retard sur Moreau, avec une amertume inspirée par un noble amour de la gloire, et qui exclut tout soupçon d'une vile jalousie. Le général qui avait pris le commandement de l'armée d'Italie, au pied des Alpes, dans le plus grand dénuement, ne pouvait pas concevoir que Moreau fût allé à Paris solliciter de l'argent pour passer le Rhin. Qui peut douter qu'à sa place Bonaparte ne l''eût franchi et ne fut allé chercher l'argent en Allemagne ?

Informé de toutes les vaines conjectures auxquelles les préliminaires donnaient lieu à Paris, de la mauvaise direction qu'on paraissait vouloir imprimer à l'opinion, et des faux bruits qu''on répandait sur la campagne dans le Tyrol, Bonaparte s'en expliqua encore avec le Directoire, et développa le plan qu'il s'était proposé d'exécuter, s'il avait été secondé par les armées du Rhin.

Il n'était jamais entré dans son projet de percer par deux endroits à la fois ; ce qui l'aurait obligé de garder deux communications au lieu d'une. Il avait dû percer par le Tyrol et par la Carinthie, parce qu'il fallait, jusqu'à ce que l'offensive fût décidément à son avantage, être en état de la soutenir, et empêcher l'ennemi de le couper : mais lorsqu'il avait été à Klagenfurth et à Freysach, et que l'offensive avait été déterminée, il avait voulu porter sur-le-champ toutes ses forces à sa droite et refuser constamment sa gauche, suffisamment assurée par le camp retranché de Castel-Nuovo, de Peschiera et de Mantoue. Pendant ce temps-là, toutes ses forces étant concentrées sur sa droite, il aurait marché à Salzbourg ; l'ennemi aurait été obligé d'évacuer Insprück ; de là il aurait traversé les gorges de l'Inn et marché dans la Bavière. Auparavant il aurait levé des contributions sur le faubourg de Vienne.

Ce plan, écrivait-il, a totalement manqué par l'inaction de l'armée du Rhin. Si Moreau avait voulu marcher, nous eussions fait la campagne la plus étonnante et bouleversé la situation de l'Europe : au lieu de cela, il s'est rendu à Paris, n'a voulu rien faire ; et quand j'ai vu par vos lettres mêmes que vous n'aviez d'autres espérances qu'en faisant mouvoir Hoche seul, j'ai cru la campagne perdue, et je n'ai pas douté que nous ne fussions battus les uns après les autres.

Quant à moi, je me suis jeté sans aucune espèce de considération au milieu de l'Allemagne ; j'ai fait, plus de quatre-vingt mille prisonniers, oblige l'empereur d'évacuer Vienne, et j'ai fait conclure la paix à mon quartier-général. Les conditions de cette paix, sans doute, sont avantageuses à la France et à l'empereur : c'est ce qui fait sa bonté. Elle ôte à la Prusse son influence, et nous met à même de tenir la balance de l'Europe.

Il est vrai que cette paix n'a pas été comme celle du pape et du roi de Sardaigne ; mais c'est que l'empereur est aussi puissant que nous ; qu'on se levait de tous côtés en masse, et que partout, en Hongrie et dans le Tyrol, on était sous les armes ; qu'il ne restait rien à faire, puisque Vienne était évacuée par la maison impériale, et qu'en portant la guerre dans la Bavière, j'aurais été tout seul. C'était améliorer la situation de l'empereur, que de rester sans rien faire dans les positions que j'occupais, puisque cela mettait ses États dans une tension énergique, qui lui aurait donné dans vingt jours une foule de combattants. Nous nous sommes bien conduits en Allemagne, mais l'armée du Rhin s'était mal conduite l'année dernière : l'impression qu'elle avait faite durait encore, de sorte que la manière dont nous nous conduisions' n'avait pas le temps d'arriver jusqu'aux différents peuples prévenus.

La paix, au contraire, a remis tout en Allemagne dans l'état naturel. En évacuant ce pays, je garde véritablement tout ce que j'avais pris, en conservant la Ponteba et les hauteurs de la Carinthie, qui, dans une marche, me mettent en Allemagne ; et j'ôte aux peuples de la Hongrie, de l'Autriche et de Venise les raisons de s'armer et de se croire en danger. Si les hostilités doivent recommencer, il faut avant tout prendre un parti pour Venise, sans quoi il me faudrait une armée pour les contenir. Je sais que le seul parti qu'on puisse prendre, c'est de détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire ; par ce moyen nous tirerons des secours de toute espèce d'un pays, que, sans cela, il faudra garder plus que le pays ennemi.

Il est impossible de prendre plus de précautions que je n'en ai pris contre les Vénitiens, dont je connais la profonde duplicité. Je suis maître de toutes leurs forteresses, et à l'heure où vous lirez cette lettre, je le serai tellement de toute la terre ferme, qu'il n'y aura autre chose à faire que de prendre un parti.

