HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ÉGYPTE. - TOME SECOND

 

CHAPITRE XVI.

 

 

Bonaparte se prépare à passer en France. — Motifs qui l'y déterminent et but qu'il se propose. — Il quitte le Kaire et se rend à Alexandrie — Il donne le commandement de l'armée à Kléber et lui laisse ses instructions. — Bonaparte s'embarque à Alexandrie. — Sa traversée. — Il atteint les côtes de France.

 

Bonaparte est sur le point de quitter l'Égypte. Isolé de la France, sans marine, sans moyen de recrutement, sans argent, sans ressources, il prévoit le moment très-prochain où son armée, affaiblie par les combats, par les maladies, en proie à tous les besoins, assaillie par l'Europe, l'Afrique et l'Asie, sera forcée d'abandonner sa conquête, trop heureuse si par une honteuse capitulation, il en échappe quelques débris aux ravages de la peste et aux armes des barbares. C'est poursuivi par cette triste perspective que Bonaparte déserte son armée, l'abandonne à son mauvais sort, prend la fuite, et traverse les mers pour venir en France réparer sa fortune.

Voilà du moins l'opinion qui, sur la foi de quelques voix hostiles, s'est le plus généralement répandue.

Il n'est point de circonstance de la vie de Bonaparte qui ait donné lieu à plus de conjectures, de suppositions, de romans ; portons-y la lumière et cherchons la vérité.

Empruntant d'abord les expressions même d'un des écrivains les plus passionnés contre Bonaparte, nous dirons : Sans doute il est un genre d'exaltation désintéressée qui n'aurait pas permis à un guerrier de se séparer ainsi de ceux qui l'auraient suivi et qu'il laissait dans la détresse. Mais le général courait de tels risques en traversant les mers couvertes de vaisseaux anglais, le dessein qui l'appelait en France était en lui-même si hardi, qu'il est absurde de traiter de lâcheté son départ d'Égypte. Il ne faut pas attaquer un être de ce genre par des déclamations communes. Tout homme qui a produit un grand effet sur les autres hommes, doit être approfondi pour être jugé[1].

Les instructions du général en chef de l'armée d'Orient étaient-elles par écrit ou verbales ? On ne peut le dire. Différentes recherches faites sur les registres du Directoire et dans les dépôts publics, pour les retrouver, ont été infructueuses. Si ces instructions ont existé, l'original en est perdu, ou du moins il n'est point en Europe[2].

Mais on assure que Bonaparte avait reçu du Directoire carte blanche pour faire la guerre et la paix en Orient, pour revenir en France, quand il le jugerait convenable, ramener son armée, ou la laisser et se nommer un successeur[3]. On n'aura pas de peine à croire que Bonaparte qui, pendant son commandement en Italie, s'était arrogé une grande indépendance, ne partit point pour une expédition lointaine sans qu'on lui eût laissé la plus grande latitude dans toutes ses opérations.

Il est certain qu'avant de partir de Paris pour se rendre à Toulon, il dit plusieurs fois qu'il était autorisé à quitter l'Égypte avec ou sans son armée, suivant les circonstances. Il dit à son frère Joseph : Si la République peut véritablement s'affermir, si l'on peut se passer de moi en France, je resterai en Orient. Il m'ouvre un assez vaste champ de gloire ; d'un côté Constantinople et de l'autre l'Inde... Si on a encore la guerre en Europe ; si nos vieilles habitudes monarchiques, en contradiction avec nos lois actuelles, mettent aux prises l'opinion et le gouvernement républicain, s'il faut une main unique et forte pour soutenir nos institutions nouvelles jusqu'à ce qu'elles soient soutenues par les mœurs et l'habitude, si l'opinion me rappelle, je reviendrai.

L'ambassade de Prusse ayant été proposée à Joseph Bonaparte, il fut reconnu et convenu, dans une conférence entre lui, son frère le général et les directeurs, qu'il ferait mieux de rester au conseil des Cinq-Cents, parce qu'il y aurait plus de facilité pour correspondre avec le général en chef de l'armée d'Orient, et pour l'informer des évènements qui pourraient le décider à revenir en France.

La correspondance de Bonaparte ne permet pas de douter que l'autorisation ne lui en eut été donnée. Il avait écrit au Directoire, le 27 frimaire an VII (17 décembre 1798) : Nous attendons des nouvelles de France et de l'Europe : c'est un besoin vif pour nos âmes, car si la gloire nationale avait besoin de nous, nous serions inconsolables de n'y pas être.

Lorsque Bonaparte partit pour la Syrie, la République, d'après le témoignage des citoyens Hamelin et Livron, arrivant d'Europe, jouissait encore de la paix ; mais tout annonçait la guerre. Il écrivit au Directoire, le 22 pluviôse : Si, dans le courant de mars, le rapport du citoyen Hamelin m'était confirmé, et si la France était en guerre contre les rois, je passerais en France. Voilà une résolution positive ; et certes, Bonaparte ne l'aurait point annoncée d'avance au Directoire, S'il n'avait pas été autorisé à la prendre.

On trouve dans plusieurs recueils la lettre suivante du Directoire à Bonaparte, du, prairial an VII :

Les forces extraordinaires que développent l'Autriche et la Russie, la tournure sérieuse et plus qu'inquiétante qu'a prise la guerre, exigent une concentration de celles de la République. En conséquence, le Directoire a ordonné à l'amiral Bruix d'employer tous les moyens en son pouvoir pour être maître de la Méditerranée, et faire voile vers l'Égypte pour ramener l'armée que vous y commandez. Il est en même temps chargé de s'entendre avec vous sur les moyens d'embarquement et de transport. Vous êtes le mieux en état de juger si vous pouvez, avec sûreté, laisser en Égypte une partie de vos forces ; et, dans ce cas, le Directoire vous autorise à en donner le commandement à celui que vous jugerez convenable. Le Directoire vous verrait avec plaisir revenir à la tête des armées républicaines que vous avez commandées jusqu'à présent avec tant de gloire.

Signés

Treilhard, Réveillère-Lepaux et Barras.

 

On a contesté l'authenticité de cette pièce ; on a dit qu'elle ne se trouvait ni sur les registres ni dans les minutes de correspondance déposés dans les archives du gouvernement. Un écrivain[4] a prétendu que la signature de cette lettre ou de toute autre avait été surprise aux directeurs.

Quoi qu'il en soit, le directeur Merlin atteste que lorsqu'on vit les armées de la République battues, l'Italie envahie et les frontières menacées, les regards du Directoire, ceux de beaucoup de Français se portèrent naturellement vers le général qui l'avait conquise, et qu'il délibéra il l'unanimité de rappeler Bonaparte. Mais cette décision ne lui parvint point. L'amiral Bruix, qui avait été chargé de la porter et de ramener le général, rentra le 27 thermidor dans le port de Brest, sans avoir touché l'Égypte, après une course heureuse ou savante, mais qui n'eut aucun résultat.

Si la lettre du Directoire, ajoute-t-on, ne parvint pas à Bonaparte, du moins reçut-il des avis de ses frères Joseph et Lucien, qui l'informaient de la situation des choses et le pressaient de revenir.

