HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ÉGYPTE. - TOME SECOND

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

N° I.

ENTRETIEN DE BONAPARTE DANS LA GRANDE PYRAMIDE AVEC PLUSIEURS IMANS ET MUPHTIS.

 

Le 25 thermidor an VI (12 août 1798).

BONAPARTE. — Dieu est grand, et ses œuvres sont merveilleuses. Voici un grand ouvrage de main d'hommes. Quel était le but de celui qui fit bâtir cette pyramide ?

SOLIMAN. — C'était un puissant roi d'Égypte, dont on croit que le nom était Chéops. Il voulait empêcher que des sacrilèges ne vinssent troubler le repos de sa cendre.

BONAPARTE. — Le grand Cyrus se fit enterrer en plein air, pour que son cors retournât aux éléments. Penses-tu qu'il ne fît pas mieux ? le penses-tu ?

SOLIMAN (s'inclinant). — Gloire à Dieu à qui toute gloire est due !

BONAPARTE. — Honneur à Allah ! Quel est le calife qui a fait ouvrir cette pyramide et troubler la cendre des morts ?

MOHAMMED. — On croit que c'est le commandeur des croyants, Mahmoud, qui régnait il y a plusieurs siècles à Bagdad ; d'autres disent le renommé Aaron Raschid (Dieu lui fasse paix), qui croyait y trouver des trésors ; mais quand on fut entré par ses ordres dans cette salle, la tradition porte que l'on n'y trouva que des momies, et sur le mur cette inscription en lettres d'or : L'IMPIE COMMETTRA L'INIQUITÉ SANS FRUIT, MAIS NON SANS REMORDS.

BONAPARTE. — Le pain dérobé par le méchant remplit sa bouche de gravier.

MOHAMMED (s'inclinant). — C'est le propos de la sagesse.

BONAPARTE. — Gloire à Allah ! Il n'y a point d'autre dieu que Dieu ; Mahomet est son prophète, et je suis de ses amis.

SOLIMAN. — Salut de paix à l'envoyé de Dieu, salut aussi sur toi, invincible général, favori de Mahomet !

BONAPARTE. — Muphti, je te remercie. Le divin Koran fait les délices de mon esprit et l'attention de mes yeux. J'aime le prophète, et je compte, avant qu'il soit peu, aller voir et honorer son tombeau dans la ville sacrée. Mais ma mission est auparavant d'exterminer les Mamlouks.

IBRAHIM. — Que les anges de la victoire balaient la poussière sur ton chemin, et te couvrent de leurs ailes. Le Mamlouk a mérité la mort.

BONAPARTE. — Il a été frappé et livré aux anges noirs, Moukir et Quakir. Dieu, de qui tout dépend, a ordonné que sa domination fût détruite.

SOLIMAN. — Il étendit la main de la rapine sur les terres, les moissons, les chevaux d'Égypte.

BONAPARTE. — Et sur les esclaves les plus belles, très-saint muphti. Allah a desséché sa main. Si l'Égypte est sa ferme, qu'il montre le bail que Dieu lui en a fait ; mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple.

IBRAHIM. — Ô le plus vaillant d'entre les enfants d'Issa — Jésus-Christ —, Allah t'a fait suivre de l'ange exterminateur pour délivrer sa terre d'Égypte.

BONAPARTE. — Cette terre était livrée à vingt-quatre oppresseurs, rebelles au grand-sultan, notre allié — que Dieu l'entoure de gloire ! — et à dix mille esclaves venus du Caucase et de la Géorgie ; Adriel, ange de mort, a souillé sur eux : nous sommes venus, et ils ont disparu.

MOHAMMED. — Noble successeur de Scander — Alexandre —, honneur à tes armes invincibles et à la foudre inattendue qui sort du milieu de tes guerriers à cheval — l'artillerie légère.

BONAPARTE. — Crois-tu que cette foudre soit une œuvre des enfants des hommes ? le crois-tu ? Allah l'a fait mettre en mes mains par le génie de la guerre.