Les ennemis étaient parvenus à Trente, que je n'ai jamais gardé sérieusement, parce que, par sa position, il est hors du système de la guerre ; mais tout a été rétabli dans l'état ordinaire[32].

 

Bonaparte visita plusieurs des villes occupées par l'armée, en attendant que les préliminaires eussent été ratifiés. Ce fut à Gratz que M. de Gallo, revenant de Vienne, lui montra, le 9 floréal, la ratification de l'empereur en due forme.

Il dit que ce prince éloignerait les émigrés et le corps de Condé, qui ne seraient plus à sa solde ; qu'il désirait traiter sa paix particulière le plus tôt possible et en Italie ; que la paix de l'empire pouvait se traiter à Constance ou dans quelque autre ville de ce genre ; qu'à la seule paix de l'empire on appellerait les alliés qui ne seraient point appelés à la paix particulière ; que l'empereur avait déjà donné des pouvoirs pour traiter de la paix définitive ; enfin, que la cour de Vienne était de bonne foi et désirait resserrer de toutes les manières son système politique avec celui de la France ; que le Directoire trouverait avec l'empereur un cabinet de bonne foi et qui marchait droit ; que le ministre d'Angleterre à Vienne s'était fortement fâché avec M. Thugut, que les Anglais le prenaient fort haut, et taxaient l'empereur de mauvaise foi.

La ville de Brescia fut choisie pour la tenue des conférences[33].

Ce fut, dit-on, dans une de ces conférences de Gratz, qu'un des plénipotentiaires, autorisé par une lettre autographe de l'empereur, offrit à Bonaparte de lui faire obtenir à la paix une souveraineté de deux cent cinquante mille âmes en Allemagne pour lui et sa famille, afin de le mettre à l'abri de l'ingratitude républicaine. Le général sourit ; il chargea le plénipotentiaire de remercier l'empereur de cette preuve d'intérêt, et dit qu'il ne voulait aucune grandeur, aucune richesse, si elles ne lui étaient données par le peuple français ; l'on assure qu'il ajouta et avec cet appui, croyez, monsieur, que mon ambition sera satisfaite[34].

Bonaparte alla à Trieste. On a vu que le Directoire lui avait prescrit de détruire ce port, ainsi que les fortifications de Mantoue. Il avait éludé l'exécution de cet ordre, et l'empereur allait à la paix retrouver ces deux places en état, ce qui déplut au Directoire. D'après la réponse de Bonaparte, il aurait fallu trois mois pour dégrader les môles du port de Trieste, encore ne l'aurait-il pas détruit, parce que ce port n'était qu'une simple rade. Mantoue n'était pas fort par l'art, mais seulement par sa position ; il n'y avait rien ou peu de chose à détruire, et les ennemis l'auraient rétabli en peu de temps et avec très-peu de travail. Ayant un équipage de siège en Italie, on prendrait Mantoue tant qu'on voudrait, dans vingt jours de tranchée. Lorsque Wurmser obligea à en lever le siège, on était aux batteries de brèche et sur le point d'y entrer. Pendant le blocus, les Français avec 7.000 hommes en avaient bloqué 20.000 ; cette place n'était donc pas aussi essentielle qu'on se l'imaginait. D'après les nouveaux arrangements on aurait pour frontières l'Oglio et un rang de places fortes, telles que Pizzighittone, Crème et Bergame ; et Pizzighittone valait mieux que Mantoue[35].

Le Directoire envoya à Bonaparte la ratification des préliminaires, et lui annonça qu'il allait s'occuper du congrès lui devait s assembler a Berne, afin de hâter la conclusion du traité définitif. Il se flattait que sa modération serait remarquée en Europe, au milieu des succès qui immortalisaient les trois armées françaises ; mais la paix ne lui en paraissait devoir être que plus durable, et il était satisfait de la sagesse des négociations du général en chef.

Le Directoire lui recommandait, en faisant replier les troupes d'après les clauses du traité préliminaire, d'observer toutes les précautions qu'exigeait l'insalubrité du climat dans les plaines d'Italie ; de les placer dans des positions où elles pussent attendre l'issue du congrès sans s 'affaiblir par les maladies et sans s'amollir par le relâchement de la discipline ; parce qu'en traitant avec loyauté de la paix, il fallait conserver tous ses avantages, et empêcher par là que l'ennemi ne formât des prétentions exagérées.

Quant au désir bien prononcé que Bonaparte avait exprimé de retourner de suite en France, le Directoire lui répondait[36] :

Nous désirons vivement votre retour ; nous sommes impatients de vous revoir et de vous donner tous les témoignages dus à un général qui a honoré la République, et qui aura un grand nom dans l'histoire de la guerre de la liberté. Il nous en coûte de contrarier un moment vos vœux pour le repos et pour la vie privée, après avoir obtenu tous les succès que peut offrir la carrière des armes ; mais votre présence à l'armée nous paraît encore nécessaire : elle seule peut consolider le nouvel ordre de choses qui va s'établir en Italie. L'organisation intérieure de la république lombarde, la création de son état militaire, les dispositions qu'exige son indépendance à l'égard des puissances voisines, et sa sûreté au dedans, ne peuvent appartenir qu'à vous. Puisque l'établissement de cet État libre est l'un des principaux fruits de nos victoires, et qu'il est surtout l'ouvrage de l'armée d'Italie, vous vous trouverez particulièrement intéressé à en assurer la prospérité, la puissance et la durée.