A cette époque si funeste aux armes de la République et si féconde en divisions parmi les premières autorités de l'État, un parti, portant ses vues au-delà des affaires militaires, songea sérieusement à une réforme dans la constitution. Une des bases principales de cette réforme était de renforcer le pouvoir exécutif et de le concentrer dans les mains d'un seul homme. On regardait Sieyès comme le chef de ce parti, parce qu'après avoir refusé, en l'an IV, les fonctions de directeur, par le seul motif qu'il ne s'y croyait nullement propre, il venait cependant de les accepter en l'an VII. Les journaux le signalaient ouvertement pour être revenu de son ambassade à Berlin avec des projets tout faits, et même concertés avec les puissances. Il n'était pas nécessaire de supposer de semblables combinaisons pour persuader qu'un personnage tel que Sieyès, frappé des malheurs de sa patrie, cherchât à y mettre un terme par une nouvelle organisation politique. Parmi les principaux de ce parti, on remarquait Lucien Bonaparte. On y était d'accord sur la nécessité d'une réforme, et sur celle de mettre à la tête du gouvernement un militaire capable de résister aux nombreux ennemis de la République sur les champs de bataille ainsi qu'au conseil. On n'était pas unanime sur le choix de l'homme, ni sur le moment d'opérer. Parmi les généraux, Bonaparte, Kléber se présentaient au premier rang ; mais ils étaient en Égypte. Parmi ceux qui étaient en France, on pensait à Joubert, à Moreau, quelques-uns à Bernadotte. Joubert réunissait le plus de suffrages. On espérait qu'à la tête de l'armée d'Italie, ce candidat au pouvoir se recommanderait par une grande victoire, lorsque la mort le mit hors de rang. Moreau ne s'était pas relevé dans l'opinion des patriotes des soupçons qu'avait fait planer sur lui sa conduite équivoque dans la trahison de Pichegru. Bernadotte, par l'exagération de son républicanisme et ses liaisons avec les jacobins, s'était discrédité auprès des hommes qui méditaient une réforme. La grande renommée de Bonaparte était intacte. On ne peut pas douter que ses frères et ses partisans n'eussent fait tous leurs efforts pour l'instruire de l'état des choses en France et l'engager de se rendre à leurs vœux.

Dans la guerre qui précéda et suivit la révolution directoriale du 30 prairial, le Corps législatif reprocha au Directoire la perte de l'Italie, et la déportation de Bonaparte en Égypte avec l'élite de l'armée. Les directeurs se déchargeaient sur le général absent de la responsabilité de cette entreprise. Dans une réunion de représentants, où les défenseurs du Directoire s'étaient exprimés d'une manière équivoque sur Bonaparte, son frère Joseph, renonçant à sa réserve naturelle, prit la parole : suivant lui, on abandonnait l'armée d'Orient et son général ; on les vouait à une perte certaine ; c'était le comble de l'ingratitude et trahir la patrie, qui avait le plus grand besoin de tous ses défenseurs. On assure que le Directoire, et Sieyès alors en était membre, se décida de nouveau à écrire à Bonaparte pour l'inviter à revenir. Quoiqu'il en soit, Joseph, et nous en avons son témoignage, persuadé au contraire que, son frère n avait plus rien à espérer du Directoire, lui : envoya un Grec nommé Bourbacki, avec des dépêches, pour lui faire connaître la véritable situation des choses. Bourbacki reçut de Joseph une lettre en triplicata ; il en cacha une copie dans la semelle de ses bottes, une autre dans une canne creuse, et la troisième enfin dans ses cheveux, sous son ruban de queue. Il paraît que les agents du Directoire firent tout ce qu'ils purent pour empêcher son départ et lui enlever ses dépêches ; que, trahi par les ouvriers qu'il avait employés, il ne put conserver que la copie qu'il avait, cachée sous son ruban de queue. Il parvint cependant a s embarquer sur un bâtiment de sa nation, à traverser les flottes turques, et anglaises et aborda a Alexandrie. A quelle époque arriva-t-il en Égypte et où remit-il ses dépêches à Bonaparte ? c'est ce qu'on n'a pu savoir par son frère, le colonel Bourbacki, de qui on tient ces détails. Quoi qu'il en soit, il parait qu'à leur réception, Bonaparte voulait déjà retourner, en France et se servir du navire qui avait amené Bourbacki ; mais il renonça a ce projet sur l'observation que ce navire pourrait difficilement tenir, la mer et échapper, à la poursuite des Turcs et des Anglais. En effet, Bourbacki s étant rembarqué, fut pris par les Turcs, réduit en esclavage, et ne recouvra sa liberté qu'à la paix avec la Porte. Miot dit avoir une idée confuse d'avoir entendu parler au Kaire d'un voyage mystérieux de ce Grec qui décida Bonaparte à quitter l'Égypte.

Dans sa lettre du 22 pluviôse au Directoire, déjà citée, Bonaparte, en annonçant l'arrivée de Hamelin et Livron, ajoutait : Je ne me permets aucune réflexion sur les affaires de la République, puisque je n'ai eu aucune nouvelle depuis dix mois.

Le 10 messidor, il écrivait encore au Directoire : Je n'ai point reçu de lettres de France depuis l'arrivée de Moureau, qui m'a apporté les nouvelles du 5 nivôse et de Belleville, du 20 pluviôse. J'espère que nous ne tarderons pas à en recevoir : nos sollicitudes sont toutes en France. Si les rois l'attaquaient, vous trouveriez dans vos bonnes frontières, dans le génie guerrier de la nation et de vos généraux, des moyens pour leur rendre leur audace funeste. Le plus beau jour pour nous sera celui où nous apprendrons la formation d'une République en Allemagne.

Que penser de l'assertion d'un écrivain qui fait arriver à Abouqyr, le 8 ventôse, un courrier parti de Gènes le 25 pluviôse, apportant au Kaire et ensuite à Acre, où se trouvait alors Bonaparte, des journaux et des lettres qui apprenaient que l'Italie était envahie, qui attristèrent l'armée, et qui décidèrent le général en chef à partir[5] ?

La défaite de Schérer, sous les murs de Vérone, n'eut lieu qu'un mois après, du 5 au 10 germinal. Le courrier parti de Gênes était celui de Belleville dont Bonaparte parlait au Directoire dans sa lettre du 10 messidor, d'où il résulte qu'il ignorait encore à cette époque que la guerre fût même recommencée.

Il faut conclure de tous ces faits, que Bonaparte était autorisé par ses instructions à revenir en France quand il le jugerait à propos ; que le Directoire l'y autorisa de nouveau d'une manière spéciale ; que ses partisans, et notamment ses frères, lui écrivirent pour l'instruire de l'état des choses en France et en Europe.

Qu'il eût reçu ou non ces autorisations et ces avertissements, c'est sur la plage d'Abouqyr, sur les ruines fumantes du fort qu'il prend une résolution qui doit décider des destinées du peuple français, des affaires de l'Europe et de l'avenir de Bonaparte, c'est là qu'a lieu une communication de la plus haute importance qui le détermine à quitter l'Égypte.

Le 15 thermidor au matin, Bonaparte ayant reçu à Alexandrie l'avis que le fort d'Abouqyr capitulait, expédia aussitôt son aide-de-camp Merlin auprès du général Menou, pour prendre une connaissance exacte et détaillée de la situation de la place au moment de sa reddition, et de l'état de la garnison prisonnière. Après avoir rempli sa mission dans le fort, Merlin se rendit sous la tente du général Menou, et y trouva un parlementaire de Sidney Smith qui venait d'y arriver, sous prétexte de traiter de l'échange des prisonniers. Après avoir exposé l'objet de sa mission, il ajouta : M. le commodore a reçu hier, un aviso qui lui a apporté des nouvelles d'Europe, Comme vous en êtes privés depuis longtemps, il a pensé que vous liriez les gazettes avec plaisir. En voici un paquet qu'il m'a chargé de vous remettre. C'étaient la Gazette de Francfort et le Courier de Londres.