IBRAHIM. — Nous reconnaissons à tes œuvres Allah qui t'envoie. Serais-tu vainqueur si Allah ne l'avait permis ? Le Delta et tous les pays voisins retentissent de tes miracles.

BONAPARTE. — Un char céleste — un ballon — montera par mes ordres jusqu'au séjour des nuées, et la foudre descendra vers la terre, le long d'un fil de métal — un conducteur électrique —, dès que je l'aurai commandé.

SOLIMAN. — Et le grand serpent sorti de la colonne de Pompée, le jour de ton entrée triomphante à Scanderich — Alexandrie —, et qui est resté desséché sur le socle de la colonne, n'est-ce pas encore un prodige opéré par ta main ?

BONAPARTE. — Lumières du siècle, vous êtes destinées encore à voir de plus grandes merveilles, car les jours de la régénération sont venus.

IBRAHIM. — La divine unité te regarde d'un œil de prédilection, adorateur d'Issa, et te rend le soutien des enfants du prophète.

BONAPARTE. — Mahomet n'a-t-il pas dit : Tout homme qui adore Dieu et qui fait de bonnes œuvres, quelle que soit sa religion, sera sauvé ?

SOLIMAN, MOHAMMED, IBRAHIM (ensemble, en s'inclinant). — Il l'a dit.

BONAPARTE. — Et si j'ai tempéré par ordre d'en haut l'orgueil du vicaire d'Issa — le pape —, en diminuant ses possessions terrestres, pour lui amasser des trésors célestes, dites, n'était-ce pas pour rendre gloire à Dieu dont la miséricorde est infinie !

MOHAMMED (avec embarras). — Le muphti de Rome était riche et puissant e mais nous ne sommes que de pauvres muphtis.

BONAPARTE. — Je le sais, soyez sans crainte. Vous avez été pesés dans la balance de Balthazar, et vous avez été trouvés légers Cette pyramide ne renfermait donc aucun trésor qui vous fût connu ?

SOLIMAN. — Aucun, seigneur, nous le jurons par la cité sainte de la Mekke.

BONAPARTE. — Malheur et trois fois malheur à ceux qui recherchent les richesses périssables, et qui convoitent l'or et l'argent, semblables à la boue !

SOLIMAN. — Tu as épargné le vicaire d'Issa, et tu l'as traité avec clémence et bonté.

BONAPARTE. — C'est un vieillard que j'honore — que Dieu accomplisse ses désirs, quand ils seront réglés par la raison et la vérité ! — mais il a le tort de condamner au feu éternel tous les Musulmans ; et Allah défend à tous l'intolérance.

IBRAHIM. — Gloire à Allah et à son prophète qui t'a envoyé au milieu de nous pour réchauffer la foi des faibles, et ouvrir aux fidèles les portes du septième ciel.

BONAPARTE. — Vous l'avez dit, très-zélés muphtis : soyez fidèles à Allah, le souverain maître des sept cieux merveilleux ; à Mahomet, son vizir, qui parcourut tous les cieux dans une nuit. Soyez amis des Francs, et Allah, Mahomet et les Francs vous récompenseront.

IBRAHIM. — Que le prophète lui-même te fasse asseoir à sa gauche le jour de la résurrection, après le troisième son de la trompette.

BONAPARTE. — Que celui-là écoute qui a des oreilles pour entendre : l'heure de la résurrection est arrivée pour tous les peuples qui gémissent sous l'oppression. Muphtis, imans, mollah, derviches, kalenders, instruisez le peuple d'Égypte, encouragez-le à se joindre à nous pour achever d'anéantir les beys et les Mamlouks ; favorisez le commerce des Francs dans vos contrées, et leurs entreprises pour parvenir d'ici à l'ancien pays de Brama offrez-leur des entrepôts dans vos ports, et éloignez les insulaires d'Albion, maudits entre les enfants d'Issa : telle est la volonté de Mahomet. Les trésors, l'industrie et l'amitié des Francs seront votre partage, en attendant que vous montiez au septième ciel, et qu'assis aux côtés des houris aux yeux noirs, toujours jeunes et toujours pucelles, vous reposiez à l'ombre du Lama, dont les branches offriront d'elles-mêmes aux vrais Musulmans tout ce qu'ils pourront désirer.