Un autre motif qui doit prolonger pour quelque temps encore votre séjour dans ces contrées, c'est lécl.ait que le gouvernement vénitien a donné à sa haine contre la France. Prenez envers lui toutes les mesures de sûreté qu'autorise l'insurrection qui vient de se manifester ; allez, s'il le faut, jusqu'à Venise, et rendez-vous compte de vos dispositions, afin d'instruire le corps législatif de la nécessité où vous aurez été d'agir hostilement à l'égard de cette puissance perfide.

 

 

 



[1] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 1er ventôse (19 février).

[2] Lettre au Directoire, 27 ventôse (17 mars).

[3] Lettre au Directoire, 27 ventôse (17 mars).

[4] Lettre au Directoire, 27 ventôse (17 mars).

[5] Lettre de Bonaparte au Directoire, 27 ventôse.

[6] Ce général avait eu l'imprudence de vouloir enlever la placé d'assaut, et y perdit 4 à 500 hommes. Cet accès d'ardeur était justifié par l'envie qu'avaient les troupes de Sambre-et-Meuse de se signaler, et par la noble émulation d'arriver à Gradisca avant les anciennes troupes d'Italie. Montholon, tom. IV, page 83. Le général en chef écrivit en effet au Directoire : La division du général Bernadotte s'est conduite avec un courage qui nous est un sûr garant de nos succès à venir.

[7] Lettre de Bonaparte au Directoire, 30 ventôse.

[8] Lettre au Directoire, 4 germinal (24 mars).

[9] Lettre au Directoire, 3 germinal (23 mars).

[10] Lettre au Directoire, 5 germinal (25 mars).

[11] Lettre au Directoire, 12 germinal (1er avril).

[12] Lettre de Bonaparte au Directoire, 12 germinal. On a lieu de croire exagéré le nombre des tués et prisonniers.

[13] Lettre au Directoire, 19 germinal (8 avril).

[14] Lettre du 11 germinal (31 mars).

[15] 12 germinal (1er avril).

[16] Lettre de Bonaparte au Directoire, 16 germinal (5 avril).

[17] Son nom fut donné à une frégate vénitienne qui devint célèbre.

[18] Lettre du 14 germinal (3 avril).

[19] Lettre de Bonaparte au Directoire, 19 germinal (8 avril).

[20] Lettre de Bonaparte au Directoire, 19 germinal.

[21] Lettre de Bonaparte au Directoire, 19 germinal.

[22] Surtout de l'impératrice, qui avait une influence marquée sur les affaires. Montholon, tome IV, page 107.

[23] A mesure qu'on a répété cette réponse, pour vouloir renchérir sur son énergique simplicité, on a fini par la gâter, même dans les Mémoires de Napoléon. On y trouve aussi, tome IV, page 107, cette phrase étrange : qu'en effet cette reconnaissance était nuisible, puisque si, un jour, le peuple français voulait faire une monarchie, l'empereur aurait pu dire qu'il avait reconnu la République. C'eût été, de la part de l'empereur, une pauvre raison, et, de la part de Bonaparte, porter loin la prévoyance. On ne croira jamais qu'alors, au sommet de sa gloire républicaine, il pensât déjà au rétablissement de la monarchie.

[24] Lettre du 27 germinal.

[25] Lettre du 27 germinal.

[26] Il paraît avéré, dit-on alors dans le Moniteur (10 prairial an V), que d'abord Bonaparte avait demandé cent millions ; mais que la discussion de cet article, entraînant des lenteurs, il avait tranché la difficulté en disant : Pourquoi marchander si longtemps ? il convient à la république française de donner la paix et non de la vendre. Ainsi brisons là-dessus ; je me désiste de ma demande, et la paix est conclue. Vive la République ! vive l'Empereur ! On s'embrassa, on se félicita.

[27] Lettre de Bonaparte au Directoire, 30 germinal (19 avril).

[28] Lettre du 30 germinal.

[29] Notamment le fourgon du général Klinglin, qui contenait la correspondance de Pichegru avec le prince de Condé.

[30] Lettre du 4 floréal (23 avril).

[31] Las Cases, tom. IV, page 93.

[32] Lettre du 11 floréal (30 avril).

[33] Lettre de Bonaparte au Directoire, 11 floréal.

[34] Montholon, tom. IV, page 432.

[35] Lettre du 11 floréal.

[36] Lettre du 17 floréal.