Lorsque le parlementaire fut parti, on n'eut rien de plus pressé que de parcourir ces gazettes, sans pouvoir cependant se défendre d'un sentiment d'effroi, présumant que Sidney Smith n'était aussi obligeant que parce que ces papiers annonçaient des évènements désastreux pour la France. Ils contenaient en effet tous, les détails des défaites de Schérer sur l'Adige, de tous les revers de l'armée jusqu'à l'arrivée de ses débris sur la Bormida, et de la défaite de Jourdan par le prince Charles.

Merlin partit en toute hâte d'Abouqyr pour porter à Bonaparte ces fatales galettes, et arriva à Alexandrie à minuit. Bonaparte était couché et dormait profondément. En entrant dans sa chambre, Général, lui dit Merlin, je vous apporte une collection des gazettes d'Europe ; vous y verrez beaucoup de nouvelles désastreuses.

Que se passe-t-il donc ? demanda Bonaparte avec agitation et se mettant sur son séant.

Schérer a été complètement battu en Italie ; nous l'avons presque entièrement perdue, et, au 1er mai, notre armée avait déjà rétrogradé jusque sur la Bormida. Jourdan a été battu dans la Forêt-Noire et a repassé le Rhin.

A ces mots, Bonaparte se jeta en bas de son lit, s'empara des gazettes, et les lut pendant le reste de la nuit, ne s'interrompant que par des exclamations de douleur et d'indignation.

Le lendemain, 16 thermidor, il fit appeler de bonne heure le contre-amiral Gantheaume, avec lequel il s'enferma pendant deux heures.

Malgré quelques variantes contenues dans les Mémoires de Sainte-Hélène, ils sont d'accord sur ce point, que ce fut cette communication des nouvelles d'Europe faite par Sidney Smith qui détermina Bonaparte à retourner en France[6]. Aussi disait-il dans ses adieux à l'armée (5 fructidor), que les nouvelles d'Europe l'avaient décidé à partir pour la France ; dans ses instructions au général Kléber (5 fructidor) : Vous trouverez ci-joint les papiers anglais et de Francfort jusqu'au 10 juin. Vous y verrez que nous avons perdu l'Italie, que Mantoue, Turin et Tortone sont bloqués. J'ai lieu d'espérer que la première tiendra jusqu'à la fin de novembre. J'ai l'espérance, si la fortune me sourit, d'arriver en Europe au commencement d'octobre.

Quels étaient les desseins de Bonaparte en retournant en France ? Quand toute sa carrière antécédente ne les ferait point conjecturer, quand ils n'auraient pas été dévoilés par des évènements subséquents, ses propres aveux dissiperaient tous les doutes. Il revint en France parce qu'il pensait que sa présence était nécessaire à la République, et que le premier objet de l'expédition d'Égypte était rempli. Il était résolu de s'emparer de l'autorité et de rendre à la France ses jours de gloire, en donnant une direction forte aux affaires publiques.

Dès le 3 messidor, Bonaparte, envoyant le contre-amiral Gantheaume du Kaire à Alexandrie pour le service de la marine, le chargea de tenir les frégates le Muiron et le Carrère et plusieurs avisos prêts à partir pour la France. On pourrait en conclure que, dès cette époque, Bonaparte pensait à quitter l'Égypte. Depuis plus de trois mois, il était sans nouvelles. Les dernières qu'il avait reçues lui avaient fait pressentir que la guerre ne tarderait pas à éclater. Il est donc probable qu'il voulait s'assurer les moyens de retourner en France suivant les évènements ; on ne croit pas qu'il eût encore de projet arrêté.

Mais dans le long entretien qu'il avait eu à Alexandrie avec le contre-amiral Gantheaume, le 16 thermidor, il n'est pas douteux que Bonaparte ne lui eût donné l'ordre de mettre la dernière main à l'armement des deux frégates et de le prévenir du moment où les croisières ennemies auraient laissé le mouillage.

Il revint donc au Kaire avec le projet arrêté de partir bientôt pour la France. Il écrivit à Kléber qu'il lui enverrait des gazettes où il verrait d'étranges choses[7]. Il envoya à Desaix une notice des nouvelles désastreuses contenues dans ces papiers sans aucune réflexion[8]. Il y a lieu de croire cependant qu'il mit Desaix dans sa confidence. Ce général lui répondit, dit-on : Ces revers ne m'ont pas surpris, mais ils m'ont vivement affligé. On voit bien que vous n'êtes plus dans cette Italie où vous avez eu tant de succès ; vous y retournerez, vous illustrerez la nation ; et nous, nous végéterons au milieu des Arabes. Qui connaîtra la grandeur de vos idées ? Qui appréciera vos généreux desseins ? Cette guerre d'Allemagne est une horrible chose ; j'enrage de n'y être pas. Pensez du moins à nous, à notre situation, à notre passion pour la gloire ; mais avant tout sauvez la France. Bonaparte ne fut pas fâché d'avoir le suffrage de Desaix[9].

Le 25 thermidor, il ordonna à Desnoyers, officier de ses guides, de se rendre sur-le-champ à Boulaq, où il se présenterait chez le commandant de la marine qui mettrait à sa disposition une demi-galère armée pour aller à Rahmanieh ; de se présenter chez le commandant de cette place pour en avoir une escorte, arriver en toute diligence à Alexandrie, et remettre en propres mains une lettre à Gantheaume ; de ne partir d'Alexandrie que lorsque ce général l'expédierait ; de retourner à Rahmanieh où il était nécessaire qu'il fut arrivé au plus tard le 2 fructidor à midi, et de rester dans le fort jusqu'à un nouvel ordre qu'il recevrait probablement du 2 au 5 fructidor.

Par sa lettre au contre-amiral Gantheaume, Bonaparte lui annonçait évidemment son départ prochain du Kaire, puisque le même jour, prétextant une tournée dans le Delta, il écrivit au général Lanusse de garder ses guides et ses équipages ; qu'il comptait dans deux jours débarquer au Ventre de la Vache et l'aller trouver à Menouf, et qu'il le ferait prévenir 24 heures d'avance.

Tandis que Desnoyers se rendait à Alexandrie, Gantheaume faisait connaître à Bonaparte les mouvements des croisières ennemies, et, depuis le 23, lui écrivait régulièrement deux ou trois fois par jour.

Le 27, il était parti plusieurs bâtiments de l'escadre turque ; il restait encore dans la rade d'Abouqyr 3 vaisseaux, 14 canonnières et environ 30 transports. Le commodore Smith paraissait définitivement vouloir abandonner le mouillage ; depuis deux jours, le port n'était plus bloqué à vue ; la frégate le Muiron était passée au port neuf, elle était entièrement prête ainsi que le Carrère.

Gantheaume présumait que les vaisseaux anglais et turcs qui avaient quitté la rade d Abouqyr se rendaient à Lesbeh de Chypre ou dans l'Archipel pour renouveler leurs provisions d'eau dont ils étaient totalement dépourvus, et que dans huit ou dix jours ils pourraient reparaître. Il persistait donc à croire que le moment était un des plus favorables pour exécuter ce que Bonaparte lui avait prescrit, et qu'il n'y avait pas un instant à perdre[10].