SOLIMAN (s'inclinant). —Tu as parlé comme le plus docte des mollahs. Nous ajoutons foi à tes paroles ; nous servirons ta cause, et Dieu nous entend.

BONAPARTE. — Dieu est grand et ses œuvres sont merveilleuses. Salut de paix sur vous, très-saints muphtis.

 

N° II.

PROCLAMATION ADRESSÉE PAR DJEZZAR-PACHA AUX BEYS, AUX ARABES ET AUTRES PERSONNES DE CONSIDÉRATION.

 

Koran,

Préservez-nous, mon Dieu des embûches de Satan. Au nom de Dieu clément et miséricordieux ! Ô vous qui avez cru, voulez-vous que je vous montre le moyen d'éviter les tourments les plus terribles, croyez en Dieu et en son prophète, et combattez pour la cause divine de tous vos moyens et de toutes vos forces ; c'est ce que vous aurez de mieux à faire si vous êtes clairvoyants, vos fautes vous seront pardonnées, et vous entrerez dans les jardins où coulent des fleuves délicieux ; vous serez récompensés dans les demeures bienheureuses du jardin d'Éden au comble de la félicité.

Une autre sentence du Koran nous dit :

La victoire vient de Dieu et son triomphe n'est pas éloigné ; annoncez aux vrais croyants que celui qui suit une autre religion que celle du salut, n'en retirera aucun avantage, et qu'il sera au nombre des réprouvés au jour du jugement. Il n'y a point d'autre dieu que Dieu, Mahomet est son prophète ; sur lui le salut de paix.

Aux cheyks arabes Nassir, à l'illustre Suleyman Abou-Nassir, Omar Abou-Nassir, cheyks des Arabes Saaïdé, demeurant à Burget-el-Kubra, que Dieu les élève en dignité !

Après le salut, nous vous faisons savoir que le huitième chaâban, jour béni de la présente année 1213, nous avons reçu des ordres sacrés du souverain, et des commissions glorieuses de la Sublime-Porte, dont le contenu nous apprend que sa hautesse N. S. sultan, que Dieu veuille rendre victorieux, nous a nommé cette année pacha du Kaire, la bien gardée, qu'il nous a revêtu du commandement des troupes musulmanes du pachalic de Damas, de la conduite du pèlerinage a la sacrée Caabah, du pachalic de Tripoli-de-Syrie, de Gaza, de Ramleh, de Jaffa, et de toutes leurs dépendances, qu'il nous a continué le gouvernement d'Acre. Nous rendons grâce à Dieu de ces bienfaits glorieux et de ces nouveaux emplois. S'il plaît à Dieu, cette année sera bénie par-dessus toutes les autres par tous les Musulmans. C'est pour vous faire connaître ces nouvelles qu'émane cet ordre éminent.

Nous vous faisons savoir également que nous avons rassemblé des troupes musulmanes, des armées innombrables de fidèles, fantassins et cavaliers. Nous avons préparé des provisions de guerre et de bouche très-considérables, que nous avons déjà fait passer à Gaza et à El-Arych, pour s'avancer vers l'Égypte, nous confiant d'ailleurs sur le secours du Tout-Puissant pour détruire les Français.

Nous désirons que vous vous réunissiez dès ce moment pour ne former qu'un seul faisceau. Purifiez vos cœurs, que toutes vos pensées soient louables ; unissez-vous à vos frères les croyants contre ces maudits infidèles ; faites vos efforts pour le triomphe de l'islamisme, car, par le secours du Tout-Puissant, vous serez vainqueurs de vos ennemis, qui sont les ennemis de Dieu.

Ne vous laissez pas effrayer par leurs jactances et leurs vaines menaces ; prenez garde surtout à leur perfidie. Ils vous feront d'abord des promesses, et vous précipiteront ensuite dans un abîme de maux. Ils ruineront vos habitations et n'en laisseront aucune trace.