A la réception de ces renseignements, Bonaparte se décida à partir. Le 30, il écrivit au divan du Kaire qu'il partait le lendemain pour Menouf d'où il ferait différentes tournées dans le Delta, afin de voir par lui-même les injustices qui pouvaient être commises, et prendre connaissance des hommes et du pays. Il lui recommandait de maintenir la confiance parmi le peuple. Dites-lui souvent, ajoutait-il, que j'aime les Musulmans, et que mon intention est de faire leur bonheur. Faites-leur connaître que j'ai pour conduire les hommes les plus grands moyens la persuasion et la force ; qu'avec l'une, je cherche à me faire des amis ; qu'avec l'autre, je détruis mes ennemis. Il recommandait enfin au divan de lui donner de ses nouvelles, et de l'informer de la situation des choses le plus souvent possible[11].

Bonaparte écrivit aussi à Poussielgue pour lui annoncer son départ ; lui recommanda de pousser vivement la rentrée des fermages et des contributions, de correspondre avec lui à Menouf, de vivre en bonne intelligence avec les cheyks, de maintenir la paix au Kaire, de faire dans tout ce qui le concernait tout ce qu'il jugerait à propos, en prenant toujours la voie qui approcherait le moins de la nouveauté. Je recommande, lui mandait-il en finissant, au général Dugua de frapper ferme au premier événement ; qu'il fasse couper six têtes par jour ; mais riez toujours[12].

Bonaparte annonça à son état-major qu'il eût à se préparer pour un voyage de huit jours. Cependant les préparatifs qui se faisaient chez le général en chef étaient beaucoup plus considérables que ceux qu'on avait faits pour la campagne de Syrie. Son secrétaire Bourrienne emballait tous les papiers. A 11 heures du soir, plus de 20 chameaux recevaient leur charge dans la cour du quartier-général. A minuit, Bonaparte partit, et s'embarqua à Boulaq sur le bateau armé de six pièces de canon qui lui servait à naviguer sur le Nil.

Le lendemain, il y eut au Kaire grande rumeur à l'Institut. On y dit hautement que Bonaparte était parti pour retourner en France. En un instant cette nouvelle se répandit dans toute la ville. Les commissions de savants refusèrent de partir pour la Haute-Égypte. Fourier envoya son refus par écrit à Dugua. Ce général, en informant Bonaparte de cette nouvelle à laquelle il ne croyait pas, lui demandait en grâce de ne pas rester aussi longtemps sans lui écrire qu'il l'avait fait dans les expéditions de Syrie et d'Abouqyr[13].

Arrivé à la pointe du Delta, appelée Badel-Baqarâh — ventre de la vache —, Bonaparte fit suivre la branche de Rosette et se rendit à Menouf chez le général Lanusse.

Au dîner, ce général dit à Bonaparte : On prétend, mon général, que vous allez vous embarquer à Alexandrie pour retourner en France. Si cela est vrai, j'espère que, rentré dans notre patrie, vous n'oublierez pas l'armée d'Égypte. Le général en chef répondit que c'était un faux bruit ; que son voyage n'avait d'autre but que de visiter le Delta et la province de Damiette qu'il ne connaissait pas encore. Si vous allez à Damiette, ajouta Lanusse, la route la plus naturelle et la plus directe est le canal de Menouf ; en le prenant, vous aurez l'avantage de traverser dans son entier le Delta. Bonaparte répliqua qu'il avait besoin d'aller d'abord à Rosette, et que de là il se rendrait directement à Damiette par le lac de Bourlos.

Toujours plus persuadé que Bonaparte retournait en France, Lanusse n'insista pas davantage.

Le général en chef écrivit à Dugua que, désirant s'assurer lui-même des mouvements de la côte, il allait voir s'il lui serait possible de descendre par les canaux jusqu'à Bourlos ; il l'invitait à lui adresser ses dépêches à Rosette, et des duplicata à Menouf et Damiette, s'il y avait quelque chose de très-urgent.

Il écrivit au général Kléber sur divers objets de service courant, lui annonça qu'il se rendait à Rosette. Vous recevrez, lui mandait-il[14], cette lettre le 3 ou le 4 ; partez, je vous prie, sur-le-champ pour vous y rendre de votre personne, si vous ne voyez aucun inconvénient à vous absenter de Damiette ; sans quoi envoyez-moi un de vos aides-de-camp. Je désirerais qu'il pût arriver à Rosette dans la journée du 7. J'ai à conférer avec vous sur des affaires extrêmement importantes.

Après un séjour de 24 heures à Menouf, le général en chef partit pour Rahmanieh où il débarqua. Il y trouva ses équipages, monta de suite à cheval et continua sa route vers Alexandrie. Le soir, il fit halte au village de Berket ; on dressa des tentes ; il y passa la nuit.

Jusque-là, Bonaparte et le peu de personnes qui étaient dans sa confidence, comme Bourrienne, Berthier, Denon, Monge et Berthollet, avaient gardé leur secret. Cependant depuis qu'on avait quitté le Nil et la direction de Rosette, personne ne doutait plus du but de ce voyage. A Berket, on cessa donc de dissimuler. On se livra ouvertement à la joie qu'excitait dans tous les cœurs l'espoir de revoir la patrie après 18 mois d'absence. Un détachement qui se rendait d'Alexandrie à Rahmanieh annonça en passant que deux frégates étaient à l'ancre hors du port neuf et qu'elles n'attendaient pour mettre à la voile que l'arrivée de Bonaparte. Il reçut en route toutes les lettres de Gantheaume postérieures à celle du 27 thermidor. Elles annonçaient que la mer était libre, que tout était prêt.

Le 5, on ne s'occupa plus que de l'embarquement. Bonaparte envoya au général Menou l'ordre de venir de Rosette le trouver au bord de la mer.

L'armement des frégates avait été trop public à Alexandrie pour ne pas y donner l'éveil sur leur destination. L'ordonnateur de la marine Leroy avait écrit, le 30 thermidor, au général en chef pour lui demander la permission de s'embarquer avec lui. Il y avait de l'inconvénient à passer par cette ville ; cela n'était pas nécessaire ; Bonaparte s'arrêta donc au puits de Beïdah, qui en est éloigné de 3 lieues.

C'est là que, sur le sable, à l'ardeur brûlante du soleil, Bourrienne tira à part l'aide-de-camp Merlin et lui donna à copier l'instruction que Bonaparte adressait à Kléber en lui remettant le commandement de Farinée. Cette pièce, devenue depuis si célèbre, et dans le fait l'une des plus importantes pour l'histoire de l'expédition d'Égypte, était ainsi conçue :

Alexandrie, 5 fructidor an VII.

Au général Kléber.

Vous trouverez ci-joint, citoyen général, un ordre pour prendre le commandement en chef de l'armée. La crainte que la croisière anglaise ne reparaisse d'un moment à l'autre, me fait précipiter mon voyage de deux ou trois jours.

J'emmène avec moi les généraux Berthier, Andréossy, Murat, Lannes et Marmont et les citoyens Monge et Berthollet.

Vous trouverez ci-joint les papiers anglais et de Francfort jusqu'au 10 juin. Vous y verrez que nous avons perdu l'Italie, que Mantoue, Turin et Tortone sont bloquées. J'ai lieu d'espérer que la première de ces villes tiendra jusqu'à la fin de novembre. J'ai l'espérance, si la fortune me sourit, d'arriver en Europe avant le commencement d'octobre.

Vous trouverez ci-joint un chiffre pour correspondre avec le gouvernement, et un autre chiffre pour correspondre avec moi.

Je vous prie de faire partir, dans le courant d'octobre, Junot, ainsi que mes domestiques, et tous les effets que j'ai laissés au Kaire ; cependant, je ne trouverai pas mauvais que vous engagiez à votre service ceux de mes domestiques qui vous conviendraient.

L'intention du gouvernement est que le général Desaix parte pour l'Europe dans le courant de novembre, à moins d'évènements majeurs[15].

La commission des arts passera en France sur un parlementaire que vous demanderez à cet effet, conformément au cartel d'échange, dans le courant de novembre, immédiatement après qu'elle aura achevé sa mission. Elle est maintenant occupée à voir la Haute-Égypte ; cependant ceux de ses membres que vous jugerez pouvoir vous être utiles, vous les mettrez en réquisition sans difficulté.

L'effendi fait prisonnier à Abouqyr est parti pour se rendre à Damiette ; je vous ai écrit de l'envoyer à Chypre ; il est porteur, pour le grand vizir, d'une lettre dont vous trouverez ci-joint la copie.

L'arrivée de notre escadre de Brest à Toulon, et de l'escadre espagnole à Carthagène, ne laisse plus de doutes sur la possibilité de faire passer en Égypte les fusils, les sabres, les pistolets, fers coulés, dont vous pourriez avoir besoin, et dont j'ai l'état le plus exact, avec une quantité de recrues suffisante pour réparer les pertes de deux Campagnes.

Le gouvernement vous fera connaître alors lui-même ses intentions, et moi, comme homme public et comme particulier, je prendrai des mesures pour vous faire avoir fréquemment des nouvelles. Si, par des évènements incalculables, toutes les tentatives étaient infructueuses, et qu'au mois de mai vous n'ayez reçu aucun secours ni nouvelles de France, et si, malgré toutes les précautions, la peste était en Égypte cette année, et vous tuait 1.500 soldats, perte considérable, puisqu'elle serait en sus de celles que les évènements de la guerre vous occasionneront journellement, je pense, que dans ce cas, vous ne devez pas hasarder de soutenir la campagne, et que vous êtes autorisé à conclure la paix avec la Porte-Ottomane, quand même la condition principale serait l'évacuation de l'Égypte. Il faudrait seulement éloigner l'exécution de cette condition, si cela était possible, jusqu'à la paix générale.

Vous savez apprécier aussi bien que moi combien la possession de l'Égypte est importante à la France : cet empire turc qui menace ruine de tous côtés, s'écroule aujourd'hui, et l'évacuation de l'Égypte serait un malheur d'autant plus grand que nous verrions de nos jours cette belle province passer en d'autres mains européennes.

Les nouvelles des succès ou des revers qu'aura la République doivent aussi puissamment entrer dans vos calculs.

Si la Porte répondait, avant que vous eussiez reçu des nouvelles de France aux ouvertures de paix que je lui ai faites, vous devez déclarer que vous avez tous les pouvoirs que j'avais, et entamer les négociations ; persistant toujours dans l'assertion que j'ai avancée que l'intention de la France n'a jamais été d'enlever l'Égypte à la Porte ; demander que la Porte sorte de la coalisation, et nous accorde le commerce de la Mer-Noire ; qu'elle mette en liberté les Français prisonniers ; et, enfin, six mois de suspension d'armes, afin que, pendant ce temps-là, l'échange des ratifications puisse avoir lieu. Supposant que les circonstances soient telles que vous croyiez devoir conclure ce traité avec la Porte, vous ferez sentir que vous ne pouvez pas le mettre à exécution qu'il ne soit ratifié, et, selon l'usage de toutes les nations, l'intervalle entre la signature d'un traité et sa ratification doit toujours être une suspension d'armes.

Vous connaissez, citoyen général, quelle est ma manière de voir sur la politique intérieure de l'Égypte. Quelque chose que vous fassiez, les chrétiens seront toujours pour nous. Il faut les empêcher d'être trop insolents, afin que les Turcs n'aient pas contre nous le même fanatisme que contre les chrétiens, ce qui nous les rendrait irréconciliables. Il faut endormir le fanatisme en attendant qu'on puisse le déraciner. En captivant l'opinion des grands cheyks du Kaire, on a l'opinion de toute l'Égypte ; et de tous les chefs que ce peuple peut avoir, il n'y en a aucun de moins dangereux que des cheyks qui sont peureux, ne savent pas se battre, et qui, comme tous les prêtres, inspirent le fanatisme sans être fanatiques.

Quant aux fortifications d'Alexandrie et d'El-Arych, voilà les deux clefs de l'Égypte. J'avais le projet de faire établir cet hiver des redoutes de palmiers, deux depuis Salhieh jusqu'à Qatieh, et deux de Qatieh à El-Arych ; une de ces dernières se serait trouvée dans l'endroit où le général Menou a trouvé de l'eau potable.

Le général de brigade Samson, commandant le génie ; le général Songis, commandant l'artillerie, vous mettront au fait, chacun de ce qui regarde sa partie. Le citoyen Poussielgue a été exclusivement chargé des finances. Je Fai reconnu travailleur et homme de mérite ; il commence à avoir quelques renseignements sur l'administration du pays. J'avais le projet, si aucun événement ne survenait, de chercher les moyens d'établir cet hiver un nouveau système d'impositions qui aurait à peu près permis de se passer des Cophtes, cependant, avant de l'entreprendre, je vous conseille d'y réfléchir longtemps. Il vaut mieux entreprendre un peu plus tard qu'un peu trop tôt.

Des vaisseaux de guerre paraîtront indubitablement cet hiver à Alexandrie, ou à Burlos, ou à Damiette. Faites construire une tour ou une batterie à Burlos. Tâchez de réunir 5 à 600 Mamlouks, que, lorsque les vaisseaux français seront arrivés, vous ferez arrêter dans un jour au Kaire, ou dans d'autres provinces, et embarquer pour la France. A défaut de Mamlouks, des otages arabes, des cheyks El-Beled[16], qui, pour une raison quelconque, seront arrêtés, pourront y suppléer. Ces individus, transportés en France, y seront retenus un ou deux ans, verront la grandeur de la nation, prendront une idée de nos mœurs et de notre langue, et, de retour en Égypte, y formeront autant de partisans.

J'avais déjà demandé une troupe de comédiens ; je prendrai un soin particulier de vous en envoyer. Cet article est important pour l'armée, et pour commencer à changer les mœurs du pays.

La place importante que vous allez occuper en chef va vous mettre à même de déployer les talents que la nature vous a donnés. L'intérêt de ce qui se passe est vif, et les résultats en seront immenses sur le commerce et la civilisation : se sera l'époque d'où dateront de grandes révolutions.