Nous nous sommes aperçus qu'ils sont dans la situation la plus déplorable. Les nouvelles les plus certaines nous en instruisent complètement. Nous avons intercepté des lettres qu'ils envoyaient pour les Français, nous les avons traduites en arabe, et nous vous les communiquerons pour vous confirmer nos paroles, et ne vous laisser aucune incertitude à ce sujet. Cela augmentera notre force et votre zèle, et, s'il plaît à Dieu, vous éprouverez de notre part tout ce qui pourra vous satisfaire. Nous assurerons le repos des peuples par un gouvernement sage ; nous tiendrons nos promesses, et ces oppresseurs sauront alors qu'on les attend.

Nous avons écrit dans ce sens à tous les beys, les Arabes et les personnes en crédit. Sachez-le ainsi, et conduisez-vous conformément à nos intentions. Dieu veuille vous élever en dignités, et vous protéger contre le peuple des infidèles. Que le salut de paix soit sur le prince des prophètes, et la louange à Dieu le maître du monde.

Le 19 chaâban (3 pluviôse).

Signé ACHMET DJEZZAR.

 

N° III.

PROCLAMATION DU MINISTRE DE LA SUBLIME-PORTE AUX GÉNÉRAUX OFFICIERS ET SOLDATS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, QUI SE TROUVENT EN ÉGYPTE.

 

Le Directoire français, oubliant entièrement le droit des gens, vous a induits en erreur, a surpris votre bonne foi, et, au mépris des lois de la guerre, vous a envoyés en Égypte, v pays soumis à la domination de le Sublime-Porte, en vous faisant croire qu'elle-même avait pu consentir à l'envahissement de son territoire.

Doutez-vous qu'en vous envoyant ainsi dans une région lointaine, son unique but n'ait été de vous exiler de la France, de vous précipiter dans un abîme de dangers, et de vous faire périr tous, tant que vous êtes ? Si, dans une ignorance absolue de ce qui en est, vous êtes entrés sur les terres d'Égypte, si vous avez servi d'instrument à une violation des traités, inouïe jusqu'à présent parmi les puissances, n'est-ce point par un effet de la perfidie de vos Directeurs ? Oui, certes, mais il faut pourtant que l'Égypte soit délivrée d'une invasion aussi inique. Des armées innombrables marchent en ce moment, des flottes immenses couvrent déjà la mer.

Ceux d'entre vous, de quelque grade qu'ils soient, qui voudront se soustraire au péril qui les menace, doivent, sans le moindre délai, manifester leurs intentions aux commandants des forces de terre et de mer des puissances alliées : qu'ils soient sûrs et certains qu'on les conduira dans les lieux où ils désireront aller, et qu'on leur fournira des passeports pour n'être pas inquiétés pendant leur route par les escadres alliées, ni par les bâti mens armés en course. Qu'ils s'empressent donc de profiter à temps des dispositions bénignes de la Sublime-Porte, et qu'ils les regardent comme une occasion propice de se tirer de l'abîme affreux où ils ont été plongés.

Fait à Constantinople, le n de la lune de ramazan, l'an de l'hégire 1213, et le 5 février 1799 (17 pluviôse an VII).

Signé JUSSUF, vizir.

Je soussigné, ministre plénipotentiaire du roi d'Angleterre près la Porte-Ottomane, et actuellement commandant la flotte combinée devant Acre, certifie l'authenticité de cette proclamation, et garantis son exécution. A bord du Tigre, ce 10 mai 1799 (21 floréal an VII).

Signé SIDNEY SMITH.

 

N° IV.

LETTRE DE SIR SIDNEY SMITH À M. LE GÉNÉRAL COMMANDANT LES TROUPES FRANÇAISES AU KAIRE.

 

A bord du Tigre, en mer, le 25 mai 1793 (6 prairial an VII).