Accoutumé à ne voir la récompense des peines et des travaux de la vie que dans l'opinion de la postérité, j'abandonne l'Égypte avec le plus grand regret. L'intérêt de la patrie, sa gloire, l'obéissance, les évènements extraordinaires qui viennent de se passer, me décident à traverser les escadres ennemies pour me rendre en Europe. Je serai d'esprit et de cœur avec vous ; vos succès me seront aussi chers que ceux où je me trouverai en personne, et je regarderai comme mal employés tous les jours de ma vie où je ne ferai pas quelque chose pour l'armée dont je vous laisse le commandement, et pour consolider le magnifique établissement dont les fondements viennent d'être jetés.

L'armée que je vous confie est toute composée de mes enfants. J'ai eu dans tous les temps, même au milieu de leurs plus grandes peines, des marques de leur attachement. Entretenez-les dans ces sentiments ; vous le devez à l'estime et à l'amitié que j'ai pour vous, et à l'attachement que je leur porte.

Soldats ! dit Bonaparte dans ses adieux à l'armée, les nouvelles d'Europe m'ont décidé à partir pour la France ; je laisse le commandement de l'armée au général Kléber. L'armée aura bientôt de mes nouvelles ; je ne puis pas en dire davantage. Il me coûte de quitter dès soldats auxquels je suis si attaché ; mais ce ne sera que momentanément, et le général que je leur laisse a la confiance du gouvernement et la mienne.

 

Il écrivit au divan du Kaire :

Ayant été instruit que mon escadre était prête, et qu'une armée formidable était embarquée dessus, convaincu, comme je vous l'ai dit plusieurs fois, que, tant que je ne frapperai pas un coup qui écrase à la fois tous mes ennemis, je ne pourrai jouir tranquillement et paisiblement de la possession de l'Égypte, la plus belle partie du monde ; j'ai pris le parti d'aller moi-même me mettre à la tête de mon escadre, en laissant le commandement, pendant mon absence, au général Kléber, homme d'un mérite distingué et auquel j'ai recommandé d'avoir pour les ulémas et les cheyks la même amitié que moi. Faites ce qui vous sera possible pour que le peuple de l'Égypte ait en lui la même confiance qu'en moi, et qu'à mon retour, qui sera dans deux ou trois mois, je sois content du peuple de l'Égypte, et que je n'aie que des louanges et des récompenses à donner aux cheyks.

Le général en chef donna l'ordre au général Menou de se rendre de suite à Alexandrie pour prendre le commandement de cette place, de Rosette et du Bahyreh ; d'envoyer à Kléber, par une occasion très-sûre, la dépêche qui lui conférait le commandement en chef, et de n'expédier ses lettres pour le Kaire que 48 heures après que les frégates auraient disparu.

Bonaparte resta une heure au puits de Beïdah, remonta à cheval, et, au lieu de se diriger sur Alexandrie, prit brusquement à droite, pour gagner au plus près le bord de la mer qu'il atteignit après deux heures de marche. Lorsqu'il fut arrivé sur la plage, on aperçut distinctement une voile à environ trois lieues au large ; elle causa quelque inquiétude. On craignait que ce ne fût Sidney Smith qui revenait prendre sa situation de blocus.

Le rendez-vous assigné par Bonaparte au général Menou et au contre-amiral Gantheaume était à la première citerne que l'on rencontre en allant d'Alexandrie à Abouqyr, et qui est à une lieue de ce fort. Il ordonna à son aide-de-camp Merlin de s'y transporter, afin de guider ces deux généraux vers l'endroit où il s'était arrêté pour les attendre. Merlin partit escorté d'un homme a cheval, et trouva Menou et Gantheaume à l'endroit qui lui avait été indiqué. Gantheaume prit l'alarme, lorsque Merlin lui parla du bâtiment qu'on avait aperçu ; il monta sur une dune de sable pour le reconnaître, et se convainquit bientôt qu'il courait sa bordée vers l'île de Chypre, ce qui lui fit présumer qu'il avait été envoyé pour reconnaître ce qui se passait dans le port d'Alexandrie. Il se rendit auprès du général en chef, lui fit part de ses craintes et l'engagea à ne pas perdre un instant pour s'embarquer. Bon, répondit Bonaparte, ne craignez rien, la fortune ne nous trahira pas ; nous arriverons en dépit des Anglais.

L'endroit où Bonaparte avait joint le bord de la nier et avait fait halte était éloigné d'une petite lieue d'Alexandrie. Depuis ce point jusqu'à la ville, la côte est bordée de dunes peu élevées y qui empêchent cependant d'apercevoir la mer. Une demi-heure avant le coucher du soleil, il se mit à cheminer le long du rivage, et, couvert du côté de la terre par ces dunes, il se dirigea vers le Pharillon, situé à la pointe orientale du port neuf, à une portée de canon de la ville, d'où on ne pouvait être aperçu. La nuit était close et fort, obscure lorsqu'on arriva au Pharillon, et les chaloupes des frégates qui devaient s'y trouver pour recevoir Bonaparte et sa suite n'étaient pas encore au rivage.

Le général Menou envoya un de ses aides-de-camp en ville chercher des hommes pour recueillir les chevaux de Bonaparte, de sa suite, et ceux de ses guides, confiés en attendant à quelques palefreniers.

On était depuis une demi-heure sur le rivage, les chaloupes des frégates n'arrivaient pas, et, au risque de donner l'éveil à la ville d'Alexandrie, on fut obligé de brûler des amorces, pour les avertir de l'arrivée de Bonaparte, et leur indiquer l'endroit. où il les attendait : elles répondirent enfin à ce signal ; elles arrivèrent. Le général en chef dit à Menou en le quittant : Mon cher, vous autres tenez-vous bien ici ! Si j'ai le bonheur de mettre le pied en France, le règne du bavardage est fini[17]. Il monta sur sa chaloupe ; les autres personnes de sa suite, sans distinction de rangs ni de grades, s'empressèrent de s'embarquer, et se mirent pour cela dans l'eau jusqu'aux genoux entraînés par leur impatience, par la crainte de ne pas y trouver place, et d'être laissés en arrière.

Le général Menou partit pour Alexandrie, afin d'envoyer de suite à bord des frégates les généraux Marmont, Lannes et Murat ainsi que Denon.

Les frégates le Muiron et le Carrère, destinées à transporter le général Bonaparte, son état-major et les officiers-généraux qu'il emmenait avec lui, étaient mouillées au dehors de la passe du port neuf, à demi-portée de canon du Pharillon. On arriva à neuf heures du soir à bord du Muiron, destiné au général en chef. Il faisait calme plat, et on se mit aussitôt à table, en faisant des vœux pour qu'un vent favorable mît promptement en état d'appareiller ; on regardait comme important de pouvoir, avant le jour, se trouver hors de vue de terre, tant par la crainte de la croisière anglaise qui pouvait reparaître d'un moment à l'autre, qu'à cause de la garnison d'Alexandrie dont on craignait le mécontentement, lorsqu'elle apprendrait l'embarquement de Bonaparte.

Sur le Carrère étaient embarqués le chef de division Dumanoir, les généraux Lannes, Murat et Marmont ; sur le Muiron, Bonaparte, Bourrienne, l'aide-de-camp Lavalette, le contre-amiral Gantheaume, les généraux Berthier et Andréossy, les savants Monge et Berthollet[18].

Trois petits bâtiments, la pinque la Revanche, et les deux avisos, l'Indépendant et la Foudre, accompagnaient les frégates pour leur servir d'éclaireurs.