 

Je soussigné, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE de S. M. britannique près la Porte-Ottomane, commandant des forces combinées destinées à agir contre l'expédition française sous les ordres du général Bonaparte, crois devoir mettre sous les yeux des généraux et officiers commandant les troupes françaises en Égypte, la proclamation du gouvernement ottoman, officiellement comme il l'a fait au général en chef, plutôt que par des voies indirectes.

Ils y trouveront la réponse de la question que le général Bonaparte a fait naître par ses instructions secrètes à son émissaire Beauchamp, arrêté sur la caravelle turque, renvoyée d'Alexandrie, dont voici le texte : Si jamais l'on vous faisait la demande, les Français consentiront-ils à évacuer l'Égypte ? Pourquoi pas ? Pourvu, etc. — Suivent des conditions très-faciles à accorder avec cette seule réserve que le général Bonaparte, depuis la bataille du Nil[1], ne peut être considéré comme dans le cas de pouvoir rien dicter à l'Europe combinée de nouveau par l'effet de l'indignation générale, et moins aujourd'hui que jamais, puisqu'il a échoué dans son entreprise contre la Syrie, devant la première et la plus petite division des forces destinées à agir contre lui.

Le ministre plénipotentiaire de S. M. britannique a l'honneur d'assurer les généraux, officiers et soldats français, que les cours alliées, y compris aujourd'hui celle de Vienne, n'ont d'autre intention que de faire cesser les horreurs de la guerre, prolongées par des prétentions outrées et les expéditions extravagantes du Directoire ; et il croit que rien ne peut tant faciliter la paix que le retour de l'armée française sur le sol de la France, où sa présence seule empêcherait les ambitieux de continuer une guerre sanglante dont l'unique but est de perpétuer le pouvoir usurpé.

 

N° V.

PROCLAMATION ADRESSÉE PAR LE DIVAN DE LA VILLE DU KAIRE, LA BIEN GARDÉE, AUX PROVINCES DE CHARQYEH, GARBYEH, MENOUFYEB, QUÉLIOUBEH, GIZEH ET BAHYREH.

 

Les conseils sont ordonnés par la loi.

Dieu a dit dans le Koran : Ne suivez pas les traces de Satan. Dieu a dit : N'écoutez pas les conseils des méchants ; ils font le mal sur la terre, et sont incapables de bien. Il est du devoir des bons de prévenir le mal avant qu'il arrive ou qu'il soit irréparable. Nous vous prévenons, vrais croyants, pour que vous n'écoutiez pas les paroles des menteurs, parce que vous vous réveilleriez dans le repentir.

Il est arrivé au Kaire, la bien gardée, le chef de l'armée française, le général Bonaparte, qui aime la religion de Mahomet ; il s'est arrêté avec ses soldats à la Koubeh, bien portant et bien sain, remerciant Dieu des faveurs dont il le comble. Il est entré au Kaire par la porte de la Victoire, le vendredi 10 du mois de Moarrham, de l'an 1214 de l'hégire, avec une suite et une pompe des plus grandes : c'a été une fête de voir les soldats bien portants. Il avait avec lui les savants de Jémil-Azar, El-Sadat, El-Bekry, El-Enanieh, El-Demir, El-Dachieh, El-Koudirieh, El-Àchmet, EI-Refahieh, ElKaderkieh, les sept odjaklis du sultan, les principaux habitants, les négociants et le divan. Ce jour a été un très-grand jour ; l'on n'en a jamais vu de pareil : tous les habitants du Kaire sont sortis à sa rencontre. Ils ont vu et reconnu que c'était bien le même général en chef Bonaparte, en propre personne. Ils se sont convaincus que tout ce qui avait été dit sur son compte était faux. Son cœur étant 'porté pour les Musulmans, Dieu le comble de ses faveurs. Ceux qui avaient répandu de fausses nouvelles sur son compte sont les Arabes voleurs, et les Mamlouks fuyards dont les desseins sont la destruction du peuple, de ceux qui suivent les vrais principes de la religion, et d'empêcher la perception des droits du fisc, ne voulant nullement la tranquillité des créatures. Dieu a détruit leur puissance à cause des crimes qu'ils commettaient, et sa justice est terrible. Nous avons appris qu'Elfi-Bey est allé dans le Charqyeh avec quelques mauvais sujets, des Arabes Billys et Haydeh, roulant d'un lieu à l'autre pour faire le mal, pillant le bien des Musulmans ; mais Dieu les en punira. Il répand dans les campagnes de fausses lettres, voulant faire croire aux paysans que les troupes du sultan sont en route ; la vérité est qu'il n'en existe pas, n'y ayant rien de plus faux que ces bruits. Son intention est de faire naître le trouble, pour amener la destruction du peuple, comme faisait Ibrahim-Bey pendant son séjour à Gaza, d'où il envoyait des firmans pleins de faussetés et de mensonges, disant que c'était du consentement du sultan. Les paysans trompés, et les mauvais sujets qui y ajoutaient foi, pour ne pas en prévoir les suites, se jetaient dans le malheur ; les habitants de l'Égypte-Supérieure ont chassé les Mamlouks pour leur sûreté, celle de leurs familles et de leurs enfants, parce que la punition des méchants entraîne la perte des bons, leurs voisins. La punition divine est tombée sur les méchants, nous demandons à Dieu d'en préserver les bons. Les habitants de l'Égypte-Supérieure ont montré par cette conduite plus de jugement et de prudence que ceux de la Basse-Égypte.