Le 6 au matin, le calme régnait encore, et, pendant plus de trois heures, on put distinguer la foule qui s'était portée sur les avenues du port neuf, pour être témoin du départ ; elle ne, laissa entrevoir aucun signe de mécontentement. Vers neuf heures du matin, il s'éleva une légère brise de terre dont on se hâta de profiter pour mettre à la voile. Au bout d'une heure r cette brise fraîchit un peu ; à midi, l'escadrille avait perdu de vue les côtes d'Égypte.

L'aviso la Foudre, ne paraissant pas pouvoir suivre, reçut l'ordre de renvoyer à bord du Muiron ses instructions, les drapeaux pris à la bataille d'Abouqyr et de retourner à Alexandrie.

On apprit tout à la fois au Kaire l'arrivée du général en chef à Alexandrie, son embarquement, et son départ. Cette nouvelle plongea tout le monde dans la consternation. Habitué à le voir commander pour ainsi dire aux évènements, chacun avait déposé ses destinées sur sa tête. Personne n'apercevait aucun moyen de sortir d'Égypte, et l'on était persuadé que Bonaparte en avait mille. La confiance en lui était telle, que l'on se crut destiné à mourir en Afrique lorsqu'on apprit qu'il s'était embarqué. Ensuite, les uns lui reprochaient de séparer son sort de celui de ses soldats, qui avaient tout fait pour sa gloire ; les autres l'excusaient en attribuant à des motifs puissants un départ si secret et si précipité ; il allait sauver la France. Cet espoir et celui de la paix vinrent calmer insensiblement l'agitation des esprits, et le nom de Kléber rétablit la confiance[19].

Pour enlever à l'audace de Bonaparte ou a sa fortune l'honneur d'une heureuse traversée, on a supposé que, soit pour le compromettre auprès du Directoire, soit pour priver l'armée d'Orient du général qui la menait à la victoire, et la forcer bientôt d'évacuer l'Égypte, Sidney Smith, par suite d'un arrangement fait après la bataille d'Abouqyr, avait éloigné ses vaisseaux, et laissé un libre passage à Bonaparte. Napoléon a réfuté cette profonde combinaison par ces mots fort simples : Sidney Smith négligea de couper les communications par mer, ce qu'il aurait pu faire s'il s'était un peu plus occupé de son escadre ; par cette négligence, il me laissa échapper[20].

Cependant, ceux qui ont rêvé cet arrangement, en donnent pour preuve que Bonaparte envoya, le 25 thermidor, Desnoyers porter à Alexandrie l'ordre de tout préparer pour son départ, avant d'avoir eu l'avis que les croisières ennemies s'éloignaient, puisque la lettre de Gantheaume qui contenait cet avis ne fut écrite que le 7. Mais elle en rappelait une antérieure qui rendait compte des dispositions que faisaient, le 23, ces croisières pour quitter le mouillage. Depuis ce jour, le contre-amiral informait exactement Bonaparte de leurs mouvements ; il pouvait donc, le 25, en avoir reçu la nouvelle. Enfin, avant son départ du Kaire, le 30, la lettre de Gantheaume, du 27, lui était parvenue. L'exactitude avec laquelle ce contre-amiral rendait compte de l'état des croisières, et les instances qu'il faisait à Bonaparte de profiter de leur éloignement[21], achèvent de reléguer parmi les fables inventées par l'esprit de parti une convention faite entre le commodore anglais et le général de la République. C'est le pendant de cette autre assertion, que Pitt avait suggéré au Directoire l'expédition d'Égypte. Laquelle des deux le dispute à l'autre en absurdité ? Il est difficile de le dire.

Suivons donc Bonaparte voguant vers la France à travers les escadres ennemies.

Les vents soufflant constamment du nord-ouest forcèrent à courir des bordées au nord-est et sur la côte d'Afrique ; telle fut la contrariété du temps qu'on ne fit que 100 lieues en 20 jours. Cependant cette longue navigation laissait l'espoir d'échapper aux croisières ennemies, en se tenant toujours entre les 32e et 33e degrés de latitude, et à peu de distance des cotes d'Afrique ; on était dans des parages, sinon inconnus, du moins très-peu fréquentés par les marins, et très-éloignés de la route que suivent ordinairement les navires pour se rendre d'Europe en Égypte.

On attendait avec une vive impatience les vents de l'équinoxe ; on comptait sur leur violence pour passer le cap Bon et échapper à la croisière anglaise qu'on devait craindre d'y rencontrer. Chaque jour, lorsqu'on faisait le point, on voyait avec une extrême anxiété qu'on ne se trouvait pas plus avancé que la veille, et souvent qu'on avait reculé. Si, disait-on, Sidney Smith est revenu devant Alexandrie, il se sera porté à notre poursuite sur le cap Bon, et il y arrivera avant nous.

Bonaparte, comme un simple passager, s'occupait pendant ce temps-là de géométrie, de chimie et quelquefois jouait et riait avec ses compagnons de voyage. Il mit beaucoup de franchise dans ses conversations, s'exprima avec dédain sur le compte du Directoire et parla avec assurance de son avenir.

Le 25 fructidor, le vent d'est commença à souffler ; le 30, on avait doublé le cap d'Ocre, et, le 4e complémentaire, on était au-delà du golfe de la Sydre. Dans la nuit du 6 complémentaire au 1er vendémiaire an VIII, on passa près de Lampedouze, et, le premier vendémiaire, on découvrit la Pantellerie. Ce jour, anniversaire de la fondation de la République, fut célébré à bord des deux frégates. On chanta des couplets brûlants de patriotisme, composés pour la fête par Bourrienne, secrétaire de Bonaparte.

Sur le soir, le calme survint à deux lieues château de Gallipoli ; mais, vers onze heures, le vent d'est commença à souffler bon frais ; on doubla le cap Bon dans la nuit, et, le 2 vendémiaire à midi, on était par le travers de Bizerte. Le vent continuant à être favorable, on se trouva, le 4 vendémiaire, par le travers du golfe d'Oristano, en Sardaigne. Le 5, on découvrit le cap Salcon, et, le 7, on dépassa les bouches de Bonifacio.

Ignorant la suite des évènements militaires depuis le mois de prairial, et craignant que l'ennemi ne fût maître de la Provence et peut-être de la Corse, Bonaparte résolut de faire prendre langue dans cette île. Gantheaume y envoya la Revanche. Le 8 vendémiaire au soir, on entra dans !e golfe d'Ajaccio ; n'ayant encore aucune nouvelle de la Revanche, et ne voulant pas, la nuit, par un vent grand frais, rester dans le golfe, on vira de bord, et les frégates gagnèrent le large. Le 9 au matin, le vent du nord-ouest — mistral — souffla avec violence et les força de retourner à Ajaccio ; il était à craindre qu'un accident, s'il en arrivait un à des frégates mal gréées et mal matées, ne les rejetât dans des parages d'où la fortune les avait fait sortir sans rencontrer d'ennemis.

En entrant dans le golfe d'Ajaccio, on retrouva la Revanche, qui pour s'abriter avait jeté l'ancre près de la côte : on lui fit des signaux ; elle répondit par les siens que la Corse était toujours française, et vint donner ensuite des nouvelles plus détaillées. Une felouque, envoyée d'Ajaccio pour reconnaître les bâtiments, tira des salves de ses petits canons, et, prenant les devants à l'aide, de ses rameurs, précéda de quelques minutes les deux frégates qui entrèrent à pleines voiles dans le port. Les bastions de la citadelle tirèrent spontanément le canon en signe de réjouissance.