Nous vous informons que Djezzar-Pacha, qui a été ainsi nommé à cause de ses grandes cruautés[2], ne faisant aucun choix de ses victimes, avait rassemblé un grand nombre de mauvais sujets, soldats osmanlis, arabes et autres, voulant s'emparer du Kaire et des provinces de l'Égypte, et les encourageant par la promesse du pillage et du viol ; mais Dieu s'est refuse à ses projets, faisant exécuter sa volonté à son choix. Les grâces de Dieu sont infinies, et tout dépend des bonnes intentions -, il avait envoyé une partie de ses soldats dans le fort d'El-Arych, dans l'intention de prendre Qatieh. Le général en chef Bonaparte partit, battit les soldats de Djezzar, qui étaient à El-Arych, et qui criaient à la fuite, après que leur plus grand nombre eût été tué ou blesse. Ils étaient environ 3.000. Il prit le fort d'El-Arych et tous les approvisionnements de Djezzar qui s'y trouvaient. Le général en chef se porta ensuite à Gaza, battit ce qu'il y trouva de troupes de Djezzar, qui fuirent devant lui, comme les oiseaux et les souris fuient devant le chat. Étant entré dans le fort de Gaza, il fit publier et assurer sûreté et protection au peuple ; ordonna que la religion musulmane fût respectée, et combla d'honneurs les savants, les principaux et les négociants. Étant ensuite arrivé à Ramleh, il s'empara des approvisionnements de Djezzar, en biscuit, riz, orge, et 2.000 outres fort belles, qui étaient là, pour sa route sur l'Égypte ; mais Dieu ne l'a pas voulu. Il alla ensuite à Jaffa, et en fit le siège pendant trois jours. S'en étant emparé, il prit tous les approvisionnements qui s'y trouvaient faits par Djezzar. Les habitants égarés, n'ayant pas voulu se soumettre et le reconnaître, ayant refusé sa protection, il les livra dans sa colère et par la force qui le dirige, au pillage et à la mort. Il en est péri aux environs de 5.000. Il a détruit leurs remparts, et fait périr tout ce qui s'y trouvait ; c'est l'ouvrage de Dieu qui dit aux choses d'être, et elles sont. Il a épargné les Égyptiens qui s'y sont trouvés, les a honorés, nourris et vêtus. Il les a embarqués sur des bâtiments pour les reconduire dans leur patrie, les a fait escorter, craignant que les Arabes ne leur nuisissent, et les a comblés de biens. Il se trouvait à Jaffa environ 5.000 hommes de troupes de Djezzar ; il les a tous détruits. Bien peu se sont sauvés par la fuite. De Jaffa, il se porta à la montagne de Naplous, détruisit ce qui s'y trouva de troupes de Djezzar dans un endroit appelé Qaqoûn, et brûla cinq villages de la montagne. Ce qui était dans les destins a eu lieu : le maître de l'univers agit toujours avec la même justice. Ensuite, il a détruit les murs d'Acre, le château de Djezzar qui était très-fort ; il n'a pas laissé à Acre pierre sur pierre, et en a fait un tas de décombres, au point que l'on demande s'il a existé une ville dans ce lieu, où on était resté environ 20 ans pour la bâtir. Il y vexait les habitants et les créatures : voilà la fin des édifices des tyrans. Lorsque sont venus à lui les partisans de Djezzar, de tous