Au bruit de cette canonnade inattendue, les habitants d'Ajaccio se portèrent en foule sur le port. A peine les frégates eurent-elles jeté l'ancre, qu'elles furent entourées d'embarcations. L'air retentit des cris de vive Bonaparte ! Les autorités vinrent à la poupe du Muiron, et firent, ainsi que tous les citoyens, éclater leur joie en reconnaissant le général. Un orateur lui fit le récit succinct de tous les évènements politiques et militaires qui s'étaient passés pendant son absence.

Bonaparte apprit ainsi la suite des revers des armées en Italie, la reddition de Mantoue, les batailles de Novi, de la Trebbia, la descente des Anglo-Russes en Batavie, et la révolution directoriale du 30 prairial.

Les citoyens voulurent passer de leurs embarcations à bord des frégates. On leur opposa en vain les lois sanitaires : Il n'y a pas de quarantaine pour Bonaparte, pour le sauveur de la France ! s'écrièrent-ils. La municipalité elle-même joignit ses instances à celles des habitants, pour décider le général à se rendre à terre. Il ne se fit pas prier longtemps ; il débarqua, et fut conduit au milieu des acclamations et de l'ivresse générale dans sa maison paternelle.

Les troupes étaient sous les armes ; elles n'avaient ni vêtement ni chaussure. Bonaparte demanda où en était la caisse ; elle n'avait rien reçu depuis sept mois. Le payeur était en avance. Il s'était obligé pour 4700o francs qu'il avait répartis entre les corps, afin d'assurer la subsistance et d'apaiser les aubergistes, qui refusaient la table aux officiers. Bonaparte fut indigné de cet abandon. Il remit tout ce qu'il avait de disponible, et fit aligner la solde. Il ne voulut pas que l'uniforme excitât la pitié. Le soir, il y eut bal, illumination. Le pauvre le disputait au riche.

Il trouva son pays en proie à des divisions ; la municipalité et l'administration départementale s'accusaient réciproquement ; les prisons étaient pleines, les partis en présence. Le public perdait patience. Bonaparte intervint comme médiateur dans ces discussions ; les prisons furent ouvertes, la paix et la confiance rétablies.

Les vents soufflaient toujours du nord-ouest, et retinrent les frégates dans le port d'Ajaccio depuis le 9 vendémiaire jusqu'au 15. Dans cet intervalle, elles essayèrent une fois d'en sortir ; mais les, vents les forcèrent à rentrer. Quoique Bonaparte eût fait suivre les frégates par deux avisos, la Revanche et l'Indépendant, pour plus de sûreté il fit préparer à Ajaccio une gondole avec 14 rameurs choisis, qui fut amarinée au Muiron, afin d'échapper plus facilement à l'ennemi sur un des trois bâtiments, si on le rencontrait.

Enfin le 15, à sept heures du soir, on mit à la voile, et le 16, au soir, on aperçut les côtes de France. Au moment où le soleil se couchait, la vigie découvrit une voile. L'adjudant du contre-amiral Gantheaume monta sur le grand mât, et aperçut huit à dix voiles qu'il assura être 4es vaisseaux de ligne anglais. Un morne silence succéda subitement aux bruyants éclats de joie par lesquels on venait de saluer les rivages de la patrie. Le contre-amiral Gantheaume pensant que les frégates avaient été vues, crut devoir engager Bonaparte à s'embarquer sur la gondole pour gagner la côte la plus voisine, ou retourner en Corse.

Non, non ! s'écria-t-il, cette manœuvre nous conduirait en Angleterre, et je veux arriver en France. Lorsque nous aurons échangé quelques boulets avec les Anglais, et perdu tout espoir de sauver nos frégates, nous verrons[22].

On se borna donc à changer de direction. Le contre-amiral ordonna le branle-bas général, et mit le cap au nord, nord-ouest. Le canon des Anglais, pour les signaux de nuit, indiquant qu'ils prenaient la bordée du large, donna la conviction que les frégates n'avaient pas été aperçues. A minuit, elles touchaient les côtes de France ; mais la grande obscurité de la nuit empêchait de voir où l'on était. On mit en panne pour attendre le jour : il parut, et fit distinguer le cap Taillât, entre les îles d'Hyères et Fréjus. Il fut décidé d'entrer dans ce port. Le 17 vendémiaire, à dix heures du matin, on y jeta l'ancre, et, à midi, Bonaparte toucha le sol de la France, le 47e jour de son départ d Alexandrie, échappant aux vaisseaux anglais qui couvraient la Méditerranée.

 

Nota. La suite de la campagne d'Égypte sous le généralat de Kléber et de Menou, jusqu'au retour de l'armée d'Orient en France, prendra place dans l'Histoire générale à l'époque du consulat.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Considérations sur la révolution, par madame de Staël, t. II, p. 229.

[2] Montholon, tome V, p. 353.

[3] Montholon, tome II, page 220.

[4] Miot, Expédition d'Égypte, page 266.

[5] Martin, tome I, page 357.

[6] O'Meara, tome I, page 470. — Montholon, tome II, page 219. — Las Cases, tome VI, page 20.

[7] Lettre du 24 thermidor.

[8] Lettre du 25 thermidor.

[9] Antommarchi, tome I, page 409.

[10] Lettre de Gantheaume, du 27 thermidor.

[11] Lettre du 30 thermidor.

[12] Lettre du 30 thermidor.

[13] Lettres de Dugua, du 1er fructidor.

[14] Lettre du 2 fructidor.

[15] Le gouvernement n'avait pas manifesté cette intention. C'était une supposition faite dans l'intérêt de la France et dans celui de Desaix pour lequel Bonaparte avait autant d'amitié que d'estime.

Desaix était dans le secret du départ du général en chef ainsi qu'on le voit par ce qu'il répondit à Bonaparte, en apprenant les revers des armées françaises en Europe, après son retour d'Alexandrie au Kaire.

[16] Cheyk El-Beled, signifie cheyk de l'endroit. C'est, pour ainsi dire, le maire d'un village arabe.

[17] Las Cases, tome VI, page 15.

[18] Au moment où on allait mettre a la voile, un bateau arriva aux frégates ; il portait Parceval, littérateur, membre de l'institut du Kaire, qui insista vivement pour être embarqué. Aux sollicitations de Monge et Berthollet, Bonaparte le fit recevoir a bord du Carrère.

[19] C'est ainsi que s'exprime Miot. Nous nous bornons a opposer le témoignage d'un écrivain qui ne flatte pas Bonaparte à celui de Martin, qui dit que l'armée se vit avec plaisir délivrée d'un grand poids, et qui met Kléber, comme capitaine, bien au-dessus de Bonaparte. Le jugement honorable et juste, porté à Sainte-Hélène par Napoléon sur Kléber, a un peu plus de poids que celui d'un ingénieur des ponts-et-chaussées.

[20] O'Meara, tome II, page 175.

[21] Lettres de Gantheaume, des 27, 30 thermidor, 1er, 2, 3 fructidor.

[22] On a vu longtemps dans la maison de l'amiral Gantheaume, à Aubagne, un dessin représentant la petite flottille qui avait ramené Bonaparte d'Égypte. Au ciel, en avant du Muiron, brillait un corps lumineux, et au bas on lisait : Nous gouvernions sur son étoile !