côtés il les a complètement battus, et n'en a laissé échapper aucun, il est tombé sur eux comme la foudre du ciel, et ils ont eu ce qu'ils méritaient. Il est retourné ensuite en Égypte pour deux motifs : le premier, pour tenir la promesse qu'il avait faite aux Égyptiens, de retourner à eux dans quatre mois, et ses promesses sont des engagements sacrés ; le second, c'est qu'il a appris que divers mauvais sujets mamlouks et arabes semaient le trouble et la sédition pendant son absence, dans les diverses provinces et villages : son arrivée les a tous dissipés comme des nuages aux premiers rayons du soleil et pendant le jour ; toute son- ambition est toujours la destruction des médians, et son envie de faire le bien aux bons. Son amour pour le Kaire, l'Égypte, son fleuve, ses productions et ses beautés, le porte à vouloir qu'ils prospèrent jusqu'au jugement dernier. Il a amené avec lui quantité de prisonniers, de drapeaux et de canons qu'il a pris sur l'ennemi : toutes les peines sont pour ceux qui lui sont contraires, et le bonheur sera le partage de ceux qui lui sont unis. Retournez donc, créatures de Dieu, vers Dieu ; soumettez-vous à ses ordres, la terre lui appartient, suivez ses volontés, et sachez qu'il dispose de la puissance et la donne à qui il veut ; c'est ce qu'il nous a ordonné de croire. Ne soyez pas l'occasion de l'effusion de votre sang ; ne faites pas trafic du malheur de vos familles et de vos enfants. N'écoutez pas les propos des Mamlouks fuyards ; ne marchez pas sur les traces des pervers ; ne marchez pas dans de mauvaises intentions ; n'écoutez pas ceux qui vous disent que détruire les Français est une œuvre ordonnée par votre religion : c'est le contraire ; ces conseils ne peuvent que vous conduire à votre abaissement, et entraîner la destruction des vrais croyants, grands et petits. Les Mamlouks et les Arabes vous égarent pour vous piller, et, lorsqu'ils voient venir les Français, ils fuient comme s ils voyaient le diable, vous abandonnant à la colère des soldats ce qui est déjà arrivé plusieurs fois. Dieu nous suffit, et il nous suffit pour punir les méchants. Lorsque le général en chef est arrivé au Kaire, il a fait connaître aux membres du divan, qu'il aime les Musulmans, qu'il chérit le prophète auquel s'adresse le salut, qu'il s'instruit dans le Koran, qu'il le lit tous les jours avec attention : il a ordonné l'entretien de tout le nécessaire des mosquées, le recouvrement de toutes les fondations et leur application, il a conservé tous les droits des odjaklis, et s'est occupé du bonheur du peuple ; voyez cette source de biens ; elle sera complétée par le créateur. Nous savons qu'il est dans l'intention de bâtir une mosquée qui n'aura point d'égale au monde, et d'embrasser la religion musulmane.

Signés les cheyks EL-BEKRY, EL-CHERQAOUI, EL-MOHDY, EL-SAOUY, EL-FAYOUMY.

ALY-KETKODA, SEÏD-ACHMED-EL-MAHROUQY, YOUSEF-BACH-TCHAOUYCH,

Membres du Divan

 

 

 



[1] Nom que les Anglais ont donné au combat naval d'Abouqyr.

[2] Djezzar, en arabe, signifie boucher, carnassier.